DÉCISION
Dossier 165191-62C-0107
[1] Le 12 juillet 2001 monsieur Pierre Garand (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 4 juillet 2001 à la suite d’une révision administrative.
[2] La CSST décide ce qui suit :
- elle déclare sans objet la demande de révision du 1er février 2001 de Montupet Ltée (l’employeur) de la décision initiale rendue le 11 janvier 2001 indiquant que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 14 avril 2000;
- elle déclare sans objet la demande de révision du travailleur du 24 mai 2001 de la décision initiale du 16 mai 2001 qui indique que le travailleur peut accomplir les tâches relatives à son poste d’assignation temporaire;
- elle confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 16 mai 2001, décision qui fait suite à l’avis rendu par un membre du bureau d’évaluation médicale; la CSST retient le diagnostic de rhinite chronique sur déviation septale et déclare qu’il ne s’agit pas d’une lésion professionnelle.
Dossier 178822-62C-0202
[3] Le 22 février 2002 le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 5 février 2002 à la suite d’une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 6 septembre 2001 et déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 8 juin 2001.
[5] Le travailleur, représenté par monsieur Yves Le Pon, et l’employeur, représenté par Me Paul A. Venne, sont présents à l’audience tenue à Salaberry-de-Valleyfield le 22 avril 2002. Un délai de trois (3) semaines est accordé au travailleur pour lui permettre de produire un complément d’expertise médicale, l’employeur ayant par la suite un délai de trois (3) semaines pour commenter ce complément d’expertise. À la demande du représentant du travailleur, la Commission des lésions professionnelles prolonge le délai au 27 mai 2002 pour la production du complément d’expertise médicale. Ce complément d’expertise est reçu le 24 mai 2002 à la Commission des lésions professionnelles et transmis le 29 mai 2002 à l’employeur. La présente affaire est prise en délibéré le 19 juin 2002, date de réception des commentaires de l’employeur.
L'OBJET DES CONTESTATIONS
[6] Le travailleur demande de retenir un diagnostic de rhinite avec irritation des muqueuses nasales et demande de reconnaître qu’il a subi une lésion professionnelle le 14 avril 2000, qu’il ne peut accomplir les tâches relatives à son poste d’assignation temporaire et qu’il a subi une lésion professionnelle le 8 juin 2001, soit une récidive, rechute ou aggravation reliée à la lésion initiale du 14 avril 2000.
LES FAITS
[7] Le travailleur consulte un médecin le 14 avril 2000 et il est référé au docteur Pierre Plourde, interniste. Le docteur Plourde voit le travailleur le 8 mai 2000; il constate une hypertrophie très importante des cornets du nez, avec une rougeur sévère des deux (2) narines, et une irritation importante du pharynx. Le docteur Plourde est d’avis que le travailleur présente des hémoptysies chroniques secondaires à une exposition à la poussière de roche. Le 23 mai 2000 il pratique une bronchoscopie qui montre une hypertrophie du lymphoïde naso-pharynx mais qui s’avère normal au niveau du larynx. Des tests de fonction respiratoire sont faits le 24 mai 2000 et s’avèrent dans les limites de la normale mais avec une certaine tendance à faire une restriction.
[8] Le 17 octobre 2000 le docteur Kiwan oto-rhino-laryngologiste, signe une attestation médicale et pose le diagnostic de pharyngo-laryngite irritative suite à l’introduction de poussières à travers un masque mal porté.
[9] Le 11 janvier 2001 la CSST, sur la base d’un diagnostic de pharyngo-laryngite irritative, accepte la réclamation du travailleur et déclare qu’il a subi un accident du travail le 14 avril 2000. L’employeur demande la révision de cette décision le 1er février 2001.
[10] Le 18 janvier 2001 le docteur Dufresne pose un diagnostic d’épistaxis secondaire à l’environnement et recommande une assignation temporaire. Le 26 janvier 2001 le docteur Pierre Rhéaume signe un rapport final; il pose un diagnostic de pharyngo-laryngite irritative, secondaire à l’exposition à la poussière de silice; il consolide la lésion au 26 janvier 2001, est d’avis que la lésion a entraîné une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles et recommande de diriger le travailleur à un autre poste de travail. Dans un rapport d’évaluation médicale qu’il signe le 9 février 2001, le docteur Rhéaume recommande un déficit anatomo-physiologique de 3% pour sensibilisation à la poussière de silice et recommande que le travailleur ne soit pas exposé à la poussière de silice. Dans un formulaire d’assignation temporaire, aussi daté du 9 février 2001, le docteur Rhéaume répète que le travailleur doit éviter l’exposition à la poussière de silice.
[11] Le 29 janvier 2001 le docteur François Le Bire examine le travailleur à la demande de l’employeur. Le docteur Le Bire rapporte une hyperémie extrêmement importante au niveau des narines, des parois nasales extrêmement hyperémiées avec œdème et irritation un peu partout. Le docteur Le Bire retient un diagnostic d’hyperémie et irritation des muqueuses nasales et il est d’avis qu’il est trop tôt pour se prononcer sur un lien de causalité avec le travail; sur cette question, le docteur Le Bire suggère de remettre le travailleur dans son milieu de travail «et d’obtenir un examen de rhino-laryngoscopie au moment et au jour même où monsieur alléguera présenter une hémoptysie». Le docteur Le Bire hésite à dire que la lésion est consolidée compte tenu que le travailleur présente un état grippal.
[12] Le 13 février 2001 le travailleur est examiné, à la demande de l’employeur, par le docteur Guy Forget, oto-rhino-laryngologiste. Le docteur Forget note une déviation du septum nasal et une muqueuse irritée, légèrement sèche et hyperémiée. Il reconnaît une relation possible entre les saignements du nez et le travail même s’il note que ces saignements n’ont jamais été notés par l’infirmière chez l’employeur. Le docteur Forget est d’avis que le travailleur, avec sa rhinite chronique et sa déviation septale, doit toujours protéger ses voies respiratoires adéquatement.
[13] Le docteur Le Bire fait un rapport complémentaire le 26 février 2001. Il est d’avis que le diagnostic à retenir est celui de rhinite chronique sur déviation septale importante et que cette lésion n’est pas consolidée. Le docteur Le Bire estime improbable qu’un lien de causalité existe entre la rhinite chronique et l’exposition à un produit sur les lieux du travail.
[14] Le 26 février 2001 l’employeur demande au travailleur de retourner à son poste de travail en portant un masque durant toute la journée de travail. Dans une lettre du 6 mars 2001 le travailleur conteste cette assignation en mentionnant qu’il refuse de porter un masque pendant huit (8) heures, ce qui est contraire à la mise en garde du fabricant.
[15] Le 8 mars 2001 le travailleur reprend un travail où il n’est pas exposé à la poussière de silice et où il n’est pas nécessaire qu’il porte un masque.
[16] Le 14 mai 2001 le docteur Samir Abboud, oto-rhino-laryngologiste et membre du bureau d’évaluation médicale, examine le travailleur. Le docteur Abboud retient un diagnostic de rhinite chronique sur une déviation septale, est d’avis que cette lésion n’est pas consolidée et que le déficit anatomo-physiologique est de 0%. Pour rendre son avis, le docteur Abboud considère ce qui suit :
- le travailleur a une déviation septale obstructive et une rhinite chronique;
- l’hypertrophie du tissu lymphoïde décrit à l’examen du rhinopharynx et de l’oropharynx peut aussi être secondaire à une obstruction nasale;
- le restant des voies aériennes est tout à fait normal;
- la rhinite ne peut être seulement en cause dans une exposition faite surtout de silice cristalline;
- le changement de poste de travail n’a pas nécessairement fait disparaître les symptômes du travailleur;
- les symptômes sont apparus après dix ans d’exposition et il n’y a aucune preuve de sensibilisation à un produit présent dans les lieux du travail.
[17] Le 14 mai 2001 un médecin de la CSST communique avec le docteur Rhéaume; la conversation téléphonique est ainsi résumée par le médecin de la CSST :
« Le Dr. Rhéaume est d’avis que ce T peut être soumis à l’assignation temporaire proposée par l’employeur soit un travail de nettoyage avec port d’un masque à cartouche.
Le Dr. Rhéaume est d’accord avec le principe que le non port d’un masque ne peut être ici considéré relié à la lésion acceptée.» [sic]
[18] Le 15 mai 2001 la CSST décide que le travailleur peut accomplir les tâches relatives à son poste d’assignation temporaire. Cette décision est basée sur un rapport d’enquête effectué par madame Chantal Legendre, inspectrice à la CSST. Madame Legendre constate ce qui suit :
«À partir de la description de tâches du travailleur, de la visite du poste de travail impliqué, des documents fournis et des recommandations du médecin traitant, je considère que le poste d’assignation temporaire est acceptable pour le travailleur dans la mesure où le médecin traitant considère les niveaux de silice mesurés comme acceptables dans le cas particulier de M. Garand. Il est cependant à noter que les taux de silice mesurés aux postes de travail les plus à risque sont significativement en deçà des taux fixés par la réglementation québécoise.»
[19] Le 24 mai 2001 le travailleur demande la révision de la décision rendue le 15 mai 2001. Il précise que ses problèmes ont débuté à la fin de 1998 et au début de 1999 et que le défaut du collet d’étanchéité a été découvert le 7 septembre 2000 seulement. Le travailleur affirme ne pas refuser de porter un masque, mais pas en tout temps.
[20] Liée par l’avis du docteur Abboud, membre du bureau d’évaluation médicale, la CSST rend une décision en conséquence le 5 juin 2001 et déclare qu’il n’y a pas de relation entre le diagnostic retenu et l’événement du 14 avril 2000. Le travailleur demande la révision de cette décision le 11 juin 2001.
[21] Le 8 juin 2001 le travailleur consulte le docteur Laberge qui rapporte des étourdissements et des malaises possiblement secondaires au masque. Une assignation temporaire est permise en autant que le travailleur ne porte pas un masque plus de deux (2) heures par jour.
[22] Le 4 juillet 2001 la CSST confirme que le diagnostic de rhinite chronique sur déviation septale n’est pas une lésion professionnelle. En conséquence, la CSST déclare que la demande de révision du 11 janvier 2001 de l’employeur et la demande de révision du 24 mai 2001 du travailleur sont sans objet. Le 12 juillet 2001 la travailleur conteste à la Commission des lésions professionnelles cette décision du 5 juillet 2001.
[23] Le 24 juillet 2001 le travailleur voit le docteur Montpetit qui note une intolérance au masque et une hyperventilation. Une assignation temporaire est permise en évitant de travailler avec un masque lors de chaleur excessive ou de poussière excessive. Le travailleur produit une réclamation à la CSST pour une récidive, rechute ou aggravation survenue à cette date et précise qu’il a fait de l’hyperventilation suite au port du masque recommandé par la CSST.
[24] Le 6 septembre 2001 la CSST refuse la réclamation du travailleur pour la récidive, rechute ou aggravation du 8 juin 2001 parce que la lésion initiale a été refusée. Le travailleur demande la révision de cette décision le 18 septembre 2001. Le 5 février 2002, à la suite d’une révision administrative, la CSST confirme sa décision qui indique que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 8 juin 2001. Le travailleur, le 22 février 2002, conteste à la Commission des lésions professionnelles cette décision du 5 février 2002.
[25] La preuve documentaire comprend des fiches signalétiques, des fiches de renseignement sur les respirateurs jetables et une étude d’hygiène industrielle effectuée le 5 avril 2001, par Santinel Inc, à la demande de l’employeur. La conclusion du rapport daté de mai 2001 est que «sur un quart de travail de huit (8) heures, les expositions des agents de fabrication respectent les normes légales y compris le niveau d’intervention (1/2 fois la norme)». Il est noté que, lors de l’évaluation, les portes de l’usine étaient ouvertes, «ce qui a probablement eu pour effet de diminuer l’exposition».
[26] Le travailleur dépose une expertise médicale datée du 23 août 2001 du docteur Martin Desrosiers, oto-rhino-laryngologiste. Le docteur Desrosiers rapporte une légère déviation septale droite, une muqueuse nasale pâle et humide, une pharyngite granuleuse et des amygdales légèrement augmentées de volume. Il est d’avis que le travailleur a présenté une irritation de sa muqueuse nasale, par exposition à la silice abrasive, avec irritation nasopharyngée et développement de crachats hémoptysiques.
[27] Dans son rapport complémentaire du 23 mai 2002, le docteur Desrosiers répète que la déviation septale est légère et que la rhinite est une condition personnelle qui rend le travailleur plus susceptible aux irritations de la muqueuse. Le docteur Desrosiers souligne que la silice amorphe n’a pas d’effet sensibilisant au niveau des voies respiratoires mais que l’exposition peut irriter les voies respiratoires. Commentant le rapport du docteur Forget, le docteur Desrosiers souligne que la déviation que lui-même constate est moins importante que celle rapportée par le docteur Forget et que c’est la rhinite chronique présentée par le travailleur qui le rend plus susceptible aux irritants et non sa déviation septale. Quant au rapport du docteur Le Bire, le docteur Desrosiers souligne que le travailleur, le jour de l’examen par le docteur Le Bire, présentait une infection virale des voies respiratoires supérieures et, ce jour-là, le docteur Le Bire ne pouvait se prononcer sur la condition du travailleur.
[28] Le travailleur témoigne devant la Commission des lésions professionnelles. Il explique les tâches d’un poteyeur. Il souligne qu’une brosse rotative est utilisée depuis 5 ou 6 ans; auparavant, une lame était utilisée et ça ne faisait pas de poussière. Jusqu’au 14 mars 2000 les masques n’étaient pas toujours portés. Pour sabler, il portait un casque du genre de celui porté par un scaphandrier. Le collet d’étanchéité n’était pas utilisé adéquatement. Ses problèmes débutent vers la fin de 1998 ou au début de 1999. Ses médecins lui ont d’abord parlé de problèmes d’estomac mais en mars 2000 son médecin lui dit que c’était impossible. Le docteur Plourde a été le premier à lui dire que c’était relié à son travail. Il a retravaillé sur son poste de travail une journée en juin 2001 et une autre en août 2001. Il ne travaille plus à ce poste depuis ce temps et il n’a plus aucun symptôme. À sa connaissance, aucun autre travailleur n’a présenté les mêmes symptômes que lui.
[29] Le travailleur dit avoir des maux de tête depuis 1991, après qu’un dentiste lui ait brisé la mâchoire. Il a pris Fiorinal pour cette condition mais il n’en prend plus depuis juin 2001. Le travailleur dit qu’il a des problèmes d’estomac qui reviennent lorsqu’il est en période de stress et il peut lui arriver de paniquer. Son médecin lui a dit qu’il a fait de l’hyperventilation parce qu’il n’est pas habitué au port d’un masque et qu’il respire trop vite lorsqu’il porte un masque. Le travailleur ne voulait pas porter un masque à la journée longue mais son employeur, après la décision de la CSST en mai 2001, le retourne à son poste de travail et lui dit qu’il devait porter un masque sinon il risquait une suspension. Le 24 juillet 2001 il tombe par terre alors qu’il y a une contrainte thermique, c’est-à-dire que la température dans l’usine est de 340 Celsius et que, dans un tel cas, il y arrêt de travail de 30 minutes à toutes les deux (2) heures de travail. Il n’a été avisé de ce fait qu’à l’heure du dîner de telle sorte qu’il n’a pas pris ses pauses de 30 minutes.
[30] L’employeur fait entendre monsieur Jean-Denis Bachand, conseiller en santé et sécurité au travail, chez l’employeur depuis février 1998. Il doit, notamment, s’assurer que les gens portent les équipements de sécurité nécessaires à l’exercice de leurs tâches. Le travailleur ne savait pas se servir de la cagoule à porter pour faire du sablage dans une cabine fermée. Des mesures correctrices ont été apportées suite aux plaintes du travailleur et une formation a été donnée aux employés en octobre 2001. Monsieur Bachand nie que l’usine était en contrainte thermique le 24 juillet 2001.
[31] Le docteur Le Bire fait une revue de la documentation médicale au dossier, incluant ses rapports de janvier et février 2001. Le travailleur n’a jamais fait de réaction allergique à la poussière de silice et une personne ne peut être sensibilisée à cette poussière. Le travailleur a une condition personnelle de déviation septale qui entretient une rhinite chronique. Il est seulement possible que les symptômes soient aggravés, temporairement, au travail comme partout ailleurs. Porter un masque nécessite une certaine période d’adaptation. La respiration doit être plus calme, plus lente, et l’inspiration doit être plus profonde. L’adaptation se fait généralement en dedans d’une semaine. Quant à la question de l’hyperventilation il s’agit toujours d’un élément de panique qui relève du domaine psychique.
[32] Monsieur Le Pon, représentant le travailleur, souligne que le travailleur présente des symptômes depuis quelques années mais que ce n’est qu’en avril 2000 qu’un médecin lui a dit que c’était relié à son travail. Il soumet que la silice cristalline peut demeurer de 8 à 9 heures en suspension dans l’air. Le travailleur a une déviation septale qui peut accentuer l’irritation des muqueuses nasales et la silice amorphe est un irritant. À son avis, le travailleur a subi des lésions professionnelles et l’assignation temporaire n’était pas conforme à la loi.
[33] Me Venne, représentant l’employeur, soumet que le diagnostic à retenir est celui de rhinite chronique sur une déviation septale. Pendant 10 ans, le travailleur a exercé son emploi sans avoir aucun symptôme. Les symptômes augmentent même lorsque le travailleur n’est pas au travail. Le travailleur n’a pas fait la preuve que sa maladie était directement reliée aux risques particuliers de son travail. Il s’agit d’une condition purement personnelle qui devient symptomatique au travail ou ailleurs. En ce qui concerne l’assignation temporaire, le port d’un masque n’est pas associé à un problème médical mais à l’attitude du travailleur. Même son médecin, le docteur Rhéaume, dit que ça ne cause aucun problème. À l’appui de ses prétentions, Me Venne dépose trois (3) décisions rendues par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles[1].
L'AVIS DES MEMBRES
[34] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que le travailleur n’a pas fait la preuve qu’il a subi une lésion professionnelle le 14 avril 2000. Il n’a pas démontré la survenance d’un événement imprévu et soudain ou que sa maladie était reliée directement aux risques particuliers de son travail. Le travailleur est porteur d’une condition purement personnelle qui n’a pas été aggravée par un accident du travail ou une maladie professionnelle.
[35] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que le docteur Forget, qui a examiné le travailleur à la demande de l’employeur, a lui-même reconnu une certaine relation entre les problèmes présentés par le travailleur et son travail. Le diagnostic à retenir est celui d’une rhinite chronique irritative sur une déviation septale et les symptômes de cette maladie font suite à une exposition, au travail, à des produits irritatifs. De plus, les problèmes ont été amplifiés par le port, d’une façon non conforme, du gorget de la cagoule. Pour ce qui est de l’assignation temporaire, le membre issu des associations syndicales trouve qu’il est difficilement concevable que l’on puisse exiger le port d’un masque à poussière pendant huit (8) heures, sans corriger le problème à la source. Le travailleur était justifié de ne pas vouloir porter un masque pendant une journée entière. Quant à la récidive, rechute ou aggravation, il est clair qu’elle est reliée au port du masque pendant une longue période et dans des contraintes thermiques élevées. Elle est définitivement en relation avec la lésion professionnelle du 14 avril 2000.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[36] La Commission des lésions professionnelles doit décider du diagnostic à retenir, si le travailleur a subi des lésions professionnelles les 14 avril 2000 et 8 juin 2001 et si le travailleur était en mesure d’accomplir les tâches reliées à l’assignation temporaire.
[37] La preuve médicale nettement prépondérante démontre que le travailleur présente une condition de rhinite chronique irritative sur une déviation septale. Aux fins de déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle le 14 février 2000, c’est ce diagnostic qui doit être retenu par la Commission des lésions professionnelles.
[38] La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi) définit ainsi la lésion professionnelle :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation.
[39] Une rhinite chronique irritative sur une déviation septale est une condition personnelle. L’aggravation, même temporaire, d’une telle condition peut être considérée comme une lésion professionnelle s’il est démontré qu’un accident du travail est survenu ou qu’il y a maladie professionnelle. Aucun accident du travail n’est allégué ici et la preuve doit démontrer qu’il y a maladie professionnelle.
[40] La maladie professionnelle est définie à l’article 2 de la loi et les articles 29 et 30 traitent de cette question :
« maladie professionnelle » :une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
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1985, c. 6, a. 29.
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
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1985, c. 6, a. 30.
[41] Le travailleur ne peut bénéficier de la présomption de l’article 29 de la loi puisque la rhinite chronique irritative sur une déviation septale n’est pas une maladie énumérée dans l’annexe I de la loi. La preuve ne démontre pas qu’il s’agit d’une maladie caractéristique du travail exercé par le travailleur. Ce dernier doit donc démontrer qu’il s’agit d’une maladie reliée directement aux risques particuliers de son travail exercé chez l’employeur.
[42] La preuve démontre que, chez l’employeur, il a présence d’une poussière de silice qui peut être irritante pour les voies respiratoires supérieures. La preuve démontre également que les valeurs d’exposition admissibles de poussières sont respectées chez l’employeur. Une personne qui n’est porteuse d’aucune condition personnelle du genre de celle présentée par le travailleur ne devrait donc pas présenter de problème suite à l’exposition à cette poussière, surtout si elle porte les équipements de protection adéquats. Le travailleur a d’ailleurs confirmé le fait, qu’à sa connaissance, aucun autre travailleur n’a présenté des symptômes comme les siens.
[43] La rhinite chronique du travailleur peut devenir symptomatique, au travail ou ailleurs. il faut quand même se demander si le travail contribue à rendre symptomatique cette condition ou contribue à aggraver cette condition personnelle.
[44] Les docteurs Le Bire et Forget retiennent que la relation est possible dans le présent cas. Une possibilité ne constitue pas une preuve prépondérante. La Commission des lésions professionnelles considère que, dans le présent cas, cette relation possible devient probable en considérant les opinions exprimées par les docteurs Rhéaume et Desrosiers ainsi que le témoignage du travailleur.
[45] La Commission des lésions professionnelles retient que la poussière de silice est un irritant pour les voies respiratoires, que le travailleur a été exposé à la poussière de silice et que l’irritation des muqueuses nasales a été constatée par plusieurs médecins. Ces faits, de même que les opinions des docteurs Rhéaume et Desrosiers, démontrent, de façon prépondérante, que la condition personnelle du travailleur a été rendue symptomatique ou aggravée temporairement par son travail exercé chez l’employeur. Il s’agit donc d’une maladie professionnelle et le travailleur doit être indemnisé en conséquence.
[46] Les articles 179 et 180 de la loi prévoient des dispositions quant à l’assignation temporaire :
179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que :
1 le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;
2 ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et
3 ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.
Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S - 2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.
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1985, c. 6, a. 179.
180. L'employeur verse au travailleur qui fait le travail qu'il lui assigne temporairement le salaire et les avantages liés à l'emploi que ce travailleur occupait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle et dont il bénéficierait s'il avait continué à l'exercer.
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1985, c. 6, a. 180.
[47] Le 9 février 2001 le docteur Rhéaume signe un rapport d’évaluation médicale et un formulaire d’assignation temporaire. Dans les deux (2) cas, il précise que le travailleur ne doit pas être exposé à la poussière de silice. Le 26 février 2001 l’employeur demande au travailleur de retourner à son poste de travail en portant un masque durant toute la journée de travail. Le travailleur refuse et il conteste cette assignation le 6 mars 2001.
[48] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que le travailleur était justifié, le 26 février 2001, de refuser l’assignation proposée par l’employeur puisqu’elle n’était pas tout à fait conforme au formulaire signé par son médecin. Ce n’est que le 14 mai 2001 que le docteur Rhéaume mentionne à la CSST que le travailleur peut faire son emploi en portant un masque à cartouche. Une décision est par la suite rendue le 24 mai 2001 concernant cette assignation temporaire. Le travailleur conteste cette décision et, selon l’article 179 de la loi, il était encore en droit de refuser de faire le travail proposé par son employeur mais l’employeur lui demande quand même d’exercer son emploi, sinon il risquait une suspension.
[49] Le travailleur le 8 juin 2001 consulte un médecin à cause d’étourdissements que le médecin associe au port du masque. Ce médecin recommande alors que le travailleur ne porte pas un masque plus de deux (2) heures par jour. Le 24 juillet 2001 le travailleur fait une crise d’hyperventilation après avoir porté un masque pendant plusieurs heures.
[50] Il faut se souvenir que le travailleur a une déviation septale qui peut occasionner des difficultés respiratoires. Le docteur Le Bire mentionne que le port d’un masque nécessite une période d’adaptation et que la respiration doit se faire de façon différente. Au surplus, la preuve démontre que le travailleur peut parfois paniquer, ce qui constitue une condition personnelle.
[51] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que cette condition personnelle doit être prise en considération lorsqu’un employeur veut assigner un travailleur à un travail après qu’une lésion professionnelle soit reconnue. La Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’il est normal qu’une personne, qui a tendance à paniquer, fasse une crise d’hyperventilation lorsqu’elle doit s’adapter à une nouvelle façon de respirer sur une longue période. La Commission des lésions professionnelles doit donc reconnaître que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 8 juin 2001 puisque la condition présentée alors par le travailleur découlait du port d’un masque qui a été rendu nécessaire par la lésion professionnelle.
[52] Tenant compte du fait que le travailleur présente un risque de faire des crises d’hyperventilation, la Commission des lésions professionnelles estime qu’il est justifié de refuser de porter un tel masque pendant une journée entière de travail et donc, de refuser de faire l’assignation proposée par l’employeur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossiers 165191-62C-0107 et 178822-62C-0202
ACCUEILLE la requête déposée le 12 juillet 2001 par monsieur Pierre Garand;
ACCUEILLE la requête déposée le 22 février 2002 par monsieur Garand;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 4 juillet 2001 à la suite d’une révision administrative;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 5 février 2002 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que :
- le diagnostic à retenir est celui de rhinite chronique sur une déviation septale;
- monsieur Garand a subi une lésion professionnelle le 14 avril 2000, soit un accident du travail aggravant une condition personnelle de rhinite chronique;
- monsieur Garand n’était pas en mesure d’accomplir les tâches relatives à l’assignation temporaire;
- monsieur Garand a subi une lésion professionnelle le 8 juin 2001, soit une récidive, rechute ou aggravation reliée à la lésion professionnelle initiale du 14 avril 2000.
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Richard Hudon |
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Commissaire |
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T.C.A. Québec (Section locale 1163) (Monsieur Yves Le Pon) |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Paul A. Venne |
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Représentant de la partie intéressée |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.