Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Deveau et Cap sur Mer inc.

2012 QCCLP 2023

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Gaspé

19 mars 2012

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent et Côte-Nord

 

Dossier :

441504-01B-1106

 

Dossier CSST :

136244530   (autre, inconnu?)

 

Commissaire :

Louise Desbois, juge administratif

 

Membres :

Ginette Denis, associations d’employeurs

 

Pierre Boucher, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Marie-Louise Deveau

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Cap sur Mer inc.

 

Pêcheries Norpro ltée

 

Terres maraîchères Barbeau

 

Parties intéressées

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 7 juin 2011, madame Marie-Louise Deveau (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 27 mai 2011 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 21 janvier 32011 et déclare que la travailleuse n’est pas atteinte d’une maladie professionnelle pulmonaire et n’a pas droit aux prestations prévues par la loi.

[3]           Lors de l’audience tenue à Gaspé le 14 mars 2012, la travailleuse est présente, seule. Le procureur de Cap sur mer inc. a transmis de brèves représentations, reçues au début de l’audience. Les deux précédents employeurs de la travailleuse ont par ailleurs été mis en cause par le tribunal. Les Terres maraîchères Barbeau inc. a préalablement avisé le tribunal de son absence et transmis ses commentaires alors que Pêcheries Norpro ltée n’est plus en activité. La procureure de la CSST a quant à elle avisé le tribunal que personne ne serait présent pour sa cliente.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           La travailleuse demande de reconnaître que sa maladie professionnelle déjà reconnue, consistant en de l’asthme développé chez Pêcheries Norpro ltée, s’est aggravée lors de son travail chez Cap sur mer inc.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]           La membre issue des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis que la requête de la travailleuse devrait être accueillie. Ils considèrent plus particulièrement que les deux comités de pneumologues ayant évalué la travailleuse ont conclu à une aggravation de la maladie professionnelle de la travailleuse et que le fait qu’ils ne se prononcent pas en faveur d’une nouvelle maladie professionnelle n’empêche pas de retenir une récidive, rechute ou aggravation de la maladie professionnelle de la travailleuse, ce que ne semble pas avoir évalué la CSST.

[6]           Ils sont également d’avis qu’en fait, les deux comités concluent qu’une partie des problèmes de la travailleuse constitue une aggravation de l’asthme reconnu, bien qu’une partie soit attribuable à des facteurs personnels. Considérant ces conclusions et considérant le témoignage crédible de la travailleuse qui établit une nette amélioration de sa condition depuis qu’elle n’est plus exposée à des produits irritants, et ce, indépendamment des facteurs personnels en cause, ils sont d’avis que la preuve est prépondérante quant à une récidive, rechute ou aggravation de l’asthme professionnel de la travailleuse en 2010.

[7]           Ils sont cependant d’avis que la travailleuse devait être dirigée de nouveau vers le Comité des maladies pulmonaires professionnelles en novembre 2011, ce qui n’a pas été fait par la CSST, et que cela doit être fait pour que soit finalement évalués l’existence et le pourcentage d’atteinte permanente devant être attribuée à cette récidive, rechute ou aggravation, ainsi que les limitations fonctionnelles appropriées, le cas échéant.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[8]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a subi une lésion professionnelle le ou vers le 18 mai 2010.

[9]           La notion de « lésion professionnelle » est ainsi définie dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[10]        En l’occurrence, la travailleuse n’allègue aucunement la survenance d’un accident du travail.

[11]        La CSST a, quant à elle, traité uniquement la demande de la travailleuse sous l’angle de la maladie professionnelle.

[12]        Demeurait cependant une autre possibilité : que la travailleuse ait subi une récidive, rechute ou aggravation de sa maladie professionnelle déjà reconnue par la CSST.

[13]        Il a en effet déjà été reconnu par la CSST que depuis 1987 ou 1989 (le dossier concerné n’a pas été transmis au tribunal par cette dernière, du fait, étonnamment, qu’il ne semble pas avoir été considéré pertinent) la travailleuse, actuellement âgée de 63 ans, est atteinte d’une maladie professionnelle consistant en de l’asthme professionnel au crabe. Un déficit anatomophysiologique de 16 % a alors été reconnu découler de cette maladie.

[14]        Des réévaluations de la travailleuse ont été effectuées au fil des ans, la dernière remontant à 2006, et le pourcentage de déficit anatomophysiologique a toujours été maintenu.

[15]        Par la suite, la travailleuse occupe un emploi de préposée sur la ligne d’emballage d’échalotes. Aucune exacerbation des symptômes d’asthme de la travailleuse n’est notée pendant cette période.

[16]        À compter de 2007, la travailleuse occupe un emploi saisonnier de préposée à l’entretien chez Cap sur mer inc. Il s’agit d’une entreprise de transformation de produits marins, excluant le crabe.

[17]        La travailleuse exécute son travail sans problèmes jusqu’en 2010.

[18]        Lors de la reprise du travail au printemps 2010, la travailleuse commence à noter une exacerbation de son asthme de façon concomitante à l’exercice de son travail : augmentation graduelle de ses symptômes pendant son quart de travail, diminution légère de ceux-ci pendant les courts congés et plus importante lors de plus longues périodes d’arrêt.

[19]        La travailleuse attribue l’exacerbation de ses symptômes à l’exposition à des produits irritants. De tels produits sont utilisés au travail pour le nettoyage, ce qui constitue l’essentiel de son travail, et elle est continuellement exposée aux vapeurs de ces produits présents dans les bassins d’eau au-dessus desquels elle travaille.

[20]        La travailleuse déclare par ailleurs que toute utilisation de produits qu’elle considère comme irritants, même à la maison, entraîne également une exacerbation de ses symptômes, que ce soit de l’eau de Javel, d’autres nettoyants puissants ou même simplement des désodorisants en vaporisateur.

[21]        La travailleuse consulte donc des médecins au cours de sa saison de travail 2010 et soumet une réclamation à la CSST le 16 juin 2010.

[22]        Conformément à ce que prévoit la loi, le dossier de la travailleuse est acheminé à un comité des maladies professionnelles pulmonaires :

226.  Lorsqu'un travailleur produit une réclamation à la Commission alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission le réfère, dans les 10 jours, à un comité des maladies professionnelles pulmonaires.

__________

1985, c. 6, a. 226.

 

 

[23]        Un tel comité est formé de trois pneumologues, dont un président qui est professeur agrégé ou titulaire dans une université québécoise :

227.  Le ministre forme au moins quatre comités des maladies professionnelles pulmonaires qui ont pour fonction de déterminer si un travailleur est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire.

 

Un comité des maladies professionnelles pulmonaires est composé de trois pneumologues, dont un président qui est professeur agrégé ou titulaire dans une université québécoise.

__________

1985, c. 6, a. 227.

 

 

[24]        Il est ensuite prévu par la loi que les membres de ce comité examinent le travailleur et produisent un rapport écrit à la CSST dans lequel ils se prononcent sur le diagnostic et, si celui-ci est positif, à savoir s’il est d’origine professionnelle :

230.  Le Comité des maladies professionnelles pulmonaires à qui la Commission réfère un travailleur examine celui-ci dans les 20 jours de la demande de la Commission.

 

Il fait rapport par écrit à la Commission de son diagnostic dans les 20 jours de l'examen et, si son diagnostic est positif, il fait en outre état dans son rapport de ses constatations quant aux limitations fonctionnelles, au pourcentage d'atteinte à l'intégrité physique et à la tolérance du travailleur à un contaminant au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1) qui a provoqué sa maladie ou qui risque de l'exposer à une récidive, une rechute ou une aggravation.

__________

1985, c. 6, a. 230.

 

 

[25]        Ce rapport est ensuite transmis à un autre comité de pneumologues, cette fois formé des présidents de trois autres comités de pneumologues. Ce second comité (soit le « comité des présidents », ou « comité spécial », examine le dossier du travailleur, prend connaissance du rapport du précédent comité, puis confirme ou infirme ses conclusions :

231.  Sur réception de ce rapport, la Commission soumet le dossier du travailleur à un comité spécial composé de trois personnes qu'elle désigne parmi les présidents des comités des maladies professionnelles pulmonaires, à l'exception du président du comité qui a fait le rapport faisant l'objet de l'examen par le comité spécial.

 

Le dossier du travailleur comprend le rapport du comité des maladies professionnelles pulmonaires et toutes les pièces qui ont servi à ce comité à établir son diagnostic et ses autres constatations.

 

Le comité spécial infirme ou confirme le diagnostic et les autres constatations du comité des maladies professionnelles pulmonaires faites en vertu du deuxième alinéa de l'article 230 et y substitue les siens, s'il y a lieu; il motive son avis et le transmet à la Commission dans les 20 jours de la date où la Commission lui a soumis le dossier.

__________

1985, c. 6, a. 231.

[26]        Il est finalement établi à l’article 233 de la loi que la CSST est liée par le diagnostic et les autres constatations établis par le comité spécial :

233.  Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi sur les droits du travailleur qui lui produit une réclamation alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission est liée par le diagnostic et les autres constatations établis par le comité spécial en vertu du troisième alinéa de l'article  231 .

__________

1985, c. 6, a. 233.

 

 

[27]        En l’occurrence, le Comité des maladies professionnelles pulmonaires émet son avis le 19 novembre 2010, après qu’il ait été procédé à divers tests.

[28]        Les trois pneumologues formant ce comité écrivent alors plus particulièrement ce qui suit :

RAISON DE CONSULTATION : il s’agit d’une patiente de 62 ans qui a été reconnue porteuse d’un asthme professionnel au crabe en 1989. La dernière évaluation remonte à 2006. Le déficit anatomo-physiologique avait alors été maintenu à 16 %. Une réévaluation de cet asthme professionnel est demandée mais il y a également une possibilité d’un asthme professionnel à un nouvel agent.

 

HISTOIRE PROFESSIONNELLE : madame Deveau avait travaillé dans l’industrie de la transformation du crabe au moment du diagnostic. Lors de la dernière évaluation en 2006, elle travaillait pour une entreprise maraîchère. Elle a occupé cet emploi de 2000 à 2006. Depuis 2006, elle travaille à la compagnie CAP SUR MER qui est une entreprise de transformation du poisson générale. Il n’y a pas de transformation de crabe mais en plus des poissons, il y a transformation du homard et pétoncle. À cet endroit, elle occupe le poste de laveur qui consiste à faire l’entretien ménager des zones de transformation en soirée après que le personnel de jour ait quitté. Son horaire de travail est donc de 18 heures en soirée jusque vers 1 heure du matin. Elle nettoie donc toutes les zones où il y a eu transformation du poisson en utilisant des produits ménagers dont les principaux sont le Chloragel, un produit dénommé Météor et le D-4055 (qu’elle appelle le savon bleu). Cet emploi est occupé du printemps jusqu’à l’automne depuis quatre années, en 2006. Le reste de l’année, elle est au chômage.

 

HISTOIRE DE LA MALADIE : madame Deveau présente donc un asthme chronique qui était stable lors de sa dernière évaluation en 2006. Elle décrit une intensification des symptômes respiratoires depuis la reprise du travail au printemps 2010. Les symptômes sont décrits comme de la dyspnée et de la toux survenant alors qu’elle est exposée à son environnement de travail et aux produits ménagers. Il semble que la produit Meteor lui entraîne plus de symptômes. Les symptômes apparaissent deux à trois heures après l’arrivée au travail, sous forme de dyspnée et de toux, et persistent tout au cours de la nuit suivante, malgré la prise de Ventolin. Elle travaille du lundi au samedi, de sorte qu’elle est légèrement mieux le dimanche mais l’amélioration n’est pas importante. Elle a eu une période de vacances de deux semaines à la fin du mois de juillet et au début du mois d’août où l’amélioration a été plus importante. Elle a eu à ce moment des tests de fonction respiratoire le lendemain de l’arrêt de travail et après les deux semaines de congé, avant de reprendre le travail. Ces tests ne sont pas actuellement disponibles dans le dossier. Elle a consulté à l’urgence pour des symptômes respiratoires de dyspnée et toux le 5 septembre 2010. On a porté un diagnostic de bronchospasme. De la Prednisone a été ajoutée, la patiente est retournée au travail mais le 11 septembre, il y avait coupure de personnel en raison de la baisse de la demande et la patiente a donc fait partie de cette coupure, de sorte qu’elle ne travaille plus depuis le 11 septembre. Avec cet arrêt plus prolongé, sa symptomatologie s’est complètement amendée. Elle n’a plus de toux la nuit. La dyspnée est revenue à son état de base à un grade de 1 à 2/5 et elle utilise sa médication usuelle, soit le Flovent 125 deux inhalations deux fois par jour et le Ventolin deux inhalations deux fois par jour de façon régulière n’ayant pratiquement pas besoin de médication de secours actuellement. Elle note toutefois qu’elle a plus de symptômes respiratoires lorsqu’elle est exposée aux produits ménagers chez elle ainsi qu’aux produits pour les cheveux, elle présente alors également des symptômes de toux et dyspnée, ce qu’elle n’avait pas par les années passées. La patiente mentionne qu’elle n’avait pas de tels symptômes respiratoires les trois premières années où elle a travaillé à cette entreprise et il ne semble pas y avoir eu de changements dans les produits utilisés pour le nettoyage ni de changement dans les produits transformés. […]

 

[…]

 

MÉDICATION :

 

[…]

 

Tenormin 100 mg die depuis 2008. À noter que le Tenormin ne faisait pas partie de sa médication en 2006.

 

[…]

 

TABAGISME : fume 4 à 5 cigarettes par jour. Le tabagisme a été initié à l’âge de 20 ans.

 

ENVIRONNEMENT : aucune modification dans son environnement. Pas d’animaux.

 

[…]

 

RADIOGRAPHIE PULMONAIRE : le parenchyme pulmonaire est normal. On note toutefois une augmentation de l’image cardiaque depuis 2006 avec un index cardiothoracique qui est passé de 0.46 à 0.54. Signes d’hyperinflation.

 

[…]

 

OPINION ET COMMENTAIRES : cette patiente a été reconnue porteuse d’asthme professionnel au crabe et le diagnostic est maintenu. Nous constatons actuellement qu’il y a eu une détérioration de la fonction respiratoire par rapport à 2006. La patiente a travaillé jusqu’à septembre 2010. Elle utilisait principalement des agents nettoyants dans lesquels on retrouvait plusieurs produits irritants des voies respiratoires, notamment des produits chlorés. Le test de fonction respiratoire révèle un syndrome obstructif qui s’est aggravé par rapport à 2006.

 

On doit tenir compte toutefois de trois éléments intercurrents :

 

1.     La patiente reçoit du Tenormin, un bêtabloqueur, depuis 2008 susceptible d’aggraver et d’entretenir le bronchospasme.

2.     On note une augmentation significative de la silhouette cardiaque.

3.     La patiente continue de fumer.

 

Néammoins, nous croyons qu’il y a une certaine partie de ses problèmes qui sont imputables à une aggravation de l’asthme professionnel déjà diagnostiqué. Le bilan des séquelles est établi comme suit :

 

SÉQUELLES ANTÉRIEURES

 

[…]

223582             Classe fonctionnelle 2, asthme                                               10 %

[…]

 

DÉFICIT ANATOMO-PHYSIOLOGIQUE TOTAL                                               16 %

 

 

 

SÉQUELLES ACTUELLES

 

[…]

 

223644             Classe fonctionnelle, asthme                                                  25 %

 

[…]

 

DÉFICIT ANATOMO-PHYSIOLOGIQUE TOTAL                                               31 %

 

AGGRAVATION                                                                                    PLUS 15 %

 

 

TOLÉRANCE AUX CONTAMINANTS : la patiente doit continuer d’éviter l’exposition au crabe ainsi qu’aux irritants respiratoires forts.

 

LIMITATION FONCTIONNELLE : la fonction respiratoire actuelle autorise encore des activités physiques modérées mais en étant conscient que les atmosphères fortement irritantes, les écarts de température peuvent exacerber le problème.

 

[…] [sic]

 

 

[29]        Le dossier est ensuite soumis au Comité spécial des présidents. Ceux-ci font rapport le 9 décembre 2010. Ils diffèrent légèrement d’avis avec les membres du comité des maladies professionnelles pulmonaires, s’exprimant comme suit à ce sujet :

À la suite de cet examen, ils diffèrent d’opinion avec le Comité des maladies pulmonaires professionnelles de Québec à savoir qu’ils considèrent que le DAP antérieur retenu chez cette réclamante de 16 % est actuellement maintenu compte tenu que son aggravation est en partie reliée à son tabagisme continu et la prise concomitante de Tenormin. Une demande a été faite pour que le Tenormin soit cessé et nous demandons également à la réclamante qu’elle cesse de fumer avant la prochaine réévaluation.

 

Réévaluation

 

Dans un an pour considérer s’il y a une aggravation persistante de son asthme professionnel. [sic]

 

[Nos soulignements]

[30]        Il s’avère ainsi que les membres des deux comités concluent que la condition de la travailleuse s’est objectivement, et même de manière significative, détériorée.

[31]        Les membres des deux comités concluent également qu’une partie de la détérioration qu’ils constatent est en relation avec la maladie professionnelle reconnue, bien qu’une partie de cette détérioration soit vraisemblablement de nature personnelle. Aucun ne retient par ailleurs l’hypothèse d’une nouvelle maladie professionnelle. Il semble que l’exposition de la travailleuse à des produits irritants exacerbe sa maladie professionnelle reconnue, ce qui implique que c’est contre-indiqué pour la travailleuse et susceptible d’entraîner une récidive, rechute ou aggravation de sa maladie, mais non une nouvelle maladie professionnelle. 

[32]        La divergence d’opinions entre les deux comités semble plutôt résider dans la question suivante : la détérioration constatée est-elle bel et bien permanente ou n’est-elle pas plutôt temporaire et, par ailleurs, de nature à disparaître, en tout ou en partie, avec la cessation du médicament et du tabagisme considérés contributifs.

[33]        Or, à la réception de ce dernier rapport, la CSST rend la décision suivante :

Conformément aux dispositions de l’article  233 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, la CSST, liée par les constatations médicales du comité spécial, conclut que

 

-  vous n’êtes pas porteuse d’un asthme aux produits nettoyants.

 

Compte tenu de cet avis, la CSST rend la décision suivante :

 

-  Votre réclamation est refusée puisqu’on ne vous a pas reconnu porteur d’une maladie professionnelle pulmonaire. Vous n’avez donc pas droit aux indemnités prévues par la loi.

 

 

[34]        Force est pour le tribunal de constater le bien-fondé en soi de cette décision, mais son caractère nettement incomplet.

[35]        Il était opportun pour la CSST, conformément au rapport du comité spécial des présidents, de conclure que la travailleuse ne souffrait pas d’une nouvelle maladie professionnelle contractée chez Cap sur mer inc.

[36]        Par contre, selon la preuve dont le tribunal dispose, la CSST n’a pas statué, comme elle devait le faire, sur la question de savoir si la travailleuse avait subi une récidive, rechute ou aggravation de sa maladie professionnelle reconnue.

[37]        La CSST était saisie de la réclamation de la travailleuse pour une lésion professionnelle qu’elle alléguait avoir subie le ou vers le 18 mai 2010. Tel qu’il appert de la définition précitée de cette notion, celle-ci englobe celle de récidive, rechute ou aggravation et il fallait donc que la CSST évalue notamment la probabilité que la travailleuse ait subi une telle récidive, rechute ou aggravation, outre celle qu’elle soit atteinte d’une nouvelle maladie professionnelle.

[38]        Le tribunal doit maintenant rendre la décision qui aurait dû être rendue par la CSST :

377.  La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.

 

Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.

__________

1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.

 

 

[39]        Or, après étude de la preuve, incluant plus particulièrement les rapports précités des comités et le témoignage de la travailleuse, le tribunal conclut que la preuve est prépondérante quant au fait que la travailleuse a subi en mai 2010 une récidive, rechute ou aggravation de sa maladie professionnelle reconnue.

[40]        Les termes « récidive, rechute ou aggravation » n’étant pas définis dans la loi, c’est à leur sens courant qu’il faut s’en rapporter pour en comprendre la signification. Une revue des définitions qui sont données de ces termes dans les principaux dictionnaires permet de dégager le sens suivant : une reprise évolutive, une réapparition ou une recrudescence d’une lésion ou de ses symptômes.

[41]        Pour que l’on puisse conclure à l’existence d’une récidive, rechute ou aggravation, un travailleur doit établir, par une preuve prépondérante, qu’il y a détérioration de sa condition et qu’une relation existe entre la pathologie qu’il présente lors de la récidive, rechute ou aggravation qu’il allègue avoir subie et celle qu’il présentait lors de la lésion initiale. À cette fin, le seul témoignage du travailleur est généralement considéré comme insuffisant et doit être supporté par une preuve médicale. Cette définition et cette approche de l’appréciation de l’existence d’une récidive, rechute ou aggravation sont clairement établies par une jurisprudence constante de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles et, par la suite, de la Commission des lésions professionnelles[2].

[42]        Aux fins d’apprécier l’existence d’une relation entre la récidive, rechute ou aggravation alléguée et l’événement initial, la jurisprudence a, par ailleurs, développé certains critères ou paramètres, lesquels ont été bien résumés dans l’affaire Boisvert et Halco[3] :

[...]

 

1.         La gravité de la lésion initiale;

2.         La continuité de la symptomatologie;

3.         L’existence ou non d’un suivi médical;

4.         Le retour au travail, avec ou sans limitations fonctionnelles;

5.         La présence ou l’absence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique;

6.         La présence ou l’absence de conditions personnelles;

7.         La compatibilité de la symptomatologie alléguée au moment de la rechute, récidive ou aggravation avec la nature de la lésion initiale;

8.         Le délai entre la rechute, récidive ou aggravation et la lésion initiale.

 

Aucun de ces paramètres n’est, à lui seul, péremptoire ou décisif, mais, pris ensemble, ils peuvent permettre à l’adjudicateur de se prononcer sur le bien-fondé de la demande du travailleur.

 

[...]

[43]        Afin de déterminer si la travailleuse a subi une récidive, rechute ou aggravation le 18 mai 2010, le tribunal doit donc répondre aux questions suivantes :

-       Y a-t-il une preuve prépondérante d’une détérioration de l’état physique ou psychologique de la travailleuse entre le moment de la consolidation de sa lésion professionnelle précédente et le moment de la récidive, rechute ou aggravation alléguée ?

-       Si oui, y a-t-il une preuve prépondérante d’une relation entre cette détérioration et la lésion initiale?

[44]        Le tribunal souligne que la notion de « détérioration » à laquelle il réfère englobe tant la récidive de la lésion (sa réapparition) que sa rechute (sa reprise évolutive) ou son aggravation (sa recrudescence) en ce qu’elle est appréciée par rapport au moment où la précédente lésion a été jugée consolidée, et donc stable, et qu’elle correspond à un changement, à une modification de la condition du travailleur depuis ce temps, ce que sous-tendent chacun de ces concepts.

[45]        En l’occurrence, la preuve de détérioration, à tout le moins temporaire, de la condition de la travailleuse est éloquente : les membres des deux comités de spécialistes s’étant penchés sur la question concluent à une nette détérioration objective de la condition de la travailleuse.

[46]        Demeure donc la question de savoir si la preuve est également prépondérante quant à une relation entre cette détérioration et la maladie professionnelle reconnue.

[47]        Le tribunal conclut que oui, plus particulièrement en considération de ce qui suit :

-       Les membres des deux comités de spécialistes en la matière concluent que la détérioration de la condition de la travailleuse alors constatée est en partie reliée à sa maladie professionnelle reconnue :

[…] Néammoins, nous croyons qu’il y a une certaine partie de ses problèmes qui sont imputables à une aggravation de l’asthme professionnel déjà diagnostiqué. […]

 

                                               Comité des maladies professionnelles pulmonaires

 

[…] son aggravation est en partie reliée à son tabagisme continu et la prise concomitante de Tenormin.

 

                                               Comité spécial des présidents

 

[Nos soulignements]

 

 

-       Les membres du Comité spécial des présidents ne rejettent pas l’hypothèse d’une aggravation de la maladie professionnelle de la travailleuse, souhaitant cependant attendre que les facteurs personnels retenus comme étant contributifs soient disparus avant d’émettre leur avis sur le caractère permanent de la détérioration constatée, demandant que la travailleuse soit réévaluée un an plus tard :

Réévaluation

 

Dans un an pour considérer s’il y a une aggravation persistante de son asthme professionnel.

 

 

-       Bien qu’il ait pu être opportun d’attendre avant de statuer sur la question de l’atteinte permanente, cela n’était pas nécessaire par contre pour que la CSST se prononce sur la survenance d’une récidive, rechute ou aggravation;

-       Contrairement à ce que semblent croire les membres du Comité spécial des présidents, ou contrairement à l’interprétation qu’en a donnée la CSST, il n’est pas nécessaire qu’une détérioration soit « persistante » (permanente) pour conclure, au sens de la loi, qu’il y a récidive, rechute ou aggravation. Il peut en effet très bien y avoir récidive, rechute ou aggravation temporaire d’une condition, sans qu’il n’en subsiste ensuite de séquelles (soit d’atteinte permanente ou de limitations fonctionnelles), ce qui suffit pour reconnaître une lésion de cette nature, dans la mesure où celle-ci est en relation avec la lésion professionnelle déjà reconnue. Les récidives, rechutes ou aggravations de nature pulmonaire ne font pas exception;

-       Les éléments factuels rapportés par le Comité des maladies professionnelles pulmonaires et le témoignage crédible de la travailleuse lors de l’audience confirment le fait que la détérioration de la condition de cette dernière n’est pas entièrement imputable à des facteurs personnels. Ainsi, les symptômes de la travailleuse ont essentiellement fluctué, et ce, de façon importante, en fonction de son exposition à des produits irritants, et indépendamment de la stabilité dans le temps, à l’époque à tout le moins, des facteurs personnels allégués être contributifs. La travailleuse prenait en effet son médicament (Tenormin) de 2008 jusqu’à la fin de 2010 (il a été cessé sur la recommandation du comité des maladies professionnelles pulmonaires, après l’avis des deux comités) et elle fumait 4-5 cigarettes par jour depuis environ 40 ans, ce qu’elle fait toujours par ailleurs. Or, son état s’est exacerbé de façon majeure à compter du printemps 2010 pour ensuite s’améliorer graduellement au cours de l’automne;

-       Il n’est pas en preuve que les produits « irritants » auxquels a été exposée la travailleuse dans le cadre de son travail chez Cap sur mer inc. constituent ou comprennent un ou des agents spécifiques sensibilisants susceptibles en soi d’engendrer un asthme chez quelqu’un qui n’en est pas déjà atteint ou d’être reconnus responsables en soi d’une aggravation d’un asthme établi. Ainsi, Les membres des deux comités ne retiennent pas l’hypothèse d’un asthme professionnel à un nouvel agent.

-       La preuve est cependant prépondérante quant au fait que l’exposition à ces produits s’est avérée incompatible avec la maladie professionnelle de la travailleuse, à tout le moins en 2010.

[48]        Considérant donc qu’il y a eu exacerbation, en mai 2010, des symptômes de la travailleuse, alors que les facteurs personnels incriminés étaient stables, que les symptômes de la travailleuse ont fluctué à compter de ce moment de manière directement proportionnelle à son exposition à des produits irritants, que ce soit au travail ou dans quelque autre contexte, considérant que le début de cette exacerbation, puis la fluctuation des symptômes, sont survenus indépendamment de la stabilité des principaux facteurs personnels identifiés (soit la prise du médicament Tenormin et le tabagisme), considérant qu’une détérioration objective de la condition de la travailleuse a été constatée par les membres des deux comités de pneumologues ayant étudié le dossier de la travailleuse, considérant que les membres de ces deux comités reconnaissent qu’une partie seulement de cette détérioration, fut-elle temporaire, est en relation avec les facteurs personnels identifiés et, par conséquent, qu’une partie de cette détérioration est en relation avec l’asthme professionnel déjà reconnu, le tribunal conclut que la preuve est prépondérante quant au fait que la travailleuse a subi une récidive, rechute ou aggravation de son asthme professionnel le 18 mai 2010.

[49]        Lors de l’audience, la travailleuse déclare avoir communiqué avec la CSST à plusieurs reprises au cours de l’automne passé afin de savoir quand elle serait réévaluée, tel que demandé par le comité spécial des présidents, mais qu’on l’aurait alors dirigée vers la Commission des lésions professionnelles du fait du refus de sa réclamation et de sa contestation pendante.

[50]        Or, la CSST devait diriger de nouveau la travailleuse vers un comité des maladies professionnelles pulmonaires à l’automne 2011 comme l’avait indiqué le comité spécial des présidents. Elle était liée par cette constatation en vertu de l’article 233 précité[4]. Cette démarche s’inscrivait dans le cadre de la réévaluation de la maladie professionnelle déjà reconnue, au même titre que les réévaluations qui ont eu lieu à quelques reprises depuis 1989, et la CSST devait y donner suite en dépit de sa conclusion quant à l’absence d’une nouvelle maladie professionnelle.

[51]        Cette réévaluation devra donc avoir lieu comme demandé et permettra de déterminer si des limitations fonctionnelles, une atteinte permanente et une intolérance de la travailleuse à un contaminant risquant de l’exposer à une récidive, rechute ou aggravation doivent être établies et reconnues.

[52]        Lors de l’audience, la travailleuse témoigne du fait que ses symptômes ont diminué graduellement à compter de l’automne 2010, et notamment après l’examen par les comités précités. Elle attribue cette amélioration de sa condition à son retrait du travail. Elle n’est en effet jamais retournée travailler chez Cap sur mer inc. depuis l’automne 2010, s’étant finalement trouvé un emploi à temps partiel dans le domaine de la restauration en 2011, emploi qui ne lui cause aucun problème.

[53]        L’amélioration de sa condition pourrait également en partie être attribuable au fait qu’elle a cessé l’usage du Tenormin vers la fin de 2010 ou le début de 2011. La travailleuse n’a cependant pas cessé de fumer comme le lui recommandaient les membres du comité spécial des présidents, arguant qu’elle ne fume en fait presque pas.

[54]        Le tribunal précise que les membres des comités précités devront maintenant statuer sur les sujets prévus par la loi en fonction de la situation qui leur est soumise, soit indépendamment du fait que la travailleuse n’a pas cessé de fumer contrairement à ce qui lui était demandé : le dossier ne peut être suspendu ou reporté indéfiniment pour ce motif.

[55]        Le tribunal souligne finalement qu’il est généralement établi au sein de sa jurisprudence qu’il serait périlleux, aléatoire, voire impossible de tenter de discerner, en matière de maladie professionnelle pulmonaire, les conséquences des facteurs professionnels de celles des facteurs personnels, d’autant que les facteurs personnels n’auraient peut-être jamais eu d’impact significatif n’eut été l’apport prépondérant des facteurs professionnels. Cela implique que la totalité d’une atteinte permanente pulmonaire constatée est normalement reconnue dans le cadre de la maladie professionnelle, indépendamment de la présence de facteurs personnels également contributifs[5].

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de la travailleuse, madame Marie-Louise Deveau;

MODIFIE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 27 mai 2011 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la travailleuse n’est pas atteinte d’une nouvelle maladie professionnelle pulmonaire contractée chez Cap sur mer inc.;

DÉCLARE que la travailleuse a subi une récidive, rechute ou aggravation de sa maladie professionnelle pulmonaire reconnue;

RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail afin qu’elle dirige de nouveau la travailleuse vers le Comité des maladies professionnelles pulmonaires pour qu’un avis soit émis sur les limitations fonctionnelles et le pourcentage d’atteinte permanente, le cas échéant, découlant de sa lésion, ainsi que sur la tolérance de la travailleuse à un contaminant risquant de l’exposer à une nouvelle récidive, rechute ou aggravation de sa maladie.

 

 

 

 

Louise Desbois

 

 

Me Jean Camirand

ADP SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

Représentant de Cap sur Mer inc.

 

 

Me Sonia Dumaresq

VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON

Représentante de la partie intervenante

 



[1]     L.R.Q., c. A-3.001

[2]     Lapointe et Compagnie minière Québec Cartier, [1989] C.A.L.P. 38 ; Pedro et Construction Easy Pilon inc., [1990] C.A.L.P. 776 ; abondamment citées par la suite.

[3]     [1995] C.A.L.P. 23.

[4]     Voir notamment : Charbonneau et Alloytec Mécanique ltée, C.L.P. 94407-63-9802, 26 avril 1999, P. Brazeau; Labarre et Ventimétal ltée, C.L.P. 264793-61-0506, 25 août 2005, B. Lemay; Tapp et Noranda inc., 2011 QCCLP 1629 .

[5]     Voir notamment : Morneau c. CALP, [1996] C.A.L.P. 1780 (C.S.), appel rejeté, [1998] C.A.L.P. 564 (C.A.); Sdao et Arshinoff & Cie ltée,  [1994] C.A.L.P. 835 ; Pelletier et A. Pelletier Maître Décapeur, [1999] C.L.P. 92 , Cantin et Garage julien Cantin, C.L.P. 124037-31-9909, 00-03-29, M. Beaudoin.

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