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[1] Le 29 février 2016, Patrick Baptiste (le plaignant) dépose une plainte selon l’article 47.3 du Code du travail[1] (le Code) contre le Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 579, SEPB CTC-FTQ (le syndicat). Il lui reproche de ne pas avoir contesté l’abolition de son poste de travail en juillet 2015 et d’avoir conclu une entente avec la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys (l’employeur) en février 2016, sans son approbation.
[2] Le plaignant n’est pas représenté par avocat. Le Tribunal lui explique le fardeau de preuve, de même que les règles applicables et la façon de procéder en audience. Le plaignant se dit prêt à procéder.
[3] Les parties sont assujetties à une convention collective couvrant la période de 2010-2015 et à une entente locale qui vise notamment les mouvements du personnel et la sécurité d’emploi.
[4] Le plaignant travaille pour l’employeur depuis mai 2007, en qualité d’agent de bureau, classe principale (ABP), au Service des ressources financières (le service) situé au siège social, dans le secteur de Saint-Laurent.
[5] Pour la période de septembre 2014 à juin 2015, il obtient une affectation temporaire à un poste de technicien en administration (poste de technicien), au sein du même service, dans le même secteur. Pendant cette période, il ne fait pas l’objet d’évaluation concernant son travail.
[6] En ce qui concerne le poste d’ABP, il est pourvu temporairement du mois de septembre 2014 à mars 2015 et devient vacant lors du congédiement du remplaçant.
[7] Le 21 mai 2015, conformément à la clause 7-1.15 de l’entente locale, l’employeur informe le syndicat de son intention d’abolir le poste d’ABP pour le remplacer par celui d’agent de bureau, classe 1 (AB 1), et ce, si le plaignant obtient le poste de technicien, à la suite du processus d’affichage.
[8] À la même époque, l’employeur affiche le poste de technicien que le plaignant obtient. Dans les faits, il s’agit d’une promotion pour celui-ci.
[9] Après la séance d’affectation qui se tient à la fin du mois de juin 2015, l’employeur confirme au syndicat l’abolition du poste d’ABP et son remplacement par celui d’AB 1. Cette décision n’est pas contestée.
[10] Selon la clause 7.1.08 de l’entente locale, le salarié qui obtient un poste en promotion doit compléter avec succès, une « période d’adaptation de 50 jours de travail effectif ».
[11] En cas d’échec, l’employeur peut retourner la personne salariée à son ancien poste :
7.1.08 En tout temps, pendant la période d’adaptation de 50 jours de travail effectif qui suit toute rétrogradation volontaire impliquant un changement de secteur, ou qui suit toute première affectation dans un service EDA conformément à l’Annexe F, ou qui suit toute promotion, si la Commission détermine que la personne salariée ne s’acquitte pas convenablement de ses tâches, elle en avise le syndicat et retourne la personne salariée à son ancien poste. En cas d’arbitrage, la preuve incombe à la Commission. La personne salariée qui change de secteur, qui a été affectée pour une première fois dans un service EDA ou qui a été promue peut décider de retourner à son ancien poste dans les 20 jours de travail effectif suivant son affectation. […]
(soulignement ajouté)
[12] Si le salarié ne peut réintégrer son ancien poste parce qu’il a été aboli, la convention collective prévoit à l’alinéa A de la clause 7-3.12 « qu’il doit choisir un poste dans la banque de postes vacants de sa classe d’emplois ou encore déplacer la personne salariée la moins ancienne de sa classe d’emploi ».
[13] En septembre 2015, Stéphane Bergeron (Bergeron)[2], directeur adjoint au service, informe le plaignant qu’il n’a pas réussi la « période d’adaptation ».
[14] Le mois suivant, Bergeron l’avise qu’il ne peut reprendre le poste d’ABP puisqu’il a été aboli. Conformément à la convention collective, il lui offre la possibilité d’occuper un autre poste d’ABP dans le secteur de LaSalle ou de Verdun. Le plaignant refuse en invoquant la distance à parcourir de son domicile de même que pour des considérations d’ordre familial. De plus, il rejette une autre proposition pour un poste d’AB 1, dans son service, au secteur de Saint-Laurent qui doit devenir vacant lors du départ à la retraite de la titulaire, au mois de décembre 2015.
[15] En réalité, le plaignant désire réintégrer le poste d’ABP qui a été aboli, au mois de juillet 2015.
[16] Toujours au mois d’octobre 2015, le plaignant contacte Julie Mosetti (Mosetti), responsable des dossiers de griefs auprès du syndicat, pour lui faire part de sa situation. Elle lui mentionne qu’il ne peut contester l’évaluation « sauf si elle est contraire à la Charte des droits ou non conforme à la forme que doit prendre une évaluation ». Elle lui demande d’obtenir une copie de son évaluation. Le 1er décembre, le plaignant lui transmet le document.
[17] Le 7 décembre 2015, Mosetti le rencontre. Elle lui confirme avoir pris connaissance de son évaluation et lui indique que le syndicat ne peut la contester. Le plaignant précise ne pas remettre en question cette décision.
[18] Dans le cadre de cette rencontre, le plaignant mentionne à Mosetti que l’abolition de son ancien poste d’ABP est contraire à la clause 7.1.08 de l’entente locale et qu’il désire continuer de travailler dans le secteur de Saint-Laurent. Selon le plaignant, Mosetti lui laisse entendre que le syndicat va contester l’abolition de son poste, par grief.
[19] Le 18 décembre, Bergeron rencontre le plaignant et lui offre, à nouveau, le poste d’AB 1 au secteur de Saint-Laurent, celui-ci refuse cette proposition.
[20] À la même date, le plaignant transmet un courriel à Mosetti lui demandant des nouvelles de son grief. De plus, il fait référence à la dernière offre de Bergeron. Elle lui répond qu’il n’y a pas de développement dans son dossier et ajoute être en discussion avec l’employeur et espère pouvoir lui donner des nouvelles, sous peu.
[21] Le 27 janvier 2016, Mosetti communique avec le plaignant pour l’informer qu’elle a reçu un projet d’entente de l’employeur et qu’elle désire le rencontrer, afin de lui expliquer le document. Elle lui recommande, par ailleurs, de le signer.
[22] Au début du mois de février, le plaignant reçoit un message téléphonique de la présidente du syndicat qui l’informe que le syndicat ne peut négocier avec l’employeur s’il persiste à ne pas signer l’entente qui prévoit qu’il accepte le poste d’AB 1. De plus, elle le prévient que s’il refuse de signer, il sera considéré comme ayant démissionné. Enfin, elle lui mentionne que s’il signe le document, le syndicat pourra récupérer certains avantages sociaux de son ancien poste (salaire, poste, etc.).
[23] Le 9 février 2016, la présidente du syndicat lui transmet une lettre qui fait le point sur l’état de son dossier :
Objet: Suivi de votre lettre du 5 février 2016
Monsieur,
Après consultation auprès de notre conseiller syndical, il nous est impossible de déposer un grief tel que demandé dans votre lettre du 5 février dernier. Vous avez refusé le poste d’agent de bureau classe principale que la Commission scolaire vous offrait suite à l’évaluation négative que vous avez obtenue en promotion aux ressources financières. La Commission scolaire avait l’obligation de vous relocaliser sur un poste d’agent de bureau classe principale, ce qu’elle a fait. Elle vous a offert deux postes d’agent de bureau classe principale, comme le prévoit la mécanique de la convention collective, un à Lasalle et l’autre à Verdun, ce que vous avez refusé.
Vous nous avez demandé d’intervenir auprès de l’employeur afin de négocier une entente qui vous permettrait de pouvoir rester sur le territoire de ville St-Laurent à cause des contraintes de voyagement, ce que nous avons fait.
Nous vous avons rencontré le 4 février dernier afin de vous présenter l’entente que la Commission scolaire vous offrait. Vous nous avez dit que vous ne vouliez pas aller à Verdun ou Lasalle et que vous ne souhaitiez pas signer cette entente puisqu’elle vous apparaissait injuste et inéquitable. Nous vous avons réitéré le fait que si vous ne vouliez pas aller à Lasalle ou Verdun, vous deviez signer l’entente. À la fin de la rencontre je vous ai demandé de réfléchir à ce que nous vous avions expliqué afin que l’on puisse vous aider.
Dans votre lettre du 5 février, vous nous confirmez que vous ne voulez pas signer l’entente et la Commission scolaire nous a demandé une réponse au plus tard le 10 février 2016. Pour l’employeur, s’il n’y a pas d’entente, vous devrez aller vous assoir sur le poste d’agent bureau classe principale à Verdun, ce qui est conforme à la convention collective.
Le syndicat va informer la Commission scolaire de votre intention de ne pas signer l’entente. Donc, vous serez avisé par celle-ci pour la suite des choses.
Veuillez recevoir, Monsieur Baptiste, nos salutations les meilleures.
(reproduit tel quel, soulignement ajouté)
[24] De ce qui précède, le Tribunal comprend que le 4 février, le plaignant rencontre le syndicat qui lui soumet l’entente proposée par l’employeur, mais qu’il refuse de signer.
[25] Soulignons que lors de son témoignage, le plaignant n’a pas déposé sa correspondance datée du 5 février 2016 mentionnée dans la lettre de la présidente du syndicat.
[26]
Toujours, en date du 9 février 2016, le plaignant transmet au Tribunal un
formulaire de plainte en vertu de l’article
[27] Dans l’intervalle, soit le 10 février, il avise le syndicat qu’il est prêt à « continuer à faire l’emploi d’AB 1 [c.-à-d. à travailler sur le poste] », et ce, en attendant que le Tribunal statue sur sa plainte.
[28] Marc André Morin (Morin) est vice-président du syndicat. Il est responsable des questions relatives aux relations de travail avec l’employeur et siège à différents comités. Il indique avoir pris connaissance du dossier du plaignant, le 11 février 2016.
[29]
À cette date, il rencontre le plaignant qui lui fait part de sa
frustration et de l’échec de sa période d’adaptation. De plus, il fait
référence à la clause 7.1.08 de l’entente locale et mentionne qu’il désire réintégrer
son ancien poste d’ABP. Selon le plaignant cette abolition est illégale. À ce
sujet, il remet à Morin une copie d’un arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Flieger
c. Nouveau-Brunswick[3]. Précisons que
cet arrêt traite notamment de la notion de « suppression d’une fonction »
au sens de l’article
[30] Morin souligne qu’en ce qui concerne la période d’adaptation, l’employeur n’est pas tenu d’attendre l’expiration de la période de 50 jours pour mettre un terme à « l’affectation temporaire ».
[31] Morin explique au plaignant que la clause 7-1.08 de l’entente locale n’a pas pour effet d’empêcher l’employeur d’abolir son poste de travail. Par conséquent l’employeur respecte la convention collective de même que le processus de sécurité d’emploi lorsqu’il lui offre de travailler sur un poste d’ABP, dans les secteurs de Verdun ou de LaSalle.
[32] Concernant l’abolition illégale du poste d’ABP alléguée par le plaignant, Morin lui répond que les étapes suivies par l’employeur respectent la convention collective et l’entente locale. À propos de la question du délai pour contester l’abolition du poste d’ABP, Morin indique avoir reçu, quelques jours plus tard de l’employeur, un courriel transmis par Bergeron, en mai 2015, confirmant son intention d’abolir le poste en question et de le remplacer par celui d’AB 1. Cette information démontre que la démarche a été faite selon les exigences de la convention collective.
[33] À tout événement, Morin explique que même si un grief avait été déposé, il aurait été hors délai, puisque la demande du plaignant a été soulevée de façon tardive et que l’abolition est effective depuis le mois de juillet 2015. À ce sujet, la clause 9-1.03 de la convention collective prévoit un délai de 30 jours ouvrables, de la date de l’événement, pour déposer un grief.
[34] Au sujet de l’absence de contestation de la période d’évaluation, Morin lui rappelle que le syndicat cherche avant tout à négocier une entente avec l’employeur afin de lui permettre de continuer de travailler dans le secteur de Saint-Laurent. Le plaignant lui mentionne aussi que les tâches de son ancien poste d’ABP sont effectuées, en partie, par une personne salariée occupant un poste d’AB 1 et un gestionnaire. Après vérification auprès du Service de la dotation, Morin apprend que cette façon de procéder est en place depuis le 1er juillet 2015 et que certaines tâches ont été transférées à un gestionnaire et que les autres sont accomplies par l’AB 1, car elles relèvent de cette classe d’emploi.
[35] Malgré toutes ces explications, le plaignant demeure sur sa position. Par conséquent, Morin lui précise que puisqu’il refuse de travailler dans les secteurs de LaSalle ou Verdun, il doit signer l’entente, autrement il sera considéré comme ayant démissionné et il ne pourra plus bénéficier de la sécurité d’emploi. Il lui demande donc de confirmer par courriel s’il accepte de signer l’entente.
[36] Le même jour, le plaignant transmet à la présidente du syndicat avec copie à Morin et à Mosetti, le courriel suivant :
Comme l’absence de signature signifie une démission, je me trouve dans l’obligation de donner mon accord pour l’attente. Cela ne signifie nullement que je considère cette entente comme juste et équitable. J’ai remis un jugement de la cour suprême à M. Morin qui va dans le sens de mes revendications.
(reproduit tel quel, soulignement ajouté)
[37] Morin écrit au plaignant et lui indique avoir pris connaissance de l’arrêt ci-haut mentionné et demande de le rencontrer afin qu’il signe l’entente.
[38] D’après le plaignant, lors de la rencontre, Morin lui déclare qu’il n’a pas été en mesure de contester, à l’époque, l’abolition du poste d’ABP, car il était en vacances et qu’il est trop tard, pour le faire, l’échéance étant expirée. Pour sa part, Morin répond qu’il est faux de prétendre qu’il était en vacances et que de toute façon même lorsqu’il est absent, le syndicat peut toujours déposer un grief.
[39] À tout événement, Morin lui fait part du résultat de ses vérifications auprès de l’employeur concernant notamment le droit d’abolir le poste d’ABP et la question portant sur les tâches accomplies par un AB 1 et un gestionnaire.
[40] Après ces explications, le plaignant signe l’entente intitulée « Affectation à un poste d’agent de bureau classe 1 » :
CONSIDÉRANT que le Salarié a obtenu un poste de technicien en administration au Service des ressources financières au 1er juillet 2015;
CONSIDÉRANT que la période d’adaptation du Salarié n’est pas concluante malgré la prolongation demandée;
CONSIDÉRANT que le poste d’agent de bureau, classe principale, au Service des ressources financières que le salarié détenait avant le 1er juillet 2015 a été aboli;
CONSIDÉRANT que la Commission doit appliquer la mécanique de mouvement de personnel prévue à la convention collective et ainsi permettre au Salarié de prendre un poste vacant d’agent de bureau, classe principale, ou de déplacer la personne salariée la moins ancienne de sa classe d’emploi pour laquelle il rencontre les exigences;
CONSIDÉRANT que, pour des raisons de conciliation travail-famille, le salarié ne souhaite pas se voir appliquer les dispositions de la convention collective;
CONSIDÉRANT qu’à compter du 6 janvier 2016, un poste d’agent de bureau, classe I, sera vacant en raison du départ à la retraite de madame Lise O’Brien;
CONSIDÉRANT que le Salarié préfère occuper ledit poste d’agent de bureau, classe I;
CONSIDÉRANT l’ouverture des parties à considérer la demande du salarié,
LES PARTIES CONVIENNENT DE CE QUI SUIT:
1. A compter du 16 novembre, le Salarié est affecté temporairement sur un poste en surcroît d’agent de bureau, classe I, au service des ressources financières-paie;
2. A compter du 6 janvier 2016, plutôt que d’appliquer la mécanique prévue au 7-3.00 de la convention collective, le Salarié est nommé titulaire du poste d’agent de bureau classe I, au service des ressources financières-paie, laissé vacant par le départ de madame Lise O’Brien.
3. Le salarié reçoit le salaire et les bénéfices de la classe d’emplois d’agent de bureau, classe 1, à compter du 16 novembre 2015.
4. La présente entente ne peut en aucun cas constituer un précédent pour le futur.
(reproduit tel quel, soulignement ajouté)
[41] À la demande du plaignant, Morin lui transmet copie du courriel de Bergeron du mois de mai 2015. De plus, il joint un extrait de l’entente locale qui précise que l’employeur doit informer le syndicat préalablement à la séance d’affectation pour toute modification ou abolition possible d’un poste à supposer qu’il soit libéré (clause 7-1.05). Enfin, il lui mentionne que cette pratique existe depuis plusieurs années et qu’elle est conforme à l’entente locale.
[42] Le plaignant reproche au syndicat de ne pas avoir contesté l’abolition de son poste d’ABP. Il allègue aussi avoir signé l’entente sous l’effet de la contrainte, de peur de perdre son emploi. Il demande à ce que son dossier soit déféré à un arbitre de griefs.
[43] Pour sa part, le syndicat plaide avoir agi avec diligence et avoir travaillé activement pour trouver une solution afin de pallier au refus du plaignant de changer de secteur.
[44] Selon le syndicat, il n’a pas à déposer un grief qui est par ailleurs, voué à l’échec. À ce sujet, il souligne que la décision d’abolir le poste d’ABP a été prise au mois de juillet 2015 et que le plaignant s’en est plaint uniquement au mois d’octobre 2015. Par conséquent, le délai de 30 jours ouvrables pour déposer un grief est expiré. À tout événement, le processus d’abolition de poste suivi par l’employeur est conforme à la convention collective.
[45] Enfin, le syndicat prétend avoir bien agi en concluant une entente avec l’employeur préservant ainsi le lien d’emploi avec le plaignant, qui répond à son désir de travailler dans le secteur de Saint-Laurent.
[46] Le syndicat a-t-il fait preuve de mauvaise foi, de négligence grave, d’arbitraire ou de discrimination en refusant de contester l’abolition du poste d’ABP, de même qu’en lui recommandant de signer l’entente intervenue le 12 février 2016?
[47]
L’article
47.2 Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l’endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu’elle représente, peu importe qu’ils soient ses membres ou non.
[48] La Cour suprême dans Noël c. Société d’énergie de la Baie James[5] a défini en quoi consistent les quatre comportements prohibés par le Code de la façon suivante :
[48] Cette obligation interdit quatre types de conduite : la mauvaise foi, la discrimination, le comportement arbitraire et la négligence grave. Cette obligation de comportement s’applique aussi bien au stade de la négociation collective que pendant son administration (voir Gagnon, op. cit., p. 308). L’article 47.2 sanctionne d’abord une conduite empreinte de mauvaise foi qui suppose une intention de nuire, un comportement malicieux, frauduleux, malveillant ou hostile (voir Becotte c. Syndicat canadien de la Fonction publique, local 301, [1979] T.T. 231, p. 235; également Rayonier, précité, p. 201). En pratique, cet élément seul serait difficile à établir (voir G. W. Adams, Canadian Labour Law (2e éd. (feuilles mobiles)), p. 13-15 à 13-18; R. E. Brown, ‹‹ The “Arbitrary”, “Discriminatory” and “Bad Faith” Tests Under the Duty of Fair Representation in Ontario ›› (1982), 60 R. du B. can. 412, p. 453-454).
[49] La loi interdit aussi les comportements discriminatoires. Ceux-ci comprennent toutes les tentatives de défavoriser un individu ou un groupe sans que le contexte des relations de travail dans l’entreprise ne le justifie. Ainsi, une association ne saurait refuser de traiter le grief d’un salarié ou de le mener de façon différente au motif qu’il n’appartient pas à l’association, ou pour toute autre raison extérieure aux relations de travail avec l’employeur (voir D. Veilleux, ‹‹ Le devoir de représentation syndicale : Cadre d’analyse des obligations sous-jacentes ›› (1993), 48 Relat. ind. 661, p. 681-682; Adams, op. cit., p. 13-18 à 13-20.1.)
[50] Se reliant étroitement, les concepts d’arbitraire et de négligence grave définissent la qualité de la représentation syndicale. L’élément de l’arbitraire signifie que, même sans intention de nuire, le syndicat ne saurait traiter la plainte d’un salarié de façon superficielle ou inattentive. Il doit faire enquête au sujet de celle-ci, examiner les faits pertinents ou obtenir les consultations indispensables, le cas échéant, mais le salarié n’a cependant pas droit à l’enquête la plus poussée possible. On devrait aussi tenir compte des ressources de l’association, ainsi que des intérêts de l’ensemble de l’unité de négociation. L’association jouit donc d’une discrétion importante quant à la forme et à l’intensité des démarches qu’elle entreprendra dans un cas particulier. (Voir Adams, loc. cit., p. 13-20.1 à 13-20.6).
[51] Le quatrième élément retenu dans l’art.
[52] Mauvaise foi et discrimination impliquent toutes deux un comportement vexatoire de la part du syndicat. L’analyse se concentre alors sur les motifs de l’action syndicale. Dans le cas du troisième ou du quatrième élément, on se trouve devant des actes qui, sans être animés par une intention malicieuse, dépassent les limites de la discrétion raisonnablement exercée. La mise en œuvre de chaque décision du syndicat dans le traitement des griefs et de l’application de la convention collective implique ainsi une analyse flexible, qui tiendra compte de plusieurs facteurs.
(soulignement ajouté)
[49] Il revient au plaignant de démontrer de façon prépondérante que le syndicat a manqué à son devoir de représentation. Pour sa part, le syndicat n’est pas tenu d’obtenir, en toute circonstance, le résultat recherché par le plaignant. Il s’agit d’une obligation de moyen[6]. Le syndicat jouit d’une discrétion appréciable. À ce sujet, la Cour suprême souligne dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon[7] ce qui suit :
De la jurisprudence et de la doctrine consultées se dégagent les principes suivants, en ce qui touche le devoir de représentation d’un syndicat relativement à un grief:
1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.
2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.
3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.
4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.
5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.
(soulignement ajouté)
[50] Rappelons qu’en matière de rapports collectifs du travail, seuls sont parties prenantes à la négociation et à l’application de la convention collective l’employeur et l’association accréditée. Ainsi, même si une convention collective autorise un salarié à déposer seul un grief, il n’en demeure pas moins que l’étape ultime comme l’arbitrage appartient en propre à l’association accréditée.
[51] De plus, le corollaire du pouvoir de l’association accréditée de déposer un grief s’applique également au règlement de celui-ci. À ce sujet, le Tribunal réfère à une décision rendue par la Commission des relations du travail (devenue le Tribunal) dans Bélanger c. Syndicat des employés d’Au Dragon forgé inc.[8] où on peut lire le passage suivant :
[17] La Commission considère que si un syndicat jouit d’une discrétion pour porter un grief en arbitrage, il possède cette même discrétion quand il s’agit de le régler, et ce, toujours selon les paramètres déterminés par la loi et la jurisprudence. Dans le présent litige, l’intimé a déposé le grief à l’arbitrage et l’a réglé par la suite. Les plaignants doivent prouver que cette discrétion n’a pas été exercée de bonne foi, de façon objective et honnête. Ils ont failli à la tâche.
(soulignement ajouté)
[52] Ainsi, l’association accréditée est en droit d’entreprendre des discussions avec l’employeur et d’en arriver à une entente avec ce dernier, et ce, avec ou sans l’accord du salarié (Tabib c. Syndicat des professeures et professeurs du Collège Édouard-Montpetit (SPPCEM))[9].
[53]
En dernier lieu, soulignons que le rôle du Tribunal
consiste à évaluer si le plaignant a établi que l’association accréditée a
contrevenu aux obligations prévues à l’article
[54] En ce qui concerne l’abolition du poste d’ABP, le syndicat a enquêté auprès de l’employeur afin de valider les circonstances et la procédure suivie. Les informations recueillies démontrent que le processus suivi par l’employeur est conforme à la convention collective et l’entente locale. De plus, la décision d’abolir un poste, au mois de juillet 2015, n’a pas été contestée par le plaignant, à l’intérieur du délai prescrit par la convention collective. Même en tenant pour acquis que Mosetti lui aurait signifié qu’un grief serait déposé, le plaignant n’a pas démontré que le syndicat a contrevenu à son devoir de représentation.
[55] En effet, les représentants du syndicat ont pris soin de le rencontrer, de l’écouter et de lui expliquer le processus prévu, tant dans la convention collective que dans l’entente locale, en matière d’abolition de poste, de même que pour l’évaluation de la « période d’adaptation » et le pouvoir de l’employeur d’y mettre un terme. Il en est de même en ce qui concerne le processus de sécurité d’emploi et de différentes propositions d’affectations pour un autre poste d’ABP. La démarche du syndicat a donc été objective, honnête et sérieuse. Par ailleurs, le Tribunal est convaincu que n’eût été l’échec de la période en question, le plaignant ne se serait pas soucié de cette abolition.
[56] Concernant l’évaluation du plaignant pendant la période d’adaptation, ce dernier a reconnu qu’il ne remettait pas en question cet aspect du dossier.
[57] Le syndicat a aussi enquêté auprès de l’employeur concernant la prétention du plaignant suivant laquelle, il y aurait eu abolition fictive de son poste de travail, ce qui s’est avérée non fondé. Enfin, en tenant compte des attentes du plaignant, le syndicat a négocié une entente avec l’employeur afin de le maintenir dans un poste au secteur de Saint-Laurent tout en le mettant en garde quant aux conséquences d’un éventuel refus. L’intervention du syndicat ne peut être remise en question.
[58] De ce qui précède, il ressort que le syndicat a fourni toutes les informations et explications nécessaires au plaignant, afin qu’il puisse prendre une décision éclairée. Il faut comprendre que ce n’est pas parce qu’un salarié requiert l’assistance de son syndicat qu’automatiquement, il va obtenir ce qu’il recherche.
[59] Tel que mentionné précédemment, le syndicat est tenu à une obligation de moyens et non à une obligation de résultat. Ainsi, les rencontres tenues entre les représentants du syndicat et le plaignant, de même que les explications qui lui ont été fournies et les négociations entreprises avec l’employeur, démontrent que le syndicat a déployé tous les efforts nécessaires afin de bien le représenter. Le tout respecte cette obligation de moyens.
[60] Le résultat final n’est sans aucun doute, pas à la hauteur des attentes du plaignant. Cependant, est-il besoin de souligner que celui-ci n’a pas plus de droits que les autres salariés. À ce sujet, la Cour suprême, dans l’arrêt Noël précité, indique que l’un des facteurs importants à considérer dans la conduite du syndicat concerne : « les intérêts concurrents des autres salariés ». Le plaignant ne peut prétendre que le syndicat avait l’obligation de négocier une entente qui aurait eu pour effet de lui permettre de récupérer, de gré à gré, un poste aboli alors que le processus même d’abolition a été respecté par l’employeur, le tout au détriment possible d’autres salariés.
[61] L’intervention du syndicat s’est déroulée dans un cadre visant à assurer au plaignant une sécurité d’emploi, et ce, en tenant compte de son refus d’accepter une affectation dans un autre secteur et de son désir de demeurer à Saint-Laurent. Le Tribunal considère que sur cet aspect du dossier, le plaignant n’a pas réussi à établir que le syndicat a contrevenu à son devoir de représentation.
[62] Dans une autre perspective, la preuve soumise par le syndicat indique que l’employeur peut mettre fin à la « période d’adaptation », et ce, en tout temps pendant ladite période. Par conséquent, le plaignant ne peut se plaindre du défaut du syndicat de ne pas l’avoir assisté à ce chapitre.
[63] Enfin, en regard de l’argument du plaignant, voulant qu’il ait été contraint de signer l’entente, le Tribunal rejette cette prétention.
[64] La preuve indique qu’il a fourni un consentement libre et éclairé. Depuis le 18 décembre 2015, il est au courant que Mosetti négocie avec l’employeur afin d’en arriver à une entente. De plus, selon la lettre du 9 février 2016, de la présidente du syndicat, il a été rencontré le 4 février précédent, afin qu’il puisse prendre connaissance de l’entente. Puis, le 10 février 2016, il informe le syndicat qu’il est prêt à « continuer à faire l’emploi d’AB 1 ». Enfin, le lendemain, il écrit à la présidente du syndicat et lui mentionne qu’il se trouve dans l’obligation de donner son accord à l’entente, mais que cela ne signifie pas pour autant qu’il considère celle-ci comme étant « juste et équitable ».
[65] Toutes ces étapes démontrent que nous sommes en présence d’une personne qui est en état de comprendre le processus en cours de réalisation. Le plaignant ne peut prétendre avoir été induit en erreur. Le libellé du texte de l’entente est on ne peut plus clair. Il est clairement spécifié qu’il ne souhaite pas voir appliquer la convention collective et préfère occuper le poste d’AB 1, en contrepartie de quoi il recevra le salaire et les bénéfices de cette classe d’emploi.
[66] Le plaignant a eu suffisamment le temps de réfléchir. À ce sujet, soulignons qu’il s’est écoulé plusieurs jours entre la rencontre du 4 février 2016 avec le syndicat et le 12 février, date de la signature du document. C’est donc en toute connaissance de cause qu’il entérine l’entente.
[67] Selon la jurisprudence, il ne faut pas confondre le fait d’accepter à contrecœur une offre avec un vice de consentement[10]. Ainsi, le simple regret de signer l’entente n’a pas pour effet de l’invalider.
[68] Concernant la mise en garde du syndicat, au plaignant, l’informant qu’en cas de refus de signer l’entente, il sera considéré comme ayant démissionné et ne bénéficiera plus de la sécurité d’emploi. Il en ressort que cet avertissement ne peut constituer une pression inacceptable. En agissant de la sorte, le syndicat ne fait que prévenir le plaignant des conséquences fâcheuses que pourrait entraîner un refus éventuel quant à son avenir chez l’employeur. Ce faisant, il n’a pas fait preuve de négligence grave dans le traitement de son dossier.
[69] Enfin, le Tribunal n’accorde aucune crédibilité à la version du plaignant, voulant que le syndicat lui ait laissé entendre qu’en échange de sa signature, il allait pouvoir récupérer les conditions de travail d’ABP. Le texte de l’entente est très clair à propos des conditions de travail qui s’appliqueront au plaignant, il n’y a aucune équivoque sur ce sujet.
[70] De ce qui précède, il ressort que le plaignant n’a pas fait la démonstration d’un quelconque vice de consentement qui aurait eu pour effet d’annuler ladite entente.
[71] Le syndicat a fait le maximum pour préserver le lien d’emploi du plaignant avec l’employeur. Il est en quelque sorte pris entre l’arbre et l’écorce. D’un côté, l’employeur respecte la convention collective et l’entente locale et de l’autre le plaignant qui désire continuer de travailler à Saint-Laurent, dans un poste d’ABP qui n’existe plus. Le traitement du dossier par le syndicat est compte tenu des circonstances tout à fait approprié.
[72] Certes, le syndicat a mis le plaignant devant un fait accompli, à savoir, signer l’entente à défaut de quoi il allait perdre sa sécurité d’emploi. Cependant, compte tenu des circonstances et des exigences du plaignant, le syndicat n’avait pour ainsi dire, aucune marge de manœuvre. Rappelons que le rôle du Tribunal ne consiste pas à se substituer au syndicat dans l’évaluation des gestes à poser ni de s’interroger si le syndicat avait pu obtenir plus ou faire mieux.
[73] En conclusion, rien dans la preuve soumise ne permet de conclure que le syndicat a fait montre de négligence grave, de mauvaise foi, d’arbitraire ou de discrimination envers le plaignant.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
REJETTE la plainte.
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Yves Lemieux |
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M. Patrick Baptiste |
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Pour lui-même |
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Me Caroline Duval |
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GINGRAS CADIEUX |
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Pour la partie défenderesse |
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Me Marie-France Dion |
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Pour la partie mise en cause |
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Date de la dernière audience : 21 novembre 2016
/aml |
[1] RLRQ, c. C-27.
[2] Le Tribunal utilisera les noms de famille lorsqu’il désignera les personnes. Il ne faut pas y voir un manque de courtoisie, mais uniquement une manière d’alléger le texte.
[3]
[4] L.N.-B., 1984, ch C-5.1.
[5]
[6] Doumi c. Syndicat
des fonctionnaires municipaux de Montréal, (SCFP),
[7]
[8]
[9]
[10] Tedioso c.
Mack Montréal inc.,
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