Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
          COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE
          LÉSIONS PROFESSIONNELLES

     QUÉBEC    MONTRÉAL, le 18 septembre 1996

     DISTRICT D'APPEL   DEVANT LA COMMISSAIRE :   Me Louise Boucher
     DE MONTRÉAL

     RÉGION: YAMASKA
     DOSSIER:69629-62B-9505

     DOSSIER CSST:   AUDITION TENUE LE     :   16 septembre 1996
     1079 27360
     DOSSIER BRP:
     6181 7344

          À                     : Granby

          MONSIEUR LUCIEN PERRON
          3396, rue des Plaines
          Sainte-Madeleine (Québec)  J0H 1S0

                                PARTIE APPELANTE

          et

          BERKLINE INC.
     

8491, rue Ernest Cormier Anjou (Québec) H1J 1B5 PARTIE INTÉRESSÉE COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL - YAMASKA 2710, rue Bachand Saint-Hyacinthe (Québec) J2S 7B8 PARTIE INTERVENANTE D É C I S I O N Le 16 mai 1995, monsieur Lucien Perron (le travailleur) dépose à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) une déclaration d'appel à l'encontre d'une décision unanime du bureau de révision de la région de Yamaska datée du 2 mai 1995.

Cette décision confirme une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) datée du 15 novembre 1994 et déclare que le travailleur n'a pas subi une lésion professionnelle le 24 septembre 1994.

OBJET DE L'APPEL Le travailleur demande à la Commission d'appel d'infirmer la décision du bureau de révision, de déclarer qu'il a subi une lésion professionnelle le 24 septembre 1994 et d'ordonner à la Commission de lui verser les prestations auxquelles il a droit en conformité avec la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) (la loi).

LES FAITS Le 4 octobre 1994, le travailleur remplit une réclamation dans laquelle il décrit un événement survenu le 24 septembre 1994 de la façon suivante: «Je me suis fais mal au dos en levant une chaise.» Il joint à cette déclaration, une attestation médicale signée par le docteur D. Morasse dans laquelle ce médecin inscrit un diagnostic d'entorse lombaire avec sciatalgie droite. Cette attestation médicale est datée du 3 octobre 1994 et réfère à un événement survenu le 24 septembre 1994.

Le travailleur est mis au repos ce 3 octobre 1994 et dirigé en physiothérapie.

Le 5 octobre 1994, à la demande Berkline Inc. (l'employeur), il est examiné par le docteur François Le Bire. Le docteur Le Bire, après examen, est d'opinion que le travailleur souffre d'une lombo-sciatalgie droite. En ce qui concerne la relation causale, le docteur Le Bire, s'appuyant sur la lecture d'un rapport radiologique, opine qu'il s'agit d'une «crise de dégénérescence discale».

Le 19 octobre 1994, l'employeur remplit son avis et demande de remboursement en indiquant, au verso, son intention de contester la réclamation du travailleur.

Par décision datée du 15 novembre 1994, la Commission refuse la réclamation du travailleur, ce qu'il conteste auprès du bureau de révision.

Ce bureau tient enquête le 27 avril 1995 et par décision datée du 2 mai 1995, rejette les prétentions du travailleur, d'où le présent appel.

Devant la Commission d'appel, le travailleur fait entendre monsieur Pierre Cadieux. Monsieur Cadieux est au service de l'employeur depuis 18 ans. L'employeur possède une entreprise de rembourrage de meubles et, à l'époque des événements, monsieur Cadieux est affecté au département numéro 35 «garnir et finir».

Il connaît le travailleur et était présent le 24 septembre 1994.

Il raconte que ce samedi matin, vers 6 h 15, il a rencontré le travailleur avec monsieur Denis Lebel et monsieur Jean-Guy Lemay dans un restaurant de Longueuil. Tous quatre se sont dirigés dans le même véhicule automobile chez l'employeur. L'équipe était affectée à l'exécution d'ouvrage en temps supplémentaire.

Pendant le déjeuner, le travailleur était en pleine forme et se ventait de pouvoir travailler plus rapidement que monsieur Cadieux.

Monsieur Cadieux précise que le travailleur n'est pas affecté au département 35. Son lieu habituel de travail est le département 40. Ce samedi matin, il avait accepté d'exécuter du temps supplémentaire dans ce département pour aider à la finition de commandes en retard.

Monsieur Cadieux et le travailleur exécutaient leurs tâches en vis-à-vis. Ils étaient éloignés d'une quinzaine de pieds, de chaque côté d'un mur diviseur de plus au moins quatre à cinq pieds. Monsieur Cadieux raconte que vers 8 h 30 ce même matin, il a entendu le travailleur crier et il s'est précipité vers lui. Il a vu le travailleur accroupi, se plaignant d'un mal de dos. Le travailleur lui aurait dit: «je viens de me faire mal au dos en levant la chaise».

Monsieur Cadieux a conseillé au travailleur d'en aviser le contremaître du département et de se diriger à l'hôpital. Le travailleur a refusé cette suggestion en lui disant «je vais continuer, peut-être que çà passera».

Pendant la pause-café, le travailleur a continué à se plaindre de maux de dos. Il a déclaré à monsieur Cadieux qu'il préférait demeurer au travail puisqu'il ne lui restait plus que deux heures à compléter. À 11 heures, les tâches étant terminées, les mêmes quatre personnes ont refait le trajet inverse dans la même voiture et le travailleur a continué à se plaindre de douleurs au dos.

Lorsqu'il est descendu de la voiture pour récupérer la sienne, monsieur Cadieux a vu le travailleur avoir de la difficulté à se bouger.

Le travailleur fait également entendre monsieur Denis Lebel. Ce témoin travaille depuis dix-huit ans chez l'employeur et connaît le travailleur. Il était sur les lieux le 24 septembre 1994.

Ses tâches, ce 24 septembre 1994, consistaient à «fournir» le travailleur.

Il était éloigné du travailleur d'une quinzaine de pieds, et affirme avoir vu ce dernier lâcher une chaise, se courber, et porter sa main droite dans le bas de son dos du côté droit en se plaignant d'un mal de dos. Il était aux environs de 9 heures.

Il avait vu le travailleur au restaurant le matin même vers 06:00 heures et affirme que ce dernier était en forme. D'ailleurs, il se disait capable d'exécuter une plus grande quantité de travail que son compagnon, monsieur Cadieux.

Il était également présent durant la pause-café et témoigne des plaintes du travailleur à l'égard de ses douleurs au dos.

Il était aussi présent au moment du trajet de retour et corrobore que le travailleur s'est plaint de sa condition lombaire et a eu de la difficulté à sortir de l'automobile pour se diriger à la sienne.

Le travailleur témoigne. Il est au service de l'employeur depuis environ vingt ans. À l'époque des événements, il est affecté au département 40 (siège et dos). Le 23 septembre 1994, à la demande de monsieur Gilles Gravel, contremaître du département numéro 35, il accepte de se présenter au travail le samedi matin 24 septembre 1994 pour y effectuer du temps supplémentaire. Dans ce département, les tâches consistent à couvrir les lazy-boy de tissus à l'arrière et sur les côtés. Pour ce faire, le lazy-boy est posé sur une plate-forme de plus ou moins un pied. Il est recouvert de tissus sur ces trois côtés en le tournant à chaque fois.

Le travailleur décrit sa façon de procéder. Pour placer le lazy- boy sur la plate-forme, il tire le dossier vers lui, empoigne le lazy-boy par une patte, en se courbant pose son genou sur le siège en soulevant le meuble et pousse sur le lazy-boy avec ce genoux. Le travailleur explique que c'est en faisant cette manoeuvre, le 24 septembre 1994, vers 8 h 30 du matin, qu'il a ressenti une vive douleur au bas du dos. La preuve non contredite est à l'effet qu'un lazy-boy pèse environ 85 livres.

Il s'est reposé quelques minutes et a repris son travail croyant que la douleur disparaîtrait. Il n'a pas voulu mentionner cet événement au contremaître du département, puisqu'il ne lui restait que deux heures à travailler.

Au cours de la fin de semaine, il a pris des bains chauds et s'est reposé. Il s'est présenté au travail le lundi matin et a complété sa semaine de travail. Pendant cette semaine, il a exercé ses tâches régulières au département numéro 40. Ses tâches à cet endroit consistent à travailler au niveau du dossier des lazy-boy. C'est une tâche qu'il exécute debout et il soulève des dossiers pesant entre 10 et 15 livres. Il explique que pendant toute la semaine les douleurs au bas du dos ont progressé pour devenir incapacitantes, s'accompagnant d'un engourdissement dans la jambe droite.

Le mardi 27 septembre, il a refusé l'offre de monsieur Gravel, contremaître au département 35, pour y refaire du temps supplémentaire. Il a dit à monsieur Gravel qu'il préférait ne pas y retourner puisqu'il s'était fait mal au dos le samedi précédent. Ce même mardi, il a avisé son propre contremaître, monsieur Vézina qu'il s'était blessé au dos lors de son affectation au département 35 le samedi 24 septembre 1994. Ce fait est corroboré par une déclaration écrite de monsieur Vézina, au dossier. Le vendredi 30 septembre, le travailleur a quitté le travail plus tôt que prévu non pas à cause de ses douleurs lombaires, mais pour transporter son épouse chez un médecin. Il n'a pas cru bon, à ce moment, de demander une consultation. Il témoigne que le lundi 3 octobre, il était à ce point souffrant qu'il a eu de la difficulté à se sortir du lit. Ce n'est qu'à ce moment qu'il a décidé de consulter un médecin.

Le travailleur a été dirigé en physiothérapie, a bénéficié de traitements sur une période de plus ou moins huit semaines pour, par la suite, reprendre son travail. Il exerce ses tâches régulières depuis ce temps.

Antérieurement à cet événement du 24 septembre 1994, le travailleur rapporte avoir souffert d'une entorse lombaire en juillet 1994. Il s'était infligé cette blessure en soulevant un poêle pendant un déménagement. Il avait consulté un médecin immédiatement et avait été mis au repos pour une semaine. Il était revenu au travail en bonne condition.

Quand on lui demande d'expliquer pourquoi, en juillet 1994 il a consulté immédiatement; alors qu'en septembre 1994 il attendra plus d'une semaine, le travailleur répond qu'en juillet il a «bloqué» immédiatement; alors qu'en septembre, la douleur a progressé jusqu'à devenir incapacitante.

Le travailleur affirme qu'à l'exception de ces deux événements, il n'a jamais, dans le passé, vécu de problèmes lombaires. MOTIFS DE LA DÉCISION La Commission d'appel doit décider si le travailleur a subi une lésion professionnelle le 24 septembre 1994.

La loi définit la lésion professionnelle à son article 2 et en crée une présomption à son article 28: «lésion professionnelle»: une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation; 28. Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.

D'emblée, la Commission d'appel estime que le travailleur ne peut bénéficier de la présomption légale de lésion professionnelle, particulièrement à cause du délai entre l'événement allégué et la consultation médicale.

D'autre part, il n'est pas soumis par le travailleur, et la preuve n'est pas à cet effet, qu'il ait cessé de travailler le 3 octobre 1994 à la suite d'une rechute, récidive ou aggravation, ni à cause d'une maladie professionnelle. Ce que le travailleur demande à la Commission d'appel, c'est de déclarer qu'il a été victime d'un accident du travail le 24 septembre 1994. La loi, à son article 2, définit ainsi l'accident du travail: «accident du travail»: un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle; La Commission d'appel, à l'enquête, a eu le loisir d'entendre le travailleur ainsi que deux témoins de faits. Elle a été à même d'apprécier la crédibilité du travailleur et de noter que sa version était corroborée en tous points par ses compagnons de travail.

Le contre-interrogatoire n'a pas diminué la crédibilité des témoins et l'employeur n'a offert aucune preuve pour contredire le témoignage de ces derniers. La Commission d'appel n'a aucune raison de douter qu'il s'est produit un événement imprévu et soudain le 24 septembre 1994.

Par ailleurs, la Commission d'appel, de par son rôle de tribunal spécialisé, est d'opinion que la gestuelle adoptée par le travailleur lors de l'événement, est susceptible de lui avoir causé l'entorse lombaire diagnostiquée le 3 octobre 1994.

Le travailleur soulevait un poids d'environ quatre-vingt livres, à bout de bras, en position de flexion, extension et rotation du rachis. Le médecin de l'employeur, le docteur Le Bire, dans son opinion datée du 5 octobre 1994, suggère que le travailleur puisse avoir souffert d'une symptomatologie causée par une dégénérescence discale. La Commission d'appel ignore cependant sur quoi s'appuie le docteur Le Bire pour proposer ce diagnostic, puisqu'il ne joint pas à son opinion, copie du protocole radiologique qu'il dit détenir. Lorsque la Commission refuse le 15 novembre 1994, de faire droit à la réclamation du travailleur, l'agent au dossier note, dans ses notes évolutives, «qu'il n'est pas démontré hors de tout doute qu'un événement (...)». La Commission d'appel déplore qu'un préposé de l'organisme chargé d'appliquer la loi impose un tel fardeau de preuve au travailleur et ose espérer que cette façon de procéder n'est pas celle déterminée par la Commission. Le bureau de révision, quant à lui, fait grand cas du fait que le travailleur ne se soit présenté dans une clinique médicale que le 3 octobre suivant l'événement. Pour la Commission d'appel, il ne s'agit pas là d'un fait déterminant.

Il n'y a nulle obligation pour un travailleur, de se précipiter chez un médecin, dans les minutes qui suivent un événement survenu au travail. Il est par ailleurs compréhensible que toute personne ressentant une douleur décide d'attendre et d'en surveiller l'évolution avant de consulter et de s'absenter du travail.

Dans les circonstances du présent dossier, la Commission d'appel ne fait pas reproche au travailleur d'être demeuré à son poste, d'autant plus que ses tâches habituelles étaient moins exigeantes pour le rachis lombaire. Le bureau de révision fait également grand cas du fait que le travailleur n'a informé son contremaître du fait accidentel survenu le 24 septembre 1994, que le mardi 27 septembre suivant.

Pour la Commission d'appel, cette attitude du travailleur, est la même que celle qu'il adoptait vis-à-vis une consultation médicale éventuelle. Il a cru que la douleur lombaire s'estomperait et il ne voyait pas la nécessité d'en faire une déclaration officielle.

La loi n'oblige d'ailleurs aucunement un travailleur à déclarer immédiatement un événement, lorsque les conséquences de celui-ci ne l'obligent pas à quitter son poste de travail (article 265).

En l'instance, le travailleur a démontré, par preuve prépondérante, qu'il a été victime d'un accident du travail le 24 septembre 1994. Il s'est produit, à cette date, un événement imprévu et soudain, par le fait de son travail, qui a entraîné l'entorse lombaire diagnostiquée par son médecin le 3 octobre 1994.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES ACCUEILLE l'appel de monsieur Lucien Perron; INFIRME la décision du bureau de révision de la région de Yamaska datée du 2 mai 1995; DÉCLARE que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 24 septembre 1994; ORDONNE à la Commission de la santé et de la sécurité du travail de verser au travailleur les prestations auxquelles il a droit en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail.

Me Louise Boucher, commissaire S.C.E.P. (local 145) (Monsieur Michel Handfield) 4555, Métropolitain Est, bureau 201 Saint-Léonard (Québec) H1R 1Z4 Représentant de la partie appelante GESTION NORANTE (Monsieur Serge Lavoie) 5567, rue Bélanger Est Montréal (Québec) H1T 1G2 Représentant de la partie intéressée

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.