Servant c. Ritchie |
2016 QCCQ 7282 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MINGAN |
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« Chambre civile » |
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N° : |
650-22-003620-164 |
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DATE : |
18 juillet 2016 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DU |
JUGE |
DENIS LE RESTE, J.C.Q. |
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NANCY SERVANT -et- MOHAMED FEKIH AHMED |
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Demandeurs |
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c. |
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IAN RITCHIE |
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Défendeur |
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JUGEMENT |
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[1] La demanderesse, Nancy Servant, ci-après désignée «Servant[1]», et Mohamed Fekih Ahmed, ci-après désigné «Ahmed», réclament d’Ian Ritchie 22 500 $ pour dommages-intérêts, diffamation et atteinte à leur réputation.
LES QUESTIONS EN LITIGE :
[2] Les principales questions en litige sont les suivantes :
- Ritchie a-t-il commis une faute en regard des messages qu’il a diffusés sur Facebook?
- S’agit-il de diffamation et d’atteinte à la réputation?
- Y a-t-il lieu à indemnisation? Et, si oui, pour combien?
LE CONTEXTE :
[3] Servant exploite depuis quelques années les centres de travail adapté Résidence Régnault et Résidence Mgr Blanche qui se spécialisent dans les soins pour une clientèle souffrant de déficience intellectuelle, de limitations physiques ou ayant un trouble envahissant du développement.
[4] Ahmed est le directeur de ces établissements et également le conjoint de Servant.
[5] C’est directement le Centre intégré de santé et de services sociaux de la Côte-Nord qui donne les accréditations et fournit la liste des patients à ce type de résidence.
[6] La réputation de Servant, Ahmed et de leurs deux résidences est excellente et ce, tant auprès de la communauté de Sept-Îles, des responsables des centres intégrés de santé et de services sociaux et du gouvernement.
[7] Le taux d’occupation est d’ailleurs à son maximum, ces deux résidences répondant au fil des ans à toutes les normes et exigences gouvernementales. Elles se situent parmi les meilleures de leur catégorie, les rapports de qualité et de satisfaction étant irréprochables.
[8] Ahmed, à titre de directeur, procède à l’embauche de Ritchie au poste de préposé. Ritchie y travaillera un peu moins de 16 heures puisqu’il ne répond nullement aux attentes et exigences, tant de la qualité que du service de la clientèle.
[9] Ritchie n’écoute nullement les consignes et malgré la formation qu’il a reçoit, il ne respecte pas les exigences strictes de son poste. Ritchie se vante de tout savoir sur ce type de travail alors que dans les faits, il n’en est rien.
[10] Il est congédié le 27 février 2016, puisqu’il ne répond pas aux normes et exigences de ce travail.
[11] Suivant cette fin d’emploi, Ritchie publie, notamment par le biais de sa page Facebook personnelle et celle de «Spotted Sept-Îles», des propos faux et hautement diffamatoires ayant pour seul et unique objectif de discréditer sans raison la réputation des demandeurs et de ternir leur image, de même que celle des deux résidences qu’ils exploitent.
[12] En effet, le 29 février 2016, Ritchie publie le message suivant :
«Tsé quand tu travailles dans une résidence privée et que tu vois un préposé trainé une bénéficiaire par les jambes c’est pas fort….Mais quand tu en parles a ton patron et qu’il te mets a la porte en disant que tu critiques le travaille de tes collèges….Alors on dit quoi….????» (sic)
[13] Suivant cette publication, une vingtaine de personnes ont commenté les dires de Ritchie, lui suggérant même des moyens pour faciliter la diffusion de cette publication diffamatoire au grand public, tel que l’utilisation de Spotted Sept-Îles. Cette dernière page Facebook est suivie par plus de 10 000 personnes, suivant la preuve.
[14] Le 1er mars 2016, Ritchie récidive en écrivant sur la page Facebook Spotted Sept-Îles le message suivant :
«Salut, en fin de semsine, j etais e nformation a la résidense mgt blanche et j ai vu un prepose qui en est pas un traine par les pied une personne atteinte de deficience intellectuel jusqu a sa chambre car elle fusait de cooperer. Quand j en ai parler a la prepose en chef elle m a dit qu elle en parlerai a la patronne mais j ai recu un appel dans la journee me disant que j etais renvoyé car je critique le travail de mes colegues alors faites gaffe aux résidences privées vous savez ce qui se passe quand les poryes ce ferment» (sic)
[15] Cette publication sur Spotted Sept-Îles a été légèrement censurée par la suite, mais il était toujours facile d’identifier avec aisance la Résidence Mgr Blanche.
[16] Le 2 mars 2016, suivant les publications hautement répréhensibles du défendeur sur sa page Facebook et sur celle de Spotted Sept-Îles, Servant, par l’entremise de ses procureurs, a mis en demeure Ritchie de retirer toute publication et tout commentaire concernant la Résidence Mgr Blanche ou la Résidence Régnault sur les réseaux sociaux, ce qu’il a omis d’effectuer.
[17] Le 7 mars 2016, constatant que Ritchie ne s’est pas conformé à la mise en demeure, il est, pour une deuxième fois, sommé de retirer les messages faux et calomnieux apparaissant sur sa page Facebook et sur celle de Sept-Îles.
[18] La requête introductive d’instance est émise le 21 avril 2016 et ce n’est qu’à la réception de celle-ci que Ritchie retire finalement des réseaux sociaux ses commentaires calomnieux.
[19] Servant et Ahmed sont très affectés par la situation. Ceux-ci s’efforcent depuis plus de 15 ans de bâtir la réputation sans tache des résidences Régnault et Mgr Blanche et, d’un seul coup, Ritchie anéantit tous leurs efforts.
[20] De tels propos enflamment immédiatement les réseaux sociaux, la situation devenant incontrôlable. Plusieurs personnes dans Sept-Îles et ses environs parlent des propos tenus par Ritchie jetant un doute sur la qualité des services offerts dans ces deux résidences.
[21] Ritchie interpelle également les responsables du Centre intégré de santé et services sociaux de la Côte-Nord pour raconter cette histoire. Une enquête est déclenchée. On demande même aux responsables en poste d’interrompe leurs vacances pour enquêter sur la situation. Une évaluation importante a eu lieu par les responsables du gouvernement.
[22] Ceux-ci prennent l’affaire très au sérieux et procèdent aux enquêtes nécessaires en pareilles situations et obtiennent les témoignages de toutes les personnes concernées.
[23] La conclusion est sans équivoque. Les services offerts par les employés des résidences Régnault et Mgr Blanche sont sans reproche. En tout temps on applique les méthodes d’intervention reconnues et exigées par le Centre intégré de santé et de services sociaux.
[24] Malgré la situation dénoncée par Ritchie, il appert que les préposés ont suivi le protocole à la lettre pour ramener dans sa chambre un patient qui était désorganisé et en perte de contrôle.
[25] Quelques heures à peine après cette déclaration, Servant, Ahmed, la Résidence Régnault ainsi que la Résidence Mgr Blanche sont complètement blanchis des accusations portées par Ritchie.
[26] Pourtant, les murmures, les rumeurs et fausses accusations continuent à circuler dans Sept-Îles.
[27] On interrompt même un projet d’agrandissement pour l’une des résidences à cause de l’impact des commentaires de Ritchie.
[28] Servant et Ahmed doivent également répondre aux inquiétudes et questionnements des employés pour faire taire la rumeur d’une fermeture. Il n’a jamais été question de procéder ainsi.
[29] Les conclusions de l’enquête démontrent également que Servant, malgré les propos de Ritchie, n’a jamais voulu taire ou couvrir les gestes de maltraitance de ses employés. Il n’en est rien, puisqu’on a agi avec tact et suivant les recommandations.
[30] Servant et Ahmed ont même depuis de la difficulté à engager du personnel, les candidats refusant de vouloir s’associer à ces résidences.
[31] Malgré que quelques mois se soient écoulés depuis, les gens ne cessent d’entretenir Servant et Ahmed des propos de Ritchie.
[32] Ce dernier n’a pas comparu, ni contesté la demande introductive d’instance.
LE DROIT APPLICABLE :
[33] Le Tribunal considère important de décrire les règles et critères applicables dans le cadre du fardeau de la preuve.
[34] Le rôle principal des parties dans la charge de la preuve est établi aux articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec qui prévoient:
2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.
[35] Les justiciables ont le fardeau de prouver l'existence, la modification ou l'extinction d'un droit. Les règles du fardeau de la preuve signifient l'obligation de convaincre, qui est également qualifiée de fardeau de persuasion. Il s'agit donc de l'obligation de produire dans les éléments de preuve une quantité et une qualité de preuve nécessaires à convaincre le Tribunal des allégations faites lors du procès.
[36] En matière civile, le fardeau de la preuve repose sur les épaules de la partie demanderesse suivant les principes de la simple prépondérance.
[37] La partie demanderesse doit présenter au juge une preuve qui surpasse et domine celle de la partie défenderesse.
[38] La partie qui assume le fardeau de la preuve doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable.
[39] La probabilité n'est pas seulement prouvée par une preuve directe, mais aussi par les circonstances et les inférences qu'il est raisonnablement possible d'en tirer.
[40] Le niveau d'une preuve prépondérante n'équivaut donc pas à une certitude, ni à une preuve hors de tout doute.
[41] La Cour suprême du Canada, dans la décision de Parent c. Lapointe[2], sous la plume de l'honorable juge Taschereau, précise:
«C'est par la prépondérance de la preuve que les causes doivent être déterminées, et c'est à la lumière de ce que révèlent les faits les plus probables, que les responsabilités doivent être établies.»
[42] L’honorable Benoit Sabourin dans l’affaire Barbier c. François[3] écrit :
«[41] Le recours fondé sur la diffamation découle de l’article 1457 du Code civil du Québec. Le demandeur doit prouver que les propos reprochés sont diffamatoires et que celui qui les a prononcés a commis une faute. Par la suite, il doit démontrer l’existence d’un dommage lié à cette faute.
[42] Dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., la juge Marie Deschamps définit le cadre juridique en droit québécois du recours en diffamation :
«[22] Il n’existe pas, au Québec, de recours particulier pour sanctionner la diffamation. Le recours en diffamation s’inscrit dans le régime général de la responsabilité civile prévu à l’art. 1457 C.c.Q. Le demandeur a droit à une indemnisation si une faute, un préjudice et un lien causal coexistent. La détermination de la faute suppose l’examen de la conduite de l’auteur de celle-ci, celle du préjudice requiert l’évaluation de l’incidence de cette conduite sur la victime et celle de la causalité exige que le décideur conclue à l’existence d’un lien entre la faute et le préjudice. C’est un domaine du droit où il importe de bien distinguer faute et préjudice. La preuve du préjudice ne permet pas de présumer qu’une faute a été commise. La démonstration de la commission d’une faute n’établit pas, sans plus, l’existence d’un préjudice susceptible de réparation.
[23] L’action en diffamation fait aussi intervenir la Charte québécoise, puisque, comme je l’ai souligné plus tôt, l’action repose sur une atteinte au droit à la sauvegarde de la réputation, garanti à l’art. 4 de cet instrument. L’article 49 de la Charte québécoise prévoit le droit à la réparation du préjudice causé par une atteinte illicite aux droits de la personne. La Charte québécoise n’a toutefois pas créé un régime indépendant et autonome de responsabilité civile qui ferait double emploi avec le régime général (de Montigny c. Brossard (Succession), 2010 CSC 51 (CanLII), [2010] 3 R.C.S. 64, par. 44). Les principes généraux de la responsabilité civile servent toujours de point de départ pour l’octroi de dommages-intérêts compensatoires à la suite d’une atteinte à un droit (Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., 1996 CanLII 208 (CSC), [1996] 2 R.C.S. 345, par. 119 (le juge Gonthier) et par. 16 et 25 (la juge L’Heureux-Dubé, dissidente en partie), et de Montigny). Les actions en responsabilité civile fondées sur une atteinte à un droit, tel le recours en diffamation, constituent donc un point de rencontre de la Charte québécoise et du Code civil. Cette convergence des instruments doit être considérée dans la définition des trois éléments constitutifs de la responsabilité civile, c’est-à-dire la faute, le préjudice et le lien de causalité. Je ne ferai que quelques commentaires sur la faute, étant donné qu’elle n’est pas contestée en l’espèce. Le lien de causalité n’est pas non plus en cause. Je m’attacherai plutôt à l’étude du préjudice, l’élément qui est au cœur du débat. »
[43] Dans l’arrêt Grant c. Torstar Corp., la Cour suprême du Canada rappelle que pour être diffamatoires, les propos doivent avoir été « communiqués à au moins une autre personne que le demandeur ».
[44] Dans l’affaire Prud’homme précitée, la Cour suprême du Canada fait siens les propos du juge Jean-Pierre Sénécal dans l’affaire Beaudoin c. La Presse ltée en ces termes :
« […] [34] La nature diffamatoire des propos s’analyse selon une norme objective (Hervieux-Payette c. Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, 1997 CanLII 8276 (QC CS), [1998] R.J.Q. 131 (C.S.), p. 143, infirmé, mais non sur ce point, par Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal c. Hervieux-Payette, 2002 CanLII 8266 (QC CA), [2002] R.J.Q. 1669 (C.A.)). Il faut, en d’autres termes, se demander si un citoyen ordinaire estimerait que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation d’un tiers. À cet égard, il convient de préciser que des paroles peuvent être diffamatoires par l’idée qu’elles expriment explicitement ou encore par les insinuations qui s’en dégagent. Dans l’affaire Beaudoin c. La Presse Ltée, 1997 CanLII 8365 (QC CS), [1998] R.J.Q. 204 (C.S.), p. 211, le juge Senécal résume bien la démarche à suivre pour déterminer si certains propos revêtent un caractère diffamatoire :
« La forme d’expression du libelle importe peu; c’est le résultat obtenu dans l’esprit du lecteur qui crée le délit ». L’allégation ou l’imputation diffamatoire peut être directe comme elle peut être indirecte « par voie de simple allusion, d’insinuation ou d’ironie, ou se produire sous une forme conditionnelle, dubitative, hypothétique ». Il arrive souvent que l’allégation ou l’imputation « soit transmise au lecteur par le biais d’une simple insinuation, d’une phrase interrogative, du rappel d’une rumeur, de la mention de renseignements qui ont filtré dans le public, de juxtaposition de faits divers qui ont ensemble une semblance de rapport entre eux ».
Les mots doivent d’autre part s’interpréter dans leur contexte. Ainsi, « il n’est pas possible d’isoler un passage dans un texte pour s’en plaindre, si l’ensemble jette un éclairage différent sur cet extrait ». À l’inverse, « il importe peu que les éléments qui le composent soient véridiques si l’ensemble d’un texte divulgue un message opposé à la réalité ». On peut de fait déformer la vérité ou la réalité par des demi-vérités, des montages tendancieux, des omissions, etc. « Il faut considérer un article de journal ou une émission de radio comme un tout, les phrases et les mots devant s’interpréter les uns par rapport aux autres. »
[35] Cependant, des propos jugés diffamatoires n’engageront pas nécessairement la responsabilité civile de leur auteur. Il faudra, en outre, que le demandeur démontre que l’auteur des propos a commis une faute. Dans leur traité, La responsabilité civile (5e éd. 1998), J.-L. Baudouin et P. Deslauriers précisent, aux p. 301-302, que la faute en matière de diffamation peut résulter de deux types de conduites, l’une malveillante, l’autre simplement négligente :
La première est celle où le défendeur, sciemment, de mauvaise foi, avec intention de nuire, s’attaque à la réputation de la victime et cherche à la ridiculiser, à l’humilier, à l’exposer à la haine ou au mépris du public ou d’un groupe. La seconde résulte d’un comportement dont la volonté de nuire est absente, mais où le défendeur a, malgré tout, porté atteinte à la réputation de la victime par sa témérité, sa négligence, son impertinence ou son incurie. Les deux conduites constituent une faute civile, donnent droit à réparation, sans qu’il existe de différence entre elles sur le plan du droit. En d’autres termes, il convient de se référer aux règles ordinaires de la responsabilité civile et d’abandonner résolument l’idée fausse que la diffamation est seulement le fruit d’un acte de mauvaise foi emportant intention de nuire. »
[45] Dans l’affaire Fernandez c. Marineau, la juge Michèle Monast, J.C.S., résume les principes de droit applicables à une action en diffamation en ces termes :
« [105] Le litige doit être décidé à la lumière des principes de droit applicables en matière de responsabilité extra-contractuelle. À cet égard, le Tribunal renvoie plus particulièrement aux articles 3, 4 et 5 de la Charte des droits et libertés de la personne et aux articles 6, 7, 35, 1457, 1478, 1479, 1480, 1526, 1607, 1611 et 1621 du Code civil du Québec.
[106] Pour décider du bien-fondé de la requête, le Tribunal doit analyser la teneur et la portée des propos contenus dans la lettre qui a été adressée par les intimés au Fonds d'indemnisation des services financiers en date du 4 septembre 2000, de même que la déclaration du 30 novembre 2000.
[107] Pour conclure au caractère diffamatoire de ces écrits, il doit en venir à la conclusion que, pris dans leur ensemble, les propos qu'ils contiennent tendent à déconsidérer la réputation de Fernandez.
[108] Si les propos ne sont pas diffamatoires, la requête doit être rejetée. Dans le cas contraire, le Tribunal doit poursuivre son analyse de la preuve et déterminer si les intimés ont commis une faute. Dans l'affirmative, ils peuvent être réputés avoir commis une faute s'ils ont communiqué ces propos diffamatoires à l'endroit de Fernandez, dans le but de lui nuire, de porter atteinte à sa réputation, et de l'exposer au mépris ou s'ils ont porté atteinte à sa réputation par témérité, négligence ou incurie. Et, dans l'un et l'autre cas, ils peuvent être tenus responsables du préjudice causé et être solidairement tenus de le réparer. »
(Références omises et soulignements du juge Sabourin)
[43] Notre collègue, l’honorable Jimmy Vallée, a lui aussi fait une étude précise de la notion de diffamation dans l’affaire Boisbriand (Ville de) c. Labelle[4]. Le Tribunal adhère à cette précieuse analyse.
«[33] Pour démontrer l’existence d’un préjudice en matière d’atteinte à la réputation, la partie lésée doit, au moment venu de présenter sa preuve au mérite, convaincre le Tribunal que les propos litigieux sont diffamatoires.
[34] Le concept de diffamation a fait l’objet de plusieurs définitions au fil des années. De façon générale, on reconnaît que la diffamation « consiste dans la communication de propos ou d’écrits qui font perdre l’estime ou la considération de quelqu’un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables ».
[35] La nature diffamatoire des propos s'analyse selon une norme objective. Des paroles peuvent être diffamatoires par l’idée qu’elles expriment explicitement ou encore par les insinuations qui s’en dégagent.
[36] Il faut donc se demander si un citoyen ordinaire estimerait que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation de Prévost et de la Ville. Même si les propos sont jugés diffamatoires, ils n'engageront pas nécessairement la responsabilité civile de leur auteur, sauf si on démontre en plus la commission d'une faute.
[…]
[38] Référant à ces passages de l’arrêt Bou Malhab, le juge Kasirer de la Cour d'appel du Québec écrivait, dans l’affaire Acadia Subaru c. Michaud:
[71] […] Dans Bou Malhab, le juge Deschamps a observé une tendance dans la jurisprudence selon laquelle le droit relatif à la diffamation a évolué pour fournir une protection plus adéquate de la liberté d’expression sur les questions d’intérêt public. L’adoption de règles élaborées par le législateur québécois de façon à donner une protection spéciale à la liberté d’expression dans le cadre de débats publics pourrait bien être perçue comme participant à ce même courant. Le préambule de la loi adoptant les articles 54.1 et suiv. souligne l’importance particulière qui est accordée à la liberté d’expression et le besoin de contrer l’utilisation abusive des tribunaux afin de « limiter le droit des citoyens de participer à des débats publics ». »
(Références omises et soulignements du juge Vallée)
[44] Fort de ces concepts, le Tribunal n’a aucun doute à conclure que les propos et les écrits de Ritchie ont fait perdre l’estime et la considération envers Servant et Ahmed et ont suscité dans la communauté des sentiments défavorables et désagréables à leur égard. Que ce soit par ses propos écrits explicitement ou encore par les insinuations que ceux-ci dégagent, ils déconsidèrent les réputations des demandeurs.
[45] Le Tribunal conclut donc que les propos sont nettement diffamatoires.
QUANTUM :
[46] Ritchie, par sa volonté non équivoque de publier des messages faux, diffamatoires et marqués d’insinuations malveillantes de nature à engager sa responsabilité, a failli à l’obligation qui lui incombe de respecter les règles de la bonne conduite qui s’imposent à lui, de manière à ne pas causer préjudice à autrui. À cet effet, il importe de rappeler les articles suivants du Code civil du Québec.
3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l’inviolabilité et à l’intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.
Ces droits sont incessibles.
6. Toute personne est tenue d’exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.
7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi.
10. Toute personne est inviolable et a droit à son intégrité.
Sauf dans les cas prévus par la loi, nul ne peut lui porter atteinte sans son consentement libre et éclairé.
[47] En écrivant des faussetés, des insinuations malveillantes et des propos calomnieux sur sa page Facebook et sur celle de Spotted Sept-Îles, Ritchie a causé et cause toujours un lourd préjudice à Servant et Ahmed.
[48] La preuve non contredite révèle que de tels propos sont faux, inexacts et clairement diffamatoires.
[49] Étant donné la preuve, et usant de sa discrétion judiciaire, le Tribunal conclut que Servant a droit à 10 000 $ à titre de dommages moraux plus 5 000 $ à titre de dommages exemplaires.
[50] Pour sa part, Ahmed a droit d’être indemnisé de 2 500 $ à titre de dommages moraux. Les autres réclamations ne sont pas accueillies.
[51] PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[52] ACCUEILLE en partie la demande introductive d’instance.
[53] CONDAMNE Ian Ritchie à payer à Nancy Servant 15 000 $ pour dommages moraux et exemplaires plus les intérêts au taux légal majoré de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter du 2 mars 2016.
[54] CONDAMNE Ian Ritchie à payer à Mohamed Fekih Ahmed 2 500 $ à titre de dommages moraux plus les intérêts au taux légal majoré de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter de l’assignation.
[55] LE TOUT, avec les frais de justice.
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__________________________________ DENIS LE RESTE, J.C.Q. |
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Me Caroline Neveu |
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CAIN LAMARRE, s.e.n.c.r.l. |
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Avocate des demandeurs |
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Date d’audience : |
15 juin 2016 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.