COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES QUÉBEC QUÉBEC, le 20 décembre 1996 DISTRICT D'APPEL DEVANT LE COMMISSAIRE:Rock Jolicoeur, avocat DE MONTRÉAL ASSISTÉ DE L'ASSESSEUR: Jean-Pierre Picard, médecin RÉGION: Montérégie DOSSIERCALP: M-71621-62-9507 DOSSIER CSST: 067912402 AUDITION TENUE LE: 31 juillet 1996 DOSSIER BRP: 61647667 À: Montréal GUY BARRETTE 4600, rue Donat Saint-Hubert [Québec] J3Y 2L7 PARTIE APPELANTE et CONSTRUCTIONS MIRAL LTÉE [FERMÉE] PARTIE INTÉRESSÉE COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL - MONTÉRÉGIE Directeur régional 25, boul. Lafayette - 5e Étage Longueuil [Québec] J4K 5B6 PARTIE INTERVENANTE D É C I S I O N Le 21 juillet 1995, M. Guy Barrette [le travailleur] dépose à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles [la Commission d'appel] une déclaration d'appel à l'encontre d'une décision rendue le 24 mai 1995 par le Bureau de révision de la région de la Montérégie [bureau de révision] et expédiée aux parties le 19 juin 1995.Par cette décision majoritaire, le bureau de révision confirme les deux décisions rendues les 21 et 22 septembre 1995 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail [la Commission] et déclare que le travailleur n'a pas été victime d'une lésion professionnelle au titre d'une rechute, récidive ou aggravation à compter du 4 juin 1993.
L'employeur, Constructions Miral ltée est une entreprise qui a cessé ses opérations et n'était pas représentée lors de l'audition tenue devant la Commission d'appel.
OBJET DE L'APPEL Par son appel, le travailleur demande à la Commission d'appel d'infirmer la décision rendue par le bureau de révision et de déclarer qu'il a été victime d'une lésion professionnelle au titre d'une rechute, récidive ou aggravation, laquelle se serait manifestée le 4 juin 1993 en relation avec l'accident de travail dont il a été victime le 30 novembre 1978.
LES FAITS Les faits rapportés dans la décision du bureau de révision et ceux mentionnés à l'historique des rapports médicaux des médecins spécialistes, sauf quelques corrections cléricales effectuées à la demande des parties à l'audition, ne sont pas remis en question.
Le 30 novembre 1978, le travailleur, alors âgé de 42 ans, employé de Les Constructions Miral ltée, oeuvrant dans le revêtement calorifuge commercial et industriel, travaillait à l'isolation d'un bâtiment lorsqu'il a glissé sur la glace, a fait une chute et s'est frappé le genou droit sur une boîte.
Le travailleur croyant que c'était sans gravité, et il n'a consulté que le 7 décembre 1978 devant la persistance des symptômes.
Le Dr Charles O'Kayem, orthopédiste, pose le diagnostic de «contusion du genou droit avec épanchement». Le travailleur arrête alors de travailler durant quinze jours.
Durant cette première absence du travail, un rapport radiologique du 7 décembre 1978 indique la présence «d'un léger degré d'arthrose se traduisant par de fines formations osthéophytiques au niveau des épines tibiales et de la surface articulaire de la rotule».
Le Dr O'Kayem avait prescrit du repos, de la glace et des anti- inflammatoires. Le travailleur a repris son travail habituel le 18 décembre 1978.
Le 2 mai 1979, le travailleur ressent une douleur au niveau du genou droit en descendant un escalier. Le Dr O'Kayem est consulté et ce dernier note, à l'examen, une douleur à la palpation du côté interne droit.
Une réclamation est alors formulée auprès de la Commission pour une rechute le 2 mai 1979 et son médecin traitant prescrit une arthrographie. Le diagnostic est celui d'une déchirure en anse de seau du genou droit. L'arthrographie pratiquée le 7 mai 1989 révèle ce qui suit: «[...] ARTHROGRAPHIE DU GENOU DROIT: Il existe un épaississement de l'interligne cartilagineux du côté interne surtout en projection postérieure. La partie centrale ou interne de la corne postérieure du ménisque interne m'apparaît légèrement émoussée, l'ensemble des signes suggérant la présence d'une petite déchirure en anse de seau de la corne postérieure du ménisque interne. Les surface cartilagineuses articulaires sont lisses. Pas d'autre lésion visible. À apprécier à la lumière des signes cliniques.
OPINION: Élargissement de l'interligne cartilagineux.
L'examen suggère la présence d'une petite déchirure en anse de seau à la corne postérieure du ménisque interne. À confirmer par la clinique.
07GO/dl Dr. G. Dionne [...]» Le 23 mai 1979, le travailleur est opéré par le Dr Charles O'Kayem. À l'arthrotomie, il note: «On s'est rendu compte qu'il y avait des lésions importantes du cartilage du condyle fémoral interne aussi bien que du plateau tibial interne. Le ménisque apparaît déchiré.» Le Dr Okayem ne porte pas de jugement sur l'âge des lésions cartilagineuses ni s'il pense que ces lésions peuvent être concomitantes à la déchirure méniscale. Il fait un rasage du cartilage tant du condyle fémoral interne que du plateau tibial interne ainsi qu'une méniscectomie interne.
«Le 23 mai 79, le patient est opéré par le Dr Charles Okayem. À l'arthrotomie, il note: "on s'est rendu compte qu'il y avait des lésions importantes du cartilage du condyle fémoral interne aussi bien que du plateau tibial interne. Le ménisque apparaissait déchiré". Le docteur Okayem ne porte pas de jugement sur l'âge des lésions cartilagineuses ni s'il pense que ces lésions puissent être concomitantes à la déchirure méniscale. Il fait un rasage du cartilage tant du condyle fémoral interne que du plateau tibial interne et une méniscectomie interne.» Le rapport du pathologiste fait état de tissus fibro- cartilagineux méniscals et de cartilage hyalin, les deux montrant des signes de dégénérescence avec déchirures du ménisque interne droit.
Par la suite, le membre inférieur droit sera immobilisé dans un cylindre plâtré pendant quelques semaines. Au sortir du plâtre, on note une atrophie du quadriceps de cinq centimètres, cinq pouces au-dessus du pôle supérieur de la rotule.
Un consultation est demandée auprès du Dr Germain Lemire, physiatre, le 16 juillet 1979. Son rapport d'évaluation indique ce qui suit: «[...] Ce patient nous est référé pour réadaptation de séquelles d'une méniscectomie interne de son genou droit. Ce patient qui avait subi un traumatisme du genou au cours de son travail le 30 novembre 1978, devait, à cause de problèmes douloureux persistants et d'hydarthrose du genou, subir une méniscectomie interne le 14 mai 1979. Le patient, depuis ce temps, a fait des exercices par lui-même et il continue de se plaindre de faiblesse et de douleurs au niveau de son genou.
À l'examen, nous notons une forte atrophie du quadriceps droit de l'ordre de 5 cm à 5 pouces au dessus de la rotule. Le genou est légèrement oedèmacié. La palpation révèle des douleurs des interlignes internes et externes et une douleur au niveau du tendon rotulien. La mobilisation en extension se fait bien. En flexion, il manque une vingtaine de degrés. La force des muscles de la cuisse est nettement déficitaire et surtout cela du vaste interne.
Conduite: Nous entreprendrons un programme de traitements consistant en cryothérapie au genou droit, exercices d'amplitude au genou droit, exercices d'amplitude de ce genou et d'exercices contre- résistance pour les muscles de la cuisse droite.
Ce patient sera traité à l'Hôpital Charles Lemoyne [Clinique de Physiatrie de la Rive Sud].
[...]» Les traitements de physiothérapie débuteront le 18 juillet jusqu'au 4 novembre 1979.
Le 5 novembre 1979, le travailleur a repris son travail dans l'isolation des colonnes de raffinage et des réservoirs dans l'industrie pétrolière. Selon le dossier, cet emploi nécessite constamment de monter et descendre des échelles ou des échafauds, de travailler accroupi ou à genou et même de soulever des charges lourdes.
Le 25 mars 1980, lors de l'évaluation faite par le Dr Bernard Gauthier à la demande de la Commission, ce spécialiste note que le travailleur se plaint de gonflements intermittents, de faiblesses, de douleurs lui occasionnant des difficultés particulières pour grimper dans les échelles et les échafauds. À l'examen, le Dr Gauthier constate un épaississement diffus du genou et la présence de craquements rétro-patellaires ainsi qu'une atrophie de 2,5 cm de la cuisse et de 1 cm du mollet.
Le Dr Gauthier émet l'opinion suivante: «[...] Opinion: En plus de la perte du ménisque interne, cet homme a subi des dommages aux cartilages articulaires du gnou droit. A mon avis, on devrait lui octroyer un taux de déficit anatomo-physiologique de trois pour- cent (3%).
[...]» Témoignant à l'audience, le travailleur indique qu'il est retourné au travail pendant plusieurs années alors qu'il ressentait des douleurs après son travail et, souvent, avait de la difficulté à marcher. Par ailleurs, il rapporte que les médecins lui ont dit qu'il faudrait un jour «lui faire une prothèse totale du genou mais qu'il était trop tôt et qu'il devait patiemment attendre et qu'il n'y avait, pour le moment, rien à faire».
De plus, le Dr Claude Veilleux, médecin de famille, lui aurait prescrit des analgésiques ou des anti-inflammatoires pour diminuer la douleur. Il a même vu en consultation le Dr André Canakis, orthopédiste, qui était d'avis qu'il était «trop jeune pour la chirurgie et qu'il fallait tenter de gagner du temps».
La première résurgence apparaissant au dossier de la Commission est datée du 4 juin 1993. Il s'agit d'une consultation auprès du Dr Charles Desautels, orthopédiste, toujours pour le même problème, à savoir: hydarthrose accompagnée d'une douleur au niveau du genou droit.
Le Dr Desautels diagnostique une arthrose fémoro-rotulienne et tibio-fémorale interne post-méniscectomie interne. Il prescrit alors une orthèse le 20 juillet 1993.
Dans un rapport du 14 juillet 1993, on apprend que le travailleur est présentement au chômage depuis deux ans, la douleur du genou allant en s'intensifiant.
Le 13 août 1993, le travailleur revoit le Dr Desautels qui indique que le travailleur est inapte à faire son travail de calorifugeur.
Le 21 septembre 1993, la Commission refuse la réclamation du travailleur pour récidive, rechute ou aggravation [arthrose du genou droit] qui s'est manifestée le 4 juin 1993 au motif que la détérioration de son état n'est pas relié à la lésion du 30 septembre 1978 mais plutôt à une condition personnelle.
Dans une expertise faite le 3 décembre 1993, le Dr Charles Desautels note que le travailleur présente également de la douleur au niveau du genou gauche depuis un an et demi.
Toutefois, la douleur serait moins sévère qu'à droite. Il note aussi que lorsqu'il monte les escaliers, le travailleur doit monter une marche à la fois en tenant la rampe et en attaquant de la jambe gauche moins symptomatique, surtaxant ainsi le genou gauche. Il note aussi des épisodes de chute.
Une radiographie des deux genoux effectuée le 4 juin 1993 fait état d'une arthrose marquée fémoro-patellaire et fémoro-tibiale interne du côté droit. Du côté gauche, on note une arthrose fémoro-tibiale interne de légère à modérée, ainsi que fémoro- patellaire. Le Dr Desautels conclut de la façon suivante: «Il n'y a pas de nouveau fait accidentel, mais bien une progression d'une maladie dégénérative. Toutefois, puisque le patient a subi une méniscectomie interne en 1979, il s'agit ici d'un facteur d'aggravation.» Le travailleur a subi une arthroplastie totale du genou droit le 10 janvier 1995.
Le Dr Pierre Sabouret, orthopédiste, est entendu comme témoin. Il exerce sa profession d'orthopédiste au Centre d'orthopédie Dorchester à Montréal, et il s'est spécialisé dans la chirurgie du genou. Il réfère la Commission d'appel à son expertise médicale en date du 9 juillet 1996 et commente son évaluation dans les termes suivants: «[...] Un des éléments clefs pour répondre aux objections du BRP qui fondent la discussion est le rapport de radiologie du 4 juin 93 qui se lit comme suit: GENOU DROIT: Importantes modifications d'arthrose dégénérative et hypertrophiques du côté interne de l'articulation. Il existe aussi une arthrose marquée à l'articulation fémoro-patellaire.
GENOU GAUCHE: Lésions d'arthrose fémoro-tibiale interne d'un degré léger à modéré ainsi qu'à l'articulation fémoro- patellaire.
C'est l'élément qui avait déjà été souligné par le docteur Charles Desautels dans son expertise.
On sait que les lésions arthrosiques évoluent naturellement vers l'aggravation progressive.
Il est indéniable que des lésions arthrosiques légères ont été détectées au niveau du genou droit dès avant la méniscectomie en 1978, et des lésions de gravité légère à moyenne au niveau du genou gauche en 1993 en même temps que l'on qualifiait les lésions du genou droit de sévère.
On sait également qu'une méniscectomie interne prédispose à l'apparition d'arthrose secondaire qui survient habituellement 10 à 15 ans après la chirurgie particulièrement chez un homme charpenté ou présentant un excès de poids, très actif, avec un léger varus constitutionnel des genoux - conditions réunies chez notre patient.
On sait aussi que la méniscectomie totale par arthrotomie est plus à même d'amener une arthrose secondaire.
Enfin, la méniscectomie interne sur un genu varus qui présente déjà une arthrose discrète entraîne une accélération du processus arthrosique et une aggravation de l'arthrose à plus brève échéance.
On peut donc penser que n'eut été la méniscectomie, le genou droit aurait suivi une évolution beaucoup plus lente de son arthrose, comparable en cela à celle du genou gauche, qui n'a jamais empêché et n'empêche toujours pas le patient de fonctionner.
Par ailleurs, il est faux de prétendre que le patient a passé ses années sans jamais consulter, mais on lui a toujours dit qu'il n'y avait rien à faire avant l'âge de 60 ans. Cependant, il y a une dizaine d'années on aurait pu lui faire une ostéotomie tibiale haute valgisante. Le patient nous dit avoir à plusieurs reprises consulté le docteur Claude Veilleux et une fois au moins le docteur Kénakis, orthopédiste. Si l'arthrose tibio-fémorale interne du genou gauche n'est symptomatique que depuis 1993, le patient s'est toujours plaint du genou droit depuis 1978. L'état du genou s'est détérioré comme en font foi les radiographies du 4 juin 93 au point de justifier une arthroplastie totale du genou un an et demi après. à l'âge de 58 ans.
Conclusion Au dossier, il y a preuve de persistance de douleur, aggravation progressive sur une période de 10-15 années, délai habituel de l'apparition de l'arthrose après une méniscectomie totale par arthrotomie (voir tiré-à-part), 7e édition, Campbells, Operative Orthopaedics, Volume 3, page 2319.
Dans son cas, même s'il faut admettre qu'il y a des facteurs prédisposants à savoir un genu varus constitutionnel, un excès de poids, une activité physique intense comme calorifugeur dans une raffinerie de 1979 à 1993, il est indéniable que la méniscectomie du côté droit a précipité l'évolution de l'arthrose.
Il faut donc admettre que cette arthrose secondaire à la méniscectomie interne est bien reliée à l'accident initial du 30 novembre 78.
[...]» ARGUMENTATION DES PARTIES Le procureur du travailleur reconnaît que son client est porteur d'une condition personnelle importante depuis 1979, au niveau des deux genoux, mais qu'il a pu travailler sans arrêt pendant quinze ans. Il est évident, selon la preuve médicale prépondérante, que l'accident du travail survenu le 30 novembre 1978 alors que le travailleur s'est frappé le genou droit sur une boîte, a nécessité une méniscectomie le 14 mai 1979 laquelle a fait progresser le phénomène dégénératif et a conduit à une arthroplastie totale du genou droit le 10 janvier 1995.
Selon la logique, le genou gauche aurait dû être opéré car le travail exercé par son client, est exigeant pour les deux genoux.
Seul le genou droit a subi une arthroplastie totale.
La même logique impose donc de conclure que la méniscectomie pratiquée en 1979 a précipité l'évolution de l'arthrose et a conduit à une arthroplastie totale en 1995. En conséquence, il faut donc reconnaître que cette arthrose est secondaire à la méniscectomie interne et qu'elle est bien reliée à l'accident de travail survenu le 30 novembre 1978.
Le procureur de la Commission est d'un avis contraire. Il estime que la Commission d'appel est en présence d'une évolution normale d'une maladie dégénérative des deux genoux dont l'issue semble être celle survenue en janvier 1995. Il est donc impossible de conclure à une rechute, récidive ou aggravation de la lésion professionnelle survenue le 30 novembre 1978.
Par ailleurs, le procureur de la Commission mentionne que son organisme ne s'est aucunement prononcée sur l'arthroplastie totale du genou droit pratiquée le 10 janvier 1995 de sorte que la Commission d'appel ne peut se saisir de cette réclamation puisqu'aucune décision n'a été rendue et qu'un bureau de révision pourrait être saisi de ce litige. Enfin, le procureur indique que le Dr Sabouret a minimisé les facteurs prédisposant lors de l'événement survenu en 1978 alors que les protocoles radiologiques et opératoires indiquaient que le travailleur était porteur d'une condition personnelle dégénérative.
MOTIFS DE LA DÉCISION La Commission d'appel doit déterminer si le travailleur présente une rechute, récidive ou aggravation pour des douleurs au niveau du genou droit objectivées le 4 juin 1993 en relation avec la méniscectomie pratiquée le 23 mai 1979, laquelle avait été reconnue par la Commission comme étant en relation avec l'accident du travail survenu le 30 novembre 1978.
L'article
2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [L.R.Q., chapitre A-3.001] définit comme suit la notion de «lésion professionnelle»: 2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par: «lésion professionnelle»: une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation; Pour conclure à la rechute, récidive ou aggravation d'une lésion professionnelle, la Commission d'appel doit déterminer, selon la preuve médicale prépondérante au dossier, l'existence ou non d'une relation entre la lésion initiale et celle qui fait l'objet de la réclamation.Tel que précisé dans l'affaire Lapointe et Cie Minière Québec Cartier [1989] C.A.L.P. p. 38, la Commission d'appel retient comme sens courant des termes rechute, récidive ou aggravation une reprise évolutive, une réapparition ou recrudescence d'une lésion de ce symptôme. De même, la jurisprudence est constante à l'effet qu'il n'est pas nécessaire que survienne un fait nouveau, accidentel ou non.
Dans l'affaire Thibault et Sûreté du Québec [1992] C.A.L.P. 312, la Commission d'appel s'exprimait ainsi: «La partie qui veut établir la rechute, récidive ou aggravation d'une lésion professionnelle doit, en effet, par une preuve jugée prépondérante, établir l'existence d'une relation entre la pathologie présentée par un travailleur à l'occasion de la rechute, récidive ou aggravation alléguée et celle survenue par le fait ou à l'occasion de l'accident du travail initial.» La preuve démontre que, le 30 novembre 1978, le travailleur a été victime d'un accident du travail qui lui a alors causé une contusion du genou droit avec épanchement, laquelle a été traitée par un arrêt de travail et des anti-inflammatoires.
La preuve révèle que, le 2 mai 1979, le travailleur a ressenti une douleur au niveau du genou droit en descendant un escalier.
C'est ainsi que le travailleur subissait, le 23 mai 1979, une méniscectomie au niveau du genou droit. À l'arthrotomie, le Dr Okayem note que le ménisque apparaissait déchiré et qu'il y avait des lésions importantes du cartilage du condyle fémoral interne aussi bien que du plateau tibial interne.
Par la suite, le membre inférieur droit sera immobilisé dans un cylindre plâtré pour quelques semaines. On note alors une atrophie du quadriceps au-dessus du pôle supérieur de la rotule.
À la demande de la Commission, le Dr Gauthier examine le travailleur en 1980 et relate que les suites opératoires furent normales. Cependant, le travailleur se plaint de gonflements intermittents, de faiblesses, de douleurs lui occasionnant des difficultés particulières pour grimper dans les échelles et les échafauds.
La Commission d'appel retient que le Dr Gauthier, médecin consulté par la Commission, était d'avis que le travailleur avait subi des dommages importants au cartilage articulaire du genou droit en plus de la perte du ménisque interne. Il recommande donc à la Commission de lui octroyer un taux de déficit anatomo- physiologique de 3 %.
Par ailleurs, le Dr Pierre Sabouret, orthopédiste, conclut, dans son expertise du 9 juillet 1996, que le travailleur présente un tableau pathologique qu'il identifie comme une aggravation d'une condition préexistante en relation directe avec la méniscectomie pratiquée en 1979, laquelle est reliée à l'accident du travail de 1978.
De la preuve médicale contenue au dossier, des différentes expertises et des spécialistes consultés ainsi que du témoignage du Dr Sabouret, orthopédiste, et du travailleur, la Commission d'appel estime que la pathologie présentée par le travailleur le 4 juin 1993 constitue une rechute, récidive ou aggravation de l'accident du travail survenu le 30 novembre 1978 ainsi que la méniscectomie pratiquée par le Dr Okayem le 23 mai 1979.
Pour la Commission d'appel, la preuve médicale au dossier est prépondérante et confirmée par les examens cliniques.
Selon la littérature médicale déposée à l'audition par le Dr Sabouret, une période de dix à quinze ans, constitue un délai habituel pour l'apparition de l'arthrose après une méniscectomie totale par arthrotomie. L'auteur Campbell écrit: «[...] LATE CHANGES AFTER MENISCECTOMY The normal meniscus is an extremely important structure in the normal function of the knee and should not be considered superfluous. The knee may function well without the meniscus, often for the rest of the patient's life, out late degenerative changes within the joint sometimes occur and the loss of the meniscus undoubledly plays some part in producing these changes.
In addition to the meniscus, numerous other factors such as joint alignment, laxity of the capsular or ligamentous structures, and incomplete rehabilitation of the musculature about the knee may influence long- term function. The studies of King, Cox, and others show that the meniscus has some function in protection of the articular cartilage of the tibial and femoral condyles. Studies of Walker and Erkman and Krause et al. on the force transmission and load-bearing properties of the menisci as well as its stabilizing function imply that removal of menisci contributes to late degenerative changes.
Tapper and Hoover (1969) found roentgenographic evidence of degeneration in 85% of knees after 10 years, Gear found these results in 62%, and Huckell in 56%. Fairband in a valuable study described three changes he had observed in the knee, alone or in combination, in patients at intervals ranging from 3 months to 14 years after meniscectomy: (1) an anteroposterior ridge projecting distally from the margin of the femoral condyle, (2) flattening of the peripheral half of the articular surface of the condyle, and (3) narrowing of thejoint space. Fairbank concluded that these changes were a result of the loss of the weight-bearing function of the meniscus, and he inferred therefore that meniscectomy of the meniscus, and he inferred therefore that meniscectomy can no longer be considered an entirely harmless procedure.
Appel in 1970 reported a large series in Sweden. In long-term follow-up a 10.9% incidence of degenerative arthritis in the meniscectomized knee was founc compared with 0.9% incidence in the unoperated knee.
Obviously some of these late degenerative changes are the result of the injury that produced the damage to the meniscus itself, especially when instability is created or when areas of degeneration of chondromalacia are produced by the tear before its excision.
Considerable evidence exists that meniscectomy is often followed by degenerative changes within the joint, but whether the injury, the damaged meniscus meniscus itself, or its excision led to the degenerative changes cannot be determined with certainty in most of these studies. Probably all of these factors and others have an influence.
[...]» Comme le Dr Sabouret, on peut donc penser «que n'eut été la méniscectomie, le genou droit aurait suivi une évolution beaucoup plus lente de son arthrose, comparable en cela à celle du genou gauche, qui n'a jamais empêché et n'empêche toujours pas le travailleur de fonctionner».
Le Dr Desautels est également du même avis que le Dr Sabouret lorsqu'il écrit, le 3 décembre 1993: «Il n'y a de nouveau fait accidentel, mais bien une progression d'une maladie dégénérative. Toutefois, puisque le patient a subi une méniscectomie interne en 1979, il s'agit ici d'un facteur d'aggravation.» Enfin, la Commission d'appel retient comme crédible les propos du travailleur qui affirme que les médecins lui ont dit «il faudrait un jour lui faire une prothèse totale du genou mais qu'il était trop tôt et qu'il devait patiemment attendre et qu'il n'y avait pour le moment rien à faire». C'est ainsi que le travailleur a pu continuer à faire son travail habituel de 1979 à 1993.
L'appel est donc accueilli.
Relativement à la réclamation formulée par le travailleur en 1995, la Commission n'a rendu aucune décision de sorte que la Commission d'appel n'est pas saisie de cette question. Il appartiendra à la Commission de statuer et au bureau de révision, le cas échéant.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES: ACCUEILLE l'appel du travailleur, M. Guy Barrette; INFIRME la décision rendue par le Bureau de révision de la région Montérégie le 24 mai 1995; DÉCLARE que le travailleur a été victime d'une lésion professionnelle le 4 juin 1993.
ROCK JOLICOEUR Commissaire Me Jean-Pierre Devost 475, Montée Masson, bureau 102 Mascouche [Québec] J7K 2L6 Représentant de la partie appelante PANNETON, LESSARD [Me André Breton] 25, boul. Lafayette, 5e Étage Longueuil [Québec] J4K 5B7 Représentant de la partie intervenante
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.