Commission scolaire Marie-Victorin |
2008 QCCLP 6211 |
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[1] Le 22 juin 2006, la Commission scolaire Marie-Victorin (l’employeur) exerce, par requête, un recours à l’encontre d’une décision rendue le 9 juin 2006 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.
[2] Cette décision confirme une décision rendue le 13 décembre 2005 par la CSST et détermine que le coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie par Serge Benoît (le travailleur), le 13 novembre 2004, doit être imputé au dossier financier de l’employeur.
[3] L’employeur est convoqué à une audience, à Longueuil, le 8 septembre 2008. Il est représenté. La Commission des lésions professionnelles a pris connaissance du dossier, entendu la preuve soumise ainsi que l’argumentation de l’employeur puis a délibéré.
OBJET DU RECOURS
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que l’accident subi par le travailleur est attribuable à un tiers et qu’il est injuste de lui en faire supporter les coûts.
PREUVE
[5] Le travailleur enseigne l’éducation physique à l’école Jacques-Rousseau. Il est également l’entraîneur chef de l’équipe de football de l’école. Cette équipe, de niveau juvénile, fait partie d’une ligue de calibre 3A de la Fédération québécoise du sport étudiant. Cette fédération établit les calendriers et supervise les parties.
[6] L’école Jacques-Rousseau offre un programme « sport-études » en football.
[7] L’horaire de travail du travailleur comporte 2160 minutes d’enseignement réparties sur neuf jours. Deux périodes de 75 minutes sont consacrées au football.
[8] Lors de la demi-finale de cette ligue pour une participation au Bol d’or, le samedi 13 novembre 2004, le travailleur est blessé lorsqu’il est frappé au genou par des joueurs qui complètent un jeu. Il décrit ainsi l’événement dans la réclamation :
Lors d’une partie de football un de nos joueurs courait le long des lignes avec le ballon. Il a été frappé par un joueur adverse et les deux joueurs ont roulés dans mon genou droit. J’étais évidemment dans la partie appropriée au entraîneur et à l’extérieur de la surface de jeu. […]
[9] Le travailleur subit une fracture du plateau tibial du genou droit. La CSST accepte la réclamation. Cette lésion professionnelle évolue mal et des complications se produisent.
[10] Le travailleur n’est pas rémunéré lors de cette activité. Ses dépenses sont cependant remboursées.
[11] Le coût imputé au dossier financier de l’employeur est de 468 511,51 $.
[12] L’employeur est classé dans l’unité 73010, « Services d’enseignement (sauf les universités ou les collèges d’enseignement général et professionnel, et sauf les étudiants en stage de tous niveaux) ».
[13] L’employeur demande une modification de l’imputation le 16 février 2005.
ARGUMENTATION
[14] L’employeur soumet que l’accident est attribuable à un tiers. Cela n’est pas remis en question par la CSST.
[15] L’employeur n’est cependant pas d’accord avec l’interprétation de la CSST lorsque vient le temps d’analyser la notion d’injustice.
[16] L’activité de l’employeur consiste à dispenser de l’enseignement. Au moment de l’événement, le travailleur n’effectue pas de l’enseignement. Il n’est pas en train de faire une démonstration. Le match de football ne correspond pas à l’activité économique de l’employeur. Il n’organise pas ces parties. Ce n’est pas une ligue qu’il gère. La Fédération québécoise du sport étudiant est responsable des activités de cette ligue.
[17] Selon la CSST, le fait d’être entraîneur d’une équipe le rend susceptible d’être blessé. Ce n’est pas exact, selon l’employeur. En tant qu’entraîneur, au cours d’une partie de football, il n’est pas usuel d’être blessé. Cela ne fait pas partie des risques de cette activité.
[18] L’employeur souligne les passages suivants de la décision rendue dans l’affaire Ministère des Transports[1] :
[320] Aussi, faut-il conclure que le recours au concept de risque inhérent (ou relié) aux activités de l’employeur pour apprécier l’effet juste ou injuste d’une imputation faite en vertu de la règle générale n’est pas seulement tout à fait approprié, mais qu’il s’impose.
[321] Le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail dont les causes ne relèvent pas des risques particuliers inhérents ou reliés à l’ensemble des activités de l’employeur de l’accidenté devrait être imputé à d’autres, car l’application de la règle générale en de telles circonstances produirait un effet injuste.
[322] La notion de risque inhérent doit cependant être
comprise selon sa définition courante, à savoir un risque lié d’une manière
étroite et nécessaire aux activités de l’employeur ou qui appartient
essentiellement à pareilles activités, en étant inséparable (essentiel,
intrinsèque…)215. On ne doit donc pas comprendre cette notion comme
englobant tous les risques susceptibles de se matérialiser au travail, ce qui
reviendrait en pratique à stériliser le deuxième alinéa de l’article
[323] Certes, ayant entraîné une lésion professionnelle, les circonstances entourant l’accident correspondent à l’événement imprévu et soudain survenu par le fait ou à l’occasion du travail dont parle la loi. À ce titre, elles recelaient nécessairement un certain potentiel de risque, la meilleure démonstration en étant que ledit risque s’est effectivement réalisé par le fait ou à l’occasion du travail.
[324] Force est cependant de reconnaître, à la lumière de nombreux litiges soumis à la Commission des lésions professionnelles au fil des ans, que le critère des risques inhérents, tout approprié soit-il, ne permet pas à lui seul la résolution satisfaisante de toutes les situations.
[325] En effet, lorsqu’une lésion professionnelle survient dans des circonstances inhabituelles, exceptionnelles ou anormales, la stricte application du critère des risques inhérents aux activités de l’employeur est inadéquate et même injuste.
[326] De par leur caractère inusité, ces circonstances ne sont pas le reflet fidèle de l’expérience associée au risque découlant des activités de l’employeur, car elles se situent nettement en dehors de ce cadre.
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215 À ce sujet, voir Petit Larousse illustré, éditions Larousse, Paris, 207, p. 582; le nouveau Petit Robert, éditions Le Robert, Paris, 2008, p. 1332.
[19] L’employeur propose donc de considérer les circonstances particulières de l’événement, alors que le travailleur ne dispense pas de l’enseignement, qu’il dirige une équipe sportive et que l’événement en soi, toutes autres circonstances mises à part, est inusité.
[20] Il soumet de plus la décision Transports M.J. Lavoie inc.[2] dans laquelle une distinction est établie avec la décision Ministère des Transports[3]. En effet, dans la première décision, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la seule démonstration que l’accident est attribuable à un tiers justifie la modification de l’imputation du coût de cet accident.
MOTIFS
[21] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu d’imputer aux employeurs de toutes les unités de classification le coût des prestations dues en raison de l’accident du travail survenu au travailleur le 13 novembre 2004.
[22] Les dispositions pertinentes de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[4] (la loi) se lisent comme suit :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
[23] La demande de l’employeur a été produite dans les délais prévus par la loi.
[24] En l’instance, la Commission des lésions professionnelles est d’avis de retenir l’interprétation proposée dans la décision Ministère des Transports plutôt que celle proposée dans la décision Transport M.J. Lavoie inc.
[25] En effet, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la présence du mot « injustement », dans le second paragraphe de l’article 326, doit avoir une signification. S’il avait suffit que l’accident du travail soit attribuable à un tiers pour modifier l’imputation, alors ce mot n’aurait pas été nécessaire. Or, il est bien connu que le législateur n’est pas censé parler (écrire) pour ne rien dire.
[26] Il n’est pas remis en question que l’élève est un tiers au sens de cette disposition de la loi :
[276] Les soussignés estiment qu’est donc un « tiers » au
sens de l’article
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201 Cette description des « collègues de
travail » s’inspire des termes utilisés au paragraphe introductif de la
définition de travailleur énoncée à l’article
[27] Reste à déterminer s’il est injuste de faire supporter à l’employeur le coût de cet accident du travail.
[28] La décision Ministère des Transports propose d’examiner plusieurs facteurs pour déterminer si l’imputation au dossier de l’employeur est injuste lorsque l’accident du travail est attribuable à un tiers :
- les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient ;
- les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, règlementaire ou de l’art;
- les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.
[29] L’événement à l’origine de l’accident du travail subi par le travailleur se situe à la périphérie, sinon hors des risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur. Le travailleur, professeur d’éducation physique, ne fait pas alors la démonstration d’une technique, d’un mouvement ou d’un exercice. Il serait clairement dans l’exercice de ses fonctions d’enseignant. L'employeur assumerait alors les risques inhérents à ces activités. Ce ne serait pas injuste d’imputer le coût d’un accident du travail survenant dans ces circonstances, s’il est attribuable à un tiers.
[30] On ne peut oublier que l’école offre un programme de « sport-études » et que le travailleur est entraîneur chef d’une équipe de football composée d’étudiants. Cela s’inscrit dans le projet éducatif de l’école.
[31] Cependant, compte tenu des facteurs énumérés dans la décision Ministère des Transports, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que les circonstances dans lesquelles survient l’accident du travail sont inusitées et improbables. En effet, les probabilités qu’un semblable accident survienne sont minimes. L’événement, en soi, est exceptionnel.
[32] L’employeur a donc démontré que l’accident du travail survenu le 13 novembre 2004 est attribuable à un tiers et qu’il est injuste de lui en faire supporter le coût.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de la Commission scolaire Marie-Victorin, l’employeur;
INFIRME la décision rendue le 9 juin 2006 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le coût des prestations versées en raison de l’accident du travail survenu à Serge Benoît, le 13 novembre 2004, doit être imputé aux employeurs de toutes les unités de classification.
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Richard L. Beaudoin |
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Me Claire Gauthier |
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Aubry, Gauthier, avocats |
Représentante de la partie requérante
[1] Ministère des Transports et Commission de la santé et de la sécurité du
travail, CLP
[2] CLP
[3] Précitée, note 1.
[4] LRQ, c. A-3.001.
[5] Précitée, note 1.
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