Décision

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97171031 C A N A D A
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE MONTRÉAL

                TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE


Dossier: 500-53-000061-968

SOUS LA PRÉSIDENCE DE:
L'HONORABLE MICHAEL SHEEHAN

AVEC L'ASSISTANCE DES ASSESSEURS:
Me Diane Demers
Me Claude Fortin



DATE: 19970616




                    COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, personne morale de droit public constituée en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., c. C-12), ayant son siège au 360, rue Saint- Jacques ouest à Montréal (Québec) H2Y 1P5, agissant en faveur de madame Isabelle Guimont

                    

                    Représentée par Me Hélène Tessier

                    (COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE)

                    

                    Partie demanderesse

                    

                    c.

                    

                    2632-1661 QUÉBEC INC., ayant fait affaires sous le nom de RESTAURANT LA COURTISANE, corporation légalement constituée, ayant son siège social au 9900, rue Colbert à Anjou (Québec) H1J 2J2.

                    

                    et

                    

                    PIETRO TURCO et ANDRÉE TURCO, domiciliés et résidant au 10905, rue Plaza à Montréal-Nord (Québec) H1H 4M7.

                    

                    Représentés par Me Luciana D'Amore

                    

                             Parties défenderesses

                    

                    

                    Audience tenue à Montréal le 14 mai 1997

J U G E M E N T


[1]La Commission des droits réclame de la compagnie numérotée, de son propriétaire et dirigeant, monsieur Turco et de son employée, madame Turco, pour le compte de madame Guimont 4 417,50$ en dommages compensatoires en raison d'un congédiement survenu en septembre 93 et qui serait relié à son sexe.

LES QUESTIONS

[1]Ce litige soulève les questions suivantes:

          Le délai de 38 mois encouru entre le dépôt de la plainte à la Commission des droits et le dépôt de la demande au Tribunal entraîne-t-il le rejet de la demande?


          Existe-t-il un lien entre le congédiement de madame Guimont survenu le 10 septembre 93 et son sexe?


          Dans l'affirmative, quelle serait l'indemnité due à madame Guimont?


LES FAITS

[1]À compter de 87, la compagnie numérotée exploite le restaurant La Courtisane, rue Colbert à Anjou. Monsieur Turco est le seul actionnaire et administrateur de la compagnie. Il agit à titre de cuisinier et son épouse, madame Turco, s'occupe de tout le reste, sauf la cuisine. Quatre serveuses travaillent au restaurant: madame Turco, madame Guimont ainsi que Lynda et Chantale Grosseau.
[2]À compter de mars 92, le restaurant subit une baisse de clientèle en raison d'une compétition de plus en plus grande de la part de brasseries et d'autres restaurants dans les environs. Certains de ces restaurants engagent des serveuses dont l'habillement est décrit comme étant de type "sexy".
[3]Pour mieux concurrencer ces établissements et suite à des avertissements du propriétaire locateur de l'immeuble, monsieur et madame Turco décident d'apporter des changements au niveau des opérations du restaurant. Ces changements visent la décoration intérieure, une enseigne lumineuse à l'extérieur et l'habillement des serveuses. Après diverses discussions préliminaires, madame Turco informe madame Guimont et les deux soeurs Grosseau de la décision du changement concernant leur habillement. On désirait des jupes plus courtes, des hauts moulants et des souliers à talons hauts.
[4]La première réaction de madame Guimont est "qu'elle n'a pas envie de se déshabiller pour travailler". Elle se dit par ailleurs qu'elle acceptera ce que les autres accepteront. Les deux soeurs Grosseau ne sont pas enthousiastes, mais voulant conserver leur emploi, ne refusent pas les changements.
[5]Dans le cadre des changements proposés, madame Turco décide qu'elle cessera d'agir à titre de serveuse et qu'elle selimitera à exécuter ses autres fonctions dans le restaurant. En conséquence, mercredi le 8 septembre 93, on fait publier une offre d'emploi dans les annonces classées indiquant qu'une serveuse avec expérience est demandée pour travailler de jour. On demande aux candidates de se présenter à l'adresse du restaurant entre 16h00 et 18h00. Vendredi le 10 septembre 93, on annonce aux serveuses que leur changement vestimentaire débutera le lundi suivant et monsieur Turco décide de les informer à tour de rôle qu'elles sont convoquées à une réunion pour le lendemain, samedi le 11 septembre.
[6]Lorsque monsieur Turco parle du changement à madame Guimont, une discussion s'ensuit avec le résultat qu'elle est informée sur le champ de son congédiement immédiat. Elle demande de recevoir ses deux semaines d'avis et monsieur Turco l'avise que cela ne représente aucun problème. Pour remplacer madame Guimont en plus de madame Turco comme serveuses, deux remplaçantes au lieu d'une sont convoquées à la réunion du lendemain.
[7]Samedi le 11 septembre 93, monsieur et madame Turco rencontrent les deux soeurs Grosseau ainsi que la remplaçante de madame Turco et la remplaçante de madame Guimont pour leur expliquer le changement vestimentaire des serveuses qui entrera en vigueur dès le lundi suivant. Madame Guimont n'est pas convoquée à la réunion et elle n'est pas présente.
[8]Lundi le 13 septembre 93, madame Guimont se présente au restaurant en tenue vestimentaire habituelle. Elle invoque ses droits en vertu de la Loi sur les normes du travail, elle exige son préavis et attend son certificat de cessation d'emploi.
[9]Dans les jours qui suivent, madame Guimont dépose une plainte à la Commission des droits invoquant un congédiement discriminatoire fondé sur le sexe. Le 2 août 96, la Commission des droits décide de soumettre sa plainte au Tribunal et le 29 novembre 96, la demande est signifiée.
LES MOTIFS
[1]À l'encontre de la demande, la compagnie numérotée ainsi que monsieur et madame Turco prétendent qu'il s'est écoulé un délai déraisonnable dans le traitement du dossier, de nature à préjudicier à leurs droits et justifier le rejet de la demande; que madame Guimont a refusé toute discussion et collaboration concernant un changement vestimentaire; que par son insubordination, elle fut l'artisane de son propre malheur; que sa perte d'emploi ne repose aucunement sur son physique ni sur un geste discriminatoire interdit par la Charte des droits.
[1]Pour les raisons ci-après indiquées, ces prétentions sont mal fondées.
[2]La Charte des droits et libertés prévoit que toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation(1)
. La Charte prévoit par ailleurs que toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence, fondée sur le sexe et ajoute qu'il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit(2) .
[3]La Charte prévoit également que nul ne peut exercer de discrimination dans l'embauche, l'apprentissage, la durée de la période de probation, la formation professionnelle, la promotion, la mutation, le déplacement, la mise à pied, la suspension, le renvoi ou les conditions de travail d'une personne ainsi que dans l'établissement de catégories ou de classifications d'emploi(3)
. Enfin, la Charte prévoit qu'une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la Charte, confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte(4) .
[4]Cette protection accordée par la Charte québécoise, à la sauvegarde de la dignité de chaque être humain ainsi qu'à la reconnaissance et à l'exercice en pleine égalité de ce droit à la dignité, s'inspire d'objectifs et de standards communs énoncés à de multiples reprises par les Etats membres des Nations Unies et par la communauté internationale. Dès 48, la Déclaration universelle(5)
énonçait au premier alinéa de son préambule, que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde. En 67, dans la Déclaration des Nations Unies sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes(6) , on indique que la discrimination à l'égard des femmes, du fait qu'elle nie ou limite l'égalité des droits de la femme avec l'homme, est fondamentalement injuste et constitue une atteinte à la dignité humaine.
[5]En 79, dans la Convention du même nom(7)
, on rappelle que la discrimination à l'encontre des femmes viole les principes de l'égalité des droits et du respect de la dignité humaine, qu'elle entrave la participation des femmes, dans les mêmes conditions que les hommes, à la vie politique, sociale, économique, culturelle de leur pays, qu'elle fait obstacle à l'accroissement du bien-être de la société et de la famille et qu'elle empêche les femmes de servir leur pays et l'humanité dans toute la mesure de leurs possibilités. Selon la Convention(8) , les Etats parties s'engagent à prendre les mesures appropriées pour modifier les schémas et modèles de comportement socioculturel de l'homme et de la femme en vue de parvenir à l'élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l'idée de l'infériorité ou de la supériorité de l'un ou l'autre sexe ou d'un rôle stéréotypé des hommes et des femmes. Cette Convention fut signée par le Canada en juillet 80 et ratifiée en décembre 81. En octobre 81, le Québec y a donné son adhésion.
[6]Pour sa part, le professeur Schabas(9)
rappelle que la toute première phrase de l'article premier de la Déclarationuniverselle(10) énonce que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Il cite le professeur Cohen(11) qui rappelle à son tour, que l'interdiction de discrimination et le droit à l'égalité sont au c?ur de la reconnaissance de la dignité humaine.
[7]La première prétention invoquée par la compagnie numérotée et par monsieur et madame Turco est que le délai encouru dans le traitement de ce dossier, du dépôt de la plainte en septembre 93 au dépôt de la demande en novembre 96, est déraisonnable; qu'il est de nature à préjudicier à leurs droits et qu'il justifie le rejet de la demande. Cette prétention est mal fondée.
[8]Le Tribunal n'est pas appelé à exercer un pouvoir discrétionnaire. D'autre part, tel que récemment énoncé dans Ville de Lachine
(12)
, cette question doit se décider selon les circonstances de chaque cas.
[9]À part d'invoquer la question de principe que soulève l'écoulement du long délai de quelque 38 mois, entre le dépôt de la plainte et le dépôt des procédures devant le Tribunal, la compagnie numérotée ainsi que monsieur et madame Turco n'invoquent aucun préjudice spécifique. Le délai écoulé ne les a pas empêchés de produire un témoin quelconque, ni de faire valoir quelque moyen que ce soit à l'encontre de la demande.
[10]Dans l'arrêt Belloni
(13)
, la Cour fédérale en appel, souligne que l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés ne s'applique pas aux procédures à caractère non pénal relevant de la législation relative aux droits de la personne et qu'il ne sert à rien d'invoquer à cet égard l'article 11 de la Charte canadienne qui reconnaît, pour les personnes accusées d'infractions criminelles, le droit d'être jugées dans un délai raisonnable. On ajoute par ailleurs, qu'un délai de procédure qui n'est pas causé par le requérant peut donner lieu à une interdiction s'il empêche le Tribunal de remplir correctement son mandat législatif conformément aux principes de justice naturelle. Le même raisonnement fut appliqué par la Cour d'appel du Manitoba dans l'arrêt Nisbett(14) . Le Tribunal partage cette façon de voir les choses.
[11]Par ailleurs, dans Bizouarn
(15)
, le Tribunal a déjà rappelé l'importance d'un règlement rapide des plaintes en matière de droits et libertés de la personne. Si les gestes reprochés sont graves, et qu'on estime qu'ils sont inacceptables dans une société civilisée, il ne faut pas les traiter comme des gestes sans conséquence. Dans un dossier où les faits sont relativement simples et peu contestés, un cheminement qui conduit au dépôt de procédures quelque 44 mois après le dépôt d'une plainte à la Commission des droits est difficilement compréhensible.
[1]Dans Bizouarn, le Tribunal référait aux propos de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Large(16)
. Dans cet arrêt, monsieur Large, un policier de la Ville de Stratford en Ontario, conteste en 81, une retraite obligatoire imposée à l'âge de 60 ans. Au moment où la Cour suprême du Canada dispose finalement de son cas, monsieur Large est âgé de 75 ans. En soulignant qu'un tel délai est inacceptable, la Cour suprême dit:
         "Enfin, il convient de faire remarquer que la plainte a été examinée plus de neuf ans après la mise à la retraite de l'intimé Large et plus de huit ans après son dépôt. Les procédures d'appel se sont étalées sur cinq autres années. Les délais dans les procédures en matière de droits de la personne, qui portent souvent sur l'emploi ou sur le logement, peuvent avoir des conséquences graves pour le demandeur. Dans les cas qui touchent l'emploi, la réintégration est souvent la réparation demandée. Un délai de plusieurs années peut être préjudiciable en raison de la difficulté que subit le demandeur à l'emploi duquel il est mis fin et, dans les cas de discrimination fondée sur l'âge, peut nuire à la possibilité d'apporter la réparation. Par exemple, s'il était nécessaire d'envisager la réintégration comme réparation en l'espèce, nous serions devant un demandeur maintenant âgé de 75 ans. Compte tenu du fait que les lois sur les droits de la personne visent à fournir une méthode prompte et relativement peu coûteuse de résoudre les plaintes, le délai dans la présente affaire est particulièrement alarmant."



[1]Le Tribunal partage pleinement cet énoncé. Tout en faisant place à la conciliation et les tentatives de règlement, les plaintes en matière des droits de la personne doivent se résoudre promptement.
[1]La deuxième prétention de la compagnie numérotée et de monsieur et madame Turco, est que le congédiement de madame Guimont résulte de sa propre insubordination et qu'il ne repose aucunement sur ses caractéristiques physiques. Cette prétention est mal fondée.
[2]D'abord, une remarque préliminaire. Le Tribunal conclut que madame Guimont n'a fait preuve d'aucune insubordination. Par ailleurs, si par hypothèse, madame Guimont avait opposé un refus catégorique au changement vestimentaire proposé pour les serveuses, cela ne changerait rien à la situation.
[3]Le Tribunal est conscient que les propriétaires de restaurants travaillent dans des conditions difficiles. La compétition est vive et les coûts d'exploitation sont élevés. En plus d'être difficile et exigeante, la clientèle se fait rare. De surcroît, dans le cas présent, la compagnie numérotée avait accumulé des arrérages de loyer de quelque 47 000$.
[4]Il n'en demeure que la solution à cette pénible situation ne peut être de déshabiller les serveuses ni de les faire parader devant les clients, vêtues de manière à mettre en évidence leurs attributs et leurs caractéristiques sexuelles. Des exigences économiques ne peuvent justifier une discrimination ni une atteinte quelconques à des droits fondamentaux. Dans le cas présent, aucune tentative n'a été entreprise pour démontrer ni même prétendreque l'exclusion de madame Guimont était fondée sur les exigences de son emploi
(17)
.
[5]Madame Guimont a toujours été reconnue comme étant une employée appréciée. En septembre 93, elle travaillait au restaurant depuis au-delà d'un an et rien n'indique qu'on se soit plaint d'une manière quelconque de sa performance. Par ailleurs, toutes les serveuses étaient quelque peu réticentes quant au changement vestimentaire proposé. Pour sa part, madame Guimont a toujours été disposée à accepter le changement vestimentaire qu'accepteraient les autres serveuses.
[6]La version de madame Guimont à cet égard est confirmée par les deux autres serveuses, Lynda Grosseau et sa s?ur Chantale. On reproche à madame Guimont d'avoir refusé toute discussion relativement au changement de tenue vestimentaire des serveuses. Pourtant, on l'a congédiée vendredi le 10 septembre 93 alors qu'on avait cédulé avec les autres serveuses, une réunion de discussions pour le lendemain, samedi le 11 septembre. Le Tribunal n'attache aucune crédibilité à la version de monsieur Turco à l'effet qu'il "n'a pas eu le temps" d'inviter madame Guimont à cette réunion.
[7]De l'ensemble des témoignages, le Tribunal retient que durant la semaine du 6 septembre et lors de la réunion du 11 septembre 93, monsieur et madame Turco ont tous deux émis des remarques à l'effet que madame Guimont n'avait pas les attributs physiques pour porter la jupe plus courte et le haut moulant que représentait le changement vestimentaire prévu pour les serveuses. Le Tribunal conclut que le congédiement de madame Guimont résulte non pas de son insubordination, mais du fait que monsieur et madame Turco avaient décidé que madame Guimont ne possédait pas les attributs physiques requis pour porter avantageusement la nouvelle tenue vestimentaire des serveuses.
[8]La troisième prétention de la compagnie numérotée et de monsieur et madame Guimont, est que si l'exclusion dont madame Guimont fut l'objet est basée sur ses attributs physiques, cette exclusion ne représente pas une discrimination fondée sur le sexe ni une discrimination interdite par la Charte
. Cette prétention n'est pas fondée.
[9]La preuve révèle que le restaurant La Courtisane faisait face depuis mars 92 à une baisse de clientèle. Cette baisse de clientèle résultait en grande partie d'une compétition de la part de brasseries et d'autres restaurants dans les environs qui avaient engagé des serveuses dont l'habillement était décrit comme étant de type "sexy". Diverses solutions furent envisagées par monsieur et madame Turco pour concurrencer ces établissements. L'aspect central des changements retenus était la tenue vestimentaire "plus sexy" des serveuses. L'objectif de ce changement était justement de mettre en évidence, pour la clientèle majoritairement masculine du restaurant, les attributs physiques et les caractéristiques sexuelles des femmes serveuses.
[10]Il est difficile d'imaginer dans de telles circonstances, comment on pourrait prétendre que l'exclusion de madame Guimont n'est pas une forme de discrimination fondée sur le sexe. Le Tribunal considère qu'il serait presque superflu d'invoquer les principes émis à cet égard par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Brooks(18)
où l'on concluait que la discrimination fondée sur la grossesse constitue une forme de discrimination fondée sur le sexe.
[11]Il y a des gens qui pensent qu'une personne n'est pas une femme à moins de rencontrer l'image stéréotypée qu'ils ontdes femmes. Pour eux, une femme est une personne dont les attributs physiques et les caractéristiques sexuelles sont particulièrement évidents. À l'inverse, ces mêmes gens vont jusqu'à croire que les personnes qui ne sont pas ainsi pourvues, ne sont pas des "vraies femmes". Cette façon de voir repose sur des préjugés et des stéréotypes; elle conduit à une forme de discrimination fondée sur le sexe. Si un employé était exclu d'un emploi parce qu'il n'était pas "suffisamment blanc", "suffisamment catholique" ou "suffisamment français", personne ne contesterait le lien entre son exclusion et sa couleur, sa religion ou son origine ethnique ou nationale.
[12]La dignité inhérente dont chaque être humain est investi, fait partie de son riche héritage à titre d'enfant de la famille humaine. Cette dignité, universellement reconnue, découle entre autres, du fait que chaque être humain a pour mission sacrée de faire librement et quotidiennement une foule de choix qui conduisent éventuellement à son épanouissement.
[13]Lorsqu'on impose à une personne, pour conserver son emploi de serveuse dans un restaurant, de se parader devant les clients, vêtue d'un habillement dont l'objectif exclusif est de mettre en évidence ses attributs physiques et ses caractéristiques sexuelles, on brime sa liberté et on porte atteinte à sa dignité.
[14]En raison de son congédiement, madame Guimont a subi une perte de salaire et de pourboires durant neuf semaines. Sa perte à cet égard totalise 1 088,50$. Par ailleurs, le congédiement et l'exclusion dont elle fut l'objet ont porté atteinte à sa confiance et à son estime de soi, en plus de l'amener à se remettre en question. Le Tribunal conclut que madame Guimont a subi une atteinte à sa dignité et au respect dont elle avait droit à la fois comme employée et comme être humain.
[15]La Commission des droits réclame une indemnité de 3 000$ à titre de dommages moraux. Bien que ce montant ne soit pas exagéré, le Tribunal, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de ce cas, conclut qu'il serait juste et équitable de fixer les dommages moraux de madame Guimont à 2 500$.
[16]En conséquence, la demande doit être accueillie jusqu'à concurrence de 3 588,50$.
[17]      PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

          CONDAMNE les parties défenderesses conjointement et solidairement à verser à la partie demanderesse, pour le bénéfice de madame Isabelle Guimont, 3 588,50$ avec intérêt et l'indemnité additionnelle prévue au Code civil depuis le 23 septembre 96;

          LE TOUT avec dépens.



          MICHAEL SHEEHAN, Juge au Tribunal des droits de la personne


1.       Charte des droits et libertés de la personne du Québec, L.R.Q. c. C-12, art. 4

2.       Voir supra note 1, art. 10

3.      Voir supra note 1, art. 16

4.      Voir supra note 1, art. 49

5.       Déclaration universelle des droits de l'homme, Assemblée Générale des Nations Unies, Résolution 217 A (III), 10 décembre 1948, préambule

6.      Déclaration sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, Assemblée Générale des Nations Unies, Résolution 2263 (XXII), 6 novembre 1967, art. 1

7.      Convention sur l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard des femmes, Assemblée Générale des Nations Unies, Résolution 34/180, 18 décembre 1979, préambule

8.       Voir supra note 7, art. 5

9.      SCHABAS, Professeur William A., International Human Rights Law and The Canadian Charter, 2ed, Carswell, 1996, p. 206

10.      Voir supra note 5

11.      COHEN, Professeur Maxwell, Towards a Paradigm of Theory and Practice: The Canadian Charter of Rights and Freedoms - International Law Influences and Interactions, [1986] C.H.R.Y., p. 67

12.      C.D.P. c. Ville de Lachine & Al, T.D.P. Montréal: 500-53-000052-967, hon. Michèle Rivet, 25 février 97

13.       Belloni c. Lignes aériennes Canadien International ltée, D.T.E. 96T-338

14.      Nisbett c. Manitoba (Human Rights Comm.), [1993] 18 C.H.R.R. D/504 (Man. C.A.)

15.      C.D.P.Q. c. Bizouarn & Als, J.E. 96-144

16.      Large c. Stratford (Ville de), [1995] 3 R.C.S. 733

17.       Voir supra note 1, art. 20

18.            Brooks c. Canada Safeway Ltd, [1989] 1 R.C.S. 1219

AVIS :
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