Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Fortin et Pêches et Océans Canada

2014 QCCLP 2196

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saguenay

4 avril 2014

 

Région :

Saguenay-Lac-Saint-Jean

 

Dossier :

516938-02-1307

 

Dossier CSST :

140829821

 

Commissaire :

Réjean Bernard, juge administratif

 

Membres :

Rodrigue Lemieux, associations d’employeurs

 

Louise Gauthier, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Stéphane Fortin

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Pêches et Océans Canada

Emploi et Développement social

Canada

 

Parties intéressées

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 11 juillet 2013, monsieur Stéphane Fortin (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), le 17 juin précédent, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme la décision initiale qu’elle a rendue le 7 mai 2013. Elle déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle et qu’il doit rembourser la somme de 920,06 $.

[3]           L’audience s’est tenue à Saguenay, le 22 novembre 2013, en présence du travailleur et de son avocat. Le représentant de Pêches et Océans Canada (l’employeur) a informé le tribunal de son absence à l’audience et Emploi Développement Social Canada n’est pas représenté.

[4]           À l’audience, le procureur du travailleur s’est engagé à produire, au plus tard le 20 décembre 2013, les notes de consultation de la Dre Guylaine Lavoie de même que celles de l’orthopédiste, le Dr Louis-René Bélanger. Ces documents n’ayant pas été transmis dans le délai prescrit, l’avocat du travailleur s’est à nouveau engagé, le  8 janvier 2014, à les transmettre au plus tard le 28 février 2014. Ces documents n’ayant pas été déposés dans le délai imparti, le 18 mars, le tribunal adresse une lettre à l’avocat du travailleur l’avisant, qu’à défaut de la transmission d’une communication de sa part, le dossier sera pris en délibéré le 21 mars 2014.

[5]           Le procureur du travailleur ne s’étant pas manifesté et aucun des documents qu’il s’était engagé à transmettre, après la tenue de l’audience, n’ayant été produit, la cause est prise en délibéré le 21 mars 2014.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[6]           Le travailleur demande au tribunal de reconnaître qu'il a subi un accident du travail en lien avec une déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite.  

L’AVIS DES MEMBRES

[7]           Les membres issus des associations d’employeurs et syndicales sont d’avis que la présomption de lésion professionnelle doit trouver application dans la présente affaire. Il y a donc lieu d’accueillir la requête du travailleur.  

LES FAITS ET LES MOTIFS

[8]           Le travailleur est mécanicien sur les navires de Pêches et Océans Canada. Au mois de mars 2013, il est affecté sur le brise-glace Des Groseillers.

[9]           Le 18 mars 2013, le travailleur effectue des réparations à la suite du débordement d’une laveuse à linge. Il démonte une section de tuyaux fixée à un plafond en maniant, les bras en élévation, divers outils dont une clé à tuyau (pipe wrench) d’un poids de 20 livres.   

[10]        Une douleur est apparue à l’épaule droite se manifestant par une sensation de chaleur. Le travailleur complète son quart de travail. Il prend ensuite un analgésique et applique de la glace.

[11]        Le lendemain, le travailleur informe son supérieur immédiat d’une douleur ressentie à l’épaule, et deux ou trois jours plus tard, le chef mécanicien lui recommande de débarquer au prochain port, ce qu’il fait le 23 mars 2013. Un arrêt de travail s’en est suivi, lequel a pris fin vers la mi-octobre 2013.

[12]        Les 26 mars et 5 avril 2013, le travailleur adresse deux réclamations à la CSST concernant un même événement survenu le 18 mars précédent.

[13]        Le 28 mars 2013, le travailleur consulte le Dr Claude Déry, lequel diagnostique une capsulite à l’épaule droite. Le médecin recommande des traitements de physiothérapie et la prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens et demande qu’une résonance magnétique soit effectuée.

[14]        Le 16 avril 2013, la Dre Guylaine Lavoie remplit un rapport médical et soupçonne la présence d’une déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite.  Le 30 avril suivant, elle mentionne un état stationnaire.

[15]        Le 27 avril 2013, une résonance magnétique de l’épaule droite est réalisée. Le DRené Kanza-Epunza, radiologiste, indique dans la section opinion : « Image suggestive donc d’une déchirure partielle de grade sévère de la coiffe des rotateurs, en particulier, les tendons du muscle sus-épineux. »

[16]        Le 7 mai 2013, la CSST rejette la réclamation du travailleur et cette décision est confirmée, le 17 juin suivant, à la suite d'une révision administrative.

[17]        Le 15 juillet 2013,  la Dre Lavoie mentionne un état stable dans son rapport médical, puis, le 15 août suivant, un état amélioré, pièce T-2.

[18]        Le 21 août 2013, Dre Lavoie diagnostique une déchirure partielle de la coiffe des rotateurs. Le 26 août suivant, elle remplit un rapport final et consolide ce même jour une déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite et autorise un retour au travail, pièce T-2.

[19]        Le travailleur admet avoir déjà eu un problème relié à une tendinite à l’épaule droite pour lequel, une réclamation à la CSST a été refusée en 2010. Cette pathologie a entraîné des traitements physiothérapiques sans pour autant qu’il y ait arrêt de travail.

[20]        Dans la présente affaire, le tribunal doit déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle. Il appert que celui-ci est un agent de l’État fédéral. Son droit à une indemnité en raison d’une lésion professionnelle est régi par la Loi sur l'indemnisation des agents de l'État (LAIÉ)[1]. L’article 4 de cette loi prévoit qu’un agent de l’État « blessé dans un accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail » ou ayant contracté une maladie professionnelle a droit à une indemnité, laquelle est déterminée conformément à la législation de la province où l’agent exerce habituellement ses fonctions, soit en l’espèce la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi). En conséquence, un agent de l’État fédéral qui exerce ses fonctions au Québec bénéficie de la protection de la loi québécoise.

[21]        En regard de la preuve présentée, la Dre Lavoie s’avère être la médecin ayant pris charge du travailleur au sens de l’article 224 de la loi.

224.  Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.

__________

1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.

 

 

[22]        Le diagnostic de déchirure de la coiffe des rotateurs à l’épaule droite posé par la Dre Lavoie n'ayant pas été contesté selon la procédure d’évaluation médicale, le tribunal est lié par celui-ci.

[23]        Dans la présente affaire, il n’est aucunement prétendu par le travailleur ni soutenu par la preuve que la lésion alléguée puisse résulter d’une maladie professionnelle ni d'une récidive, rechute ou aggravation d'une lésion antérieure. En conséquence, le tribunal analyse la preuve soumise en regard de la notion d’accident du travail, telle que définie à l’article 2 de la loi québécoise étant donné que cette notion est similaire à celle définie dans la loi fédérale[3].

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

 

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

[24]        Afin de faciliter la présentation d’une telle preuve, le législateur québécois prévoit, à l’article 28, une présomption de lésion professionnelle. 

28.  Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 28.

[25]        Jusqu’à récemment, une lourde tendance jurisprudentielle prônait l’inapplicabilité de cette présomption en faveur d’un agent de l’État fédéral[4]. Or, à la suite d’une décision rendue par la Cour suprême du Canada[5], il appert que le législateur fédéral n’a pas précisé à l’article 4 de la LIAÉ les critères d’admissibilité en matière d’accident du travail et que ceux-ci peuvent être déterminés par les législatures dans la mesure où ces critères n’entrent pas en conflit avec les dispositions de la loi fédérale.

[26]        En l’occurrence, l’article 28 de la loi québécoise apporte des modalités au processus d’admissibilité d’un accident du travail sans pour autant contrevenir au texte de la loi fédérale; la présomption de lésion professionnelle est donc applicable à un agent de l’État fédéral. D’ailleurs, aux fins de son argumentation, la juge Karakatsanis cite deux décisions de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse où il est décidé que la présomption prévue dans la loi néo-écossaise[6] en matière d’accidents du travail s’applique aux agents de l’État fédéral.

[27]         Le libellé de l’article 28 de la loi québécoise comporte trois conditions, lesquelles doivent être remplies pour que la présomption de lésion professionnelle trouve application :

i)             la présence d’une blessure;

ii)            laquelle doit être survenue sur les lieux du travail;

iii)           alors que le travailleur était à son travail.

[28]        En premier lieu, le tribunal retient que le diagnostic de déchirure de la coiffe des rotateurs constitue une blessure.

[29]        Dans un second volet, il appert que les délais de déclaration à l’employeur et de consultation médicale ne sont pas suffisants, en l’espèce, pour mettre en doute que l’événement d’origine est survenu sur les lieux du travail alors que le travailleur accomplissait ses tâches. En effet, le travailleur a témoigné de façon crédible et il a fourni des explications plausibles aux questions qui lui ont été posées relativement à la survenance de l’événement sur les lieux du travail alors qu’il était au travail. D’ailleurs, son témoignage n’est pas contredit. En conséquence, la présomption de lésion professionnelle trouve application en faveur du travailleur.

[30]        Il incombe alors à l’employeur de renverser l’application de cette présomption au moyen d’une preuve prépondérante. Aucune preuve n'a cependant été présentée en ce sens.

[31]        En conséquence, le tribunal retient que le travailleur a subi un accident du travail, le 18 mars 2013, ayant causé une déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de monsieur Stéphane Fortin, le travailleur;

INFIRME la décision rendue, le 17 juin 2013, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur a subi une lésion professionnelle, le 18 mars 2013, en lien avec une déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite;

DÉCLARE que le travailleur a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

 

 

Réjean Bernard

 

 

 

 

 

M. Marc Caissy

F.A.T.A

Représentant de la partie requérante

 

 

 



[1]          L.R.C. (1985) c. G-5.

[2]           RLRQ, c. A-3.001.

[3]           Article 2 de la LIAÉ : « Sont assimilés à un accident tout fait résultant d’un acte délibéré accompli par une autre personne que l’agent de l’État ainsi que tout événement fortuit ayant une cause physique ou naturelle. »

[4]           Lapierre c. Société canadienne des postes, C.A.M. 500-09-010476-0000, 4 février 2003, jj. Rothman, Rousseau-Houle, Dalphond, requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 17 juillet 2003;

Voir également :

            Chouinard et Ministère de la Défense nationale et RHDCC Direction travail, C.L.P. 393991-07-0911, 7 juillet 2010, S. Séguin;

Service correctionnel Canada et Vézina-Godin, C.L.P. 351189-04B-0806, 11 juin 2010, D. Lajoie;

Coderre et Travaux publics et Services, C.L.P. 283913-07-0602, 30 avril 2008, M.Langlois;

            Girard et Développement économique du Canada, C.L.P. 214703-61-0308, 22 juin 2004, S. Di Pasquale;

            Société canadienne des postes c. C.A.L.P. et Lamy [1998] C.L.P. 1472 (C.A.), requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 6 avril 2000.

[5]           Martin c. Alberta (Workers’ Compensation Board), 2014 CSC 25.

[6]           Cape Breton Development Corp. c. Morrisson Estate, 2003 NSCA 103, 218 N.S.R. (2d) 53, autorisation d’appel refusées, [2004] 1 R.C.S. vii.

McLellan c. Workers’ Corporation Appeals Tribunal 2003 NSCA 106, 218 N.S.R. (2d) 176.

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