DÉCISION
[1] Le 7 novembre 2000, monsieur Benoît Côté (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 3 novembre 2000, à la suite d’une révision administrative.
[2] Celle-ci déclare irrecevable la contestation d’une prétendue décision qualifiée de lettre de précision émise par la CSST le 19 juillet 2000.
[3] Par cette décision, la CSST décide que le travailleur ne peut remettre en question la manière dont lui est versée l’indemnité de remplacement du revenu à la suite de sa lésion professionnelle reconnue du 6 mai 1999.
OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande de reconnaître que la CSST et les Établissement de Détention du Québec (l’employeur) doivent reconnaître qu’une partie du salaire versé à la suite de sa lésion professionnelle reconnue du 6 mai 1999 constitue de l’indemnité de remplacement du revenu au sens des dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) applicables.
LES FAITS
[5] Le 6 mai 1999, le travailleur, qui est gardien de prison, est victime d’un traumatisme psychique au travail. Cette lésion professionnelle est reconnue par la CSST.
[6] Le travailleur est en arrêt de travail jusqu’au 9 janvier 2000. Entre le moment de son retrait du travail et celui de son retour, le réclamant reçoit des versements d’indemnité de remplacement du revenu conformément à la loi. Le 10 janvier 2000, à la suite des recommandations du médecin en charge du travailleur et de discussions entre la CSST et l’employeur, le travailleur retourne au travail, mais dans un autre poste et à temps partiel. En fait, l’employeur lui verse son salaire habituel calculé sur cinq jours, soit celui de son poste antérieur, alors que le travailleur ne fournit de prestation de travail que pendant deux jours. La lettre d’entente suivante intervient entre l’employeur et la CSST :
« Suite au retour progressif en date du 10 janvier 2000, de l’employé cité en rubrique, nous confirmons par la présente que l’employeur assumera à compter de cette date, l’entière rémunération à verser au travailleur. Veuillez noter également, qu’aucune demande de remboursement pour les journées non travaillées ne sera présentée à votre Commission. »
[7] Subséquemment, le travailleur consulte un avocat concernant le versement d’indemnité de remplacement du revenu à la suite de sa lésion. Cet avocat écrit une lettre à la CSST le 11 juillet 2000, demandant des explications. On peut lire :
« Je suis le représentant de M. Benoît Côté qui m’a donné le mandat de vous écrire pour obtenir des précisions sur la façon dont son indemnité de remplacement du revenu (IRR) lui est versée.
En effet, ce dernier me mentionne que depuis janvier 2000, soit depuis son retour au travail progressif, il ne reçoit plus d’indemnisation de la CSST mais reçoit un salaire de la part de son employeur.
J’aimerais par la présente obtenir des informations de votre part concernant cette façon de faire.
Premièrement, j’aimerais savoir à quel article de loi vous vous référez pour autoriser un transfert de responsabilité de paiement de la CSST vers l’employeur ?
Deuxièmement, j’aimerais savoir quelle sorte de suivi et de supervision vous continuez à assurer du dossier, suite à un tel transfert ?
Troisièmement, j’aimerais savoir quelle méthode de calcul est utilisée lors d’un retour à temps partiel supervisé par l’employeur compte tenu que la CSST indemnise sur une base de 365 jours et que l’employeur paie sur une base de 5 jours de travail sur semaine. Encore une fois, j’aimerais que vous me référiez à l’article de loi pertinent.
(...) »
[8] La CSST répond ainsi le 19 juillet 2000 :
« Suite à la vôtre du 11 juillet dernier concernant le dossier mentionné en rubrique, tel que demandé, nous vous confirmons les précisions suivantes, à savoir :
1. Nous nous basons sur les articles 179 et 180 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles afin d’autoriser un transfert de responsabilité de paiement de la Commission vers l’employeur;
2. Le suivi et la supervision médicale et psychologique du dossier sont assurés par la Commission même si les paiements s’effectuent par l’employeur;
3. En vertu de l’article 180, l’employeur a décidé de verser le plein salaire du travailleur. Conséquemment, il n’y a aucune méthode de calcul utilisée dans le cas de monsieur Côté;
(...) »
[9] Le travailleur demande une révision administrative. La CSST, par sa décision du 3 novembre 2000, s’exprime ainsi :
« (...)
Le travailleur estime que son employeur doit lui payer seulement la partie du travail effectué et que la CSST doit défrayer la partie d’absence du travail. Monsieur se sent pénalisé alléguant que l’indemnité de la CSST n’est pas imposée et ne comporte pas toutes les autres déductions prélevées à la source telles que prévues sur le salaire. Le 11 juillet 2000, le représentant du travailleur veut savoir quelle est la référence légale concernant ce transfert de responsabilité du paiement, quelle est la supervision qui sera assurée au dossier et quelle est la méthode de calcul utilisée lors d’un retour à temps partiel. La CSST répond qu’elle se base sur les articles 179 et 180 de la loi. Ces articles prévoient, entre autres, que l’employeur verse le salaire et avantages liés à l’emploi que le travailleur occupait lorsque s’est manifestée sa lésion alors que ce dernier est en assignation temporaire. Nous convenons que pour appliquer ces articles, il doit s’agir d’une assignation temporaire « officielle », contresignée par le médecin traitant sur le formulaire prescrit.
Or, tel n’est pas le cas au présent dossier. Nous accordons au représentant du travailleur qu’il ne s’agit pas ici d’une assignation temporaire prévue à la section II du chapitre IV de la loi portant sur la réadaptation et que les articles précités ne sont pas pertinents. Également, il ressort clairement du dossier que le service de réadaptation de la CSST fait la supervision de cette mesure de réintégration au travail prise depuis janvier 2000. Nous retenons donc que la mesure prise découle d’applications prévues à la section III du chapitre IV portant sur la réadaptation ainsi que de la section I du chapitre III de la loi portant sur les indemnités.
Effectivement, la CSST peut prendre toute mesure qu’elle estime utile pour atténuer ou faire disparaître les conséquences d’une lésion professionnelle. La Révision administrative retient qu’il s’agit bien ici d’une mesure visant cet objectif comme en fait foi les notes évolutives entre juillet 1999 et juillet 2000 puis tout particulièrement depuis décembre 1999. Concernant l’indemnisation, nous référons à l’article 52 de la loi édictant que si un travailleur occupe un « nouvel emploi », son indemnité de remplacement du revenu est réduite du revenu net retenu qu’il tire de celui-ci. Au niveau de la méthode de calcul, la politique de la CSST prévoit de retrancher 100 % du salaire net reçu du montant d’indemnité prévue, qui lui représente 90 % du net retenu. Rien, au niveau de la loi, n’oblige l’employeur à défrayer une partie nulle, proportionnelle ou entière de la rémunération du travailleur pour sa présence partielle au travail. La CSST doit donc retirer de l’indemnité de remplacement du revenu toute somme réellement reçue, sans limitation, qu’il tire de cet emploi.
Il ressort finalement que la lettre émise par la CSST concerne une explication (bien qu’erronée) de modalités d’application découlant de l’article 52 de la loi. Aussi, les explications que vous trouvez à la présente vous sont donc fournies gracieusement par la Révision administrative pour fins de précision uniquement et ne sauraient constituer une décision prévue par l’article 358 de la loi. Puisque la lettre du 19 juillet 2000 n’est elle-même pas une décision au sens de la loi mais bien une lettre d’information, nous ne pouvons exercer notre compétence et déclarons irrecevable la contestation reçue.
En conséquence, la Révision administrative déclare irrecevable la contestation logée le 25 juillet 2000.
(...) »
[10] Le travailleur et son représentant sont présents à l’audience. Il en est de même pour l’employeur. Bien que convoquée, la CSST n’est pas représentée.
QUESTION PRÉLIMINAIRE
[11] L’avocate de l’employeur a soumis d’emblée un moyen d’irrecevabilité à l’effet que la lettre datée du 19 juillet 2000 émise par la CSST ne constituait pas une décision au sens de l’article 358 de la loi. Subsidiairement, si tel était le cas, le travailleur était nettement hors délai, ayant reçu les explications requises plusieurs mois avant la demande de son avocat. Ce moyen a été pris sous réserve par la Commission des lésions professionnelles.
[12] La preuve soumise à l'appréciation de la Commission des lésions professionnelles consiste en l'ensemble des documents contenus au dossier préparé par la CSST tel que complété par les parties. Entre autres, les documents suivants ont été produits par le travailleur :
- liste des jours effectivement travaillés depuis le 10 janvier 2000;
- état des dépôts versés par l’employeur;
- documents d’impôt pour l’année 2000 (relevés et T-4);
- tableau des gains nets et bruts du réclamant à la suite de son retour au travail.
[13] L’avocat du travailleur a aussi déposé une lettre datée du 6 juin 2001 qui mentionne :
« (...)
Vous constaterez à la colonne S qu’il y a une différence de revenus nets de 4,592.60 $ entre ce qu’il aurait reçu s’il avait continué d’être indemnisé par la CSST et ce que lui a versé l’employeur.
(...) »
[14] Seul le travailleur a témoigné. Il explique que pendant certaines périodes concernées, il était payé trois jours à ne rien faire. En somme, il ne devait se présenter au travail que deux jours sur cinq. Puis, par la suite, il devait se présenter au travail trois jours sur cinq et ainsi de suite jusqu'au 8 janvier 2001 où il a repris le travail à temps plein. Mais, il a toujours été payé par l’employeur comme s’il travaillait à temps plein. En conséquence, il déclare qu’il se trouve à payer de l’impôt sur une partie de ses gains et cela même s’il ne travaille pas. Si cette indemnité lui était versée par la CSST, il n’aurait pas d’impôt à verser sur une partie de ses revenus. Comme il a une pension alimentaire à verser, cela affecte aussi ses retenues à la source et les montants payables. Puis, il possède une assurance-invalidité et toute cette manière de procéder lui a causé tout un impact difficile à préciser, étant donné que pendant une certaine période, il s’est blessé à une cheville et qu’il a dû aussi faire une réclamation.
[15] À la suite de la prise en considération de tous les éléments soumis par les parties, la Commission des lésions professionnelles a requis l’avis des membres, lequel est résumé ci-après.
L'AVIS DES MEMBRES
[16] Les membres issus des associations d’employeurs et syndicales partagent le même avis :
- en premier lieu, la lettre émise par la CSST le 19 juillet 2000, si elle ne constituait pas une décision au sens de la loi, se trouvait à donner les motifs d’une décision antérieure, laquelle n’avait jamais été fournie au travailleur. Si tant est que le travailleur était hors délai pour contester, il serait relevé de son défaut;
- en second lieu, que ce soit pendant la réadaptation ou en assignation temporaire, la loi ne prévoit pas qu’un travailleur soit payé à ne rien faire. Ce que la loi prévoit, c’est que le travailleur victime d’une lésion professionnelle puisse se voir verser un salaire qui rencontre non pas celui relié à la nouvelle tâche mais le salaire de l'emploi prélésionnel. En décidant de payer une partie du temps, le travailleur à ne rien faire, il s’agit donc d’indemnité de remplacement du revenu déguisé. La requête devrait être accueillie.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[17] Après avoir analysé tous les éléments de la preuve documentaire et testimoniale, avoir soupesé les arguments invoqués par les parties, avoir reçu l’avis des membres, avoir tenu compte du droit applicable et sur le tout avoir délibéré, la Commission des lésions professionnelles expose ci-après les considérations et conclusions retenues.
[18] Les questions à décider dans le cadre de la présente demande sont les suivantes :
- la lettre du 19 juillet 2000 constitue-t-elle une décision de la CSST ?
- dans l’affirmative, le travailleur a-t-il raison de réclamer qu’une partie des versements effectués par l’employeur soient considérés comme du versement d’indemnité de remplacement du revenu ?
LA LETTRE DU 19 JUILLET 2000 CONSTITUE-T-ELLE UNE DÉCISION ?
[19] De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, le fait pour la CSST de prendre une entente avec l’employeur concernant le salaire et la nature du salaire versé au travailleur, constitue dans les faits une décision susceptible d’affecter les droits du travailleur. Comme une telle décision n’a pas été expédiée comme tel au travailleur, il s’ensuit que celui-ci n’en a connu les véritables motifs que lors de la réception de la lettre explicative du 19 juillet 2000. De plus, au moment de sa contestation en juillet 2000, la situation perdurait puisque le réclamant, à ce moment, ne travaillait réellement que trois jours par semaine, alors qu’il était payé à temps plein comme s’il travaillait cinq jours.
[20] Cette décision continuait donc à s’appliquer de manière récurrente à chaque paie que versait l’employeur. Si tant, il peut être vrai que le travailleur était en retard pour contester une telle décision, il n’en reste pas moins qu’il devrait être relevé de son défaut pour les périodes écoulées le cas échéant, étant donné que les véritables motifs ne lui avaient jamais été transmis auparavant.
[21] Au surplus, la Commission des lésions professionnelles juge que le travailleur a des motifs sérieux de réclamer une telle décision. En effet, il s’agit de déterminer si une partie des revenus versés au travailleur sous forme de salaire n’aurait pas dû plutôt être considérée comme de l’indemnité de remplacement du revenu. Si tel est le cas, un tel paiement convenu seulement entre la CSST et l’employeur serait de nature à affecter ses droits, tant au niveau de l’impôt, que de ses assurances personnelles et de la pension alimentaire dont il était redevable.
[22] Le tribunal décide donc que c’est à tort que la CSST a retenu que la « lettre » du 19 juillet 2000 ne constituait pas, dans les circonstances, une décision au sens de la loi.
[23] Le fait pour la CSST d’accepter la réclamation du travailleur a eu pour conséquence que celui-ci, s’il ne pouvait pas effectuer son travail habituel et cela en raison de sa lésion professionnelle, aurait dû recevoir de l’indemnité de remplacement du revenu. Les articles pertinents de la loi se lisent comme suit :
44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.
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1985, c. 6, a. 44.
45. L'indemnité de remplacement du revenu est égale à 90 % du revenu net retenu que le travailleur tire annuellement de son emploi.
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1985, c. 6, a. 45.
46. Le travailleur est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée.
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1985, c. 6, a. 46.
47. Le travailleur dont la lésion professionnelle est consolidée a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 tant qu'il a besoin de réadaptation pour redevenir capable d'exercer son emploi ou, si cet objectif ne peut être atteint, pour devenir capable d'exercer à plein temps un emploi convenable.
________
1985, c. 6, a. 47.
52. Malgré les articles 46 à 48 et le deuxième alinéa de l'article 49, si un travailleur occupe un nouvel emploi, son indemnité de remplacement du revenu est réduite du revenu net retenu qu'il tire de son nouvel emploi.
________
1985, c. 6, a. 52.
[24] La preuve a démontré que le réclamant avait reçu de l’indemnité de remplacement du revenu intégral entre le 6 mai 1999 et le 10 janvier 2000, date de son retour au travail à temps partiel. Du 10 janvier 2000 au 19 juin 2000, il n’a travaillé que deux jours par semaine, du 19 juin 2000 au 25 septembre 2000, trois jours par semaine, du 25 septembre 2000 au 8 janvier 2001, quatre jours par semaine. Cependant, pendant ces périodes en raison de l’entente entre l’employeur et la CSST, il recevait son plein salaire.
[25] Il ressort de l’étude du dossier que le travailleur, qui a été victime d’une lésion psychique à la suite d’une situation traumatisante en milieu carcéral, a été en accord avec l’employeur, les médecins traitants et la CSST, retiré temporairement de son milieu de travail, afin qu’il ne soit pas pendant une certaine période en contact avec la clientèle carcérale. Il s’agit là d’une mesure de nature à faciliter sa réadaptation, du moins de manière indirecte. On ne peut donc pas dire qu’il s’agisse là d’un nouvel emploi comme tel au sens de l’article 52 de la loi. En effet, le mot emploi contient plusieurs notions, dont celle de lien entre un employeur et un salarié. En acceptant d’exercer d’autres tâches auprès du même employeur, on ne peut pas dire que le travailleur occupe un nouvel emploi.
[26] De l’avis du tribunal, les mesures retenues conjointement par le médecin du travailleur, la CSST et l’employeur se rapprochent beaucoup plus de l’assignation temporaire prévue aux articles 179 et 180 de la loi cités ci-après. Il faut référer ici aux commentaires du psychiatre, le docteur Yvan Gauthier, qu’il mentionne dans son rapport du 20 septembre 1999 :
« (...)
Limitations fonctionnelles résultant de la lésion professionnelle :
Tel que précisé, nous notons la présence de limitations fonctionnelles temporaires sous forme d’anxiété plus particulièrement et du comportement d’évitement qui l’accompagne. Cette situation implique actuellement que Monsieur Benoît Côté ne puisse tolérer la proximité ou de se retrouver dans son milieu de travail où des événements similaires seraient susceptibles de se reproduire.
(...)
Consolidation :
Nous croyons qu’une période de consolidation supplémentaire n’excédant pas 6 mois soit suffisante en vue d’un retour dans le milieu de travail extérieur au plus tard le 1er avril 2000. Cette perspective devrait d’ailleurs faire partie du plan de traitement et de l’élaboration du programme de désensibilisation. »
[27] En date du 20 décembre 1999, le psychologue Louis-Paul Nolet écrivait :
« Il est important que le retour au travail soit progressif en heures travaillées par semaine et qu’il tienne compte davantage du cheminement psychologique de Monsieur, du stress et de l’anxiété générée. Ce retour au travail doit être accompagné du suivi psychologique »
[28] En date du 5 janvier 2000, le médecin en charge du travailleur, le Dr Santerre, suggérait un retour au travail progressif, soit en débutant sur une période de deux jours par semaine.
[29] La caractéristique du dossier est qu’il y a eu, à ce moment, entente entre l’employeur et la CSST pour que le travailleur, même s’il ne travaillait que deux jours, soit payé comme s’il en travaillait cinq.
[30] Les articles de loi applicables au présent cas seraient les suivants :
179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que :
1 le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;
2 ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et
3 ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.
Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S - 2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.
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1985, c. 6, a. 179.
180. L'employeur verse au travailleur qui fait le travail qu'il lui assigne temporairement le salaire et les avantages liés à l'emploi que ce travailleur occupait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle et dont il bénéficierait s'il avait continué à l'exercer.
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1985, c. 6, a. 180.
[31] Le tribunal se croit donc justifié, dans les circonstances, d’interpréter la réintégration du travailleur dans son emploi de manière progressive et dans des tâches différentes à une assignation temporaire au sens des articles 179 et 180 de la loi.
[32] L’appréciation de la Commission des lésions professionnelles des faits présentés est la suivante : le travail effectué par le travailleur a non seulement été payé au salaire lié à l’emploi que ce travailleur occupait lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle, mais à plus du double, parce que pendant trois jours sur cinq (du 10 janvier au 19 juin 2000) , il n’effectuait pas les tâches et il était tout de même rétribué. Cette situation était due à une entente entre l’employeur et la CSST.
[33] En agissant ainsi, l’employeur outrepassait nettement les obligations prévues par le libellé de l’article 180. La règle principale établie à cet article prévoit que l’employeur doit verser au travailleur en assignation temporaire le même salaire que s’il effectuait son emploi régulier. Mais rien n’oblige l’employeur à verser plus que le travail qui est exécuté. En effet, cet article prévoit que l’employeur doit payer pour le travail exécuté : « verse au travailleur qui fait le travail ». Dans l’affaire Robert Jodoin et Ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche et CSST[2], la Commission d’appel a décidé que dans un tel cas (où un travailleur en assignation temporaire ne peut travailler qu’à temps partiel) l’employeur ne pouvait être forcé de verser le plein salaire, son obligation se limitant à payer les heures faites au tarif de l’emploi prélésionnel. Le commissaire Neuville Lacroix s’exprime ainsi :
« (...)
Lorsque le travailleur effectue le travail qui lui est assigné temporairement, l’employeur verse le salaire et les avantages liés à l’emploi que le travailleur occupait lorsque s’est manifestée la lésion. Par contre, lorsqu’il n’effectue pas le travail qui lui est assigné temporairement, parce que le médecin qui a pris charge du travailleur estime qu’il ne peut effectuer une assignation temporaire qu’à temps partiel, un travailleur a droit alors à l’indemnité de remplacement du revenu prévue à l’article 45.
L’article 180 vise à empêcher que le travailleur ne soit pénalisé au niveau de son salaire et de ses avantages qui étaient reliés parce qu’il accepte une assignation temporaire. Si le salaire versé dans l’emploi temporaire est moins élevé que celui auquel avait droit le travailleur, c’est celui dont il bénéficiait au moment de la lésion qu’il a droit de recevoir.
L’article 179 de la loi est un mécanisme permettant au travailleur de réintégrer son emploi le plus rapidement possible. On voit mal comment cet objectif pourrait être réalisé si l’employeur est tenu de verser 100 % du salaire et des avantages reliés à l’emploi du travailleur au cours d’une période où il ne travaille pas en assignation temporaire, parce que son médecin prévoit uniquement un temps partiel. L’article 179 n’est pas une disposition obligatoire pour l’employeur. Aussi, on voit mal comment l’employeur pourrait avoir quelque intérêt à procéder à une assignation temporaire à temps partiel, recommandée par le médecin qui a charge du travailleur, s’il doit assumer le versement total des prestations.
L’article 180 prévoit d’ailleurs que l’employeur verse au travailleur qui fait le travail qu’il lui assigne temporairement, le salaire et les avantages liés à l’emploi qu’il occupait avant que ne se manifeste la lésion professionnelle. Lorsque le travailleur exécute un travail à temps partiel, on ne peut dire qu’il fait le travail qui est assigné temporairement les jours ou les heures qu’il ne travaille pas.
Il ne s’agit pas d’un cas où le travailleur est privé d’un salaire ou d’un avantage, mais d’une situation où le médecin qui a charge du travailleur impose une restriction à sa période de travail.
Le travailleur, pendant qu’il travaille en assignation temporaire, va percevoir de son employeur son salaire et retirer les avantages reliés à son emploi antérieur, mais non durant la période où il ne peut effectuer son travail.
C’est alors la Commission qui devra effectuer le versement de l’indemnité de remplacement du revenu, parce que alors, le travailleur ne fait pas le travail qui lui est assigné temporairement et qu’il est redevenu incapable d’exercer son emploi en raison de sa lésion.
La Commission d’appel estime donc que l’employeur peut se faire rembourser par la Commission la partie non travaillée par le travailleur qui est en assignation temporaire sur un poste à temps partiel.
Pour ces motifs, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles
Accueille l’appel de l’employeur, le ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche. »
[34] Les conclusions de cette décision ont été reprises par le commissaire Gilles Robichaud dans l’affaire Louis Bélanger et Bridgestone Firestone Canada inc[3], qui n’a pas hésité à affirmer que cette interprétation apparaissait conforme à l’économie générale et à l’esprit de la loi.
[35] En conséquence, la Commission des lésions professionnelles arrive aux conclusions suivantes : les règles habituelles n’ont pas été suivies à tout le moins en ce qui concerne les jours qui n’ont pas été travaillés par le réclamant. En agissant de la sorte (en payant plus qu’il ne le devait en réalité), est-il possible que l’employeur voyait un avantage au niveau ultérieur de l’imputation? Mais il n’y a pas lieu d’élaborer ici sur les motifs de l’employeur qui peuvent être autres, mais plutôt sur les conséquences de cette manière de procéder pour le travailleur.
[36] De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, le travailleur a démontré que ses droits avaient été affectés, sa requête doit être accueillie.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la demande de monsieur Benoît Côté;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail en révision administrative le 3 novembre 2000;
RETOURNE le
dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail doit verser au travailleur les indemnités de remplacement du revenu auxquelles il aurait eu droit pour les jours non travaillés entre le 10 janvier 2000 et le 8 janvier 2001;
DÉCLARE aussi que le travailleur doit rembourser à l’employeur les montants reçus à titre de salaire versé pour les jours non travaillés entre le 10 janvier 2000 et le 8 janvier 2001;
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RENÉ OUELLET |
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Commissaire |
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SYNDICAT DES AGENTS DE LA PAIX Me François Laprise 4906, boulevard Gouin Est Montréal-Nord (Québec) H1G 1A4 |
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Représentant de la partie requérante |
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CREVIER, ROYER Sec. Conseil du Trésor Me Hélène Fréchette 875, Grande Allée Est Édifice H. 1er étage Québec (Québec) G1R 5R8 |
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Représentante de la partie intéressée |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.