Dusser c. Suppléments Aromatik inc. |
2015 QCCS 470 |
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JL4478 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
LONGUEUIL |
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N° : |
505-17-005620-119 |
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DATE : |
20 février 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
CHANTAL LAMARCHE, J.C.S. |
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PHILIPPE DUSSER |
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FOCUS INGRÉDIENTS INC. |
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Demandeurs |
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c. |
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SUPPLÉMENTS AROMATIK INC. |
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Défenderesse |
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JUGEMENT RECTIFIÉ |
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[1] ATTENDU que la soussignée a rendu jugement le 16 février 2015;
[2] ATTENDU que l’avocat de la défenderesse signalait par courriel une erreur quant aux frais dans les paragraphes 191 et 195 dudit jugement;
[3] CONSIDÉRANT qu’effectivement une erreur s’est glissée quant aux frais;
[4] CONSIDÉRANT qu’il y a lieu de rectifier le jugement;
[5]
VU l’article
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__________________________________ Chantal Lamarche, j.c.s. |
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Me Pierre Latraverse |
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LATRAVERSE Avocats |
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Avocat des demandeurs |
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Me Patrice Monette |
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MONETTE & COLLETTE, avocats |
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Avocat de la défenderesse |
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Dates d’audience : |
21, 22 et 23 octobre 2014 |
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Dusser c. Suppléments Aromatik inc. |
2015 QCCS 470 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
LONGUEUIL |
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N° : |
505-17-005620-119 |
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DATE : |
16 février 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
CHANTAL LAMARCHE, J.C.S. |
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PHILIPPE DUSSER |
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FOCUS INGRÉDIENTS INC. |
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Demandeurs |
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c. |
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SUPPLÉMENTS AROMATIK INC. |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Monsieur Philippe Dusser (« Monsieur Dusser ») et Focus Ingrédients inc. (« Focus »), dont il est le seul actionnaire et administrateur, s’adressent à la Cour afin d’obtenir une indemnité de 104 877 $[1] en raison de la rupture par Suppléments Aromatik inc. (« Aromatik ») du contrat qui les liait. Ils réclament aussi une somme de 25 000 $ pour leurs honoraires extrajudiciaires[2] en raison de l'abus de droit d'Aromatik à leur égard. Monsieur Dusser réclame également 10 000 $ à titre de dommages moraux en raison de la résiliation abusive du contrat.
[2] Aromatik nie devoir quelque somme que ce soit à Focus ou Monsieur Dusser puisque le contrat a été rompu pour des motifs sérieux. D’ailleurs, par demande reconventionnelle Aromatik réclame une somme de 43 920,46 $ eu égard aux pertes dans le dossier Loblaws dont elle attribue la responsabilité à Focus et Monsieur Dusser et une somme de 36 450 $ eu égard aux pertes dans le dossier Costco qu’elle impute également à la responsabilité de Focus et de Monsieur Dusser[3].
[3] Subsidiairement, Aromatik fait valoir qu’elle peut résilier le contrat qui la liait à Focus sans préavis ni indemnité étant donné qu'il s'agit d'un contrat de services et non d'un contrat de travail comme le soutiennent Focus et Monsieur Dusser.
1. CONTEXTE
[4] Monsieur Dusser, Français d’origine, s’installe au Canada en 1986 afin d’y poursuivre sa carrière à titre d’employé de Métarom une entreprise française pour laquelle il travaille depuis 1985.
[5] À son arrivée au Canada, il fait la connaissance de monsieur Michel Deslandes (« Monsieur Deslandes »), aussi employé de Métarom, qui, comme on le verra plus loin, devient le président d’Aromatik.
[6] De 1986 à 2000, Monsieur Dusser poursuit sa carrière auprès de Métarom au Canada et aux États-Unis.
[7] En 2000, Monsieur Dusser quitte Métarom et s’installe à Montréal.
[8] À son arrivée à Montréal, Monsieur Dusser incorpore Focus afin d’offrir ses services de distributeur ou d'agent à des entreprises françaises.
[9] À la même époque, Monsieur Dusser retrouve Monsieur Deslandes qu’il n’avait pas revu depuis quelques années. Ce dernier lui propose de s’impliquer dans l’entreprise dont il est actionnaire avec son père, soit Les produits alimentaires de qualité Land Art inc., créée en 1982. Plus tard, cette compagnie changera de nom pour devenir Aromatik[4].
[10] Aromatik produit des suppléments alimentaires et des extraits botaniques pour suppléments alimentaires.
[11] C'est dans ce contexte qu'en novembre 2000, Monsieur Dusser rencontre Monsieur Deslandes, son père Jean-Claude Deslandes, ainsi que Michel Ledain (« Monsieur Ledain »), directeur général d’Aromatik, afin de discuter de l’implication de Monsieur Dusser dans cette entreprise.
[12] Le 1er décembre 2000 une entente est signée (« l’Entente »)[5]. Selon Monsieur Dusser, c'est Jean-Claude Deslandes qui rédige l'Entente.
[13] En vertu de l'Entente, Monsieur Dusser s'engage, par le biais de son entreprise Focus, à rendre des services d'agent à Aromatik.
[14] Celle-ci prévoit que la rémunération de Focus est constituée de commissions dont le taux est variable en fonction du volume des ventes générées par Monsieur Dusser. Il y est aussi prévu que, pendant les six premiers mois, Aromatik paiera à Focus une avance sur commission de 1 000 $ par mois, laquelle sera déduite des commissions gagnées. Ce sont là les seules conditions eu égard à la rémunération de Focus prévues à l'Entente.
[15] Une clause d'indemnisation en vertu de laquelle Aromatik doit verser l'équivalent de douze mois de commissions à Focus si elle met fin à l'entente, exigée par Monsieur Dusser, est également prévue à l'Entente. En contrepartie, Monsieur Dusser s'engage à ne pas solliciter les clients pendant cette période.
[16] Les clauses pertinentes se lisent ainsi :
1.2 RÉTRIBUTION
La redistribution se fera de la façon suivante, sur l’ensemble du chiffre d’affaire généré par M. Philippe Dusser, et en regard des ventes de la division Aromatik :
De 0 à 250 000 $ commission 20 %
De 250 001 à 500 000 $ commission 15 %
De 500 001 à 1 000 000 $ commission 10 %
De 1 000 001 et plus commission 7 %
1.8 DURÉE DE L’ENTENTE
L’entente sera de douze (12) mois renouvelable d’année en année. Toutefois lors de l’anniversaire de l’entente, et pour une période de trente (30) jours après cette date, cette entente peut être modifiée, suite à un accord mutuel des 2 parties. L’un (sic) ou l’autre des parties pourra aussi mettre fin à l’entente.
1.9 Advenant le renvoi de M. Philippe Dusser les rétributions prévues à l’article 1.2 lui seront versées, pour une période équivalente à la période travaillée, à compter du 1er décembre 2000, et/ou jusqu’à douze (12) mois de la date travaillée. Durant cette période ce dernier s’engage à ne pas solliciter directement ou indirectement, les clients de la Filiale Aromatik de Land Art pour l’ensemble du Canada et des États-Unis. Lors du départ volontaire, la rétribution ainsi que la période de non-sollicitation sera réduite à trois (3) mois.
[17] Au début de l’année 2001, Jean-Claude Deslandes désire vendre ses actions d'Aromatik. Monsieur Deslandes propose à Monsieur Dusser d'acheter les actions de son père.
[18] Monsieur Dusser accepte et le 3 août 2001 il acquiert 39 % des actions d’Aromatik. Par la même occasion, Monsieur Ledain se fait remettre 5% des actions d'Aromatik.
[19] À cette époque, Monsieur Deslandes travaille à temps plein chez Cedarome. Monsieur Dusser consacre entre le tiers et la moitié de son temps aux ventes d’Aromatik et le reste de son temps au contrat que Focus a aussi avec Cedarome.
[20] En mai 2004, Monsieur Ledain est congédié. Messieurs Dusser et Deslandes rachètent ses actions de sorte que Monsieur Deslandes détient 59 % des actions d’Aromatik et Monsieur Dusser 41 %.
[21] En novembre 2004, une convention entre actionnaires est signée (« Convention »)[6].
[22] La Convention comprend une clause de non-concurrence et prévoit que les revenus que Messieurs Dusser et Deslandes tirent d'Aromatik, peu importe la forme, seront proportionnels à leur détention d'actions ordinaires dans la compagnie :
RÉPARTITION DES REVENUS
27. Les actionnaires conviennent que les revenus de chacun d’eux tirés de la compagnie, sous quelque forme que ce soit, seront proportionnels à leur détention d’actions ordinaires, sauf, bien entendu, les intérêts dont il est question à l’article 24a) ci-devant, les dividendes sur actions privilégiées, ainsi que les rémunérations qui pourraient être allouées par le conseil d’administration pour des fonctions déterminées.
[23] À la fin de l’année 2005, Aromatik acquiert un autre joueur de l’industrie, soit Matol, lequel a une usine à Varennes.
[24] Dans le cadre de cette transaction avec Matol, une réorganisation du capital-actions d’Aromatik survient de sorte que ce sont les fiducies familiales de Messieurs Deslandes et Dusser et ces derniers qui, par compagnie interposée, détiennent dorénavant les actions d'Aromatik[7].
[25] À l’automne 2008, Cedarome met fin au contrat qu’elle a avec Focus. Elle lui verse, comme prévu à leur contrat, une indemnité représentant 12 mois de commissions. À cette époque et avant la résiliation du contrat, Focus reçoit de Cedarome environ 34 000 $ de commissions par année pour les services de Monsieur Dusser lesquels sont les mêmes que ceux qu'il rend pour Aromatik.
[26] À partir de cette date, Monsieur Dusser s’occupe à temps plein des ventes et du développement de la clientèle d’Aromatik. Certains employés se rapportent à lui.
[27] Focus continue de recevoir en plus des commissions d'Aromatik, des commissions d'autres clients dont Métarom pour les services de référencement de Monsieur Dusser.
[28] Bien que le client principal de Focus soit Aromatik, Focus a, en tout temps, d'autres clients.
[29] À l’automne 2009, c’est autour de Monsieur Deslandes de quitter Cedarome et de se consacrer à temps plein aux activités d’Aromatik. Ses responsabilités sont reliées au laboratoire, à la production, au contrôle de la qualité et au personnel. Son épouse s'occupe de la comptabilité. Quant à Monsieur Dusser, il est responsable des ventes et du développement de la clientèle. Depuis plusieurs années, Monsieur Dusser se présente comme vice-président d’Aromatik[8].
[30] Messieurs Deslandes et Dusser sont des administrateurs et officiers d'Aromatik et détiennent respectivement les postes de président et secrétaire[9].
[31] Le 9 septembre 2011, Monsieur Deslandes met fin au contrat avec Focus à la suite d’une réunion houleuse qui s’est déroulée le matin même chez le plus important client d'Aromatik[10]. Messieurs Deslandes et Dusser étaient présents à cette réunion.
[32] Postérieurement à la résiliation du contrat entre Focus et Aromatik, Messieurs Deslandes et Dusser ont quelques échanges verbaux et écrits ainsi que quelques rencontres afin de tenter de régler leur différend quant aux conséquences de la résiliation du contrat y compris la vente des actions, mais sans succès.
[33] Monsieur Dusser dépose donc ses procédures dans le présent dossier à la fin du mois novembre 2011.
[34] En mars 2012, Monsieur Deslandes fait signifier un avis d’arbitrage à Monsieur Dusser en vertu de la Convention[11] étant donné que ce dernier en revendiquait l’application[12].
[35] L’honorable André Deslongchamps agit comme arbitre et le 5 février 2013, il déclare que la Convention est devenue sans objet et inapplicable[13].
[36] En mars 2012, Aromatik obtient un bref de saisie avant jugement dans le cadre d'une requête en revendication de biens à l'égard du véhicule et de l'ordinateur dont elle est propriétaire, mais qui sont toujours utilisés par Focus et Monsieur Dusser. La saisie a lieu au cours de l'interrogatoire avant défense de Monsieur Dusser dans le cadre du présent dossier. Il y a eu une entente hors cour entre Messieurs Deslandes, Focus et Dusser afin de mettre fin à ce dossier « sans admission de responsabilité et sous réserve de leurs droits de faire valoir dans le dossier 505-17-005620-119 [le dossier dont le Tribunal est saisi] toute réclamation découlant du présent dossier ». En vertu de cette entente, Focus et Monsieur Dusser rachètent l'ordinateur et conservent le véhicule jusqu'à la fin du bail en payant le coût de la location[14].
[37] Par leurs procédures dans le présent dossier, Monsieur Dusser et Focus réclament une indemnité en vertu de la clause 1.9 de l’Entente. Dans l’éventualité où l'Entente n’est plus en vigueur, ils réclament une somme équivalente en vertu des dispositions du Code civil du Québec applicables au contrat d'emploi et au contrat de services. Ils allèguent également avoir droit au remboursement de leurs honoraires extrajudiciaires étant donné l’abus de procédure de la part d’Aromatik.
[38] Monsieur Dusser soutient aussi qu'Aromatik a abusé de son droit de mettre fin au contrat. Par conséquent, il réclame des dommages moraux.
[39] Tel que mentionné précédemment, Aromatik soutient que l’Entente est devenue sans objet et inapplicable. Elle allègue que le contrat la liant à Focus est un contrat de services et qu’elle l’a résilié pour un motif sérieux. Subsidiairement, elle soutient qu'elle pouvait le résilier pour quelque raison que ce soit sans préavis ni indemnité.
[40] En demande reconventionnelle, elle réclame des dommages à Focus et Monsieur Dusser en raison des fautes commises par ce dernier à l’égard de deux contrats, soit Loblaw et Costco.
2. QUESTIONS EN LITIGE
[41] Les questions en litige sont les suivantes :
- Le contrat entre Focus et Aromatik est-il de la nature d'un contrat de travail ou de services?
- Quelles sont les règles de droit applicables en matière d'indemnisation lors de la résiliation d'un contrat de services ?
- Focus a-t-elle droit à une somme équivalente à 12 mois de commissions et du coût de la location de la voiture en vertu de l'Entente ou d'une autre obligation contractuelle?
- Focus ou Monsieur Dusser a-t-il droit à une indemnité en vertu du Code civil du Québec en raison de la résiliation du contrat par Aromatik?
- Monsieur Dusser a-t-il droit à la somme de 10 000 $ à titre de dommages moraux?
- Monsieur Dusser et Focus ont-ils droit à la somme de 10 000 $ pour leurs honoraires extrajudiciaires?
- Aromatik a-t-elle droit à une somme de 43 920,46 $ à titre de dommages eu égard au contrat de Loblaw?
- Aromatik a-t-elle droit à une somme de 36 450 $ à titre de dommages eu égard au contrat de Costco?
3. ANALYSE
3.1 Le contrat entre Focus et Aromatik est-il de la nature d'un contrat de travail ou de services?
[42] Aromatik soutient qu'il s'agit d'un contrat de services alors que Monsieur Dusser et Focus prétendent qu'il s'agit d'un contrat de travail.
[43] La question de déterminer la nature du lien juridique, dans une situation comme en l’espèce, a fait couler beaucoup d’encre. De nombreux arrêts, dont plusieurs de la Cour d’appel, ont analysé différentes situations où une personne physique qui incorpore une entreprise dont elle est seule et unique actionnaire prétend être liée par un contrat de travail alors que l'autre partie, l'entreprise cliente, prétend être liée par un contrat de services.
[44] Il faut évidemment tenir compte qu’il y a, à la base, un contrat entre deux personnes morales. Afin de pouvoir conclure qu’il s’agit d’un contrat de travail plutôt qu’un contrat de services, il faut être en mesure de faire abstraction de la personnalité morale de la société qui rend les services puisqu'un contrat de travail ne peut être qu'entre une personne physique, l'employé et un employeur[15].
[45] La Cour d’appel a déterminé que c’est uniquement dans des situations tout à fait exceptionnelles qu’on peut faire fi de la personnalité juridique de la personne morale qui rend les services et conclure à l’existence d’un contrat de travail.
[46] Ainsi, la Cour d’appel dans l’arrêt Conseillers en informatique d’affaires CIA inc. c. 4108647 Canada inc.[16] énonce ce qui suit :
1. La qualification juridique de la relation contractuelle
[34] La
question est importante. En effet, s'agissant d'un contrat de travail à durée
indéterminée, l'indemnisation serait basée sur les règles gouvernant le délai
de congé raisonnable que les parties à un tel contrat doivent se donner
lorsqu'elles souhaitent y mettre fin (article
[35] L'entente
du 14 novembre 2002 ne peut définitivement pas être qualifiée de contrat de
travail au sens de l'article
[36] Il peut arriver que, dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, on fasse abstraction de la personnalité morale de la société, par exemple lorsque l'existence de celle-ci n'est qu'un subterfuge ou un paravent imposé par un employeur pour échapper aux obligations que la loi lui impose à l'égard de ses salariés. Mais, tel n'est pas le cas ici.
[…]
[Soulignements du Tribunal]
[47] Dans l’arrêt Wright c. Syndicat des techniciennes et techniciens du cinéma et de la vidéo du Québec[17], le juge Jean-Louis Baudouin rappelait ceci :
[147] Lorsque quelqu'un décide de créer une société pour pouvoir bénéficier à certains égards (fiscalité, responsabilité ou autres…) de certains avantages, il faut, me semble-t-il, qu'il accepte également d'en subir, le cas échéant, les inconvénients liés au statut juridique qu'il a choisi.
[148] Le droit québécois, comme d'ailleurs tous les autres systèmes contemporains, fait une distinction fondamentale entre les personnes physiques et les personnes morales. Cette différence de qualification permet d'attacher à chacune de ces deux catégories des régimes juridiques séparés, distincts et, bien souvent, incompatibles l'un avec l'autre. Les différences qui séparent la personne physique et la personne morale au plan du statut, du régime et des règles sont bien connues et il serait trop long de vouloir les énumérer ici. Je renvoie tout simplement à l'ouvrage de P.A. MARTEL.
[149] Je ne pense pas que l'on puisse brouiller les cartes et, sauf circonstances très exceptionnelles, amalgamer ce que le droit et le législateur ont, au contraire, entendu nettement séparer et admettre que, pour certaines fins particulières, on puisse dépouiller la personne morale d'une partie de ses attributs pour rechercher derrière elle une personne physique ou l'inverse.
[150] Cette conception hermaphrodite de la personnalité juridique ne me paraît pas conforme aux principes de base de notre droit civil et de notre droit des sociétés.
[Références omises]
[Soulignements du Tribunal]
[48] Voyons dans quelles circonstances les tribunaux ont décidé qu’il s’agissait de circonstances tout à fait exceptionnelles permettant de faire fi de la personnalité juridique de la société fournisseur de services et les cas où ils ont refusé d'en faire abstraction.
[49] Dans l’arrêt Technologies industrielles S.N.C. inc. c. Mayer[18], la Cour d’appel souligne qu’elle ne voit pas comment le juge de première instance a pu conclure « à l’existence d’un subterfuge par lequel l’appelante [S.N.C.] aurait traité l’intimé [Mayer] comme un expert-consultant dans le seul but de le priver des avantages reliés au statut d’employé. » La Cour d’appel retient plutôt de la preuve que c’est Monsieur Mayer qui a exigé, tout au long de la relation avec S.N.C., de retenir ses services par l’entremise de sa société. Même que S.N.C. a, à au moins deux reprises, demandé à Monsieur Mayer de devenir un salarié, ce qu’il a refusé. Notons aussi que celui-ci était actionnaire de S.N.C.
[50] Selon la preuve rapportée, S.N.C. exige l’exclusivité des services de Monsieur Mayer et de son entreprise, que celui-ci occupe un poste de vice-président chez S.N.C., y travaille à temps plein, occupe un bureau, bénéficie du soutien technique et administratif qu’on lui offre, ses performances sont évaluées selon des objectifs de l'entreprise et il bénéficie même de vacances en fonction de ses années de services. Malgré cette preuve, la Cour d’appel décide qu’elle ne peut faire fi de la personnalité juridique de la société de Monsieur Mayer et conclure à l’existence d’un contrat de travail.
[51] Soulignons aussi que la Cour d’appel a retenu de la preuve que les services de l’entreprise de Monsieur Mayer ont été retenus en raison de l’expertise de ce dernier, ses connaissances et ses contacts.
[52] La Cour d’appel indique :
En l’absence d’un tel subterfuge, les principes juridiques applicables en l’espèce sont clairs. Bien qu’énoncés dans un contexte différent du nôtre, puisque la Cour suprême était saisie d’un pourvoi soulevant la question de savoir si l’actionnaire unique d’une société a un intérêt assurable dans l’actif de celle-ci, ces principes ressortent clairement du passage suivant de la juge Wilson dans Kosmopoulos c. Constitution Insurances, […] :
Il y a un argument convainquant selon lequel « quiconque choisi de profiter des avantages qu’offre la constitution d’une société doit aussi en supporter les inconvénients de sorte que si jamais on doit faire abstraction de la personnalité morale, ce ne doit être que dans l’intérêt de tiers à qui, sans cela, ce choix porterait préjudice »(…) ayant opté pour les avantages de la constitution en société, il ne devrait pas y être permis de se soustraire à ses désavantages. Il ne devrait pas lui être loisible de « jouer sur les deux tableaux » en même temps.
Dans Donaldson c. C.F.C.F. Inc., […] une affaire où les faits rappellent les nôtres, la Cour supérieure fut appelée à statuer sur une action en dommages intentée par le demandeur à la suite d'un congédiement alors que la relation contractuelle existait non pas entre le demandeur et la défenderesse, mais bien entre la compagnie du demandeur et la défenderesse. Dans cette affaire, le demandeur prétendait, comme l'intimé en l'espèce, que la Cour ne devait pas tenir compte de sa compagnie qui, selon son procureur, n'était qu'un « arrangement » entre les parties, « un véhicule de paiement » ou « une commodité fiscale ». Rendant le jugement, le juge André Forget rejette l'action du demandeur pour le motif qu'il n'y a pas de lien de droit entre les parties.[19]
[Référence omise]
[Soulignements du Tribunal]
[53] Quelques années plus tard dans l’arrêt Wright c. Syndicat des techniciennes et techniciens du cinéma et de la vidéo du Québec[20], la Cour d’appel conclut qu’elle ne peut passer outre à la personnalité juridique des sociétés que certains techniciens ont mises sur pied pour rendre leurs services. Les six techniciens qui agissaient ainsi par le biais d'une société par actions avaient le même contrat que les 26 autres techniciens qui, eux, n’agissaient pas par le biais d'une société par actions. La seule différence dans les contrats écrits était une mention pour la TPS-TVQ dans le contrat des techniciens qui fournissaient leurs services par le biais d'une société. Le juge Baudouin (majoritaire) écrit ceci :
[151] Je ne crois donc pas possible, dans le cas présent, par un tour de passe-passe, après s'être constitué en personne morale, de répudier partiellement celle-ci, ou de faire comme si elle ne représentait qu'une simple fiction, parce qu'il existe un désavantage certain résultant de l'application du statut qui y est attaché. Comme l'a écrit mon collègue André Rochon, dissident dans l'affaire Services financiers FBN inc. c. Chaumont, on ne saurait prétendre à la fois au beurre et à l'argent du beurre !
[152] En second lieu, contrairement à ce que mon collègue estime, je ne crois pas, en l'espèce, qu'on puisse invoquer des circonstances tout à fait inhabituelles qui permettraient de traiter l'existence de la personnalité morale comme une simple fiction. J'admets volontiers que la chose peut être faite dans des cas exceptionnels et semble bien l'avoir été dans l'affaire Chaumont, précitée. Je noterai toutefois que dans ce dossier, le litige avait été engagé par le biais d'une requête en révision judiciaire. Dans un tel cas, les tribunaux supérieurs, selon les enseignements de la Cour suprême en matière de décisions administratives, doivent tolérer certaines erreurs à moins qu'elles ne soient manifestement déraisonnables. Le présent dossier ne s'inscrit pas dans ce contexte et, ici, toute erreur est sujette à rectification par notre Cour.
[Références omises]
[54] Dans l’arrêt Transport Jean Gauthier inc. c. Tribunal du travail[21], la Cour d’appel est saisie d’un appel d’un jugement de la Cour supérieure sur une requête en révision judiciaire d’une décision du Tribunal du travail lequel doit décider si André Tremblay est un salarié au sens du Code du travail[22]. André Tremblay a mis sur pied une entreprise qui a œuvré dans plusieurs secteurs avant de conclure un contrat exclusif avec Transport Jean Gauthier inc. André Tremblay n’a pas l’obligation de fournir personnellement ses services et n’est pas tenu à l’exclusivité. La Cour d’appel conclut que Monsieur Tremblay n’a pas le statut de salarié. Pour conclure ainsi, elle analyse les faits à la lumière de la jurisprudence et à cette occasion, elle s’exprime ainsi :
[31] Dans Dazé, le juge Vallerand écrivait en 1991 que le dualisme des régimes juridiques propres aux personnes morales et aux personnes physiques est un principe de base en droit québécois. L’appelant avait constitué une société par le truchement de laquelle il distribuait des périodiques et des revues pour l’intimée. La Cour infirma la décision qui avait accueilli une plainte pour congédiement injustifié en vertu de la Loi sur les normes du travail. Il s’agissait, comme ici, d’un appel en matière de révision judiciaire.
(…)
[147] Lorsque quelqu'un décide de créer une société pour pouvoir bénéficier à certains égards (fiscalité, responsabilité ou autres…) de certains avantages, il faut, me semble-t-il, qu'il accepte également d'en subir, le cas échéant, les inconvénients liés au statut juridique qu'il a choisi.
(…)
[151] Je ne crois donc pas possible, dans le cas présent, par un tour de passe-passe, après s'être constitué en personne morale, de répudier partiellement celle-ci, ou de faire comme si elle ne représentait qu'une simple fiction, parce qu'il existe un désavantage certain résultant de l'application du statut qui y est attaché. Comme l'a écrit mon collègue André Rochon, dissident dans l'affaire Services financiers FBN inc. c. Chaumont, on ne saurait prétendre à la fois au beurre et à l'argent du beurre!
[34] Dans Technologies industrielles S.N.C. inc, le pourvoi porte sur une action en dommages-intérêts pour rupture d’un contrat de travail. Notre Cour, sous la plume de mon collègue le juge Dussault, applique le principe énoncé précédemment et conclut à l’absence de lien de droit entre l’appelante et l’individu qui offrait sa prestation de services par l’entremise de sa société.
[35] Par contre, dans l’affaire Leduc, notre Cour confirme la décision qui qualifie de salarié au sens de la Loi sur les normes du travail un représentant en publicité qui s’exécutait par l’entremise d’une société. Il avait été établi que la création de la société ne résultait pas du choix du salarié mais lui avait été imposée par l’employeur.
[36] Enfin, dans Natrel, notre Cour confirmait la décision du Tribunal du travail qui reconnaissait à des distributeurs de produits laitiers un double statut, celui de salarié pour la part du travail consacré à la livraison de produits laitiers aux clients facturés par Natrel et celui d’entrepreneur indépendant pour la distribution aux clients de détail puisqu’à l’égard de ces derniers, les distributeurs, qui étaient propriétaires de leurs camions de livraison, établissaient le prix des produits, pouvaient se faire remplacer par un autre distributeur et demeuraient maîtres de leur horaire de travail.
[37] Dans le présent cas, la preuve non contredite est que monsieur Tremblay s’adonnait à diverses activités par l’entremise de Location A.D.C. bien avant le début de sa relation avec l’appelante; que c’est à sa demande que les rémunérations gagnées ont été dirigées vers sa société, enfin que cette société est la seule à avoir contracté avec l’appelante un arrangement non exclusif.
[38] Il est acquis que l’un des critères déterminants du statut de salarié est que le travailleur soit personnellement obligé de fournir la prestation de travail. Une telle obligation n’existe pas en l’espèce et la preuve ne révèle pas que l’appelante ait jamais exigé que monsieur Tremblay soit le camionneur attitré pour l’exécution des contrats de transport confiés à Location A.D.C. La clause 5 de la convention de tirage de remorque prévoit au contraire une relation non exclusive de part et d’autre. Le commissaire souligne qu’il ressort de la preuve que Tremblay « est le conducteur régulier de son tracteur et qu’au moment de la perte de son emploi, il travaille en exclusivité pour Transport Jean Gauthier inc. ». Avec égards, cela ne suffit pas. Si monsieur Tremblay a choisi de fournir personnellement la prestation de travail et de travailler quasi exclusivement pour l’appelante, rien ne l’y obligeait.
[39] C’est précisément cela qui dans l’arrêt Chaumont amène la majorité de notre Cour à faire exception à la règle. Même si le travailleur faisait affaires par l’entremise d’une personne morale, le dossier révélait qu’il ne pouvait faire exécuter sa prestation de travail par un tiers et qu’il se trouvait dans une relation de subordination avec le donneur d’ouvrage.
[Soulignements du Tribunal]
[55] Dans l’arrêt Conseillers en informatique d’affaires CIA inc.[23], la Cour d’appel décide que Madame Cohen qui rend des services à CIA par le biais de sa propre entreprise, 4108647 Canada inc., n’est pas une employée de CIA. Selon la Cour d'appel, 4108647 Canada inc. et CIA sont liées par un contrat de services.
[56] Pour arriver à cette conclusion, la Cour d’appel retient les faits suivants. Madame Cohen est embauchée par Logisil en 1987. En 2002, S.I.N.C. achète Logisil et Madame Cohen continue d’y travailler comme employée. Alors qu’elle est à l’emploi de S.I.N.C., Madame Cohen demande à cette dernière si elle peut fournir ses services par l’intermédiaire de sa propre société qu’elle entend constituer à cette fin. S.I.N.C. est d’accord. En 2002, S.I.N.C. et 4108647 Canada inc. signent donc une entente de services. Cette entente ne change rien aux responsabilités de Madame Cohen qui travaille exclusivement pour un client de S.I.N.C. Elle continue de diriger six personnes toutes employées de S.I.N.C. Elle a des cartes professionnelles au nom de S.I.N.C. et son adresse courriel est celle de S.I.N.C. La Cour d’appel indique que Madame Cohen n’a pas de véritable contrôle sur le travail ni sur l’endroit où il est accompli. Elle ne fournit ni locaux ni équipements et ne s’identifie jamais comme une employée de 4108647 Canada inc.
[57] En 2004, Conseillers en informatique d’affaires CIA inc. acquiert S.I.N.C. et Madame Cohen continue de rendre les mêmes services. CIA propose à Madame Cohen de devenir une employée, ce qu’elle refuse. En 2007, Conseillers en informatique d’affaires CIA inc. met fin au contrat avec 4108647 Canada inc.
[58] Quant à la qualification juridique de la relation contractuelle entre les parties, la Cour d’appel écrit ceci :
[34] La question est importante. En effet,
s'agissant d'un contrat de travail à durée indéterminée, l'indemnisation serait
basée sur les règles gouvernant le délai de congé raisonnable que les parties à
un tel contrat doivent se donner lorsqu'elles souhaitent y mettre fin (article
[35] L'entente du 14 novembre 2002 ne peut
définitivement pas être qualifiée de contrat de travail au sens de l'article
[36] Il peut arriver que, dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, on fasse abstraction de la personnalité morale de la société, par exemple lorsque l'existence de celle-ci n'est qu'un subterfuge ou un paravent imposé par un employeur pour échapper aux obligations que la loi lui impose à l'égard de ses salariés. Mais, tel n'est pas le cas ici.
[37] À mon avis, l'entente du 14 novembre
2002 est, comme son titre l'indique, un contrat de service au sens de l'article
[38] L'idée de transformer la relation employeur-salarié en relation client-prestataire de services, en constituant une société par actions pour percevoir les honoraires afférents aux services fournis, est celle de madame Cohen. C'est elle qui a jugé bon de créer une telle société pour profiter, comme elle en avait parfaitement le droit, des avantages fiscaux liés à ce type d'organisation. Elle ne peut aujourd'hui se soustraire aux inconvénients de ce choix. Elle ne peut pas jouer sur les deux tableaux.
[Références omises]
[Soulignements du Tribunal]
[59] Dans l’arrêt Bélanger c. 9254-9328 Québec inc. (Ami Junior Nissan)[24] rendu le 18 juin 2014, la Cour supérieure conclut qu’elle ne peut lever le voile corporatif étant donné que la situation n’entre pas dans ce que la Cour d’appel considère comme une situation tout à fait exceptionnelle.
[60] Dans cet arrêt, Monsieur Bélanger allègue avoir un contrat de travail avec 9254. La responsabilité de Monsieur Bélanger est celle d'un directeur des ventes de voitures neuves, 9254 opérant une concession de voitures Nissan. Lorsqu'il a conclu le contrat avec 9254, il a déjà incorporé sa propre entreprise H.T. Bélanger inc., qu’il a utilisée pour rendre des services à un autre concessionnaire automobile. C’est H.T. Bélanger qui facture 9254 à tous les mois pour les services rendus par Monsieur Bélanger. La rémunération est versée sous forme de commissions. Le juge note que Monsieur Bélanger est soumis à un horaire, doit rendre des comptes au directeur général et qu'il a aussi un adjoint qui se rapporte à lui. Il est le seul actionnaire et administrateur de sa compagnie. La preuve révèle même que 9254 rédige une confirmation d'emploi stipulant que Monsieur Bélanger est à son emploi à titre de directeur des ventes.
[61] Dans son jugement le juge J. Claude Larouche passe en revue la doctrine et la jurisprudence de la Cour d’appel, notamment les arrêts Conseillers en informatique d’affaires CIA inc.[25], Dicom express inc. c. Paiement[26] et Services financiers FBN inc. c. Chaumont[27] pour conclure qu'il ne peut faire fi de la personnalité juridique de H.T. Les parties sont liées par un contrat de services.
[62] Voyons maintenant les deux arrêts soumis par Monsieur Dusser et Focus où la cour a décidé qu'elle pouvait faire fi de la personnalité juridique de la société fournisseur de services et conclure à l'existence d'un contrat de travail.
[63] Dans l’arrêt Services financiers FBN inc. c. Chaumont[28] la Cour d’appel est saisie d’un appel d’un jugement de la Cour supérieure sur une requête en révision judiciaire d’une décision d’un commissaire du travail. Elle conclut que la nature juridique de la relation contractuelle est celle d’un employeur-employé. C'est dans cet arrêt que le juge Rochon écrit une dissidence en commençant sa phrase citée à de nombreuses reprises par la suite :
[18] On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre !
[64] Quant aux juges majoritaires ils retiennent les faits suivants. Monsieur Poulin était le salarié de FBN à titre de conseiller en assurance. Afin de profiter de certains avantages fiscaux, Monsieur Poulin a constitué une société dont il était le seul actionnaire et a suggéré à FBN qu’à l’avenir, sa société agirait comme conseiller en assurances. Un contrat a été conclu entre trois parties, soit FBN, Monsieur Poulin et son entreprise. En vertu de ce contrat, la société recevait des commissions de FBN. Cependant, aux yeux de la clientèle, la personne qui rendait le service était Monsieur Poulin. D’ailleurs, la Cour souligne qu’il était spécifiquement prohibé à Monsieur Poulin d’informer les clients qu’il était le salarié de sa société.
[65] Le contrat prévoyait entre autres que la société de Monsieur Poulin devait offrir ses services exclusivement à FBN et que par l’entremise de Monsieur Poulin. De plus, ce dernier prenait à son compte toutes les obligations auxquelles s’obligeait sa société par contrat.
[66] Dans cet arrêt les juges majoritaires de la Cour d’appel concluent que la société de Monsieur Poulin n’était « qu’un paravent et une boîte aux lettres servant au partage des commissions ». Ils s’expriment comme suit :
[13] Encore faut-il cependant qu'on soit devant un cas où véritablement la personne physique a agi par l'entremise d'une personne morale.
[14] Or ce n'est pas le cas en l'espèce. Comme je l'ai suggéré plus haut, Services Financiers a accepté que Poulin agisse par l'entremise d'une personne morale, mais, en réalité, le contrat qu'elle a fait signer à la société et à Poulin dit tout autrement.
[15] Les circonstances du présent dossier se distinguent sans peine de celles de l'affaire Dazé c. Messageries Dynamiques, […] Dans cette affaire il y avait un contrat entre Messageries Dynamiques et la société constituée par l'ancien salarié, contrat auquel celui-ci n'était pas partie. De plus l'ancien salarié et sa société pouvaient faire exécuter leurs obligations par des tiers. Bref, il n'y avait pas comme en l'espèce un lien de subordination entre Messageries Dynamiques et la personne physique qui exécutait le travail confié par Messageries Dynamiques.
[Référence omise]
[67] Dans l’arrêt Burrier Pincombe c. Immunotec inc.[29], Madame Burrier poursuit Immunotec pour obtenir une indemnité tenant lieu de délai de congé en raison de son congédiement sans motif sérieux. Immunotec plaide que Madame Burrier n’est pas une employée, le contrat étant avec Aarvangar la société de Madame Burrier.
[68] La Cour supérieure reconnaît que le dossier qui lui est présenté relève de circonstances inhabituelles et même exceptionnelles de sorte qu'elle est justifiée de soulever le voile corporatif et conclure qu'il s'agit d'un contrat de travail pour les motifs qui suivent :
[69] Premièrement, le contrat d'embauche initial conclu entre Mme Burrier et Evergreen l'a été en son nom personnel à elle et l'essence de ce contrat ainsi que les prestations que Mme Burrier devait fournir n'ont pas été changées. Elle est restée la même employée, avec les mêmes conditions de travail, le même environnement et la même structure d'autorité et de responsabilités.
[70] Deuxièmement, c'est à la suggestion, voire à la recommandation, de M. Roberts que Mme Burrier a été invitée à se créer une compagnie de gestion personnelle afin d'éviter, semble-t-il, d'être imposée; ce n'est pas venu de son initiative à elle.
Or, dès le départ, il était clair qu'il n'y aurait dans son cas aucune déduction à la source au Canada, étant donné qu'elle était de toute façon résidente aux États-Unis.
[71] Troisièmement, une lecture attentive et détaillée du contrat montre bien que ce n'est pas tellement avec la personne morale Aarvangar qu'Immunotec désire contracter, mais bien avec Cynthia Burrier.
[Soulignements du Tribunal]
[69] Quant au libellé du contrat, celui-ci prévoit notamment que tous les services doivent être fournis exclusivement par Madame Burrier et rendus conformément aux instructions d’Immunotec. Le contrat prévoit aussi que la société de Madame Burrier garantit que cette dernière est et qu’elle demeurera la seule actionnaire de cette société pendant l’entente. De plus, le contrat prévoit spécifiquement qu’elle est responsable solidairement avec sa société des obligations de cette dernière. Pour tous ces motifs, la Cour supérieure a conclu que cette société n’était qu’un « mince paravent ».
[70] La revue de la jurisprudence qui précède ne se veut pas exhaustive. Néanmoins, elle couvre les décisions principales sur le sujet. Le Tribunal en retient qu’il pourra faire fi de la personnalité juridique d'une société que dans un cas tout à fait exceptionnel.
[71] Il ressort de la jurisprudence ci-dessus mentionnée qu'une telle situation exceptionnelle existe lorsque la preuve révèle l'existence d'une combinaison de certains des éléments suivants :
- l’entreprise cliente a requis du prestataire de services qu’il agisse par le biais d’une société incorporée;
- la personne physique avait, antérieurement à la création de sa société, une relation d’employeur-employé avec l'entreprise bénéficiaire de ses services;
- la personne physique est aussi une partie au contrat avec l'entreprise cliente;
- les services sont fournis en exclusivité au client;
- les services doivent être fournis exclusivement par la personne physique, actionnaire unique de sa société;
- la personne physique est personnellement responsable des obligations de sa société.
[72] En l’espèce, Monsieur Dusser fonde Focus en 2000 au moment où il s'établit au Québec, avant même d'entreprendre quelque démarche que ce soit auprès d'Aromatik. Son objectif est d’obtenir des contrats de services dans l’industrie dans laquelle il œuvre depuis plusieurs années, et ce, particulièrement pour des entreprises françaises qui désirent distribuer leurs produits au Canada.
[73] Dans son contre-interrogatoire Monsieur Dusser reconnaît que Focus n'a pas été créée à la demande de Monsieur Deslandes ou de son père mais bien à son initiative. Un peu plus tard, il ajoute que Jean-Claude Deslandes voulait « avoir des factures ». Malgré cette dernière précision de Monsieur Dusser, le Tribunal considère ne pas être dans une situation où le client exige que le fournisseur de services se constitue en société par actions. Monsieur Dusser n'a pas fait la preuve que Jean-Claude Deslandes exigeait que ce soit une société par actions qui fournisse les services. Il est tout à fait normal qu'il y ait une facture pour des services que ceux-ci soient rendus par une société par actions ou par une personne physique, travailleur autonome.
[74] Focus, par l'entremise de Monsieur Dusser, rend donc des services moyennant un prix[30]. Ni Focus ni Monsieur Dusser n’a l'obligation d'agir exclusivement pour Aromatik.
[75] En effet, bien que Focus n’ait pas encore débuté ses activités lorsqu’elle signe l’Entente[31], Monsieur Dusser entrevoit déjà d’autres activités pour Focus. D'ailleurs, son implication auprès d’Aromatik ne l’occupe pas à temps plein. Au mieux, ses activités pour Aromatik occupent 50 % de son temps. Ainsi, rapidement Focus a d’autres clients dont Cedarome qui, en 2008, génère des revenus d’environ 35 000 $ pour Focus.
[76] La preuve révèle qu'en tout temps Focus a eu d'autres clients qu'Aromatik, comme Cedarome, Métarom, Cherry Rocher bien que ceux-ci ne soient pas des clients aussi importants qu'Aromatik.
[77] Par ailleurs, la preuve ne démontre pas que les services doivent être fournis exclusivement par Monsieur Dusser même si, dans les faits, il est le seul qui les rend. Dans le contexte où il possède une grande expertise dans le domaine où œuvre Aromatik et qu’il est le seul actionnaire et employé de Focus, il n’y a aucune surprise à cet égard, le Tribunal ne croit pas que ce soit un élément déterminant en l'espèce.
[78] Monsieur Dusser n’était pas signataire de l'Entente et il n’était pas, en vertu de l’Entente, responsable des obligations de Focus. Il est vrai qu'en vertu de l'Entente, Monsieur Dusser s'était engagé à ne pas concurrencer les activités d'Aromatik. Cependant, il ne s'agit pas d'être personnellement responsable des obligations de Focus et ce seul élément n'apparaît pas suffisant pour que la présente situation se transforme en situation tout à fait exceptionnelle. La preuve ne démontre pas non plus que Monsieur Dusser s'est autrement rendu responsable des obligations de Focus.
[79] Monsieur Dusser n’a jamais été employé d’Aromatik même avant la signature de l'Entente en décembre 2000.
[80] Également, les états financiers de Focus démontrent qu'elle est propriétaire d'outils de travail, soit de matériel informatique, pour lesquels elle profite même d'un amortissement fiscal et elle est aussi propriétaire d'outils de télécommunication. Elle encoure des dépenses à titre de frais de représentation et paye un loyer[32].
[81] Il ne s'agit donc pas d'une société qui reçoit simplement des commissions et les transmet à Monsieur Dusser. Focus n'est pas qu'une simple « boîte aux lettres ».
[82] D’autre part, même si le Tribunal ne croit pas nécessaire d'analyser les faits sous cet angle étant donné ce qui précède, la preuve ne démontre pas de subordination juridique, élément essentiel à tout contrat de travail.
[83] En effet, Monsieur Dusser n’est pas soumis à un horaire de travail, on ne lui demande aucun rapport sur ses activités. Il n'est pas soumis aux instructions ou directives de Monsieur Deslandes dans l'exercice de ses services.
[84] Il est vrai que la preuve a révélé que Monsieur Deslandes a, à quelques reprises, pris des décisions en tant que président avec lesquelles Monsieur Dusser, n'était pas d'accord. À titre d'exemple, la modification des étiquettes, la grosseur des bouteilles pour un client et le congédiement du directeur général, Monsieur Ledain. La preuve démontre que Monsieur Deslandes a consulté Monsieur Dusser ainsi que des employés d'Aromatik avant de prendre ces décisions qui relevaient de la production et du contrôle de la qualité. Celles-ci ne relevaient pas des services de Monsieur Dusser et ne peuvent servir à démontrer un lien de subordination.
[85] Monsieur Deslandes ne limite aucunement les autres activités professionnelles de Monsieur Dusser ou de Focus.
[86] Focus fournit ses outils de travail jusqu’à ce qu'en 2011, Monsieur Dusser décide d’acheter un nouvel ordinateur portable et, de son propre chef, facturer le coût de cet outil de travail à Aromatik. D’ailleurs, cela créera une friction entre les deux individus puisque Monsieur Deslandes n'était pas d'accord qu'Aromatik assume les frais de cet ordinateur.
[87] Avant 2006, Monsieur Dusser travaille à partir de sa résidence ou de chez Cedarome même lorsqu'il rend des services à Aromatik. Ce n'est qu'à compter de 2006 qu'il a un bureau dans les locaux d'Aromatik.
[88] À la lumière de la preuve prépondérante, il est clair que Focus a été créée pour les propres fins de Monsieur Dusser et non aux fins du contrat avec Aromatik. Même lorsqu’il est devenu actionnaire d’Aromatik, ses services ont continué d'être fournis par le biais de Focus et la preuve n’indique pas pourquoi. Néanmoins, une chose est certaine, cela devait être à sa satisfaction puisque rien n’a changé et ce n'était pas une exigence d'Aromatik ou de Monsieur Deslandes.
[89] En choisissant d’utiliser Focus pour les services rendus à Aromatik, Monsieur Dusser en tire un bénéfice et il ne peut jouer sur les deux tableaux. Il y a des conséquences juridiques à faire affaire par le biais d’une société même si on en est l’unique actionnaire.
[90] Le fait que Monsieur Dusser soit aussi un actionnaire et un administrateur d'Aromatik n'y change rien.
[91] En effet, rien n'empêche un individu d'être actionnaire et administrateur d'une entreprise et, par le biais de sa société par actions, conclure avec cette entreprise un contrat de services.
[92] Avant de conclure sur cette question et bien que Focus et Monsieur Dusser ne l'aient pas précisément invoqué dans le cadre de leurs procédures ou de leur plaidoirie, le Tribunal croit qu'il doit distinguer la présente affaire de celle étudiée par la Cour d'appel dans l'arrêt Les Agences Jacques Parent Inc. c. Meubles Concordia Ltée[33].
[93] Dans cet arrêt, la Cour d'appel rapporte que l'agence représente depuis 25 ans Meubles Concordia afin de vendre ses produits.
[94] La Cour d'appel conclut que le juge de première instance n'a pas commis d'erreur manifeste ou déterminante en qualifiant le contrat qui liait les parties de contrat sui generis et qu'il a même raison d'écarter la prétention de Meuble Concordia qu'il s'agit d'un contrat de services.
[95]
Pour conclure ainsi, la Cour d'appel retient que l'agence n'a pas
l'entière liberté du choix des moyens d'exécution, car elle n'a aucun contrôle
sur les prix ou encore la distribution des produits. Selon la Cour d'appel, il
existe donc un certain lien de subordination et, par conséquent, il ne peut
s'agir d'un contrat de services puisque selon l'article
[96] En l'espèce, tel qu'expliqué plus haut le Tribunal considère que Focus, par l'entremise de Monsieur Dusser, rend des services moyennant un prix[34] et que la preuve n'a pas révélé qu'il existait un lien de subordination entre Focus, Monsieur Dusser et Aromatik.
[97] Par conséquent, le Tribunal conclut que le contrat unissant Focus et Aromatik est un contrat de services.
[98] De plus, le Tribunal ne peut se convaincre qu’il est en présence d’une situation tout à fait exceptionnelle permettant que l’on fasse abstraction de la personnalité juridique de Focus.
3.2 Quelles sont les règles de droit applicables en matière d’indemnisation lors de la résiliation d’un contrat de services?
[99]
Considérant la conclusion du Tribunal à l'effet que le contrat entre
Focus et Aromatik est un contrat de services, ce sont les articles
2125. Le client peut, unilatéralement, résilier le contrat, quoique la réalisation de l'ouvrage ou la prestation du service ait déjà été entreprise.
2126. L'entrepreneur ou le prestataire de services ne peut résilier unilatéralement le contrat que pour un motif sérieux et, même alors, il ne peut le faire à contretemps; autrement, il est tenu de réparer le préjudice causé au client par cette résiliation.
Il est tenu, lorsqu'il résilie le contrat, de faire tout ce qui est immédiatement nécessaire pour prévenir une perte.
2129. Le client est tenu, lors de la résiliation du contrat, de payer à l'entrepreneur ou au prestataire de services, en proportion du prix convenu, les frais et dépenses actuelles, la valeur des travaux exécutés avant la fin du contrat ou avant la notification de la résiliation, ainsi que, le cas échéant, la valeur des biens fournis, lorsque ceux-ci peuvent lui être remis et qu'il peut les utiliser.
L'entrepreneur ou le prestataire de services est tenu, pour sa part, de restituer les avances qu'il a reçues en excédent de ce qu'il a gagné.
Dans l'un et l'autre cas, chacune des parties est aussi tenue de tout autre préjudice que l'autre partie a pu subir.
[100] En vertu de ces dispositions, le client peut résilier en tout temps, sans préavis et pour quelque motif que ce soit le contrat.
[101] Il doit alors payer pour les services déjà exécutés. Il doit de plus indemniser le prestataire de services pour tout autre préjudice que celui-ci a pu subir.
[102] Les
parties peuvent cependant prévoir un préavis de résiliation puisque ni
l’article
[103] Par
ailleurs, le client doit aussi agir de bonne foi lorsqu'il exerce son droit de
résilier le contrat. Ce sont les articles
[104] La Cour
d’appel[36]
a déterminé que l’expression « autre préjudice » du troisième
paragraphe de l’article
[105] La Cour d’appel se prononce ainsi :
[40] Dans la mesure où le contrat en est un
de service, le prestataire de services - ici 4108647 - n'a pas, en principe et
en l'absence de stipulation contractuelle particulière, droit à un préavis de
résiliation, le client - ici CIA - ayant le pouvoir de résilier unilatéralement
le contrat en tout temps, même lorsque la prestation du service a déjà été
entreprise (art.
[41] Le client est alors cependant tenu de
payer au prestataire de services la valeur des travaux exécutés avant la fin du
contrat, ce qui a été fait ici. Il est également tenu de tout autre préjudice
que le prestataire de services a pu subir en raison de la résiliation du
contrat (art.
[42] Les termes « autre préjudice »
doivent être interprétés restrictivement de crainte de faire perdre tout son
sens à la règle énoncée à l'article
[43] La perte des revenus que le contrat aurait générés s'il avait été mené à terme n'en fait pas partie. Dans Pelouse Agrostis Turf Inc. c. Club de golf Balmoral, […], le juge Forget écrit :
[5] Le
client qui se prévaut de l'article
(…)
[31] De
plus, si on donne au mot «préjudice» le sens le plus étendu, il faudrait
conclure que le premier paragraphe de l'article
(…)
[34] Si
le client doit payer pour la perte d'un profit éventuel, il est difficile de
voir quel avantage lui est conféré par l'article
(…)
[36] Il ne faut pas perdre de vue que le client, dans le cas d'une résiliation unilatérale, exerce un droit strict que lui confère l'article 2125. Il est inconcevable de penser qu'il doit être placé dans la même situation que celui qui commet une faute contractuelle en invoquant un motif non fondé.
[44] Le juge de première instance conclut à l'obligation pour CIA de donner à 4108647 un préavis d'une durée raisonnable avant de résilier l'entente du 14 novembre 2002. Il invoque tantôt l'intention des parties, tantôt les clauses de l'entente relatives à la résiliation.
[45] Voyons ce qu'il en est.
[46] D'abord, il m'apparaît inexact de soutenir que le simple fait de passer d'une situation où les services sont fournis par une personne physique à une situation où les mêmes services sont offerts par une société par actions crée « une présomption » de survie de l'obligation de l'employeur de fournir à son salarié un préavis de résiliation raisonnable ou permet d'inférer qu'il y a renonciation implicite de la part du client à son droit de résilier le contrat sans préavis.
[47] Plusieurs des décisions sur lesquelles le juge de première instance appuie son raisonnement sont antérieures à l'entrée en vigueur du Code civil du Québec, à une époque où les tribunaux hésitaient à qualifier les contrats d'agence de vente ou de distribution de contrats de travail, mais appliquaient les dispositions du mandat en cas de terminaison abrupte de la relation d'affaires.
[48] Le Code civil du Québec a introduit le contrat de service et reconnu au client le droit de mettre fin au contrat unilatéralement.
[49] Je ne vois pas en vertu de quelle règle de droit on pourrait conclure que le fait d'avoir préalablement offert des services personnellement, pour ensuite le faire par l'intermédiaire d'une société par actions constituée à cette fin, permettrait de transférer les attributs du contrat de travail (avantages et inconvénients) dans le contrat de service liant le client à la société prestataire de services.
[50] Ce sont là deux contrats différents, chacun revêtant des attributs qui lui sont propres.
[51] Le juge de première instance voit également dans les clauses de l'entente relatives à la faculté de résiliation une obligation pour CIA d'aviser 4108647 à l'avance de son intention de résilier l'entente et partant, le droit de celle-ci à un préavis advenant la résiliation du contrat pour une raison autre que la décision de NaviSys/MetLife de cesser de faire affaires avec CIA.
[52] Sur ce point, je partage son avis.
[…]
[62] D'abord, il faut se rappeler que l'entente liant les parties en est une de service et qu'en principe (si l'on fait abstraction pour un instant des clauses 3.1 à 3.3), CIA pouvait y mettre fin unilatéralement, sans préavis.
[63] Ensuite, force est de constater que le seul délai précis auquel les clauses 3.1 et 3.3 réfèrent en est un de 30 jours.
[64] Finalement, il me semble exagéré de dire que le délai de 10 mois stipulé dans la clause de non-concurrence constitue une indication valable de la durée du préavis que CIA devait donner à 4108647 en cas de résiliation unilatérale de l'entente. De toute manière, il y a tout un bond entre ce délai et celui de 18 mois que le juge de première instance retiendra finalement.
[…]
[67] Selon moi, la durée du préavis auquel 4108647 a droit en cas de résiliation unilatérale de l'entente par CIA ne saurait excéder celle des avis mentionnés aux clauses 3.1 et 3.3, soit 30 jours.
[Référence omise]
[Soulignements du Tribunal]
[106] La Cour
supérieure[37]
rappelle elle aussi que cet autre préjudice ne peut être la perte de revenus
que le contrat aurait pu générer s’il avait été mené à terme, puisque cela
aurait pour effet d’annuler le droit du client de mettre fin au contrat tel que
le prévoit l’article
[107] Dans un
autre arrêt[38],
la Cour d’appel ajoute qu’une interprétation littérale du troisième paragraphe
de l’article
[29] Le premier paragraphe de l'article
[30] Quant au préjudice déjà subi, on peut penser aux débours encourus pour les fins de ce contrat, tels l'achat ou la location d'équipement particulier, l'engagement de personnel spécialisé qui ne peut être mis à pied sans préavis, etc.
[108] Focus cite, au soutient de sa réclamation, la décision Richman c. Adidas Sportschuhfabriken[39]. Il s’agit d’un arrêt où la conclusion reposait sur les dispositions du Code civil du Bas-Canada et dans cette affaire, la Cour d’appel avait accordé des dommages basés sur la perte du profit qui aurait pu être réalisé durant la période du contrat.
[109] Considérant les dispositions du Code civil du Québec ainsi que les décisions de la Cour d’appel et de la Cour supérieure précitées, le Tribunal croit que cette décision ne peut dorénavant plus être suivie.
[110] Focus cite
également l’arrêt Agences Jacques Parent inc. c. Meubles Concordia
ltée[40]
dans lequel le juge Larouche conclut qu’un préavis devait être remis au moment
de la résiliation du contrat. Cependant, le Tribunal croit que cet arrêt de
même que la décision de la Cour d'appel[41]
doivent également être écartés puisque la conclusion sur l'obligation de donner
préavis repose sur le fait qu'il s'agit d'un contrat sui generis tel que
l'ont déterminé tant la Cour supérieure que la Cour d'appel comme mentionné
plus haut. Ce ne sont donc pas les articles
[111] Appliquons ces principes de droit aux faits en l'espèce.
3.3 Focus a-t-elle droit à une somme équivalente à 12 mois de commissions et du coût de la location de la voiture en vertu de l'Entente ou d'une autre obligation contractuelle?
[112] Étant donné que les parties ont prévu une indemnité de 12 mois de commissions à l'Entente, le Tribunal doit donc déterminer si Focus a droit à cette indemnité.
[113] Aromatik prétend que l’Entente n’est plus en vigueur vu qu’au fil du temps elle a été dénaturée et qu’au moment de la fin de la relation entre Focus et Aromatik, la situation est tellement différente de celle envisagée dans l’Entente qu’il est impossible de conclure que celle-ci soit toujours en vigueur.
[114] Monsieur Dusser prétend pour sa part que seule la rémunération a changé et que l'article 1.9 de l'Entente est toujours en vigueur.
[115] Le Tribunal n'est pas d'accord avec la position de Monsieur Dusser.
[116] L'article
[117] À ce sujet, l'auteur Didier Lluelles[43] s'exprime de la façon suivante :
11. La modification conventionnelle est-elle de la nature d’un nouveau contrat? La solution peut être capitale dans certains cas. Songeons à la computation du délai de deux ans des articles 2424 et 2441, en assurance de personnes, qui risque de repartir à zéro si la modification de la police équivaut à un nouveau contrat. D’emblée écartons un critère, trop formel pour être déterminant : le fait que les éléments de modification ont été fondus dans un nouveau document contractuel les intégrant à l’ancien ne permet pas, à lui seul, de conclure à la présence d’un nouveau contrat (songeons à la signature d’un nouveau bail ou à l’émission d’une nouvelle police). Par contre, si la modification transforme l’objet même du contrat au point d’en altérer la qualification, nul doute qu’il s’agit d’un nouveau contrat. Tel sera le cas du prêt d’un bien non consomptible, devenu payant en cours de route par une décision des parties : la modification a donné naissance à une location, le prêt à usage étant, par essence, un contrat à titre gratuit (art. 2313). Entre ces deux pôles extrêmes, il y a place pour la mesure. Si la modification n’altère pas la nature du contrat, les juges vont se prononcer en fonction du caractère essentiel ou accessoire de l’élément modifié. Il faudrait se garder de conclure que la modification de tout « élément essentiel », aux fins de la définition de l’offre (cf. art. 1388), va automatiquement entraîner une qualification de nouveau contrat. D’autres éléments d’appréciation, notamment l’intention probable des contractants, peuvent peser dans la balance. S’il ne s’agit que d’un changement technique (comme la modification des modalités de remboursement), la tendance est de conclure à l’identité de contrat, à défaut d’indices d’une volonté contraire des parties.
[Références omises]
[118] Quant à savoir si les modifications sont suffisamment importantes pour créer un nouveau contrat, il s'agit essentiellement d'une question de faits[44].
[119] Il est vrai que la situation a bien changé depuis la signature de l’Entente le 1er décembre 2000.
[120] Tout d’abord, au moment de la signature de l’Entente, Monsieur Dusser n'est pas actionnaire d'Aromatik. Or, en août 2001, il devient actionnaire d’Aromatik.
[121] Les services que rend Monsieur Dusser ont également évolués dans le temps. Les services initialement prévus à l'Entente sont ceux d'agent commercial. Au fil du temps, Monsieur Dusser prend en charge les ventes, le développement de la clientèle et la responsabilité du personnel d'Aromatik relié à ces activités.
[122] Par ailleurs, la rétribution a grandement changé même si elle a toujours été payée à Focus.
[123] En effet, l’Entente prévoit le paiement de commissions que sur le chiffre d’affaires généré par Monsieur Dusser ainsi qu’une avance de 1 000 $ pour les six premiers mois, laquelle est déduite des commissions.
[124] Or, Monsieur Dusser reconnaît lors de son contre-interrogatoire que la rémunération prévue à l'Entente signée en décembre 2001 n'a été appliquée que jusqu'en juillet 2001. Il ajoute même qu'à compter de 2004, les revenus de Focus sont établis en fonction de la Convention[45] et non plus de l'Entente.
[125] Depuis 2004, les commissions sont payées à Focus sur la base des ventes totales d’Aromatik et non seulement sur celles générées par Monsieur Dusser. De plus, celles-ci sont en proportion de l'actionnariat de Monsieur Dusser.
[126] Dans les faits, les deux actionnaires, Messieurs Dusser et Deslandes, s’entendent sur le pourcentage des ventes totales d’Aromatik qui sera consacré à la rémunération de Monsieur Deslandes et de Focus et ce pourcentage est ensuite ramené à la proportion respective de Messieurs Dusser et Deslandes dans l’actionnariat d’Aromatik.
[127] Ainsi, s’ils décident que 5 % des ventes d’Aromatik sont consacrés à la rémunération, Focus reçoit 2,05 % des ventes (soit 41 % de 5 %) et Monsieur Deslandes 2,95 % (soit 59 % de 5 %). Le pourcentage des ventes destiné à la rémunération commune varie dans le temps.
[128] Quant aux avances, elles vont aussi varier dans le temps puis disparaître. Ainsi, à compter du 30 juillet 2004, les avances n'existent plus et Focus reçoit une somme de 500 $ par mois à titre de frais professionnels[46].
[129] Dès cette époque, l'Entente dont l'objet est de rémunérer Focus pour les services de Monsieur Dusser en tant qu'agent commercial en fonction des ventes qu'il génère n'est plus en vigueur. Le contrat porte maintenant sur des services différents et une rémunération versée à Focus en fonction des ventes totales d'Aromatik et en proportion des actions que Monsieur Dusser détient dans Aromatik. Il n'y aura aucun changement à cet égard jusqu'à la résiliation par Aromatik le 9 septembre 2011.
[130] De plus, à compter de 2008, Messieurs Dusser et Deslandes bénéficient d’une voiture dont Aromatik paie le coût de location.
[131] En soi, tous ces éléments démontrent que l’Entente a fait l'objet de modifications substantielles qui ont été acceptées par les deux parties. Il ne s'agit pas de simples modifications, tel que le prévoit l'article 1.8 de l'Entente, qui relèvent de l'évolution de la situation que les parties avaient envisagée au départ. Dans les faits, tout se passe comme si l'Entente n'est plus en vigueur et qu'un nouveau contrat la remplace[47].
[132] Afin d’illustrer nos propos, il nous apparaît utile de reprendre les commentaires du juge Louis Crête dans l’arrêt Burrier[48] :
[99] Or, en raison du changement d'affectation de Mme Burrier, changement qui a été confirmé par l'annonce faite le 30 octobre 2000, il est manifeste que le contrat de novembre 2000 remplace l'offre d'embauche et l'entente du 3 juillet 1996. Les droits que Mme Burrier pouvait avoir eus en vertu de l'ancienne entente sont devenus caducs. En revanche, de nouveaux droits lui ont été accordés. Le droit de la demanderesse de toucher 1 % des ventes d'Evergreen et, par la suite, d'Immunotec Research Ltd. s'est dès lors éteint le 1er novembre 2000 à la signature du nouveau contrat. Si tant est que ce droit au 1 % des ventes ait subsisté jusqu'à cette date-là, toute réclamation à cet égard est maintenant prescrite.
[103] Dans un tel contexte, il est clair que si Mme Burrier pouvait, avant le 1er novembre 2000, prétendre avoir encore droit à 1 % des ventes d'Immunotec Research Ltd. en raison de l'offre faite par Evergreen en juillet 1996, ce droit était désormais révoqué de consentement par la signature de l'entente, laquelle remplaçait à toutes fins utiles le contrat d'embauche de 1996.
[104] En voulant maintenir son droit au 1 % des ventes de la compagnie défenderesse de 2003 à 2008, après avoir bénéficié de l'entente à partir de novembre 2000 et du partage des profits de la compagnie prévu à cette entente, Mme Burrier réclame en réalité le beurre et l'argent du beurre.
[Soulignements du Tribunal]
[133] Soulignons de plus que la clause 1.9 de l'Entente sur laquelle s'appuie Focus prévoit que dans l'éventualité « du renvoi de M. Philippe Dusser les rétributions prévues à l'article 1.2 lui seront versées, pour une période équivalente à … » 12 mois. Or, cet article 1.2 est devenu sans objet. En effet, comme nous l'avons vu précédemment, « les rétributions prévues à l'article 1.2 » n'existent plus. La « rétribution » au moment de la fin de la relation est toute autre.
[134] Par ailleurs, le Tribunal note que l’Entente n’a jamais été invoquée par Monsieur Dusser à quelque moment que ce soit auprès de Monsieur Deslandes avant le 10 octobre 2011. Même lors de la signature de la convention entre actionnaires en novembre 2004[49] Monsieur Dusser ne soulève pas l'existence de l'Entente. Il eut été utile de souligner cette entente à l’époque puisque, notamment, la convention entre actionnaires comprend une clause de non-concurrence alors que l’Entente en prévoyait déjà une.
[135] Il est également étonnant qu’au moment de la fin du contrat, le 9 septembre 2011 ou dans les jours qui ont suivi, alors que Monsieur Deslandes n'offre de payer à Focus que l'équivalent de trois semaines de commissions, Monsieur Dusser ne soulève pas cette Entente qui, selon lui, donne à Focus le droit à une indemnité représentant 12 mois de commissions.
[136] Monsieur Dusser a indiqué qu’il ne l’avait pas soulevée préférant plutôt essayer de s’entendre à l’amiable. Le Tribunal croit plutôt que son retard à soulever la clause d'indemnisation dans l'Entente démontre qu'il ne croyait plus qu'elle était encore en vigueur.
[137] L’Entente n’est donc plus en vigueur et la preuve ne démontre pas que les parties ont autrement prévu un préavis de résiliation de 12 mois ou une indemnité en tenant lieu comme le réclame Focus. Il n'y a donc aucune stipulation contractuelle donnant ouverture à la réclamation de Focus ou de Monsieur Dusser.
3.4 Focus ou Monsieur Dusser a-t-il droit à une indemnité en vertu
de l'article
[138] Nonobstant la conclusion voulant qu'Aromatik n'ait aucune obligation contractuelle de donner un préavis de résiliation à Focus, le Tribunal doit maintenant déterminer si cette dernière ou Monsieur Dusser a droit à une indemnité en vertu du Code civil du Québec en raison de la résiliation du contrat de services par Aromatik.
[139] Le
Tribunal retient de la jurisprudence précitée, qu’à moins d'une obligation contractuelle
contraire, Aromatik n’a pas à donner un préavis avant de résilier le contrat de
services avec Focus. L’expression « autre préjudice » du
troisième paragraphe de l’article
[140] Focus
a-t-elle fait la preuve d’un autre préjudice qu'elle aurait subi tel que
l'entend le législateur au troisième paragraphe de l'article
[141] Le
Tribunal n’en voit aucun dans la preuve qui a été administrée et Focus n'a pas
plaidé avoir subi un autre préjudice au sens de l'article
[142] Focus a-t-elle fait la preuve qu’Aromatik a abusé de son droit en résiliant le contrat le 9 septembre 2011 et en ne payant que les commissions jusqu'à la fin du mois septembre après une relation de 11 ans ?
[143] La juge Manon Savard, siégeant alors en Cour supérieure, circonscrit cette notion d'abus de droit en matière de contrat de services dans l'arrêt Gestion environnementale Nord-Sud Inc. c. Ste-Marthe-sur-le-Lac (Ville de)[50]. Elle écrit notamment :
[103] La notion d'abus de droit,
qui s'applique en matière contractuelle, est consacrée aux articles
[104] En principe, l'abus de droit n'est pas restreint à la mauvaise foi, à la malice ou à l'intention de nuire, mais résulte également de l'exercice excessif et déraisonnable d'un droit. Dans ce dernier cas, le tribunal analyse si le titulaire du droit « l'exerce autrement qu'en personne normalement prudente, diligente et, pourrait-on ajouter à la lumière de l'arrêt Houle, loyale ».
[105] Par contre, pour déceler l'existence d'un abus de droit dans une situation donnée, le tribunal doit « tenir compte du type de droit dont l'exercice est en jeu ».
[106] Or, l'exercice d'un droit discrétionnaire requiert une analyse différente de l'abus de droit.
[107] Dans l'affaire Ponce
c. Montrusco & Associés inc., la Cour d'appel analyse la notion
d'abus de droit lors de l'exercice par un employeur de son droit de mettre fin
à un contrat d'emploi selon l'article
[108] Également, son exercice, tel que permis par le législateur, est « intrinsèquement préjudiciable à l'autre partie ».
[109] Malgré son caractère
discrétionnaire et son effet intrinsèquement préjudiciable, la Cour d'appel
rappelle que l'exercice par l'employeur de son droit de résilier un contrat
d'emploi aux termes de l'article
[110] Selon elle,
l'application des articles
[22] Bref, il
résulte de la jurisprudence que si l'exercice de la faculté unilatérale de
résiliation consacrée par l'article
(nos soulignements et référence omise)
[111] Le Tribunal est d'avis
que le même principe s'applique, par analogie, lors de l'exercice par le client
de son droit à la résiliation unilatérale selon l'article
[112] Ce droit est
discrétionnaire. Aucun motif sérieux n'est nécessaire pour résilier le contrat.
Son exercice n'est assujetti à aucune modalité. La résiliation selon l'article
[113] L'abus ne peut donc résulter du seul exercice de ce droit.
[114] Pour qu'il y ait abus de
droit, lors de l'exercice de ce droit, GENS devait démontrer que la Ville a agi
en vue de lui nuire au sens de l'article
[115] Or, en l'instance, la preuve ne permet pas de conclure à un tel abus de droit.
[116] En mars 2010, la Ville apprend que la Ville de Deux-Montagnes a résilié le contrat octroyé à GENS pour l'enfouissement de ses matières résiduelles, ce qui l'amène à revoir sa propre situation.
[117] Certes, le 19 mai 2010, la Ville agit de façon inappropriée. Elle invoque la résiliation pour inexécution contractuelle, sans avoir préalablement informé GENS de l'existence d'un défaut et sans lui avoir donné la possibilité d'y remédier, contrairement au Contrat.
[118] Le défaut d'avis préalable est délibéré et pourrait laisser croire à de la mauvaise foi.
[119] Par contre, la Ville modifie sa position le 22 juin suivant et invoque son droit à la résiliation unilatérale.
[120] Ce droit est exercé six mois après l'appel d'offres, dont le but, en principe, est d'obtenir le meilleur prix dans un marché de libre concurrence.
[121] Il peut être étonnant que la Ville estime être en mesure, dans un si court délai, d'obtenir un meilleur prix.
[122] Par contre, en prenant une telle décision la Ville commet-elle une faute ou agit-elle de manière à nuire à GENS? Le Tribunal ne peut retenir cette proposition.
[123] Il est vrai que le tarif de 59,33 $ la tonne, proposé à la soumission de GENS, tient compte de la durée prévue du Contrat. En le résiliant six mois après son octroi, la Ville bénéficie d'un tarif établi en fonction d'un terme de cinq ans (possiblement plus avantageux), alors que dans les faits, le Contrat ne dure que quelques mois.
[124] Mais telles sont les règles
du jeu aux termes de l'article
[125] Le Tribunal ne peut ignorer également qu'en toile de fond à cette décision de la Ville se trouvent les lettres d'entente conclues entre certaines municipalités et la Régie relativement au tarif d'enfouissement des matières résiduelles, incluant l'Entente du 15 juin 2006, dont leur portée est litigieuse et est actuellement devant les tribunaux.
[126] Les faits en l'instance sont différents de ceux de l'affaire Mabe Canada inc. (Camco inc.) c. 2849-9937 Québec inc. invoquée par GENS au soutien de sa position. Dans cette affaire, la décision du client de résilier le contrat avait pour but d'évincer le prestataire de service une fois le travail accompli, pour ainsi se soustraire à son obligation de payer la commission convenue, justifiant ainsi la conclusion du juge de première instance que le client avait abusé de son droit. Tel n'est pas le cas en l'espèce : GENS n'a pas établi l'existence d'une telle faute de la Ville.
[127] De même, dans l'affaire Roch Lessard inc. c. Immobilière S.H.Q., la résiliation du contrat a lieu moins de 24 heures après sa conclusion et pour des motifs fallacieux. Les circonstances en l'instance sont étrangères à cette affaire.
[128] En conséquence, le Tribunal conclut que GENS n'a pas établi que la Ville a commis un abus de droit lors de la résiliation unilatérale du Contrat le 22 juin 2010.
[Références omises]
[Soulignements du Tribunal]
[144] Dans l'arrêt 3832112 Canada inc. c. Construction Rosdev (L.C.) Inc.[51], le juge Pierre Dallaire indique ce qui suit quant à l'abus de droit en matière de contrat de services :
[138] Toutefois, une analyse de cette jurisprudence nous permet de constater que le caractère « abusif » d’une résiliation est toujours la conséquence du fait que le client résilie en invoquant un motif qui se révèle mal fondé, ou résilie unilatéralement sans motif en poursuivant un objectif illégitime.
[145] À la lumière de ces enseignements, le Tribunal ne peut conclure qu'en l'espèce, il s’agit d’une résiliation abusive ou empreinte de mauvaise foi. Focus n'a pas fait la preuve qu'Aromatik avait l'intention de lui nuire par exemple en invoquant un motif mal fondé, en poursuivant un objectif illégitime lors de la résiliation du contrat ou de toute autre façon.
[146] En effet, la preuve a démontré qu’à partir de 2009, soit à partir du moment où Messieurs Dusser et Deslandes ont eu à travailler de façon plus étroite ensemble, puisque les deux consacraient dorénavant tout leur temps professionnel ou presque à Aromatik, des irritants sont rapidement apparus. Monsieur Deslandes alléguant que Monsieur Dusser est pointilleux et argumentatif et Monsieur Dusser alléguant que Monsieur Deslandes lui manque de respect.
[147] Il est clair, aux yeux du Tribunal, qu’une difficulté relationnelle s’établit en 2009. Tant Monsieur Deslandes que Monsieur Dusser ont donné au Tribunal des exemples d'incidents survenus après 2009 qui démontrent une difficulté relationnelle ou de confiance.
[148] L’attitude de Monsieur Dusser lors de la rencontre avec le client le plus important d’Aromatik, le 8 septembre 2011, a été la goutte qui a fait déborder le vase pour Monsieur Deslandes. Celui-ci raconte qu’au cours de cette rencontre, à laquelle Monsieur Dusser l'avait convié à titre de président d'Aromatik, Monsieur Dusser a suggéré au client une solution pour régler un problème de dimension de bouteille qui relevait du département du contrôle de la qualité sous la responsabilité de Monsieur Deslandes. Or, Monsieur Deslandes lui avait clairement indiqué quelque temps auparavant ne pas vouloir mettre de l’avant cette solution étant donné qu’elle impliquait un investissement trop important pour Aromatik. Monsieur Dusser ne nie pas l'incident. Il a même indiqué à la Cour avoir sciemment évité Monsieur Deslandes après cette rencontre sachant qu’il était furieux à son égard.
[149] Aromatik avait-elle un motif sérieux pour mettre fin au contrat au sens où on l’entend en droit de l’emploi? Peut-être pas. Néanmoins, ici, il ne s’agit pas d’une relation employeur-employé, mais bien prestataire de services et client. Dans ce contexte, le Tribunal ne croit pas qu’Aromatik a été de mauvaise foi ou ait abusé de son droit. Aromatik peut résilier le contrat pour quelque motif que ce soit.
[150] Aromatik n'a pas agi en poursuivant un objectif illégitime ou en invoquant un motif qui n'existait pas. D'ailleurs, la lettre confirmant la résiliation du contrat n'invoque aucun motif[52].
[151] Par ailleurs, Aromatik a-t-elle abusé de son droit dans la façon dont elle s'y est prise pour mettre fin au contrat?
[152] Lorsque Monsieur Deslandes a annoncé à Monsieur Dusser qu’il mettait fin au contrat, celui-ci était accompagné d’un cadre de l’entreprise, lequel n’est pas entré dans le bureau de Monsieur Dusser. Monsieur Deslandes a expliqué qu’il voulait tout simplement avoir un témoin lorsqu’il remettrait la lettre de résiliation à Monsieur Dusser et la personne qui l'accompagnait était le seul cadre présent dans l'entreprise.
[153] Par la suite, Monsieur Deslandes a expliqué avoir demandé à Monsieur Dusser de quitter et de lui remettre les clés de la voiture et l’ordinateur portable propriété d'Aromatik. Celui-ci a refusé en indiquant à Monsieur Deslandes qu’il ne pouvait mettre fin au contrat. Monsieur Deslandes lui a, à nouveau, demandé de quitter. Lorsque Monsieur Dusser lui a indiqué qu’il ne pouvait pas lui remettre la voiture parce qu’il en avait besoin pour retourner chez lui, Monsieur Deslandes lui a offert un taxi. Monsieur Dusser a insisté pour pouvoir conserver la voiture, ce que Monsieur Deslandes a finalement accepté tout en lui indiquant qu’il devait la rapporter d’ici deux semaines. Il lui a également permis de conserver l’ordinateur, mais il devait revenir pour qu’un employé du soutien informatique le vide du contenu qui est la propriété d’Aromatik.
[154] Monsieur Dusser affirme que Monsieur Deslandes a menacé d’appeler les policiers. Monsieur Deslandes reconnaît avoir dit à Monsieur Dusser, qui refusait de partir, de ne pas l’obliger à appeler les policiers.
[155] Le Tribunal ne voit pas là une situation abusive ou dénotant la mauvaise foi de Monsieur Deslandes ou d’Aromatik.
[156] Certes, Monsieur Dusser était blessé mais la fin d'une relation d'affaire occasionne en soi un préjudice à la personne qui reçoit la nouvelle surtout si cette personne croit, comme c'est le cas pour Monsieur Dusser, qu'on ne peut mettre fin à ce contrat. D'autre part, Monsieur Deslandes était probablement encore choqué de l'attitude de Monsieur Dusser lors de la réunion du matin. Cependant, la preuve ne démontre pas d’abus.
[157] Monsieur Dusser souligne au Tribunal qu'il trouve particulièrement insultante et abusive la demande de Monsieur Deslandes de remettre à un subalterne l’ordinateur pour qu’il soit vidé des informations appartenant à Aromatik.
[158] Le Tribunal n’est pas d’accord. L’ordinateur est la propriété d’Aromatik. Elle a le droit de le conserver. Si elle permet à Monsieur Dusser de le conserver, malgré tout, il n’est que normal qu’un employé d’Aromatik spécialisé en informatique le purge de toute donnée appartenant à celle-ci. Il n’y a rien d’insultant, d’irrespectueux ou de honteux comme le soutient Monsieur Dusser.
[159] Le Tribunal note d’ailleurs que Monsieur Dusser n’a pas respecté cette consigne et a plutôt ramené un disque compact contenant l’information propriété d’Aromatik dont il avait lui-même fait l’extraction.
[160] Par la suite, Monsieur Dusser rapporte l’ordinateur après la saisie avant jugement obtenue par Aromatik.
[161] C’est à l'occasion où Monsieur Dusser rapporte l'ordinateur que celui-ci accuse Monsieur Deslandes d'avoir agi abusivement en le bousculant.
[162] La version de cet incident est contredite. Monsieur Dusser indique au Tribunal que Monsieur Deslandes l’aurait agressé, alors que ce dernier expose au Tribunal que Monsieur Dusser a demandé à un employé des copies de certains documents au moment où l’employé purgeait l’ordinateur des informations propriétés d’Aromatik. Monsieur Deslandes s’est présenté dans le bureau de cet employé pour voir où en était le travail et a constaté que Monsieur Dusser prenait des copies de certains documents propriété d'Aromatik. Il lui aurait demandé de laisser les documents sur place, ce que ce dernier a refusé de faire. Selon Monsieur Deslandes, il se serait placé dans le cadrage de la porte pour empêcher Monsieur Dusser de sortir avec ces documents et c’est ce dernier qui lui aurait foncé dessus afin de sortir.
[163] Pour cet incident, le Tribunal préfère la version de Monsieur Deslandes puisque qu'il la relate avec beaucoup plus de détails que Monsieur Dusser. De plus, le Tribunal a constaté qu'à quelques reprises lors de son témoignage, Monsieur Dusser semble apprécier les faits avec une certaine distorsion. À titre d'exemple, le Tribunal retient la réaction de Monsieur Dusser qui trouve méprisante la demande de Monsieur Deslandes de remettre l'ordinateur propriété d'Aromatik pour qu'un technicien élimine les informations d'Aromatik qui s'y trouvent alors que cela est tout à fait normal. Le Tribunal retient aussi le commentaire de Monsieur Dusser qui trouve humiliant recevoir de Monsieur Deslandes des informations écrites sur le statut d'actionnaire minoritaire alors qu'il vient de dire à Monsieur Deslandes qu'il ne peut pas mettre fin au contrat entre Aromatik et Focus parce qu'il est lui-même actionnaire d'Aromatik. Comme troisième exemple, le Tribunal retient le témoignage de Monsieur Dusser qui, en interrogatoire, dit ne pas connaître les motifs du congédiement de Monsieur Ledain et, en contre-interrogatoire répéter ne pas les connaître puis, à force de questions de l'avocat d'Aromatik nuancer en disant ne pas les comprendre et finalement simplement dire qu'il connaissait les motifs mais n'avait pas eu la preuve des mauvais agissements que Monsieur Deslandes reprochait à Monsieur Ledain. Donc, pour lui, il ne connaissait pas les motifs.
[164] De plus, le Tribunal comprend que Monsieur Dusser avait décidé de s’approprier des documents appartenant à Aromatik. Monsieur Deslandes pouvait donc exiger que ces documents demeurent sur place.
[165] À la lumière de la preuve prépondérante, le Tribunal ne voit pas d'abus de la part d'Aromatik ou de son représentant ni dans la décision de résilier le contrat ni dans la manière de le faire.
3.5 Monsieur Dusser a-t-il droit à la somme de 10 000 $ à titre de dommages moraux?
[166] Sous cette rubrique, le Tribunal doit décider si Monsieur Dusser a droit à des dommages considérant la manière dont le contrat a pris fin.
[167] Étant donné la conclusion eu égard à la question précédente, à savoir qu’il n’y a eu ni mauvaise foi ni abus de droit, le Tribunal doit conclure qu’aucune somme à titre de dommages moraux ne doit pas être accordée à Monsieur Dusser.
3. 6 Monsieur Dusser et Focus ont-ils droit à la somme de 10 000 $ pour leurs honoraires extrajudiciaires?
[168] La Cour d’appel dans l’arrêt Charland c. Lessard[53] fait une étude des principes applicables en matière d'abus de droit d'ester et du principe de proportionnalité eu égard à une réclamation d'honoraires extrajudiciaires. Les passages pertinents de cet arrêt se lisent comme suit :
[185] Comme l’indiquent les auteurs cités par le juge Rochon, celui qui « utilise les recours que la loi met à sa disposition, dans un but strictement et exclusivement égoïste, mais de bonne foi et non témérairement, ne peut être tenu responsable des conséquences fâcheuses de son acte pour son adversaire ». En somme, en l’absence de témérité ou de mauvaise foi, la faute ne peut donner lieu à un abus du droit d’ester.
[186] Dans l’arrêt Royal Lepage, le juge Dalphond fait appel aux mêmes notions de mauvaise foi et de témérité. Pour conclure à l’abus, écrit-il, il faut des indices de mauvaise foi ou à tout le moins des indices de témérité. Il élabore d’ailleurs la norme de conduite permettant aux tribunaux d’identifier ce qui, dans le contexte d’un acte de procédure manifestement mal fondé, peut constituer un abus :
[45] Pour conclure en l’abus, il faut donc des indices de mauvaise foi (telle l’intention de causer des désagréments à son adversaire plutôt que le désir de faire reconnaître le bien-fondé de ses prétentions) ou à tout le moins des indices de témérité.
[46] Que faut-il entendre par témérité? Selon moi, c’est le fait de mettre de l’avant un recours ou une procédure alors qu’une personne raisonnable et prudente, placée dans les circonstances connues par la partie au moment où elle dépose la procédure ou l’argumente, conclurait à l’inexistence d'un fondement pour cette procédure. Il s’agit d’une norme objective, qui requiert non pas des indices de l’intention de nuire mais plutôt une évaluation des circonstances afin de déterminer s’il y a lieu de conclure au caractère infondé de cette procédure. Est infondée une procédure n’offrant aucune véritable chance de succès, et par le fait, devient révélatrice d’une légèreté blâmable de son auteur. Comme le soulignent les auteurs Baudouin et Deslauriers, précités : « L’absence de cette cause raisonnable et probable fait présumer sinon l’intention de nuire ou la mauvaise foi, du moins la négligence ou la témérité ».
[Références omises] [Je souligne]
[187] En 2009, dans la foulée de ces arrêts, le législateur adopte la Loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics qui modifiait le Code de procédure civile. Il insère au Code de procédure civile les articles 54.1 à 54.6 traitant du pouvoir de sanctionner les abus de procédure.
[188] L’article 54.1 établit que l’abus peut non seulement résulter d'une demande en justice ou d'un acte de procédure manifestement mal fondé, frivole, dilatoire, ou d’un comportement vexatoire ou quérulent, mais également de la mauvaise foi, de l'utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice (…)
[189] En distinguant la
notion de « mauvaise foi » de celles de l’utilisation de la procédure
de manière « excessive » ou « déraisonnable » ou « de
manière à nuire à autrui », l’article 54.1 déroge à la définition de
l’abus de droit de l’article
(…)
[191] Dans l’arrêt El-Hachem c. Décary, la Cour applique ces principes. Elle distingue les concepts de témérité et mauvaise foi. Elle reconnaît qu’une partie peut faire preuve de témérité ou d’un comportement blâmable excessif ou injuste dans l’exercice d’un recours, sans pour autant faire preuve de mauvaise foi. Le comportement blâmable n’exige pas, en soi, la démonstration de la mauvaise foi ou de l’intention de nuire :
[9] Un « comportement blâmable » dans l’exercice d’un recours, c’est aussi, même sans mauvaise foi ou intention de nuire, faire preuve de témérité, par exemple en formulant des allégations qui ne résistent pas à une analyse attentive et qui dénotent une propension à une surenchère hors de toute proportion avec le litige réel entre les parties. En l’occurrence, il est certain qu’un facteur aggravant tient au fait que de telles allégations ont été présentées en demande reconventionnelle dans le cadre d’un recours qui, envisagé de manière réaliste et pratique, avait la simplicité d’une modeste action sur compte.
[Référence omise] [Je souligne]
[192] Ces principes s’appliquent également dans les cas où il y a une utilisation déraisonnable ou excessive de la procédure.
[193] Celui qui utilise ou multiplie les procédures de façon déraisonnable pour faire valoir ses droits, même s’il le fait de bonne foi et sans intention malveillante, peut malgré tout être tenu responsable du préjudice qu’il cause à la partie adverse. En de tels cas, la conduite blâmable, insouciante ou négligente peut être sanctionnée, ces termes ne visant qu’à déterminer l’intensité de la faute génératrice de responsabilité.
[169] En l’espèce, il n’y a pas eu multiplicité de procédures dans le dossier. Toutefois, Focus argumente qu’Aromatik a abusé de son droit d’ester en justice dans le cadre de sa demande reconventionnelle.
[170] Focus souligne notamment que cette demande reconventionnelle n’était que pour mettre une épée de Damoclès au-dessus de la tête de Monsieur Dusser étant donné que, dès le début de l’audience, elle a abandonné la majeure partie de cette demande reconventionnelle, soit celle reliée à sa réclamation de 114 500 $[54]. Quant aux deux autres chefs de réclamation en demande reconventionnelle, soient les pertes eu égard aux contrats de Costco et de Loblaw, Focus soutient que la preuve eu égard au contrat de Costco était inexistante et celle relativement au contrat de Loblaw était plus que ténue.
[171] Quant aux postes de dommages qui ont été abandonnés en demande reconventionnelle, le Tribunal ne peut en tirer d'inférence. Une partie peut avoir différentes raisons de laisser tomber une réclamation.
[172] Le Tribunal convient que la demande reconventionnelle est non fondée quant aux dossiers Costco et Loblaws comme nous le verrons plus loin. Cependant, la demande reconventionnelle est-elle téméraire au point de ne pas résister à l'analyse d'une personne attentive?
[173] Le Tribunal ne le croit pas. Monsieur Deslandes était insatisfait des services de Monsieur Dusser et le tient responsable des pertes d'Aromatik dans les dossiers Loblaw et Costco. Bien qu'Aromatik n'ait pas réussi à les prouver, il y avait une assise juridique à cette demande reconventionnelle.
[174] Par ailleurs, au niveau de son analyse quant à la réclamation d'honoraires extrajudiciaires, le Tribunal considère qu'il peut tenir compte de la saisie de la voiture et de l’ordinateur puisque même si cette procédure a été entreprise dans un autre dossier, dans le cadre de leur règlement hors cour, les parties ont clairement réservé leurs droits découlant de ce dossier de saisie afin de les faire valoir dans le présent dossier[55].
[175] Bien qu’Aromatik fût dans son droit de réclamer la voiture de même que l’ordinateur à Monsieur Dusser, la façon de faire a été plus que cavalière et relevait certainement d'une conduite insouciante.
[176] En effet, cette voiture a été laissée à Monsieur Dusser, tout d’abord, pour deux semaines. Étant donné les pourparlers entre les parties en vue de régler leur différend, Monsieur Deslandes a tacitement accepté que Monsieur Dusser conserve cette voiture plus longtemps afin de garder avec celui-ci de bonnes relations. Il en fut de même pour l’ordinateur.
[177] Toutefois, lorsque Monsieur Deslandes constate qu’il ne pourra y avoir entente, il fait saisir la voiture et l'ordinateur le 11 décembre 2012, pendant l'interrogatoire de Monsieur Dusser dans le présent dossier, et ce, sans avoir préalablement demandé à Monsieur Dusser le retour de ces biens.
[178] Monsieur Deslandes explique au Tribunal qu’il a préféré agir ainsi sur avis de son avocat et qu’il perdait patience vu que Monsieur Dusser ne mettait jamais un point final à leur discussion.
[179] Le Tribunal comprend que Monsieur Deslandes était peut-être exaspéré par les réponses de Monsieur Dusser et qu'Aromatik est propriétaire des biens toutefois, cela n’explique pas les procédures en saisie avant jugement avant même d’avoir demandé formellement par écrit à Monsieur Dusser le retour du véhicule et de l’ordinateur, non plus qu'une saisie en plein interrogatoire.
[180] Aromatik aurait dû demander le retour de ses biens par écrit avant de procéder à une saisie avant jugement. Il n'y avait aucun élément pouvant laisser croire que la conservation de ces biens était en danger. De plus, une telle demande écrite aurait peut-être évité pour chaque partie d’autres honoraires extrajudiciaires.
[181] À la lumière de ce qui précède le Tribunal croit qu'il a eu abus de procédure. Il s'agit d'un comportement blâmable. Même si Aromatik était propriétaire des biens et qu'il pouvait en revendiquer le retour, la manière de faire était abusive.
[182] Cependant, ni Focus ni Monsieur Dusser n'ont déposé d'état de compte pour les services de Me LaTraverse. Comme mentionné au début du présent jugement, la somme réclamée à titre d'honoraires extrajudiciaires est de 25 000 $. Aucune objection n'a été soulevée lorsque Monsieur Dusser a témoigné sur cet aspect de la réclamation.
[183] Étant donné que le montant de 25 000 $ couvre à la fois les services de Me LaTraverse pour le présent dossier et celui concernant la revendication de l'auto et de l'ordinateur et que ce dernier dossier c'est réglé hors cour le jour de la présentation de la requête en cassation de la saisie[56], le Tribunal fixe arbitrairement les dommages à 5 000 $.
3.7 Aromatik a-t-elle droit à une somme de 43 920,46 $ à titre de dommages eu égard au contrat de Loblaw?
[184] Les produits d'Aromatik sont vendus dans différents commerces dont Loblaw. Aromatik reproche à Monsieur Dusser de ne pas avoir fait un suivi au cours des années avec Loblaw de façon à obtenir de cette entreprise une certaine augmentation périodique du prix des produits, de sorte qu’en 2011, il y avait un trop grand écart entre les prix des produits d’Aromatik vendus chez Loblaw et celui des produits vendus dans d’autres commerces. Cet écart de prix ne pouvait plus se justifier et Aromatik a décidé de retirer ses produits de chez Loblaw, n’ayant pas réussi à obtenir une augmentation de prix, même après le départ de Monsieur Dusser.
[185] Le Tribunal est d’avis qu’Aromatik n’a pas réussi à prouver la faute commise par Monsieur Dusser. Les courriels auxquels Aromatik réfère le Tribunal à cet égard ne démontrent pas de faute de la part de Monsieur Dusser[57]. D’ailleurs, après la fin du contrat avec Focus, Aromatik n’a pas obtenu l’augmentation de prix recherché et rien n’établit que cela était la faute de Monsieur Dusser. Le fait que le directeur des ventes et marketing d’Aromatik, monsieur Nicolas Martineau (« Monsieur Martineau »), embauché après la résiliation du contrat avec Focus, ait dans un emploi antérieur réussi à obtenir de telles augmentations de prix auprès de Loblaw avec difficultés, a-t-il précisé, ne démontre pas qu’en l’espèce, Aromatik n’a pas obtenu d’augmentation de prix auprès de Loblaw par la faute de Monsieur Dusser.
[186] D’autre part, même si cette faute avait été prouvée, Aromatik n’a pas réussi à démontrer ses dommages.
[187] En effet, la seule preuve à cet égard est le témoignage de Monsieur Martineau et le dépôt du tableau faisant état, selon lui, de bénéfices perdus[58]. En contre-interrogatoire Monsieur Martineau admet que le tableau représente les ventes d’Aromatik, mais ne représente aucunement les bénéfices perdus. Le pourcentage de profit n’a pas été établi. Par conséquent, le Tribunal n’aurait pu, de toute façon, accorder des dommages sur la base des ventes perdues puisque les produits ont certainement un coût de production pour Aromatik.
[188] La preuve de la faute et du dommage n’a pas été faite et cette réclamation est rejetée.
3.8 Aromatik a-t-elle droit à une somme de 36 450 $ à titre de dommages eu égard au contrat de Costco?
[189] Aromatik n’a soumis aucune preuve pouvant démontrer, soit la faute de Monsieur Dusser et, encore moins, les dommages subis par Aromatik eu égard au contrat de Costco. Monsieur Martineau a indiqué à la Cour n’avoir aucune connaissance de ce dossier et Monsieur Deslandes non plus. Ce dernier croyait que Monsieur Martineau avait cette connaissance.
[190] Cette réclamation est également rejetée.
[191] Étant donné que tant la requête introductive d'instance que la demande reconventionnelle sont rejetées, le Tribunal n'accorde pas les frais.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[192] ACCUEILLE en partie la requête introductive d’instance;
[193] ORDONNE
à Suppléments Aromatik inc. de verser à Focus Ingrédients inc. la somme de
5 000 $ ainsi que les intérêts et l'indemnité additionnelle prévue à
l'article
[194] REJETTE la demande reconventionnelle;
[195] AVEC FRAIS.
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__________________________________ Chantal Lamarche, j.c.s. |
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Me Pierre Latraverse |
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LATRAVERSE Avocats |
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Avocat des demandeurs |
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Me Patrice Monette |
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MONETTE & COLLETTE, avocats |
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Avocat de la défenderesse |
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Dates d’audience : |
21, 22 et 23 octobre 2014 |
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[1] Lors de l’audience, Focus et Monsieur Dusser ont actualisé la somme réclamée. Ils réclament la somme de 101 277 $ à titre de perte de revenu pour un an, soient les commissions et les frais professionnels du 1er octobre 2011 au 30 septembre 2012 et 3 600 $ pour les frais d’automobile encourus par Focus jusqu’au 30 septembre 2012.
[2] Focus et Monsieur Dusser ont amendé verbalement leur réclamation afin de parfaire la somme réclamée au paragraphe 24 de leur requête introductive d'instance à titre de dommages et inconvénients dont les honoraires d'avocat.
[3] En début d’audience, Aromatik a amendé ses procédures afin de parfaire les sommes réclamées aux paragraphes 41 i) et 42 ii) de la défense et demande reconventionnelle. De plus, elle a retiré les réclamations apparaissant aux paragraphes 41 iii), iv) v) et vi), lesquelles représentaient une somme de 114 500 $.
[4] Pour faciliter la lecture du présent jugement, le Tribunal n'utilisera que le nom d’Aromatik.
[5] Pièce P-3.
[6] Pièce P-4.
[7] Pièce P-21.
[8] Pièce P-19.
[9] Pièce P-2.
[10] Pièce P-5.
[11] Pièce P-4.
[12] Pièce P-21.
[13] Pièce D-15.
[14] Pièce P-13.
[15]
Dicom express inc. c. Paiement,
[16] 2012 QCCA 535.
[17]
[18]
[19] Technologies industrielles S.N.C. inc. c. Mayer, id., p. 21, 22.
[20] Wright c. Syndicat des techniciennes et techniciens du cinéma et de la vidéo du Québec, préc., note 17.
[21] 2005, QCCA 363.
[22] LRLQ, c. C-27.
[23] Conseillers en informatique d’affaires CIA inc. c. 4108647 Canada inc., préc., note 16.
[24]
[25] Conseillers en informatique d’affaires CIA inc. c. 4108647 Canada inc., préc., note 16.
[26] Dicom express inc. c. Paiement, préc., note 15.
[27]
[28] Services financiers FBN inc. c. Chaumont, id.
[29] 2011, QCCS 5090.
[30]
Art.
[31] Pièce P-3.
[32] Pièces D-24.
[33]
[34]
Art.
[35]
Entretien industriel Nedco inc. c. Gestion immobilière Laramée
inc.,
[36]
Conseillers en informatique d’affaires CIA inc. c. 418647 Canada
inc., préc., note 16; Pelouse Agrotis Turf inc. c. Club de golf
Balmoral,
[37] Bélanger c. 9254-9328 Québec inc., préc., note 24.
[38] Pelouse Agrotis Turf inc. c. Club de golf Balmoral, préc., note 36.
[39] 1997 CanLII 10405 (QC CA).
[40]
Agences Jacques Parent inc. c. Meubles Concordia ltée,
[41] 2011 QCCA 1694.
[42]
L’article
Le contrat ne peut être résolu, résilié, modifié ou révoqué que pour les causes reconnues par la loi ou de l'accord des parties.
[43]
Didier LLUELLES, (2006) 36 R.G.D. 25-67; Automatisation J.R.T. inc.
c. Roy,
[44]
Scierie CED-OR inc. c. Leduc,
[45] Le Tribunal rappelle que la Convention a été déclarée sans objet et inapplicable par l'honorable André Deslongchamps le 5 février 2013, pièce D-15.
[46] Pièce D-20.
[47] D. LLUELLES, préc., note 43.
[48]
Burrier Pincombe c. Immunotec inc.,
[49] Pièce P-4.
[50]
[51] 2010 QCCS 69.
[52] Pièce P-5.
[53]
[54] Par. 41 iii), iv) v) et vi) de la défense et demande reconventionnelle.
[55] Pièce p-13.
[56] Pièces P-12 et P-13.
[57] Pièces D-3 et D-4.
[58] Pièce D-8.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.