LOUIS LeBEL, J.C.A.
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CHRISTINE TOURIGNY, J.C.A.
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JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.
«La Station de Radio C.K.C.N. de Sept-Iles a des problèmes avec le fisc québécois, à qui elle doit la somme de $47,000.00. La survie de l'entreprise ne semble pas être remise en question.
Monique Durand a quand même fouillé le dossier:
Plusieurs commerçants sept-iliens, pour la plupart des commanditaires de C.K.C.N., ont reçu ces jours derniers des avis du Ministère du Revenu québécois. Ces avis sont en fait des mises en demeure de rembourser directement à l'impôt québécois leurs dettes dues à C.K.C.N.
Au Ministère du Revenu, on a refusé de dire combien de débiteurs de C.K.C.N. sont ainsi soumis à une saisie. Mais le fisc réclame une créance totale de $47,000.00 à la station.
Par ailleurs, un des actionnaires de la station de radio sept-ilienne, Yvon Bergeron, a fait une faillite personnelle en juillet, faillite qui s'élève à près de $600,000.00. La liste des créanciers dans la faillite de Yvon Bergeron révèle que Monsieur Bergeron doit lui-même $75,000.00 à C.K.C.N.
Contrairement à ce que l'on croit en général, Yvon Bergeron ne détient que deux (2) actions sur cinq mille deux cent cinquante (5,250) dans C.K.C.N., connu sous la raison sociale de Radio Sept-Iles Incorporé.
Inc., est détenue par des membres de la famille Bergeron mais Yvon n'y détient pas d'actions.C.K.C.N. est en réalité la propriété de trois (3) actionnaires: Pierre Bernard Bergeron, frère de Yvon, et deux (2) compagnies, Marché Banco Inc. et Spici Sept-Iles Inc. La première, Marché Banco
Dans la seconde, Spici Sept-Iles Inc., Yvon ne possède qu'une seule action sur deux cent cinquante (250).
D'autre part, Yvon Bergeron détient une (1) action sur cinq mille (5,000) dans Radio Sept-Iles Inc., action un peu symbolique d'ailleurs qui lui permet avant tout de siéger comme administrateur de la compagnie.
Un reportage de Monique Durand à Sept-Iles.» (m.a., pp. 2-3)
«Il convient maintenant d'analyser la preuve au regard des grands principes qui se dégagent de l'ensemble de la doctrine et de la jurisprudence citées. Ainsi, il nous faut rechercher si Monique Durand a, au cours de son reportage, dit des choses désagréables de l'un quelconque ou de tous les demandeurs et dans l'affirmative, si en ce faisant elle a commis une faute qui pourrait entraîner la responsabilité des défenderesses. Cette faute, elle a pu la commettre en rapportant des faits qui ne sont pas conformes à la vérité ou, quoiqu'y étant conformes, n'auraient pas été divulgués dans un contexte où l'intérêt public en justifiait la publication.»
Il faut aussi se rappeler que la faute naît dès qu'un fait rapporté n'est pas conforme à la vérité, vérité devant signifier également réalité, et que le plaidoyer d'intérêt public soutenu pour justifier cette nouvelle ne peut être valable si les faits rapportés ne sont pas vrais.» (m.a., p. 91)
Robert" comme étant "bailleur de fonds dans une société en commandite".» (m.a., pp. 91-92)«De fait, suite au dépôt par les demandeurs de P- 8, la preuve a révélé qu'en date du 30 octobre 1984, le ministère du Revenu a fait parvenir à la Banque Royale du Canada "un avis du ministre du Revenu à un tiers saisi". Il ne s'agit pas du document dont a pris connaissance Monique Durand ou Alex Levasseur, puisque ledit document a été perdu par Levasseur. Ce paragraphe ne rencontre pas, à la suite de la preuve, de confirmation à l'effet que ce document fut servi à plusieurs commerçants sept- iliens. Seul le témoignage de Monique Durand à cet égard soulève qu'elle aurait eu connaissance par certaines rumeurs ou qu'en dira-t-on que cette demande du ministère du Revenu avait été expédiée à plusieurs commerçants. De plus, rien dans la preuve ne peut permettre de conclure que des commerçants aient pu être des "commanditaires" de C.K.C.N., commanditaire étant défini dans le Petit
«Par ailleurs, un des actionnaires de la station de radio sept-ilienne, Yvon Bergeron, a fait une faillite personnelle en juillet, faillite qui s'élève à près de 600 000$. La liste des créanciers dans la faillite de Yvon Bergeron révèle que monsieur Bergeron doit lui-même 75 000$ à C.K.C.N.» (m.a., p. 92)
«Dire dans la nouvelle qu'Yvon Bergeron était un actionnaire le 14 novembre est une fausseté évidente.» (m.a., p. 93)
l'affirmation à l'effet que la corporation aurait un capital-action composé de 5 250 actions, dont 2 seraient détenues par Yvon Bergeron. Le Tribunal rappelle encore qu'Yvon Bergeron, ayant remis toutes ses actions à son syndic à la suite de sa faillite en juillet 1984, ne détenait pas au moment de la nouvelle deux actions.«A l'égard de ce paragraphe, la preuve révèle que, tout d'abord, Radio Sept-Iles inc. n'est pas une raison sociale, mais bien l'identité d'une corporation qui opère un poste de radio connu sous les lettres C.K.C.N.. Cette erreur de la journaliste, cependant, n'est pas très importante sauf à l'égard du fait qu'elle possède une licence en droit et qu'elle aurait pu éviter facilement cette confusion. Ce qui l'est davantage, c'est
La preuve a également révélé que le capital-actions de la corporation Radio Sept-Iles inc. était composé de 5 000 actions, et non pas de 5 250 comme l'indique le texte. Il s'agit donc là d'une autre fausseté dans le texte mis en ondes par Radio- Canada.» (m.a., pp. 94-94)
«C.K.C.N. est en réalité la propriété de trois actionnaires: Pierre-Bernard Bergeron, frère de Yvon, et deux (2) compagnies, Marché Banco inc. et Spisi Sept-Iles inc.. La première, Marché Banco inc., est détenue par des membres de la famille Bergeron mais Yvon n'y détient pas d'actions.
Dans la seconde, Spisi Sept-Iles inc., Yvon ne possède qu'une seule action sur deux cent cinquante (250).
D'autre part, Yvon Bergeron détient une (1) action sur cinq mille (5 000) dans Radio Sept-Iles inc., action un peu symbolique d'ailleurs qui lui permet avant tout de siéger comme administrateur de la compagnie.»
«Au moment de la nouvelle, la preuve a révélé quant aux détenteurs d'actions du capital autorisé de la corporation Radio Sept-Iles inc., que ceux-ci étaient les suivants:
.- Spisi Sept-Iles inc.: 1 999 actions
.- Marché Banco ltée: 1 998 actions
.- Pierre Bergeron: 1 001 actions
.- Jacques Bergeron: 1 action
.- Le syndic à la faillite d'Yvon: 1 action
Donc, autre fausseté dans le texte de la journaliste qui omet d'indiquer que Jacques Bergeron détient une action, de même que le syndic une autre et que la corporation est la propriété de trois actionnaires et non de cinq.
Par la suite, Monique Durand affirme qu'Yvon Bergeron ne possède qu'une action sur 250 dans la corporation Spisi Sept-Iles inc.. Encore là, la preuve a révélé qu'Yvon Bergeron avait à cette époque cédé au syndic son action dans cette compagnie.
Lorsqu'elle termine son dernier paragraphe, Monique Durand revient avec l'affirmation qu'Yvon Bergeron détient une action sur 5 000 dans Radio Sept-Iles inc., ajoutant ainsi à la confusion du paragraphe traitant de la propriété de cette compagnie par seulement trois actionnaires, qu'elle avait d'abord énumérés, en plus évidemment de continuer dans cette fausseté qu'il détenait une telle action à cette époque.
de siéger comme administrateur de la compagnie".» (m.a., pp. 94-95)Elle apporte aussi, en plus, un commentaire concernant cette action qu'aurait, selon elle, détenue Yvon Bergeron la qualifiant "d'action un peu symbolique d'ailleurs qui lui permet avant tout
«A cet égard, le Tribunal ne peut comprendre l'intérêt qu'avait la journaliste d'ajouter ce commentaire dans son texte. Cette affirmation est parfaitement gratuite, à la suite de l'audition de la preuve, et aucunement liée de près ou de loin avec l'objectif poursuivi par cette nouvelle et ce, à la suite des témoignages mêmes d'Alex Levasseur et de Monique Durand. Il en va de même de ce que dit la journaliste à propos du montant de la faillite de Bergeron. Cette information n'a rien à faire dans ce reportage, dont l'objectif était comme déjà mentionné de faire "le point sur la situation financière de Radio Sept-Iles inc., C.K.C.N.".
Donc, telles sont les faussetés affectant le texte mis en ondes lors de la diffusion de la nouvelle de Monique Durand.» (m.a., p. 95)
«Il n'est pas peu important, comme le voudraient les procureurs des défenderesses, qu'il soit diffusé sur les ondes de Radio-Canada de fausses informations concernant la répartition du capital- actions autorisé d'une corporation privée ou encore le fait qu'elle a un actionnaire en faillite qui détienne encore des actions, alors qu'eu égard à son état de faillite, il ne le devrait pas parce qu'il doit remettre les actions dont il était propriétaire à son syndic.
De telles affirmations ne sont pas assimilables à de petites erreurs sans conséquence.
Il en va de même quant aux affirmations faites concernant Yvon Bergeron qui, malgré son état de failli, aurait continué à être actionnaire de Radio Sept-Iles inc. et de la compagnie Spisi. L'énoncé de ces faits ne peut qu'être préjudiciable au demandeur Bergeron et faire naître toutes sortes d'interrogations, de suspicions.» (m.a., p. 96)
«Tel qu'il ressort des principes précédemment rappelés, lorsque des faits rapportés par un journaliste sont diffusés, l'absence de conformité à la vérité, donc de conformité à la réalité, est suffisante pour faire naître la faute de celui qui les rapporte. En l'espèce, il va de soi que la faute de Monique Durand entraîne la solidarité de Radio-Canada, son employeur.» (m.a., p. 96)
«Certains des faits révélés par Monique Durand étant faux, on peut conclure que la bonne foi qu'elle a souligné avoir lors de son témoignage n'existait pas lorsqu'elle a lu sa nouvelle. Le Tribunal ajoute cependant que cette conclusion découle plus de la nature du syllogisme que de la preuve, puisqu'en aucun moment celle-ci n'a révélé l'existence de méchanceté à l'endroit des demandeurs.» (m.a., p. 97)
«Quant à l'aspect de l'intérêt public, il va de soi de conclure que le public n'avait aucun intérêt à être informé des faussetés dites à l'occasion du reportage de Monique Durand.
Le Tribunal désire de plus ajouter qu'à son avis, il n'a jamais été d'intérêt public de donner à ce public toutes les informations apparaissant au texte de la nouvelle, même si ces informations avaient été vraies. Il faut rappeler que ce n'est "qu'en cas de circonstances exceptionnelles que certains faits de la vie privée importent à l'intérêt public", comme le mentionnait le juge Rivard dans l'étude rappelée précédemment (p. 34).
La preuve a révélé qu'Yvon Bergeron, entre autres, reproche aux défenderesses d'avoir étalé au grand jour son état de faillite. Le Tribunal ne croit pas que parce qu'Yvon Bergeron a, en faisant faillite, fait un acte public qu'il puisse en découler que cet acte puisse être inconsidérément rendu public, comme l'on fait les défenderesses.
Il convient de rappeler qu'encore de nos jours, un homme d'affaire ou quiconque décide de faire faillite ou qui est mis en faillite par ses créanciers en éprouve des inconvénients, voire même une gêne, et qu'en autant que faire ce (sic) peut, comme l'a fait d'ailleurs Yvon Bergeron, il essai de ne pas aller le crier sur les toits.
[...]
et que, par conséquent, la publicité de ce genre d'actes ou de poursuites sera ainsi limitée. En l'espèce, la diffusion du reportage par Radio- Canada a considérablement accru la publication de la faillite de Bergeron. Le témoignage de monsieur Gérard Poisson confirme le caractère exceptionnel du reportage et le fait qu'il ne pouvait certainement pas aider Bergeron à se refaire au plus vite une crédibilité et redevenir un actif pour la société, comme le recherche la législation sur la faillite elle-même.Il existe bien sûr certaines formes de publicité qui peuvent découler de certains actes ou de poursuites en justice, mais généralement les canaux de diffusion sont spécialisés et la personne concernée peut espérer que l'information publique ne dépassera pas le cadre de diffusion de ces médias spécialisés
L'étalage de la faillite et du nom d'Yvon Bergeron et son étroite association à Radio Sept-Iles inc. par Monique Durand ne pouvaient donc avoir que des effets négatifs à l'égard d'yvon Bergeron lui- même.» (m.a., pp. 97 à 99)
«Si l'enquête devait permettre de conclure que la situation financière de Radio Sept-Iles inc. ne posait pas de problème, quel était alors l'intérêt de même diffuser que cette compagnie pouvait devoir un montant quelconque d'argent au ministère du Revenu et à plus forte raison, toutes les autres informations faisant l'objet du reportage?
Dans l'esprit du Tribunal, il ne fait aucun doute que tout ce reportage n'a jamais été justifié au regard de l'intérêt public.
tant régional que local n'avait pas intérêt à savoir qu'il avait fait faillite. En mentionnant le nom d'Yvon Bergeron, la journaliste l'a sorti encore davantage de l'anonymat et a accru l'importance des conséquences normales d'une faillite chez le co- demandeur. A tout prendre, la journaliste aurait pu éviter de prononcer son nom, ce qui lui aurait permis de rencontrer quand même les objectifs qu'elle poursuivait par sa nouvelle et de rendre moins personnalisés ses propos.» (m.a., p. 100)De même, la preuve n'a aucunement convaincu le Tribunal qu'Yvon Bergeron était ou est un personnage public qui pouvait justifier de voir son état de faillite publicisé à la grandeur de la portée de diffusion du poste de Radio-Canada à Sept-Iles. Yvon Bergeron était au moment de la nouvelle directeur d'un poste de radio privé et le public
«Concernant Radio Sept-Iles inc., la preuve a révélé que les informations la concernant données par Monique Durand lors de son reportage se sons avérées sous plusieurs aspects non conformes à la réalité. A la suite de ces informations, son directeur général, Yvon Bergeron, a témoigné avoir été dans l'obligation de donner à certains clients des explications, que n'eût été le reportage, il n'aurait pas eu besoin de faire. Cependant, la preuve est tout à fait silencieuse d'une perte réelle qu'aurait pu subir cette corporation à la suite du reportage. Le Tribunal estime donc le préjudice subi par cette co-demanderesse comme étant d'une nature purement morale et à cet égard, il condamne les co-défenderesses à lui payer la somme de 2 500$.
cependant témoigné qu'après avoir éprouvé une certaine gêne à la suite du reportage, il a continué à affronter la réalité et n'a pas subi de dommages pécuniaires directement reliés à cet incident. Le préjudice moral qu'il a subi doit quand même être compensé et le Tribunal évalue ce préjudice à la somme de 5 000$.» (m.a., p. 105)Finalement, Yvon Bergeron s'est faussement vu attribuer par Monique Durand la propriété d'actions dans la compagnie demanderesse et également dans la compagnie Spisi. Ces faussetés n'étaient que de nature à lui causer du tort en faisant en sorte que puissent être soulevées à cet égard un tas d'interrogations qui, au regard des faits, n'étaient pas justifiées. La preuve a également démontré que son nom et sa situation de failli ont été inutilement divulgués par Monique Durand à l'occasion de son reportage. Ce demandeur a
«En premier lieu, il faut savoir que l'allégation diffamatoire peut être conforme à la vérité comme elle peut être fausse. Nous touchons ici à une différence importance entre notre droit et le droit anglais où la fausseté des propos participe à l'essence même de la diffamation. Comme nous le verrons cependant, la véracité pourra constituer, dans certaines circonstances où l'intérêt public est en jeu, un moyen de défense précieux; alors qu'à l'inverse, la preuve de la vérité des faits ne sera pas admise comme justification si l'intérêt public n'est pas prouvé.
cette union.» (N. Vallières, loc. cit., pp. 10-11; voir aussi: Chiniquy c. Bégin, (1915) 24 B.R. 294)Donc, toute vérité n'est pas bonne à dire. Le cas d'un journal qui, au début du siècle, révélait le concubinage d'un couple l'illustre bien. A cette époque, le concubinage était réprouvé par les moeurs. L'étaler, même si cela était vrai, constituait certainement une diffamation et le journal dut payer des dommages à l'enfant issu de
«Diffamer, c'est dire des choses désagréables ou donner des renseignements défavorables sur autrui. Quand y a-t-il faute à faire cela?
a) On commet une faute en "disant" sur autrui des choses désagréables ou défavorables que l'on sait être fausses
De tels propos ne peuvent être tenus que par méchanceté, avec l'intention de nuire à autrui. Or, agir avec l'intention de nuire, c'est commettre un délit, une faute dolosive.
b) On commet une faute en "disant" sur autrui des choses désagréables ou défavorables que l'on devrait savoir être fausses
L'homme prudent et avisé ne donne pas de renseignements défavorables sur autrui s'il a des raisons de douter de leur véracité: un bon père de famille ne tient pas sur autrui des propos inconsidérés.
c) On commet une faute en tenant sur autrui des propos défavorables, même s'ils sont vrais, lorsqu'on le fait sans justes motifs.» (op. cit., p. 61)
«Sur le strict plan de la vérité ou de la fausseté des faits divulgués, le Tribunal fait siens les propos mentionnés précédemment du juge Rivard:
"Le journaliste n'est pas obligé de deviner la vérité sur tout, mais rien ne lui fait un devoir de tout dire; il a toujours le recours, très sage de se taire. S'il veut à tout prix parler et s'il se trompe, il n'a qu'à porter le poids de son erreur."
à la vérité, donc de conformité à la réalité, est suffisante pour faire naître la faute de celui qui les rapporte. En l'espèce, il va de soi que la faute de Monique Durand entraîne la solidarité de Radio-Canada, son employeur.» (m.a., p. 96)Tel qu'il ressort des principes précédemment rappelés, lorsque des faits rapportés par un journaliste sont diffusés, l'absence de conformité
«Par contre, la pratique du métier de journaliste ne peut faire abstraction de l'habileté, de la rigueur et de la curiosité individuelle. L'information est essentiellement un acte de volonté. A la base, la presse a toujours le choix de se taire ou de parler. Ce libre arbitre restitue à la personne la responsabilité de sa conduite. Dans cette optique, il apparaît impensable de ne pas exercer de discrimination sur la conduite de l'auteur du préjudice. Dans ce domaine d'activité, l'individu reste le centre du droit. Face au problème de la responsabilité, le journaliste est au premier plan; c'est lui qu'il faut envisager, c'est sa conduite qu'il faut apprécier.
Sans cela, on risque de paralyser toute initiative chez le journaliste, de le détourner de l'action et de le condamner à l'inertie. Le journaliste hésitera à déployer une activité nouvelle s'il sait que, malgré toute la prudence dont il aura fait preuve, il lui faudra assumer la responsabilité de tous les dommages qui pourront résulter de son action.
En information, cette retenue s'appelle l'auto- censure. Elle n'est certes pas souhaitable dans l'intérêt général. Prétendre le contraire serait nier l'utilité sociale de la presse lorsqu'elle rend accessible aux citoyens des informations nécessaires à l'exercice éclairé de leurs droits démocratiques.» (N. Vallières, op. cit, p. 49)
«... La faute est le critère général de distinction entre l'acte répréhensible et celui qui ne l'est pas. Si on voulait, en toutes circonstances, soumettre la presse à l'obligation de ne pas se tromper, sans se demander si elle a mal agi, on s'écarterait des règles de la responsabilité civile.» (N. Vallières, op. cit., p. 52)
«Dans chaque cas concret, il s'agit de comparer la conduite de l'auteur du dommage avec la description de ce modèle de prudence. Les tribunaux devraient donc appliquer en matière journalistique ce critère traditionnel d'habileté et de prévoyance...» (N. Vallières, op. cit., p. 58)
«Les articles sont-ils, ainsi que le plaide l'intimée, trompeurs, malhonnêtes et libelleux et, à ce titre, de nature à faire échec à la traditionnelle et quasi-sacrée liberté d'expressions. C'est là une question de qualification où notre Cour peut intervenir sans pour autant passer outre à la règle du respect de l'appréciation des faits par le premier juge.
L'étude des articles et des preuves soumises fait voir, qu'au-delà de la bonne foi que le premier juge a concédée au journaliste, il s'agit de propos tenus sans malice aucune, fruits d'une enquête sérieuse et honnête, qui font état d'une question controversée sur laquelle des voix autorisées expriment de sérieuses réserves, le tout portant sur une activité qui intéresse le public puisque la demanderesse, ici intimée, dans l'essence même de son activité commerciale, cherche à agir sur l'opinion et le comportement du public. Il est vrai que le titre qui coiffe le premier article «Qui paie gagne» donne à comprendre que les sondages sont corrompus. Or le texte dissipe toute équivoque: les sondages sont honnêtes quoique la méthodologie employée soit sujette à caution. En revanche, le prix gagné est, tout compte fait, le droit d'utiliser efficacement le fruit du sondage pour faire la promotion de son entreprise et seul celui qui paie a droit au prix. C'est ainsi qu'à tout prendre il est exact que «Qui paie gagne ... le prix.» On pourrait souhaiter que ce titre accrocheur fut moins ambigu. Mais compte tenu du texte qui dissipe l'équivoque, cela ne suffit pas à supprimer l'article. Bref, les défendeurs ici appelants satisfont à toutes les exigences imposées à celui qui s'autorise de la liberté d'expression et du droit à l 'information pour débattre une question d'intérêt public et c'est, soit dit avec égards, à tort que le premier juge a conclu à une apparence de droit à l'ordonnance qui allait réduire les défendeurs au silence.» (pp. 5-6)
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.