Bariller et Syndicat des travailleuses et travailleurs du Pavillon St-Joseph (CSN) |
2016 QCTAT 5509 |
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[1] Le 12 septembre 2015, Brigitte Bariller (la plaignante) dépose une plainte dans laquelle elle allègue que Syndicat des travailleuses et travailleurs du Pavillon St-Joseph (CSN) (le Syndicat) a contrevenu, à son endroit, au devoir de juste représentation prévu à l’article 47.2 du Code du travail[1] (le Code).
[2] À cet égard, elle invoque que le Syndicat a fait preuve de négligence grave en refusant de lui fournir les services d’un avocat pour la représenter devant la Commission des lésions professionnelles (la CLP) pour l’audience fixée le 23 juillet 2014.
[3]
De son côté, le Syndicat soutient, tout d’abord, que la plainte a été
déposée hors délai, puisque la faute alléguée se situe en avril 2014, soit bien
au-delà du délai de
six mois prévu au Code. D’autre part, il prétend n’avoir commis aucune faute,
ayant offert à la plaignante de lui fournir les services d’un avocat pour la
représenter devant la CLP, bien que cela ne fasse pas partie du « panier de services ».
Or, c’est cette dernière qui a refusé et qui a fait le choix de retenir, à ses
frais, les services d’un autre procureur.
[4]
Le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal
administratif du travail[2] (la LITAT) est
entrée en vigueur. Cette loi crée le Tribunal administratif du travail (le Tribunal)
qui assume notamment les compétences de la Commission des relations du travail
(la Commission). En vertu de l’article
[5] Avant le début de l’audience, le Tribunal informe la plaignante, qui n’est pas représentée, qu’elle peut requérir les services d’un avocat ou d’un autre représentant. Il lui explique également la nature du recours, les règles de preuve applicables ainsi que le fardeau qui lui incombe. Cette dernière indique qu’elle comprend et convient de procéder sans autre formalité.
[6] La plaignante est préposée aux bénéficiaires au Pavillon Saint-Joseph infirmerie des Sœurs de Sainte-Croix (l’Employeur).
[7] Le 11 novembre 2012, elle est victime d’un accident de travail. En novembre 2013, elle subit une rechute de sa lésion professionnelle, laquelle est acceptée par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) (maintenant Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail). Cette décision est contestée par l’Employeur devant la CLP.
[8] En février 2014, la plaignante se rend donc au local syndical pour discuter de cette contestation. Elle y rencontre Jocelyne Mercier, présidente du Syndicat. Cette dernière lui demande de lui fournir toute la documentation eu égard à son dossier d’accident de travail.
[9] En mars ou avril 2014, la plaignante reçoit un avis de convocation pour une audience devant la CLP fixée au 23 juillet suivant. Elle retourne alors rencontrer madame Mercier pour l’en informer et pour obtenir les services d’un avocat pour préparer sa cause. Selon ses dires, madame Mercier lui dit qu’elle est trop pressée et que l’Employeur a l’habitude, dans les dossiers similaires, de se désister de sa contestation la veille de l’audience. La plaignante insiste pour rencontrer un avocat. À ce moment, madame Mercier l’informe que c’est elle l’intermédiaire avec l’avocat et qu’elle doit être présente à la rencontre. La plaignante affirme être choquée par ces propos, car elle n’a pas à discuter de son état de santé devant une personne autre que son procureur. Elle refuse donc que madame Mercier soit présente.
[10] La plaignante décide de chercher un autre procureur pour assurer sa représentation à la CLP. Elle le trouve vers la fin avril 2014. Celui-ci n’étant pas prêt à procéder pour le 23 juillet suivant, la cause est remise au 9 avril 2015. Cet exercice lui aura coûté plus de 16 000 $.
[11] En juin 2015, la plaignante perd son emploi.
[12] Madame Mercier déclare qu’elle rencontre la plaignante le 1er avril 2014, lorsque celle-ci se présente au local syndical avec un avis de convocation devant la CLP pour le 23 juillet suivant. Elle l’informe alors que le Syndicat fournit les services d’un avocat à ses membres pour les cas de CSST. Elle explique également que, le moment venu, l’avocat viendrait la rencontrer au local, afin de préparer le dossier ainsi que son témoignage. À ce moment, la plaignante lui répond qu’elle ne veut pas d’intermédiaire entre son procureur et elle. Madame Mercier lui rétorque que c’est la procédure, car elle doit tout d’abord transmettre le dossier au procureur qui verra à l’informer du moment de la rencontre à laquelle elle participera également.
[13] Cette réponse ne satisfait pas la plaignante qui désire communiquer directement avec l’avocat. Madame Mercier tente de la rassurer en lui disant qu’il arrive fréquemment qu’un désistement de l’Employeur survienne dans ce type de contestation. Sur ce, la plaignante l’avise qu’elle réfléchira à tout cela et qu’elle la recontactera avec sa décision. Madame Mercier consigne le tout dans le cahier de santé et sécurité du travail du Syndicat qui se trouve dans le local.
[14] Le même jour, madame Mercier téléphone à la plaignante pour lui rappeler d’envoyer son dossier de la CSST le plus rapidement possible, si elle décide de poursuivre celui-ci avec le soutien du Syndicat.
[15] Le lendemain, madame Mercier prend un message, provenant de la plaignante, qui a été laissé dans la boîte vocale du Syndicat. Cette dernière indique avoir retenu les services d’un procureur à ses frais pour la représenter pour l’audience du 23 juillet 2014.
[16]
Le 6 mai 2015, la plaignante se présente au local syndical et rencontre
madame Mercier. Elle exige alors que le Syndicat lui rembourse les honoraires
d’avocats qu’elle a dû débourser pour se faire représenter à la CLP.
[17] La plainte pour manquement au devoir de représentation du Syndicat est déposée par la suite, soit le 12 septembre suivant.
[18] Le devoir de juste représentation d’un syndicat est édicté aux articles 47.2 et 47.3 du Code, lesquels se lisent comme suit :
47.2. Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l'endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu'elle représente, peu importe qu'ils soient ses membres ou non.
47.3. Si un salarié qui a subi un renvoi ou une mesure
disciplinaire, ou qui croit avoir été victime de harcèlement psychologique,
selon les articles
(soulignement ajouté)
[19] Il incombe au salarié qui invoque un manquement à celui-ci de faire la preuve de l’une des quatre fautes énoncées au Code.
[20] Également, il est établi que le recours pour manquement au devoir de juste représentation vise des situations qui relèvent du monopole de représentation. Ainsi, les services de représentation offerts par un syndicat devant la CSST et la CLP sont des services facultatifs qui échappent à l’examen du Tribunal. La décision Leblanc c. Union des employées et employés de service, section locale 800 - FTQ[3] résume très bien l’état de la jurisprudence sur cette question :
[38] Ces services facultatifs ne font tellement pas partie du monopole de représentation syndicale qu’un syndicat peut très bien ne pas les offrir. Et s’il le fait, un salarié peut très bien choisir un autre représentant que celui désigné par son syndicat et plaider les arguments qu’il veut alors qu’il ne lui est pas possible de le faire en arbitrage de grief, là où le syndicat est gardien, certes du bien individuel, mais dans une perspective collective, d’application de convention collective justement.
[39] Si, à l’occasion des services que son association lui rend ou pas en matière de représentation devant la CLP, un salarié se déclare insatisfait, la base de son recours prend plutôt naissance dans la relation contractuelle qui le lie à elle puisqu’il doit lui verser une cotisation syndicale (il n’en a pas le choix, comme le prévoit le deuxième alinéa de l’article 47 du Code) en échange d’un « panier de services » : ceux qui sont obligatoires en vertu du Code et, le cas échéant, ceux qui ne le sont pas parce qu’ils n’y sont pas prévus. En effet, toujours selon l’arrêt Noël, au paragraphe 56 : « Au cas de violation du devoir de représentation, les sanctions principales se retrouvent dans le Code du travail, à l’égard de certains types de décisions. D’autres relèvent du droit de la responsabilité civile ».
[40] Ainsi en a décidé la Commission dans plusieurs affaires
récentes bien que la jurisprudence antérieure ait été partagée. Citons à ce
propos : Bergeron c. Syndicat des agents de la paix en services
correctionnels du Québec,
[41] En conclusion, même si le Syndicat offre aux salariés qu’il représente d’assumer leur défense devant la CLP lors d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle, la façon dont il s’en acquitte n’est pas assujettie à l’examen de la Commission.
[21] Par ailleurs, la plainte doit être déposée dans les six mois du manquement. Le point de départ que le Tribunal doit considérer dans le calcul de ce délai est celui où le salarié a une connaissance acquise de la violation du devoir de représentation syndicale, à savoir le moment où il a pu raisonnablement comprendre la faute qu’il reproche à son syndicat[4].
[22] En l’espèce, la seule faute alléguée par la plaignante à l’endroit du Syndicat tient au refus de ce dernier d’assurer sa représentation devant la CLP. Or, il s’agit d’une question qui ne peut être examinée par le Tribunal, puisqu’il s’agit d’un service facultatif qui ne s’inscrit pas dans une perspective d’application de la convention collective.
[23] Qui plus est, il est inexact de prétendre que le Syndicat a refusé de la soutenir devant la CLP, bien au contraire. La preuve démontre que madame Mercier lui a expliqué la procédure à suivre dans un dossier de la CSST. Or, c’est la plaignante qui était en désaccord avec la manière de procéder de ce dernier et qui a décidé de choisir un autre procureur, à ses frais. D’ailleurs, elle l’admet.
[24] Cela étant, sa plainte à l’encontre du Syndicat doit être rejetée.
[25] Nonobstant ce qui précède, le Tribunal constate que la plainte est hors délai. À cet égard, la preuve démontre que la faute alléguée par la plaignante s’est produite en avril 2014. En effet, elle considère alors que le refus du Syndicat de la mettre en contact direct avec un avocat, hors la présence de madame Mercier, est déraisonnable et démontre un manque flagrant de professionnalisme. Le point de départ de la prescription se situe donc à ce moment.
[26] Conséquemment, la plaignante avait jusqu’au mois d’octobre 2014 pour déposer une plainte contre son association accréditée, ce qu’elle a négligé de faire. Sa plainte est donc également irrecevable pour ce motif.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
REJETTE la plainte.
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Anick Chainey |
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Brigitte Bariller |
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Pour elle-même |
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Me Paul Gauthier |
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Pour la partie défenderesse |
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Me Marie Garel |
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BORDEN LADNER GERVAIS S.R.L., S.E.N.C.L.R. |
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Pour la partie mise en cause |
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Date de l’audience : 13 septembre 2016 |
/ab
[1] RLRQ, c. C-27.
[2] RLRQ, c. T-15.1.
[3] 2011 QCCRT 0440.
[4] Voir à cet effet : Dumont c. Syndicat des
fonctionnaires de la Nouvelle Ville de Shawinigan (CSN),
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