Décision

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Modèle de décision CLP - juillet 2015

Pêcheries Marinard ltée et Dupuis

2016 QCTAT 987

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent et Côte - Nord

 

Dossier :

561226-01B-1501

 

Dossier CNESST :

142454404

 

 

Gaspé,

le 17 février 2016

 

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

Louise Desbois

______________________________________________________________________

 

 

 

Pêcheries Marinard ltée

 

Partie demanderesse

 

 

 

et

 

 

 

Allen Dupuis

 

Partie mise en cause

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 5 janvier 2015, Pêcheries Marinard ltée (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 12 décembre 2014 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 6 octobre 2014 et déclare qu’il n’y a pas lieu de réduire ou de suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu à monsieur Allen Dupuis (le travailleur).

[3]           Les parties ont demandé au tribunal de procéder sur dossier et ont soumis leurs argumentations écrites. Le dossier a été mis en délibéré sur réception du dernier document attendu, soit le 3 décembre 2015.

[4]           Le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[1] (la LITAT) est entrée en vigueur. Cette loi crée le Tribunal administratif du travail qui assume les compétences de la Commission des relations du travail et de la Commission des lésions professionnelles. En vertu de l’article 261 de cette loi, toute affaire pendante devant la Commission des relations du travail ou devant la Commission des lésions professionnelles est continuée devant la division compétente du Tribunal administratif du travail.

[5]           Dans le présent dossier, l’audience était prévue devant la commissaire Louise Desbois, juge administrative à la Commission des lésions professionnelles, accompagnée de madame Ginette Denis, membre issue des associations d’employeurs et de monsieur Mario Boudreau, membre issu des associations syndicales. L’article 260 de cette loi prévoit que le mandat des membres autres que les commissaires prend fin le 31 décembre 2015 et que ces membres ne terminent pas les affaires qu’ils avaient commencées. Comme l’affaire n’était pas terminée en date du 31 décembre 2015, l’avis des membres issus des associations syndicales et d’employeurs n’a pas à être rapporté.

[6]           En vertu de l’article 258 de la LITAT, le mandat des commissaires de la Commission des lésions professionnelles est poursuivi à titre de membre du Tribunal administratif du travail. La présente décision est donc rendue par la soussignée en sa qualité de membre dudit Tribunal.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[7]           L’employeur demande de déclarer qu’il devait y avoir suspension du paiement de l’indemnité de remplacement du revenu au travailleur pour la période du 25 septembre au 8 décembre 2014 ou, subsidiairement, réduction de cette indemnité.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[8]           Le 29 mai 2014, le travailleur est victime d’un accident du travail dans l’exercice de son travail de journalier chez l’employeur. Il s’agit d’un emploi saisonnier que le travailleur exerce alors chez l’employeur depuis 43 ans.

[9]           À la suite de cet accident, soit une chute en hauteur d’une échelle dans un bateau, des diagnostics de lacération frontale, de traumatisme cranio-cérébral, de syndrome de stress post-traumatique, d’entorse cervicale, de névralgie d’Arnold, puis de lombosciatalgie droite sont notamment évoqués par le médecin ayant charge du travailleur.

[10]         Conformément à la procédure d’évaluation médicale prévue par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi) aux articles 199 et suivants, l’employeur a demandé au travailleur de se soumettre à une évaluation médicale par un médecin qu’il avait désigné.

[11]        Les articles 209 à 212 prévoient en effet ce qui suit :

209.  L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut exiger que celui-ci se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'il désigne, à chaque fois que le médecin qui a charge de ce travailleur fournit à la Commission un rapport qu'il doit fournir et portant sur un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.

 

L'employeur qui se prévaut des dispositions du premier alinéa peut demander au professionnel de la santé son opinion sur la relation entre la blessure ou la maladie du travailleur d'une part, et d'autre part, l'accident du travail que celui-ci a subi ou le travail qu'il exerce ou qu'il a exercé.

__________

1985, c. 6, a. 209; 1992, c. 11, a. 14.

 

 

210.  L'employeur qui requiert un examen médical de son travailleur donne à celui-ci les raisons qui l'incitent à le faire.

 

Il assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre.

__________

1985, c. 6, a. 210.

 

 

211.  Le travailleur victime d'une lésion professionnelle doit se soumettre à l'examen que son employeur requiert conformément aux articles 209 et 210.

__________

1985, c. 6, a. 211.

 

 

212.  L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :

 


 

1° le diagnostic;

 

2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;

 

3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;

 

4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;

 

5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.

 

L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.

__________

1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.

 

[nos soulignements]

 

 

[12]        En l’occurrence, le travailleur a avisé l’employeur le 22 septembre 2014 qu’il ne se présenterait pas à l’examen médical prévu le 25 septembre 2014, sur recommandation de son médecin. L’examen a été reporté au 8 décembre 2014 et le travailleur s’y est alors présenté.

[13]        La conséquence pour un travailleur qui refuserait, sans raison valable, de se soumettre à l’examen médical requis par l’employeur, est prévue à l’article 142 de la loi. Il s’agit de la disposition que l’employeur a demandé à la CSST d’appliquer en l’instance :

142.  La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :

 

1° si le bénéficiaire :

 

a)  fournit des renseignements inexacts;

 

b)  refuse ou néglige de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention;

 

2° si le travailleur, sans raison valable :

 

a)  entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;

 

b)  pose un acte qui, selon le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, selon un membre du Bureau d'évaluation médicale, empêche ou retarde sa guérison;

 

c)  omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;

 

d)  omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation;

 

e)  omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180;

 

f)  omet ou refuse d'informer son employeur conformément à l'article 274.

__________

1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.

 

 

[14]        Ainsi, la CSST peut réduire ou suspendre le paiement d’une indemnité si le travailleur, sans raison valable, omet ou refuse de se soumettre à un examen médical par le médecin désigné par l’employeur, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave.

[15]        Il n’est pas allégué ici par le travailleur qu’il s’agissait d’un examen qui « présente habituellement un danger grave ». Ce qui est visé par cette disposition est un examen diagnostique qui serait très intrusif et présenterait effectivement un danger grave. Cette disposition vise notamment à empêcher qu’un travailleur refuse, sans raison valable, de se soumettre, par exemple, à une prise de sang ou à une résonance magnétique prescrite par son médecin pour permettre d’évaluer sa condition. Or, il n’était ici question, comme dans ces derniers cas, que d’un simple examen médical par le médecin désigné par l’employeur.

[16]        Le tribunal précise que le fait qu’un examen « présente habituellement un danger grave » ne constitue pas la seule raison pour laquelle un travailleur peut ne pas se présenter à un examen médical[3]. En effet, il est bien énoncé, d’entrée de jeu, à l’article 142, que ce n’est uniquement que si le travailleur a agi « sans raison valable » que la CSST peut réduire ou suspendre le paiement d’une indemnité.

[17]        La question en litige est conséquemment la suivante : le travailleur a-t-il omis ou refusé de se soumettre à un examen médical sans raison valable?

[18]        Après examen de la preuve et des argumentations produites, le tribunal doit répondre négativement à cette question.

[19]        D’abord, il importe de souligner que l’article 142 précité est reconnu devoir être interprété de manière restrictive puisqu’il s’agit d’une dérogation au droit d’un travailleur de recevoir les prestations auxquelles il a droit et, le plus souvent, l’indemnité de remplacement du revenu[4].

[20]        Pour les mêmes raisons, la « raison valable » invoquée par le travailleur doit quant à elle être interprétée de façon large et libérale[5].

[21]        Il est également reconnu que chaque cas d’entrave ou de refus allégué à un examen médical doit être examiné au mérite, ce qui implique l’analyse du comportement du travailleur concerné.

[22]        La Commission des lésions professionnelles s’exprime notamment comme suit à ce sujet dans une affaire récente[6] :

[10]      Le refus ou l’omission de se soumettre à un examen médical prévu par la loi, sans raison valable, s’apprécie suivant le mérite de chaque cas. Chaque cas doit être étudié à la lumière de la preuve offerte et l’omission ou le refus de se soumettre à l’examen médical demandé doit s’analyser par rapport au comportement de la travailleuse3. Puisque la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu est tributaire d’une entrave, d’un refus ou d’une omission de la part de la travailleuse, et ce, sans raison valable, l’analyse de son comportement s’avère essentielle à l’appréciation de cette notion d’entrave, de refus ou d’omission4.

______________

3           Boucher-Brisebois et General Motors du Canada ltée, [1995] C.A.L.P. 109; Prévost Car inc. et Lamothe, précitée, note 2.

4           Prévost Car inc. et Lamothe, précitée, note 2.

 

 

[23]        Il s’avère, en l’instance, que le travailleur avait spontanément accepté de se soumettre à l’examen médical annoncé par son employeur, et que c’est sur recommandation de son médecin traitant qu’il a changé d’avis, constatant lui-même sa piètre condition par ailleurs, son agente d’indemnisation à la CSST l’ayant, en outre, soutenu dans cette décision.

[24]        Ainsi, l’employeur a avisé le travailleur par téléphone en fin d’après-midi le vendredi 19 septembre 2014 du fait qu’il souhaitait que ce dernier se rende à Montréal pour un examen médical à y être effectué par un neurologue le jeudi 25 septembre suivant. Le travailleur a alors acquiescé à cette demande.

[25]        Or, le lundi 22 septembre 2014, le travailleur rencontre son médecin (une tomodensitométrie a également été pratiquée ce jour-là) qui évoque, dans son rapport médical à la CSST, des séquelles persistantes de traumatisme cranio-cérébral, des cervicalgies et le maintien du port d’un collier cervical, un syndrome de stress post-traumatique ainsi qu’un trouble anxieux généralisé sous-jacent, mais également des lombosciatalgies droites aiguës augmentées depuis quelques jours. Un nouvel analgésique puissant est prescrit. Le médecin ajoute alors ce qui suit sur son rapport : « Expertise médicale à Montréal doit être retardée d’au moins 1 semaine ».

[26]        Il importe de préciser que le fait de se présenter à l’examen médical tel que demandé par l’employeur impliquait pour le travailleur un très long déplacement sur la route : le travailleur habite en effet à près de 1000 kilomètres de Montréal.

[27]        Ainsi, le tribunal constate que deux éléments pouvaient justifier la recommandation de report de l’examen médical du fait de la condition alors plus difficile du travailleur : la difficulté, la douleur et les risques associés au long déplacement, mais, également, la vraisemblable difficulté de procéder à un examen médical valable et probant du travailleur dans ce contexte, d’autant plus après un très long déplacement et la condition conséquente du travailleur.

[28]        Le jour même, soit le 22 septembre 2014, le travailleur avise son employeur (ou la mutuelle de ce dernier qui pilote le dossier) de la position de son médecin et du fait qu’il ne pourra se rendre à l’examen.

[29]        L’agente d’indemnisation de la CSST s’entretient le même jour avec monsieur Richard Pires de la mutuelle de prévention de l’employeur et en rapporte ce qui suit dans le dossier :

Titre : Suivi de la demande d’expertise médicale avec la mutuelle de prévention.

 

- ASPECT PSYCHOSOCIAL :

Retour d’appel à la mutuelle de prévention :

Je discute avec monsieur Richard Pires. Il m’indique qu’il n’est pas facile d’obtenir une date de rendez-vous avec un neurologue. Il a pu obtenir une date pour le 25 septembre 2014. Si le T [travailleur] ne peut s’y présenter il pourra avoir une autre date seulement dans 2 ou 3 mois. Il m’indique que l’E [employeur] a un droit de faire voir le T par un médecin expert et que si nous refusons de suspendre les indemnités nous allons brimer se droit. Je lui indique que le médecin traitant indique qu’il est préférable d’attendre au minimum une semaine avant de reporter l’Expertise pour des raisons médicales. Je lui indique que je suis liée au médecin traitant et je crois que celui-ci ne produit pas une document médical comme celui-ci sans avoir de raison. Il m’indique que le T la semaine passée le vendredi semblait d’accord avec cette expertise et il se dépêche dès le lundi de consulter le médecin même s’il n’avait pas de rendez-vous de prévu. Il m’indique que le T a été averti quand même à l’avance de son déplacement. Je lui indique que son E l’a mis au courant le vendredi vers 15h00 selon le T. Durant la rencontre avec le T, il a bien mentionné qu’il avait l’intention d’y aller à l’expertise médicale, mais que son médecin a jugé que dans sa condition il n’était pas recommandé dans le temps d’y aller. Monsieur Pires tient des propos concernant la condition personnelle du T et je lui indique que nous devons prendre le T comme il est. Comme il ne semble pas tenir compte de mon opinion, je l’invite à faire ce qu’il juge le mieux pour lui et je rendrais la décision selon les informations que j’obtiendrai. Je lui indique qu’il est conscient qu’il est mis au courant que le T ne se déplacera pas cette semaine pour l’expertise. Je lui indique que légalement si le T ne se présente pas à l’expertise et qu’il maintient le rendez-vous malgré les informations obtenues qu’il ne peut pas réclamer au T le montant de l’expertise. Celui-ci ne dit rien.  [sic]

 

[nos soulignements]

 

 

[30]        Le tribunal souligne que le travailleur est alors à l’emploi de l’employeur depuis 43 ans et que, selon son dossier à la CSST, il s’est en outre toujours présenté à tous ses traitements et rendez-vous, qu’ils soient médicaux, de physiothérapie ou de nature administrative, sans jamais faillir, et que rien au dossier ne permet de comprendre la prétention malheureuse du représentant de la mutuelle selon laquelle le rapport médical du médecin du travailleur en serait un de complaisance, que la condition alléguée du travailleur ne serait qu’un prétexte et que ce dernier serait de mauvaise foi en ne se rendant pas immédiatement à son évaluation médicale.

[31]        Le tribunal souligne qu’en vertu du Code civil du Québec, la bonne foi doit être présumée :

2805. La bonne foi se présume toujours, à moins que la loi n'exige expressément de la prouver.

 

 

[32]        L’agente d’indemnisation et la conseillère en réadaptation de la CSST rencontrent le travailleur le 22 septembre 2014, soit le même jour que la rencontre de ce dernier avec son médecin et de son avis conséquent à l’employeur quant au fait qu’il ne pourrait donner suite à sa convocation. Celles-ci rapportent alors des symptômes significatifs présents chez le travailleur, puis ce qui suit au sujet de l’évaluation médicale demandée par l’employeur :

Il voulait se rendre à l’expertise demandée en neurologie demandée par l’E le 25 septembre 2014, mais il est tellement mal en point depuis son accident et depuis une nouvelle douleur dorsale qu’il ne pouvait pas le faire. Il dit que le Dr Michael Poulin lui a dit qu’il ne pouvait pas se déplacer dans sa condition actuelle. Le T dit qu’il aurait aimé le faire tout de suite mais c’est pratiquement impossible pour lui parce qu’il a vraiment trop de douleur.  [sic]

 

 

[33]        Le lendemain, le travailleur appelle son agente d’indemnisation de la CSST pour s’assurer que tout est correct en ce qui concerne l’évaluation médicale à laquelle il ne se rendra pas. Son agente d’indemnisation rapporte cet entretien comme suit :

Le T me demande si j’ai contacté le neurologue de Montréal. Je lui indique que je n’ai pas à contacter ce médecin, car il est le médecin expert de son E. Je lui mentionne avoir parlé avec la mutuelle de prévention et avec l’information médicale obtenue, il n’est pas dans l’obligation de se présenter à l’expertise. Par contre, je l’informe que la prochaine date, il devra se présenter sinon nous allons devoir réviser notre position et il pourrait être à risque de suspension d’IRR [indemnité de remplacement du revenu] à ce moment. Il m’assure qu’à l’autre date il ira, car il veut que se soit fait pour passer à autre chose[sic]

 

[nos soulignements]

 

 

[34]        Le représentant de la mutuelle de l’employeur demande ensuite à la CSST de rendre une décision formelle par laquelle elle refuse de suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu au travailleur, ce qu’il considère comme un déni du droit de l’employeur de faire évaluer ce dernier.

[35]        Le 3 octobre 2014, la CSST rend la décision tel que demandé. L’agente d’indemnisation résume ainsi au dossier les considérations pour lesquelles elle a refusé de suspendre le paiement de l’indemnité du revenu au travailleur :

-Considérant que le T a un papier médical en date du 22 septembre 2014 qui indique que pour des raisons médicales l’expertise devait être reporté d’au moins une semaine.

- Considérant que nous jugeons que la raison du T de ne pas se présenter est valable.

- Considérant que l’E lui a remis la lettre officielle de convocation en expertise médicale pour le 25 septembre 2014, en date du 22 septembre 2014.

- Considérant que lorsque l’E lui a remis la lettre de convocation, le T a remis à E la preuve médicale qui demandait de repousser d’une semaine l’expertise pour des raisons médicales.

- Considérant que la mutuelle de prévention dès le lundi 22 septembre 2014 a été avisé que le T avait une raison valable de ne pas se présenter à l’expertise médicale.

 

Nous refusons de suspendre les IRR selon l’article 142.  [sic]

 

 

[36]        Le tribunal partage cette vision de la situation et souligne que le travailleur n’avait pas à démontrer une impossibilité absolue pour lui de se soumettre à l’examen médical auquel il était convoqué par son employeur : il lui suffisait de démontrer une raison valable, tel qu’énoncé à l’article 142 de la loi.

[37]        D’ailleurs, le travailleur a été convoqué à nouveau pour rencontrer le médecin désigné par l’employeur le 8 décembre 2014 et il s’y est rendu comme demandé.

[38]        Incidemment, il n’y a aucune preuve au dossier pour soutenir l’allégation de l’employeur selon laquelle il n’était pas possible d’obtenir un autre rendez-vous chez le neurologue avant le 8 décembre 2014.

[39]        Quoi qu’il en soit, le tribunal est d’avis, comme la CSST, que, dans le contexte précité, le travailleur avait une « raison valable » de ne pas se soumettre à l’examen médical demandé par son employeur et qu’il était justifié que la CSST refuse de suspendre le paiement de son indemnité de remplacement du revenu jusqu’au rendez-vous suivant chez le médecin désigné par son employeur.

[40]        Le fait que l’agente d’indemnisation de la CSST ait déclaré au travailleur qu’il avait effectivement, selon elle, une raison valable de ne pas se rendre à l’examen médical auquel il était convoqué s’ajoute, en outre, à ce qui précède pour conclure que le travailleur ne devrait pas être pénalisé pour ne pas s’être rendu à cet examen.

[41]        Le tribunal ne peut ainsi souscrire aux arguments du procureur de l’employeur selon lesquels une conclusion défavorable à son client et la prise en compte de la position prise par la CSST à l’époque, impliquant selon lui une « immixtion » et « l’incurie » de l’agente d’indemnisation de la CSST, reviendraient à « stériliser » les obligations du travailleur et à « émasculer » les dispositions de la loi, rien de moins.

[42]        Le travailleur ne pouvait être laissé dans l’ignorance de la position que prendrait la CSST quant à son obligation, ou non, de se rendre à l’examen médical auquel il était convoqué. Il devait simplement être informé du risque que la décision de la CSST soit éventuellement infirmée.

[43]        Le tribunal est d’avis qu’en l’instance, la CSST a pris sa décision, comme l’y invite d’ailleurs l’article 351 de la loi, « suivant l’équité, d’après le mérite réel et la justice du cas », dans le respect de la lettre et de l’esprit, tant de l’article 142 que de l’ensemble de la loi.

[44]        Un travailleur doit évidemment collaborer, tant avec l’employeur qu’avec la CSST, dans la mise en pratique des dispositions de la loi, mais sa vie n’est pas pour autant suspendue ni à l’abri des aléas de la vie pendant le suivi de sa lésion professionnelle, lequel peut durer des semaines, des mois, voire des années.

[45]        Ainsi, notamment, une condition médicale personnelle peut, selon les circonstances, justifier qu’un travailleur ne se soumette pas à un examen médical, tout comme un rendez-vous important[7], le décès contemporain d’un membre proche de la famille du travailleur, des vacances planifiées de longue date[8], une obligation légale de quitter le pays[9], des problèmes mécaniques[10] ou même l’oubli des billets d’avion impliquant que le travailleur manque son vol pour se rendre à son examen[11].

[46]        Encore une fois, chaque cas doit être examiné au mérite pour déterminer si un travailleur avait effectivement une raison valable de ne pas se soumettre à l’examen médical prévu par la loi. Le tribunal conclut que la preuve est prépondérante quant au fait que c’était bien le cas en l’espèce.

 

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

REJETTE la requête de l’employeur, Pêcheries Marinard ltée;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 12 décembre 2014 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE qu’il n’y avait pas lieu de suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu au travailleur, monsieur Allen Dupuis, pour la période du 25 septembre au 8 décembre 2014 ni de réduire cette indemnité pour cette période.

 

 

 

 

 

Louise Desbois

 

 

Me Joël Brassard-Morissette

SERVICES CONSEILS PG SST INC.

Pour la partie demanderesse

 

Mme Anick Perreault

C.S.N.

Pour la partie mise en cause

 

 



[1]          RLRQ, c. T-15.1.

[2]           RLRQ, c.A-3.001.

[3]           Voir notamment, en ce sens : Pollender et Via Rail Canada inc., C.L.P. 324901-31-0707, 25 février 2008, P. Simard.

[4]           Voir notamment : Prévost-Car inc. et Lamothe, C.L.P. 155022-03B-0102, 4 septembre 2001, G. Marquis, révision rejetée, 01-12-17, P. Simard; Readovic et Dyspar Payroll Services (Canada), 2014 QCCLP 6802.

[5]           Voir notamment : Pollender et Via Rail Canada inc., précitée, note 3.

[6]           Readovic et Dyspar Payroll Services (Canada), précitée, note 4.

[7]           Perron et Fini Avant-Guard inc., C.L.P. 376740-07-0904, 29 juin 2010, P. Sincennes.

[8]           Ferreira et Aménagements Côté Jardin inc., C.L.P. 44602-60-9209, 29 mai 1995, L. Thibault, révision rejetée, 29 mars 1996, B. Roy.

[9]           9008-1951 Québec inc. et Cruz Marroquin, C.L.P. 398646-62B-0912, 13 mai 2010, Y. Vigneault.

[10]         Dupont et Via Rail Canada inc., 2011 QCCLP 6801.

[11]         Barkley et Service Sani-Tri Cogesis inc., 2011 QCCLP 2578.

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