Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Caron |
2015 QCCA 1048 |
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COUR D’APPEL |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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GREFFE DE
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Nº : |
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(700-17-009155-127) |
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DATE : |
15 juin 2015 |
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COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ AU TRAVAIL |
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APPELANTE — Intervenante |
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c. |
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ALAIN CARON |
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INTIMÉ — Demandeur |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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MISE EN CAUSE — Défenderesse |
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CENTRE MIRIAM |
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MIS EN CAUSE — Mis en cause |
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[1] L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 5 juin 2014 par la Cour supérieure, district de Terrebonne (l’honorable Gérard Dugré)[1], qui a accueilli la requête en révision judiciaire présentée par l’intimé Alain Caron à l’encontre d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 5 juin 2012[2] et ordonné le retour du dossier devant cette dernière afin qu’elle tranche la contestation en tenant compte de la mise en œuvre du droit à l’égalité protégé par la Charte des droits et libertés de la personne[3].
[2] Pour les motifs de la juge Bélanger, auxquels souscrivent les juges Hilton et Schrager, LA COUR :
[3] REJETTE l’appel, avec dépens.
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MOTIFS DE LA JUGE BÉLANGER |
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[4] Le pourvoi soulève la question de l’obligation pour la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) et pour la Commission des lésions professionnelles (CLP) de s’assurer qu’un employeur a tenté d’accommoder un travailleur victime d’une lésion professionnelle et porteur d’un handicap en résultant, lorsque cet employeur affirme qu’il n’a pas d’emploi convenable à lui offrir et qu’il refuse, par conséquent, de le réintégrer dans son entreprise.
[5] Cette question ayant déjà fait l’objet d’une analyse par la Cour dans l’affaire Mueller[4], je suis d’avis qu’il y a lieu de revisiter la question et d’affirmer que la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[5] doit être appliquée en tenant compte des dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne[6] du Québec. Voici pourquoi.
[6] Le litige se situe dans le contexte de la désinstitutionnalisation des usagers de l’Hôpital Rivière-des-Prairies, institution qui accueillait des personnes présentant une déficience intellectuelle ou un trouble du développement. En 2004, le Centre Miriam a assumé la responsabilité du transfert des derniers résidents, environ 90 personnes, en les prenant en charge d’abord dans les locaux de l’hôpital, pour ensuite assurer leur transfert vers des ressources adaptées à leurs besoins, dont des résidences spécialisées.
[7] Le 20 octobre 2004, l’intimé Alain Caron (ci-après « le travailleur ») développe une épicondylite en exerçant son travail d’éducateur au Centre Miriam (ci-après « l’employeur »).
[8] Dès le lendemain, on lui attribue une affectation temporaire de chef d’équipe sur le quart de nuit. Cette affectation temporaire lui a été offerte en raison des besoins importants d’un soutien administratif dans le contexte de la désinstitutionnalisation. L’employeur a mis fin à cette affectation temporaire lorsque le processus de désinstitutionnalisation a été complété et que tous les usagers ont été transférés, trois ans plus tard, en octobre 2007.
[9] Entretemps, le 6 octobre 2006, la CSST déclare que la lésion est consolidée avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles.
[10] Le 5 octobre 2007, l’employeur met fin à l’affectation temporaire.
[11] Le 19 octobre 2007, la CSST déclare que le travailleur est en mesure de reprendre son emploi prélésionnel, décision qui est contestée par l’employeur.
[12] Le 13 novembre 2009 (2 ans plus tard), la CLP infirme cette décision et déclare que le travailleur n’est pas en mesure de reprendre son emploi prélésionnel[7], décision qui sera confirmée après révision le 25 novembre 2010[8]. À la suite de cette dernière décision, le processus de réadaptation du travailleur s’est poursuivi.
[13] Le 16 avril 2010, l’employeur indique à la CSST qu’il n’a aucun emploi convenable et disponible à offrir au travailleur.
[14] Le 22 avril 2010, la CSST en informe le travailleur et décide que le processus de réadaptation se poursuivra et que ses possibilités professionnelles seront évaluées en tenant compte du fait que l’employeur n’a pas d’emploi convenable à lui offrir. Cette décision est contestée par le syndicat, au nom de l’employé, au motif que l’employeur refuse de respecter les obligations qui lui incombent en vertu de la Charte. Le syndicat estime que les limitations fonctionnelles qui découlent de la lésion professionnelle font en sorte que le travailleur est porteur d’un handicap au sens de l’article 10 de la Charte, qu’il ne peut faire l’objet de discrimination en raison de ce handicap et que, dans la recherche d’un emploi convenable, l’employeur doit tout mettre en œuvre afin de favoriser son retour au travail, sans toutefois lui imposer de contraintes excessives. Estimant que cet exercice n’a pas été fait, le syndicat demande à la CSST de reconsidérer sa décision et de convoquer à nouveau les parties afin que cet exercice d’accommodement soit entrepris.
[15] En fait, le travailleur a ciblé deux postes qu’il pourrait occuper si l’employeur met en place des mesures d’accommodement.
[16] Dans sa décision en révision rendue le 15 juillet 2010, la CSST indique que le principe d’accommodement raisonnable ne peut être appliqué aux litiges relevant de la L.a.t.m.p., car les dispositions de cette loi constituent des mesures d’accommodement spécifiques aux lésions professionnelles. Elle affirme donc qu’il n’y a « pas lieu de recourir à la Charte des droits et libertés et ainsi ajouter à la L.a.t.m.p. ».
[17] Le 26 juillet 2010, l’employeur met fin à l’emploi du travailleur qui cumule alors 25 ans d’ancienneté.
[18] C’est sur cette toile de fond que le travailleur conteste la décision devant la CLP.
[19] Parallèlement à cette contestation, le travailleur a déposé deux griefs : un premier le 14 mai 2010 contestant la décision de l’employeur de refuser de l’accommoder en vertu de la Charte, ce qui serait contraire à son droit de retour au travail prévu à la convention collective; un deuxième grief le 27 août 2010 contestant la décision de l’employeur de mettre fin à son emploi. Étant donné le présent recours, l’audition de ces deux griefs a été suspendue.
[20] La CLP rend sa décision le 5 juin 2012[9]. Elle estime que la jurisprudence constante de la Cour d’appel du Québec refuse d’appliquer le devoir d’accommodement prévu à la Charte en matière de réadaptation selon la L.a.t.m.p. et que les dispositions de la loi constituent, en elles-mêmes, un accommodement en vertu de cette Charte. Elle rejette donc la demande du travailleur de soumettre l’employeur à un devoir d’accommodement.
[21]
La CLP rappelle que sa jurisprudence interne établit que l’emploi
convenable au sens de la Loi doit être réel et disponible au moment de sa
détermination et que le travailleur ne peut bénéficier des dispositions de
l’article
[22]
Au surplus, la CLP souligne que le travailleur a utilisé les recours
prévus aux articles
[23] En conséquence, la CLP rejette le recours du travailleur aussi pour le motif que l’exercice de son droit de retour au travail est expiré.
Jugement de la Cour supérieure[10]
[24] Le juge a énoncé les questions en litige de la manière suivante :
[37] Il convient maintenant d’énoncer les questions en litige proposées par le demandeur et de résumer la position des parties.
a. La CLP a-t-elle erré en refusant de mettre en œuvre le droit à l’égalité dans la détermination de la possibilité pour le mis en cause de confier un emploi convenable au demandeur?
b. La CLP a-t-elle erré en refusant de mettre en œuvre le droit à l’égalité dans l’exercice du droit de retour au travail du demandeur et en concluant que l’intervenante CSST n’avait pas à se questionner sur la présence d’un emploi convenable dans la mesure où le droit de retour au travail était expiré?
c. Le cas échéant, quel est le redressement approprié dans les circonstances?
[25] Le juge se dit d’avis que les deux premières questions en litige doivent être tranchées en appliquant la norme de la décision raisonnable, car aucun des quatre cas où la norme de la décision correcte s’impose ne s’applique en l’espèce.
[26] Il estime que la CLP a commis certaines erreurs déraisonnables. Tout d’abord, en confondant la conformité à la Charte du régime législatif créé par la L.a.t.m.p. avec la conformité à la Charte de l’affirmation de l’employeur qu’il n’a pas d’emploi convenable à offrir au travailleur. Selon lui, la CLP avait le devoir de trancher cette question et, au besoin, celui d’utiliser les pouvoirs de réparation que lui confère la Charte.
[27]
Le juge ajoute que la CLP a rendu une décision déraisonnable en
exprimant l’avis qu’il n’existe aucune assise juridique dans la L.a.t.m.p.
pour obliger l’employeur à modifier un emploi existant pour le rendre
convenable au sens de l’article
[28]
Finalement, le juge affirme que la CLP devait appliquer la Charte de
façon raisonnable et suivre la démarche imposée par les tribunaux pour
déterminer si le travailleur a été victime de discrimination illicite, fondée
sur son handicap, et si le droit de retour au travail dans un emploi convenable
a été enfreint par l’employeur parce qu’il a violé la Charte. La CLP a le
pouvoir d’imposer la réparation appropriée, pouvoir conféré par l’article 49 de
la Charte. L’article 52 de cette dernière permet à la CLP de rendre inopérant
le délai prévu à l’article
[29] En conséquence, le juge accueille la révision judiciaire, annule la décision de la CLP et lui retourne le dossier afin qu’elle tranche la contestation en tenant compte de la mise en œuvre du droit à l’égalité protégé par la Charte.
[30] L’appelante soulève quatre questions :
1. Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de la CLP?
2. La CSST et la CLP doivent-elles s’assurer que le devoir d’accommodement de l’employeur a été mis en œuvre lorsqu’elles décident de l’existence d’un emploi convenable dans l’entreprise dans les cas où un travailleur a été victime d’une lésion professionnelle au sens de la L.a.t.m.p. et qu’il subsiste un handicap au sens de la Charte?
3. Si oui, en cas de différend, qui a la compétence pour décider de cette question? L’arbitre de griefs ou la CSST et la CLP?
4. S’il
s’agit d’une question que la CSST et ultimement la CLP doivent trancher, l’expiration du droit de retour au travail prévu à l’article
[31] La question de déterminer si la CLP doit s’assurer de la mise en œuvre du devoir d’accommodement d’un employeur qui irait au-delà des normes contenues à la L.a.t.m.p. en est une qui appelle à la norme de la décision correcte.
[32] Quoique la déférence soit de mise lorsqu’un tribunal administratif interprète sa loi constitutive[11] et quoiqu’il existe une présomption de déférence à l’égard des décisions d’un tribunal spécialisé lorsqu’il interprète une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie[12], force est de constater que la question soulevée ne relève pas d’une interprétation de la L.a.t.m.p. Personne ne conteste l’application faite par la CLP de sa loi constitutive en soi.
[33] Dans Mouvement laïque québécois et Alain Simoneau c. Ville de Saguenay et Jean Tremblay[13] rendu par la Cour suprême du Canada, le juge Gascon rappelle quatre principes importants :
1. L’importance de bien identifier les questions soulevées pour déterminer la norme applicable;
2. Lorsque le tribunal agit à l’intérieur de son champ d’expertise et qu’il interprète la Charte québécoise pour décider de l’existence de discrimination, la déférence s’impose;
3. Lors du contrôle judiciaire d’une décision d’un tribunal administratif spécialisé qui interprète et applique sa loi constitutive, il y a lieu de présumer que la norme de contrôle est la décision raisonnable et la déférence est normalement requise;
4. Cette présomption peut être repoussée en présence de :
a) une intention claire du législateur de ne pas protéger la compétence du tribunal à l’égard de certaines questions;
b) l’existence d’une compétence concurrente et non exclusive sur le même point de droit;
c) lorsque se soulève une question de droit général d’importance pour le système juridique et étrangère au domaine d’expertise du tribunal spécialisé. Il rappelle d’ailleurs qu’il est important de résister à la tentation d’appliquer la norme de la décision correcte à toutes les questions de droit d’intérêt général.[14]
[34] La véritable question est celle de déterminer si, dans un cas où le travailleur demeure avec un handicap, la CLP doit appliquer les dispositions de la Charte tout en appliquant sa loi constitutive.
[35] Dans la présente affaire, nous ne sommes pas en présence d’une question relative à l’application de la Charte en soi, mais plutôt en face d’un refus de l’appliquer.
[36] Ce que cette question sous-tend c’est l’obligation pour un tribunal spécialisé d’appliquer sa loi constitutive en tenant compte de la loi quasi constitutionnelle qu’est la Charte.
[37] À mon avis, le législateur québécois n’a pas voulu protéger la compétence d’un tribunal spécialisé comme la CLP de décider ou non d’appliquer la Charte québécoise. Il s’agit là aussi d’une question de droit général d’importance pour le système juridique, comprenant le système de justice administrative. La norme de la décision correcte s’applique donc.
[38] Le travailleur, la CSST et la CLP s’entendent pour dire que le présent débat a pour toile de fond le fait que l’arbitre de griefs ne semble pas avoir compétence en matière de retour au travail à la suite d’un accident de travail ou d’une lésion professionnelle, étant donné les arrêts rendus par la Cour dans les affaires Sepaq[15] et Tembec[16]. En conséquence, un travailleur ne pourrait faire valoir son droit à l’égalité ni devant la CLP ni devant l’arbitre de griefs lorsqu’il demeure avec un handicap à la suite d’une lésion professionnelle.
[39] Ce n’est pas la première fois que la question de la compétence de la CLP ou celle de l’arbitre de griefs de décider de l’intégration des obligations prévues par la Charte au régime de la L.a.t.m.p. est soumise à la Cour. La jurisprudence de la Cour sur la question de la compétence de la CLP à appliquer la Charte, en conjonction avec la L.a.t.m.p., et de la compétence des arbitres de griefs à se prononcer sur ces questions se résume de la façon suivante.
[40] En 2004, l’affaire Mueller[17] : dans cette affaire, le travailleur a été congédié, n’étant plus en mesure d’effectuer son emploi prélésionnel, après avoir subi une lésion professionnelle et compte tenu de sa condition personnelle. Après avoir reconnu que l’employé a été congédié en raison de son handicap physique et que, prima facie, ce motif de congédiement contrevient au texte de l’article 10 de la Charte, la Cour décide que la CSST et la CLP « [n’] auraient pas eu la compétence d’imposer, recommander ou suggérer quelque forme d’accommodement que ce soit ». Par contre, la Cour indique que l’arbitre de griefs « [a]urait eu la compétence, sans aucune possibilité de contestation, de déterminer si l’appelante [l’employeur] avait effectivement exercé tous les efforts possibles d’accommodement susceptible de remédier au handicap physique de l’intimé (Bergevin c. Commission scolaire de Chambly). (R.E.J.B. 1997-030605 (C.A.) »[18].
[41] En 2006, l’affaire Provigo[19] : alors que la question de l’obligation pour la CSST et la CLP d’analyser ou d’imposer des mesures d’accommodement est soulevée, la Cour tranche le litige sans avoir à répondre à cette question, tout en prenant soin d’affirmer qu’elle n’exprime pas d’opinion sur le sujet.
[42] En 2007, l’affaire Gauthier[20] : cette affaire soulevait la compétence de la CLP à décider de la validité des dispositions d’une convention collective au regard de la Charte. La Cour a affirmé que la CLP, compétente à traiter toute question de droit, peut et doit aussi trancher celles relatives à la Charte. La Cour affirme que : « [68] La CLP peut déclarer inopérante ou invalide une disposition [de la convention collective] contraire à la Charte sans pour autant pouvoir imposer quelque autre mesure de réparation tel un accommodement raisonnable » réitérant ce qu’elle avait dit dans l’affaire Mueller relativement à la compétence de la CLP à mettre en place des mesures de réparation.
[43]
En 2009, l’affaire Sepaq : la question qui se pose est celle
de savoir si l’arbitre de griefs est compétent pour entendre un grief relatif à
la réintégration du salarié, avec accommodement, dans son emploi prélésionnel,
alors que la CSST a conclu qu’il est incapable de reprendre son emploi ou tout
autre emploi chez l’appelante. Invoquant l’affaire Mueller, le
travailleur estimait que l’arbitre de griefs constituait le forum approprié
pour déterminer le contenu de l’obligation d’accommodement. La Cour lui a donné
tort sur cette question, estimant que l’arbitre de griefs a eu raison de
décliner compétence, car la compétence que lui confère l’article
[44] En 2012, l’affaire Tembec : le pourvoi concernait la compétence de l’arbitre de griefs de se saisir d’un litige relatif au droit d’un salarié de réintégrer son emploi prélésionnel et d’appliquer la Charte, alors que la CSST a conclu qu’il était incapable de remplir cet emploi et qu’il a plutôt été réintégré dans un autre emploi jugé convenable par elle. Tout comme dans notre affaire, le travailleur a déposé un grief en vertu de la convention collective et une réclamation en vertu de la L.a.t.m.p. La Cour a décidé que la question du droit d’un salarié victime d’une lésion professionnelle de récupérer son emploi prélésionnel échappe à la compétence de l’arbitre de griefs. Après avoir constaté que la convention collective ne prévoyait aucune disposition spécifique relative à la mise en application du droit de retour au travail à la suite d’une lésion professionnelle, la Cour estime que, à la suite d’une telle lésion, le salarié n’a pas de droit prioritaire pour récupérer son emploi ou occuper un autre emploi convenable chez son employeur. La Cour ajoute que ses enseignements dans l’affaire Sepaq s’appliquent.
[45] On l’aura compris, le travailleur prétend que la porte est maintenant fermée à toute possibilité de faire valoir et décider de son droit à la mise en œuvre d’un accommodement raisonnable devant l’arbitre de griefs. Il n’y aurait donc aucun forum pour décider de son droit à l’égalité, tant en raison des affaires Sepaq et Tembec qui affirment que l’arbitre de griefs n’a pas compétence, qu’en raison de la jurisprudence constante de la CLP, retenue dans les affaires Mueller et Gauthier, selon laquelle elle n’a pas à imposer à un employeur un quelconque devoir d’accommodement.
[46] Sur ce sujet, la décision de la CLP est limpide et représentative de sa position : ni la CSST ni la CLP n’ont le pouvoir, en vertu des dispositions de la L.a.t.m.p., d’imposer à l’employeur des mesures de réparation de la nature d’un accommodement raisonnable[21].
[47] Il est utile de souligner les affaires Urgences-Santé[22] et McGill University[23], présentement devant la Cour, dans lesquelles il nous est demandé de revisiter la question de la compétence de l’arbitre de griefs et de la possibilité qu’une convention collective confère des droits différents de ceux prévus dans la L.a.t.m.p. Dans les deux cas, il s’agit de décider si l’arbitre de griefs a compétence parce que (et si) la convention collective prévoit des mesures plus avantageuses que la L.a.t.m.p.
[48] Le présent dossier ne reprend pas le contenu de la convention collective applicable. Toutefois, la décision de la CLP en reprend certains passages qui indiquent que le droit de retour au travail du travailleur est conservé pour une période de trois ans et qui prévoient un mécanisme permettant que le nom de celui-ci soit inscrit sur une liste spéciale. Je ne peux tenir pour acquis que l’arbitre de griefs puisse imposer à l’employeur un devoir d’accommodement considérant la convention collective. Il n’est pas nécessaire de toute façon de répondre à cette question pour décider du sort du pourvoi.
[49] En 1985, le législateur a mis en place un régime que plusieurs ont estimé avant-gardiste en conférant aux victimes d’une lésion professionnelle un droit de retour au travail chez leur employeur et un droit à la réadaptation en vue d’une réinsertion dans leur emploi ou dans un emploi équivalent, sinon dans un emploi convenable. Plusieurs mesures sont mises à la disposition du travailleur, allant de divers programmes de réadaptation à des services d’évaluation des possibilités professionnelles du travailleur, en vue de l’aider à déterminer l’emploi convenable qu’il pourrait exercer.
[50] La Loi prévoit donc que le travailleur qui redevient capable d’exercer son emploi a le droit de réintégrer prioritairement son emploi prélésionnel[24]. Lorsqu’aucune mesure de réadaptation ne peut rendre le travailleur capable d’exercer son emploi prélésionnel ou un emploi équivalent, la CSST doit s’enquérir auprès de l’employeur de la disponibilité d’un emploi convenable dans son établissement[25].
[51] Dans ce cas, le travailleur a le droit d’exercer le premier emploi convenable qui devient disponible chez son employeur, sous réserve des règles relatives à l’ancienneté[26]. La Loi prévoit toutefois que les droits conférés au travailleur peuvent être exercés durant une période limitée, dans le présent cas, deux ans[27].
[52]
L’article
«emploi équivalent»: un emploi qui possède des caractéristiques semblables à celles de l'emploi qu'occupait le travailleur au moment de sa lésion professionnelle relativement aux qualifications professionnelles requises, au salaire, aux avantages sociaux, à la durée et aux conditions d'exercice; «emploi convenable»: un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; |
“equivalent employment” means employment of a similar nature to the employment held by the worker when he suffered the employment injury, from the standpoint of vocational qualifications required, wages, social benefits, duration and working conditions; “suitable employment” means appropriate employment that allows a worker who has suffered an employment injury to use his remaining ability to work and his vocational qualifications, that he has a reasonable chance of obtaining and the working conditions of which do not endanger the health, safety or physical well-being of the worker, considering his injury;
|
[53] Le régime législatif mis en place en 1985 n’impose donc aucune obligation expresse à l’employeur de modifier les tâches afférentes à un poste existant en vue d’accommoder un employé.
[54] Parallèlement à l’adoption de la L.a.t.m.p., les tribunaux ont interprété la Charte, notamment la notion de handicap (article 10) et celle de la discrimination en emploi (articles 16 et suiv.). Au fil du temps, la notion de handicap a évolué de telle sorte qu’un travailleur qui conserve des séquelles d’une lésion professionnelle peut être considéré comme porteur d’un handicap.
[55] En 1985, la Cour suprême a reconnu que les employeurs devaient adopter des mesures raisonnables en vue d’accommoder les employés victimes de discrimination fondée sur leur handicap, avec comme limite celle de ne pas les soumettre à une contrainte excessive[28], notion qui a évolué en matière d’emploi pour être maintenant mieux connue sous le vocable d’« exigence professionnelle justifiée (EPJ) »[29].
[56] En 1999, dans l’affaire Meiorin[30], la Cour suprême adoptait une nouvelle méthode d’analyse des normes en apparence discriminatoires adoptées par un employeur. La Cour a établi qu’il appartient à l’employeur de démontrer qu’une norme discriminatoire à première vue constitue néanmoins une exigence professionnelle justifiée. Cette affaire illustre bien l’état du droit en matière de handicap et son application en matière d’emploi. Elle se résume ainsi.
[57] Un rapport du coroner a incité le gouvernement de la Colombie-Britannique à adopter des normes relatives à la condition physique des pompiers forestiers. Une pompière forestière s’est donc vu imposer une évaluation de sa condition physique selon ces nouvelles normes. Après avoir échoué à quatre reprises au test relatif à sa capacité aérobique (course de 2,5 km en moins de 11 minutes), elle fut congédiée, quoiqu’il ait été démontré que les femmes ont une capacité aérobique moindre que celle des hommes. En apparence, la norme était donc discriminatoire envers les femmes pompières forestières.
[58] La Cour suprême a appliqué une méthode en trois étapes imposant à l’employeur de démontrer : 1) qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause; 2) qu’il a adopté la norme en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser le but légitime lié au travail; et 3) que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime, ce qui nécessite que l’employeur démontre qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques, sans subir une contrainte excessive. Estimant que l’employeur a failli à la troisième étape, la Cour suprême a annulé le congédiement.
[59] En 2000, dans l’affaire C.D.P.D.J. c. Montréal (Ville)[31], la Cour suprême a établi que la notion de handicap en matière d’emploi doit être interprétée de façon large et libérale et qu’il n’est pas nécessaire, pour qu’elle soit considérée comme handicapée, que la personne soit limitée dans ses activités de la vie quotidienne. Dans ce contexte, une multitude de situations médicales peuvent maintenant être assimilées à un handicap[32]. Au final, la Cour précise ce qui suit :
84 Tout comme les distinctions fondées sur les autres motifs énumérés, celles qui reposent sur le motif de «handicap» ne sont pas nécessairement discriminatoires. Même si on prouve l’existence d’un «handicap» au sens de l’art. 10 de la Charte, cela ne veut pas dire pour autant que toute action de l’employeur crée automatiquement une distinction discriminatoire. En l’espèce, l’employeur admet le lien causal entre la condition des plaignants et le congédiement ou le refus d’embauche. Toutefois, dans la plupart des cas, il incombera à la partie demanderesse de prouver (1) l’existence d’une distinction, exclusion ou préférence, ici le congédiement et le refus d’embauche (2) que la distinction, exclusion ou préférence est fondée sur un motif énuméré à l’art. 10, ici le handicap et (3) que la distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou compromettre le droit à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne. Ceci dit, je rappelle que, selon l’art. 20, il revient à l’employeur de démontrer que la mesure reprochée est fondée sur des aptitudes ou qualités requises par l’emploi et donc justifiée.
[60] En 2008, dans l’affaire Hydro-Québec[33], la Cour suprême précise que la contrainte excessive ne nécessite pas que l’employeur démontre l’impossibilité d’intégrer le travailleur, mais exige plutôt la preuve d’une contrainte excessive qui, elle, peut prendre autant de formes qu’il y a de circonstances. L’obligation de l’employeur est donc de faire preuve de souplesse afin de permettre à un employé qui est capable de travailler de le faire. De là, l’analyse de la situation doit être faite de façon individualisée, au cas par cas, en tenant compte de tous les facteurs pertinents.
[61] Donc, au fil du temps, le régime de droit commun combiné à la Charte a évolué de façon parallèle à celui mis en place par la L.a.t.m.p., sans que l’un s’occupe de l’autre. Ainsi, on peut constater toute la difficulté d’intégrer le devoir d’accommodement de l’employeur au régime de la L.a.t.m.p., et ce, avant même de considérer les mesures qui pourraient être prévues sur le même sujet, dans une convention collective.
[62] Alors que le devoir d’accommodement a évolué en imposant à l’employeur de prendre l’initiative de la recherche d’une solution acceptable et le fardeau de démontrer que l’accommodement requis est déraisonnable[34], la L.a.t.m.p. prévoit que le droit au retour au travail dans un emploi convenable est laissé à la discrétion de l’employeur et balisé dans le temps. La L.a.t.m.p. n’impose aucune obligation à l’employeur de trouver au travailleur un emploi convenable dans son entreprise, pas plus qu’elle ne lui impose une obligation d’accommodement.
[63] La conséquence évidente d’une telle dichotomie est le fait qu’un travailleur victime d’un accident au travail et qui demeure avec un handicap peut se retrouver, dans certaines situations, désavantagé par rapport au travailleur dont le handicap résulte d’une condition personnelle ou d’un accident n’ayant rien à voir avec son emploi.
[64] Le droit d’un travailleur porteur d’un handicap d’être accommodé en emploi ne fait plus de doute. Le devoir d’accommodement est en quelque sorte une norme prééminente[35] qui transcende la loi, le contrat de travail et même la convention collective[36].
[65] L’obligation d’accommodement incombe au premier chef à l’employeur qui doit prendre l’initiative de la recherche d’une solution acceptable pour tous. Étant à la recherche d’un compromis, cette obligation est aussi partagée par le syndicat et par les employés qui doivent également rechercher la meilleure solution permettant au travailleur handicapé d’obtenir un emploi adapté à ses limitations, en deçà de la limite de ce qu’il est convenu d’appeler la contrainte excessive.
[66] En principe, je ne vois aucune raison de ne pas appliquer ces principes généraux en matière de droit à la réintégration à la suite d’un accident de travail ou d’une lésion professionnelle. Quoique la L.a.t.m.p. n’impose aucune obligation à l’employeur de mettre un emploi convenable à la disposition du travailleur porteur d’un handicap à la suite d’une lésion professionnelle, rien n’empêche que l’employeur puisse être contraint de tenter de trouver une mesure d’accommodement. Le caractère supralégislatif de la Charte commande que l’employeur soit soumis à cette obligation et que la CSST puisse vérifier si cet exercice a été réalisé.
[67] Le pouvoir des tribunaux administratifs d’appliquer les lois relatives aux droits de la personne est maintenant bien établi.
[68] En 2003, dans l’affaire Martin[37], la Cour suprême a affirmé que les tribunaux administratifs ayant une compétence expresse ou implicite pour trancher les questions de droit sont présumés avoir le pouvoir concomitant de trancher les questions qui relèvent de l’application des chartes. Cette présomption n’est pas renversée par la L.a.t.m.p. qui ne contient aucune disposition démontrant une intention claire du législateur de soustraire cette Loi à l’application de la Charte.
[69] Toujours en 2003, dans l’arrêt Parry Sound[38], la Cour suprême a établi que l’arbitre de griefs était non seulement habilité à faire respecter les droits et obligations prévus dans les lois ayant trait aux droits de la personne, mais qu’il avait la responsabilité de voir à leur application.
[70] Dans l’arrêt Tranchemontagne[39] rendu en 2006, la Cour suprême réaffirme la compétence des tribunaux administratifs investis du pouvoir de trancher des questions de droit et d’aller au-delà de leurs lois habilitantes, afin d’appliquer l’ensemble du droit à la situation qui leur est présentée, dont les dispositions des lois quasi constitutionnelles.
[71]
L’article
[72] La CSST, quant à elle, possède une compétence exclusive pour examiner et décider de toute question visée par la Loi, à moins qu’une disposition particulière ne confère compétence à un autre organisme. Rien ne s’oppose à ce qu’elle puisse exercer sa compétence en tenant compte du droit à l’égalité prévu dans la Charte.
[73] D’ailleurs, à quelques reprises, la CLP a estimé que le processus de réadaptation constitue une mesure d’accommodement, retournant même des dossiers à la CSST pour qu’elle étudie les possibilités d’accommodation nécessaire pour favoriser le retour au travail d’un travailleur. Ceci démontre que la CSST assume déjà un certain rôle en matière d’accommodement[40].
[74] Dans Doré c. Barreau du Québec[41], la juge Abella reprend bien l’idée que les décideurs administratifs doivent analyser les questions qui leur sont soumises en gardant à l’esprit les valeurs consacrées par la Charte et en mettant dans la balance ces valeurs et les objectifs de leur loi constitutive[42].
[75] Par ailleurs, la notion même d’accommodement et sa limite que constitue la contrainte excessive peuvent très bien s’imbriquer dans la L.a.t.m.p., étant donné les pourtours de l’obligation d’accommodement établis par la Cour suprême.
[76] Rappelons que, dans l’affaire Hydro-Québec rendue en 2008, la Cour Suprême précise qu’un employeur n’a pas l’obligation de modifier de façon fondamentale les conditions de travail d’un travailleur, quoiqu’il ait l’obligation d’aménager, sans contrainte excessive, les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail :
[13] Ainsi que
l’indiquent ces passages, l’obligation d’accommodement dans un contexte
d’emploi implique que l’employeur est tenu de faire preuve de souplesse dans
l’application de sa norme si un tel assouplissement permet à l’employé concerné
de fournir sa prestation de travail sans que l’employeur subisse une contrainte
excessive. Dans Québec (Commission des droits de la personne et des droits
de la jeunesse) c. Montréal (Ville),
La législation canadienne en matière de droits de la personne envisage essentiellement la protection contre la discrimination et la jouissance des droits et libertés y garantis. Dans le domaine de l’emploi, son objet plus particulier est de mettre fin à une exclusion arbitraire basée sur des idées préconçues à l’égard de caractéristiques personnelles qui, tout en tenant compte du devoir d’accommodement, n’affectent aucunement la capacité de faire le travail.
[14] Comme le dit la juge L’Heureux-Dubé, les mesures d’accommodement ont pour but de permettre à l’employé capable de travailler de le faire. En pratique, ceci signifie que l’employeur doit offrir des mesures d’accommodement qui, tout en n’imposant pas à ce dernier de contrainte excessive, permettront à l’employé concerné de fournir sa prestation de travail. L’obligation d’accommodement a pour objet d’empêcher que des personnes par ailleurs aptes ne soient injustement exclues, alors que les conditions de travail pourraient être adaptées sans créer de contrainte excessive.
[15] L’obligation d’accommodement n’a cependant pas pour objet de dénaturer l’essence du contrat de travail, soit l’obligation de l’employé de fournir, contre rémunération, une prestation de travail. Le fardeau qu’a imposé la Cour d’appel en l’espèce est mal formulé. Voici ce qu’a dit la Cour d’appel :
Hydro-Québec n’a pas fait la preuve que, à la suite des évaluations de [la plaignante], il lui était impossible de composer avec ses caractéristiques, alors que certaines mesures étaient envisageables et même proposées par les experts. [Je souligne; par. 100.]
[16] Le critère n’est pas l’impossibilité pour un employeur de composer avec les caractéristiques d’un employé. L’employeur n’a pas l’obligation de modifier de façon fondamentale les conditions de travail, mais il a cependant l’obligation d’aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail.
[17] En raison du caractère individualisé de l’obligation d’accommodement et de la diversité des circonstances qui peuvent survenir, toute règle rigide est à éviter. Si une entreprise peut, sans en subir de contrainte excessive, offrir des horaires de travail variables ou assouplir la tâche de l’employé, ou même procéder à autoriser des déplacements de personnel, permettant à l’employé de fournir sa prestation de travail, l’employeur devra alors ainsi accommoder l’employé. […][43]
[77] Je conviens que la L.a.t.m.p. n’impose pas à l’employeur l’obligation de modifier les tâches de l’emploi prélésionnel ou de tout autre emploi disponible dans son entreprise. Cependant, comme l’enseigne la Cour suprême, il demeure que l’employeur a « l’obligation d’aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail ». Cette obligation découle de la Charte et s’ajoute à la L.a.t.m.p., car le législateur n’a pas prévu qu’il en soit autrement.
[78] Comme le souligne la juge Deschamps dans Hydro-Québec : « [19] L’obligation d’accommodement est donc parfaitement conciliable avec les règles générales du droit du travail, tant celle qui impose à l’employeur l’obligation de respecter les droits fondamentaux des employés que celle qui oblige les employés à fournir leur prestation de travail. L’obligation d’accommodement qui incombe à l’employeur cesse là où les obligations fondamentales rattachées à la relation de travail ne peuvent plus être satisfaites par l’employé dans un avenir prévisible. »
[79] J’ajouterais que l’obligation d’accommodement est certainement conciliable avec les dispositions de la L.a.t.m.p., quoique la CSST et la CLP soulèvent plusieurs objections quant à l’application du devoir d’accommodement en matière du droit de réintégration dans un emploi.
[80] Somme toute, il s’agit de vérifier si l’employeur est en mesure d’accommoder le travailleur, que ce soit avant ou après l’identification d’un emploi convenable.
[81] Les contraintes soulevées tant par la CSST que par la CLP nécessitent quelques commentaires.
[82] L’argument relatif à l’absence de compétence de la CSST et de la CLP pour imposer des mesures de réparation semble avoir été retenu par la Cour dans l’affaire Mueller. J’estime toutefois que cette position doit être revue compte tenu de l’évolution de la jurisprudence, dont les affaires Tranchemontagne, Hydro-Québec, CUSM et Doré.
[83] Je souligne toutefois au passage que, dans l’affaire Mueller, la Cour avait estimé que l’arbitre de griefs pouvait trancher la question, vraisemblablement parce que le travailleur était affecté d’une condition personnelle.
[84] L’argument voulant que le régime mis en place par la L.a.t.m.p. soit un ensemble normatif autonome qui comporte son propre processus d’accommodement que l’on peut qualifier de mur-à-mur et qui ne laisse aucune place aux accommodements ne peut survivre aux arrêts rendus par la Cour suprême dans Hydro-Québec et CUSM.
[85] Comme l’employeur a l’obligation de participer à l’effort de réintégration de l’employé au sein de son entreprise, la recherche d’un emploi équivalent ou convenable peut fort bien s’accompagner de la recherche d’un accommodement raisonnable ayant pour limite la contrainte excessive. Il n’y a pas, en soi, d’incompatibilité fonctionnelle à ce faire. La source de l’obligation, l’assise juridique, se retrouve dans la Charte.
[86] Finalement, l’affaire Béliveau St-Jacques[44] n’empêche pas que le devoir d’accommodement de l’employeur soit accompli en conformité avec la L.a.t.m.p. Il ne s’agit pas ici de créer un régime d’indemnisation parallèle, mais plutôt d’intégrer les dispositions de la Charte à la L.a.t.m.p., parce que le législateur n’a pas indiqué qu’il entend soustraire le régime d’indemnisation des victimes de lésions professionnelles de ces dispositions.
[87] En conséquence, le droit au retour au travail du travailleur victime d’une lésion professionnelle et demeurant avec un handicap impose que l’employeur réalise l’exercice d’accommodement prévu par les dispositions supralégislatives, telles qu’interprétées par les tribunaux.
[88]
L’appelante demande à la Cour de mettre fin à une controverse qui
persisterait chez les arbitres de griefs quant à leur compétence en présence
d’une décision de la CSST. Ainsi, certains arbitres de griefs déclinent
compétence en présence d’une décision de la CSST, alors que d’autres avancent
le caractère plus avantageux de la convention collective par rapport à la L.a.t.m.p.
et invoquent l’article
[89] En l’espèce, la CLP a rendu sa décision en ne tenant pas compte de la convention collective.
[90] Étant donné la réponse que je propose à la première question, il n’est pas nécessaire de déterminer si l’obligation d’accommodement pourra être soulevée devant l’arbitre de griefs.
[91] Par ailleurs, la Cour est présentement saisie des affaires Urgences-Santé[45] et McGill University[46] dans lesquelles elle doit revisiter la question de la compétence de l’arbitre de griefs relativement à des droits accordés en vertu de conventions collectives à la suite d’une lésion professionnelle.
[92]
L’article
[93] Il est utile de savoir que l’obligation d’accommodement doit être évaluée, non pas au moment du congédiement, mais plutôt globalement, en tenant compte de l’ensemble de la période pendant laquelle l’employé s’est absenté et non pas à la fin d’un délai prévu par la Loi ou dans une convention collective. Encore une fois, l’obligation d’accommodement relève d’une évaluation globale de l’ensemble de la situation et ne doit pas être faite de façon compartimentée[47].
[94] L’affaire CUSM trace la voie à suivre pour résoudre la présente question. Dans cette affaire, la convention collective de travail prévoyait que l’employeur pouvait mettre fin à l’emploi d’un travailleur absent pendant plus de trois ans à la suite d’une maladie ou d’un accident autre qu’un accident de travail. Après avoir affirmé que le processus d’accommodement s’effectue de façon individualisée et qu’il varie selon les circonstances de chacun des cas, la juge Deschamps, s’exprimant pour la majorité, a reconnu que l’accommodement raisonnable est incompatible avec l’application automatique ou mécanique d’une clause prévoyant la rupture du lien d’emploi après une période donnée. Par contre, comme la convention collective est négociée entre des parties supposées bien connaître l’entreprise, le délai convenu entre elles demeure un élément pertinent que l’arbitre doit considérer dans son examen de l’ensemble de la situation.
[95] Dans le présent cas, la L.a.t.m.p. détermine un délai. Par contre, l’obligation d’accommodement découlant de l’application de la Loi supralégislative doit être évaluée selon les circonstances de chacun des dossiers.
[96] À mon avis, la CLP devait donc procéder à un examen individualisé de la situation du travailleur et tenir compte du fait qu’en application de la Charte, le délai de deux ans constitue tout au plus un facteur à considérer, sans toutefois être déterminant. Point n’est besoin de transmettre un avis au procureur général du Québec pour ce faire.
[97] Le présent dossier illustre d’ailleurs de façon significative qu’il s’agit de la bonne solution. Rappelons que dès le lendemain de la survenance de sa lésion professionnelle, le travailleur s’est vu assigner temporairement d’autres tâches, affectation qui s’est prolongée durant une période de trois ans, étant donné les besoins particuliers de l’employeur dans le cadre de la désinstitutionnalisation. Dès la fin de cette affectation temporaire, le travailleur était disposé à réintégrer ses fonctions, ce à quoi avait agréé la CSST. C’est l’employeur qui a contesté cette décision et il aura fallu plus de trois ans pour que le processus de contestation prenne fin. En tout, il y a maintenant plus de dix ans que la lésion professionnelle est survenue.
[98]
Les circonstances particulières du dossier n’ont pas été examinées par
la CLP, laquelle a fait une évaluation mécanique et automatique de l’article
[99] Je propose donc de rejeter l’appel, avec dépens.
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DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A. |
[1]
Caron c. Commission des lésions professionnelles,
[2]
Caron c. Centre Miriam,
[3] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12.
[4]
Mueller Canada inc. c. Ouellette,
[5] Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ, c. A-3.001 (« L.a.t.m.p. »).
[6] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12.
[7]
Centre Miriam c. Caron, 2009 QCCLP 7677,
[8]
Centre Miriam c. Caron, 2010 QCCLP 8589,
[9] Caron
c. Centre Miriam,
[10]
Caron c. Commission des lésions professionnelles,
[11]
Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick,
[12] Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association,
[13]
Mouvement Laïque québécois et Alain Simoneau c. Ville de Saguenay et Jean
Tremblay, 2015 CSC 16,
[14] Ibid., paragr. 45-48.
[15]
Société des établissements de plein air du Québec c. Syndicat de la
fonction publique du Québec,
[16]
Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section
locale 427 c. Tembec, usine de Matane,
[17] Mueller Canada inc. c. Ouellette, supra, note 1.
[18] Ibid., paragr. 12.
[19]
Provigo inc. c. Lachapelle,
[20]
Gauthier c. Commission scolaire Marguerite Bourgeoys,
[21]
Caron c. Centre Miriam, supra, note 6, paragr. 87; Lizotte et R.S.S.S. Municipalité régionale de comté Makinongé, [2003] CLP 463,
[22]
Syndicat du préhospitalier (FSSS-CSN) c. Fortier,
[23]
McGill University Non-Academic Certified Association (MUNACA) c. Bergeron,
[24]
Art.
[25] Art.
[26] Art.
[27]
Art.
[28]
Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears ltd.,
[29]
Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général),
[30]
Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c.
B.C.G.S.E.U.,
[31]
Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la
jeunesse) c. Montréal (Ville),
[32] Jocelyn F. Rancourt, « L’obligation d’accommodement en matière de santé et de sécurité au travail: une nouvelle problématique », dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, Développements récents en droit de la santé et sécurité au travail, vol. 201, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2004, p. 127.
[33]
Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles
et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000,
[34]
Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c.
B.C.G.S.E.U.,
[35] Anne-Marie Laflamme, « Le droit au retour au travail et l’obligation d’accommodement : le régime de réparation des lésions professionnelles peut-il résister à l’envahisseur? », (2007), C. de D. 215, 219.
[36] Ibid., p. 222; Parry Sound (Services sociaux) c.
S.E.E.F.P.O.,
[37] Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin,
2003 2 R.C.S. 504 (CSC),
[38] Parry Sound (Services sociaux) c. S.E.E.F.P.O., supra, note 33.
[39]
Tranchemontagne c. Ontario,
[40] Jean-François Gilbert, « Les objectifs convergents des Chartes et de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.A.T.M.P.) », dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, Développements récents en droit de la santé et sécurité au travail, vol. 239, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2006, p. 270.
[41]
Doré c. Barreau du Québec,
[42] Ibid., paragr. 54-57.
[43] Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000, supra, note 30, paragr. 13-18.
[44] Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., [1996] 2 R.C.S.345.
[45] Syndicat du préhospitalier (FSSS-CSN) c. Fortier, supra, note 19.
[46] McGill University Non-Academic Certified Association (MUNACA) c. Bergeron, supra, note 20.
[47] Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000, supra, note 30, paragr. 21; Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, supra, note 27, paragr. 33.
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