Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
COUR SUPÉRIEURE

 

 

JF0374

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

SAINT-HYACINTHE

 

N° :

750-05-001606-994

 

 

 

DATE :

5 octobre 2001

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

JEAN FRAPPIER, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

GINETTE FLEURY

Demanderesse

c.

VILLE DE SAINT-HYACINTHE

Défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]                Il s’agit d’une action en dommages-intérêts pour blessures corporelles à la suite d’une chute sur un trottoir de la Ville de Saint-Hyacinthe.

I-                    La chute

[2]                Le 23 février 1997, vers 20h45, la demanderesse traverse, à pied, la rue Vaudreuil pour se rendre au dépanneur « Chez Pierrette » situé à l’intersection des rues St - Antoine et Vaudreuil; elle emprunte le trottoir en face du dépanneur à l’endroit précis où il fait pente pour permettre la circulation des personnes handicapées; elle enjambe une petite lisière de neige qu’elle qualifie lors de son examen au préalable de « petite largeur » et de « motte de neige » laissée en bordure de la rue et du trottoir par une charrue; c’est alors que le pied gauche qu’elle repose sur le trottoir glisse sur la surface glissante; elle perd l’équilibre et tombe assise sur la jambe gauche, s’infligeant une fracture aux jambe et cheville gauches.

[3]                Voici comment la demanderesse décrit sa chute à son examen au préalable tenu le 26 novembre 1999 (p. 16) :

« R.      Là, je sors de chez moi.

Q.                 Oui.

R.                  Je continue sur le trottoir.

Q.                 Oui.

R.                  O.K.  Puis de chez moi à aller au dépanneur, c’est très glissant.

Q.                 O.K.

R.                  O.K.  Parce que tu voyais une glace.

Q.                 Mais expliquez-moi qu’est-ce que vous voulez dire quand :  « C’était glissant »?

R.                  C’était une glace.

Q.                 Est-ce qu’il y avait… est-ce qu’il pleuvait, à ce moment-là?

R.                  Je peux pas dire s’il pleuvait encore, là, o.k., ou si ça « breumassait », là, c’est comme un brouillard, là, t’sais, « breumasser », là.   C’était une petite « breumasse » qu’il y avait.  Là, j’ai continué.  Là, rendue ici,…

Q.                 Est-ce que c’était une pluie verglaçante?  C’est ça que vous dites?

R.                  Oui.  C’a toujours été ça dans la journée.  Puis, là, rendue au coin,…

Q.                 O.K.  Et, là, vous dites que le trottoir, vous remarquez qu’il était glissant?

R.                  Oui.  Fait que je marchais tranquillement.

Q.                 Oui.

R.                  O.K.  Pour pas me blesser, là.  Je pensais… j’essaie de pas me blesser, de marcher tranquillement.

Q.                 Sur le trottoir?

R.                  Bien oui, parce que, dans la rue, ils vont me frapper.

Q.                 Hum-hum.

R.                  Fait que, là, j’ai marché jusque là, au 400 Vaudreuil, qui est l’autre bloc des H.L.M., là, j’ai traversé.  J’ai traversé, c’est un trottoir comme ça.

Q.                 Ce que vous faites avec votre main, c’est que vous faites, comme si c’était un trottoir…

R.                  Pour les chaises roulantes.

Q.                 « Pour les chaises roulantes ».  Une petite descente, là?

R.                  Oui, c’est ça.

Q.                 Oui.

R.                  Fait que, là, moi, je monte, mais, là, le pied… j’ai parti en arrière, je me suis pris comme ça, mais j’ai tombé assis sur la jambe, c’a fait « crush », « crush », « crush ».

Q.                 O.K.  Maintenant, …

R.                  Là, là,…

Q.                 … est-ce que vous avez traversé la rue?

R.                  Oui.

Q.                 O.K.  Vous avez traversé la rue et en arrivant de l’autre côté de la rue, …

R.                  C’est là que c’est arrivé.

Q.                 … il y a l’accès… disons, appelons-le l’accès à chaises roulantes,…

R.                  Oui.

Q.                 … que vous avez emprunté, …

R.                  Oui.

Q.                 … que vous dites que c’est en pente?

R.                  C’est en pente, puis il y avait une motte de neige, là, t’sais, y avait de la neige, la Ville avait pas passé.

Q.                 O.K.  Vous dites qu’il y avait de la neige sur le trottoir?

R.                  Avant d’arriver ici, a fallu que je passe puis y avait une petite largeur de même, fait que, là, j’ai passé là pour monter sur le trottoir.

Q.                 Est-ce que c’est une petite accumulation de neige qui est juste au bord du trottoir, après que la charrue soit passée dans la rue?

R.                  Oui, c’est ça, c’était de chaque côté. »

 

II-                  La cause de la chute

[4]                Dans ses procédures, la demanderesse attribue sa chute à l’état glissant du trottoir à cet endroit.  Elle allègue ainsi au paragraphe 1 de sa déclaration qu’elle fit une chute sur le trottoir « en raison d’une accumulation de neige et de glace » et tient responsable la Ville qui « n’a pas fait l’épandage nécessaire de sable et de sel pour assurer la sécurité des usagers » (paragr.14 c).

[5]                À son examen au préalable, la demanderesse soutient (p. 20) :

« Q.     Avant d’arriver, là, à l’accès en question sur lequel vous avez glissé, comment était le trottoir?

S.                  C’était en glace partout, tous les trottoirs.

Q.                 Partout.  Et puis y avait de la pluie verglaçante qui tombait?

R.                  Oui.  J’avais pas le choix, fallait que j’aille acheter le lait. »

 

[6]                Aucun témoin n’a contredit la demanderesse sur la présence de glace sur le trottoir à l’endroit de la chute.

[7]                Ainsi, le Tribunal arrive à la conclusion que la chute de la demanderesse a été causée par le fait qu’après avoir enjambé le petit amoncellement de neige (petite largueur, motte de neige), le pied gauche que la demanderesse remettait sur le trottoir a glissé sur la surface glacée à l’endroit où le trottoir fait une pente pour permettre l’accès aux personnes handicapées.

[8]                La chute a donc été causée par l’état glissant du trottoir à cet endroit.

[9]                Contrairement à ce que soutient la procureure de la demanderesse à l’argumentation, la présence d’une petite accumulation de neige (motte de neige), laissée par la charrue ne peut constituer la cause de la chute ni même y avoir contribué de façon appréciable.

[10]            En effet, de l’aveu même de la demanderesse, il ne s’agissait que d’une petite motte de neige, ce qui ne pouvait ainsi constituer un obstacle ou entrave à sa marche sur le trottoir, de sorte que la présence de cette petite motte de neige ne peut engager la responsabilité de la Municipalité qui n’assume certes pas le lourd fardeau de dégager ses trottoirs de façon à enrayer toute présence de neige.

[11]            Il reste donc que la présence de glace sur le trottoir a causé principalement la chute de la demanderesse et que c’est cet état de fait qui pourrait être imputé à la Ville.

[12]            À cet égard, le Tribunal tient cependant à noter qu’il faut tempérer le témoignage de la demanderesse qui est nettement portée à l’exagération concernant l’état du trottoir et la température sévissant la journée de son accident.

[13]            Ainsi, la demanderesse a témoigné à l’effet que le jour de l’accident, il est tombé de la pluie, du grésil et du verglas comme dans les quatre jours précédents.  Sur ce point, le témoignage de la demanderesse est nettement contredit par les rapports météorologiques déposés au présent dossier, lesquels révèlent que durant la journée de l’accident il a fait beau et froid, sauf une faible accumulation de neige en soirée.

III-        La responsabilité

[14]            Le seul fait qu’un trottoir soit recouvert de glace ne crée pas une présomption légale de faute.  La victime a le fardeau de prouver ses prétentions et, plus particulièrement dans le présent cas, que la Ville n’a pas pris les moyens nécessaires pour assurer la sécurité des usagers en ne faisant pas l’épandage nécessaire d’abrasifs en prenant en compte les conditions climatiques prévalant à cette époque.

[15]            Il est bien reconnu que la Ville assume une obligation de moyens.  Elle n’est ainsi pas tenue d’avoir des hommes et de l’équipement de faction vingt-quatre heures par jour, tout au long de ses rues, pour faire disparaître la moindre trace de glace lorsqu’elle se produit; elle n’est pas tenue d’assurer en tout temps que les trottoirs ne seront jamais glissants mais seulement de prendre des précautions raisonnables en agissant en bon père de famille.

[16]            Dans l’arrêt souvent cité de Dame Maria Garberi c. Cité de Montréal[1], monsieur le juge Taschereau s’exprime ainsi (page 409) :

 

« Dans notre pays, où les intempéries de nos saisons sont fréquentes, où la température hivernale présente de soudaines variations, on ne peut évidemment pas s’attendre sur nos trottoirs à la sécurité dont bénéficient ceux qui vivent sous des cieux plus cléments.  Ces changements climatiques offrent toujours des dangers subits, dont ne peuvent dans tous les cas être tenues responsable les municipalités.

Ce que l’on exige de ces dernières, ce n’est pas un standard de perfection.  Elles ne sont pas les assureurs des piétons, et on ne peut leur demander de prévoir l’incertitude des éléments.  La vigilance simultanée de tous les moments, dans tous les endroits de leur territoire, serait leur imposer une obligation déraisonnable.  Il peut arriver, et il arrive malheureusement des accidents où s’exerce cependant très bien la surveillance municipale, qui résultent d’aucune négligence et pour lesquels il n’y a pas de compensation sanctionnée par la loi civile.  Lorsque la municipalité fait preuve de soin et diligence raisonnables, lorsqu’elle agit « en bon père de famille », lorsqu’elle prend les précautions que prendraient des personnes prudentes dans les circonstances identiques, elle ne peut être recherchée devant les tribunaux civils. »

[17]            Quant au piéton qui se sert des trottoirs d’une ville durant l’hiver, après un bref dégel, il accepte le risque qu’il y aura des endroits glissants et dangereux.  Il doit prendre des précautions particulières, principalement, comme dans le présent cas, aux endroits où le trottoir est en pente ou lorsqu’il doit enjamber des mottes de neige.

[18]            C’est ainsi que dans l’arrêt Ville de Québec c. Barbeau[2], monsieur le juge Pratte s’exprimait comme suit (page 316) :

« La cité n’est donc pas l’assureur des piétons; et son obligation n’étant pas absolue, les piétons ne sont en droit d’attendre d’elle qu’une sécurité relative.  S’ils désirent davantage, ils devront compter sur leur propre vigilance pour l’obtenir.  L’obligation de la cité à leur égard n’a pas pour effet de les décharger du devoir qui incombe à chacun de veiller à sa propre sécurité, surtout alors que les circonstances commandent la prudence. »

[19]            Dans la présente affaire, en appréciant les actes posés par la Ville en regard du critère de la personne raisonnablement prudente et diligente, le Tribunal arrive à la conclusion que la Ville disposait d’une organisation raisonnable et prudente pour l’épandage d’abrasifs sur les trottoirs et qu’elle avait entretenu ses trottoirs comme l’aurait fait un administrateur prudent et diligent compte tenu des conditions climatiques qui prévalaient le jour de la chute et les jours précédents.

[20]            Le document D-2 intitulé « Politique sur les opérations de déneigement » en vigueur à la Ville de Saint-Hyacinthe démontre la mise sur pied d’une organisation efficace quant à l’entretien des trottoirs de la Ville.

[21]            Les extraits du registre du système de garde (pièce D-4), les rapports météorologiques déposés ainsi que le témoignage du contremaître Yvon McDuff démontrent amplement que la Ville, durant la journée du 23 février et depuis le 21 février, s’est ajustée aux changements climatiques pour faire épandre des abrasifs au rythme des changements des conditions climatiques, et ce, dans le secteur centre-ville où se situe l’endroit de la chute.

[22]            Samedi le 22 février 1997, la température a oscillé entre 0.5o et -7,7 o Celsius alors qu’il y eut de la pluie verglaçante et grésil se changeant en quelques averses de neige en après-midi.  Les rapports de météorologie soulignent que l’après-midi a été venteux et plus froid.  Durant cette journée du 22 février 1997, dû aux changements climatiques (pluie, verglas et neige) et aux changements de température (dégel suivi de gel), la preuve révèle sans contradiction qu’il y eut deux épandages d’abrasifs, chaque opération d’épandage durant entre six et sept heures.

[23]            Le dimanche 23 février 1987, jour de l’accident, la température a oscillé entre ‑5,0 o et -12,2 o Celsius alors que la journée a été plutôt ensoleillée, venteuse et nuageuse.  Selon le rapport climatologique de La Providence, il y eut ennuagement en fin d’après-midi, neige débutant en soirée et venteux par moment.  Durant cette journée, il y eut encore épandage d’abrasifs, opération qui a commencé à 13 h 00 pour se terminer à 19 h 30.

[24]            L’épandage d’abrasifs dans le secteur où est situé le trottoir en question est assuré par deux chenils-grattoirs munis d’un épandeur d’abrasifs à l’arrière, ce qui assure le grattage de la surface ainsi que l’épandage d’abrasifs.

[25]            Enfin, la preuve révèle que ce n’est que le soir du 23 février qu’il s’est mis à neiger, contrairement au témoignage de la demanderesse qui a affirmé qu’il avait plu et qu’il était tombé du grésil et du verglas cette journée-là.  Cette petite chute de neige peut expliquer l’état glissant du trottoir à 20 h 45 alors que la preuve établit bien qu’il y avait eu épandage d’abrasifs, dont l’opération s’était terminée à 19 h 30, soit quelque temps avant la chute.

[26]            Dans ces circonstances où il y a eu baisse drastique de la température le 22 février, ce qui a, selon toute probabilité, provoqué la formation de glace à la suite de la pluie et du verglas, la Ville a agi d’une façon raisonnable et prévisible en veillant à procéder à deux épandages d’abrasifs.

[27]            Le 23 février, jour de la chute, la Ville a continué d’entretenir ses trottoirs alors que le froid sévissait en procédant à un autre épandage d’abrasifs.

[28]            Le Tribunal est d’opinion qu’on ne pouvait exiger plus de la Ville, ce qui reviendrait à exiger qu’elle prévienne toute possibilité d’accident en tous lieux et temps et d’enrayer toute présence de glace sur ses trottoirs après la baisse de température qui est survenue le 22 février.

[29]            Enfin, la demanderesse n’a apporté aucune preuve à l’effet qu’il n’y aurait pas eu d’épandage d’abrasifs à l’endroit précis de la chute; au contraire, il faut généralement tempérer le témoignage de la demanderesse qui s’est totalement méprise sur les conditions climatiques prévalant la journée de la chute.

[30]            Par contre, la demanderesse, de son aveu même, avait constaté, avant d’entreprendre sa marche vers le dépanneur, l’état glissant des trottoirs et avait, de plus, réalisé qu’elle devait enjamber une motte de neige pour s’engager dans une partie du trottoir qui était en pente.  Elle devait alors prendre des précautions particulières et surtout redoubler de prudence à l’endroit où elle devait enjamber la motte de neige pour s’engager sur un trottoir en pente.

[31]            Rien dans la preuve ne démontre que pour enjamber cette petite motte de neige elle ait pu ralentir sa marche ou même arrêter le pas pour s’assurer de maintenir son équilibre sur une surface qu’elle savait glacée.  Elle n’a pas ainsi assumé son obligation de voir à sa propre sécurité, alors qu’elle a pris la décision de poursuivre sa marche sur un trottoir glacé.

[32]            Enfin, le Tribunal désire souligner que la demanderesse, en décidant de sortir alors que, selon son propre témoignage « il faisait mauvais » (pluie, verglas, grésil et neige depuis trois jours), assumait les risques et devait redoubler de prudence.

[33]            Malgré toute la sympathie que le Tribunal peut éprouver à l’endroit de la demanderesse, il doit constater qu’elle n’a pas établi faute de la Ville qui a apporté à l’entretien des trottoirs les soins du bon père de famille et, en conséquence, doit rejeter son action.

III-                Les dommages

[34]            Le Tribunal croit utile de se prononcer tout de même sur les dommages puisque l’établissement de ceux-ci repose en bonne partie sur l’appréciation des témoignages des deux experts qui se contredisent carrément sur une simple observation clinique quant à l’absence d’une rotation externe du tibia gauche de la demanderesse.

[35]            La demanderesse réclame la somme de 68 892 $ qu’elle détaille ainsi à sa déclaration :

 

Incapacité partielle permanente (12%)

48 000 $

Préjudice esthétique (2%)

8 000 $

Douleurs, souffrances et inconvénients

12 000 $

Expertise médicale

500 $

Orthèse sarmiento

189 $

Location de béquilles

48 $

Transport

30 $

Remplacement de bottes et pantalon

125 $

[36]            À l’audience, les parties se sont entendues sur le montant des déboursés à la somme de 392 $, ce qui exclut cependant le coût des expertises médicales.

[37]            La preuve révèle que la demanderesse s’est infligée une fracture comminutive du tibia et de la cheville gauches.  Elle fut transportée à l’Hôpital Honoré-Mercier de Saint-Hyacinthe où elle fut prise en charge par le docteur Shaffai qui a procédé le soir même à une réduction ouverte avec fixation interne de la fracture du tibia gauche, par plaque et vis.

[38]            La demanderesse a été hospitalisée durant une période de cinq jours; l’immobilisation plâtrée a été maintenue durant une période d’un mois, après quoi la demanderesse a utilisé des béquilles pendant environ trois mois tout en étant traitée en physiothérapie.

[39]            À la fin de juin 1997, les traitements de physiothérapie étaient terminés et la demanderesse n’utilisait plus de béquilles pour se déplacer.

[40]            Enfin, le docteur Shaffai a procédé à l’ablation de la plaque et vis en octobre 1997.

[41]            En février 1997, la demanderesse ne travaillait pas à l’extérieur de son domicile et a graduellement, à compter de juin 1997, repris ses activités quotidiennes à la maison.

[42]            La demanderesse, qui est âgée de 49 ans, souffre depuis dix ans d’une polyarthrite rhumatoïde qui a nécessité l’excision de nodules au niveau de son coude gauche ainsi qu’au niveau de ses pieds, dans la région des orteils.

[43]            À l’instruction, la demanderesse a expliqué que depuis la fracture, elle ne peut plus marcher longtemps car son genou gauche a tendance « à lâcher », ce qui la fatigue vite; de plus, elle ne peut plus nager comme auparavant étant gênée dans ses mouvements; enfin, elle affirme ressentir encore des douleurs dans ses cheville et jambe gauches.

[44]            Dans son dernier rapport du 16 août 2001, le docteur Claude Lamarre, orthopédiste et expert de la demanderesse, établit une incapacité partielle permanente de 4% pour les limitations de la cheville et de 8% pour trouble de rotation du tibia gauche.  En outre, il évalue l’incapacité totale temporaire de dix mois et fixe le préjudice esthétique à la cote « léger ».

[45]            Par contre, l’orthopédiste Paul-Emile Renaud, expert de la défenderesse, dans son rapport du 28 décembre 1999, estime qu’un examen clinique ne révèle aucune rotation du tibia gauche et établit ainsi l’incapacité partielle permanente à 3% pour la cheville gauche; il réduit l’incapacité totale temporaire à 4 mois jusqu’en juin 1997, la demanderesse ayant déjà repris ses activités, tout en lui accordant une incapacité partielle temporaire de 25% pour deux mois et une incapacité totale temporaire de deux semaines suite à l’ablation de la plaque et vis.  Enfin, il évalue le préjudice esthétique à « léger » sur une base de « Minimum », « Léger », « Moyen », « Important » et « Très important ».

[46]            À l’instruction, le Tribunal a demandé aux experts de se rencontrer pour pouvoir se mettre d’accord en exécutant les mêmes tests cliniques qui sont fort simples pour déceler la présence d’une rotation du tibia gauche.

[47]            Étonnamment, les experts ne peuvent s’entendre sur cette question, même après avoir procédé en commun à une vérification des tibia et pied gauches dans une position debout et couchée.

[48]            En bref, la théorie du docteur Lamarre repose principalement sur le fait que le tibia est un os cylindrique, ce qui rend difficilement détectable à la radiographie, mais possible dans les faits, une rotation du tibia qui a pour résultat, selon lui, de projeter le pied gauche de la demanderesse à l’extérieur dans un ordre de 17o.

[49]            Pour l’expert Renaud, l’examen clinique ne démontre aucune rotation du tibia et sur le plan médical, cela est impossible puisque le tibia est de forme triangulaire.  Voici comment il s’exprime à cet égard dans son rapport qu’il a repris dans son témoignage :

« Il appert que lors de son examen actuel, lorsque sa rotule est placée au zénith, sa cheville gauche a la même angulation que la droite.  De plus, sur les radiographies faites le jour de l’examen, le tibia gauche a guéri en position anatomique et le péroné gauche a également guéri en position anatomique.  Il est difficile lors de la réduction ouverte d’une fracture du tibia dans une fracture comminutive, d’imaginer une rotation externe avec une réduction anatomique, étant donné que le tibia est de forme triangulaire, et que la réduction ne peut être anatomique s’il existe une rotation.

De plus, comme le tibia et le péroné descendent parallèlement l’un à l’autre, si le tibia est tourné, il est évident que le péroné doit tourner lui aussi, et que le fragment distal du péroné ne sera plus placé sous le fragment proximal de celui-ci, car il doit tourner avec le tibia.

Or, sur les radiographies faites le jour du présent examen, le tibia et le péroné sont bien parallèles l’un à côté de l’autre, sans déplacement du fragment distal du péroné, et sans désaxation du tibia.  Il s’agit d’une rotation externe de tout son membre gauche intérieur, qu’elle obtient en tournant sa hanche gauche.  Il n’existe dans les faits, aucun vide de rotation du tibia distal. »

(nos soulignements)

 

[50]            Le Tribunal a même permis aux experts de procéder aux tests cliniques dans la Cour puisqu’il s’agit simplement, en position debout pour la demanderesse, de placer les rotules des deux genoux droit en avant et de vérifier la rotation externe du pied gauche.

[51]            Le Tribunal a bien vu et constaté, son attention étant alors attirée par le docteur Renaud, que lorsque le docteur Lamarre a tenté de placer les deux genoux de la demanderesse droit en avant pour faire constater au Tribunal la rotation du pied gauche, à ce moment la rotule du genou gauche n’était pas droit en avant, ce qui permet au Tribunal de conclure, comme d’ailleurs le docteur Renaud l’avait fait dans son rapport, que la demanderesse obtient une rotation externe de son pied en tournant nécessairement sa hanche gauche.

[52]            Le Tribunal a alors conclu que les tests cliniques exécutés par le docteur Lamarre n’étaient pas concluants.

[53]            Mais il y a plus.

[54]            Après avoir entendu les deux experts, le Tribunal arrive à la conclusion de rejeter totalement l’expertise du docteur Lamarre, et ce , pour les motifs suivants :

1.      Le docteur Paul-Emile Renaud a impressionné le Tribunal par sa clarté, son objectivité et sa maîtrise de sa spécialité.

2.      Il n’y a aucune possibilité de controverse médicale sur la question de savoir si le tibia est un os cylindrique ou triangulaire.  Le Gray’s Anatomy, The Anatomical Basis of Medecine and Surgery, 38e édition, produit sans objection, établit clairement, photos à l’appui, qu’à l’endroit de la fracture de la demanderesse, le tibia est un os triangulaire.

En conséquence, le fait que le docteur Lamarre ait pu considérer que le tibia était un os cylindrique entache toutes ses observations et conclusions quant à la présence d’une rotation du tibia gauche, laquelle d’autre part n’a pu être démontrée clairement par un examen clinique pratiqué séance tenante.

3.      Les tests cliniques démontrant la rotation du pied gauche ne sont aucunement concluants alors que les radiographies démontrent clairement qu’il n’existe aucun vide de rotation du pied gauche.

[55]            À cet égard, la demanderesse, à tout le moins, n’aurait pas assumé le fardeau d’établir la présence d’une rotation de son pied gauche pouvant découler de sa fracture du tibia.

[56]            Il y a donc lieu de retenir comme incapacité partielle permanente celle déterminée par le docteur Renaud pour la cheville gauche, soit 3%.


[57]            En conséquence, le Tribunal aurait ainsi établi les dommages de la demanderesse :

Déboursés

392 $

Incapacité totale temporaire telle que déterminée par l’expert Renaud, en y ajourant toutes les douleurs actuelles à la cheville gauche, les inconvénients (marche et nage) et les ennuis

 

 

 

 

 

5 000 $

Incapacité partielle permanente de 3%

10 000 $

Préjudice esthétique

2 000 $

 

 

TOTAL

17 392 $

 

IV-               Conclusions

[58]            Il y a donc lieu de rejeter l’action de la demanderesse qui n’a pas établi faute de la Ville dans l’entretien de ses trottoirs.

[59]            Dans les circonstances de la présente affaire et considérant l’état d’indigence de la demanderesse qui a entrepris un recours non pas frivole mais qui a nécessité une preuve quant aux moyens pris par la Municipalité pour l’entretien de ses trottoirs, l’action de la demanderesse sera rejetée sans frais.

 

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[60]            REJETTE l’action de la demanderesse;

[61]            Sans frais.

 

 

__________________________________

JEAN FRAPPIER, J.C.S.

 

 


 

 

 

 

Me Yolaine Lindsay

Lindsay, Lévesque

Procureurs de la demanderesse

 

Me Louis Brien

Gasco, Goodhue, Provost

Procureurs de la défenderesse

 

 

 

 



[1]    [1961] R.C.S. 408 .

[2]    [1948] B.R. 307

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.