Décision

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Bergua-Diez c

Bergua-Diez c. Montréal (Ville de)

2007 QCCQ 11184

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

« Chambre civile »

N° :

500-22-120912-061

 

 

 

DATE :

18 octobre 2007

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

DANIEL DORTÉLUS

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

JOSEFA BERGUA DIEZ

demanderesse

c.

VILLE DE MONTRÉAL

défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]                La demanderesse réclame la somme de 60 653,68 $ à titre de dommages pour des blessures à son coude gauche résultant de sa chute survenue le 6 décembre 2004 sur le trottoir glacé de [...] à Montréal-Nord.

[2]                Elle reproche à la défenderesse («la Ville») d'avoir été entre autres négligente dans l'entretien du trottoir de [...] et de ne pas avoir respecté son échéancier d'épandage d'abrasifs.

[3]                La défenderesse conteste la réclamation. Elle allègue qu'elle n'a pas commis de faute et soutient qu'elle a accompli tout ce qu'elle avait à faire pour rendre les trottoirs sécuritaires les 5 et 6 décembre 2004.

[4]                La Ville prétend que la demanderesse était pressée le 6 décembre 2004 et ne portait pas l'attention requise, ce qui constitue la seule et unique explication de sa chute.

les faits

[5]                Le 6 décembre 2004, la demanderesse âgée de 69 ans quitte vers 14 h 45 son domicile situé au [...] à Montréal pour aller chercher ses petits enfants à l'école qui est située à deux coins de rue.

[6]                Chaussée de bottes d’hiver avec des semelles en caoutchouc, elle descend les escaliers en avant de sa maison, emprunte un passage pour se rendre au trottoir de [...].

[7]                Il fait froid, le trottoir est très glissant. Environ deux maisons plus loin, elle est tombée sur la glace vive recouvrant le trottoir.

[8]                La demanderesse affirme qu'il n'y a aucun abrasif où est survenue sa chute.

[9]                Elle s'est blessée au bras gauche lors de sa chute, s'appuyant sur son bras droit, elle réussit à se relever.

[10]           Vers 18 h, son fils la transporte à l'urgence de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont.

[11]           Les radiographies révèlent la présence d'une fracture de la tête de son radius gauche, pour laquelle elle subit une intervention chirurgicale deux jours plus tard.

[12]           Son bras gauche est immobilisé dans un plâtre durant trois semaines. Par la suite, elle reçoit des traitements de physiothérapie durant une période de deux mois, à raison d'une séance par semaine, suivie des exercices à la maison, durant plusieurs mois.

[13]           Il y a admission que le pourcentage d'incapacité partielle permanente résultant de la fracture de la tête radiale (coude gauche) de la demanderesse est établi à 7.5 %.

[14]           La demanderesse soutient qu'elle éprouve de la douleur constante à la suite de l'accident. Elle ne peut plus tricoter, elle ne peut pas balancer son bras gauche ni l'utiliser pour soulever ou manipuler des objets lourds.

[15]           Le médecin lui a suggéré une autre intervention chirurgicale, elle est réticente et réfractaire à se faire opérer à nouveau car il n'y a pas de garantie de résultat.

[16]           Monsieur Luis Bergua est le fils de la demanderesse. Il affirme quand il est allé chercher ses enfants à l'école vers 11 h 25 le jour de l'accident, il n'y avait pas d'abrasif sur les trottoirs qui étaient glacés.

[17]           La veille, le 5 décembre, il n'a pas vu les préposés de la Ville épandre du sel ou du sable sur le trottoir de [...].

[18]           Monsieur Pierre Thouin est contremaître au Département de Travaux publics de la Ville de Montréal.

[19]           Il ressort de son témoignage, les faits pertinents qui suivent:

[20]           Le 5 décembre vers minuit, il y a eu averse et par la suite, il y a eu baisse de température. Une opération d'épandage d'abrasif est déclenchée vers 9 h, elle débute à 9 h 15. Dix véhicules de type Bombardier sont affectés à cette tâche sur tous les circuits situés dans le secteur où se trouve [...].

[21]           L'opération dure environ 8 heures, elle s'est terminée vers 17 h. Le 6 décembre, la température est de -110 C à 7 h. Une opération de sablage est effectuée à nouveau dans le secteur, elle se termine vers 15 h.

[22]           Monsieur Jacques Jutras est à l'emploi de la Ville, il est opérateur de véhicule Bombardier. Il a procédé au sablage les 5 et 6 décembre 2004 du secteur où est situé [...]. Il affirme avoir épandu des abrasifs sur [...] le 5 décembre 2004. Il reconnaît que le 6 décembre 2004, quand son quart de travail prend fin vers 15 h, il n'a pas épandu des abrasifs sur [...]. L'opération de sablage a pris fin sur la rue Monty.

[23]           Selon le témoin Pierre Thouin, le 6 décembre, l'équipe a pris la décision d'arrêter l'épandage d'abrasifs à 15 h à la suite d'une rencontre vers 14 h. Le secteur est inspecté avant et après la décision.

[24]           En contre-interrogatoire, il admet ne pas avoir de souvenir de la situation qui prévalait le 6 décembre 2004.

[25]           Il soutient que règle générale, aussitôt que les trottoirs sont glissants, les opérateurs sont autorisés à faire du temps supplémentaire. Il reconnaît que le 6 décembre 2004, si cela n'avait pas été nécessaire, il n'aurait pas fait "sabler" les rues.

principes de droit applicables

[26]           Les dispositions législatives pertinentes applicables en matière de responsabilité d’une ville à l’occasion d’une chute sur un trottoir se retrouvent à l’article 1457 du Code civil du Québec[1] et à l’article 585.1 de la Loi sur les cités et villes[2], qui prévoient :

"1457.  Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

             Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.

             Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.

585.    1. […].

7.      Nonobstant toute loi générale ou spéciale, aucune municipalité ne peut être tenue responsable du préjudice résultant d'un accident dont une personne est victime, sur les trottoirs, rues ou chemins, en raison de la neige ou de la glace, à moins que le réclamant n'établisse que ledit accident a été causé par négligence ou faute de ladite municipalité, le tribunal devant tenir compte des conditions climatériques.

[…]."

[27]           Selon les principes dégagés par la jurisprudence, l’obligation d’entretien de la ville en est une de moyen et non de résultat[3].

[28]           Les villes ne sont pas les assureurs des piétons, qui doivent prendre certaines précautions élémentaires compte tenu du climat du Québec[4].

[29]           La demanderesse a le fardeau de démontrer par une preuve prépondérante la faute de la municipalité[5].

[30]           Un Tribunal saisi d’une réclamation en dommages contre une ville en raison d’une chute sur un trottoir glacé doit déterminer si la municipalité a pris les précautions nécessaires pour protéger la sécurité des piétons qui circulent sur les trottoirs[6].

[31]           C’est en appliquant ces principes que le Tribunal analyse les faits mis en preuve afin de trancher ce litige.

analyse et motifs

[32]           Il ressort de la preuve que l'opération de sablage effectuée le 5 décembre par monsieur Jutras a permis de couvrir l'ensemble des rues du secteur, incluant [...]. En raison de l’état des rues, une opération de sablage doit être reprise le jour suivant, le 6 décembre, afin de rendre sécuritaire les rues mais cette fois, monsieur Jutras a terminé l’opération avant d’atteindre [...]. Quand l’opération de sablage débute le 5 décembre à 8 h, la température est à -10o C, à 15 h, quand cesse l’opération de sablage, la température demeure en dessous du point de congélation, soit à -7o C.

[33]           Le 5 décembre, l'ensemble des dix véhicules Bombardier dont dispose le secteur sont affectés à l'opération d'épandage d'abrasif, le 6 décembre. Huit Bombardier et un autre véhicule sont utilisés pour l'opération d'épandage d'abrasif.

[34]           Le Tribunal retient des témoignages de la demanderesse et de son fils Louis Bergua que le trottoir sur [...] est glissant le 6 décembre 2004.

[35]           D'autres trottoirs qui se trouvent dans le même secteur sont glissants au point de rendre nécessaire l'épandage d'abrasifs à cet endroit, c'est ce que le Tribunal retient des témoignages de messieurs Pierre Boulanger qui travaille comme superviseur et Pierre Thouin comme contremaître ainsi que de monsieur Jutras qui est l’opérateur qui répand des abrasifs sur les rues du secteur.

[36]           Il y a preuve prépondérante que le 6 décembre 2004, quand monsieur Jacques Jutras cesse à 15 h d'épandre de l'abrasif, c’est parce que son quart de travail prend fin et non pas parce que les trottoirs non recouverts d’abrasifs, dans le secteur où est située [...] ne sont plus glissants ou ne nécessitaient pas d’être sécurisés par l’épandage d’abrasifs.

[37]           Selon le superviseur du secteur monsieur Pierre Boulanger, c'est l'équipe qui prend la décision de ne pas continuer l'épandage d'abrasifs. Il admet ne pas avoir un souvenir précis de la situation. Aucun rapport de l'inspection effectuée avant et après la décision de l'équipe de cesser l'épandage d'abrasifs sur les trottoirs n'est produit en preuve.

[38]           La règle générale voulant qu'aussitôt que les trottoirs sont glissants, l'autorisation est accordée aux opérateurs pour effectuer du temps supplémentaire afin de continuer l'opération d'épandage d'abrasifs, n'a pas été suivie le 6 décembre 2004 après 15 h.

[39]           En ne prenant pas les moyens pour compléter l'épandage d'abrasifs sur les rues non couvertes par l'opérateur Jutras, la Ville a manqué à son obligation de moyen. La prétention de la demanderesse voulant que sa chute ait été occasionnée par un manque d'entretien du trottoir est bien fondée.

[40]           La prétention de la défenderesse voulant que la demanderesse était pressée le 6 décembre 2004 et ne portait pas l'attention requise, n’est pas supportée par la preuve. Elle ne peut pas être retenue.

[41]           Les faits dans la présente cause se distinguent des faits dans l'abondante jurisprudence soumise par la Ville, dans lesquels les demandeurs n'ayant pas réussi à démontrer la faute ou la négligence ou un manquement à l'obligation de moyen de la Ville ont été déboutés de leur réclamation[7].

Les dommages

[42]           La responsabilité de la Ville étant établie, il reste à déterminer le montant auquel la demanderesse a droit.

[43]           La demanderesse réclame la somme de 40 000 $ pour perte d'intégrité physique et déficit permanent. Un montant de 5 000 $ est réclamé pour perte de jouissance de la vie, 15 000 $ pour douleurs, souffrances et inconvénients.

[44]           Elle réclame aussi des frais d'expertise au montant de 600 $, des frais de déplacement de 200 $; un montant de 24,92 $ est réclamé pour frais de copie de dossier médical, 28,76 $ est réclamé pour frais de rapport de météo.

[45]           Le Dr. Claude Lamarre, orthopédiste, évalue l'incapacité partielle permanente à 8 %. Selon cet expert, la demanderesse a été en incapacité totale temporaire durant deux mois et partielle temporaire à 50 % de deux mois.

[46]           Il ressort du rapport d'expertise préparé par le Dr. Lamarre que la demanderesse présente une douleur chronique au niveau du coude, une faiblesse dans les activités qui nécessitent le moindrement d'efforts, une perte de résistance et une perte de capacité au niveau du coude gauche. Il y a des légers phénomènes d'instabilité avec limitation de mouvements au niveau du coude gauche.

[47]           La demanderesse ne peut plus faire du tricot, pour réussir à faire la vaisselle, elle doit utiliser son bras droit.

[48]           Selon les enseignements de la Cour d'appel, dans l'arrêt Villeneuve c. F. (L.), REJB 2002-30304 (C.A.), dans la méthode pour évaluer les dommages, il faut ventiler le préjudice en trois catégories, soit la perte de revenus, les pertes non pécuniaires et les coûts assumés par le demandeur, notamment pour les soins.

[49]           Dans l'arrêt  Brière c. Cyr, [2007] J.Q. 10367, 2007 QCCA 1156 , l'Honorable Marc Beauregard écrit:

[11]       Depuis l'arrêt Andrews[8], lorsqu'il s'agit de déterminer l'étendue d'un préjudice et qu'il n'existe pas de préjudice pécuniaire, il faut grouper tous les préjudices non pécuniaires en un seul poste. D'autre part, la méthode par laquelle on attribue une certaine somme par point d'incapacité n'est plus une méthode acceptée par la jurisprudence[9].

[50]           Le Tribunal applique la méthode préconisée par la Cour d'appel dans ces deux arrêts afin de déterminer le montant auquel la demanderesse a droit à titre de dommages.

[51]           Lors de l'accident, la demanderesse est âgée de 69 ans, elle est retraitée.

[52]           Elle n'a pas encouru de dépenses pour ses soins, elle n'a encouru aucune perte de revenus.

[53]           Essentiellement, les seuls dommages de la demanderesse portent sur les pertes non pécuniaires.

[54]           En l'espèce, en regard de la preuve présentée, compte tenu entre autres des séquelles permanentes dont est atteinte la demanderesse, vu les enseignements de la Cour d'appel cités précédemment ainsi que ceux de la Cour suprême dans l'arrêt Andrews voulant qu'une indemnité pour un préjudice non pécuniaire n'est pas une compensation de la perte de quelque chose qui aurait une valeur en dollars mais une consolation visant à rendre la vie de la victime plus supportable, le Tribunal estime qu'il est juste et raisonnable d'arbitrer à 25 000 $ l'indemnité pour perte non pécuniaire.

[55]           Les frais d'expertise au montant de 600 $ sont accordés à la demanderesse pour la préparation du rapport du Dr. Lamarre.

 

 

[56]           POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[57]           ACCUEILLE en partie la demande;

[58]           CONDAMNE la défenderesse à payer à la demanderesse la somme de 25 000 $, plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., à compter du 23 mars 2006;

[59]           LE TOUT avec dépens, y compris les frais d'expertise au montant de 600 $.

 

 

__________________________________

DANIEL DORTÉLUS, J.C.Q.

 

Me  Nathalie Croteau

Procureure de la demanderesse

 

Me  Hélène Simoneau

CHAREST, SÉGUIN, CARON

Procureurs de la défenderesse

 

Date d’audience :

27 septembre 2007

 



[1]     Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64, art. 1457

[2]     Loi sur les cités et villes, L.R.Q., c. C-19, art 585.1

[3]     Ohayon c. St-Laurent (Ville), AZ-99026307 , B.E. 99BE-667 (C.S.)

[4]     précitée, note 3

[5]     Diab c. St-Laurent (Ville de ), AZ-00026436 , B.E. 2000BE-969 (C.S.), p. 8; Contu c. St-Laurent (Ville), C.S. Montréal, no 500-17-007200-994, 18 avril 2001, j. Guthrie, p. 4

[6]     Battat c. Verdun (Ville de), 2005 IIJCan 39071 (QC C.S.), p.4; Paquin c. Verdun (Cité), [1962] R.C.S. 100

[7]     Robert Marchand c. Montréal (Ville de), C.Q. Montréal, no 500-22-111782-051, 4 janvier 2007, j. Vadboncoeur; Donald Kert c. Montréal (Ville de), C.Q. Montréal, no 500-22-092415-036, 21 avril 2006, j. Marengo; Elie Battat c. Verdun (Ville de), C.S. Montréal, no 500-05-051927-992, 25 octobre 2005, j. Laramée; Francine Vaillancourt  c. Corporation municipale de la Ville de Matane, C.S. Rimouski no 100-05-001776-027, 26 janvier 2005, j. Gendreau; Luba Petrovic c. Laval (Ville de), C.S. Montréal no 540-05-006212-017, 13 décembre 2004, j. Sévigny; Yau Wai Simon Cho c. Montréal (Ville de), C.Q. Montréal no 500-22-039690-998, 6 octobre 2000, j. Barbe; Denise Hamel c. Montréal (Ville de), C.Q. Montréal no 500-22-020038-983, 1er mars 2000, j. Dumais; Johanne Bardier c. Verdun (Ville de), C.S. Montréal no 500-05-010816-898, 5 février 1998, j. Blanchet; Montréal-Nord (Ville de) c. Marie Curruba Taddeo, C.A. Montréal no 500-09-001480-920, 18 novembre 1994, juges Vallerand, Mailhot et Delisle; Jorge Salcedo c. Montréal (Ville de), C.S. Montréal no 500-05-012121-909, 28 janvier 1993, j. Sévigny; Aurore Cormier c. Montréal (Ville de), C.S. Montréal no 500-05-010569-778, 29 janvier 1981, j. Durocher; Gilles Lafontaine c. Montréal (Ville de), C.S. Montréal no 500-05-015382-771, 23 septembre 1980, j. Hurtubise.

[8]     Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd., 2 [1978] R.C.S. 229

[9]     Daniel GARDNER, L'évaluation du préjudice corporel, 2e éd, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2002, n° 314 et suivants

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