Section des affaires sociales
En matière de régime des rentes
Référence neutre : 2015 QCTAQ 05334
Dossier : SAS-M-212746-1306
CHRISTINE CÔTÉ
c.
[1] La requérante conteste la décision rendue en révision par la partie intimée, la Régie des rentes du Québec, le 6 juin 2013.
[2] Par cette décision, la partie intimée refuse de lui accorder la rente de conjoint survivant à la suite du décès de monsieur J.M.B. (le cotisant).
Le contexte et le litige
[3] Du dossier administratif, le Tribunal retient les éléments pertinents suivants.
[4] Le 17 février 2012, la requérante fait une demande de rente de conjoint survivant à la suite du décès de monsieur J.M.B. survenu le 30 janvier 2012.
[5] À la déclaration du conjoint de fait joint à sa demande, la requérante indique avoir débuté à résider avec le cotisant en juillet 1991. De leur union sont nés deux enfants en mars 1991 et avril 1993.
[6] La requérante précise également ne pas avoir résidé avec le cotisant du mois de juillet 2007 au jour de son décès, en raison de son incarcération au pénitencier.
[7] Le 27 mars 2013, la partie intimée refuse la demande de rente de conjoint survivant estimant que la requérante et le cotisant ne vivaient pas maritalement au cours des douze mois précédant le décès de ce dernier.
[8] La requérante demande la révision de cette décision le 14 mai 2013.
[9] La requérante précise que les circonstances qui l’ont empêchée de vivre avec son conjoint étaient hors de son contrôle puisqu’il était en prison. Elle souligne également les communications régulières par téléphone avec le cotisant ainsi que les contacts avec leurs enfants.
[10] Le 6 juin 2013, la partie intimée confirme son refus d’accorder à la requérante la rente de conjoint survivant, et ce, au motif que la requérante n’a pas démontré avoir vécu maritalement avec le cotisant au cours de la dernière année précédant immédiatement son décès.
[11] La requérante conteste cette décision auprès du Tribunal administratif du Québec le 26 juin 2013, d’où le présent litige. Au recours introductif d’instance, le procureur de la requérante soumet :
«La requérante a droit à la rente de conjoint survivant suite au décès de feu (nom du défunt). les parties vivaient maritalement ensemble au moment du décès et ce même si feu (nom du défunt) était incarcéré au moment de son décès. Au moment de l’incarcération les parties habitaient ensemble et prévoyaient habiter ensemble après la libération de feu (nom du défunt). Feu (nom du défunt) telephnait à la requérante à toute les semaines. Les motifs invoqué par la RRQ pour refuser à la requérante la rente de conjoint son faux et non fondés.»
(Transcription conforme)
La preuve
[12] Outre la preuve documentaire au dossier administratif, les pièces supplémentaires suivantes sont déposées à l’audience par le procureur de la partie intimée :
«•I-1 Avis annuel sur le crédit d’impôt remboursable pour le soutien aux enfants (CIRSE) du 13 mai 2007;
•I-2 Article de Le Devoir du 7 juillet 2007;
I-3 Avis sur le CIRSE du 18 octobre 2007;
I-4 Avis annuel sur le CIRSE du 11 mai 2008;
I-5 Avis annuel sur le CIRSE du 17 mai 2009;
I-6 Avis annuel sur le CIRSE du 9 juin 2010;
I-7 Avis sur le CIRSE du 29 juillet 2010;
I-8 Avis sur le CIRSE du 14 août 2010;
I-9 Jugement sur sentence du 26 mai 2010, R. c. J.M.B., […];
I-10 Article de Le Courrier du Sud du 26 mai 2010;
I-11 Reçu pour frais funéraires du 3 février 2012;
I-12 Article de La Presse du 9 avril 2012.»
[13] Par ailleurs, la requérante a témoigné au soutien de son recours lors de l’audience. Le Tribunal a également entendu un autre témoin, le père du cotisant.
[14] De la preuve testimoniale soumise, le Tribunal retient ce qui suit.
La requérante G.P.
[15] Elle a connu le cotisant en 1988, lequel lui a été présenté par des amis. Ils ont rapidement commencé à vivre ensemble. De leur union sont nées deux filles.
[16] La requérante explique que le cotisant avait connu des difficultés suite à la perte de son emploi en 2004 ou 2005. Il n’allait pas très bien depuis. Il considérait sa perte d’emploi comme un échec.
[17] Le matin de l’arrestation du cotisant en juin ou juillet 2007, ils étaient ensemble à la maison. Il n’avait jamais été question de séparation entre eux. Ils avaient une vie familiale normale.
[18] Elle était sous le choc lorsqu’elle a appris l’arrestation et les motifs de celle-ci. Elle s’est rendue au poste de police et a pu voir monsieur J.M.B.
[19] Elle était déçue mais avait toujours des sentiments pour ce dernier. Elle savait qu’il n’était pas bien psychologiquement. Elle lui a fait un câlin en quittant le poste de police.
[20] Elle n’est pas allée au procès qui a suivi car le cotisant lui avait indiqué qu’il ne voulait pas la voir dans ce contexte. Elle ne l’a pas visité à la prison de Rivière-des-Prairies ni au pénitencier. Elle ne se sentait pas capable d’aller le voir dans cet environnement. Elle étouffait.
[21] Ils avaient des contacts téléphoniques sur une base régulière. Le cotisant avait une carte d’appel et lui téléphonait régulièrement, à toutes les semaines. Parfois les conversations étaient brèves.
[22] Ils prenaient des nouvelles l’un de l’autre. Ils discutaient surtout des enfants. Elle l’informait sur leurs résultats scolaires, sur les sorties à autoriser ou non afin qu’il puisse prendre part à l’éducation de ses enfants. Elle lui parlait de choses et d’autres comme son travail ou encore de la fatigue qu’elle ressentait.
[23] La requérante mentionne que souvent leurs conversations se terminaient par «je t’aime».
[24] Lors de leur dernière conversation, la veille de son décès, le cotisant était serein. Comme d’habitude, ils ont parlé des enfants et il lui a dit : «n’oublie pas que je t’aime».
[25] En 2007, elle a dû vendre le domicile conjugal car ses revenus ne lui permettaient pas de couvrir toutes les dépenses courantes. Elle assumait seule les dépenses des deux enfants. Son beau-père s’est chargé de transmettre les documents au cotisant en prison. Elle a remis la part du cotisant à son frère suite à la vente de la maison. Ce dernier a acquitté les dettes du cotisant avec cet argent mais elle n’est pas au courant des détails.
[26] Elle a conservé les vêtements du cotisant et a donné ses effets personnels dont des DVD, des CD et un lecteur DVD à son frère, n’ayant plus de place pour les ranger.
[27] Elle a également fait les modifications pour payer les assurances-vie dont le cotisant et elle étaient déjà bénéficiaires.
[28] La requérante mentionne que la personne s’occupant de ses déclarations fiscales lui a demandé si elle vivait seule. Ayant répondu par l’affirmative, son état civil a été modifié auprès des autorités fiscales, pour indiquer «célibataire». En fait, elle ne se considérait pas célibataire.
[29] Elle n’a eu aucun autre conjoint ni fréquentation entre 2007 et 2012 car elle aimait encore le cotisant. Même aujourd’hui, elle pense encore à lui.
[30] Le cotisant a toujours été un bon père et un bon conjoint. Il la supportait auprès des enfants. La requérante témoigne qu’ils auraient repris leur vie ensemble avec leurs enfants si le cotisant était sorti de prison. Elle affirme lui avoir dit cela d’ailleurs.
[31] Ils n’ont jamais discuté de séparation.
[32] À son testament fait en 2004, elle était la légataire de tous les biens du cotisant et la liquidatrice. Ce testament n’a jamais été modifié.
[33] En contre-interrogatoire, la requérante indique qu’elle n’était absolument pas au courant de la double vie du cotisant et qu’il aurait commis d’autres infractions graves avant son arrestation en 2007. Elle n’a pas lu les articles de journaux[1] le concernant durant son incarcération, mais des gens autour d’elle lui soulignaient la parution et le contenu de tels articles.
[34] Elle émet également des doutes sur l’implication du cotisant dans un autre dossier criminel[2].
[35] Concernant les allocations familiales, elle ne se souvient pas d’avoir fait par internet un changement de sa situation familiale auprès de la partie intimée en octobre 2007, et ce, même à la lecture et à la revue du document déposé au dossier[3].
[36] Elle soumet que l’Avis sur le crédit d’impôt remboursable pour le soutien aux enfants daté du 18 octobre 2007[4], qui précise la nouvelle situation conjugale à compter de juillet 2007, est lié à l’information reçue de la personne ayant fait ses déclarations d’impôts.
[37] Par la suite, elle n’a jamais fait modifier la mention à l’effet qu’elle n’avait pas de conjoint.
[38] Au niveau des impôts, elle a été considérée célibataire à compter de 2007.
[39] Outre les appels téléphoniques, elle n’a pas eu d’autres types de contacts avec le cotisant durant son incarcération. Elle ne lui a pas écrit de lettres, pas envoyé de cartes de Noël ou de fête. Elle ne lui a pas fait de cadeaux à quelque titre que ce soit après son incarcération. Elle ne l’a pas visité non plus.
[40] À une occasion, elle a fait une collecte à son travail, dont les fruits ont été transmis au cotisant par leur fille.
[41] De son côté, le cotisant lui a écrit à une occasion pour lui dire de faire attention financièrement. Elle ne se souvient pas de la date de cette lettre dont elle n’a pas copie à l’audience.
[42] Elle a reçu un montant d’assurance-vie à la suite du décès et a procédé au paiement de l’urne et des signets choisis par les enfants. Le père et le frère de J.M.B. se sont chargés des frais et arrangements funéraires. Ils ne voulaient pas qu’elle soit prise avec ces démarches.
[43] Elle n’a pas copie de l’avis de décès publié en 2012. Elle n’a pas de souvenir du texte de cet avis.
[44] Elle ignorait l’existence de la lettre d’adieu adressée par le cotisant à ses parents[5]. Son procureur l’en a avisée à la réception du dossier. Elle confirme ne pas avoir personnellement reçu de telle missive.
[45] Elle n’a pas été impliquée dans la faillite de cotisant et elle n’en connaît pas les détails. Elle a elle-même fait faillite en 2010.
[46] Elle n’a fait aucune démarche auprès de l’avocat du cotisant bien qu’elle l’ait rencontré à une occasion. Le père et le frère du cotisant se chargeaient de ces démarches et du paiement.
Monsieur C.M.B.
[47] Il est le père du cotisant. Son fils a rencontré la requérante en 1988.
[48] Son épouse et lui ont toujours maintenu une relation avec la requérante et les enfants, malgré l’incarcération du cotisant à compter de 2007. La requérante fait partie de la famille.
[49] Il a visité son fils régulièrement tant à la prison qu’au pénitencier. Une fois par semaine à Rivière-des-Prairies et environ aux trois semaines, lors de son transfert au pénitencier. À sa connaissance, il n’a jamais été question de séparation entre son fils et la requérante avant ni pendant la détention de ce dernier.
[50] Son fils ne lui a jamais parlé du fait que la requérante ne le visitait pas. Ces visites étaient trop difficiles pour la requérante et pour la mère du cotisant. C’était convenu depuis le début.
[51] Les frais d’avocat liés au procès du cotisant ont été payés par son frère L..
[52] Il confirme avoir réglé les formalités liées aux funérailles avec son fils L.. Sa fille a préparé des photos et ses petites-filles ont choisi l’urne. Il n’a pas souvenir du contenu de l’avis de décès. Il ne peut préciser si le nom de la requérante y apparaissait.
[53] Il a été avisé de la faillite du cotisant par son fils L. qui avait pris cela en main. Il ne s’est pas personnellement impliqué dans cette affaire tout comme pour le cas de la vente de la maison.
[54] Il apportait de l’argent pour les cartes de téléphone et de nourriture du cotisant mais il n’a pas apporté de biens, de cadeaux ou de lettres.
[55] À son avis, son fils et la requérante s’aimaient toujours. Ils se parlaient au télépho-ne. Son fils lui disait quand il téléphonait à la requérante. Ils se parlaient des enfants.
Représentations
La partie requérante
[56] La procureure de la partie requérante estime qu’au décès du cotisant, la requérante vivait maritalement avec ce dernier au sens de l’article 91 de la Loi sur le régime de rentes du Québec, et ce, malgré l’incarcération de ce dernier.
[57] Elle plaide que l’absence de visite de la requérante durant l’incarcération ne doit pas être retenue puisqu’elle n’était pas capable de le faire. Ils étaient un couple avant et pendant l’incarcération et ils auraient continué de l’être à la libération du cotisant.
[58] La procureure souligne l’absence d’autres relations de la requérante durant les sept années d’incarcération, démontrant qu’elle n’avait pas renoncé au cotisant. Ils ont maintenu leur relation par leurs échanges téléphoniques affectueux. Ils avaient en commun le projet d’élever leurs enfants et de maintenir le couple malgré l’incarcération.
[59] La procureure de la requérante soumet que la preuve établit bien les trois critères de la vie maritale.
[60] Ainsi, concernant la cohabitation, le contexte est particulier. Elle souligne toutefois que l’adresse du cotisant selon les documents d’Equifax est celle de la requérante.
[61] Quant au soutien affectif et moral, il était présent malgré les circonstances. Le défunt était un bon père et supportait la requérante dans l’éducation de leurs enfants. Il y a une continuation du soutien moral pendant l’incarcération. De plus, il n’a pas modifié son testament de 2004 avantageant la requérante, démontrant ainsi son intention de maintenir son soutien à son égard. Le règlement des dettes de chacun suite à la vente de la maison allait également dans le même sens.
[62] Quant à la commune renommée, elle ne fait aucun doute considérant le témoignage du père du défunt et les déclarations écrites au dossier.
[63] La mention de célibataire à ses déclarations fiscales et la modification de son état civil aux Avis sur le crédit d’impôt remboursable pour le soutien aux enfants sont le résultat de la compréhension de la requérante des définitions de la Loi sur les impôts[6].
[64] Le témoignage de la requérante concernant la vie maritale avec le cotisant, son conjoint, ne devrait pas en être entaché.
La partie intimée
[65] De façon préliminaire, le procureur de la partie intimée soumet que les critères de vie maritale au sens de l’article 91 de la Loi sur le régime de rentes du Québec sont les mêmes que ceux prévus à la Loi sur les impôts (article 1029.8.61.8 et s.), soit la cohabitation, le support mutuel et la commune renommée.
[66] Le procureur plaide qu’il y a en l’espèce absence de cohabitation dans la période d’un an précédant le décès, et ce, dans les circonstances particulières de l’incarcération du cotisant à compter de juillet 2007.
[67] Il s’agit d’une situation couverte par les exceptions. Toutefois, pour reconnaître une vie maritale dans de telles circonstances, la preuve de soutien mutuel doit faire l’objet d’indices forts, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
[68] Le procureur de la partie intimée estime que la vente de la maison en octobre 2007 constitue le premier geste de rupture. Dans le même sens, le partage de l’équité découlant de cette vente ainsi que les démarches de faillite menées indépendamment l’un de l’autre démontrent l’absence de soutien mutuel.
[69] Il souligne également qu’en octobre 2007, la requérante a fait une demande de modification à son dossier auprès de la partie intimée afin de préciser qu’elle n’avait plus de conjoint à compter de juillet 2007. Cette information n’a jamais été modifiée par la suite malgré les Avis sur le crédit d’impôt remboursable pour le soutien aux enfants transmis jusqu’en août 2010.
[70] Le procureur de l’intimée ajoute que dans le présent dossier, le secours a été apporté par le père et le frère du cotisant.
[71] Il n’y a pas de preuve de secours mutuel entre la requérante et le cotisant. Au-delà de l’absence de visite de la requérante pendant près de cinq ans, le procureur de la partie intimée rappelle qu’il n’y a eu aucune gratification de quelque nature que ce soit. Pas de cadeaux, pas de lettres, pas de cartes d’anniversaire ou de Noël. Les appels téléphoniques du cotisant ne sont pas suffisants.
[72] Il soumet que même si la requérante prétend, à son recours et devant le Tribunal, qu’elle et le cotisant auraient repris la vie commune comme avant à la sortie du pénitencier, il n’y a eu dans les faits aucune concrétisation de ce «retour à la normale.» Il rappelle que la requérante était beaucoup moins catégorique à sa déclaration de janvier 2013.
[73] Finalement concernant la commune renommée, le procureur souligne qu’elle existe mais dans les limites des déclarations écrites au dossier, à savoir qu’il y avait des contacts téléphoniques entre la requérante et le cotisant.
Analyse et discussions
[74] Le Tribunal est appelé à décider du bien-fondé ou non de la décision rendue en révision le 6 juin 2013 refusant d’accorder à la requérante la rente de conjoint survivant à la suite du décès de monsieur J.M.B., le cotisant, en date du 29 janvier 2012.
[75] Le présent litige s’apprécie à la lumière des dispositions de l’article 91 de la Loi sur le régime de rentes du Québec[7] :
«91. Se qualifie comme conjoint survivant, sous réserve de l'article 91.1, la personne qui, au jour du décès du cotisant:
a) est mariée avec le cotisant et n'en est pas judiciairement séparée de corps;
a.1) est liée par une union civile au cotisant;
b) vit maritalement avec le cotisant, qu'elle soit de sexe différent ou de même sexe, pourvu que ce dernier soit judiciairement séparé de corps ou non lié par un mariage ou une union civile au jour de son décès, depuis au moins trois ans ou, dans les cas suivants, depuis au moins un an:
— un enfant est né ou à naître de leur union,
— ils ont conjointement adopté un enfant,
— l'un d'eux a adopté un enfant de l'autre.
Pour l'application du paragraphe b du premier alinéa, la naissance ou l'adoption d'un enfant avant la période de vie maritale en cours au jour du décès du cotisant peut permettre de qualifier une personne comme conjoint survivant.»
(Notre emphase)
[76] Ainsi, pour être qualifiée de conjoint survivant et être admissible à une rente à ce titre, il appartenait à la requérante de démontrer par preuve prépondérante qu’elle vivait maritalement avec J.M.B., le cotisant, durant l’année précédant immédiatement le décès de ce dernier, soit de janvier 2011 à janvier 2012.
[77] Tel qu'établi par la jurisprudence, la notion de vie maritale implique trois critères, soit la cohabitation, le secours mutuel ainsi que la commune renommée.
[78] Il n’est pas contesté que la requérante vivait maritalement avec le cotisant de 1990 (approximativement) au mois de juin 2007, soit jusqu’à son arrestation et son incarcération.
[79] Qu’en est-il par la suite? Le cotisant et la requérante faisaient-ils vie maritale dans l’année précédant le décès du cotisant?
[80] En soi, l’absence de cohabitation en raison de l’incarcération du cotisant n’équivaut pas nécessairement à la fin de la vie maritale. En effet, la jurisprudence a reconnu certaines situations exceptionnelles où, même en l’absence de cohabitation, il est possible de conclure au maintien de la vie maritale. L’incarcération fait partie de ces exceptions.
[81] Un projet et une volonté de vie commune doivent toutefois être démontrés.
[82] Également, la preuve doit établir de façon prépondérante que la requérante et le cotisant s’apportaient toujours, et ce, malgré l’incarcération, un secours mutuel, semblable à celui qu’un couple normalement s’apporterait en pareille situation et qu’ils se représentaient publiquement comme des conjoints.
[83] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal est d’avis que la preuve n’établit pas, de façon prépondérante, que la requérante et le cotisant, J.M.B., vivaient maritalement au jour du décès de ce dernier.
[84] L’arrestation du cotisant en 2007 et son incarcération ont été un choc pour la requérante. Elle ignorait tout des activités criminelles de l’homme qui partageait sa vie depuis près de 20 ans.
[85] De la preuve soumise, le Tribunal retient que cet événement a modifié drastique-ment la relation entre la requérante et le cotisant, de telle façon que cette relation ne pourra plus être qualifiée de vie maritale au sens de la Loi sur le régime de rentes du Québec.
[86] En effet, la requérante n’aura aucun contact avec le cotisant à compter de juin 2007 jusqu’à son décès à la fin janvier 2012, hormis des appels téléphoniques logés par ce dernier.
[87] La requérante ne se rend ni à la prison A ni au pénitencier B[8] où il est transféré suite à la peine imposée par la Cour criminelle[9].
[88] Elle ne lui écrit pas de lettres ou de cartes d’anniversaire ou autres, ne lui fait pas de cadeaux, ne lui fait pas parvenir d’argent. Elle ne profite pas non plus des «visites familiales privées»[10].
[89] Elle n’est pas inscrite sur la liste des visiteurs ou des contacts du cotisant.
[90] Elle n’est pas la personne à contacter en cas d’urgence[11].
[91] Elle n’est nullement impliquée dans les démarches légales du cotisant.
[92] De plus, lors des conversations avec le cotisant, il est principalement question des enfants selon le témoignage de la requérante. Le témoignage du père du cotisant est au même effet.
[93] Lors de son témoignage, la requérante ne fait mention d’aucune discussion ou mise au point avec le cotisant concernant les événements, sur sa double vie, du fait «qu’il lui cachait tout», sur l’impact de son arrestation et sa longue incarcération sur leur vie commune, sur leur avenir.
[94] Pendant quatre ans et demi, les seuls contacts entre eux sont téléphoniques et selon la preuve soumise, ils ne démontrent nullement que la requérante et le cotisant maintenaient une vie affective, ni qu’ils avaient une intention et un projet de vie commune.
[95] À la lumière de l’ensemble de la preuve, il est de retenir l’affirmation de la requé-rante à l’audience à l’effet qu’à sa sortie du pénitencier, le cotisant et elle reprendraient leur vie normale. Le Tribunal note d’ailleurs qu’à sa déclaration écrite du 28 février 2013, la requérante mentionnait qu’elle était fâchée de la situation et du fait qu’elle était déçue pour expliquer son incapacité à visiter le cotisant durant son incarcération. Ses propos étaient également moins fermes : «je pense que l’aurais repris à sa sortie de prison»[12].
[96] Certes, la requérante et le cotisant ont maintenu une certaine relation affective notamment pour leurs enfants mais ce n’est pas suffisant pour conclure à une vie maritale.
[97] Par ailleurs, ce changement dans la relation s’est aussi concrétisé par certaines démarches de la requérante.
[98] En effet, en octobre 2007, elle fait une demande de modification de sa situation conjugale au CIRSE[13]. Son dossier est modifié afin de préciser qu’elle n’a pas de conjoint à compter de juillet 2007.
[99] Le 18 octobre 2007, la partie intimée transmet un avis écrit exposant expressément cette modification[14].
[100] Entre 2007 et 2010, la requérante a reçu des Avis sur le crédit d’impôt remboursable pour le soutien aux enfants portant spécifiquement la mention qu’elle n’avait pas de conjoint. En aucun temps, la requérante n’a procédé à la correction de cette information, et ce, bien que selon son témoignage à l’audience, elle considérait le cotisant comme son conjoint.
[101] Si la vente de la résidence familiale n’est pas un élément déterminant en l’espèce, la décision de ne pas mettre en commun l’équité résultant de cette vente constitue un nouvel indice d’un changement dans la relation entre la requérante et le cotisant et non pas un élément de secours mutuel.
[102] De la même façon, les démarches entreprises quelques années plus tard par la requérante et par le cotisant pour déclarer faillite se font chacun de leur côté, en fonction de leur situation personnelle et sans même s’en informer.
[103] Il importe également de noter que le frère du cotisant s’est chargé des démarches et décisions importantes telles que le paiement de ses dettes, la faillite du cotisant et les relations avec l’avocat de ce dernier.
[104] À la suite du décès du cotisant, le frère et le père de ce dernier se sont chargés des démarches et du paiement des frais funéraires, bien que le testament désigne la requérante comme liquidatrice.
[105] Le fait que le cotisant n’ait pas modifié son testament désignant la requérante comme légataire universelle ne constitue pas, en l’espèce, un élément de preuve probant considérant l’ensemble de la preuve soumise et également, dans le contexte où le cotisant avait fait faillite et n’avait plus de biens.
[106] Quant aux assurances, à sa déclaration écrite du 28 février 2013, la requérante précisait avoir signé la documentation pour devenir propriétaire des assurances-vie après l’incarcération du cotisant et avoir personnellement payé les primes tant pour lui que pour elle par la suite : «Je l’ai fait pour que les filles aient quelque chose si un de nous deux décédait».
[107] Ainsi, après analyse, le Tribunal est d’avis que la preuve soumise ne permet pas d’établir que la requérante et le cotisant se portaient mutuellement secours tant sur les plans affectif, moral et financier, et ce, pour la période prévue à l’article 91 de la Loi sur le régime de rentes du Québec.
[108] Finalement, la preuve de commune renommée est limitée dans le présent dossier. Par ailleurs, même en présence d’une preuve convaincante relativement à ce dernier critère, le Tribunal ne pourrait conclure à la vie maritale du cotisant et de la requérante, et ce, en l’absence de secours mutuel entre eux.
[109] La requérante n’ayant pas démontré par preuve prépondérante qu’elle faisait vie maritale avec le cotisant dans les douze mois précédant le décès de ce dernier comme l’exigent les dispositions de l’article 91 de la Loi sur le régime de rentes du Québec, le Tribunal ne peut faire droit au recours de la requérante.
PAR CES MOTIFS, le Tribunal :
REJETTE le recours;
MAINTIENT la décision rendue en révision le 6 juin 2013.
Bellavance, Grenier
Me Sandra Laliberté
Procureure de la partie requérante
Lafond Robillard Laniel
Me Mario Laprise
Procureur de la partie intimée
[1] Notamment la pièce I-I0
[2] Pièce I-12
[3] Page 42 du dossier
[4] Pièce I-3
[5] Pages 25 à 27
[6] RLRQ, chapitre I-3
[7] RLRQ, chapitre R-9
[8] Pages 61 à 79 du dossier
[9] Pièce I-9 : Le cotisant a été condamné à une peine d’emprisonnement de 13 ans et un reliquat de 7 ans et deux mois demeurait à purger lors du jugement du 26 mai 2010
[10] Page 77 du dossier
[11] Id.
[12] Page 29 du dossier
[13] Page 42 du dossier
[14] Pièce I-3
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.