JA0692 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
LABELLE |
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LOCALITÉ DE |
Mont-Laurier |
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« Chambre civile » |
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N° : |
560-32-001931-027 |
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DATE : |
29 novembre 2002 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
PIERRE E. AUDET, j.C.Q. |
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Madame Caroline Forté et Monsieur Denis Bélanger |
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25 Guertin, MarieVille, Québec, J3M 1P1
Partie requérante |
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c.
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M. Lucien Vaillancourt, Madame Sylvie Krompt et Kim Vaillancourt 2741 Pins Rouges, Des Ruisseaux, Qc, J9L 3G6
Madame Christine Pichette et Joliane Fournier 588, des Hortensias, Des Ruisseaux, Qc, J9L 3G3
M. Bernard Bolduc, Mme Chantal Joly et Mme Lydiane Joly Bolduc |
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2738 Des Eperviers, Des Ruisseaux, Qc J9L 3G6
Partie intimée
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JUGEMENT |
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[1] Le 10 novembre 2001, les requérants Caroline Forté et Denis Bélanger, sont victimes d'un vol par effraction à leur résidence, délit commis par les jeunes adoles-centes Kim Vaillancourt, Jolianne Fournier et Lydiane Joly Bolduc selon les conclusions de l'enquête policière qui a suivi.
[2] Les requérants ont été indemnisés en partie par la compagnie d'assurances qui assurait leur résidence. Ils réclament le solde soit 1 385.35$ à titre de dommages-intérêts et ce, solidairement tant contre les jeunes filles impliquées que contre leurs parents, en tant que tuteurs légaux.
[3] Les trois familles poursuivies solidairement répondent différemment à la récla-mation des requérants.
[4] La famille Pichette-Fournier propose un arrangement concernant leur fille Jolian-ne lequel est accepté par les requérants. Leur cote-part, soit le tiers de la somme réclamée est payée suivant trois versements, le dernier prévu pour septembre 2002.
[5] La famille Vaillancourt-Krompt et leur fille Kim ignorent la réclamation et en conséquence, ne contestent pas formellement. Toutefois, madame Krompt et sa fille Kim présentes à l'audience, le Tribunal les relève de leur défaut et reçoit leur témoi-gnage pour valoir contestation.
[6] La famille Bolduc-Joly et leur fille Lydiane contestent la réclamation. Madame Joly dépose une contestation écrite en indiquant comme motif à l'appui: "Je n'ai pas à être responsable des actes de ma fille Lydiane".
Les questions en litige:
[7] Le présent litige soulève les questions suivantes:
Les parents-intimés, tant sur le plan personnel qu’en tant que tuteurs légaux, doivent-ils être tenus responsables de la faute commise par leurs filles respectives et partant, des dommages subis pour lesquels les requérants n'ont pas été indemnisés par leur assureur?
Le cas échéant, à quelle indemnité ont droit les requérants?
Les principaux faits:
[8] Les faits donnant lieu à la réclamation des requérants ne sont pas contestés.
[9] Le 10 novembre 2001, les requérants constatent au retour à leur domicile qu'un vol par effraction a été commis. Le service de police de Mont-Laurier en est saisi aussitôt.
[10] Des traces de pas laissées dans la neige permettent aux policiers de localiser les auteures du vol soit les enfants mineures Kim Vaillancourt, Jolianne Fournier et Lydiane Joly Bolduc.
[11] Deux de ces jeunes, Kim et Lydiane, témoignent à l'audience et reconnaissent leur méfait. Elles soutiennent toutes deux l'avoir fait dans une "mauvaise période" où leurs intérêts étaient davantage d'ennuyer leurs parents et leur entourage. La Chambre de la jeunesse de cette Cour a été saisie du délit; seule la réclamation en dommages contre les enfants mineures et leurs parents est ici en cause.
[12] Fait à noter, le vol est commis l'après-midi même où les parents et les amis de Kim célèbrent son anniversaire à sa résidence qui est voisine de celle des requérants.
[13] À noter également, que Lydiane est à l'occasion gardienne des enfants des requérants ce qui lui donne l'accès à la résidence de ces derniers et vraisemblablement aux clés pour y donner accès, motifs donnés aux requérants par la compagnie d'assurances pour refuser de leur rembourser le coût de remplacement de la porte principale.
Les règles de droit applicables:
[14] Le présent litige porte essentiellement sur la responsabilité civile des parents pour des fautes commises par leurs enfants lesquelles causent un préjudice à autrui.
[15] Les parents ont des obligations envers leurs enfants mineurs. Le législateur a d’ailleurs prévu qu’à certaines conditions, ils peuvent être tenus responsables des actes fautifs commis par ces derniers. Le Code civil édicte en effet :
Art.192. Outre les droits et devoirs liés à l'autorité parentale, les père et mère, s'ils sont majeurs ou émancipés, sont de plein droit tuteurs de leur enfant mineur, afin d'assurer sa représentation dans l'exercice de ses droits civils et d'administrer son patrimoine.
Art.597. L'enfant, à tout âge, doit respect à ses père et mère.
Art.598. L'enfant reste sous l'autorité de ses père et mère jusqu'à sa majorité ou son émancipation.
Art.599. Les père et mère ont, à l'égard de leur enfant, le droit et le devoir de garde, de surveillance et d'éducation.
Ils doivent nourrir et entretenir leur enfant.
Art.1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.
Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.
Art.1459. Le titulaire de l'autorité parentale est tenu de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute du mineur à l'égard de qui il exerce cette autorité, à moins de prouver qu'il n'a lui-même commis aucune faute dans la garde, la surveillance ou l'éduca-tion du mineur […].
[Le soulignement est du Tribunal.]
[16] Le premier alinéa de l'article 1459 établit le fondement de la responsabilité de l'autorité parentale, une présomption de faute en faveur des victimes y est rattachée pour le préjudice causé par les fautes et par le fait de l'enfant doté de raison.
[17] Les parents poursuivis en responsabilité peuvent toutefois repousser cette présomption et en conséquence, être exemptés s'ils prouvent qu'ils n'ont eux-mêmes commis aucune faute dans la garde, la surveillance ou l'éducation de leur enfant mineur.
[18] Il est difficile de dégager, écrivent les auteurs Baudouin et Deslauriers, une impression générale sur le degré de force de cette présomption étant donné les très nombreux facteurs qui entrent en ligne de compte dans l'appréciation que doit faire le Tribunal des faits de chaque cause. Aussi ajoutent-ils:
"[…] l'âge avancé du mineur, la non-participation des parents à l'acte dommageable, leur absence des lieux sont des facteurs qui contribuent à leur permettre de repousser la présomption. À l'opposé, leur tolérance de l'utilisation d'un objet dangereux, leur connaissance des «mauvais penchants» de l'enfant, le mauvais exemple donné, une faute spécifique de leur part, motivent en général une plus grande sévérité des tribunaux."[1]
[19] Au regard de la notion de surveillance adéquate, ces mêmes auteurs rappellent qu'elle est ambiguë et cette ambiguïté se reflète dans l'appréciation qu'en font les tribunaux:
"La surveillance, tout d'abord, peut signifier un contrôle direct, immédiat des parents sur l'enfant, ce qui implique donc une présence physique de ceux-ci lorsque l'enfant cause le préjudice. La surveillance, ensuite, peut recouvrir une notion plus générale et s'attacher au système même de garde et de contrôle que les parents ont sur leur enfant. On l'évalue alors en fonction des permissions, des libertés, des initiatives laissées au mineur par les parents. C'est une combinaison de ces deux idées que retient la jurisprudence de façon générale. Il y a surveillance adéquate, permettant aux parents d'échapper à leur responsa-bilité, lorsqu'il est prouvé que le système sous lequel fonctionne la famille est adéquat d'une part, et d'autre part qu'il y a eu exercice correct de ce contrôle, dans les circonstances particu-lières à l'espèce."[2]
[20] La bonne éducation nécessite de son côté l'examen de la conduite éloignée des parents et repose sur un ensemble de facteurs ou de circonstances. Le juge saisi d'un litige en responsabilité civile contre des parents se doit de scruter l'ensemble de la relation familiale et doit ensuite porter un jugement de valeur sur la qualité de cette dernière. Le plus souvent, la preuve de bonne éducation sert au renforcement de la défense d'une surveillance adéquate.
[21] En somme, les parents recherchés en responsabilité civile ne peuvent s’exo-nérer par la simple preuve de l'absence de négligence! Ils doivent, au contraire, faire la preuve qu'ils sont présents dans la vie de leur enfant et qu'ils participent activement et continuellement à leur éducation et leur surveillance en leur donnant les bons exemples et en prenant à leur égard les mesures appropriées lorsque nécessaire.[3]
[22] Les tribunaux ont à quelques reprises rappeler qu'il n'est pas question d’exiger des titulaires de l'autorité parentale d'être en présence de leurs enfants mineurs vingt-quatre heures par jour et sept jours par semaine et leur reprocher de ne pas avoir pris des mesures plus sévères pour éviter que leur enfant ne commette le fait domma-geable, un délit qui était essentiellement imprévisible et que leur comportement antérieur ne laissait pas présager.[4]
[23] Comme l'a justement exprimé la Cour d'appel sous la plume de l’honorable André Forget dans l'arrêt Gaudet c. Lagacé[5], le Tribunal doit apprécier la preuve offerte "dans un contexte moderne, on ne peut exiger des parents une surveillance de tous les instants". De même la preuve de bonne éducation repose en grande partie sur des généralités et qu'encore là, il n'existe pas de recette établie et infaillible!
La décision:
[24] Il est manifeste que les enfants intimés ont commis une faute qui a par ailleurs causé un préjudice aux requérants. Dans leur témoignage à la Cour, Kim Vaillancourt et Lydianne Joly Bolduc reconnaissent sans ambages être les auteurs du vol dans la résidence des requérants. C'est à leur honneur et certes, un bon pas dans la bonne direction!
[25]
Dans un tel contexte, l'article
[26] En regard des parents intimés et pour les raisons ci-après mentionnées, le Tribunal n'a aucune hésitation à les exonérer pour la faute commise par leurs filles respectives.
[27] Le vol par effraction était un événement exceptionnel et imprévisible le 10 novembre 2001.
[28] Certes, les parents n'ignoraient pas les troubles de comportement de leurs filles tant à l'école qu'à la résidence, ce qui ne laissait pas présager qu’elles allaient commettre un délit criminel.
[29] Il est en preuve que les parents concernés ne sont pas restés inactifs bien que parfois impuissants devant les refus manifestes de leurs enfants de respecter leur autorité. Ils ont manifesté un réel souci et pris les moyens les plus efficaces dans les circonstances: modifications aux heures d'entrées et de sorties, l'octroi de "pénitences", notamment.
[30] Dans le cas de Kim, elle s'est d'ailleurs retrouvée dans un centre d'accueil avec l'accord des parents.
[31] Comme il a été souligné ci-dessus, les tribunaux refusent d'exiger des parents des mesures plus sévères pour éviter que les enfants ne commettent des délits que leurs comportements même turbulents ne laissaient jusqu'alors présager. Il est difficile pour des parents de prévoir l'imprévisible comme dans l'espèce: le vol par effraction des jeunes de 13 et 14 ans chez leur voisine!
[32] Dans les circonstances de la présente affaire, le Tribunal ne retient donc aucune responsabilité personnelle contre les parents intimés; c'est seulement en tant que tuteurs légaux à leurs enfants respectifs qu'ils seront tenus responsables. Dans ce dernier cas, c'est seulement à même le patrimoine des enfants mineurs que les requérants pourront être compensés des dommages subis.[6]
[33] Les requérants réclament la somme de 1 386.35$[7] qui se détaille comme suit:
· Franchise 300.00$
· Pénalité-assurance (coût de 70.00$ par année pendant cinq années) 350.00$
· Monnaie de collection 485.35$
· Réparation et remplacement de portes 250.00$
[34]
Le Tribunal est satisfait de la preuve offerte des dommages
lesquels sont une suite immédiate et directe de la faute des enfants intimés
(art.
[35] La réparation du préjudice est solidaire et doit être partagée à part égale entre elles; étant entendu par ailleurs qu'aucune condamnation ne peut être prononcée contre Jolianne Fournier, vu l'arrangement intervenu entre les parties.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL
Condamne
les intimés Lucien Vaillancourt et
Sylvie Krompt, en leur qualité de tuteurs à leur fille Kim Vaillancourt
à payer aux requérants, Caroline Forté et Denis Bélanger, la somme de 461.78$
et au tiers des frais, soit 25.00$, en plus l'intérêt légal au taux de 5% l'an
et l'indemnité additionnelle prévue à l'article
Condamne les intimés, Bernard Bolduc et Chantal Joly,
en leur qualité de tuteur à leur fille Lydiane Joly Bolduc, à payer aux
requérants, Caroline Forté et Denis Bélanger, la somme de 461.78$ et au tiers
des frais, soit 25.00$ en plus l'intérêt légal au taux de 5% l'an et
l'indemnité additionnelle prévue à l'article
REJETTE en conséquence la réclamation à titre personnel contre les intimés Lucien Vaillancourt, Sylvie Krompt, Bernard Bolduc et Chantal Joly.
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__________________________________ Pierre E. Audet, Juge à la Cour du Québec
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Date d’audience : |
11 novembre 2002 |
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[1]
J.L. Baudouin et P. Deslauriers,
[2] Id, pp. 388 389, no.591.
[3] Vincent Karim, Les obligations, volume 2, articles 1371 à 1496, Wilson Lafleur, 2002, p. 575.
[4] Tremblay
c. Fiore
[5]
[6] Le droit qui
résulte d'un jugement se prescrit par dix s'il n'est pas exercé (article
[7] Il est à noter que le total donne 1 385.35$ et non 1 386.35$ comme l'énonce la requête.