JV 0540 |
2017 QCTP 66 |
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TRIBUNAL DES PROFESSIONS |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-07-000902-159 |
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DATE : |
3 août 2017 |
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CORAM : |
LES HONORABLES |
JULIE VEILLEUX, J.C.Q. ROBERT MARCHI, J.C.Q. PATRICK THÉROUX, J.C.Q. |
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CLAIRE BÉDARD, en qualité de syndique adjointe de l'Ordre professionnel de la physiothérapie du Québec |
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APPELANTE - Plaignante |
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c. |
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PAULO OLIVEIRA |
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INTIMÉ - Intimé |
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-et- |
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MARIE-FRANCE SALVAS, en qualité de secrétaire du Conseil de discipline de l'Ordre professionnel de la physiothérapie du Québec |
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MISE EN CAUSE |
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JUGEMENT |
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CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 173 DU CODE DES PROFESSIONS[1], LE TRIBUNAL PRONONCE UNE ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION ET DE NON-DIFFUSION DU NOM DES PATIENTS ET UNE ORDONNANCE DE MISE SOUS SCELLÉS DES DOSSIERS MÉDICAUX, DE MÊME QUE DE NON-DIVULGATION, NON-PUBLICATION ET NON-DIFFUSION DU NOM DE LA CLINIQUE VISÉE DANS LA PLAINTE.
LE TRIBUNAL PRONONCE ÉGALEMENT UNE ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION ET DE NON-DIFFUSION DES NOMS DES PATIENTS APPARAISSANT AU TABLEAU RÉCAPITULATIF DÉPOSÉ PAR LE PROCUREUR DE L'APPELANTE À L'AUDIENCE.
[1] La syndique adjointe de l'Ordre professionnel de la physiothérapie du Québec (la syndique) se pourvoit à l'encontre des décisions rendues sur culpabilité[2] et sur sanction[3] par le Conseil de discipline de son Ordre (le Conseil) à l'égard de la plainte déposée contre le physiothérapeute Paulo Oliveira (l'intimé).
[2] L'appel comporte deux volets. Il vise, d'une part, à faire infirmer les conclusions d'acquittement prononcées pour quatre chefs de la plainte (chefs 2, 3, 4 et 13) et, d'autre part, à faire infirmer les sanctions quant à trois autres chefs (chefs 6, 7 et 8) pour lesquels l'intimé a plaidé coupable.
[3] La syndique plaide que le Conseil a commis plusieurs erreurs de droit et de faits, plus particulièrement en concluant qu'elle ne s'était pas acquittée de son fardeau de preuve vu son omission de présenter une preuve d'expert dans le cadre d'accusations reprochant à l'intimé d'avoir posé des gestes abusifs à caractère sexuel à l'occasion de ses traitements.
[4] Elle plaide aussi que le Conseil a erré en acquittant l'intimé d'un chef d'entrave à son travail.
[5] Finalement, la syndique considère que le Conseil a erré en imposant une radiation temporaire, sans condamnation à une amende, pour des infractions visant des gestes abusifs à caractère sexuel, contrairement à l'article 156, alinéa 2, du Code des professions (C. Prof.).
[6] À l'époque concernée, l'intimé œuvre comme physiothérapeute dans une clinique d'évaluation et de réadaptation desservant principalement une clientèle de personnes accidentées du travail ou de la route.
[7] Quatre de ses clientes, embarrassées par l'insistance et la manière dont il leur prodigue des massages fessiers, formulent des demandes d'enquête auprès de la syndique.
[8] Celle-ci, à l'issue de son enquête, dépose une plainte comportant 14 chefs d'infraction. Elle demande aussi la radiation provisoire de l'intimé. La radiation provisoire est ordonnée par le Conseil le 3 juillet 2014.
[9] Sept chefs sont visés par le présent appel.
[10] Sauf pour l'identification de la cliente et de la période concernée, les trois chefs sont libellés de la même façon :
Entre le ou vers le (…) et le ou vers le (…), à Montréal, district de
Montréal, l’intimé a commis un acte dérogatoire à l’honneur et à la dignité de
la profession en abusant de sa cliente (…) pendant la durée de sa relation
professionnelle, en posant des gestes abusifs à caractère sexuel sur celle-ci
dans les locaux de la Clinique….., le tout contrairement à l’article 39 du Code de déontologie des physiothérapeutes et
thérapeutes en réadaptation physique du Québec (R.R.Q, c. C-26, r. 136.01) et à l’article
[11] Dans chaque cas, l'intimé doit répondre d'avoir commis des actes dérogatoires à la dignité de sa profession en posant, pendant la durée de sa relation professionnelle, des gestes abusifs à caractère sexuel sur sa cliente, dans les locaux de la clinique. Les gestes reprochés se sont produits lors des traitements, plus particulièrement à l'occasion de massages fessiers.
[12] Les articles 59.1 du C. Prof. et 39 du Code de déontologie des physiothérapeutes et thérapeutes en réadaptation physique du Québec[4] (Code de déontologie) stipulent ceci :
59.1
Constitue un acte dérogatoire à la dignité de sa profession le fait pour un professionnel, pendant la durée de la relation professionnelle qui s’établit avec la personne à qui il fournit des services, d’abuser de cette relation pour avoir avec elle des relations sexuelles, de poser des gestes abusifs à caractère sexuel ou de tenir des propos abusifs à caractère sexuel.
39.
Pendant la durée de la relation professionnelle, le membre ne peut établir de liens intimes, amoureux ou sexuels avec le client.
La durée de la relation professionnelle s’établit en tenant compte, notamment, de la vulnérabilité du client, de son problème de santé, de la durée des traitements et de la probabilité d’avoir à redonner des traitements à ce client.
[13] Devant le Conseil, les trois clientes ont décrit les façons de faire de l'intimé et témoigné des malaises qu'elles ont ressentis en lien avec son comportement fortement empreint, selon elles, de connotation sexuelle.
[14] L'intimé a témoigné pour décrire la technique utilisée et pour affirmer qu'elle était médicalement indiquée dans chacun des cas.
[15] Le Conseil conclut que la syndique ne s'est pas acquittée de son fardeau de preuve puisqu'elle n'a pas présenté de preuve d'expert pour attester de la norme professionnelle et des règles de l'art propres aux massages fessiers en physiothérapie.
[16] Faute d'une telle preuve, il retient les explications avancées par l'intimé et prononce son acquittement au motif que ses massages étaient médicalement indiqués pour chacune des clientes.
[17] L'appel soulève les questions suivantes :
17.1. Le Conseil a-t-il erré en statuant qu'une preuve d'expert était nécessaire pour établir la norme de pratique et la règle de l'art prévalant dans le domaine de la physiothérapie pour les massages fessiers et pour démontrer l'existence d'un écart fautif dans le comportement de l'intimé?
17.2. Dans l'affirmative, le Conseil a-t-il erré en acquittant l'intimé au motif que ses traitements ne comportaient aucun geste abusif à caractère sexuel?
[18] Ce chef reproche à l'intimé d'avoir entravé le travail de la syndique et tenté de la tromper, « notamment » en lui fournissant un numéro de téléphone cellulaire qui n'était pas le sien. Il est libellé ainsi :
Chef 13
Le ou vers le 15 mai 2014, l’intimé a entravé le
travail de la syndique adjointe, et a tenté de la tromper par de fausses
déclarations, notamment en lui fournissant un numéro de cellulaire qui n’était
pas le sien, le tout contrairement à l’article 2 du Code de déontologie des physiothérapeutes et
thérapeutes en réadaptation physique du Québec (R.R.Q, c. C-26, r. 136.01)
et aux articles
[19] Les articles 59.2 et 114 C. Prof. stipulent ceci :
59.2
Nul professionnel ne peut poser un acte dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de sa profession ou à la discipline des membres de l’ordre, ni exercer une profession, un métier, une industrie, un commerce, une charge ou une fonction qui est incompatible avec l’honneur, la dignité ou l’exercice de sa profession.
114.
Il est interdit d’entraver de quelque façon que ce soit un membre du comité, la personne responsable de l’inspection professionnelle nommée conformément à l’article 90, un inspecteur ou un expert, dans l’exercice des fonctions qui lui sont conférées par le présent code, de le tromper par des réticences ou par de fausses déclarations, de refuser de lui fournir un renseignement ou document relatif à une inspection tenue en vertu du présent code ou de refuser de lui laisser prendre copie d’un tel document.
De plus, il est interdit au professionnel d’inciter une personne détenant des renseignements le concernant à ne pas collaborer avec une personne mentionnée au premier alinéa ou, malgré une demande à cet effet, de ne pas autoriser cette personne à divulguer des renseignements le concernant.
[20] Le Conseil retient les explications de l'intimé selon lesquelles la nervosité et la confusion l'ont amené à donner un mauvais numéro en réponse aux questions de la syndique dans le cours de son enquête. Il prononce son acquittement.
[21] La syndique considère que cette conclusion repose sur l'application erronée des principes jurisprudentiels reconnus en matière d'entrave. De plus, elle plaide que le Conseil aurait dû trouver l'intimé coupable parce qu'il lui a aussi menti sur sa relation avec sa cliente S.B.
[22] L'appel soulève les questions suivantes :
22.1. Le Conseil a-t-il erré en acquittant l'intimé au motif d'erreur de bonne foi dans la communication de son numéro de téléphone cellulaire?
22.2. Le Conseil a-t-il erré en omettant de statuer sur le fait que l'intimé aurait menti à la syndique sur sa relation avec sa cliente S.B.?
[23] L'intimé a plaidé coupable aux chefs 6, 7 et 8 tels que formulés.
Chef 6
Entre le ou vers le
1er mai 2014 et le ou vers le 13 mai 2014, l’intimé a commis un acte
dérogatoire à l’honneur et à la dignité de la profession en tenant des propos
abusifs à caractère sexuel avec sa cliente S.B. lors de diverses sessions de
messagerie texte, le tout contrairement à l’article 39 du Code de
déontologie des physiothérapeutes et thérapeutes en réadaptation physique du
Québec (R.R.Q, c. C-26, r. 136.01) et aux articles
Chef 7
Entre le
ou vers le 1er mai 2014 et le ou vers le 13 mai 2014,
l’intimé a commis un acte dérogatoire à l’honneur et à la dignité de la
profession en faisant parvenir par messagerie texte des photos de son pénis à
sa cliente S.B., le tout contrairement à l’article 39 du Code de déontologie des
physiothérapeutes et thérapeutes en réadaptation physique du Québec (R.R.Q,
c. C-26, r. 136.01) et aux articles
Chef 8
Entre le ou vers le 1er mai 2014 et le ou vers le 13 mai 2014,
l’intimé a commis un acte dérogatoire à l’honneur et à la dignité de la
profession en faisant parvenir par messagerie texte une vidéo de lui en train
de se masturber à sa cliente S.B., le tout contrairement à l’article 39 du Code de déontologie des
physiothérapeutes et thérapeutes en réadaptation physique du Québec (R.R.Q,
c. C-26, r. 136.01) et aux articles
[24] Dans sa décision sur culpabilité, le Conseil le déclare coupable, sans toutefois identifier la disposition législative ou réglementaire à laquelle il rattache la culpabilité.
[25] Dans sa décision ultérieure, lors du prononcé des sanctions, le Conseil ordonne la suspension conditionnelle des procédures en regard de deux des trois dispositions de rattachement alléguées. C'est par cet exercice éliminatoire qu'il détermine, sans l'identifier explicitement, la disposition de rattachement sur laquelle il sanctionne l'intimé et ce, après avoir arrêté son choix de sanction, soit une radiation temporaire concurrente de 12 mois sur chaque chef.
[26] L'appel soulève les questions suivantes :
26.1. Le Conseil a-t-il erré en identifiant, à l'étape de la sanction, la disposition de rattachement sur laquelle il fonde la sanction prononcée?
26.2. Si oui, le Conseil a-t-il erré en ordonnant la suspension conditionnelle des procédures en regard de l'article 59.1 C. Prof.?
· LA PREUVE D'EXPERT (chefs 2, 3 et 4)
[27] Après avoir résumé les enjeux du dossier, reproduit les dispositions législatives et réglementaires étayant les chefs de la plainte et avoir énoncé en vrac un ensemble de règles de droit généralement applicables au processus disciplinaire, le Conseil identifie la question dont il est saisi[5] :
[58] Bref, le Conseil doit analyser la preuve, tant la preuve documentaire que testimoniale, sous deux volets, soit en fonction de savoir si celle-ci établit de manière prépondérante que l’intimé a posé des gestes abusifs à caractère sexuel sur les trois patientes et enfin, pour savoir s’il y a eu une entrave à la syndique adjointe de la part de l’intimé, le 15 mai 2014.
[28] Cette façon d'énoncer la question en litige devant le Conseil est adéquate. Elle expose la démarche qu'il doit suivre pour en arriver à déterminer si, selon la prépondérance de la preuve, les gestes posés par l'intimé sont, ou non, des gestes abusifs à caractère sexuel.
[29] Le Conseil a-t-il erré dans la conduite de son analyse?
[30] Notons, d'entrée de jeu, que l'utilité thérapeutique des massages n'est pas remise en question.
[31] En effet, le Conseil mentionne que « La syndique estime que les inscriptions au dossier servent à le justifier dans le massage des fesses. »[6] et que « La syndique adjointe déclare elle-même que le physiothérapeute peut faire des massages aux fesses pour diminuer les tensions. »[7].
[32] Or, bien qu'il soit acquis au litige que l'application de massages fessiers constitue un traitement indiqué à l'état des trois clientes, le Conseil conclut à l'acquittement de l'intimé parce que la syndique ne lui a pas présenté la preuve établissant que les massages n'étaient pas médicalement indiqués. Il écrit ceci[8] :
[137] Le Conseil ne peut conclure que le comportement de l’intimé est dérogatoire, car il n’a pas été mis en preuve les règles de l’art en physiothérapie qui régissent un tel massage fessier et s’il est médicalement indiqué.
[…]
[158] Le Conseil note qu’aucune preuve n’est à l’effet que les massages au niveau fessier étaient une pratique non médicalement indiquée.
[159] Pas plus que les règles de l’art de ce traitement n’ont été portées à la connaissance du Conseil.
[160] Le Conseil juge que la plaignante ne s’est pas acquittée de son fardeau; il ne suffit pas que sa théorie soit probablement plus plausible que celle du professionnel.
[33] L'erreur est manifeste; le Conseil acquitte l'intimé d'une infraction qui ne lui est pas reprochée. Ce n'est pas le fait d'avoir procédé à un traitement non médicalement indiqué qui constitue le fondement de l'infraction, mais bien plutôt la manière (par des gestes abusifs à caractère sexuel) dont le traitement, par ailleurs médicalement indiqué, a été appliqué.
[34] De toute évidence, dans l'élaboration de son analyse, le Conseil dévie substantiellement de la question propre au litige et en arrive à la transformer, sinon à la remplacer.
[35] Ainsi, il amorce son analyse en se mettant à la recherche de la norme professionnelle devant guider son appréciation des caractères abusif et sexuel pouvant être attribués aux gestes posés par l'intimé sur ses clientes. Il s'exprime ainsi[9] :
[122] Le Conseil ignore la norme qui doit guider le professionnel dans pareille situation soit celle du traitement et de sa nécessité en regard du massage fessier.
[123] Le Conseil, suivant la preuve, n’a que la version de l’intimé concernant la qualité et la nécessité du traitement, de plus il s’avère que les trois patientes appréciaient le coté bénéfique de ce traitement.
[124] Le Conseil doit, pour en arriver à la conclusion recherchée par la plaignante, à savoir que les gestes sont abusifs et ont un caractère sexuel, connaître la norme du traitement du piriforme à tout le moins.
[125] Le Conseil doit après avoir pris connaissance de la norme, analyser les gestes de l’intimé afin de les qualifiés d’abusifs, s’il y a lieu, et enfin la dernière étape, il doit constater le caractère sexuel.
[126] Le Conseil précise que par sa définition même, le mot abusif signifie un geste qui excède une norme et dans notre cas, cela signifie une norme établie professionnellement en physiothérapie.
[127] Ces gestes pourraient être abusifs sans être sexuels, comme ils pourraient être abusifs dans un cadre sexuel.
[…]
[132] Le Conseil note que l’intimé a suivi son cours au Brésil. Qu’elle est la norme qu’il a apprise là-bas, mais surtout qu’elle est la norme ici au Québec?
[…]
[135] Le Conseil n’a aucune définition ou de description de cette technique de massage et des règles de l’art qui la régissent, autre que celle décrite par l’intimé.
[136] Le Conseil souligne qu’il n’a aucune information concernant les crèmes en regard de leur utilisation. Est-ce une question de ne pas tacher le vêtement, ce qui serait une des raisons du mouvement vers le bas du pantalon et encore là, le Conseil ne connaît pas la procédure usuelle en de tels cas.
[137] Le Conseil ne peut conclure que le comportement de l’intimé est dérogatoire, car il n’a pas été mis en preuve les règles de l’art en physiothérapie qui régissent un tel massage fessier et s’il est médicalement indiqué.
(Reproduction exacte)
[36] Le Tribunal est d'avis que le Conseil s'est mal dirigé en faits et en droit. Son erreur, que l'on peut qualifier de mixte, entache son processus décisionnel en ce qu'elle l'amène à formuler et à appliquer une règle étrangère à l'appréciation des faits prouvés.
[37] En effet, le Conseil tranche la question de la culpabilité sur la foi de l'approche voulant qu'en cas d'infraction de portée générale ou d'atteinte à des normes de pratique et en l'absence de disposition décrivant spécifiquement le comportement prohibé, le poursuivant doit démontrer (habituellement par une preuve d'expert) la norme de comportement déontologiquement acceptable, de même que l'écart fautif du professionnel cité[10].
[38] À ce sujet, il conclut ceci[11] :
[150] Le fardeau du syndic est de démontrer la norme applicable au moment de l’acte, le comportement fautif du professionnel, et que l’écart entre les deux est si grand qu’il constitue une faute déontologique et non une erreur.
[151] Sa conduite doit être blâmable et hors norme pour qu’il y ait faute déontologique; il ne suffit pas de prétendre que l’intimé aurait dû prendre telle voie plutôt que telle autre dans l’exécution de son mandat.
[152] Les membres, avec leurs connaissances, jouissent d’une situation privilégiée en raison de leurs connaissances, d’où une analyse plus facile de la portée des faits mis en preuve.
[153] Le Conseil indique que le fardeau de preuve du plaignant implique que chacun des éléments essentiels des infractions doit être établi de façon transparente.
(Références omises)
[39] Or, dans la présente affaire, puisque que la pertinence des traitements, tout comme le fait qu'ils étaient médicalement indiqués, sont admis d'emblée, le test de l'écart fautif à une norme professionnelle prouvée ne s'applique pas.
[40] Le Conseil devait plutôt répondre à la question factuelle qu'il avait initialement formulée : la preuve établit-elle de façon prépondérante que l'intimé a posé des gestes abusifs à caractère sexuel sur ses trois clientes?
[41] Soulignons que ceci n'exclut pas qu'il puisse survenir des circonstances où une preuve d'expert soit requise pour établir la norme de comportement déontologiquement acceptable, de même que la transgression de cette norme. Il n'existe pas de règle absolue en cette matière; chaque cas présentant ses propres particularités.
[42] En s'appuyant sur le jugement de notre tribunal dans l'affaire Lambert[12], l'intimé plaide que la nature abusive d'un geste à caractère sexuel relève exclusivement de l'absence de justification thérapeutique. Selon lui, le Conseil était fondé de l'acquitter parce qu'il ne disposait d'aucune preuve d'expert démontrant que ses massages fessiers n'étaient pas médicalement requis. De son point de vue, un geste qui revêt un caractère sexuel ne peut pas être qualifié d'abusif s'il est médicalement indiqué.
[43] Le Tribunal ne peut adhérer à cette proposition.
[44] Dans l'affaire Lambert, il s'agissait de l'appel formé par un infirmier à l'encontre d'une décision l'ayant déclaré coupable d'avoir tenu des propos et posé des gestes abusifs à caractère sexuel, de même que d'avoir eu des relations sexuelles avec une patiente.
[45] Amené à traiter de la notion d'abus, le Tribunal des professions, dans cette affaire, énonce ceci :
L'appelant expose que même s'il a eu des relations sexuelles avec la patiente, et qu'il lui a donné un baiser, il n'y a aucune preuve que ces actes ont été abusifs.
Manifestement c'est à la façon dont l'acte a été commis que l'appelant rattache le qualificatif d'abus. L'intimé pour sa part le rattache à l'acte lui-même.
L'infirmier qui dans l'exercice de ses fonctions est amené à poser des actes qui peuvent être sexuels (différents traitements requis) ne commet pas un acte abusif. Tout acte, par contre non médicalement indiqué, s'il est à caractère sexuel, de même que tout propos semblable non requis médicalement est abusif.
Il faut rappeler le contexte. Il s'agit d'un article du Code des professions qui régit l'exercice, en l'espèce de la profession d'infirmier. C'est dans ce contexte que l'interprétation doit se faire.
Le Tribunal croit qu'est abusif tout propos ou tout geste à caractère sexuel qui n'est pas médicalement indiqué. Le reste peut être affaire de degré et constituera, s'il y a lieu, un facteur aggravant lorsqu'il s'agira d'évaluer la sanction.
Le Tribunal conclut donc:
[…]
- Le 3 novembre 1994 existait une relation professionnelle entre l'appelant et madame … et le geste posé, eu égard aux circonstances révélées par la preuve constituait un geste abusif à caractère sexuel.
- Lors des relations sexuelles entre l'appelant et madame … les 10 et 16 novembre 1994, la relation professionnelle existait toujours et l'appelant a abusé de cette relation pour avoir avec elle des relations sexuelles.
[46] Il est exact que le tribunal mentionne qu'un propos ou un geste à caractère sexuel est abusif s'il n'est pas médicalement indiqué. Il précise cependant que l'abus se rattache à la relation professionnelle. C'est parce qu'il a abusé de sa relation professionnelle que l'infirmier Lambert est déclaré coupable.
[47] L'argument avancé par l'intimé est réducteur. Il n'existe pas de règle univoque voulant qu'un geste à caractère sexuel n'est abusif que s'il n'est pas médicalement indiqué.
[48] L'abus dont traite l'article 59.1 C. Prof. est un abus de la relation professionnelle. C'est, « […] le fait pour un professionnel, […] d'abuser de cette relation […] » qui constitue un acte dérogatoire à la dignité de sa profession.
[49] L'enjeu concernant le caractère requis ou indiqué d'un traitement est propre à l'exercice des professions de la santé. Dans un contexte thérapeutique, la proximité physique et l'atteinte à l'intimité corporelle sont des situations courantes.
[50] On peut concevoir qu'en certaines circonstances le fait de poser un geste à caractère sexuel en appliquant à un patient un traitement non requis ou non indiqué par son état peut constituer un abus de la relation professionnelle. À l'inverse, ceci n'exclut pas qu'un geste à caractère sexuel, posé dans l'application d'un traitement requis par l'état du patient puisse aussi constituer un abus de la relation professionnelle.
[51] C'est précisément cette deuxième occurrence qui se présente ici puisque l'utilité thérapeutique des traitements n'est pas questionnée. Le Conseil se méprend donc lorsqu'il statue que la syndique ne s'est pas acquittée de son fardeau de preuve en omettant de présenter une preuve d'expert établissant la norme de pratique applicable aux massages afin d'établir qu'ils n'étaient pas médicalement requis.
[52] Il lui appartenait plutôt d'analyser la preuve factuelle et de déterminer si les gestes, tels que posés par l'intimé, constituaient ou non un abus de sa relation professionnelle avec ses clientes.
[53] Cette erreur domine le raisonnement du Conseil puisqu'elle induit à elle seule sa conclusion d'acquittement.
[54] Paradoxalement, tout en déplorant que l'absence de preuve sur la norme de pratique et les règles de l'art l'empêche d'évaluer le caractère abusif des gestes reprochés à l'intimé, le Conseil acquitte celui-ci en retenant exclusivement ses explications d'ordre technique basées uniquement sur ses seules affirmations et sa propre description de la façon dont il applique ses méthodes[13].
[156] Le Conseil estime que la preuve soumise par l’intimé constitue une défense recevable et sa compréhension de la réalité des faits ne relève pas d’une gymnastique intellectuelle.
[157] Suivant ses dires (tant lors de son témoignage que dans les échanges textes), il agissait en professionnel de la physiothérapie lors de l’application de ces massages.
[…]
[162] Le Conseil ne peut conclure que l’intimé est un voyeur maladif qui a une curiosité malsaine lors de l’application des traitements; aucune preuve n’a été présentée à cet effet, et des milliers de soupçons ne constituent pas une preuve.
[163] Le Conseil estime que tant les articles spécifiques du Code de déontologie que l’article général du Code des professions ne trouvent aucunement application dans les circonstances dévoilées par la présente preuve.
[164] Le Conseil estime que la preuve ne révèle pas un manquement professionnel qui transgresse une règle d’éthique en matière de physiothérapie.
[55] La déficience du raisonnement est patente. Le Tribunal considère être en présence d'une erreur manifeste et dominante l'autorisant à intervenir[14].
· LA CULPABILITÉ (chefs 2, 3 et 4)
Dans l'affirmative, le Conseil a-t-il erré en acquittant l'intimé au motif que ses traitements ne comportaient aucun geste abusif à caractère sexuel?
[56] Ayant répondu positivement à la question précédente, le Tribunal se doit de réviser l'analyse de la preuve en excluant de la discussion la détermination erronée voulant que la syndique ne se soit pas acquittée de son fardeau de preuve vu son omission de présenter une preuve d'expert sur la norme professionnelle et les règles de l'art.
[57] Il faut donc revenir à la façon dont le Conseil a initialement exprimé la question qu'il lui fallait trancher[15] : la preuve établit-elle, de façon prépondérante, que l'intimé a posé des gestes abusifs à caractère sexuel sur ses trois patientes?
[58] Soulignons, de prime abord, que le Conseil se méprend sur la nature même du concept de prépondérance de la preuve. Il écrit ceci[16] :
[160] Le Conseil juge que la plaignante ne s’est pas acquittée de son fardeau; il ne suffit pas que sa théorie soit probablement plus plausible que celle du professionnel.
[161] Le Conseil précise que la preuve offerte par la plaignante doit comporter un tel degré de conviction que le Conseil la retient et écarte celle de l'intimé parce que non digne de foi, ce qui n’est pas la conclusion à laquelle souscrit le Conseil.
[59] En droit, ces propos sont erronés. Il est bien établi que la norme de preuve applicable en matière disciplinaire est celle de la prépondérance et qu'il n'existe pas de fardeau intermédiaire entre la preuve prépondérante et la preuve hors de tout doute raisonnable, peu importe le sérieux de l'affaire[17].
[60] En se mettant à la recherche du « haut degré de conviction » que doit revêtir la preuve de la poursuite au point de rendre la preuve de la défense « non digne de foi », le Conseil applique erronément la norme de la prépondérance. Il impose un fardeau intermédiaire.
[61] Cette erreur de droit doit être rectifiée puisqu'elle constitue une fausse prémisse et a pour effet d'entacher la rationalité du processus d'analyse ayant mené à prononcer l'acquittement. Le Tribunal doit donc analyser la preuve selon la règle de la prépondérance.
[62] D'abord, la décision résume le témoignage de la syndique[18]. Celle-ci fait état de ses rencontres avec les clientes et avec l'intimé. Le Conseil retient que les clientes sont de belles jeunes femmes. Elles étaient troublées par le comportement de l'intimé. L'une d'elles ne comprenait pas pourquoi il la massait aux fesses pour un malaise au cou et à l'épaule. Elle sentait ses parties intimes exposées et cela la rendait mal à l'aise. C'est l'intimé qui détachait son soutien-gorge et baissait sa culotte. Une autre lui a parlé de son inconfort en lien avec les massages de l'intimé qui baissait ses vêtements aux genoux et à la fin les lui enlevait complètement.
[63] Ensuite, le Conseil résume les témoignages des trois clientes[19]. Les extraits suivants sont pertinents.
[64] L.S.J., âgée de 29 ans, est accidentée du travail, traitée pour une entorse lombaire. Le Conseil retient ceci :
· L.S.J. :
[…]
Plus les traitements avançaient, plus la zone massée descendait : bas du dos, fesses, cuisses. Environ les ¾ du temps, le massage se concentrait sur les fesses.
L’intimé, à chaque traitement, descendait de plus en plus le jogging et ses sous-vêtements : début des fesses, puis au bas des fesses, et jusqu’aux genoux pour finalement être retirés par l’intimé. Il détachait lui-même sa brassière. Au début, elle pensait que c’était pour éviter de tacher ses vêtements avec l’huile de massage.
Elle parle à sa sœur de son malaise et celle-ci lui conseille de porter des pom pom shorts (petit short) au lieu de ses tongs. Elle s’achète aussi deux maillots de bain portés sur ses sous-vêtements, mais tout est descendu ou enlevé par l’intimé. Elle décide alors d’enlever elle-même ses vêtements plutôt que ce soit l’intimé qui le fasse.
Elle n’a jamais été à l’aise avec le massage mais était trop gênée pour le manifester à l’intimé. De plus, il était un professionnel. Elle craignait aussi que la CSST arrête son indemnisation si elle refusait les massages.
Elle a reçu dix massages au total, du dos jusqu’aux fesses que l’intimé massait, écartait, jouait à les monter et les descendre. Elle devenait tendue lorsqu’il écartait ses jambes, il lui disait de se détendre; les seules paroles échangées durant le massage. Elle était sur ses gardes lorsque que les mains de l’intimé entraient à l’intérieur de ses jambes, quasiment jusqu’aux parties génitales, craignant qu’il aille plus loin. Outre son mari, personne ne l’avait vue aussi nue.
[…]
Salle de traitement : lumière tamisée, musique d’un type qu’elle ne peut identifier.
Elle a parlé du massage des fesses à sa sœur qui lui a dit que ce n’était pas normal. Une indiscrétion de celle-ci met son mari au courant de la situation. Elle regrette de ne pas l’en avoir informé plus tôt car il aurait pu l’aider à les faire cesser, à en parler à quelqu’un de haut placé. Elle en a parlé aussi à l’ergothérapeute seulement après l’appel de Mme Bédard de l’Ordre.
Les massages effectués à la clinique précédente étaient plus rapides, elle gardait son pantalon et était couverte d’une serviette. On lui a aussi massé les fesses et les jambes mais ce n’était pas comparable à ce que l’intimé lui faisait.
[…]
Elle se décrit comme timide, gênée, parlant peu. Elle témoigne pour éviter que cette situation arrive à quelqu’un d’autre.
[…]
[65] S.L., âgée de 23 ans, est accidentée de la route, traitée pour une entorse lombaire. Le Conseil retient ceci :
· S.L. :
[…]
Au début, l’intimé lui traitait le cou et l’épaule, elle portait son soutien-gorge, une jaquette, son pantalon. Il baissait son soutien-gorge, enlevait les bretelles, les détachait.
Il l’a informé de tensions dans le bas du dos et massait plus bas. Puis, il a indiqué que les tensions devenaient plus importantes et plus basses dans le dos.
Vers le 5e traitement, à sa demande, elle accepte d’enlever son pantalon. Il masse ses fesses, ses cuisses, ses pieds. Elle n’est pas à l’aise d’être massée aux fesses car c’est un endroit privé. En réponse à ses questions, l’intimé lui dit que ces tensions sont reliées à l’épaule et l’omoplate. Elle se dit qu’en tant que professionnel, il sait ce qu’il fait; techniquement c’est une personne de confiance.
La salle de traitement est fermée, la lumière tamisée, la musique douce. L’ambiance adéquate pour se détendre mais peut-être pas vraiment pour un milieu professionnel.
Le massage était adéquat bien que parfois certaines manœuvres ressemblaient plus à du flattage, plus sensuel.
Il passait 50% du temps à faire des massages sur les fesses.
Elle le trouvait gentil, charismatique, un peu charmeur. Aucun geste brusque. Aucune conversation déplacée, peut-être un commentaire sur un pantalon serré, mais ne précise pas le contexte.
Les derniers contacts en avril sont par échange de textos initiés par l’intimé l’informant qu’elle a laissé un rapport médical à la clinique. Il se dit prêt à l’attendre en fin de journée pour le lui remettre et lui faire un massage vite, un traitement vite. Il lui demande une ou deux fois si elle a encore besoin de traitements. Elle met fin à l’échange en n’y répondant plus.
Elle se demande si c’est normal qu’il texte ses patientes et où il a obtenu son numéro de téléphone.
Elle préfère ne pas interpréter ce que signifie un massage vite, un traitement vite car elle avait déjà un sentiment de malaise.
Elle a pu récupérer une copie du rapport autrement.
Elle a partagé son malaise avec sa famille, ses collègues de travail qui lui ont dit que la situation n’était pas normale.
Elle ne connaît aucune des personnes contactées par Mme Bédard de l’Ordre.
Lors de l’appel de Mme Bédard, celle-ci a commencé par lui demander si elle avait eu des traitements en physio, où, avec qui, comment ça se passait avant de parler des rumeurs concernant l’intimé. Cet appel ne l’a pas surpris; il confirme la réalité de son malaise, elle n’était pas folle.
[…]
[66] S.B., âgée de 34 ans, est accidentée de la route, traitée pour les suites d'une fracture au fémur et d'une entorse au genou. Elle est aussi suivie en psychothérapie pour un choc post-traumatique. Elle a développé un penchant affectif pour l'intimé. Le chef 2 vise la période antérieure à la relation sexuelle dont fait état le chef 1. Le Conseil retient ceci :
· S.B. :
[…]
Le deuxième traitement, il est descendu plus bas à mi-fesses, puis le troisième, vraiment en-dessous de la fesse pour masser les fesses. Il les écartait ou collait ses parties intimes sur son corps et poussait de l’autre côté. À son avis, ce n’était pas très thérapeutique, elle avait l’impression qu’il voulait sentir son corps.
La lumière était tamisée et la musique sensuelle. Le massage était comme des caresses (trop doux pour être un massage), parfois plus fort et se terminait lentement.
C’est M. Oliveira qui descendait son pantalon et sa culotte graduellement, au fil des traitements : au début des fesses, à la mi-fesse, sous la fesse, puis jusqu’aux genoux. Il remontait son chandail, touchait à peine le dos et massait tout de suite les fesses.
Il n’a traité sa cheville qu’une seule fois pendant les sept séances, soit au sixième traitement. Tous les autres étaient pour le dos et surtout les fesses.
Les traitements duraient 30 minutes et le dernier une heure. Elle était couchée sur le dos, jambes allongées, il lui pliait la jambe et l’écartait vers l’extérieur ce qui exposait ses parties intimes. Elle était confuse et ne savait pas si ça faisait partie du traitement parce qu’elle n’avait pas de blessure aux fesses.
Elle a essayé d’en parler à quelques personnes de la clinique. D’abord, Diane, la massothérapeute, ensuite la kinésiologue en disant que M. Oliveira collait ses parties intimes sur sa tête, qu’il écartait ses fesses, nettoyait son corps et faisait des affaires qui n’avaient pas rapport. Elle lui a répondu qu’elle ne voyait rien d’anormal.
Au départ, il ne l’intéressait pas, mais avec toutes les attentions qu’il lui portait : lui donnait des traitements plus longs que les autres patients, lui disait toujours bonjour, l’aidait dans sa peinture qu’elle faisait à la clinique, mettait sa main sur sa taille, prenait sa jambe, elle croyait qu’il flirtait et a commencé à développer des sentiments pour lui autour de la quatrième semaine.
Elle croit qu’il essayait de la charmer : il parlait de lui, qu’il était un immigrant, qu’il s’ennuyait de son pays, la nourriture, la plage tout comme elle. De plus, il parlait sa langue maternelle, l’espagnol. Il était de plus en plus à l’aise de la masser et c’est là, qu’il a commencé à se rendre de la fesse aux genoux, et elle ne disait rien.
Au sixième traitement, il lui a demandé de porter une jaquette, c’est la seule journée où il a traité sa jambe. Il a massé beaucoup toute la cuisse jusqu’à très près du vagin, ensuite il l’a fait tourner sur le ventre et a massé ses fesses.
[…]
[67] Puis la décision résume les témoignages de l'intimé[20]. Âgé de 32 ans, il est d'origine brésilienne et a commencé à travailler au Québec en 2011. Il traite des patients de deuxième ligne, soit ceux qui ont déjà reçu des traitements et qui ont atteint un plateau thérapeutique. Le Conseil retient ceci[21] :
[…] Il utilise beaucoup les muscles de la région fessière, particulièrement le muscle piriforme et le moyen fessier (technique active release). Il explique la technique utilisée en relation avec le piriforme. Il touche la peau et utilise une crème analgésique et le patient est en jaquette. Le patient baisse son pantalon à la mi-fesse, cependant il lui arrive de le baisser plus bas pour atteindre le piriforme. Il prend la fesse du haut en bas, il part au centre et il va jusqu’au fémur. C’est un muscle qui fait la rotation externe de la jambe ; il tourne la jambe vers l’extérieur. Il le met en tension et il l’élonge ; il fait une rotation interne. Il plie le genou, la personne est alors couchée sur le ventre et il tourne sa jambe vers l’extérieur en faisant une rotation interne de la jambe. C’est une technique efficace pour augmenter la flexibilité du muscle et diminuer les tensions. Il a besoin de toucher la peau, d’où la crème analgésique.
Sa salle est située près du vestiaire, donc tout le monde passe devant sa porte. Il considère sa salle comme une salle de relaxation et les lumières peuvent être en intensité différente et il y a de la musique douce favorisant la relaxation.
Il explique en détails les traitements reçus par chacune des patientes.
Dans le cas de S.B., il lui a expliqué la raison pour laquelle il massait la région lombaire et fessière. […] En regard de l’écartement des jambes, c’est uniquement l’exercice de « l’active release ». […]
Dans le cas de S.L., il lui a fait 12 traitements et elle s’est grandement améliorée. Il l’a traité une seule fois dans la région des fesses avec sa technique qui diminue la tension musculaire dans le moyen fessier et de la région du piriforme. […] Il n’y a pas eu d’écartement des jambes. Concernant l’écartement des fesses, c’est une technique qu’il fait au niveau lombaire bas avec les deux mains, puis il va peser vers le coté. Ça n’écarte pas les fesses, mais ça donne la sensation comme si on tirait la peau du haut, puis ça peut donner la sensation que ça étire aussi la fesse et que ça les écarte. Il utilise cette technique qui diminue la tension musculaire dans le moyen fessier et dans le piriforme. […]
[…]
Dans le cas de L.S.J., même scénario pour la musique et les lumières. Madame L.S.J. souffrait d’une entorse lombaire et la douleur était concentrée dans la région lombaire. Il lui a fait sept traitements.
[…]
Le 30 avril, il lui appliqué la technique de l’active release. L’active release, c’est une technique qui peut causer des douleurs. Donc, il ne l’utilise pas à chaque traitement. Il a travaillé le piriforme (milieu de la fesse), parce qu’il a noté une tension dans cette région. Le 13 mai, quand il rentre dans la salle, elle est en jaquette et elle n’a pas de sous-vêtements ou de pantalon. Il l’a vu le 27 mai pour l’évaluation finale. Elle a reçu sept traitements. ́Il n’y a pas eu d’écartement de fesses, il donne la même explication qu’antérieurement.
[…]
(Reproduction exacte)
[68] La décision comporte des considérations judicieuses dont certaines méritent d'être soulignées[22] :
[83] Le Conseil estime qu’il y a une certaine similitude dans l’application du massage fessier, geste reproché à chacune des patientes.
[…]
[87] Le Conseil précise qu’il ne met aucunement en doute la crédibilité et la bonne foi des patientes qui ont témoigné devant le Conseil.
[88] De plus, le Conseil précise qu’il analysera la preuve testimoniale et documentaire suivant l’aspect qualitatif et non quantitatif par rapport aux témoignages des trois patientes.
[89] Le Conseil précise que son appréciation de la preuve du caractère sexuel découlera de l’appréciation de la perception d’une personne raisonnable en pareilles circonstances.
[…]
[111] Le Conseil ne peut pas s’interroger sur l’individualité des émotions et de la pensée des trois patientes pendant le traitement, sauf en ce qui regarde le malaise ou l’inconfort qui est commun aux trois patientes à différent degré.
[112] Le Conseil note que suivant la preuve, l’intimé avait une personnalité charismatique et qu’il était gentil pour ces patientes.
[113] Le Conseil remarque que les patientes, à différents niveaux, s’interrogeaient non pas de la nécessité du massage aux fesses, mais beaucoup plus sur la manière que l’intimé appliquait ce traitement et particulièrement, sur le fait que leurs vêtements étaient baissés et qu’elles étaient dénudées au niveau des fesses par le fait même.
[…]
[116] Le Conseil doit analyser des perceptions de femmes différentes dans une situation particulière, soit un massage des fesses lors d’un traitement en physiothérapie.
[117] Le Conseil indique qu’aucune patiente n’a fait part de cet inconfort à l’intimé ou même interrogé l’intimé sur sa motivation de ce genre de massage.
[118] Le Conseil ne considère pas cette remarque comme un reproche aux patientes au contraire, cela représente plutôt ce qu’est une relation d’autorité entre le professionnel et son patient.
[119] Le Conseil précise que l’intimé, quant à lui, a démontré comment il effectuait le traitement et que suivant celui-ci, il avait une utilité médicale.
[…]
[144] Le Comité le souligne à nouveau, les trois patientes sont des femmes tout à fait normales et saines d’esprit, qui ont témoigné sans démontrer de faiblesses quelconques.
[69] Malgré tout, le Conseil conclut à l'acquittement en retenant exclusivement les explications d'ordre technique avancées par l'intimé, soit la technique « active release » et le massage du muscle piriforme. Il considère que ses explications doivent prévaloir sur les perceptions de ses clientes. Il écrit ceci[23] :
[133] Le Conseil note que les patientes ont perçu une réalité commune à l’effet qu’elles étaient mal à l’aise dans cette situation. Cependant, si cela faisait partie d’un traitement médicalement reconnu et requis ainsi que la méthode d’application est respectée, il n’y a pas d’abus, encore moins d’abus sexuel.
[134] Le Conseil précise que ce sentiment d’inconfort est très relatif et vécu différemment par chacune des patientes. (lorsque l’on porte pour la 1ère fois une jaquette d’hôpital, on ressent un certain inconfort; l’analogie est peut-être éloignée, mais cette perception d’inconfort est différente dépendamment des personnes.)
[…]
[162] Le Conseil ne peut conclure que l’intimé est un voyeur maladif qui a une curiosité malsaine lors de l’application des traitements; aucune preuve n’a été présentée à cet effet, et des milliers de soupçons ne constituent pas une preuve.
[163] Le Conseil estime que tant les articles spécifiques du Code de déontologie que l’article général du Code des professions ne trouvent aucunement application dans les circonstances dévoilées par la présente preuve.
[164] Le Conseil estime que la preuve ne révèle pas un manquement professionnel qui transgresse une règle d’éthique en matière de physiothérapie.
[70] Remises en perspective sous l'angle de la prépondérance de la preuve, ces déterminations sont erronées pour plusieurs raisons.
[71] D'abord, la conduite reprochée à l'intimé est clairement énoncée aux chefs d'infraction. Il n'est pas cité parce qu'il « est un voyeur maladif qui a une curiosité malsaine lors de l'application des traitements », mais bien parce qu'il aurait abusé de sa relation professionnelle en posant des gestes à caractère sexuel sur ses clientes, dans le cadre de ses traitements.
[72] Poser un geste à caractère sexuel, tel que masser une partie intime du corps, ne constitue pas une conduite fautive pour un professionnel de la santé. D'ailleurs, en l'espèce, il est admis que les massages étaient médicalement indiqués.
[73] Par contre, l'intimé a-t-il abusé de sa relation professionnelle?
[74] Tel qu'indiqué à la décision, les trois clientes ont livré des témoignages fiables, crédibles et convergents. Il en ressort que l'intimé a installé sa relation professionnelle dans un contexte favorisant un excès de son ascendant sur ses clientes.
[75] Déshabillage immodéré, dénudement excessif, manipulations et contacts corporels inappropriés, malaises, inconforts, incompréhension, ambiguïté des mouvements ressemblant à des caresses ou à des gestes sensuels sont autant de récriminations communes aux trois clientes.
[76] Le Conseil ne pouvait ignorer cet aspect fondamental de la preuve, tout comme il ne pouvait banaliser le fait que l'intimé se livrait à ses traitements dans un environnement délibérément évocateur, à la lumière tamisée et avec de la musique suggestive.
[138] Le Conseil n’attache pas d’importance considérable aux éléments comme la luminosité et la musique. Il est reconnu que dans tous les spas qui offrent des services de relaxation, ceux-ci sont très présents, et il est reconnu aussi que ce n’est pas dans un cadre sexuel mais plutôt dans un cadre qui favorise la relaxation[24].
[77] Notons, à ce sujet, que les clientes n'étaient pas dans un spa pour recevoir des services de détente. Elles étaient plutôt dans une clinique de physiothérapie pour y recevoir des soins professionnels défrayés par les régimes publics favorisant la réadaptation des accidentés de la route et du travail. L'une d'elle mentionne qu'elle craignait que la C.S.S.T. arrête son indemnisation si elle refusait les massages.
[78] L'intimé a créé une atmosphère et a adopté un comportement professionnel que chacune des clientes a jugé douteux, au point de s'en confier à des tiers.
[79] Si elles ne lui en ont pas parlé ouvertement c'est précisément parce qu'elles étaient intimidées par son statut professionnel. Le Conseil, d'ailleurs, le reconnaît lorsqu'il écrit qu'une telle attitude « représente plutôt ce qu'est une relation d'autorité entre le professionnel et son patient. ».
[80] Les gestes reprochés à l'intimé sont, à n'en pas douter, à caractère sexuel. Ils constituent aussi un abus de sa relation professionnelle[25].
[81] En fait, le Conseil rejette les témoignages des clientes qui reposent, selon lui, sur des impressions. Il retient plutôt la version de l'intimé qui, « Suivant ses dires (tant lors de son témoignage que dans les échanges textes), il agissait en professionnel de la physiothérapie lors de l’application de ces massages. ».
[82] Le Conseil accrédite donc la thèse de l'intimé qui affirme avoir utilisé à bon escient la technique « active release ». Or, son témoignage à ce sujet est plutôt laconique, livré en termes généraux, dans sa partie introductive. Il est sujet à caution puisque l'intimé explique avoir sa propre version modifiée de la technique « active release ». Il l'applique de façon passive. Ceci semble avoir échappé au Conseil[26] :
[…] Un exemple, une technique que j'utilise beaucoup pour les muscles de la région fessière, le muscle piriforme et le moyen fessier, c'est la technique active release. C'est une technique que j'utilise d'une façon modifiée. Ce n'est pas actif, dans ce cas c'est plutôt passif, mais on met les muscles dans une position d'élongation, puis on masse les muscles en même temps.
[83] Interrogé sur les reproches formulés par ses clientes, il demeure plutôt vague, dit ne plus se souvenir des détails ou alors affirme ne pas savoir de quoi elles parlent.
[84] Le Conseil n'analyse pas cette partie de son témoignage, pas plus qu'il ne porte attention au contenu de certains de ses messages textes communiqués dans le cadre des échanges qu'il entretient avec S.B. « dans un contexte sexuel pour ne pas dire pornographique. »[27].
[85] Les propos de l'intimé concernent S.B., mais aussi les autres clientes[28]. Ils sont franchement scabreux et méprisants. Ces propos confirment l'intérêt marqué de l'intimé pour les effets que provoquent ses massages au plan sexuel.
[86] Le Tribunal conclut que la prépondérance de la preuve ne justifie pas la conclusion d'acquittement prononcée par le Conseil. Cette conclusion ne peut s'expliquer que par la conjonction des erreurs identifiées plus haut; elle doit être infirmée et l'intimé déclaré coupable.
[87] Les chefs de la plainte réfèrent aux dispositions des articles 59.1 C. Prof. et 39 du Code de déontologie. Les faits mis en preuve étayent la culpabilité de l'intimé sur l'une et l'autre disposition de rattachement.
[88] Le principe inhérent à l'application de la règle visant à empêcher les déclarations de culpabilité multiples veut qu'une ordonnance de suspension conditionnelle des procédures s'applique à l'égard de l'infraction disciplinaire la moins grave. Dans l'affaire Leclerc[29], notre tribunal s'exprime ainsi :
[46] En somme, la règle s'applique après la déclaration de culpabilité, et non pas, en matière disciplinaire, après la décision sur sanction. Une déclaration de culpabilité doit être rendue à l'égard de toutes les infractions et de toutes les dispositions législatives ou réglementaires auxquelles elles se rapportent. Par ailleurs, l'acquittement doit être prononcé, le cas échéant, même si la règle peut s'appliquer. Il faut se rappeler que la suspension conditionnelle des procédures n'est pas un acquittement, même s'il en a les effets juridiques une fois devenue permanente. Enfin, l'ordonnance de suspension conditionnelle des procédures s'applique à l'égard de l'infraction disciplinaire la moins grave.
(Référence omise)
[89] La gravité objective de l'infraction prévue à l'article 59.1 C. Prof. domine nettement celle de l'article 39 du Code de déontologie. Au-delà d'un simple interdit, elle s'adresse à un exercice indigne de la profession. Sa gravité est d'ailleurs renforcée par la loi elle-même qui prescrit, en cas de contravention, une sanction obligatoire sévère, soit une radiation temporaire et une amende[30].
[90] Conséquemment, l'intimé doit être sanctionné pour avoir enfreint l'article 59.1 C. Prof. La suspension conditionnelle des procédures est ordonnée à l'égard de l'article 39 du Code de déontologie.
· L'ENTRAVE (chef 13)
Le Conseil a-t-il erré en acquittant l'intimé au motif d'erreur de bonne foi dans la communication de son numéro de téléphone cellulaire?
[91] Lors de sa rencontre avec la syndique, l'intimé fournit un numéro de téléphone cellulaire erroné. Ce numéro est constitué des quatre derniers chiffres de son propre cellulaire et des trois premiers de celui de son épouse.
[92] Devant le Conseil, il explique avoir agi par inadvertance. Sa nervosité l'a amené à commettre une maladresse. Le Conseil le croit. Il juge ses explications suffisantes et l'acquitte.
[93] La syndique reproche au Conseil d'avoir conclu que l'intimé ne pouvait avoir entravé son travail parce qu'elle possédait déjà l'information exacte au moment où il lui a communiqué le numéro erroné.
[94] Elle plaide que l'infraction d'entrave au travail d'un syndic n'exige pas que celui-ci soit effectivement induit en erreur par un mensonge ou une tromperie[31].
[95] La décision montre que le Conseil connaît cette règle. Il écrit ceci[32] :
[74] Le Conseil juge que dans les faits l’intimé ne pouvait entraver le travail de la syndique adjointe car elle possédait l’information recherchée dans ses propres dossiers. (même si en droit disciplinaire ce raisonnement ne constitue pas une défense)
[96] La formulation des motifs est quelque peu maladroite mais, en y regardant de plus près, on constate que le Conseil n'acquitte pas l'intimé parce que la syndique possédait déjà l'information demandée, mais plutôt parce qu'il croit que celui-ci a commis une erreur de bonne foi. La véritable motivation de l'acquittement se trouve dans les passages suivants[33] :
[69] Le Conseil doit se demander s’il a voulu tromper ou mentir sciemment à la syndique adjointe, tel que défini dans les paragraphes ci-haut citées, en donnant un numéro de téléphone de cellulaire inexacte avec des numéros correspondant à son propre cellulaire et d’autres correspondant à celui de sa conjointe.
[70] Le Conseil juge que l’intimé devait effectivement se trouver dans une situation d’inquiétude, pour ne pas dire, de panique.
[…]
[77] Le Conseil estime que l’explication fournie par l’intimé est recevable dans les circonstances présentées par la preuve.
[78] Le Conseil juge que l’intimé voyait son monde s’écrouler cette journée-là, et dans pareilles circonstances, la possibilité d’erreur est vraisemblable. De plus, avoir menti sciemment aurait été, à toutes fins utiles, futile.
[79] Le Conseil précise que la possibilité que l’intimé ait eu l’intention de leurrer la syndique adjointe est une éventualité, mais il considère comme plus vraisemblable qu’il s’agit plutôt d’une maladresse due à l’affolement à ce moment précis de sa rencontre avec la syndique adjointe.
[80] Le Conseil est très conscient que ce n’est pas en raison de la futilité de l’erreur, mais bien en raison du fait de l’explication vraisemblable.
[81] Le Conseil estime que l’explication de l’intimé est vraisemblable et recevable comme moyen de défense dans les circonstances.
(Reproduction exacte)
[97] Comme il s'agit ici d'une pure question d'appréciation de la preuve et, surtout, de la crédibilité du témoignage de l'intimé, le Tribunal doit s'abstenir d'intervenir[34] en l'absence de démonstration d'une erreur manifeste et dominante. Ce moyen ne peut être retenu.
Le Conseil a-t-il erré en omettant de statuer sur le fait que l'intimé aurait menti à la syndique sur sa relation avec sa cliente S.B.?
[98] La syndique reproche au Conseil d'avoir omis de déclarer l'intimé coupable d'entrave parce qu'il lui a menti sur sa relation avec sa cliente S.B.
[99] Selon elle, le Conseil a erré en retenant que l'entrave reprochée porte uniquement sur la communication d'un faux numéro de téléphone. Elle soutient avoir établi la preuve démontrant que l'intimé lui a menti sur sa relation avec S.B.
[100] De son point de vue, l'utilisation du mot « notamment » dans la rédaction du chef de plainte obligeait le Conseil à considérer davantage de circonstances que la seule question du numéro de cellulaire erroné.
[101] Le Tribunal note que le chef 13 n'a pas été modifié ni autrement précisé avant que l'affaire ne soit mise en délibéré par le Conseil.
[102] Tel que rédigé, il est imprécis et nettement insuffisant s'il vise une déclaration de culpabilité pour d'autres circonstances que la fourniture d'un faux numéro de cellulaire. À l'inverse de la prétention de la syndique, il appert que l'adverbe « notamment » introduit plutôt la confusion, l'incertitude.
[103] Un professionnel cité en discipline doit être en mesure de connaître les faits et les circonstances qui lui sont reprochés. En corollaire, le poursuivant ne peut s'autoriser de l'énoncé incomplet d'un chef de plainte pour rechercher une déclaration de culpabilité fondée sur d'autres faits ou d'autres circonstances que ceux qu'il a initialement annoncés.
[104] En l'espèce, le Conseil n'avait pas à se prononcer sur la culpabilité de l'intimé en regard d'un éventuel mensonge sur sa relation avec S.B. Son omission ne constitue pas une erreur révisable en appel. Ce moyen ne peut être retenu.
· LES SANCTIONS (chefs 6, 7 et 8)
Le Conseil a-t-il erré en identifiant, à l'étape de la sanction, la disposition de rattachement sur laquelle il fonde la sanction prononcée?
[105] Lors de l'audition sur culpabilité du 14 août 2014[35], l'intimé plaide coupable aux chefs 6, 7 et 8 tels que formulés. Le Conseil le déclare coupable, séance tenante[36], sans indiquer la disposition de rattachement sur laquelle il fonde la culpabilité, ni celle pour laquelle une suspension conditionnelle des procédures est ordonnée.
[106] Le dispositif de sa décision sur culpabilité du 1er décembre 2014 n'est pas plus explicite; il porte indistinctement sur les trois dispositions de rattachement, sans ordonnance de suspension conditionnelle des procédures[37].
[165] DECLARE l’intimé coupable des chefs 1, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12 et 14 de la plainte du 30 mai 2014.
[107] C'est au moment de l'imposition des sanctions, par sa décision du 5 mai 2015[38], que le Conseil identifie l'infraction sur laquelle il fonde la culpabilité de l'intimé.
[108] Les conclusions sont articulées ainsi :
[63] RADIE l’intimé sur le chef 6 de la plainte pour une période temporaire de 12 mois à compter de la signification de la présente décision.
[64] ORDONNE la
suspension conditionnelle des procédures en regard des articles
[65] RADIE l’intimé sur le chef 7 de la plainte pour une période temporaire de 12 mois à compter de la signification de la présente décision.
[66] ORDONNE la
suspension conditionnelle des procédures en regard des articles
[67] RADIE l’intimé sur le chef 8 de la plainte pour une période temporaire de 12 mois à compter de la signification de la présente décision.
[68] ORDONNE la
suspension conditionnelle des procédures en regard des articles
[…]
[75] Les périodes de radiation temporaire devant être purgées concurremment.
[109] On comprend, par déduction, que le Conseil sanctionne l'intimé pour avoir enfreint l'article 39 du Code de déontologie.
[110] Devant le Conseil, la syndique soutenait que l'intimé devait être sanctionné sous l'article 59.1 C. Prof. Elle suggérait l'imposition d'une radiation temporaire d'un an, assortie d'une amende de 1 000 $[39]. Quant à lui, l'intimé suggérait une radiation temporaire de trois mois, sans amende[40].
[111] Il est pour le moins singulier que les débats tenus dans le cadre des représentations sur sanction portent sur le choix de la disposition de rattachement devant être retenue pour étayer la culpabilité déjà déclarée.
[112] À cette étape, les parties doivent être en mesure de savoir précisément quelle infraction déontologique a été commise, quelle disposition a été enfreinte. Il en va de la pertinence des représentations soumises et de la justesse de la sanction retenue[41]. La détermination de la disposition enfreinte ne doit donc pas être tributaire de la sanction retenue. C'est la sanction qui découle de la culpabilité, pas l'inverse.
[113] En l'espèce, le Conseil inverse le processus. Il arrête d'abord la sanction pour identifier ensuite la disposition étayant la culpabilité. Il ne s'agit pas là d'une simple inversion de l'ordre des deux séquences de la démarche procédurale, mais bien d'une inversion du processus décisionnel en lui-même.
[114] Le Conseil motive son choix de sanction en ces termes[42] :
[52] En ce concerne les chefs 6, 7 et 8, le Conseil note qu’il s’agit uniquement de la même relation avec madame S.B. entre le 1er mai et le 13 mai 2014.
[53] Le Conseil souligne que les gestes et propos constituent des infractions graves et il considère que la radiation est nécessaire. Cependant, il ne croit pas nécessaire d’y ajouter une amende, ce qui servirait indûment à pénaliser l’intimé.
(Reproduction exacte)
(Mise en relief ajoutée)
[115] Sa position est clairement affirmée; il ne veut pas condamner l'intimé à une amende. Or, pour arriver à cet objectif, il ne peut faire reposer la sanction sur l'article 59.1 puisque la loi l'obligerait à imposer une amende. Le texte du deuxième alinéa de l'article 156 C. Prof. est impératif :
156.
[…]
Le conseil de discipline impose au professionnel déclaré coupable d’avoir posé un acte dérogatoire visé à l’article 59.1, au moins la radiation temporaire et une amende conformément aux paragraphes b et c du premier alinéa. Il impose au professionnel déclaré coupable de s’être approprié sans droit des sommes d’argent et autres valeurs qu’il détient pour le compte de tout client ou déclaré coupable d’avoir utilisé des sommes d’argent et autres valeurs à des fins autres que celles pour lesquelles elles lui avaient été remises dans l’exercice de sa profession, au moins la radiation temporaire conformément au paragraphe b du premier alinéa.
[…]
(Mise en relief ajoutée)
[116] Ceci a donc orienté le Conseil à devoir choisir, rétrospectivement, une disposition de rattachement moins contraignante lui permettant de prononcer la sanction choisie, soit une radiation temporaire sans amende.
[117] Il s'avère que l'inversion du processus a ici pour effet d'ajuster le choix de la disposition de rattachement au choix de la sanction. Il en résulte une erreur de droit qui, contrairement à ce que plaide l'intimé, n'est pas immatérielle. Elle a un effet déterminant sur la sanction prononcée; le Tribunal doit intervenir.
[…], le Conseil a-t-il erré en ordonnant la suspension conditionnelle des procédures en regard de l'article 59.1 C. Prof.?
[118] Dans le cours de ses échanges par messagerie texte avec son téléphone cellulaire l'intimé a communiqué à sa cliente S.B. des paroles et des images franchement indécentes. Ceci s'est produit pendant la durée de la relation professionnelle et est clairement en lien avec l'attitude impudique adoptée par l'intimé pour prodiguer ses soins.
[119] Parler crûment et de façon vicieuse de ses services professionnels à une cliente, tout en insérant dans la conversation des photographies et une vidéo d'une indécence explicite, équivaut sans contredit à tenir des propos abusifs à caractère sexuel au sens où l'entend l'article 59.1 C. Prof.
[120] La gravité objective de cette infraction est évidente et, pour l'appuyer, la loi prévoit une sanction d'une sévérité accrue, soit la radiation et l'amende.
[121] Bien que les faits prouvés peuvent aussi soutenir une déclaration de culpabilité sous l'article 39 du Code de déontologie, le Tribunal considère qu'en appliquant correctement la règle de droit, le Conseil n'avait d'autre alternative que de sanctionner l'intimé pour une contravention à l'article 59.1 C. Prof. Dès lors, une sanction comportant une période de radiation temporaire et une amende s'impose.
[122] L'arrêt conditionnel des procédures doit donc être ordonné en regard de l'article 39 du Code de déontologie. Il doit aussi l'être en regard de l'article 59.2 C. Prof., considérant que l'infraction édictée par l'article 59.1 C. Prof. constitue, par définition, une atteinte à la dignité de la profession.
[123] Le Tribunal conclut que l'intimé doit être reconnu coupable des infractions reprochées sous les chefs 2, 3 et 4 pour avoir enfreint les dispositions des articles 59.1 C. Prof. et 39 du Code de déontologie. La suspension conditionnelle des procédures doit être ordonnée en regard de l'article 39 du Code de déontologie.
[124] Il doit aussi être reconnu coupable des infractions reprochées sous les chefs 6, 7 et 8 pour avoir enfreint les dispositions des articles 59.1 et 59.2 C. Prof., de même que 39 du Code de déontologie. La suspension conditionnelle des procédures doit être ordonnée en regard des articles 39 du Code de déontologie et 59.2 C. Prof.
[125] Quant aux sanctions, la situation est particulière puisqu'aucune sanction n'a été imposée pour les chefs 2, 3 et 4 et que celles imposées pour les chefs 6, 7 et 8 doivent être rectifiées pour tenir compte de l'article 156 C. Prof. De nouvelles sanctions doivent donc être imposées.
[126] Par sa requête en appel, la syndique demande au Tribunal de retourner le dossier au Conseil ou, subsidiairement, d'imposer lui-même les sanctions.
[127] En regard des chefs 2, 3 et 4, le troisième alinéa de l'article 175 C. Prof. permet au Tribunal d'imposer lui-même la sanction découlant d'une déclaration de culpabilité en appel alors que le Conseil avait prononcé un acquittement. Le Tribunal peut également retourner le dossier au Conseil pour que celui-ci impose la sanction.
[128] Quant aux chefs 6, 7 et 8, le premier alinéa de l'article 175 C. Prof. permet au Tribunal de substituer à une sanction prononcée par le Conseil la sanction qui, à son jugement, aurait dû être rendue.
[129] Récemment, dans une affaire présentant des circonstances pour le moins singulières, la Cour d'appel du Québec[43] mentionnait que le retour du dossier devant un conseil de discipline est une mesure qui est envisageable en présence de circonstances exceptionnelles.
[130] Comme rien de tout ceci n'a été discuté lors de l'audition de l'appel, le Tribunal considère qu'il y a lieu de convoquer les parties à une audition afin de recueillir leurs observations sur l'opportunité de retourner le dossier au Conseil ou de prononcer lui-même les sanctions et, le cas échéant, sur les observations sur sanction.
POUR CES MOTIFS, le Tribunal :
ACCUEILLE partiellement l'appel;
INFIRME la décision sur culpabilité rendue par le Conseil de discipline de l'Ordre professionnel de la physiothérapie du Québec le 1er décembre 2014, en ce qui a trait aux conclusions relatives aux chefs 2, 3 et 4;
DÉCLARE l'intimé coupable des chefs 2, 3 et 4 pour avoir
agi à l'encontre de l'article
ORDONNE l'arrêt
conditionnel des procédures en regard de l'article
INFIRME la décision sur culpabilité rendue par le Conseil de discipline de l'Ordre professionnel de la physiothérapie du Québec le 1er décembre 2014, en ce qui a trait aux conclusions relatives aux chefs 6, 7 et 8;
DÉCLARE l'intimé
coupable des chefs 6, 7 et 8 pour avoir agi à l'encontre des dispositions des
articles
ORDONNE l'arrêt
conditionnel des procédures en regard des articles
INFIRME la décision sur sanction rendue par le Conseil de discipline de l'Ordre professionnel de la physiothérapie du Québec le 5 mai 2015 en ce qui a trait aux conclusions concernant les chefs 6, 7 et 8;
DÉFÈRE le dossier au Président du Tribunal des professions afin que soit fixée une date à laquelle les parties seront entendues relativement à l'application de l'article 175 C. Prof. en vue de l'imposition des sanctions découlant du présent jugement;
CONDAMNE l'intimé au paiement des déboursés.
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__________________________________ JULIE VEILLEUX, J.C.Q.
__________________________________ ROBERT MARCHI, J.C.Q.
__________________________________ PATRICK THÉROUX, J.C.Q. |
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Me Leslie Azer |
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Boisvert, de Niverville & associés |
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Pour l’APPELANTE - Plaignante |
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Me Pascal A. Pelletier |
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Pelletier & Cie avocats inc. |
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Pour l’INTIMÉ - Intimé |
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Me Marie-France Salvas, en qualité de secrétaire du Conseil de discipline de l'Ordre professionnel de la physiothérapie du Québec MISE EN CAUSE
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Date d'audition :
C.D. No : |
23 mars 2017
31-14-017 Décision sur culpabilité rendue le 1er décembre 2014 Décision sur sanction rendue le 5 mai 2015 |
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[1] RLRQ, c. C-26.
[2] D.C., vol. 1, p. 88.
[3] Id., p. 130.
[4] Code de déontologie des physiothérapeutes et thérapeutes en réadaptation physique du Québec, R.R.Q, c. C-26, r. 136.01. Remplacé par le Code de déontologie des physiothérapeutes et thérapeutes en réadaptation physique, RLRQ, c. C-26, r. 197.
[5] Précité, note 2, p. 103.
[6] Id., paragr. 59.
[7] Id., p. 122, paragr. 141.
[8] Id., p. 124-125.
[9] Id., p. 121-122.
[10]
Mongrain c. Infirmières,
[11] Précité, note 2, p. 123.
[12]
Lambert c. Fortin,
[13] Précité, note 2, p. 124-125.
[14]
Parizeau c. Barreau du Québec,
[15] Précité, note 2, paragr. 58 (reproduit au paragr. 27 ci-haut).
[16] Id., p. 125.
[17]
Bisson c. Lapointe,
[18] Précité, note 2, paragr. 59.
[19] Id., paragr. 90.
[20] Id., paragr. 92.
[21] Id., paragr. 92.
[22] Id., p. 106 à 122.
[23] Id., p. 122 à 125.
[24] Id.
[25]
Laprise c. Optométristes,
[26] Précité, note 2, vol. 3, p.457, lignes 1 à 9.
[27] Id., vol. 1, paragr. 106.
[28] M.A., p. 52 et suiv., pièce P-3.
[29]
Notaires (Ordre professionnel des) c. Leclerc,
[30] Article 156, al. 2, C. Prof.
[31]
Syndic de l'Ordre des administrateurs agréés du Québec c. L'Écuyer,
[32] Précité, note 2, p. 106.
[33] Id., p. 105-106.
[34]
Housen c. Nikolaisen,
[35] Précité, note 2, p. 151.
[36] Id.
[37] Id., p. 125.
[38] Id., p. 130.
[39] Id., vol. 4, p. 716.
[40] Id., p. 762.
[41] Notaires (Ordre professionnel des) c. Leclerc, précitée, note 29.
[42] Précité, note 2, p. 143.
[43]
Landry c. Guimont,
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