COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8, [2012] 1 R.C.S. 265 |
Date : 20120228 Dossier : 33554 |
Entre :
Jean-Marc Richard
Appelant
et
Time Inc. et Time Consumer Marketing Inc.
Intimées
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Cromwell
Motifs de jugement conjoints : (par. 1 à 217) |
Les juges LeBel et Cromwell (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Deschamps, Fish, Abella et Charron) |
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Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8, [2012] 1 R.C.S. 265
Jean-Marc Richard Appelant
c.
Time Inc. et Time Consumer Marketing Inc. Intimées
Répertorié : Richard c. Time Inc.
2012 CSC 8
No du greffe : 33554.
2011 : 18 janvier; 2012 : 28 février.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Cromwell.
en appel de la cour d’appel du québec
Protection du consommateur — Pratiques de commerce interdites — Représentations fausses ou trompeuses — Cour d’appel concluant que des représentations faites par un commerçant n’étaient pas de nature à tromper un consommateur « moyennement intelligent, moyennement sceptique et moyennement curieux » — Quel est le critère à adopter pour déterminer si l’impression générale donnée par une représentation constitue une pratique interdite? — Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., ch. P-40.1, art. 218, 219, 228, 238c).
Protection
du consommateur — Pratiques de commerce interdites — Recours — Conditions
d’ouverture — À quelles conditions l’art.
Protection
du consommateur — Pratiques de commerce interdites — Recours — Demande de
dommages-intérêts compensatoires et punitifs faite par un consommateur en
vertu de l’art.
R a reçu par courrier un « Avis officiel du concours Sweepstakes » (le « Document ») sous forme de lettre signée, apparemment, par la directrice du programme et bordée d’encadrés imprimés en couleurs dont certains, en raison de leurs références au magazine Time, permettent à son destinataire de déduire qu’elle émane de T et TCM. Le Document, en langue anglaise seulement, combine plusieurs phrases écrites en majuscules et caractères gras rédigées sous forme exclamative, dont l’objectif est de capter l’attention du lecteur en lui suggérant qu’il est le gagnant d’un prix en argent de 833 337 $US, à des phrases imprimées en plus petits caractères rédigées sous forme conditionnelle, dont plusieurs débutent par les mots « Si vous détenez le coupon de participation gagnant du Gros Lot et le retournez à temps ». Au verso, la lettre indique d’ailleurs que R sera admissible à un prix additionnel de 100 000 $ s’il valide son inscription à l’intérieur d’un délai de cinq jours. L’envoi postal contenait aussi un coupon-réponse ainsi qu’une enveloppe de retour sur laquelle les règles officielles du concours étaient imprimées en petits caractères. Le coupon-réponse offrait également à R la possibilité de s’abonner au magazine Time. Par ailleurs, les règles indiquaient qu’un numéro gagnant avait été présélectionné par ordinateur et que son détenteur ne pourrait toucher le gros lot que s’il retournait le coupon-réponse dans le délai fixé. Les règles indiquaient que, dans l’éventualité où le détenteur du numéro gagnant présélectionné ne retournerait pas le coupon-réponse, le gros lot serait tiré aléatoirement parmi toutes les personnes ayant retourné le coupon-réponse et que chaque participant aurait alors une chance de gagner sur 120 millions. Convaincu qu’il était sur le point de toucher la somme promise, R a aussitôt retourné le coupon-réponse se trouvant à l’intérieur de l’enveloppe. Ce faisant, il s’est abonné au magazine Time. Peu après, R a commencé à recevoir les numéros du magazine à intervalles réguliers, mais le chèque espéré se faisait attendre. Il a contacté T et TCM, qui l’ont informé qu’il ne recevrait aucun chèque puisque le Document ne portait pas le numéro gagnant du tirage et ne constituait qu’une simple invitation à participer à un concours. Elles l’ont également informé que la directrice du programme qui avait signé la lettre n’existait pas; il s’agissait plutôt d’un « nom de plume ».
R
a déposé une requête introductive d’instance demandant à la Cour supérieure du
Québec de le déclarer gagnant du prix en argent mentionné dans le Document et
de condamner T et TCM à des dommages-intérêts compensatoires et punitifs
correspondant à la valeur du gros lot. La Cour supérieure a accueilli le
recours en partie. Elle a jugé que le Document contrevenait aux prescriptions
du titre II de la
Loi sur la protection du consommateur (« L.p.c.
») portant sur les pratiques interdites de commerce et donnait ouverture aux
sanctions civiles prévues à l’art.
La Cour d’appel a
accueilli l’appel de T et TCM et conclu qu’elles n’avaient pas violé la L.p.c.
D’abord, T et TCM n’avaient pas violé l’art.
Arrêt : Le pourvoi est accueilli en partie.
La
juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et
Cromwell : La méthode d’analyse choisie par la Cour d’appel pour
déterminer l’impression générale donnée par la publicité de T et TCM ne
respectait pas le critère retenu par le législateur. L’article
En
l’espèce, le consommateur moyen, après une première lecture du Document, aurait
eu l’impression générale que R détenait le numéro gagnant et qu’il lui
suffisait de retourner le coupon-réponse pour que la procédure de
réclamation puisse s’enclencher. Le curieux assemblage d’affirmations et de
restrictions que contient le Document n’est pas suffisamment clair et
intelligible pour dissiper l’impression laissée par ses phrases prédominantes. Même
si le Document ne contient pas nécessairement d’énoncés qui sont littéralement
faux, il reste qu’il est truffé de représentations trompeuses au sens de l’art.
Un
consommateur peut, sous réserve des autres recours prévus par la loi, intenter
une poursuite en vertu de l’art.
La
présomption de dol établie par l’art.
Pour
avoir accès aux mesures de réparation contractuelles prévues à l’art.
Le
recours en dommages-intérêts prévu à l’art.
En l’espèce, R s’est déchargé de son fardeau de prouver l’existence d’un lien rationnel entre les pratiques interdites commises par T et TCM et le contrat d’abonnement l’unissant à ces dernières. R s’est abonné au magazine Time après avoir lu la documentation que T et TCM lui ont fait parvenir, et la juge de première instance a conclu qu’il ne se serait pas abonné s’il n’avait pas lu la documentation trompeuse. En conséquence, le Document est réputé avoir eu un effet dolosif sur la décision de R de s’abonner au magazine Time. Le comportement reproché à T et TCM constitue une faute civile entraînant leur responsabilité extracontractuelle.
Aucune raison ne justifie de réviser les conclusions de la juge de première instance selon lesquelles la faute de T et TCM a causé à R des dommages moraux évalués à 1 000 $. T et TCM n’ont pas démontré que la juge avait erré dans son appréciation de la preuve ou dans l’application des principes juridiques, à l’égard tant de leur responsabilité que du quantum des dommages.
Le
consommateur qui invoque l’art.
En l’espèce, une condamnation à des dommages-intérêts punitifs se justifiait. Toutefois, il y a lieu de réviser le montant de 100 000 $ retenu par la juge de première instance. Bien qu’elle ne se soit pas trompée en concluant que T et TCM avaient distribué un grand nombre d’envois postaux sur le territoire québécois à de nombreux consommateurs et que l’organisation de ces concours publicitaires leur permettait de vendre un grand nombre de nouveaux abonnements, la juge a commis une erreur en considérant, dans son évaluation du quantum approprié des dommages-intérêts punitifs, la Charte de la langue française ainsi que la situation patrimoniale de T et TCM. En l’espèce, T et TCM avaient commis une violation intentionnelle et calculée de la L.p.c. qui pouvait affecter un grand nombre de consommateurs, et rien dans la preuve n’indique que T et TCM ont pris des mesures correctives après la plainte de R afin de rendre leurs publicités claires ou conformes à la lettre et à l’esprit de la L.p.c. Cela constitue un facteur aggravant. Par contre, l’impact de la faute commise par T et TCM sur R demeure assez limité, même s’il n’est pas négligeable, et l’attitude de celui-ci n’est pas étrangère aux dimensions que ce litige a fini par prendre. Cependant, le caractère minime de la condamnation à des dommages-intérêts compensatoires milite en faveur de l’octroi d’un montant non négligeable de dommages-intérêts punitifs. Un montant de 15 000 $ suffit dans les circonstances pour assurer la fonction préventive des dommages-intérêts punitifs, souligne la gravité des violations de la loi et sanctionne la conduite de T et TCM de manière assez sérieuse pour les inviter à abandonner les pratiques interdites qu’elles ont utilisées, si ce n’est pas déjà fait.
Les dépens seront taxés devant la Cour supérieure et la Cour d’appel du Québec conformément aux tarifs applicables devant ces tribunaux. Toutefois, des dépens sur la base avocat-client sont accordés à R devant la Cour suprême du Canada, en raison de l’importance des questions de droit qu’il a soulevées.
Jurisprudence
Distinction
d’avec les arrêts : Hill c. Église de scientologie de Toronto,
Lois et règlements cités
Charte de la langue française, L.R.Q., ch. C-11.
Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12, art. 49 .
Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 1386, 1387, 1388, 1401, 1407, 1412, 1621, 1899, 1902, 1968.
Loi de la protection du consommateur, L.Q. 1971, ch. 74.
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, L.R.C. 1985, ch. C-23, art. 52 (4).
Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, L.R.Q., ch. A-2.1, art. 167.
Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34, art. 52 (4).
Loi sur la protection des arbres, L.R.Q., ch. P-37, art. 1 .
Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., ch. P-40.1, art. 1e), 2, 6.1, titre I, 8, 9, 54.1, titre II, 216, 217, 218, 219, 220 à 251, 228, 238, 253, titre IV, 261, 262, 271, 272, 277, 290, 310, 314, 316.
Loi sur les arrangements préalables de services funéraires et de sépulture, L.R.Q., ch. A-23.001, art. 56.
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13.
Loi sur les produits pétroliers, L.R.Q., ch. P-30.01, art. 67.
Doctrine et autres documents cités
Baudouin, Jean-Louis. « Rapport général », dans Travaux de l’Association Henri Capitant des amis de la culture juridique française, t. 24, La protection des consommateurs. Paris : Dalloz, 1975, 3.
Baudouin, Jean-Louis, et Patrice Deslauriers. La responsabilité civile, 7e éd., vol. I, Principes généraux. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 2007.
Baudouin, Jean-Louis, et Pierre-Gabriel Jobin. Les obligations, 6e éd. par Pierre-Gabriel Jobin avec la collaboration de Nathalie Vézina. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 2005.
Belobaba, Edward P. « Unfair Trade Practices Legislation : Symbolism and Substance in Consumer Protection » (1977), 15 Osgoode Hall L.J. 327.
Couture, Luc-André. « Rapport sur la protection du consommateur au niveau fédéral en droit pénal canadien », dans Travaux de l’Association Henri Capitant des amis de la culture juridique française, t. 24, La protection des consommateurs. Paris : Dalloz, 1975, 303.
Dallaire, Claude. « La gestion d’une réclamation en dommages exemplaires : éléments essentiels à connaître quant à la nature et l’objectif de cette réparation, les éléments de procédure et de preuve incontournables ainsi que l’évaluation du quantum », dans Congrès annuel du Barreau du Québec (2007). Montréal : Service de la formation continue, Barreau du Québec, 2007, 71.
Dumais,
Claude-René. « Une étude des tenants et aboutissants des
articles
271
et
272
de la Loi sur la protection du consommateur »
L’Heureux, Nicole. Droit de la consommation, 5e éd. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 2000.
L’Heureux,
Nicole. « L’interprétation de l’article
272
de la Loi sur la protection
du consommateur »
L’Heureux, Nicole, et Marc Lacoursière. Droit de la consommation, 6e éd. Cowanswille, Qué. : Yvon Blais, 2011.
Lebeau,
Françoise. « La publicité et la protection des consommateurs »
Lluelles, Didier, et Benoît Moore. Droit des obligations. Montréal : Thémis, 2006.
Masse,
Claude.
Nahmiash, Laurent. « Le recours collectif et la Loi sur la protection du consommateur : le dol éclairé et non préjudiciable — l’apparence de droit illusoire », dans Développements récents sur les recours collectifs. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 2004, 75.
Roy, Pauline. Les dommages exemplaires en droit québécois : instrument de revalorisation de la responsabilité civile, thèse de doctorat. Montréal : Université de Montréal, 1995.
POURVOI
contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Chamberland, Morin et
Rochon),
Hubert Sibre, Annie Claude Beauchemin et Jean-Yves Fortin, pour l’appelant.
Pascale Cloutier et Fadi Amine, pour les intimées.
Le jugement de la Cour a été rendu par
Les juges LeBel et Cromwell —
I. Introduction
[1]
Le pourvoi résulte d’une campagne publicitaire qui, sans doute, n’a pas
donné les résultats escomptés par ses auteurs. Au cœur du débat se trouvent les
questions de savoir si les intimées, en postant à l’appelant un document
intitulé [traduction] « Avis
officiel du concours Sweepstakes » (le « Document »), se sont
livrées à une pratique interdite par la Loi sur la protection du
consommateur, L.R.Q., ch. P-40.1 (« L.p.c. »),
et, dans l’affirmative, si l’appelant a le droit d’obtenir des
dommages-intérêts punitifs et compensatoires en vertu de l’art.
[2]
Concrètement, l’appelant se pourvoit contre un jugement de la Cour
d’appel du Québec qui a rejeté sa demande en dommages-intérêts au motif que le
contenu du Document ne violait aucune prescription de la L.p.c. (
[3] Pour les motifs qui suivent, nous sommes d’accord avec l’appelant que le Document contient des représentations qui contreviennent aux prescriptions de la L.p.c. sur les pratiques de commerce interdites. Nous partageons également son opinion que la définition du « consommateur moyen » retenue par la Cour d’appel n’est pas conforme aux objectifs poursuivis par la L.p.c. et, conséquemment, qu’elle doit être rejetée. Enfin, nous proposons d’accueillir, pour partie seulement, sa demande de dommages-intérêts compensatoires et de dommages-intérêts punitifs.
II. Origine du litige
[4] Le 26 août 1999, l’appelant, M. Jean-Marc Richard, a récupéré le Document dans son courrier. Rédigé exclusivement en anglais, le Document se présente sous la forme d’une « lettre » adressée à l’appelant. La lettre, signée par la directrice du programme « Sweepstakes », Mme Elizabeth Matthews, est bordée de différents encadrés imprimés en couleurs dont certains, en raison de leurs références au magazine Time, permettent à son destinataire de déduire qu’elle émane des intimées. Le Document s’ouvre sur une phrase qui attire aussitôt l’attention du lecteur :
[TRADUCTION] NOUS AVONS MAINTENANT LES RÉSULTATS FINALS DU CONCOURS : M. JEAN MARC RICHARD A GAGNÉ LA SOMME DE 833 337 $ EN ARGENT COMPTANT!
[5] En regardant le Document de plus près, on constate cependant que cet extrait s’insère dans une phrase à deux volets, rédigée ainsi :
[TRADUCTION] Si vous détenez le coupon de participation gagnant du Gros Lot et le retournez à temps, et si vous répondez correctement à une question de connaissances générales, nous annoncerons officiellement que
NOUS AVONS MAINTENANT LES RÉSULTATS FINALS DU CONCOURS : M. JEAN MARC RICHARD A GAGNÉ LA SOMME DE 833 337 $ EN ARGENT COMPTANT!
[6] Cette phrase d’ouverture illustre bien le mode de rédaction et de présentation du Document. Celui-ci a été conçu de façon à combiner plusieurs phrases écrites en majuscules et caractères gras rédigées sous forme exclamative, dont l’objectif est de capter l’attention du lecteur en lui suggérant qu’il est le gagnant d’un important prix en argent, à des phrases imprimées en plus petits caractères rédigées sous forme conditionnelle, dont plusieurs débutent par les mots [traduction] « Si vous détenez le coupon de participation gagnant du Gros Lot et le retournez à temps ». À titre d’exemple, le Document mentionne l’appelant parmi les plus récents gagnants du programme « Sweepstakes » et indique en grosses lettres que le paiement de son prix en argent a été autorisé. Toutefois, l’inscription [TRADUCTION] « DERNIERS GAGNANTS D’UN PRIX EN ARGENT », sous laquelle figure le nom de l’appelant, est précédée de la phrase suivante rédigée en petits caractères : [TRADUCTION] « Si vous détenez le coupon de participation gagnant du Gros Lot et le retournez à temps, voici quelle sera notre nouvelle liste de gagnants de gros prix en argent ».
[7] Suivant le même procédé de rédaction, la lettre allie bon nombre de phrases prédominantes destinées à accroître l’enthousiasme de son destinataire à des phrases discrètes rédigées sous forme conditionnelle. Il est utile ici de reproduire quelques extraits du Document pour illustrer davantage les traits particuliers de ce mode de rédaction :
[TRADUCTION] Si vous détenez le coupon de participation gagnant du Gros Lot et le retournez à temps, et si vous répondez correctement à une question de connaissances générales, nous confirmerons que
NOUS AVONS EU L’AUTORISATION DE REMETTRE À M. JEAN MARC RICHARD LA SOMME DE 833 337 $ EN ARGENT COMPTANT!
. . .
. . . Et puisque nous avons eu l’autorisation de remettre le Gros Lot au gagnant, la prochaine fois que nous communiquerons avec vous si vous gagnez, ce sera pour vous aviser que
UN CHÈQUE
BANCAIRE DE 833 337 $ A ÉTÉ EXPÉDIÉ AU
[X, RUE X]!
. . .
. . . La vérité est que, si vous avez le numéro gagnant du Gros Lot,
VOUS RENONCEREZ À TOUCHER LA SOMME DE 833 337 $ SI VOUS NE RÉPONDEZ PAS AU PRÉSENT AVIS!
[8] Parallèlement à ces mentions multiples du [traduction] « coupon de participation gagnant du Gros Lot », le Document attribue à l’appelant un [traduction] « numéro de réclamation du prix » qui doit servir à des fins d’identification au stade de la validation des inscriptions. Au verso, la lettre indique d’ailleurs à l’appelant qu’il sera admissible à un prix additionnel de 100 000 $ s’il valide son inscription à l’intérieur d’un délai de cinq jours. Elle mentionne ensuite divers bénéfices dont l’appelant pourrait jouir s’il décidait, tout en validant son inscription, de s’abonner au magazine Time. Toutes ces informations sont présentées de la manière suivante dans le Document :
[traduction] VOUS SEREZ ADMISSIBLE À UN PRIX ADDITIONNEL DE 100 000 $ SI VOUS RÉPONDEZ DANS LES 5 PROCHAINS JOURS!
. . .
VOUS RECEVREZ EN CADEAU UNE CAMÉRA PANORAMIQUE ULTRONICTM ACCOMPAGNÉE D’UN ALBUM PHOTOS!
. . .
VOUS RECEVREZ AUSSI LE MAGAZINE TIME EN BÉNÉFICIANT D’UN RABAIS ALLANT JUSQU’À 74 %!
. . .
. . . Et si vous détenez le billet gagnant du Gros Lot,
UN CHÈQUE BANCAIRE DE 833 337 $ VOUS SERA EXPÉDIÉ PAR COURRIER RECOMMANDÉ — SI VOUS RÉPONDEZ MAINTENANT!
[9] Pour une meilleure compréhension de la facture visuelle du Document, nous renvoyons le lecteur à sa version intégrale qui est reproduite en annexe aux présents motifs. Dans l’immédiat, il suffit de mentionner que la teneur visuelle et le style de rédaction du Document jouent un rôle critique lorsqu’il s’agit de décider si l’envoi du Document constitue une pratique interdite au sens de la L.p.c.
[10] Outre le Document, l’envoi postal qu’a reçu l’appelant contenait un coupon-réponse intitulé [traduction] « Certificat officiel de participation » ainsi qu’une enveloppe de retour sur laquelle les règles officielles du concours étaient imprimées en petits caractères. Le coupon-réponse offrait également à l’appelant la possibilité de s’abonner au magazine Time pour une période variant de sept mois à deux ans. Par ailleurs, les règles officielles indiquaient qu’un numéro gagnant (« winning number ») avait été présélectionné par ordinateur et que son détenteur ne pourrait toucher le gros lot que s’il retournait le coupon-réponse dans le délai fixé. Les règles indiquaient que, dans l’éventualité où le détenteur du numéro gagnant présélectionné ne retournerait pas le coupon-réponse, le gros lot serait tiré aléatoirement parmi toutes les personnes ayant retourné le coupon-réponse (« all eligible entries ») et que chaque participant aurait alors une chance de gagner sur 120 millions.
[11] Selon son témoignage, le jour où il l’a reçu, l’appelant a lu attentivement le Document à deux reprises, au terme desquelles il est venu à la conclusion qu’il venait de gagner la somme de 833 337 $US. Le lendemain, il a apporté le Document à son lieu de travail afin qu’un vice-président de l’entreprise qui l’emploie dont la langue maternelle est l’anglais puisse confirmer ou infirmer la signification qu’il lui attribuait. Cet interlocuteur s’est dit pareillement d’avis que l’appelant venait de gagner le gros lot mentionné dans le Document. Convaincu qu’il était sur le point de toucher la somme promise, l’appelant a aussitôt retourné le coupon-réponse se trouvant à l’intérieur de l’enveloppe. Ce faisant, il s’est abonné pour deux ans au magazine Time. Cet abonnement lui donnait aussi le droit de recevoir gratuitement une caméra ainsi qu’un album photos, comme cela était indiqué au verso du Document.
[12] Peu de temps après, l’appelant a reçu la caméra et l’album photos. Il a également commencé à recevoir les numéros du magazine à intervalles réguliers. Cependant, le chèque espéré se faisait attendre. Jugeant qu’il avait été suffisamment patient, il décida d’appeler Elizabeth Matthews chez Time Inc. afin de s’enquérir du traitement de son chèque. Après avoir laissé quelques messages qui sont restés sans réponse, l’appelant a finalement réussi à parler avec un représentant du service du marketing chez l’intimée Time Inc. à New York. Il apprit alors qu’il ne recevrait aucun chèque puisque le document qui lui avait été transmis par la poste ne portait pas le numéro gagnant du tirage. Lors de la conversation téléphonique, le représentant de Time Inc. informa l’appelant que le Document ne constituait qu’une simple invitation à participer à un concours. L’appelant a également été informé qu’Elizabeth Matthews n’existait pas; il s’agissait plutôt d’un « nom de plume » utilisé par les intimées dans leur matériel publicitaire.
[13] L’appelant a répondu que le Document annonçait clairement qu’il était le gagnant du lot mentionné. Ses protestations ne donnèrent rien. Les intimées refusèrent fermement de lui payer la somme réclamée.
[14]
Le 29 septembre 2000, l’appelant a déposé une requête introductive
d’instance. Il demandait d’abord à la Cour supérieure du Québec de le déclarer
gagnant du prix en argent mentionné dans le Document. Il plaidait que celui-ci
constituait une offre de contracter au sens de l’art.
III. Historique judiciaire
A.
Cour supérieure du Québec (
[15] La juge Cohen a d’abord analysé le volet contractuel de la réclamation. À cet égard, elle a conclu qu’aucun contrat n’était intervenu entre les parties. Elle a donc refusé d’ordonner le paiement du prix réclamé par l’appelant.
[16] La juge Cohen a ensuite analysé la réclamation de dommages-intérêts de l’appelant, fondée sur des violations alléguées de la L.p.c. À cet égard, elle a jugé que la rédaction alambiquée de l’offre contrevenait aux prescriptions du titre II de la L.p.c. portant sur les pratiques interdites de commerce. Elle a écrit :
[TRADUCTION] Le même emploi de la forme
« conditionnelle », qui a permis à Time d’échapper à l’argument qu’un
contrat était intervenu ou qu’elle s’était engagée à verser à M. Richard,
sans condition, la somme de 833 337 $, illustre bien la prétention
que ce document a été conçu expressément de manière à tromper son
destinataire, qu’il contient des représentations trompeuses ou même fausses, et
ce, en contravention du texte explicite de l’article
[17]
La juge Cohen a tiré cette conclusion sur la base de l’impression
générale laissée par le Document. Se référant à l’art.
[18]
La juge Cohen a ajouté que le Document contenait deux fausses
représentations. D’abord, sa signataire, Mme Elizabeth Matthews,
n’existait pas; elle n’avait donc pas pu « certifier » le contenu du
Document, contrairement à ce qu’il indiquait. Cette fiction contrevenait
clairement aux art.
[19] La juge Cohen a ajouté qu’elle n’avait pas à déterminer si le contenu du Document avait bel et bien trompé l’appelant (par. 49). Pour conclure qu’une représentation commerciale constituait une pratique interdite par la L.p.c., il suffisait que le tribunal constate que le consommateur moyen, c’est-à-dire un consommateur crédule et inexpérimenté, pouvait être induit en erreur :
[TRADUCTION] Il ne fait aucun doute que la publicité non sollicitée envoyée à M. Richard pouvait effectivement s’avérer trompeuse aux yeux du consommateur québécois francophone moyen et inexpérimenté. Quoi qu’il en soit, il ressort clairement du témoignage de M. Richard qu’il n’aurait jamais lu la partie du document portant sur l’abonnement n’eut été la présence des représentations trompeuses, ce qui démontre de façon évidente que sa décision de s’abonner au magazine Time est directement imputable à ces représentations trompeuses. [par. 49]
[20]
Selon la juge Cohen, la stratégie publicitaire des intimées, telle que
révélée par le contenu du Document, s’est traduite par la commission de
pratiques interdites au titre II de la L.p.c. Ces faits donnaient
ouverture aux sanctions civiles prévues à l’art.
[21]
S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour d’appel du Québec découlant
de l’arrêt Nichols c. Toyota Drummondville (1982) inc.,
[22]
La juge Cohen a ensuite affirmé qu’il était opportun dans le présent
dossier d’accorder des dommages-intérêts punitifs à l’appelant en sus des
dommages-intérêts compensatoires. Abordant la question du quantum des
dommages-intérêts punitifs, elle a ajouté que l’art.
[23] Par ailleurs, la juge Cohen a affirmé que la méthode publicitaire du programme « Sweepstakes » était fort lucrative pour les intimées. Tout en mentionnant que le quantum des dommages-intérêts punitifs ne devait pas, en l’espèce, donner l’impression que le tribunal utilisait ce type de dommages-intérêts pour accueillir indirectement le volet contractuel de la réclamation de l’appelant, elle a rappelé qu’il devait néanmoins refléter leur fonction dissuasive eu égard à la situation patrimoniale des intimées. Exerçant sa discrétion judiciaire, la juge Cohen a fixé à 100 000 $ le quantum des dommages-intérêts punitifs octroyés à l’appelant. Ce montant correspond à la valeur du « prix additionnel » auquel l’appelant aurait eu droit s’il avait détenu le numéro gagnant et retourné le coupon-réponse à l’intérieur d’un délai de cinq jours.
[24] Toujours dans l’exercice de sa discrétion judiciaire, la juge Cohen a ordonné que les dépens accordés à l’appelant soient calculés sur la base de la valeur de l’action [traduction] « telle qu’elle a été introduite », soit la somme de 1 250 887,10 $. Cette conclusion voulait permettre à l’appelant d’être remboursé d’une partie de ses déboursés judiciaires et extrajudiciaires, y compris les honoraires versés à ses procureurs (par. 73).
B.
Cour d’appel du Québec (
[25] Les deux parties ont formé appel du jugement de la Cour supérieure. La Cour d’appel du Québec, dans une opinion rédigée par le juge Chamberland, a accueilli l’appel principal formé par les intimées et rejeté l’appel incident. La Cour d’appel a ainsi rejeté en totalité le recours en dommages-intérêts intenté par l’appelant, mais sans frais compte tenu de la nature du débat et de la nouveauté des questions en litige (par. 53).
[26] La Cour d’appel a d’abord rejeté le pourvoi incident de l’appelant quant au paiement du prix. Cette conclusion n’est plus remise en cause. Le débat principal a porté sur la condamnation des intimées à des dommages-intérêts compensatoires et punitifs.
[27]
La Cour d’appel a décidé que la L.p.c. était applicable en
l’espèce, contrairement aux prétentions des intimées. Le juge Chamberland a
souligné que l’art.
[28]
Après ces premières constatations, la Cour d’appel a conclu que les
intimées n’avaient pas violé la L.p.c. D’abord, à son avis, les intimées
n’avaient pas violé l’art.
[29] Ensuite, la Cour d’appel a décidé que l’utilisation du nom d’une personne fictive, en l’occurrence Elizabeth Matthews, comme signataire du Document ne violait pas l’al. 238c) L.p.c. En l’espèce, la seule utilisation d’un « nom de plume » n’était pas susceptible de tromper les consommateurs sur l’identité du commerçant, mais ne visait qu’à « personnaliser » les envois postaux (par. 29).
[30]
Finalement, le juge Chamberland a exprimé son désaccord avec l’opinion
de la juge Cohen selon laquelle le Document contenait des représentations
fausses ou trompeuses, contrairement aux prescriptions de l’art.
Avec égards pour l’opinion contraire, je vois dans la documentation transmise à l’[appelant] un texte accrocheur, mais pas de déclarations trompeuses, déloyales ou fourbes. Je soupçonne même l’[appelant], un homme d’affaires averti œuvrant sur la scène locale et internationale, en français et en anglais, d’avoir parfaitement bien compris ce qu’il en était du sweepstake et de ses chances de gagner, et ce, depuis le tout début. [par. 51]
[31] D’après la Cour d’appel, le Document ne contenait aucune représentation fausse ou trompeuse. Bien qu’elle ait semblé reconnaître que ses titres accrocheurs pouvaient initialement donner l’impression que l’appelant venait de gagner le gros lot, à son avis, une lecture attentive du Document suffisait pour dissiper cette impression. En quelque sorte, il appartenait aux consommateurs de se méfier des messages publicitaires aux apparences trop avantageuses. Pour ces motifs, la Cour d’appel a cassé la condamnation des intimées à des dommages-intérêts compensatoires et punitifs.
IV. Analyse
A. Questions en litige
[32] Le présent pourvoi soulève les questions suivantes :
1. Quelle est la méthode appropriée, au Québec, pour évaluer si une publicité constitue une représentation fausse ou trompeuse pour l’application de la Loi sur la protection du consommateur?
2. En
l’absence de contrat visé par l’art.
3. Quelles
sont les conditions d’ouverture du recours en dommages-intérêts punitifs prévu
à l’art.
4. Doit-on accorder des dommages-intérêts punitifs en l’espèce et, dans l’affirmative, quels critères doivent être considérés pour en déterminer le montant?
B. Rappel des objectifs généraux du droit de la consommation et présentation de la structure de la L.p.c.
[33]
Ce pourvoi demande à notre Cour d’interpréter des éléments centraux du
régime juridique mis en place par la L.p.c. Comme nous l’avons mentionné
précédemment, nous sommes appelés à préciser en l’espèce les paramètres qui
encadrent l’interdiction de certaines pratiques publicitaires, ainsi que les
conditions d’ouverture du recours prévu à l’art.
(1) L’avènement de la société de consommation et ses incidences sur l’environnement normatif en matière de protection du consommateur
[34] Historiquement, la législation canadienne destinée à protéger le consommateur s’est d’abord concentrée sur la protection contre les « abus de pouvoirs » commis par les commerçants (L.-A. Couture, « Rapport sur la protection du consommateur au niveau fédéral en droit pénal canadien », dans Travaux de l’Association Henri Capitant des amis de la culture juridique française, t. 24, La protection des consommateurs (1975), 303, p. 307).
[35] La préservation d’un environnement économique concurrentiel est demeurée au cœur des mécanismes de protection du consommateur au Canada jusqu’au milieu du XXe siècle. La protection du consommateur conservait un caractère indirect : par exemple, la législation fédérale se préoccupait davantage des orientations structurelles de l’économie canadienne que de la protection particulière des intérêts du consommateur (voir J.-L. Baudouin, « Rapport général », dans Travaux de l’Association Henri Capitant des amis de la culture juridique française, t. 24, La protection des consommateurs (1975), 3, p. 4).
[36] Toutefois, après la Deuxième Guerre mondiale, l’avènement de la société de consommation a fait apparaître des préoccupations nouvelles, notamment des inquiétudes au sujet de la vulnérabilité accrue du consommateur (N. L’Heureux et M. Lacoursière, Droit de la consommation (6e éd. 2011), p. 1-4).
[37]
L’évolution des marchés a fait reconnaître le besoin d’une protection
accrue du consommateur. En fait, la libéralisation des marchés a favorisé
l’émergence de régimes plus orientés vers la protection du consommateur (voir
Baudouin, p. 3-4; voir aussi Prebushewski c. Dodge City Auto (1984) Ltd.,
2005 CSC 28
,
[38] Le Parlement du Canada et le législateur québécois ont tous deux cherché à résoudre les problèmes posés par l’avènement de la société de consommation. Dans le cadre constitutionnel canadien, le Parlement et les législatures ont tous joué un rôle important et souvent complémentaire en ces matières. Nous n’insisterons pas ici sur les mesures adoptées par le Parlement fédéral. Notre opinion portera sur la législation québécoise et son évolution.
[39] L’avènement de la société de consommation a rendu évidentes les limites du droit commun au Québec comme dans les autres provinces canadiennes. Au Québec, le modèle de justice contractuelle fondé sur la liberté de contracter, le consensualisme et la force obligatoire du contrat apparaissait de moins en moins adapté pour assurer une réelle égalité entre commerçants et consommateurs. L’intervention du législateur québécois en ce domaine a initialement été inspirée par la recherche d’un modèle différent de justice contractuelle fondé sur un régime d’ordre public qui dérogerait aux règles traditionnelles du droit commun (voir Baudouin, p. 5).
[40] Le droit québécois de la consommation s’est pour l’essentiel organisé autour de deux lois successives sur la protection du consommateur, adoptées respectivement en 1971 et 1978, complétées plus tard par certaines dispositions d’ordre public contenues dans le Code civil du Québec. La première Loi de la protection du consommateur (L.Q. 1971, ch. 74) ne s’appliquait qu’aux contrats assortis d’un crédit ou conclus à distance, et ne réglementait pas les pratiques de commerce de façon autonome. En réalité, la publicité n’était régie qu’indirectement par le biais d’une fiction juridique l’incorporant aux termes du contrat. Quelques années seulement après l’entrée en vigueur de la première loi, il était devenu évident que la solution adoptée par le législateur québécois devait être revue.
[41] La Loi sur la protection du consommateur applicable aujourd’hui institue un régime juridique beaucoup plus élaboré que celui établi par sa version précédente. Son adoption témoigne de la volonté du législateur québécois d’étendre la protection de la L.p.c. à un ensemble plus vaste de contrats et de régir explicitement certaines pratiques de commerce jugées dolosives pour le consommateur. Concrètement, la loi est divisée en sept titres qui reflètent les grandes orientations du droit québécois de la consommation. Le titre I, intitulé « Contrats relatifs aux biens et aux services », contient des dispositions qui visent principalement à rétablir l’équilibre contractuel entre le commerçant et le consommateur. Le titre II, intitulé « Pratiques de commerce », assimile à des pratiques interdites certains comportements commerciaux afin d’assurer la véracité de l’information transmise au consommateur par la publicité ou autrement.
[42]
Ces deux titres principaux sont complétés notamment par le titre IV, qui
prévoit les recours civils et pénaux susceptibles d’être exercés afin de
sanctionner les manquements à la loi commis par les commerçants. En faisant
abstraction du recours prévu à l’art.
(2) La protection contre la publicité fausse ou trompeuse
[43] Les mesures destinées à protéger le consommateur contre les pratiques publicitaires frauduleuses constituent l’une des manifestations de la volonté des corps législatifs de se distancier de la maxime caveat emptor, qui signifie « que l’acheteur prenne garde ». En vertu de ces mesures, il appartient au commerçant, au fabricant ou au publicitaire de s’assurer de la véracité de l’information transmise au consommateur. À défaut, il s’expose à en subir les conséquences civiles ou pénales prévues par la législation. Comme l’a expliqué le juge Matheson, de la Cour de comté de l’Ontario, dans l’affaire R. c. Colgate-Palmolive Ltd., [1970] 1 C.C.C. 100, impliquant la mise en œuvre du droit fédéral, c’est bien davantage la maxime caveat venditor qui trouve application de nos jours dans le contexte des relations entre commerçants et consommateurs. Dans son jugement souvent cité depuis, il a écrit ce qui suit :
[TRADUCTION] Cette loi est l’expression d’un objectif social, à savoir l’établissement de pratiques de commerce plus saines visant à mieux protéger le consommateur. Elle représente la volonté de la population canadienne de voir la vieille maxime caveat emptor — que l’acheteur prenne garde — céder quelque peu le pas au point de vue plus éclairé du caveat venditor — que le vendeur prenne garde. [p. 102]
(3) La protection contre les représentations fausses ou trompeuses dans la L.p.c.
[44]
Un des objectifs principaux du titre II de la L.p.c. est la
protection du consommateur contre les représentations fausses ou trompeuses. Un
nombre important de pratiques qu’il interdit sont reliées à la véracité de
l’information transmise au consommateur. L’article
[45]
L’article
218. Pour déterminer si une représentation constitue une pratique interdite, il faut tenir compte de l’impression générale qu’elle donne et, s’il y a lieu, du sens littéral des termes qui y sont employés.
[46]
La méthode d’analyse prévue à l’art.
[47]
L’expression « sens littéral des termes qui y sont employés »
ne pose pas de problème d’interprétation. Elle reconnaît simplement que chaque
mot contenu dans une représentation doit être interprété selon son sens
ordinaire. Cette partie du texte de l’art.
[48] En revanche, la notion d’« impression générale » requiert davantage d’explications. Bien que le corpus jurisprudentiel en la matière demeure limité, certaines décisions récentes paraissent avoir établi plus explicitement des principes qui permettent de dégager une interprétation dominante.
[49]
L’un de ces principes récemment reconnus plus clairement par la
jurisprudence québécoise concerne le caractère in abstracto de l’analyse
de l’impression générale donnée par une représentation. Influencée en cette
matière par les commentaires de la professeure L’Heureux, la jurisprudence
semble désormais reconnaître, comme les tribunaux inférieurs dans ce dossier,
que « l’impression générale » donnée par une représentation doit être
analysée in abstracto, c’est-à-dire en faisant abstraction des attributs
personnels du consommateur à l’origine de la procédure engagée contre le
commerçant. (Voir Québec (Procureur général) c. Distribution Canovex Inc.,
[1996] J.Q. no 5302 (QL) (C.Q. crim. & pén.), par. 39-40; Option
Consommateurs c. Brick Warehouse, l.p.,
[50] Cette approche respecte l’esprit de la L.p.c., dont l’objectif principal demeure la protection du consommateur. Les tribunaux doivent alors être en mesure de sanctionner toute représentation qui, objectivement, constitue une pratique interdite. Le fait qu’une représentation commerciale ait causé ou non un préjudice à un ou plusieurs consommateurs n’est pas pertinent pour décider si un commerçant a commis une pratique interdite au sens du titre II de la L.p.c. La loi vise non seulement à réparer le tort causé aux consommateurs par des représentations fausses ou trompeuses, mais également à prévenir la diffusion de messages publicitaires capables de tromper les consommateurs et, éventuellement, de leur causer divers préjudices.
[51]
En somme, la conduite d’une analyse in abstracto en vertu de
l’art.
La publicité commerciale joue en effet souvent sur l’impression générale que peut laisser une publicité et même sur le sens littéral des mots employés. Les informations publicitaires sont transmises rapidement. On y mise sur l’image et l’impression du moment. C’est cette impression générale qui est souvent recherchée par la publicité. Le consommateur n’a pas, par définition, le temps de se livrer à de longues réflexions sur le sens véritable des messages qu’on lui communique ou sur la question de savoir si le sens des mots employés correspond ou non à leur sens littéral. Le droit de la consommation prend le contenu de la publicité au sérieux. Le consommateur n’a pas à se demander si les promesses qu’on lui fait ou les engagements que l’on prend sont ou non réalistes, sérieux ou vraisemblables. Le commerçant, le fabricant et le publicitaire sont donc liés par le contenu du message réellement communiqué aux consommateurs. [Nous soulignons.]
(Loi sur la protection du consommateur : analyse et commentaires (1999), p. 828)
[52]
L’emploi du critère de l’impression générale fixé à l’art.
[53]
L’appelant plaide essentiellement que l’impression générale donnée par
une publicité écrite doit s’apprécier de façon contextuelle, c’est-à-dire d’une
façon qui tienne compte autant du style de rédaction que du choix des mots
utilisés. Il affirme que l’approche prescrite par l’art.
[54]
Les intimées répondent que le critère de l’impression générale ne doit
pas être assimilé à celui de « l’impression instantanée ». Elles
plaident que l’impression générale ne correspond pas à l’impression instantanée
laissée par la facture visuelle d’une publicité et que les tribunaux ne peuvent
faire l’économie d’une lecture attentive des publicités écrites. Les intimées
soutiennent donc que l’art.
[55] À notre avis, les intimées ont tort de négliger l’importance de la facture visuelle d’une publicité. Il faut retenir d’abord que le législateur a adopté le critère de l’impression générale pour tenir compte des techniques et méthodes utilisées dans la publicité commerciale afin d’influencer de manière importante le comportement du consommateur. Cette réalité commande que l’on attache une importance considérable non seulement au texte, mais à tout son contexte, notamment à la manière dont il est présenté au consommateur.
[56]
Les intimées ont cependant raison d’affirmer que l’impression générale à
laquelle réfère l’art.
[57]
En somme, à notre avis, l’art.
[58] Ainsi, nous ne saurions accepter la distinction proposée par les intimées entre « impression instantanée » et « impression générale ». En réalité, les intimées invitent notre Cour à appliquer une norme beaucoup plus exigeante que celle de la première impression. Leur position relativement à l’application du critère de l’impression générale aux faits du présent dossier impose une telle conclusion. En effet, afin d’expliquer les raisons pour lesquelles leur stratégie publicitaire ne contrevient pas aux prescriptions du titre II de la L.p.c., elles affirment que les [TRADUCTION] « documents [. . .] ont été en la possession de [l’appelant] durant une longue période, ce qui a permis à ce dernier de les lire attentivement à plusieurs occasions avant d’envoyer le certificat officiel de participation » (m.i., par. 46 (nous soulignons)).
[59]
Nous examinerons maintenant l’approche adoptée par la Cour d’appel en
l’espèce, en appliquant les principes dégagés plus haut au sujet de la méthode
d’analyse prescrite par l’art.
[60]
Cette dissection du texte par la Cour d’appel se rapproche de la méthode
classique d’analyse des contrats de droit civil et s’éloigne d’une recherche de
l’impression générale d’ensemble que la publicité donne au consommateur. De
plus, les dispositions du titre II de la L.p.c. veulent rendre les
commerçants responsables du contenu de leurs publicités sur la base de
l’impression générale qu’elles donnent. En adoptant une norme aussi exigeante à
l’art.
(4) Le consommateur visé par le titre II de la L.p.c.
[61]
La discussion de la notion d’impression générale qui précède laisse
néanmoins en suspens une question importante : selon quelle perspective
les tribunaux doivent-ils apprécier l’impression générale donnée par une
représentation commerciale? Qui est le consommateur visé par l’art.
[62] La jurisprudence récente renvoie couramment au concept du « consommateur moyen » afin de désigner le consommateur visé par les dispositions du titre II de la L.p.c. Certes, ce consommateur moyen n’existe pas : il demeure le produit d’une fiction juridique incarnée par un consommateur mythique auquel on impute un degré de discernement qui reflète le but de la L.p.c. En l’espèce, le nœud de la question consiste à déterminer si le degré de discernement du consommateur moyen conceptualisé par la Cour d’appel respecte les objectifs poursuivis par la L.p.c.
[63] L’appelant plaide que la Cour d’appel s’est trompée en définissant le consommateur moyen comme « moyennement intelligent, moyennement sceptique et moyennement curieux » (par. 50). Il soutient que la Cour d’appel s’est écartée de la jurisprudence prédominante au Québec selon laquelle le consommateur moyen doit être considéré comme une personne « crédule et inexpérimentée ». Il affirme qu’en insistant sur le niveau d’intelligence, de scepticisme et de curiosité du consommateur moyen, la Cour d’appel a proposé une norme nouvelle qui pourrait priver une grande partie des consommateurs de la protection de la L.p.c. (m.a., par. 40).
[64]
Pour leur part, les intimées plaident que la Cour d’appel n’a pas
modifié la définition du consommateur moyen. À leur avis, le juge Chamberland a
simplement rappelé que le consommateur moyen, même crédule, n’est pas
complètement dépourvu d’intelligence, sans modifier les exigences de l’art.
[65] La L.p.c. appartient à l’ensemble de lois destinées à protéger les consommateurs canadiens. La jurisprudence qui découle de l’application de ces dispositions utilise souvent le critère du consommateur moyen. Cette jurisprudence attribue un faible degré de discernement à ce consommateur, afin de respecter l’objectif de protection sous-jacent à ces mesures législatives.
[66]
La jurisprudence de notre Cour en matière de marques de commerce fournit
un bon exemple de cette approche interprétative. Dans l’arrêt Mattel, Inc.
c. 3894207 Canada Inc.,
[67]
Le critère de l’impression générale prévu à l’art.
[68] Les adjectifs utilisés pour qualifier le consommateur moyen sont évidemment susceptibles de varier d’une loi à l’autre. Ces variations reflètent la diversité des réalités économiques visées par chaque loi et des objectifs qui leur sont propres. L’essentiel ne réside pas dans ces épithètes, mais plutôt dans le choix du degré de discernement attendu du consommateur.
[69]
Dans l’application du critère de l’impression générale prescrit par
l’art.
Comme l’a souligné mon collègue le juge Gendreau dans l’arrêt Nichols c. Toyota Drummondville (1982) inc., la Loi sur la protection du consommateur est une loi d’ordre public qui vise à rétablir [l’équilibre] contractuel entre le commerçant et son client. Et c’est en vertu du critère de la personne crédule et inexpérimentée qu’il faut évaluer le caractère trompeur de la publicité et des pratiques commerciales visées par la Loi sur la protection du consommateur. [Nous soulignons; par. 36.]
[70]
Depuis lors, les tribunaux de première instance au Québec ont suivi cet
arrêt, notamment à l’occasion de plusieurs recours collectifs fondés sur la L.p.c.
(voir Riendeau c. Brault & Martineau inc.,
[71] Ainsi, le concept du « consommateur moyen » n’évoque pas, en droit québécois de la consommation, la notion de personne raisonnablement prudente et diligente. Il renvoie encore moins à la notion de personne avertie. Afin de réaliser les objectifs de la L.p.c., les tribunaux considèrent que le consommateur moyen n’est pas particulièrement aguerri pour déceler les faussetés ou les subtilités dans une représentation commerciale.
[72] Les qualificatifs « crédule et inexpérimenté » expriment donc la conception du consommateur moyen qu’adopte la L.p.c. Cette description du consommateur moyen respecte la volonté législative de protéger les personnes vulnérables contre les dangers de certaines méthodes publicitaires. Le terme « crédule » reconnaît que le consommateur moyen est disposé à faire confiance à un commerçant sur la base de l’impression générale que la publicité qu’il reçoit lui donne. Cependant, il ne suggère pas que le consommateur moyen est incapable de comprendre le sens littéral des termes employés dans une publicité, pourvu que la facture générale de celle-ci ne vienne pas brouiller l’intelligibilité des termes employés.
[73]
Il nous faut donc constater que la Cour d’appel a modifié la norme du
consommateur moyen visé par le titre II de la L.p.c. et n’a pas respecté
l’objectif de protection de la L.p.c. À notre avis, le fait de définir
le consommateur moyen comme « moyennement intelligent, moyennement
sceptique et moyennement curieux » se concilie mal avec le libellé et
l’esprit de l’art.
[74] D’abord, l’expression « moyennement intelligent » suggère que le consommateur que le législateur a souhaité protéger au titre II de la L.p.c. est celui dont le degré de discernement correspond à celui de la moyenne des gens. Comme nous l’avons souligné précédemment, le droit de la consommation ne protège pas les consommateurs dans la seule mesure où ils se sont montrés prudents et avertis. Pour respecter l’objectif général de protection de la L.p.c., il faut éviter d’utiliser un critère correspondant à celui du consommateur prudent et diligent.
[75]
De plus, dans une perspective pratique, ce volet de la définition
proposée par le juge Chamberland s’harmonise mal avec l’analyse in abstracto
requise par l’art.
[76] Ensuite, le qualificatif « moyennement sceptique » substitue au critère de l’impression générale celui de l’opinion atteinte après une analyse plus poussée. Il invite les tribunaux à présumer que le consommateur moyen doit effectuer des démarches concrètes afin de découvrir le « vrai message » qui se cache derrière une publicité aux apparences avantageuses. Cette méthode d’analyse ne peut s’appliquer qu’au détriment du critère de l’impression générale. En effet, une personne sceptique aura tendance à refuser de se fier à un message publicitaire uniquement sur la base de l’impression générale qu’il dégage. La personne sceptique doutera, posera des questions et conduira peut-être ses propres recherches. Si, au terme de cet exercice, elle conclut que le contenu d’un message publicitaire est conforme à la réalité, son appréciation ne dépendra pas de l’impression générale qu’il a donnée. Elle proviendra plutôt des démarches concrètes qu’elle aura faites.
[77] Les commentaires qui précèdent s’appliquent aussi à la « curiosité moyenne » qui, selon la Cour d’appel, doit être présumée chez le consommateur moyen. Avec égards, l’utilisation de cette notion procède de la même prémisse erronée que dans le cas du scepticisme du consommateur moyen. Un consommateur « moyennement curieux » ne sera pas stupide et naïf au point de se fier aux premières impressions données par une représentation commerciale. Au contraire, il se montrera suffisamment curieux pour approfondir sa première perception. Son objectif demeurera de vérifier si l’impression générale donnée par une publicité correspond effectivement à la réalité. Sur ce point, nous rappelons que le titre II de la L.p.c. vise à permettre au consommateur de faire confiance aux commerçants sur la base de l’impression générale laissée par leurs publicités. Dans la mesure où cette impression générale ne correspond pas à la réalité, la publicité constitue une représentation fausse ou trompeuse et la L.p.c. considère que le commerçant a commis une pratique interdite, et ce, sans égard au fait qu’une analyse approfondie de la publicité pourrait permettre de comprendre le « vrai message » qu’elle véhicule. En réalité, la conceptualisation du consommateur moyen retenue par la Cour d’appel s’apparente davantage à la notion de personne diligente qui n’est pas mentionnée dans la loi et qui ne respecte pas l’esprit de celle-ci.
[78]
Pour l’ensemble de ces motifs, nous devons écarter la définition du
consommateur moyen proposée par la Cour d’appel. Nous sommes d’avis que la
notion du consommateur crédule et inexpérimenté, comme l’a employée la
jurisprudence prédominante au Québec avant le jugement dont appel, respecte
mieux les objectifs de protection contre la publicité fausse ou trompeuse que
poursuit le législateur québécois. Ainsi, les tribunaux appelés à évaluer la
véracité d’une représentation commerciale devraient procéder, selon l’art.
C. La conformité du jugement de la Cour d’appel à la L.p.c.
[79]
Il s’agit maintenant de déterminer si, selon ces principes, la Cour
d’appel a eu raison d’infirmer la conclusion de la juge de première instance
que le Document contenait des représentations qui contreviennent à certaines
dispositions du titre II de la L.p.c. La juge Cohen a constaté trois
violations de la loi. Nous analyserons ensemble les contraventions alléguées
aux art.
(1) La
violation alléguée des art.
[80]
Les articles
219. Aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut, par quelque moyen que ce soit, faire une représentation fausse ou trompeuse à un consommateur.
228. Aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut, dans une représentation qu’il fait à un consommateur, passer sous silence un fait important.
[81]
En l’espèce, la contravention alléguée à l’art.
[82] À ce stade, il convient de préciser le « vrai message » que les intimées ont voulu transmettre par l’envoi du Document. Le « Sweepstakes » en cause est un concours à l’issue duquel une seule personne gagnera le gros lot. Pour recevoir son prix, cette personne doit se faire attribuer le numéro gagnant (« winning entry »), retourner le coupon-réponse dans le délai fixé et répondre correctement à une question de connaissances générales (« skill-testing question »). Une seule personne détient le numéro gagnant qui a été choisi avant l’expédition des envois postaux. Cependant, chaque destinataire trouve, dans le haut de son document, le mot [traduction] « réclamation » (« claim ») suivie d’une combinaison de chiffres et de lettres. Le gros lot n’est tiré parmi toutes les personnes ayant retourné le coupon-réponse que si le gagnant présélectionné ne le retourne pas.
[83] Selon les intimées, le consommateur moyen, après avoir lu une seule fois la documentation reçue par l’appelant, serait en mesure de comprendre ce qui suit : (1) l’appelant a reçu le numéro GV1T7IU62; (2) ce numéro n’est pas forcément le numéro gagnant; (3) si son numéro n’est pas le numéro présélectionné, alors ses chances de gagner sont infiniment minces; (4) pour qu’il détienne une chance de gagner, il faudrait que le détenteur du numéro gagnant ne retourne pas son coupon-réponse, auquel cas se tiendrait un tirage aléatoire entre toutes les personnes ayant retourné leur propre coupon-réponse dans le délai fixé; et (5) dans ce scénario, les chances de gagner de l’appelant seraient de 1/120 millions. La Cour d’appel a accepté sur ce point l’argument des intimées (par. 49).
[84] Avec égards pour l’opinion contraire, nous comprenons difficilement comment le consommateur crédule et inexpérimenté pourrait déduire tous ces éléments au terme d’une première lecture du Document. La première phrase qui saute aux yeux du lecteur est la suivante, écrite en majuscules et en caractères gras :
[TRADUCTION] NOUS AVONS MAINTENANT LES RÉSULTATS FINALS DU CONCOURS : M. JEAN MARC RICHARD A GAGNÉ LA SOMME DE 833 337 $ EN ARGENT COMPTANT!
[85] L’impression générale donnée par le Document est conditionnée par cette phrase placée dans le haut de celui-ci. Bien sûr, à supposer qu’il comprenne l’anglais, le consommateur moyen peut lire les mots qui précèdent cette phrase, soit « If you have and return the Grand Prize winning entry in time and correctly answer a skill-testing question, we will officially announce that » ([traduction] « Si vous détenez le coupon de participation gagnant du Gros Lot et le retournez à temps, et si vous répondez correctement à une question de connaissances générales, nous annoncerons officiellement que »). Toutefois, il est déraisonnable de présumer que le consommateur moyen connaît le langage particulier ou les règles du jeu d’un tel concours sur le bout de ses doigts et qu’il saisirait bien tous les éléments essentiels de la proposition faite à l’appelant en l’espèce. Le curieux assemblage d’affirmations et de restrictions que contient le Document n’est pas suffisamment clair et intelligible pour dissiper l’impression générale donnée par ses phrases prédominantes. Au contraire, il est hautement probable que le consommateur moyen conclurait que l’appelant détient le numéro gagnant et qu’il lui suffit de retourner le coupon-réponse pour que la procédure de réclamation puisse s’enclencher. D’ailleurs, le Document n’indique nulle part qu’un gagnant a été présélectionné et que l’appelant n’a reçu qu’un numéro de participation. Cette information se retrouve plutôt sur l’enveloppe de retour accompagnant le Document, qui définit très vaguement, en petits caractères, les modalités du tirage aléatoire.
[86] Malgré toutes les conditions que pose le Document et dont les intimées font grand état, le Document prend soin de présenter l’appelant comme le gagnant du concours. Dans la colonne de gauche, on mentionne son nom aux côtés de ceux d’autres gagnants — réels ou fictifs — avec la mention [traduction] « CONFIRMATION DU PRIX : PAIEMENT AUTORISÉ ». Le Document martèle l’idée qu’un chèque est sur le point d’être posté à l’appelant. Plus encore, on l’exhorte à mettre tous ses doutes de côté et à se dépêcher à retourner le coupon-réponse, à défaut de quoi il risquera de tout perdre! Le coupon-réponse reçu par l’appelant renvoie même au numéro qui lui a été attribué comme à un [traduction] « numéro de réclamation du prix », c’est-à-dire un numéro lui permettant de réclamer son prix, et non pas un numéro de participation à un concours. La liste de ces artifices de rédaction et de présentation pourrait se poursuivre longuement.
[87]
À notre avis, la juge de première instance n’a commis aucune erreur dans
son appréciation du caractère trompeur du Document. Celui-ci donne
effectivement l’impression générale que l’appelant a gagné le gros lot. Même si
le Document ne contient pas nécessairement d’énoncés qui sont littéralement
faux, il reste qu’il est truffé de représentations trompeuses au sens de l’art.
(2) La contravention alléguée à l’al. 238c) L.p.c.
[88] L’alinéa 238c) prévoit :
238. Aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut faussement, par quelque moyen que ce soit :
. . .
c) déclarer comme sien un statut ou une identité.
[89] À notre avis, le juge Chamberland a eu raison de conclure que les intimées n’avaient pas contrevenu à l’al. 238c) L.p.c. en l’espèce. Le Document ne contient aucune représentation fausse quant au statut ou à l’identité des intimées. Une seule lecture suffit pour comprendre qu’il émane des intimées, et que celles-ci ne déclarent pas posséder un statut ou une identité qu’elles n’ont pas en réalité. Comme l’a conclu la Cour d’appel, le fait d’utiliser une personne fictive, en l’occurrence Elizabeth Matthews, comme signataire du Document ne constitue pas une pratique interdite par l’al. 238c) L.p.c.
D.
Le recours prévu à l’art.
[90]
La conclusion que le Document contient des représentations qui
contreviennent aux art.
(1) L’article
[91]
L’article
272. Si le commerçant ou le fabricant manque à une obligation que lui impose la présente loi, un règlement ou un engagement volontaire souscrit en vertu de l’article 314 ou dont l’application a été étendue par un décret pris en vertu de l’article 315.1, le consommateur, sous réserve des autres recours prévus par la présente loi, peut demander, selon le cas :
a) l’exécution de l’obligation;
b) l’autorisation de la faire exécuter aux frais du commerçant ou du fabricant;
c) la réduction de son obligation;
d) la résiliation du contrat;
e) la résolution du contrat; ou
f) la nullité du contrat,
sans préjudice de sa demande en dommages-intérêts dans tous les cas. Il peut également demander des dommages-intérêts punitifs.
[92]
Les tribunaux du Québec considèrent depuis de nombreuses années que
l’art.
[93]
Malgré cette jurisprudence, les intimées plaident que l’art.
[94] Les intimées s’appuient sur l’opinion qu’a défendue longtemps la professeure L’Heureux. Dans une édition antérieure de son traité Droit de la consommation, elle écrivait à la p. 358 :
Par ailleurs, l’article 272 ne constitue pas la sanction des pratiques interdites puisqu’il ne s’agit pas d’obligations que la Loi impose. Il faut constater que les pratiques commerciales du titre II sont d’abord des infractions qui relèvent de l’ordre public de direction [. . .] Ce sont des interdictions principalement sanctionnées pénalement.
(Voir
aussi N. L’Heureux, « L’interprétation de l’article
272
de la Loi sur la protection
du consommateur »
[95]
Cette opinion de la professeure L’Heureux n’a pas fait l’unanimité dans
la doctrine. Une revue des commentaires publiés au Québec sur cette question
suggère même que son point de vue est demeuré minoritaire. Selon d’autres
auteurs, une lecture littérale de l’art.
[96]
La critique la plus complète de l’opinion de la professeure L’Heureux
sur cette question a été l’œuvre de la professeure Pauline Roy. Selon cette
dernière, en soustrayant les interdictions contenues au titre II de la L.p.c.
à l’application de l’art.
[97] La professeure Roy invoque également des arguments liés à l’intérêt général et aux objectifs poursuivis par la L.p.c. Si l’opinion contraire prévalait, il faudrait conclure que le législateur québécois a voulu empêcher le consommateur de réclamer des dommages-intérêts punitifs lorsqu’un commerçant ou un fabricant a commis des pratiques interdites par la loi. À son avis, un tel résultat n’est pas conforme au rôle que le législateur a voulu attribuer au titre II de la L.p.c. Elle explique :
Accepter que la commission de pratiques interdites ne donne pas ouverture au recours en dommages exemplaires entraînerait des conséquences que le législateur n’a certes pas voulues, surtout lorsque l’on sait que la commission de telles pratiques est généralement dolosive et implique souvent des montants dérisoires. Les consommateurs sont alors peu enclins à poursuivre, alors qu’au total ce comportement peut constituer une importante source de profit pour le commerçant. En l’absence d’une condamnation à des dommages exemplaires, les risques de poursuite étant minimes, le commerçant conserve donc une part importante du bénéfice retiré de sa conduite dolosive. Il importe de se demander en vertu de quelle logique un commerçant ayant recours à des pratiques frauduleuses peut être à l’abri d’une condamnation à des dommages exemplaires, alors que celui qui contrevient aux autres dispositions de la loi, sans intention malicieuse, est susceptible de se voir imposer une telle sanction? [Nous soulignons; p. 476.]
[98]
L’opinion de la professeure Roy nous semble convaincante sur ce point.
En effet, le texte de l’art.
[99]
Cette conclusion respecte les objectifs généraux poursuivis par le
législateur québécois en la matière. La L.p.c. vise au premier chef à
assainir les pratiques commerciales afin de protéger le consommateur le plus
adéquatement possible. Pour ce faire, le législateur a assorti la L.p.c.
de sanctions administratives, civiles et pénales qui, conjointement,
constituent le « bras armé » de la loi. Or, l’interprétation défendue
par les intimées en l’espèce réduirait considérablement l’efficacité de la loi,
en limitant à tort le rôle joué par les consommateurs dans la mise en œuvre de
ses objectifs. Dans cette perspective, il est préférable d’associer, à
l’intérieur d’un cadre bien défini, les consommateurs à la mise en œuvre des
objectifs législatifs de l’interdiction de certaines pratiques de commerce.
L’intérêt public se trouve alors mieux protégé puisque les consommateurs
peuvent contribuer activement au respect d’une législation visant à les
protéger et suppléer, le cas échéant, aux insuffisances des interventions de
l’État (E. P. Belobaba, « Unfair Trade Practices Legislation :
Symbolism and Substance in Consumer Protection »
[100]
À notre avis, l’art.
(2) L’intérêt
juridique pour agir en vertu de l’art.
[101]
L’article
[102]
La L.p.c. ne définit pas expressément le consommateur comme une
personne physique ayant conclu un contrat régi par la loi. Selon l’al. 1e)
L.p.c., le consommateur est « une personne physique, sauf un
commerçant qui se procure un bien ou un service pour les fins de son
commerce ». À première vue, on pourrait donc penser qu’un lien contractuel
entre « le consommateur » visé par l’art.
[103]
Cette position procède indéniablement d’une conception large et libérale
du rôle de la législation en matière de protection du consommateur, et plus
spécifiquement de celui de l’art.
[104]
Toutefois, même un principe d’interprétation large et libérale de la loi
ne saurait justifier l’oubli des règles qu’elle édicte, afin d’encadrer son
application. L’une de ces règles est contenue à l’art. 2 de la loi. Cette
disposition, qui régit le champ d’application général de la L.p.c.,
prévoit que « [l]a présente loi s’applique à tout contrat conclu entre un
consommateur et un commerçant dans le cours des activités de son commerce et
ayant pour objet un bien ou un service ». L’article
De façon générale, cinq conditions sont nécessaires pour que l’on se trouve dans le champ d’application de la L.P.C. :
1 - Un contrat doit être passé entre les parties;
2 - Une des parties à ce contrat doit être un « consommateur »;
3 - Une des parties doit être un « commerçant »;
4 - Le « commerçant » doit agir dans le cours de son commerce et
5 - Le contrat doit avoir pour objet un bien ou un service. [p. 72]
[105]
La lecture croisée de l’al. 1e) et de l’art.
[106]
L’exclusion des entreprises de publicité du libellé de l’art.
[107]
Contrairement aux prétentions de l’appelant, le recours prévu à l’art.
[108]
Il importe néanmoins de préciser un aspect important du problème de
l’intérêt juridique. Un contrat de consommation n’est pas nécessairement formé
au seul moment où le consommateur achète ou se procure un bien ou un service.
En droit civil québécois, un contrat est formé dès lors que l’offrant reçoit
l’acceptation d’une offre de contracter (art.
[109] Malgré les restrictions auxquelles les règles relatives à l’intérêt juridique exigé par la L.p.c. assujettissent le recours prévu à l’art. 272, on se souviendra toujours que d’autres recours sont prévus dans la loi pour en assurer le respect.
[110]
En l’espèce, on pourrait discuter longtemps quant à savoir si l’envoi
d’un coupon-réponse (ou la réception de celui-ci par les intimées) a permis la
formation d’un contrat relatif à la participation à un concours. La formation
du contrat aurait-elle été rendue impossible par l’absence d’accord sur l’objet
de la convention, au sens de l’art.
(3) Les
mesures de réparation disponibles en vertu de l’art.
[111]
Le recours prévu à l’art.
a) Les mesures de réparation contractuelles
[112]
Dans la mesure où il possède l’intérêt juridique requis, un consommateur
peut, sous réserve des autres recours prévus par la loi, intenter une poursuite
en vertu de l’art.
[113]
La nature des obligations dont la violation peut être sanctionnée par le
biais de l’art.
[114] La L.p.c. impose ensuite aux commerçants, aux fabricants et aux publicitaires des obligations énoncées au titre II de la loi. Celles-ci leur incombent indépendamment de l’existence d’un contrat de consommation visé par l’art. 2 de la loi. Contrairement aux obligations imposées en vertu du titre I de la loi, qui régissent la phase contractuelle, les interdictions relatives à certaines pratiques de commerce réglementent la phase précontractuelle. Comme Me Françoise Lebeau l’a souligné, les dispositions du titre II de la L.p.c. imposent aux commerçants, aux fabricants et aux publicitaires un devoir de loyauté et une obligation d’information au cours de la période précédant la formation du contrat (p. 1020). Le législateur poursuit un objectif évident en matière de pratiques de commerce : celui d’assurer la véracité des représentations précontractuelles afin d’éviter que le consentement du consommateur soit vicié par une information déficiente, frauduleuse ou abusive.
[115]
En matière de pratiques interdites, un courant jurisprudentiel et
doctrinal affirme que les mesures de réparation contractuelles prévues à l’art.
[116]
Selon cette approche, le tribunal ne pourrait pas accorder au
consommateur l’une des mesures de réparation contractuelles prévues à l’art.
[117]
À notre avis, cette position sous-estime l’influence possible des
publicités trompeuses sur la décision du consommateur de s’engager dans une
relation contractuelle avec un commerçant. Cette position considère
effectivement qu’une publicité ne peut avoir un effet dolosif lorsque le consommateur
découvre son caractère trompeur quelques minutes avant de conclure un contrat
avec un commerçant. Or, cette conception de l’« effet dolosif » est
trop restreinte pour permettre au recours de l’art.
[118] L’affirmation que les publicités possèdent la capacité d’attirer le consommateur dans la sphère d’influence des commerçants est un euphémisme. Très souvent, les publicités stimulent l’intérêt du consommateur et l’incitent à se rendre physiquement chez un commerçant afin d’en apprendre davantage sur le produit ou le service mis en valeur. Le processus décisionnel du consommateur s’engage alors : il envisage de se procurer un bien ou un service sur la base des représentations faites dans la publicité. Enfin, la vulnérabilité du consommateur augmente dès qu’il se trouve sur place.
[119] Dans l’absolu, les représentations et l’insistance d’un commerçant pour amener le client à céder n’ont rien de répréhensible. Elles sont normales et inévitables dans un système économique où prime la libre concurrence. La situation diffère lorsque le consommateur est attiré par une publicité fausse ou trompeuse, et ce, même si le commerçant « corrige » l’information dans le cadre de discussions individuelles dans les instants précédant la conclusion du contrat. Certes, une interprétation rigoriste des règles en matière de formation des contrats peut conduire à la conclusion que le consommateur donne malgré tout un consentement libre et éclairé lorsqu’il découvre, avant de contracter, le caractère trompeur d’une publicité. Cependant, une conception plus conforme à la portée sociale de la L.p.c. ferait conclure que la décision du consommateur de s’engager dans une relation contractuelle avec le commerçant a été viciée à la base par une publicité trompeuse.
[120] Il est difficile de nier qu’une telle « correction » de l’information trompeuse s’effectue souvent tardivement dans le processus de formation du contrat. À titre d’exemple, les membres du groupe visé par le recours collectif dans l’affaire Brault & Martineau ont appris à la caisse, c’est-à-dire après avoir discuté avec un vendeur des modalités de paiement et de financement ainsi qu’après l’émission d’un bon de commande, qu’ils devaient payer les taxes (C.S., par. 29-30; voir également Chartier c. Meubles Léon ltée, 2003 CanLII 7749 (C.S. Qué.)). Cette correction peut donc s’effectuer après que le consommateur a, dans les faits, consenti à acheter le produit en question. Dans un tel contexte, il est certain que la pratique interdite contribue à entraîner le consommateur dans une relation contractuelle sur la base d’informations trompeuses.
[121]
Pour cette raison, la prétention selon laquelle l’art.
[122]
En outre, cette interprétation entraîne des résultats surprenants. En effet,
la présomption de l’art.
[123]
Nous préférons nettement à cet égard la position adoptée par le juge
Fish dans l’arrêt Turgeon, où il a affirmé que l’existence d’une
pratique interdite ne faisait pas présumer qu’un dol avait été commis
par un commerçant, mais plutôt qu’elle constituait en soi un dol au sens
de l’art.
[124]
L’application de la présomption absolue de préjudice présuppose qu’un
lien rationnel existe entre la pratique interdite et la relation contractuelle
régie par la loi. Il importe donc de préciser les conditions d’application de
cette présomption dans le contexte de la commission d’une pratique interdite. À
notre avis, le consommateur qui souhaite bénéficier de cette présomption doit
prouver les éléments suivants : (1) la violation par le commerçant ou le
fabricant d’une des obligations imposées par le titre II de la loi; (2) la
prise de connaissance de la représentation constituant une pratique interdite
par le consommateur; (3) la formation, la modification ou l’exécution d’un
contrat de consommation subséquente à cette prise de connaissance, et (4) une
proximité suffisante entre le contenu de la représentation et le bien ou le
service visé par le contrat. Selon ce dernier critère, la pratique interdite
doit être susceptible d’influer sur le comportement adopté par le consommateur
relativement à la formation, à la modification ou à l’exécution du contrat de
consommation. Lorsque ces quatre éléments sont établis, les tribunaux peuvent
conclure que la pratique interdite est réputée avoir eu un effet dolosif sur le
consommateur. Dans un tel cas, le contrat formé, modifié ou exécuté constitue,
en soi, un préjudice subi par le consommateur. L’application de cette
présomption lui permet ainsi de demander, selon les mêmes modalités que celles
décrites ci-dessus, l’une des mesures de réparation contractuelles prévues à
l’art.
b) Les dommages-intérêts compensatoires
[125]
En cas de contravention par un commerçant ou un fabricant à une
obligation visée par l’art.
[126]
L’autonomie du recours en dommages-intérêts prévu à l’art.
[127]
L’article
[128]
En effet, dans la mesure où il est ouvert au consommateur, le recours
prévu à l’art.
(4) Le
problème de l’interaction entre les art.
[129]
Cependant, le rôle joué par l’art.
253. Lorsqu’un commerçant, un fabricant ou un publicitaire se livre en cas de vente, de location ou de construction d’un immeuble à une pratique interdite ou, dans les autres cas, à une pratique interdite visée aux paragraphes a et b de l’article 220, a, b, c, d, e et g de l’article 221, d, e et f de l’article 222, c de l’article 224, a et b de l’article 225 et aux articles 227, 228, 229, 237 et 239, il y a présomption que, si le consommateur avait eu connaissance de cette pratique, il n’aurait pas contracté ou n’aurait pas donné un prix si élevé.
[130]
Comme nous l’avons vu, la professeure L’Heureux a soutenu depuis fort
longtemps que la présomption érigée par l’art.
8. Le consommateur peut demander la nullité du contrat ou la réduction des obligations qui en découlent lorsque la disproportion entre les prestations respectives des parties est tellement considérable qu’elle équivaut à de l’exploitation du consommateur, ou que l’obligation du consommateur est excessive, abusive ou exorbitante.
9. Lorsqu’un tribunal doit apprécier le consentement donné par un consommateur à un contrat, il tient compte de la condition des parties, des circonstances dans lesquelles le contrat a été conclu et des avantages qui résultent du contrat pour le consommateur.
[131]
Une autre opinion, défendue notamment par les professeurs Lluelles et
Moore, consiste à affirmer que la présence de l’art.
[132]
À notre avis, ces deux thèses considèrent à tort que le rôle joué par
l’art.
[133]
Au-delà des caractéristiques propres à l’art.
[134] Il ne faut pas perdre de vue que l’application de la L.p.c. n’est pas tributaire de l’exercice de l’un des recours civils ou pénaux qui y sont prévus. La L.p.c. s’applique à toute situation juridique visée par l’art. 2 de la loi, et non pas seulement lorsqu’une poursuite civile ou pénale est intentée en vertu de celle-ci.
[135]
Le cadre du présent pourvoi n’exige pas que nous étendions la discussion
sur la relation qu’entretient l’art.
(5) Le
rôle joué par l’art.
[136]
Il nous reste à préciser le rôle joué par l’art.
[137]
Le titre II de la L.p.c. prohibe un certain nombre de
représentations faites « à un consommateur ». La définition du
« consommateur » contenue à l’al. 1e) de la loi pourrait
laisser croire que les dispositions du titre II ne s’appliquent que lorsqu’un
consommateur a conclu un contrat à la suite de la commission d’une pratique
interdite. Or, les prohibitions portant sur les pratiques de commerce trouvent
également à s’appliquer de façon préventive, c’est-à-dire avant qu’une
représentation illégale ne floue un ou plusieurs consommateurs en les
entraînant frauduleusement dans une relation contractuelle. C’est la raison
d’être de l’art.
[138]
L’article
Cette disposition a pour but de rendre possibles les poursuites pénales lorsque les dispositions du titre II n’ont pas été respectées mais qu’aucun contrat n’a été conclu suite à une violation de la L.P.C. On peut ainsi faire la preuve qu’une publicité est trompeuse et poursuivre le contrevenant au pénal même si aucun contrat n’a été conclu avec un ou plusieurs consommateurs suite à cette publicité. [p. 827]
[139]
L’applicabilité des dispositions pénales fait l’objet d’une règle
spécifique : l’art.
(6) Application des principes au présent pourvoi
[140] L’appelant n’a demandé aucune mesure de réparation contractuelle en l’espèce. Son recours vise plutôt à obtenir l’équivalent d’un million de dollars américains en dommages-intérêts. Bien que sa requête introductive d’instance manque de clarté à cet égard, l’évolution du dossier a révélé que cette somme englobait principalement des dommages-intérêts punitifs et, de façon accessoire, une réclamation de nature extracontractuelle. Il convient d’abord de déterminer si, conformément aux principes dégagés ci-dessus, l’appelant a établi la responsabilité extracontractuelle des intimées.
[141]
Pour établir la responsabilité extracontractuelle des intimées,
l’appelant doit démontrer qu’elles ont commis une pratique interdite. Il lui
faut ensuite prouver qu’il a pris connaissance de la représentation constituant
une pratique interdite avant la formation, la modification ou l’exécution du
contrat et qu’il existe une proximité suffisante entre la représentation et le
bien ou le service visé par le contrat. La présomption absolue de préjudice
découlera de la preuve de ces éléments et la responsabilité extracontractuelle
des intimées se trouvera alors engagée pour l’application de l’art.
[142] La juge de première instance a reconnu que la faute des intimées a causé des dommages moraux à l’appelant. Elle lui a octroyé 1 000 $ à titre de compensation. Devant notre Cour, les intimées n’ont pas démontré qu’elle avait erré dans son appréciation de la preuve ou dans l’application des principes juridiques, à l’égard tant de leur responsabilité que du quantum des dommages. Aucune raison ne justifierait une intervention de notre Cour à l’égard de ces conclusions. Pour cette raison, l’appel sera accueilli afin de rétablir ce volet du jugement de première instance.
E. La juge de première instance a-t-elle erré en accordant des dommages-intérêts punitifs à l’appelant?
[143]
Dans cette partie de nos motifs, nous devons préciser les
principes de droit et les critères relatifs à la recevabilité d’un recours en
dommages-intérêts punitifs intenté en vertu de l’art.
(1) Autonomie des dommages-intérêts punitifs
[144]
Dans leur mémoire, les intimées plaident qu’une demande de
dommages-intérêts punitifs fondée sur l’art.
[145]
En premier lieu, nous devons prendre en compte, comme dans le cas des
dommages-intérêts compensatoires, le libellé même de l’art.
[146]
De plus, notre interprétation concorde avec celle que notre Cour a
adoptée dans l’arrêt de Montigny c. Brossard (Succession),
veut simplement dire que le tribunal peut non seulement accorder des dommages compensatoires, mais « en outre », soit également, en plus de cela, de surcroît, d’autre part, aussi (voir Le Grand Robert de la langue française (1986), t. 6), faire droit à une demande de dommages exemplaires. Les seconds ne dépendent donc pas des premiers. [Souligné dans l’original.]
De l’avis du juge LeBel dans l’arrêt de Montigny, « [l]a solution retenue par la juge L’Heureux-Dubé semble effectivement celle qui s’impose dans les cas où, comme en l’espèce, l’impératif de préservation des régimes étatiques d’indemnisation est absent du contexte juridique » (par. 42). Ces propos sont tout aussi applicables en l’instance.
[147]
Le consommateur qui invoque l’art.
(2) Critères encadrant l’octroi de dommages-intérêts punitifs de façon générale
a) L’hétérogénéité des critères d’octroi en droit civil québécois
[148]
Les intimées soutiennent que, même si notre Cour reconnaissait
que l’appelant avait l’intérêt juridique pour demander des dommages-intérêts
punitifs en l’instance, les faits de cette affaire ne permettent pas de lui en
accorder. En effet, les intimées nous invitent à retenir le critère selon
lequel l’attribution des dommages-intérêts punitifs en vertu de l’art.
[149] En premier lieu, les arrêts de notre Cour invoqués par les intimées ont été rendus en matière de responsabilité civile de common law. Or, les approches adoptées en droit civil québécois et en common law au sujet des conditions d’ouverture d’une demande de dommages-intérêts punitifs divergent grandement. En effet, la common law prévoit que les dommages-intérêts punitifs peuvent être octroyés dans le cadre de toute poursuite civile où la partie demanderesse prouve que la partie défenderesse a fait montre d’une conduite « malveillante, opprimante et abusive [qui] choque le sens de dignité de la cour » : Hill, par. 196. L’obligation de démontrer une conduite répréhensible représentant un écart marqué par rapport aux normes ordinaires en matière de comportement acceptable assure le caractère exceptionnel de l’octroi de cette forme de dommages-intérêts (Whiten, par. 36).
[150]
Le droit civil québécois n’adopte pas globalement ce critère. En droit
civil, les dommages-intérêts punitifs conservent un caractère exceptionnel. En
effet, l’art.
1621. Lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.
En conséquence, « en l’absence d’un
texte habilitant, les dommages punitifs doivent être refusés » (J.-L.
Baudouin et P. Deslauriers, La responsabilité civile (7e éd.
2007), vol. I, Principes généraux, par. 1-364; voir aussi Béliveau
St-Jacques, par. 20). Le législateur québécois a donc voulu s’en remettre
aux textes des lois particulières qui déterminent les cas où des
dommages-intérêts punitifs pourront être accordés et qui, parfois, déterminent
les conditions de leur attribution ou leur calcul. L’article
[151]
Le législateur se laisse ainsi un degré plus important de flexibilité
dans l’aménagement des régimes particuliers d’attribution des dommages-intérêts
punitifs. Une analyse de lois québécoises qui contiennent des dispositions
autorisant l’octroi de dommages-intérêts punitifs confirme la flexibilité et la
variabilité du régime juridique des dommages-intérêts punitifs en droit
québécois. D’une part, les dispositions habilitantes sont rédigées de manière
variée. Elles n’exigent pas toutes la preuve du caractère malveillant,
opprimant ou abusif de l’acte accompli, que requiert en tout temps la common
law. Par exemple, une violation de l’art.
[152]
Par contre, le législateur a parfois prévu que la preuve d’une conduite
malveillante ou d’une faute intentionnelle était nécessaire pour obtenir des
dommages-intérêts punitifs. Prenons à titre d’exemple (1) l’art.
[153] Ainsi, contrairement à la common law, le régime des dommages-intérêts punitifs en droit civil québécois n’a pas été unifié. De plus, on ne saurait prétendre qu’il existe en droit civil québécois une règle traditionnelle selon laquelle seule une conduite malveillante et répréhensible permet l’octroi de ce type de dommages-intérêts.
b) Éléments à considérer dans l’élaboration des critères d’octroi de dommages-intérêts punitifs
[154] Dans ce contexte législatif, devant le silence de la loi, la détermination des critères d’octroi de dommages-intérêts punitifs doit prendre en compte les objectifs généraux des dommages-intérêts punitifs et ceux de la loi en cause.
[155]
L’article
[156] La nécessité de prendre également en compte les objectifs de la législation en cause se justifie par le fait que le droit à des dommages-intérêts punitifs en droit civil québécois dépend toujours d’une disposition législative précise. De plus, dans leurs manifestations actuelles, les dommages-intérêts punitifs n’ont pas pour but de punir généralement tout comportement interdit par la loi. Leur fonction consiste plutôt à protéger l’intégrité d’un régime législatif en sanctionnant toute action incompatible avec les objectifs poursuivis par le législateur dans la loi en question. La détermination des types de conduite dont il importe de prévenir la récidive et des objectifs du législateur s’effectue à partir de la loi en vertu de laquelle une sanction est demandée.
[157] En pratique, pour s’acquitter de son obligation de prendre en compte les objectifs susmentionnés, le tribunal devra identifier les types de comportements qui sont incompatibles avec les objectifs poursuivis par le législateur dans la loi en cause et dont la perpétration nuit à leur réalisation. L’octroi de dommages-intérêts punitifs ne peut viser que ces types de comportements.
(3) Les
critères d’octroi de dommages-intérêts punitifs en vertu de l’art.
[158]
Selon l’art.
[159]
L’identification des objectifs de la loi devient
alors nécessaire pour s’assurer que les dommages-intérêts punitifs rempliront
bien les fonctions prévues dans l’art.
a) Les objectifs de la L.p.c.
[160] Le premier objectif de la L.p.c. est le rétablissement d’un équilibre dans les relations contractuelles entre les commerçants et le consommateur (Roy, p. 466; L’Heureux et Lacoursière, p. 25-26). La nécessité de ce rééquilibrage découle de la faiblesse du pouvoir de négociation du consommateur face aux commerçants, autant lors de la conclusion d’un contrat qu’au moment du règlement de problèmes survenant au cours de leurs relations contractuelles. Elle découle également du risque de vulnérabilité informationnelle auquel est exposé le consommateur à toutes les étapes de ses rapports avec des commerçants. En somme, les obligations imposées aux commerçants et le formalisme des contrats régis par la loi visent à établir un équilibre contractuel entre les commerçants et le consommateur (L’Heureux et Lacoursière, p. 26-31).
[161] La L.p.c. possède comme second objectif l’élimination des pratiques déloyales et trompeuses susceptibles de fausser l’information dont dispose le consommateur et de l’empêcher de faire des choix éclairés (L’Heureux et Lacoursière, p. 479 et suiv.). Les mesures imposées par le législateur pour atteindre cet objectif se retrouvent, pour la majorité, au titre II de la L.p.c., dont nous avons discuté plus haut.
[162] Par la réalisation de ces deux objectifs, le législateur cherche à sauvegarder l’existence d’un marché efficient où le consommateur peut intervenir avec confiance.
b) Les divergences jurisprudentielles au sujet des critères d’octroi de dommages-intérêts punitifs sous le régime de la L.p.c.
[163] L’examen de la jurisprudence québécoise laisse un degré significatif d’incertitude au sujet des critères qui devraient gouverner l’attribution de dommages-intérêts punitifs sous le régime de la L.p.c. Nous avons noté la présence de courants jurisprudentiels et doctrinaux nettement divergents. Nous les passerons en revue avant de proposer un critère de mise en œuvre du recours en dommages-intérêts punitifs.
[164]
Un premier courant exige la démonstration d’une
conduite intentionnelle ou empreinte de mauvaise foi ou encore la preuve d’une
faute lourde ou de comportements similaires. La Cour d’appel du Québec a rejeté
cette approche depuis déjà plus d’une décennie (voir Lambert c.
Minerve Canada, compagnie de transport aérien inc.,
[165] Ce courant ne respecte pas les objectifs de la L.p.c. Le fardeau de preuve qu’il impose ne permettrait pas de modifier le comportement des commerçants et fabricants. Cette interprétation de la loi ne les inciterait pas à respecter les obligations que leur impose la L.p.c. Elle les inviterait plutôt à penser qu’ils n’ont pas à se préoccuper de respecter la loi, tant que leur violation n’atteint pas un degré élevé de gravité. Les auteurs L’Heureux et Lacoursière soulignent d’ailleurs que l’exigence de la mauvaise foi risque de stériliser la mise en œuvre de la loi. Ils proposent alors un critère de conduite « qui excède les frontières de la normalité » (p. 630).
[166] Selon le deuxième courant jurisprudentiel, le simple constat d’un manquement à une obligation imposée par la L.p.c. justifierait en lui-même l’octroi de dommages-intérêts punitifs. La juge Duval Hesler (maintenant juge en chef) a adopté cette position dans l’arrêt Brault & Martineau (C.A.) :
À mon avis, et au risque de me répéter, l’existence d’une pratique commerciale illégale, telle la publicité qui ne satisfait pas aux exigences de la LPC, justifie à elle seule l’attribution de dommages punitifs. [Nous soulignons; par. 45.]
[167]
Cette position se situe à l’autre extrême du
spectre des solutions envisagées par la jurisprudence. Une application aussi
stricte, sinon automatique, de l’art.
[168] Il est vrai qu’il convient d’encourager le consommateur à faire respecter les droits que lui confère la L.p.c. Cette préoccupation ne signifie pas inéluctablement que la mise en œuvre de ces droits se réalise toujours par la voie de poursuites judiciaires et que des efforts de résolution informelle ne puissent être envisagés préalablement. L’institution d’une poursuite suppose, il nous semble, l’échec d’efforts de règlement informel du différend entre le consommateur et le commerçant ou fabricant. La règle préconisée par la juge Duval Hesler réduit l’attrait d’une telle résolution et encouragerait la judiciarisation aveugle de différends qui auraient pu se régler autrement. On imposerait alors des condamnations à des dommages-intérêts punitifs dans des circonstances où leur octroi ne servirait aucun des objectifs de la L.p.c. ni de ceux des dommages-intérêts punitifs de façon générale.
[169] Selon un troisième courant, la preuve d’une certaine mesure d’insouciance de la part du commerçant ou fabricant face à la loi et au comportement qu’elle cherche à réprimer justifierait une condamnation à des dommages-intérêts punitifs. Cependant, comme nous le verrons, la mesure exacte d’insouciance requise pour satisfaire à ce critère, selon les auteurs et les tribunaux, est variable et inconstante.
[170] Ce critère de l’insouciance est énoncé dans sa forme la plus élémentaire par le professeur Masse :
Il suffit donc que la conduite du commerçant démontre une insouciance face à la loi et aux comportements que la loi cherche à réprimer pour que [des dommages-intérêts punitifs] soient accordés. [p. 1000]
[171]
Les tribunaux québécois ont adopté l’opinion
exprimée par le professeur Masse dans plusieurs jugements : Marcotte
c. Fédération des caisses Desjardins du Québec, par. 724; Gastonguay c.
Entreprises D. L. Paysagiste, 2004 CanLII 31925 (C.Q.), par. 77-79; Mathurin
c. 3086-9069 Québec Inc.,
[172]
La Cour d’appel du Québec a opté pour un critère
d’insouciance assez sérieuse pour justifier l’octroi de dommages-intérêts
punitifs, dans l’arrêt Systèmes Techno-Pompes inc. c. Tremblay,
Enfin, l’aspect le plus important des dommages-intérêts exemplaires consiste à prévenir des comportements semblables. Avant d’octroyer de tels dommages, le tribunal doit apprécier la conduite du commerçant afin de déterminer si elle manifeste une insouciance des droits du consommateur d’une manière assez sérieuse pour justifier une sanction supplémentaire et pour prévenir la récidive.
C’est ce dernier objectif de châtiment et de dissuasion qu’a retenu la juge de première instance pour accorder des dommages exemplaires. On peut difficilement conclure que l’appelante a manifesté une malveillance et une insouciance assez sérieuses pour justifier une sanction supplémentaire. [Nous soulignons; par. 33-34.]
[173]
De la même façon, dans Champagne c. Toitures Couture et Associés inc.,
[174]
Selon la Cour d’appel, dans l’arrêt Systèmes
Techno-Pompes inc., et la Cour supérieure, dans l’affaire Champagne, une violation de la L.p.c.
résultant de la simple insouciance du commerçant ne suffirait pas, en règle
générale, pour justifier l’octroi de dommages-intérêts punitifs.
Bien que nous acceptions en principe ce postulat, à notre avis, la décision
d’octroyer des dommages-intérêts punitifs ne devrait pas non plus se baser
seulement sur le niveau de gravité de l’insouciance au moment de la violation.
En effet, on encouragerait alors les commerçants et les fabricants à faire
preuve d’imagination dans l’inexécution de leurs obligations sous le régime de
la L.p.c., plutôt que de diligence dans l’exécution de celles-ci. Comme
nous l’expliquerons plus bas, notre position veut que l’analyse du caractère
sérieux de l’insouciance s’effectue dans le contexte du comportement du
commerçant tant avant qu’après la violation. À cette occasion, nous examinerons
de façon plus précise les types de comportements, autres que l’insouciance, que
vise le recours en dommages-intérêts punitifs prévu à l’art.
c) Les critères d’octroi de dommages-intérêts punitifs
[175]
Dans la détermination des critères d’octroi de
dommages-intérêts punitifs en vertu de l’art.
[176] L’assujettissement des relations consommateurs-commerçants à des règles d’ordre public met en évidence l’importance de ces dernières et la nécessité pour les tribunaux de veiller à leur application stricte. Les commerçants et fabricants ne peuvent donc adopter une attitude laxiste, passive ou ignorante à l’égard des droits du consommateur et des obligations que leur impose la L.p.c. Au contraire, l’approche adoptée par le législateur suggère qu’ils doivent faire preuve d’une grande diligence dans l’exécution de leurs obligations. Ils doivent donc manifester le souci de s’informer de leurs obligations et de mettre en place des mesures raisonnables pour en assurer le respect.
[177]
Ainsi, selon nous, la L.p.c. cherche à
réprimer chez les commerçants et fabricants des comportements d’ignorance,
d’insouciance ou de négligence sérieuse à l’égard des droits du consommateur et
de leurs obligations envers lui sous le régime de la L.p.c. Évidemment,
le recours en dommages-intérêts punitifs prévu à l’art.
[178]
Cependant, le simple fait d’une violation d’une
disposition de la L.p.c. ne suffirait pas à justifier une condamnation à
des dommages-intérêts punitifs. Par exemple, on devrait prendre en compte
l’attitude du commerçant qui, constatant une erreur, aurait tenté avec
diligence de régler les problèmes causés au consommateur. Ni la L.p.c.,
ni l’art.
d) Récapitulation des principes
[179] Pour récapituler, les principes applicables au recours en dommages-intérêts punitifs sous le régime de la L.p.c. peuvent se résumer comme suit :
· Actuellement, le droit civil québécois ne permet l’octroi de dommages-intérêts punitifs que si une disposition législative le prévoit;
· Une fois une disposition législative habilitante identifiée, le tribunal doit en premier lieu décider si le demandeur possède l’intérêt requis pour demander des dommages-intérêts punitifs en vertu de cette disposition législative;
· Le tribunal est lié par les critères établis, le cas échéant, par la disposition législative habilitante à l’égard de l’attribution de dommages-intérêts punitifs;
·
Si la loi habilitante ne prévoit pas les conditions
d’attribution de dommages-intérêts punitifs ou les critères de leur évaluation,
le tribunal doit prendre en compte les dispositions générales de l’art.
·
À cette fin, le tribunal doit identifier les
comportements qui, eu égard aux objectifs généraux des dommages-intérêts
punitifs selon l’art.
[180]
Dans le cas d’une demande de dommages-intérêts
punitifs fondée sur l’art.
·
Les dommages-intérêts punitifs prévus par l’art.
· Compte tenu de cet objectif et des objectifs de la L.p.c., les violations intentionnelles, malveillantes ou vexatoires, ainsi que la conduite marquée d’ignorance, d’insouciance ou de négligence sérieuse de la part des commerçants ou fabricants à l’égard de leurs obligations et des droits du consommateur sous le régime de la L.p.c. peuvent entraîner l’octroi de dommages-intérêts punitifs. Le tribunal doit toutefois étudier l’ensemble du comportement du commerçant lors de la violation et après celle-ci avant d’accorder des dommages-intérêts punitifs.
F. L’appelant a-t-il droit à des dommages-intérêts punitifs en l’instance?
[181] La juge de première instance a conclu que les intimées avaient commis une violation intentionnelle et calculée de la L.p.c. :
[TRADUCTION] Le même
emploi de la forme « conditionnelle », qui a permis à Time d’échapper
à l’argument qu’un contrat était intervenu ou qu’elle s’était engagée à verser
à M. Richard, sans condition, la somme de 833 337 $, illustre
bien la prétention que ce document a été conçu expressément de
manière à tromper son destinataire, qu’il contient des représentations
trompeuses ou même fausses, et ce, en contravention du texte explicite de
l’article
[182] Ces conclusions ne sont entachées d’aucune erreur manifeste et dominante. Il ne serait donc pas justifié que notre Cour les modifie.
[183] Ces conclusions sont fatales pour les intimées dans le contexte de la présente affaire. Les violations relevées sont intentionnelles et calculées. De plus, rien dans la preuve n’indique que les intimées ont pris des mesures correctives après la plainte de l’appelant afin de rendre leurs publicités claires ou conformes à la lettre et à l’esprit de la L.p.c. Au contraire, selon la preuve, elles ont rejeté sa réclamation en totalité et n’ont rien proposé. Une condamnation à des dommages-intérêts punitifs se justifiait donc.
[184] Pour ces raisons, nous sommes d’avis d’accueillir le recours de l’appelant à l’égard de sa demande de dommages-intérêts punitifs. Il reste maintenant à déterminer le montant de dommages-intérêts approprié.
G. Quel est le quantum approprié des dommages-intérêts dans la présente affaire?
[185] La juge de première instance a fixé à 100 000 $ les dommages-intérêts punitifs payables par les intimées à l’appelant. Les intimées contestent la justesse de la somme accordée, alléguant que la juge de première instance a erré à plusieurs égards dans son processus de détermination du quantum approprié des dommages-intérêts punitifs. Elles plaident que, si notre Cour confirmait la décision de la juge de première instance d’accorder des dommages-intérêts punitifs, leur montant devrait être réduit substantiellement.
[186] Spécifiquement, les intimées reprochent à la juge de première instance d’avoir (1) spéculé sur le nombre de violations de la L.p.c. qu’elles auraient commises; (2) pris en compte ce qu’elle percevait comme une violation des dispositions de la Charte de la langue française, dans son évaluation de la gravité de leur conduite; et (3) tiré des inférences quant à leur situation patrimoniale sans assises factuelles suffisantes.
[187] Finalement, selon les intimées, la décision de la juge de première instance de retenir la somme de 100 000 $ comme quantum des dommages-intérêts punitifs était arbitraire. En effet, au par. 71 de ses motifs, la juge de première instance indique avoir choisi ce montant parce qu’il représenterait la somme additionnelle que l’appelant avait la chance de gagner en sus du gros lot de 833 337 $US, s’il validait son inscription à l’intérieur d’un délai de cinq jours après la réception du Document. Les intimées semblent prétendre qu’il était irrationnel de fixer les dommages-intérêts punitifs à ce montant de 100 000 $ dans ce contexte.
(1) Le rôle des tribunaux de première instance
[188] Le pourvoi souligne les difficultés que le calcul des dommages-intérêts punitifs présente pour le juge de première instance. Bien qu’il possède une discrétion en cette matière, le juge doit l’exercer judiciairement et aussi, autant que possible, respecter la pratique déjà établie par la jurisprudence et prendre en considération l’ensemble des circonstances particulières de chaque cas, et ce, en conformité avec les principes de dissuasion, de punition et de dénonciation des dommages-intérêts punitifs.
[189]
Puisque l’exécution de cette tâche impose au juge du procès un examen
attentif des faits, la Cour d’appel doit faire preuve de beaucoup de retenue
avant de modifier le quantum des dommages-intérêts. Elle ne doit pas infirmer
la décision de première instance à propos de conclusions et inférences de fait
relatives à la fixation de ces dommages-intérêts en l’absence d’une erreur
manifeste et dominante (Housen, par. 1-6, 10 et 25; H.L., par.
53; Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand,
[190]
On doit se rappeler que le tribunal de première instance jouit d’une
latitude dans la détermination du montant des dommages-intérêts punitifs,
pourvu que la somme fixée demeure dans des limites rationnelles, eu égard aux
circonstances précises d’une affaire donnée (St-Ferdinand, par. 125; Whiten, par. 100). Une intervention en
appel ne se justifiera qu’en présence d’une erreur de droit ou d’une erreur
sérieuse dans l’évaluation du montant. L’erreur d’évaluation sera jugée
sérieuse lorsqu’il sera établi que le tribunal de première instance a exercé sa discrétion judiciaire d’une façon manifestement erronée,
c.-à-d. lorsque le montant octroyé n’était pas rationnellement relié aux
objectifs de l’attribution de dommages-intérêts punitifs dans l’affaire dont il
était saisi (St-Ferdinand, par. 129; Provigo Distribution inc. c. Supermarché A.R.G. inc.,
(2) La fixation du montant des dommages-intérêts punitifs par la juge de première instance
[191] Dans sa décision d’accorder des dommages-intérêts punitifs, la juge de première instance a d’abord souligné que la faute des intimées était d’une gravité appréciable puisqu’elles avaient envoyé des publicités fausses et trompeuses à des milliers de consommateurs francophones du Québec. Les intimées ont vivement critiqué cette conclusion de fait de la juge de première instance. À leur avis, aucune preuve n’appuyait cette conclusion. D’après elles, la détermination du montant de dommages-intérêts punitifs approprié aurait plutôt dû se faire en supposant que seule une publicité avait été envoyée à un seul consommateur (m.i., par. 109).
[192] Cette prétention est insoutenable. En effet, William Miller, directeur des politiques promotionnelles de l’intimée Time Consumer Marketing Inc., a lui-même témoigné qu’[traduction] « [o]n utilise les concours pour attirer l’attention sur nos promotions d’abonnement » (d.a., vol. II, p. 4). Il a également expliqué en détail que, dans un désir d’attirer plus d’abonnés, Time Inc. avait décidé d’envoyer des messages « publipostés » en se servant de plusieurs listes de noms (d.a., vol. II, p. 5). Les envois postaux étaient personnalisés pour attirer l’attention des consommateurs et les inviter à s’abonner au magazine Time (jugement de première instance, par. 21; d.a., vol. II, p. 4 et 5). Nous déduisons de ce témoignage que la distribution de ces envois postaux était non seulement pratique courante chez les intimées, mais s’effectuait également à grande échelle. À la lumière de ces éléments de preuve, bien que la juge de première instance n’ait pas disposé d’une preuve capable d’indiquer avec précision le nombre d’envois postaux effectués, sa conclusion ne peut être qualifiée de sérieusement erronée. L’essentiel de sa conclusion était, à notre avis, que les intimées avaient distribué un grand nombre d’envois postaux sur le territoire québécois à de nombreux consommateurs. La preuve supportant cette conclusion constituait, à bon titre, un fait qu’elle pouvait considérer dans l’analyse de la gravité de la conduite des intimées dans la présente affaire. Il n’y a donc pas lieu de réviser le montant des dommages-intérêts punitifs octroyés sur cette base.
[193] Les intimées ont également attaqué les conclusions de la juge de première instance voulant que (1) Time Inc. ait violé la Charte de la langue française, notamment en faisant parvenir du matériel publicitaire en langue anglaise uniquement (par. 64-65), et que (2) cette violation doive être prise en compte dans la détermination du quantum approprié. Sur cette question, les intimées ont raison. La juge de première instance ne pouvait considérer la Charte de la langue française dans son évaluation du quantum approprié des dommages-intérêts punitifs. La L.p.c. et la Charte de la langue française sont deux lois distinctes qui possèdent des objectifs législatifs particuliers. Les violations à la Charte de la langue française sont d’ailleurs sanctionnées par ses propres recours.
[194] Enfin, les intimées ont reproché à la juge de première instance d’avoir commis des erreurs manifestes et dominantes dans ses conclusions ayant trait à leur situation patrimoniale. D’une part, elles soumettent qu’elle a conclu erronément que M. William Miller, directeur des politiques promotionnelles de Time Consumer Marketing Inc., avait admis dans son témoignage que l’entreprise avait [traduction] « certainement la capacité de payer un montant de 833 337 $US » (la juge Cohen, par. 24). D’autre part, elles lui reprochent d’avoir conclu, sans assises factuelles aucunes, que la preuve établissait que leur campagne publicitaire était lucrative, eu égard aux abonnements qu’elle générait. Nous sommes partiellement en accord avec les prétentions des intimées. À notre avis, la juge de première instance a effectivement erré en imputant à M. Miller une admission qu’il n’avait pas réellement faite. Par contre, nous ne croyons pas qu’il était déraisonnable de la part de la juge de première instance de conclure que la campagne publicitaire des intimées était profitable.
[195] En ce qui a trait au témoignage de M. Miller, nous sommes, à l’instar des intimées, incapables de déceler dans celui-ci une quelconque admission selon laquelle Time Inc. était en mesure de payer la somme de 833 337 $US demandée par l’appelant. Bien au contraire, il appert clairement du témoignage de M. Miller qu’à aucun moment il n’a voulu quantifier les actifs de l’entreprise ou évaluer sa capacité de payer. Il se disait en fait incapable de le faire puisqu’il n’appartenait pas à l’équipe des finances de l’entreprise (témoignage de William Miller, p. 32, lignes 2-4). Il nous paraît d’ailleurs opportun de reproduire le passage pertinent du témoignage de M. Miller sur ce point :
[traduction] LA COUR :
[M. William Miller] a admis [que Time Inc.] a [utilisé la méthode publicitaire en cause pendant des années]. Pourquoi ne lui demandez-vous pas si Time est en mesure de payer cette somme si j’accordais le montant réclamé, la partie de la réclamation qui concerne les dommages moraux et les dommages-intérêts punitifs?
Me HUBERT Sibre :
Q. 338 Est-ce que Time serait en mesure de payer cette somme? Sa solvabilité lui permettrait-elle de payer ce montant si jamais elle y était condamnée?
R. Vous savez, je ne fais pas partie du secteur des finances de la compagnie, ce qui fait que je ne peux vraiment pas faire de commentaire à ce sujet. [Nous soulignons; d.a., vol. II, p. 31-32.]
[196] Le passage ci-dessus cité parle de lui-même. La conclusion de la juge de première instance que M. Miller avait fait une admission quelconque concernant la capacité de payer de Time Inc. ne se basait pas sur les faits et elle était manifestement erronée. La juge de première instance ne pouvait donc, comme elle l’a fait, tirer, sur la base de ce témoignage, de conclusions sur la situation patrimoniale des intimées.
[197] Il en est cependant tout autrement de la conclusion de la juge de première instance que la campagne publicitaire des intimées qui a mené au présent litige était profitable. Pour les intimées, la juge de première instance ne pouvait tirer cette conclusion puisque (1) preuve n’avait été faite que d’un abonnement contracté par un seul consommateur et que (2) le fait que Time Inc. avait distribué, en l’an 2000, plus d’un million de dollars américains aux gagnants du concours qu’elle avait organisé ne fournissait aucune information sur sa situation patrimoniale en 2007 (année de la décision de première instance dans cette affaire). Nous trouvons ces arguments peu convaincants. En effet, au dire de M. Miller lui-même, les intimées organisent des concours promotionnels au Canada et aux États-Unis depuis le milieu des années 1980. Il a ajouté que plusieurs centaines de personnes avaient gagné des sommes variant de 1000 $ à 1 600 000 $US grâce à ces concours et que le but avoué de ces derniers était d’attirer l’attention des consommateurs sur les promotions d’abonnement des intimées (témoignage de M. William Miller, d.a., vol. II, p. 4). Il nous semble logique et raisonnable, de par les montants distribués par Time Inc. et le nombre d’années d’existence des concours promotionnels, d’inférer de la preuve, comme l’a fait la juge de première instance, que l’organisation de ces concours était lucrative, en ce sens qu’elle permettait à Time Inc. d’augmenter sensiblement son lectorat.
[198] En définitive, est-ce qu’il y a lieu de réviser le montant de 100 000 $ retenu par la juge de première instance à titre de dommages-intérêts punitifs? Nous croyons que oui. Bien qu’elle ne se soit pas trompée en concluant que les intimées avaient distribué un grand nombre d’envois postaux sur le territoire québécois à de nombreux consommateurs et que l’organisation de ces concours publicitaires leur permettait de vendre un grand nombre de nouveaux abonnements, il n’en demeure pas moins que les erreurs qu’elle a commises ont, à notre avis, joué un rôle non négligeable dans son évaluation. À la lumière de ces erreurs et du fait que la décision de la juge de première instance semble avoir été influencée par l’existence du prix additionnel de 100 000 $ promis par les intimées en sus du gros lot, nous croyons qu’une réévaluation du montant des dommages-intérêts punitifs qu’elle a accordés s’impose.
a) Critères d’évaluation du quantum
[199]
Dans l’évaluation du montant des dommages-intérêts punitifs, il faut se
tourner d’abord vers l’art.
[200]
La gravité de la faute constitue sans aucun doute le facteur le plus
important (Genex Communications inc. c. Association québécoise de l’industrie
du disque, du spectacle et de la vidéo,
[201]
Le deuxième facteur énoncé dans l’art.
[202]
Le troisième facteur de l’art.
[203]
Finalement, le quatrième facteur énuméré à l’art.
b) Autres critères à prendre en considération
[204]
Bien que l’art.
[205] Premièrement, dans les cas d’atteinte aux droits et libertés garantis par la Charte québécoise, les tribunaux ont retenu l’identité et le profil d’une personne morale de droit privé comme critère supplémentaire. L’attitude des tribunaux dans la quantification des dommages-intérêts peut ainsi changer selon que l’auteur de l’atteinte est une personne physique, une personne morale ou une personne morale de droit public. « On comprend aisément que les tribunaux s’offusquent de la conduite antisociale d’une personne morale de droit privé ou de droit public avide de profits ou d’avantages politiques ou stratégiques » (Dallaire, p. 131-133).
[206] Il est également tout à fait acceptable, à notre avis, d’utiliser les dommages-intérêts punitifs, comme en common law, pour dépouiller l’auteur de la faute des profits qu’elle lui a rapportés lorsque le montant des dommages-intérêts compensatoires ne représenterait rien d’autre pour lui qu’une dépense lui ayant permis d’augmenter ses bénéfices tout en se moquant de la loi (Whiten, par. 72).
[207] En troisième lieu, les antécédents civils, disciplinaires ou criminels de l’auteur de l’atteinte peuvent constituer des facteurs pertinents. Le montant accordé peut ainsi varier dans le cas d’un fautif qui en est à sa première infraction et qui a eu auparavant une conduite exemplaire, par rapport à celui qui a des antécédents nombreux et importants (Whiten, par. 69; Dallaire, p. 136-142 et 164-165).
[208] Finalement, au-delà de l’attribution des dommages-intérêts compensatoires, le tribunal de première instance peut également, dans le cadre de la poursuite civile dont il est saisi, prendre en compte, dans sa détermination du quantum approprié des dommages-intérêts punitifs, les sanctions disciplinaires, criminelles ou administratives déjà infligées au contrevenant pour sanctionner le comportement qui lui est reproché (Whiten, par. 123). Le quantum de dommages-intérêts punitifs octroyés peut donc, dans des circonstances appropriées, être limité parce que ces autres sanctions auraient déjà contribué à l’atteinte de l’objectif de prévention visé par le législateur.
[209] Soulignons que les facteurs mentionnés plus haut ne doivent pas être considérés automatiquement par le tribunal de première instance dans tous les cas. Leur pertinence dépendra des circonstances de chaque affaire. De même, les facteurs mentionnés ne forment pas une liste exhaustive des considérations pertinentes pour la détermination du quantum des dommages-intérêts punitifs. Tout élément pertinent pour l’analyse peut être pris en considération, pourvu que la finalité de l’analyse demeure la même : s’assurer que la somme octroyée à titre de dommages-intérêts punitifs est rationnellement proportionnée aux objectifs poursuivis par son attribution dans une affaire donnée, compte dûment tenu des circonstances précises de cette dernière (Whiten, par. 74 et 111).
(3) Application aux faits
[210] Lorsqu’un tribunal décide s’il accordera des dommages-intérêts punitifs, il doit mettre en corrélation les faits de l’affaire et les buts visés par ces dommages-intérêts et se demander en quoi, dans ce cas précis, leur attribution favoriserait la réalisation de ces objectifs. Il doit tenter de déterminer la somme la plus appropriée, c’est-à-dire la somme la moins élevée, mais qui permettrait d’atteindre ce but (Whiten, par. 71). Même sans retenir l’allégation d’une violation de la Charte de la langue française comme facteur aggravant, il n’en demeure pas moins que la conduite des intimées était grave et délibérée et pouvait affecter un grand nombre de consommateurs. De plus, même après que le consommateur leur a reproché leurs pratiques trompeuses, selon la preuve, elles n’ont rien corrigé. Ce fait doit également être considéré comme un facteur aggravant.
[211] Par contre, l’impact de la faute commise par les intimées sur l’appelant demeure assez limité, même s’il n’est pas négligeable. L’appelant s’est abonné au magazine Time, a commencé à recevoir la revue le mois suivant, et on lui a aussi livré, comme promis, un appareil photographique et un album photos en prime. De plus, il n’a jamais demandé le remboursement de ses frais d’abonnement au magazine Time sur la base de la publicité trompeuse. Comme nous l’avons vu, il a institué une poursuite, alléguant que les intimées étaient tenues par contrat de lui payer la somme de 1 250 887,10 $, réclamation qui s’est avérée sans fondement. L’attitude de l’appelant n’est donc pas étrangère aux dimensions que ce litige a fini par prendre.
[212] Devant une situation où un grand nombre de consommateurs ont potentiellement été victimes des pratiques interdites commises par les intimées, nous croyons que l’impact réduit de la faute des intimées sur l’appelant ainsi que l’attitude de l’appelant dans le cadre de ce litige constituent des facteurs pertinents dans la détermination de la somme qui devrait lui être octroyée à titre de dommages-intérêts punitifs.
[213]
Par ailleurs, l’information obtenue au procès sur la situation
patrimoniale des intimées était insuffisante pour en tirer des conclusions
utiles à cet égard. L’appelant tente de contourner ce déficit de preuve en
plaidant qu’il était loisible à la juge de première instance de prendre
connaissance d’office du fait que les intimées avaient un patrimoine nanti. Sa
position s’appuie sur le fait qu’elles appartiennent au conglomérat TimeWarner,
dont le patrimoine est bien connu. Nous croyons sa position mal fondée. Les
intimées et TimeWarner sont des entités distinctes et TimeWarner n’est pas une
défenderesse dans la présente affaire. Or, le critère de la situation
patrimoniale édicté au deuxième alinéa de l’art.
[214]
Finalement, le caractère minime de la condamnation à des
dommages-intérêts compensatoires milite en faveur de l’octroi d’un montant non
négligeable de dommages-intérêts punitifs. En effet, en première instance, les
intimées ont été condamnées à payer 1 000 $ à titre de dommages-intérêts
compensatoires et nous proposons de confirmer cette condamnation. Cependant, un
tel montant resterait nettement inadéquat pour atteindre l’objectif de
prévention prévu à l’art.
[215] En considérant l’ensemble des facteurs analysés précédemment, nous sommes d’avis de réduire le montant octroyé à l’appelant à titre de dommages-intérêts punitifs à 15 000 $. Ce montant suffit dans les circonstances pour assurer la fonction préventive des dommages-intérêts punitifs, souligne la gravité des violations de la loi et sanctionne la conduite des intimées de manière assez sérieuse pour les inviter à abandonner les pratiques interdites qu’elles ont utilisées, si ce n’est pas déjà fait.
[216]
L’appelant a demandé des dépens établis en fonction du montant de son
action originale. Cette demande nous paraît injustifiée. Les dépens seront
taxés devant la Cour supérieure et la Cour d’appel du Québec conformément aux
tarifs applicables devant ces tribunaux. Toutefois, nous accordons à l’appelant
des dépens sur la base avocat-client, dans notre Cour, en raison de
l’importance des questions de droit qu’il a soulevées devant elle (Finney c.
Barreau du Québec,
V. Conclusion
[217] Pour les motifs exposés plus haut, nous accueillons, en partie, le pourvoi de l’appelant. Nous cassons l’arrêt de la Cour d’appel du Québec infirmant le jugement de la Cour supérieure du Québec et rejetant l’action en dommages-intérêts de l’appelant contre les intimées. Nous rétablissons en partie le jugement de la Cour supérieure en condamnant les intimées à verser à l’appelant 1 000 $ à titre de dommages-intérêts compensatoires et 15 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs, avec intérêts depuis l’assignation. L’appelant aura droit aux dépens selon les tarifs applicables devant la Cour supérieure et la Cour d’appel du Québec et sur la base avocat-client devant notre Cour.
ANNEXE
Pourvoi accueilli en partie avec dépens.
Procureurs de l’appelant : Davis, Montréal.
Procureurs des intimées : Miller Thomson Pouliot, Montréal.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.