Décision

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Construction DJL inc. c. Commission des lésions professionnelles

2015 QCCS 4147

JM1895

 
 COUR SUPÉRIEURE

(Chambre civile)

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

ST-HYACINTHE

 

N° :

750-17-002390-148

 

 

 

DATE :

4 septembre 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

LISE MATTEAU, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

 

CONSTRUCTION DJL INC.

 

Requérante

 

c.

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

Intimée

 

et

 

MARIO RACICOT

 

Mis en cause

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

(Sur la Requête introductive d’instance en révision judiciaire

intentée par la Requérante)

______________________________________________________________________

 

LE CONTEXTE

[1]           Le 3 mai 2011, Mario Racicot (M. Racicot), alors opérateur de machinerie lourde à l’emploi de Construction DJL inc. (DJL inc.), dépose auprès de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le formulaire « Réclamation du travailleur » où il décrit en ces termes « (…) les circonstances de la lésion professionnelle » :

« la douleur à commencer graduellement et le 18 avril un bruit d’os brissé dans l’épaule gauche qui a fait très mal et depuis douleur insupportable pas capable de dormir normalement. » (sic)[1]

[2]           Le 17 juin 2011, la CSST refuse la réclamation de M. Racicot au motif qu'il ne s’agit ni d’un accident du travail ni d’une maladie professionnelle.

[3]           Le 12 juillet 2011, M. Racicot demande la révision de la décision de la CSST.

[4]           Le 29 juillet 2011, la Direction de la révision administrative de la CSST confirme la décision rendue par la CSST le 17 juin 2011.

[5]           Le 12 septembre 2011, M. Racicot conteste devant la Commission des lésions professionnelles (la CLP) la décision de la Direction de la révision administrative de la CSST.

[6]           Le 13 mars 2013, la CLP accueille la contestation de M. Racicot, infirme la décision rendue le 29 juillet 2011 par la Direction de la révision administrative de la CSST et déclare qu’en date du 4 avril 2011, M. Racicot a été victime d’une lésion professionnelle et qu’il a ainsi droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la LATMP) (Décision CLP-1).

[7]           Le 24 avril 2013, DJL inc. dépose auprès de la CLP une Requête en révision pour cause aux termes de l’article 429.56 LATMP.

[8]           Pour l’essentiel, DJL inc. fait valoir quatre (4) moyens à l’encontre de la Décision CLP-1, savoir :

Ø  L’interprétation erronée de la notion de blessure;

Ø  L’absence d’événement imprévu et soudain;

Ø  L’omission d’un élément de preuve essentiel;

Ø  L’absence totale de preuve quant à la relation causale.

[9]           Le 30 janvier 2014, la CLP rejette la Requête en révision pour cause présentée par DJL inc. (Décision CLP-2).

LES DÉCISIONS CLP-1 ET CLP-2

Ø  La Décision CLP-1

[10]        La CLP résume ainsi la condition médicale de M. Racicot avant le 4 avril 2011 :

« (…)

[11]       Monsieur Racicot a témoigné du fait que sa douleur à l’épaule gauche avait commencé vers la fin de la saison précédente, soit vers le mois d’octobre 2010. Il reconnaît même qu’il soit possible que des douleurs à son épaule aient été présentes jusqu’à un an auparavant.

[12]       Le travailleur explique qu’en recommençant à travailler au printemps 2011, sa douleur de l’automne 2010 à l’épaule gauche est revenue, après quelques semaines de travail.

[13]       Monsieur Racicot explique au tribunal que la douleur en question, présente à l’automne 2010, ainsi que celle apparue après le retour au travail en 2011, décrivait une espèce de « fer à cheval » au niveau de son épaule gauche. Questionné plus avant par le tribunal, le travailleur situe cette douleur à la jonction de l’épaule gauche et du thorax, du côté gauche, partant de l’arrière de l’épaule vers l’avant.

[14]       Monsieur Racicot ajoute avoir consulté son médecin en mars 2011, soit la Dre Nathalie Bouthillier. On retrouve en effet au dossier des notes de consultation de la Dre Bouthillier, en date du 22 et du 28 mars 2011, notes qui font état de ceci : (…)

28 mars 2011

(…)

Dlr épaule avec mobilisation; récidive dlr présente il y a un an

(…)

IMP : Tend épaule G (…)

(…)

[17]       Une radiographie, réalisée le 1er avril 2011, montre la présence d’un pincement discal modéré aux niveaux C5-C6 et C6-C7 avec ostéophytes, alors qu’au niveau de l’épaule gauche, il est noté une discrète calcification près du site d’insertion du tendon du sous-épineux sur la tête humérale, suggérant une discrète tendinite calcifiée. (…) »[3]

(Le Tribunal met l’emphase)

[11]        La CLP aborde par la suite le témoignage que M. Racicot a livré relativement aux circonstances entourant l’apparition de sa douleur le 4 avril 2011 :

« (…)

[21]       Monsieur Racicot explique qu’il a constaté l’arrivée sur les lieux du travail de son contremaitre, monsieur St-Onge, qui désirait lui parler, alors qu’il opérait sa chargeuse. Le travailleur explique qu’il s’est alors étiré le bras gauche, pour ouvrir la porte de sa cabine, en vue de descendre pour parler avec monsieur St-Onge et que c’est en étirant son bras pour saisir la clanche et ouvrir la porte qu’il a ressenti une vive douleur à son épaule gauche.

[22]       Monsieur Racicot a décrit et montré au tribunal le geste alors posé. Pour ouvrir la porte en question, le travailleur explique qu’il doit pousser avec les doigts vers l’extérieur une « clanche », clanche placée à sa gauche au niveau de ses genoux. Pour ce faire, il décrit d’abord au tribunal avoir saisi la clanche avec un mouvement d’abduction de l’épaule gauche à environ 75° ou 80° avec une rotation interne à environ 90°.

[23]       Monsieur Racicot décrit qu’il ressent alors un craquement et une douleur aiguë à la jonction de son épaule gauche et du thorax, douleur descendant à la portion antéro-latérale du bras gauche, jusqu’au tiers inférieur du bras.

[24]       Monsieur Racicot explique qu’il a attendu une minute ou deux avant de descendre de sa cabine, la douleur étant alors trop intense. Lorsqu’il en descend, monsieur St-Onge, qui était demeuré à l’écart, se présente à lui. Le travailleur affirme lui avoir alors indiqué « qu’il venait de se faire mal en ouvrant la porte de la cabine ».

[25]       Le travailleur ajoute avoir continué à travailler par la suite et avoir terminé sa journée de travail. (…) »[4]

(Le Tribunal met l’emphase)

[12]        Plus loin, la CLP ajoute ce qui suit :

« (…)

[34]       Le 10 juin 2011, l’agente Renaud de la CSST note ceci :

Appel au T

Description de l’événement:

 

- Le T est droitier

- Le T m’explique que le 4 avril 2011, il ressent une douleur à l’épaule gauche sans qu’il ne se passe rien au travail.

 

(…)

 

- Le T dit qu’il n’ai rien survenu de particulier au travail.

- Le T avait un rendez-vous avec son md, le 12 avril 2011, et lui parle de ses douleurs à l’épaule gauche.

- Le T mentionne que le 18 avril 2011, il est assis dans son “chargeur sur pneu”. Il prend la poignée de la porte à l’aide de sa main gauche qui se trouve au niveau de ses genoux, il ouvre la porte puis la pousse à l’aide de sa main gauche qui est en extension au niveau de ses genoux, il ressent un craquement dans l’épaule gauche.

- Le T dit avoir fait le mouvement de la façon habituelle.

- Le T a refusé de faire les travaux légers puisqu’ils ne respectaient pas ses limitations, selon lui et la physio.

 

Apparition de la douleur :

 

- La T dit ressentir des douleur à l’épaule gauche depuis environ la fin du mois de juillet 2010. [sic] (…)

 

(…)

[36]       A l’audience, outre la description donnée par le travailleur de « l’événement » décrit comme étant l’ouverture de la porte de la cabine de son chargeur, le travailleur a par ailleurs témoigné du fait qu’à son avis, ce n’est pas vraiment le fait d’avoir ouvert la porte de la façon décrite précédemment, lui ayant causé à ce moment une douleur vive à l’épaule gauche, qui explique son problème à cette épaule. Le travailleur croit que ce sont les mouvements répétitifs posés avec son bras gauche au travail qui en sont la cause.

[37]       À ce sujet, monsieur Racicot, qui est droitier, a décrit les gestes usuels qu’il doit poser dans l’exécution de son travail d’opérateur de machinerie lourde.

(…)

[49]       Le 8 février 2012, le travailleur rencontre le Dr Younès, chirurgien orthopédiste. À son rapport, le médecin note ceci :

Il s’agit d’un patient de 48 ans droitier qui est référé pour douleur scapulaire gauche persistante. Les symptômes ont débuté au mois de mars 2011 de façon progressive. Il n’y a pas eu de traumatisme. Il travaille comme opérateur de machinerie lourde depuis une dizaine d’années et de sa main gauche, il manipule le volant de façon répétitive mais le membre supérieur gauche ne se lève pas en-delà de 70° alors qu’il manipule de sa main droite les leviers. Il est en arrêt de travail depuis le 10 juin à cause des symptômes douloureux. (…) »[5]

(Le Tribunal met l’emphase)

[13]        Procédant à déterminer si M. Racicot a été victime d’une lésion professionnelle le 4 avril 2011, la CLP retient dans un premier temps le diagnostic posé par le médecin traitant de M. Racicot, lequel n’a pas été contesté, soit une « tendinite calcifiée et une déchirure transfixiante de la coiffe des rotateurs au niveau du sus-épineux de son épaule gauche. »[6]

[14]        Abordant par la suite la notion de maladie professionnelle, la CLP conclut de l’analyse qu’elle a effectuée des gestes posés par M. Racicot au cours de l’exécution de son travail que ce dernier n’a pas subi une maladie professionnelle.

[15]        La CLP est toutefois d’avis qu’en date du 4 avril 2011, M. Racicot a été victime d’un accident du travail « (…) au sens donné à ce terme par la loi et la jurisprudence. (…) »[7].

[16]        Précisant dans un premier temps accorder une grande crédibilité au témoignage que M. Racicot a livré relativement aux circonstances ayant entouré l'apparition d’une douleur vive à son épaule gauche alors qu’il était à son travail, la CLP motive en ces termes la conclusion à laquelle elle en arrive :

« (…)

[104]     Ceci étant, le tribunal est d’avis qu’à cette date, en actionnant la « clenche » de la porte de sa cabine pour pousser cette porte, le travailleur a décrit avoir ressenti un craquement avec douleur aiguë à son épaule gauche. Il a montré au tribunal que pour ce faire, il a placé son bras dans une position particulièrement vulnérable à 90° d’abduction et en rotation interne complète, voire extrême, et que c’est à ce moment précis qu’il a ressenti et le craquement et la douleur vive.

[105]     Dans les faits, le tribunal a pu constater que le geste décrit par le travailleur à l’audience est en quelque sorte analogue à la manoeuvre de Hawkins, utilisée pour mettre en évidence un conflit sous-acromial, en plaçant le bras en flexion antérieure de 90°et en faisant une rotation interne de l’humérus.

[106]     De l’avis du tribunal, la preuve prépondérante milite à retenir qu’en toute probabilité, le travailleur a, lors du geste en question, coincé la coiffe des rotateurs de son épaule gauche et rendu symptomatiques les pathologies personnelles sous - acromiales gauches dont il était porteur : une tendinite calcifiée et une déchirure du sus-épineux.

[107]     Pour le tribunal, le geste ainsi posé lors de l’ouverture de la porte de la cabine n’a certes pas causé cette tendinite calcifiée et cette déchirure du sus-épineux mais, de par la description donnée, le mouvement a en toute probabilité placé le dépôt calcique et/ou la déchirure sous l’acromion, entraînant vraisemblablement un coincement du défilé où siégeaient les deux lésions, réveillant celles-ci.

[108]     Dit autrement, le geste posé au travail a rendu symptomatique les conditions personnelles de tendinite calcifiée et de déchirure du sus-épineux du travailleur. (…) »[8]

(Le Tribunal met l’emphase)

[17]        La CLP précise par la suite que la blessure que M. Racicot s’est infligée répond à la notion de lésion professionnelle survenue par le fait d’un accident du travail, la preuve démontrant selon l’organisme administratif l’existence d’un événement imprévu et soudain.

« (…)

[109]     Sur ce sujet, l’aggravation au travail d’une condition personnelle, le procureur de l’employeur a plaidé que, d’une part, aucun fait accidentel ne s’est produit, qu’aucun « événement imprévu et soudain » n’a eu lieu. Ce faisant, il a plaidé au tribunal qu’en application de l’affaire PPG Canada inc. et CALP, le tribunal ne saurait conclure à une telle aggravation d’une condition personnelle. D’autre part, il a rappelé que la simple apparition d’une douleur au travail ne constitue pas pour autant une lésion professionnelle.

[110]     Dans cette affaire PPG Canada inc., la Cour d’appel du Québec a en effet rappelé que l’aggravation d’une condition personnelle ne constitue pas une catégorie de lésion professionnelle qui s’ajoute à celles déjà mentionnées par le législateur à l’article 2 de la loi et que la théorie du « crâne fragile » n’est pas une règle d’admissibilité permettant d’établir l’existence d’un lien de causalité ou d’une blessure pour une réclamation, mais bien une règle d’indemnisation une fois qu’un accident du travail est prouvé.

[111]     Avec égards, le tribunal est justement d’avis qu’il y a eu un tel « événement imprévu et soudain » au travail le 4 avril 2011. Ce n’est pas parce que le geste d’ouvrir une porte de la cabine d’une chargeuse soit « habituel » qu’il en découle pour autant qu’aucun fait accidentel ne peut jamais survenir à l’occasion de l’ouverture d’une telle porte.

[112]     De même, ce n’est pas parce que le travailleur n’attribue pas lui-même sa blessure à l’épaule au geste posé de l’ouverture de la porte de sa cabine (comme on l’a vu, monsieur Racicot croit davantage au fait d’une maladie professionnelle) qu’un tel geste ne puisse expliquer la survenue d’une blessure pour autant. (…) »[9]

(Les références sont omises)

(Le Tribunal met l’emphase)

[18]        La CLP relie donc le diagnostic déjà retenu aux gestes posés par M. Racicot aux fins d’actionner la clenche de la porte de la cabine de la chargeuse et qui, en raison de sa nature et de son amplitude, a entraîné un craquement et une douleur vive.

[19]        La CLP retient ainsi que ces gestes ont rendu symptomatiques les conditions personnelles dont M. Racicot est affligé :

« (…)

[113]     Monsieur Racicot a décrit un geste peu physiologique pour l’épaule lors de l’ouverture de la porte de sa cabine. L’extension marquée de son bras gauche, dans un geste de poussée vers l’extérieur, a directement causé un craquement de son épaule gauche et, en conséquence, entraîné une douleur vive. Le tribunal ignore si le geste posé le 4 avril 2011 a différé ou non de celui posé usuellement par le travailleur.

[114]     Toutefois, de l’avis du tribunal, l’on ne peut en l’espèce simplement conclure à la seule apparition d’une douleur au travail, car la preuve révèle également la survenue d’un craquement à l’épaule gauche du travailleur, lequel craquement explique la douleur qui suivra. Or, le travailleur n’a pas témoigné avoir ressenti un tel craquement dans le passé et le tribunal y voit un signe patent d’une circonstance distincte de celle observée usuellement dans le travail du travailleur.

[115]     De l’avis du tribunal, il y a donc tout lieu de conclure à la survenue d’un geste non physiologique posé le 4 avril 2011, lequel correspond à un événement imprévu et soudain.

[116]     À cet égard, la notion d’événement imprévu et soudain peut certes s’appliquer et servir à qualifier des situations évidentes tels une chute, un coup reçu, un faux pas qui peuvent survenir au travail.

[117]     Mais la jurisprudence enseigne également qu’il n’est pas nécessaire d’identifier le moment précis de la survenance de l’événement imprévu et soudain, ni un mouvement particulier ou une série de mouvements lorsque la blessure est clairement physiologique et dans la mesure où la lésion s’est de toute évidence produite au travail. (…) »[10]

(Les références sont omises)

(Le Tribunal met l’emphase)

Ø  La Décision CLP-2

[20]        D’emblée, la CLP circonscrit en ces termes sa compétence dans le cadre d’une Requête en révision présentée aux termes de l’article 429.56 LATMP :

« (…)

[36]       Selon la jurisprudence constante de la Commission des lésions professionnelles, le vice de fond de nature à invalider une décision constitue une erreur manifeste de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur l’issue du litige. Ce principe a été réaffirmé par les tribunaux supérieurs et notamment par la Cour d’appel du Québec qui a rappelé que la Commission des lésions professionnelles devait agir avec grande retenue en accordant une primauté à la première décision et se garder de réapprécier la preuve et de réinterpréter les règles de droit. (…) »[11]

(Les références sont omises)

[21]        Procédant par la suite à analyser les moyens que DJL inc. a fait valoir au soutien de sa requête, la CLP écrit ce qui suit :

« (…)

[37]       L’employeur fait d’abord valoir que le raisonnement exposé par le premier juge administratif repose sur les dispositions de l’article 28 de la loi lequel se lit comme suit :

28.  Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.

[38]       Avec respect le tribunal ne partage ce point de vue. Il apparaît de la lecture de la décision que le premier juge administratif juge que le travailleur a subi une lésion professionnelle par le fait d’un accident du travail. Cela ressort clairement de la lecture des paragraphes [104], [113] à [117].

[39]       On ne peut non plus prétendre que le premier juge administratif confond la  lésion, la blessure ou la douleur avec l’événement imprévu et soudain. En effet, celui-ci explique de manière logique que l’événement imprévu et soudain en cause est un geste accompli avec le bras dans une position non physiologique.  

[40]       L’employeur allègue que le premier juge administratif a ignoré que le travailleur  avait déjà des symptômes à l’épaule avant le 4 avril 2011. Encore une fois, cela n’est pas le cas. En effet, aux paragraphes [11],  [12], [13], [14], [15], [16] et [17] il est fait mention des problèmes du travailleur et des consultations médicales antérieures.

[41]       On en vient aux erreurs alléguées en ce qui concerne la reconnaissance de la relation causale. L’employeur plaide que le premier juge administratif utilise des notions qui ne font pas partie de sa connaissance d’office et qui n’ont pas été mises en preuve.

[42]       Rappelons que le premier juge administratif retient que le geste posé par le travailleur, tel que décrit, a rendu symptomatique des conditions personnelles. Il prend en compte que le travailleur a accompli un geste analogue à la manœuvre de Hawkins laquelle sert à mettre en évidence un conflit sous-acromial.

[43]       Le présent tribunal a pris connaissance de la preuve déposée. Il a fait l’écoute de l’enregistrement sonore de l’audience. Il constate qu’aucun élément de preuve ne concerne la nature de la manœuvre de Hawkins ou la biomécanique de la coiffe des rotateurs en présence ou non d’une calcification ou d’une déchirure tendineuse.

[44]       Les articles 28 et 27 du Règlement sur la preuve et la procédure de la Commission des lésions professionnelles prescrivent que la Commission des lésions professionnelles peut prendre connaissance d’office de renseignements qui relèvent de sa spécialisation et y référer pour rendre une décision dans la mesure où « les parties ont été à même d’en commenter la substance ». (…) 

[45]       Le tribunal juge que le premier juge administratif pouvait utiliser sa connaissance spécialisée en ce qui concerne la manœuvre de Hawkins.  Les mouvements de ce test et son utilité diagnostique sont régulièrement mentionnés et définis dans le cadre du litige soumis à la Commission des lésions professionnelles concernant une lésion à l’épaule.

[46]       Plus encore, ces éléments sont des notions non controversées. On en trouve d’ailleurs la définition dans les dictionnaires spécialisés. Conséquemment, il s’agit de renseignements qui relèvent de la connaissance spécialisée du premier juge administratif.

[47]       D’ailleurs, les auteurs auxquels la procureure de l’employeur a référé quant à la physiopathologie de la tendinite calcifiée de l’épaule, mentionnent à la page 571 de leur ouvrage que la manœuvre de Hawkins vise à reproduire un accrochage entre les tendons de la coiffe des rotateurs et diverses structures de l’arche subacrominale.

[48]       En outre, il est rationnel de conclure comme le premier juge administratif le fait au paragraphe [105], que le fait de placer le bras à 90 degrés d’abduction avec une rotation interne complète sollicite l’épaule et plus particulièrement les tendons de la coiffe des rotateurs. Encore une fois, une simple référence au dictionnaire spécialisé permet de conclure ainsi : (…)

[49]       De surcroît, les sollicitations de la coiffe des rotateurs par le fait des tâches exercées par le travailleur étaient une question au centre du litige dont le tribunal était saisi.

[50]       L’employeur ne peut certes prétendre qu’il n’a pas eu l’opportunité de faire la preuve que le geste accompli par le travailleur n’avait pas sollicité ses structures anatomiques de manière péjorative. D’ailleurs, l’écoute de l’enregistrement de l’audience montre qu’en argumentation, sa procureure a référé à la littérature médicale et tenté de convaincre le tribunal que le geste du travailleur pour ouvrir la porte de sa cabine était plutôt banal et non problématique.

[51]       Par contre, la précision faite au paragraphe [107] voulant que le mouvement accompli par le travailleur ait vraisemblablement entraîné un coincement de la coiffe des rotateurs au niveau de la calcification ou de la déchirure préexistante s’éloigne de la connaissance spécialisée du tribunal.

[52]       Cette conclusion relève davantage de l’opinion médicale. Or, aucun médecin ne s’est prononcé sur cette question précise.  Dans ce contexte, le premier juge administratif ne pouvait pas fonder sa décision sur cette théorie.

[53]       Quoi qu’il en soit, même en retirant le paragraphe [107], les autres motifs énoncés par le premier juge administratif permettent de retenir que le geste accompli par le travailleur pour actionner la clenche de la porte de la cabine de la chargeuse a sollicité la coiffe des rotateurs jusqu’au conflit sous-acromial.    

[54]       Enfin, l’employeur argumente que le premier juge administratif ne pouvait conclure que le geste posé par le travailleur « a rendu symptomatique la condition préexistante de tendinite calcifiée et de déchirure du sus-épineux du travailleur ». À cet égard, il fait valoir que la preuve unanime démontre que le travailleur présentait des symptômes auparavant. Il soutient que la conclusion du premier juge administratif n’est supportée par aucune preuve.

[55]       La conclusion du premier juge administratif à cet égard repose sur la description du fait accidentel, des notions d’anatomie et sur la description que le travailleur fait de ses symptômes. 

[56]       Les faits rapportés par le premier juge administratif montrent que le travailleur avait consulté pour des douleurs à l’épaule gauche antérieurement. La docteure Bouthillier avait soupçonné une tendinite de l’épaule gauche. Elle avait prescrit une radiographie.

[57]       Au paragraphe [17], le premier juge administratif relate les résultats de la radiographie effectuée le 1er avril 2011 laquelle montre des signes d’une discrète calcification près du site d’insertion du tendon du sous-épineux sur la tête humérale.

[58]       Comme mentionné dans les faits, le travailleur a reconnu que la douleur était présente avant le 4 avril 2011. (…)

[59]       Or, selon ce qui est rapporté de son témoignage, le travailleur décrit des douleurs similaires mais augmentées à la suite de l’événement du 4 avril 2011 : (…)

[60]       Ainsi, la conclusion voulant que ce geste ait rendu symptomatiques les conditions personnelles de tendinite calcifiée et de déchirure du sus-épineux n’est pas exacte. On aurait dû lire que ce geste a aggravé ces conditions. Cette précision faite, la conclusion du premier juge administratif reste logique et rationnelle. Même si on assimilait ce manque d’exactitude à un vice de fond, de l’avis du présent tribunal, il ne serait pas déterminant quant à l’issue du litige.

[61]       En effet, la revue du dossier permet d’ajouter ceci en faveur de la reconnaissance d’une relation causale. Le 12 avril 2011, la docteure Bouthillier a écrit dans ses notes que l’événement du 4 avril 2011 impliquait un craquement avec le bras en extension. Lorsqu’elle pose un diagnostic, elle écrit : « tendinite coiffe des rotateurs possibles rupture au travail ». En toute vraisemblance, ce médecin qui suit le travailleur et qui connaît sa condition préexistante, voit dans l’événement du 4 avril 2011 un facteur aggravant. 

[62]       Dans ce contexte, la conclusion du premier juge administratif voulant qu’il y ait une relation causale entre l’événement identifié et les diagnostics retenus repose sur la preuve qui lui a été soumise.  

[63]       Les erreurs alléguées par l’employeur sont ainsi sans fondement et elles ne permettent ni la révision ni la révocation de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 13 mars 2013. (…)»[12]

(Les références sont omises)

(À l’exception du paragraphe [51] où les soulignements sont

dans le texte, le Tribunal souligne et met l’emphase)

LES PRÉTENTIONS DE LA REQUÉRANTE

[22]        Dans un premier temps, DJL inc. plaide que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

[23]        S’attardant par ailleurs aux motifs pour lesquels les Décisions CLP-1 et CLP-2 doivent être révisées ou annulées, DJL inc. fait valoir pour l’essentiel les deux (2) moyens suivants :

-       Il y a absence de preuve relativement à la survenance d’un événement imprévu et soudain;

-       Il n’existe aucune preuve quant à la relation causale entre le geste d’ouvrir la portière de la chargeuse et l’aggravation de la condition personnelle de M. Racicot.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

Ø  Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles

« (…)

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

«accident du travail»: un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

(…)

«lésion professionnelle»: une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

(…)

28. Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle. (…) »

LA NORME D’INTERVENTION APPLICABLE

[24]        Il est maintenant acquis que depuis l’arrêt Dunsmuir[13], seules deux (2) normes d’intervention subsistent en fonction de l’évaluation du degré de déférence que le tribunal de révision doit accorder à la décision de l’instance administrative, soit la norme de la décision correcte et celle de la décision raisonnable.

[25]        La norme de la décision raisonnable et la déférence qu’elle commande s’appliquent généralement en matière de contrôle judiciaire, à l’exception toutefois des situations suivantes où la norme de la décision correcte continue de s’imposer :

       Les questions constitutionnelles;

       Les questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui sont étrangères au domaine d’expertise du défendeur;

       Les questions touchant véritablement à la compétence, dont la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents;

       Les accrocs aux règles de justice naturelle et à l’équité procédurale.

[26]        À la lumière de ces enseignements, le Tribunal conclut que la norme de la décision raisonnable est celle qui doit s’appliquer dans la présente affaire, et ce, tant à l’égard de la Décision CLP-1 qu’à l’égard de la Décision CLP-2.

[27]        Dans l’affaire Gagné c. Pratt & Whitney Canada[14] et alors que l’arrêt Dunsmuir n’avait pas encore été rendue, la Cour d’appel écrit ce qui suit :

« (…)

[28]       Cette analyse m’amène à conclure que la norme de la décision manifestement déraisonnable est celle qui doit s’appliquer lorsque la Cour supérieure est appelée à réviser la décision rendue par la CLP. Il reste toutefois une question à débattre avant de clore ce sujet puisqu’il y a, en l’espèce, deux décisions de la CLP, de sorte qu’il est nécessaire de voir comment la norme de contrôle doit être appliquée dans de telles circonstances.

[29]       Si le législateur a voulu créer un système de justice administrative où la CLP peut modifier une décision de la CSST, sans intervention judiciaire sauf exception, il a aussi prévu une révision administrative interne par laquelle la CLP peut réviser ses propres décisions. C’est la procédure qu’a suivie l’appelant lorsqu’il s’est d’abord adressé à la CLP pour qu’elle révise la décision CLP 1 au motif qu’il y avait un vice de fond de nature à l’invalider.

[30]       Dans C.S.S.T. c. Fontaine, [2005] R.J.Q. 2203 (C.A.), le juge Morissette écrit, pour la Cour, que la norme de contrôle à l’endroit de CLP 2, lorsque celle-ci révise CLP 1, est celle de la décision raisonnable simpliciter plutôt que celle de la décision manifestement déraisonnable. En effet, les objectifs de la justice administrative (efficacité, célérité, régime peu onéreux et stabilité des décisions) favorisent une plus grande intervention judiciaire lorsque le régime administratif intervient et modifie une décision rendue par un décideur dont l’expertise est tout aussi grande que la sienne. Si le législateur a voulu que les décisions de la CLP soient à l’abri des interventions, encore faut-il s’assurer que celles de CLP 2 sont elles-mêmes justifiées.

[31]       Qu’en est-il lorsque CLP 2 refuse d’invalider CLP 1? Dans de telles circonstances, les objectifs de la justice administrative, précédemment identifiés, auront été atteints. Par conséquent, ce n’est pas tant la décision CLP 2 qui est alors en cause, puisqu’elle ne modifie en rien la situation, mais bien la décision CLP 1, qui demeure le fondement décisionnel dont on demande la révision judiciaire.

[32]       Si l’appelant avait demandé immédiatement la révision judiciaire de CLP 1 sans demander à la CLP de procéder à une révision administrative, la norme aurait été celle de la décision manifestement déraisonnable. Puisque, en l’espèce, la décision CLP 2 n’a pas changé quoi que ce soit à la situation qui prévaut, la décision qui est au cœur de la contestation demeure CLP 1. Il est donc préférable, pour respecter l’intention du législateur, d’envisager la demande de révision judiciaire sous l’angle de la révision de CLP 1 et d’appliquer, à son égard, la norme de la décision manifestement déraisonnable.

[33]       Évidemment, la décision CLP 2 doit également être prise en considération, mais force est de constater que, si la décision CLP 1 était manifestement déraisonnable, la décision CLP 2, qui aurait refusé de l’invalider, serait nécessairement elle-même déraisonnable. Par ailleurs, si CLP 1 n’est pas manifestement déraisonnable, la décision CLP 2 de ne pas l’invalider sera raisonnable. J’estime, pour cette raison, qu’il n’est pas utile d’appliquer une norme d’intervention différente à l’égard de CLP 2 selon qu’elle révise ou non CLP 1. La norme retenue par la Cour dans C.S.S.T. c. Fontaine, précité, soit celle de la décision raisonnable simpliciter, est tout à fait appropriée lorsque CLP 2 ne révise pas CLP 1 à la condition que, comme je le suggère, on applique à cette dernière, dans le cadre d’une analyse portant sur les deux décisions, la norme de la décision manifestement déraisonnable. L’intention du législateur et les objectifs de la justice administrative seront alors respectés. (…) »

(Le Tribunal met l’emphase)

L’ANALYSE

A : L’absence d’un événement imprévu et soudain

[28]        Comme la présomption dont fait état l’article 28 LATMP ne s’applique pas dans la présente affaire, il appartenait à M. Racicot d’établir avoir été victime d’une lésion professionnelle, et ce, en démontrant que sa blessure est survenue par le fait ou à l’occasion d’un accident du travail, ce qui implique de faire la preuve d’un événement imprévu et soudain de même que celle des autres éléments de la définition que donne l’article 2 LATMP d’un accident du travail.

[29]        D’emblée, la Décision CLP-1 conclut que le 4 avril 2011, M. Racicot a été victime d’un accident du travail « (…) au sens donné à ce terme par la loi et la jurisprudence. »[15]

[30]        Le commissaire retient en effet de la preuve qu’en toute probabilité et en posant le geste qu’il a décrit, un geste que le commissaire qualifie de « peu physiologique », M. Racicot a « (…) coincé la coiffe des rotateurs de son épaule gauche et rendu symptomatiques les pathologies personnelles sous-acromiales gauches dont il était porteur : une tendinite calcifiée et une déchirure du sus-épineux. »[16].

[31]        Le commissaire en conclut que le geste non physiologique que M. Racicot a posé le 4 avril 2011 correspond à un événement imprévu et soudain[17].

[32]        D’abord, M. Racicot a témoigné à l’effet qu’il posait régulièrement le geste dont il est ici question, qu’il s’agissait pour lui d’un geste « banal »  et « non forçant » qu’il a effectué « normalement » et qu’il ne se souvient pas avoir fait quelque faux mouvement que ce soit[18].

[33]        Par ailleurs, au paragraphe [113] de la Décision CLP-1, le commissaire se limite à décrire le geste posé par M. Racicot, qu’il qualifie de « peu physiologique », alors qu’aucune preuve n’a été administrée aux fins de démontrer en quoi un tel geste serait « peu physiologique ».

[34]        Le commissaire n’offre en outre aucune explication quant aux raisons pour lesquelles il conclut à la survenance d’un événement imprévu et soudain, si ce n’est de dire que le fait pour M. Racicot d’avoir ressenti pour la première fois un craquement à son épaule gauche constitue un « (…) signe patent d’une circonstance distincte de celle observée usuellement dans le travail du travailleur. »[19]

[35]        Ce faisant, le commissaire confond la notion de la survenance d’une douleur ou d’une blessure avec la notion d’un événement imprévu et soudain.

[36]        Or, nos tribunaux ont déjà clairement décidé que l’apparition soudaine d’une douleur ou d’une blessure constitue une notion distincte de la survenance d’un événement imprévu et soudain.

[37]        Dans l’affaire Centre Hospitalier des Laurentides c. Commission d’appel en matière de lésions professionnelles[20], la Cour d’appel intervient et annule la décision de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles à l’époque qui avait conclu que le fait pour un travailleur, qui est assis et penché, de se relever et de ressentir au même moment une douleur au bas du dos constitue un événement imprévu et soudain.

[38]        La Cour d’appel écrit ce qui suit à cet égard :

« (…)

            J'estime, avec égards, qu'était totalement absente la preuve d'un événement imprévu et soudain.

            Certes, l'entorse lombaire était imprévue mais ce n'est que la conséquence médicale d'un geste ou d'une situation qui lui et elle ne furent pas imprévus et soudains.

            Il fut donc manifestement déraisonnable pour la C.A.L.P. de conclure à un accident du travail. (…) »[21]

(Le Tribunal met l’emphase)

[39]        Par ailleurs, dans l’affaire Ville de Thedford-Mines c. Commission d’appel en matière de lésions professionnelles[22], le juge Lesage de cette Cour précise qu’en analysant les conséquences d’un geste habituel aux fins de conclure à la survenance d’un événement imprévu et soudain, la CALP modifie la notion d’événement imprévu et soudain en confondant l’événement générateur avec la blessure.

[40]        C’est précisément l’exercice auquel s’est employé le commissaire lorsqu’il conclut à la survenance d’un événement imprévu et soudain du seul fait que M. Racicot a ressenti soudainement un craquement et une douleur à son épaule gauche, et ce, alors qu’il a posé un geste « banal », « non forçant » et exécuté « normalement ».

[41]        D’ailleurs, le fait pour le commissaire de dire qu’il « (…) ignore si le geste posé le 4 avril 2011 a différé ou non de celui posé usuellement par le travailleur »[23], est pour le moins surprenant compte tenu du témoignage que M. Racicot a livré sur cette question, des notes de l’agent de la CSST et du rapport que le chirurgien-orthopédiste a émis le 8 février 2012[24].

[42]        Par ailleurs, s’il est vrai, comme le précise le commissaire, qu’un fait accidentel puisse survenir lors de l’accomplissement par un travailleur d’un geste habituel[25], encore faut-il que la preuve d’un événement imprévu et soudain survenu lors de l’accomplissement de tel geste ait été administrée, ce qui n’a manifestement pas été le cas dans la présente affaire.

[43]        En outre, lorsque le commissaire précise, au paragraphe [117] de la Décision CLP-1, qu’un travailleur n’a pas à démontrer la survenance d’un événement imprévu et soudain à un moment précis, ni un mouvement particulier ou une série de mouvements lorsque la blessure est clairement physiologique et qu’elle est survenue à son travail, non seulement il occulte le fardeau de preuve qui incombe au travailleur aux termes de l’article 2 LATMP, mais la décision de la Cour suprême à laquelle il réfère (Worksmen’s Compensation Board of Theed)[26] a fait l’objet d'un commentaire de la part du juge Lesage dans l’affaire Ville de Thedford-Mines c. Commission d’appel en matière de lésions professionnelles déjà citée[27] à l’effet que cet arrêt était précurseur des prémisses applicables en matière de présomption de l’article 28 LATMP.

[44]        Comme toutefois le commissaire a décidé que cette présomption ne s’appliquait pas dans la présente affaire, ce qui n’a aucunement été remis en question par DJL inc., l’arrêt de la Cour suprême ne peut servir d’assise aux fins d’établir la survenance d’un événement imprévu et soudain et modifier ainsi les exigences de la LATMP à l’égard du fardeau de preuve imposé au travailleur aux termes de l’article 2 LATMP.

[45]        Bref, la preuve dont le commissaire disposait était insuffisante pour étayer les conclusions de faits et/ou de droit auxquelles il en est arrivé.

[46]        En concluant à l’existence d’un événement imprévu et soudain comme il l’a fait, le commissaire a ainsi créé de toute pièce un accident du travail.

B : L’absence de relation causale

[47]        Aux paragraphes [106] et [108] de la Décision CLP-1, le commissaire conclut que le geste posé au travail par M. Racicot a rendu symptomatiques les conditions personnelles de tendinite calcifiée et de déchirure du sus-épineux dont il était déjà porteur.

[48]        Dans le cadre du paragraphe [60] de la Décision CLP-2 qu’elle a rendue, la commissaire précise que si cette affirmation est inexacte et qu’il aurait plutôt fallu lire qu’un tel geste a plutôt aggravé la condition préexistante de M. Racicot, la preuve ayant révélé que ce dernier était déjà symptomatique de ces conditions avant le 4 avril 2011, celle-ci conclut que la conclusion à laquelle en vient le commissaire dans la Décision CLP-1 demeure toutefois « logique » et « rationnelle ».

[49]        Or, dans l’affaire PPG Canada inc. c. Commission d’appel en matière de lésions professionnelles[28], la Cour d’appel précise « (…) que pour conclure qu’une aggravation d’une condition personnelle préexistante constitue une lésion professionnelle, il faut que soit survenu un accident du travail ou une aggravation causée par les risques particuliers du travail. (…) »[29]

[50]        La Cour d’appel poursuit son analyse en ces termes :

« (…)

[17]       En l’espèce, le commissaire, dans la première partie de sa décision, affirme qu’il s’agit d’un accident du travail. Cette affirmation n'est cependant soutenue par aucune analyse des exigences de la L.A.T.M.P. qu’il avait pourtant pour mission spécifique d'analyser. (…)

(…) 

[21]       L'avocat de Grandmont a prétendu que la C.A.L.P. pouvait, dans sa discrétion, avoir interprété la définition de la lésion professionnelle pour y inclure les cas d'aggravation d'une condition préexistante sans que ne soit réunies les conditions propres à un accident du travail ou une maladie professionnelle. Cette interprétation ne ressort pas de la décision de la C.A.L.P., est contraire à l'analyse qu'en fait le juge Bisson dans Chaput, ne s'appuie pas sur le texte de la L.A.T.M.P. et, au surplus, s'oppose à l'esprit de cette loi. Le législateur ne peut avoir voulu, par la L.A.T.M.P., couvrir des situations autres que celles reliées à un accident du travail ou à une maladie reliée aux risques du travail. (…)»

(Le Tribunal met l’emphase)

[51]        Par ailleurs, dans l'affaire Gagné c. Pratt & Whitney Canada déjà citée[30], la Cour d’appel écrit ce qui suit :

« (…)

[77]       L’appelant reproche à la CLP de ne pas avoir appliqué cette théorie (aussi appelée principe de la restitution intégrale) en ne tenant pas compte de sa vulnérabilité et de sa condition personnelle dans l’évaluation de la cause de la hernie et des conséquences de la manœuvre qu’il a exécutée. J’estime que ce reproche n’est pas justifié.

[78]       D’une part, la CLP a tenu compte de la situation personnelle de l’appelant dans l’évaluation des causes de la hernie. D’autre part, la théorie du crâne fragile ne permet pas de déterminer l’existence d’un lien de causalité ou d’une blessure. Elle sert plutôt à déterminer si «le travailleur doit être compensé pour l’ensemble des conséquences qui résultent de sa lésion professionnelle, et ce, bien qu’elles soient plus considérables en raison d’une condition personnelle préexistante ou d’une fragilité physique ou psychique» : voir Michel Sansfaçon, précité, paragr. 113. En l’espèce, la CLP ayant conclu qu’il n’y avait ni blessure ni accident du travail, la théorie invoquée par l’appelant ne s’applique pas. (…) »

(Le Tribunal met l’emphase)

[52]        Or, tel que le Tribunal en a fait état plus avant, la preuve n'a démontré la survenance d’aucun événement imprévu et soudain.

[53]        Une telle conclusion emporte dès lors celle relative à l’absence d’une preuve d’aggravation de la condition personnelle de M. Racicot.

[54]        Sur cette dernière question d'ailleurs, aux paragraphes [60] et [61] de la Décision CLP-2, lorsqu’elle réfère à une note médicale du 12 avril 2011 aux fins d’établir une relation causale entre le geste posé par M. Racicot et l’aggravation de sa condition personnelle, la commissaire modifie le fardeau de preuve requis à cet égard, la note du médecin traitant ne faisant état que d’une possibilité et non d’une probabilité.

C : Conclusion

[55]        La conclusion à laquelle le commissaire en arrive aux termes de la Décision CLP-1 est donc déraisonnable, puisqu’elle ne constitue pas une issue possible pouvant se justifier en regard des faits et du droit.

[56]        Par ailleurs, comme elle refuse d’invalider la Décision CLP-1 et qu’elle ne modifie en rien la situation qui prévaut, la Décision CLP-2 est nécessairement elle-même déraisonnable.


D : Les dépens

[57]        Bien que l’intimée ait comparu et produit des Notes et autorités le 18 août 2014, ses procureurs ont confirmé par écrit qu’ils ne seraient pas présents lors de l’audition devant cette Cour et qu’ils retiraient donc leurs Notes et autorités du dossier de la Cour.

[58]        Quant au mis en cause et bien qu’il était présent lors de l’audition tenue devant cette Cour, il n'a formulé aucun commentaire.

[59]        Dès lors, le Tribunal accueillera la Requête introductive d’instance en révision judiciaire intentée par DJL inc., sans frais.

[60]        POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[61]        ACCUEILLE la Requête introductive d’instance en révision judiciaire intentée par la Requérante, Construction DJL inc.;

[62]        ANNULE la décision rendue le 13 mars 2013 par l’Intimée, Commission des lésions professionnelles, dans un dossier portant le numéro 449262-62B-1109;

[63]        ANNULE la décision rendue le 30 janvier 2014 par l’Intimée, Commission des lésions professionnelles, dans un dossier portant le numéro 449262-62B-1109;

[64]        RETOURNE le dossier portant le numéro 449262-62B-1109 à l’Intimée, Commission des lésions professionnelles, aux fins qu’il en soit disposé à la lumière des règles de droit applicables en l’espèce;

[65]        LE TOUT, sans frais.

 

__________________________________

LISE MATTEAU, J.C.S.

 

Me Catherine Deslauriers, avocate

BOURQUE TÉTREAULT & ASSOCIÉS

Procureure de la Requérante

 

VERGE BERNIER, AVOCATS

Procureurs de l’Intimée

 

M. Mario Racicot

Mis en cause

Non représenté

 

Date d’audience :

Le 6 mars 2015

 



[1]     Pièce P-3, p. 6.

[2]     RLRQ, c. A-3.001.

[3]     Pièce P-2.

[4]     Id.

[5]     Id.

[6]     Id., paragraphes [73] et [74] de la décision.

[7]     Précité Note 3, paragraphe [93] de la décision.

[8]     Précité, Note 3.

[9]     Id.

[10]    Id.

[11]    Pièce P-1.

[12]    Id.

[13]    Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190.

[14]    2007 QCCA 736.

[15]    Précité, Note 7.

[16]    Précité, Note 3, paragraphes [106], [107] et [113] de la décision.

[17]    Id., paragraphe [115] de la décision.

[18]    Voir la transcription des notes sténographiques de l’audition qui s’est tenue devant la CLP le 4 février 2013, p. 126 et 127, de même que le paragraphe [34] de la Décision CLP-1 où il est fait état d’un extrait des notes de l’agent de la CSST et où elle fait mention de la description que lui a faite M. Racicot des circonstances de l’événement et le paragraphe [49] de la Décision CLP-1 où il est fait état d’un extrait du rapport du chirurgien-orthopédiste et où il est précisé que M. Racicot n’a subi aucun traumatisme.

[19]    Précité, Note 3, paragraphe [114] de la décision.

[20]    1992 CanLII 3294 (QCCA).

[21]    Id., p. 4 du texte intégral. Voir au même effet Lamontagne c. Domtar inc., 1992 CanLII 3293 (QCCA) où la Cour d’appel confirme que l’extension soudaine d’un ligament n'est pas un fait générateur, mais plutôt la description de la blessure (p. 4 du texte intégral) et Minnova inc. c. Commission d’appel en matière de lésions professionnelles, 200-05-004117-920 (C.S. Québec), madame la juge Nicole Morneau, J.C.S., le 7 juin 1993, AZ-93029082, p. 9 et 10 où la Cour supérieure conclut que le simple fait de solliciter une structure anatomique n’est pas suffisant en soi aux fins d’établir la survenance d’un événement imprévu et soudain.

[22]    235-05-000026-907 (C.S. Frontenac), monsieur le juge Robert Lesage, J.C.S., le 18 janvier 1994.

[23]    Précité, Note 3, paragraphe [113] de la décision.

[24]    Précité, Note 18.

[25]    Précité, Note 3, paragraphe [111] de la décision.

[26]    [1940] 1 R.C.S. 553.

[27]    Précité, Note 22.

[28]    2001 CanLII 11955 (QCCA)

[29]    Id., paragraphe [16] du texte intégral.

[30]    Précité, Note 14.

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