Décision

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Protection de la jeunesse — 189722

2018 QCCQ 9875

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

[...]

LOCALITÉ DE

[...]

« Chambre de la jeunesse »

N° :

405-41-003482-184

 

405-41-003483-182

 

DATE :

14 décembre 2018

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

MADAME LA JUGE

MARIE-PIERRE JUTRAS, J.C.Q.

 

 

DANS LA SITUATION DES ENFANTS :

 

X

Née le [...] 2015

et

Y

Né le [...] 2013

et

[INTERVENANTE 1], personne dûment autorisée par le Directeur de la protection de la jeunesse des Centres jeunesse A, exerçant sa profession au [...]

Partie demanderesse

et

A, domiciliée et résidant au [...]

et

B, domicilié et résidant au [...]

Les parents

 

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JUGEMENT

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MISE EN GARDE : La Loi sur la protection de la jeunesse interdit la publication ou la diffusion de toute information permettant d’identifier un enfant ou ses parents. Quiconque contrevient à cette disposition est passible d’une amende (art. 11.2, 11.2.1 et 135 L.P.J.).

[1]           Le Directeur de la protection de la jeunesse (Directeur) demande au Tribunal de déclarer la sécurité et le développement des deux enfants B compromis.

[2]           Il allègue que les enfants ont subi des abus physiques et de la négligence éducative dans leur milieu parental.

[3]           Le Directeur propose, comme mesures de protection applicables, de maintenir les enfants auprès de leurs grands-parents maternels, tout en supervisant les contacts parents-enfants. Il souhaite apporter aide, conseils et assistance aux enfants et à leur famille pour la prochaine année.

[4]           Toutes les parties sont en accord avec la demande du Directeur.

[5]           La procureure des enfants soulève une lésion de droits qui sera traitée dans un deuxième temps.

LES FAITS

[6]           X et Y sont respectivement âgés de 3 et 5 ans.

[7]           La mère a deux autres enfants issus d’une union précédente. En juin 2016, la juge Lise Gagnon confie les deux aînés à leur mère, puisque leur sécurité n’est pas assurée chez leur père.

[8]           Dès septembre 2016, les aînés verbalisent à leur père être victimes de mauvais traitements physiques de la part du conjoint de leur mère, monsieur B.

[9]           Il faudra attendre une année entière avant que le Directeur retienne aux fins d’évaluation un signalement en abus physiques concernant X et Y.

[10]        L’évaluation du signalement révèle qu’effectivement, les enfants sont frappés par leur père. Les parents se chicanent et crient régulièrement devant les enfants.

[11]        Confrontée, la mère nie catégoriquement que le père ait pu faire usage de méthodes éducatives déraisonnables. Elle se ravise lorsque le père avoue avoir utilisé la tape pour surprendre ou saisir les enfants.

[12]        La déléguée observe aussi une incohérence entre les parents quant aux règles et aux conséquences. Afin de leur venir en aide, la DPJ dispense aux parents le programme (PIIC), programme d’intervention intensive de crise. Madame Karine Parent dispense le programme. Elle visite le milieu régulièrement, de septembre à novembre. Elle travaille avec les parents l’encadrement et la cohésion.

[13]        À la période des Fêtes 2017-2018, le fils aîné de la mère demande à parler privément  à l’intervenante de son père. Il confie alors que les abus physiques n’ont pas cessé de la part de monsieur B. Il confirme que sa mère n’intervient toujours pas pour les protéger, quand monsieur B leur serre les bras, tire les cheveux ou encore les projette sur leur lit.

[14]        La déléguée rencontre les parents et ces derniers nient. Le père tente d’expliquer les verbalisations incriminantes de l’aîné de la mère par son désir de retourner vivre chez son père.

[15]        C’est dans ce contexte qu’une mesure de protection immédiate est alors appliquée. Les deux enfants B se retrouvent alors chez leur tante paternelle. Une ordonnance de mesures provisoires prolonge leur placement chez la tante et autorise la mère à intégrer l’organisme La Bonne Œuvre avec ses enfants. Il est ordonné que les contacts parents-enfants soient supervisés.

[16]        Alors que les enfants sont sous la responsabilité de leur tante, un orthopédiste diagnostic à Y une blessure au bras. Interrogé quant à la provenance de cette blessure, le jeune identifie spontanément son père comme étant l’auteur.

[17]        Pourtant, l’ordonnance prévoyait des contacts supervisés entre l’enfant et son père. Il a été impossible de faire la lumière sur cette blessure, mais lorsque les enfants intègrent l’organisme La Bonne Œuvre avec leur mère, Y présente une lèvre fendue, un œil noirci et des galles au menton.

[18]        L’oncle de l’enfant explique qu’ils auraient fait un face à face dans la salle de bain. Il n’a pas été suffisant pour Y de subir des mauvais traitements physiques lorsqu’il était sous la responsabilité de ses parents, alors qu’on devait le protéger, dans le milieu de la tante paternelle, des incidents fâcheux sont arrivés.

[19]        À la Bonne Œuvre, les enfants s’opposent et font des crises. La mère présente des difficultés au plan de l’organisation. Sa compréhension est limitée. Elle peine à décoder les besoins de ses enfants.

[20]        Devant le peu d’avancées de la mère, l’organisme met fin à son hébergement. Les enfants se retrouvent alors provisoirement confiés à leur grand-mère maternelle. La mère, délestée de la charge de ses enfants, en profite pour retourner faire vie commune avec le père des enfants.

[21]        Les parents manquent alors plusieurs contacts et ne prennent pas de nouvelle des enfants. Le suivi psychosocial est très laborieux.

[22]        En août 2018, la mère quitte encore une fois le père. Elle décide de repartir sur de meilleures bases. Elle rencontre la déléguée à qui elle confie sa consommation importante de drogues qu’elle avait avec le père des enfants, la maltraitance de ces derniers, son travail d’escorte et les conflits parentaux fréquents. Bref, la situation personnelle, conjugale et familiale décrite est beaucoup plus détériorée que celle connue superficiellement par la DPJ.

[23]        Elle admet également avoir cessé de prendre sa médication pour son TDA. Elle souhaite reprendre sa vie en main et régler son problème de consommation. Elle entame une thérapie de trois mois à la Maison Corps Âme et Esprit.

[24]        À l’audience, le père reconnaît ses difficultés de consommation de drogues et d’impulsivité. Bien humblement, il admet qu’il doit lui aussi reprendre sa vie en main. Il souhaite continuer de jouer un rôle auprès de ses enfants.

[25]        Il finira par accepter la diminution de contacts avec ses enfants, puisqu’il comprend devoir faire ses preuves.

[26]        C’est la première fois que le père reconnaît ses difficultés et exprime sa volonté  de travailler à les régler.

[27]        Le Tribunal ne peut que l’encourager à persévérer et surtout se montrer transparent avec la déléguée à la prise en charge.

[28]        Les enfants, chez leurs grands-parents maternels, reçoivent réponse à leurs multiples besoins. La grand-mère quitte son emploi pour être en mesure d’éduquer les enfants qui ont presque tout à apprendre : l’hygiène, les frontières, l’habillement, etc.

[29]        Chez sa grand-mère, X ne fait plus de crise.

[30]        Y demande beaucoup d’attention. Il doit être surveillé constamment. Son intégration à la maternelle s’est bien déroulée, même si parfois, il frappe les amis.

[31]        Y réagit vivement au retour des contacts avec son père. Il a besoin de plusieurs jours pour s’apaiser. Il faut donc lui permettre un petit répit, en diminuant la fréquence des contacts aux deux semaines.

[32]        Malgré tous leurs déboires, les enfants ont la chance d’avoir des grands-parents maternels disponibles pour les recevoir. Ils ont été accrédités famille de proximité. Ils sont prêts à continuer de s’impliquer auprès des enfants qui en ont grandement besoin.

ANALYSE

[33]        Le Directeur a prouvé, de manière prépondérante, les deux motifs de compromission qu’il allègue. Les mesures de protection applicables qu’il propose respectent l’intérêt prouvé de ces deux jeunes enfants.

[34]        Les parents ont fort à faire au cours de la prochaine ordonnance. Ils doivent d’abord se défaire de leur assuétude aux drogues pour ensuite, quant au père travailler son impulsivité et pour la mère ses capacités parentales et son organisation.

[35]        Pour tous ces motifs, le Tribunal accueille la demande selon ses conclusions.

LA LÉSION DE DROITS

[36]        La procureure des enfants soulève deux questions en litige.

[37]        Premièrement, le Directeur de la protection de la jeunesse pouvait-il dispenser des services aux enfants et à leur famille (Programme PIIC) avant même d’avoir procédé à l’évaluation des signalements et d’avoir statué que la sécurité et le développement des enfants étaient compromis?

[38]        Deuxièmement, le Directeur a-t-il omis de prendre en charge la situation des deux enfants à la fin de son évaluation, contrairement à l’article 51 de la Loi sur la protection de la jeunesse ?

[39]        Le Tribunal répond par l’affirmative aux deux questions. Voici pourquoi.

[40]        Le Directeur reçoit un signalement dans la situation des enfants B le 7 août 2017, au motif qu’ils sont victimes d’abus physiques.

[41]        En cours d’évaluation, le 29 septembre 2017, le Directeur décide d’appliquer le programme d’intervention intensive de crise dans le milieu familial, en vertu de Loi sur les services de santé et les services sociaux au lieu d’intervenir selon sa loi constitutive.

[42]        Le protocole de ce programme stipule pourtant que les cas d’abus physiques ne sont pas retenus pour ce programme, puisqu’ils font l’objet d’une intervention spécifique avec l’entente multisectorielle[1]. Ce qui a d’ailleurs eu lieu dans la présente situation devant deux enquêteurs le 12 septembre 2017. Suite aux entrevues avec tous les enfants, les policiers décident de ne pas porter d’accusation criminelle.

[43]        Au terme du programme PIIC, soit le 9 novembre 2017, le Directeur statue que la sécurité et le développement des enfants sont compromis, puisqu’ils sont négligés au plan éducatif et victimes d’abus physiques.

[44]        La déléguée s’absente du travail.  Elle n’est pas remplacée. Les dossiers des enfants sont mis sur «pause». Elle est de retour au travail, le 3 janvier 2018. Pendant ces deux mois, rien n’est fait! Aucune procédure n’est prise, ni entente ou mesures volontaires signées, ce qui a fait en sorte que les enfants ont encore été victimes d’abus physiques, lesquels ont été signalés au Directeur le 29 décembre 2017.

[45]        Suite à une rencontre avec les parents le 8 janvier 2018, notons encore ce délai, une mesure de protection immédiate est appliquée. Le lendemain, une ordonnance de mesures provisoires la prolonge. Les enfants sont confiés à leur tante maternelle. Le Tribunal autorise la mère à pouvoir intégrer l’organisme « La Bonne Œuvre » avec ses enfants, lorsqu’une place sera disponible.

[46]        Entre-temps, les contacts entre les parents et les enfants sont supervisés par une tierce personne désignée par le Directeur.

[47]        Il appert des décisions du Directeur, qu’il n’a pas agi avec diligence pour assurer la protection des enfants, contrairement à l’article 2.4, 5e par. de la Loi sur la protection de la jeunesse.

[48]        Le Directeur peut offrir le programme (PIIC) en cours d’évaluation d’un signalement, mais il doit s’assurer qu’une telle mesure ne retarde pas le processus.

[49]        Dans la présente situation, la décision du Directeur d’appliquer un programme qui ne se prête pas à la situation, contrairement au protocole établi, a entraîné un retard de l’évaluation du signalement et de la prise en charge de la situation pour protéger les enfants.

[50]        Le délai de cinq mois entre la réception du signalement et les mesures de protection visant à assurer la sécurité d’enfants en bas âge (5 et 3 ans) s’avère déraisonnable, surtout quand le motif de compromission consiste en des abus physiques de la part du père des enfants et de l’aveuglement volontaire de la part de leur mère.

[51]        Les deux enfants n’ont pas été au cœur du processus décisionnel de la direction de la protection de la jeunesse. La DPJ a lésé les droits des deux enfants en cause, parce qu’elle n’a pas agi dans leur intérêt, leur sécurité et leur développement.

[52]        Dans la présente affaire, les mesures de protection ordonnées par le Tribunal assurent la protection des enfants, mais pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise à l’égard des enfants en cause, le Tribunal ordonne au Directeur de la protection de la jeunesse de prendre personnellement connaissance de la présente ordonnance et d’apporter les correctifs permettant d’empêcher ou de diminuer la répétition de cette situation déplorable.

POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[53]        ACCUEILLE La demande en protection modifiée;

[54]        DÉCLARE la sécurité et le développement des enfants compromis en vertu de l’article 38 e) 1 - Abus pĥysiques; 38 b) 1 iii - Négligence sur le plan éducatif; 38 b) 2 - Risque sérieux de négligence et 38 c) - Mauvais traitements psychologiques;

[55]        RÉVISE et PROLONGE la décision provisoire rendue le 23 avril 2018;

[56]        CONFIE les enfants à leurs grands-parents maternels, madame C et monsieur D;

[57]        ORDONNE que les contacts entre les enfants et la mère aient lieu selon entente entre les parties, à défaut d’entente, qu’ils aient lieu à raison de deux heures par semaine;

[58]        ORDONNE que les contacts entre les enfants et les parents s’effectuent en présence d’une tierce personne désignée par le Directeur de la protection de la jeunesse;

[59]        AUTORISE la levée de la supervision des contacts entre la mère et les enfants si la situation le permet et selon entente entre les parties;

[60]        RECOMMANDE au père d’entreprendre une démarche thérapeutique pour la gestion de ses émotions et son problème de toxicomanie;

[61]        RECOMMANDE à la mère de s’impliquer dans une démarche d’aide personnelle;

[62]        RECOMMANDE aux parents de se soumettre à des tests de dépistage de drogues à la demande du Directeur de la protection de la jeunesse et de lui remettre les résultats;

[63]        ORDONNE qu’une personne qui travaille pour un établissement ou un organisme apporte aide, conseils et assistance aux enfants et à leur famille, et ce, pour une période d’une année à compter du 3 octobre 2018;

[64]        CONFIE la situation des enfants au Directeur de la protection de la jeunesse pour l’exécution de la présente ordonnance[2].

CONCERNANT LA DEMANDE EN LÉSION DE DROITS

[65]        ACCUEILLE la demande;

[66]        DÉCLARE que les droits des enfants ont été lésés par le Direction de la protection de la jeunesse du Centre jeunesse A;

[67]        ORDONNE les mesures réparatrices suivantes;

[68]        ORDONNE la notification de la présente décision au Directeur de la protection de la jeunesse du Centre jeunesse A, afin qu’il prenne personnellement connaissance du présent jugement pour apporter les correctifs visant notamment à ce qu’une telle situation ne se reproduise plus;

[69]        ORDONNE que la présente décision soit notifiée à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, afin qu’elle soit informée de la situation et prenne les mesures qui s’imposent dans le cadre de son mandat.

 

 

Signé le 14 décembre 2018

 

__________________________________

MARIE-PIERRE JUTRAS, J.C.Q.

 

 

Me Jessy Bélanger

Avocate du Directeur de la

protection de la jeunesse

 

Me Sébastien Gagnon

Avocat de la mère

 

M. B

Présent et non représenté

 

Me Catherine Brousseau

Avocate des enfants

 

Date d’audience :

3 octobre 2018

 



[1]     Pièce D-9, p. 7, par. 1.

[2]     Pièces déposées : D-9 à D-13 par le Directeur.

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