CSSS Québec-Nord et Commission de la santé et de la sécurité du travail |
2009 QCCLP 5355 |
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[1] Le 13 février 2009, C.S.S.S. Québec-Nord (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 28 janvier 2009, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 26 mars 2008 et déclare que la totalité du coût des prestations versées à madame Élise Voyer (la travailleuse) suite à la lésion professionnelle du 18 novembre 2006 doit être imputée au dossier financier de l’employeur. Ce faisant, la CSST rejette la demande de l’employeur à l’effet de transférer certains coûts de la lésion professionnelle en vertu de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) puisque l’employeur n'a pas été obéré injustement.
[3] Les parties ont renoncé à la tenue d’une audience devant le tribunal. L'employeur de même que la CSST ont toutefois transmis au tribunal des argumentations écrites ainsi que des pièces supplémentaires au soutien de leur position respective.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur réclame le transfert de coûts de la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 18 novembre 2006, pour la période du 27 novembre 2006 au 24 janvier 2007, au motif que l’employeur serait obéré injustement au sens de l’article 326 de la loi, du fait que l’assignation temporaire que la travailleuse occupait depuis le 19 novembre 2006 a été interrompue en raison d’une maladie personnelle la rendant incapable d’accomplir les tâches reliées à cette assignation chez l’employeur.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] Le tribunal doit déterminer le bien-fondé d’une demande de transfert de coûts formulée par l’employeur, au motif que celui-ci a été obéré injustement, en vertu de l’article 326 de la loi, du fait que l’assignation temporaire que la travailleuse occupait depuis le 19 novembre 2006 a été interrompue le 27 novembre 2006, en raison d’une maladie personnelle la rendant incapable d’accomplir les tâches reliées à son assignation temporaire. L’employeur réclame le transfert de la totalité des coûts pour la période du 27 novembre 2006 jusqu’au 24 janvier 2007, pour ce motif.
[6] Le tribunal est d’avis, dans le présent dossier, que l’employeur a droit à un transfert complet des coûts pour la période du 27 novembre 2006 au 24 janvier 2007, en vertu de l’article 326 de la loi, pour les motifs ci-après exposés.
[7] Rappelons que la travailleuse a été victime d’un accident du travail, le 18 novembre 2006, ayant entraîné une élongation du scalène à l’épaule droite dûment reconnue par la CSST.
[8] La travailleuse consulte son médecin traitant, le docteur Manseau, le 19 novembre 2006. Le médecin diagnostique alors une tendinite à l’épaule droite (sus-épineux) et recommande des travaux légers pour une période de sept jours. Le 24 novembre 2006, le docteur Thivierge recommande des traitements de physiothérapie ainsi que des travaux légers.
[9] L’employeur a déposé les relevés du temps travaillé par la travailleuse attestant que celle-ci a été affectée à des « travaux légers », dans les faits, du 19 novembre 2006 au 26 novembre 2006 inclusivement. D’ailleurs, les relevés de temps utilisent l’expression « assignation temporaire » pour décrire les tâches effectuées par la travailleuse durant cette période.
[10] Le 19 décembre 2006, la travailleuse communique avec la CSST pour l’aviser qu'elle avait dû cesser les travaux légers à cause d’une maladie personnelle et qu’elle devait être opérée pour un cancer le 23 décembre 2006.
[11] Dans les faits, la travailleuse a cessé l’exécution des travaux légers à compter du 27 novembre 2006, et ce, jusqu’au 24 janvier 2007.
[12] Pour la période du 27 novembre au 23 décembre 2006, l’employeur a démontré, par le biais des documents médicaux pertinents, que la travailleuse a été en arrêt de travail durant cette période, en raison d’un trouble d’adaptation dans le contexte d’une maladie personnelle. Pour ce qui est de la période de convalescence suite à l’opération de la travailleuse, cette dernière a pris fin le 24 janvier 2007, tel que révélé par un formulaire de réclamation d’assurance-salaire produit par l’employeur.
[13] Par la suite, la travailleuse a, dans les faits, repris les travaux légers chez son employeur, à compter du 25 janvier 2007, suite à son intervention chirurgicale en raison de la maladie personnelle, en l’occurrence un cancer.
[14] En conséquence, la période d’arrêt de travail en raison d’une maladie personnelle, du 27 novembre 2006 au 24 janvier 2007 inclusivement, aura été de 58 jours, pour une durée totale d’invalidité de 61 jours puisque la consolidation de la lésion est fixée au 27 janvier 2007.
[15] L'employeur a produit un document signé de la main de la travailleuse attestant ce qui suit :
« Par la présente, je vous informe que lors de mon assignation temporaire au Centre Saint-Augustin dans le cadre de mon accident de travail de novembre 2006, j’avais comme tâche de répondre et téléphone et de faire la distribution des médicaments.
Mon médecin était au courant des tâches effectuées lors de mon assignation temporaire et c’est dans ces même tâches que mon médecin traitant à prescrit à nouveau mon retour au travail suite à ma maladie « personnel ». »
(sic)
[16] La CSST, pour refuser le transfert de coûts, prétend qu’il y a absence d’une assignation temporaire valide au dossier. La CSST affirme que l’employeur n’a pas fait la preuve que l’assignation temporaire ou les travaux légers mentionnés au dossier correspondent, dans les faits, à l’assignation temporaire de l’article 179 de la loi et que toutes les conditions énumérées à cet article sont rencontrées.
[17] L'article 179 de la loi se lit comme suit :
179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que :
1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;
2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et
3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.
Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.
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1985, c. 6, a. 179.
[18] Le tribunal est d’avis que l’absence de formulaire officiel d’assignation temporaire n’est pas un obstacle, dans le présent dossier, à l’application de l’article 326 de la loi.
[19] La jurisprudence de la Commission est à l’effet que cette lacune (absence de document officiel d’assignation temporaire) ne peut faire en sorte de priver un employeur de l’application de l’article 326 la loi.
[20] Une décision de la juge administrative Ann Quigley[2] énonce ce qui suit:
« […]
[21] En l’espèce, le tribunal constate que ledit formulaire n’a pas été complété par le docteur Gourdeau au moment où il a autorisé un retour au travail dans des travaux légers de type clérical. La CSST, dans le cadre de la décision rendue à la suite de la révision administrative, a considéré que les tâches allégées autorisées par le docteur Gourdeau ne constituaient pas une assignation temporaire conforme à la loi puisque le médecin n’avait pas complété un formulaire prescrit par la CSST.
[22] Est-ce que l’omission de compléter le formulaire d’assignation temporaire conçu par la CSST a pour effet d’invalider une assignation temporaire ?
[23] Le tribunal ne le croit pas pour les motifs ci-après exposés.
[24] En effet, le tribunal partage la position reprise dans plusieurs décisions du présent tribunal selon laquelle la procédure d’assignation temporaire, pour être valide, n’exige pas un tel niveau de formalisme.
[…]
[28] Le tribunal poursuit en réitérant un principe fondamental d’interprétation des lois comme suit :
« […]
[60] Le tribunal ne peut non plus avoir une interprétation de la loi d’une rigidité telle que l’on ne doive plus que se plier à sa lettre et non à son esprit et se plier à la lettre des formulaires et non à l’avis y clairement exprimé. En l’occurrence, il apparaît plus que probable que le médecin du travailleur ait approuvé les assignations proposées et jugé qu’elles respectaient les critères de l’article 179 de la loi, et ce, même s’il n’a pas coché les réponses à ces questions spécifiques.
[…] »
[29] La soussignée partage l’interprétation de l’article 179 de la loi proposée par ces décisions.
[30] En appliquant les principes établis par la jurisprudence citée, le tribunal doit s’assurer que le médecin qui autorise des travaux légers respecte les trois conditions d’application de l’article 179.
[31] En l’espèce, le tribunal est d’avis que le docteur Gourdeau, lorsqu’il a autorisé un retour au travail dans des travaux légers de type clérical, était convaincu que le travailleur était raisonnablement en mesure d’accomplir ce travail sans quoi il n’aurait pas fait cette recommandation. Ce faisant, il était évidemment d’accord avec le fait que le travail ne comportait pas de dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique du travailleur sans quoi il n’aurait pas, de sa propre initiative, proposé de tels travaux.
[32] Quant au fait que cette assignation était favorable à la réadaptation, rien dans la preuve offerte ne permet d’en douter. D’autant plus que le docteur Davidson, qui est le premier médecin à poser le diagnostic de fracture, autorise tout de même des travaux légers malgré le constat médical qu’il fait.
[33] Dans ces circonstanes, le tribunal est d’avis que les tâches allégées autorisées par le docteur Gourdeau à compter du 26 mai 2008 constituent une assignation temporaire de travail valide au sens de l’article 179 de la loi.
[…] »
(nos soulignements)
[21] Une autre décision du juge Prégent[3] est au même effet :
« […]
[51] Il n’est pas contredit que le docteur R. Adam, considéré comme médecin qui a charge du travailleur, autorise une assignation à des travaux légers le 1er octobre 2004. Au moment de compléter le questionnaire, il ne coche pas les trois cases du formulaire de la CSST afin de préciser que le travailleur est raisonnablement en mesure d’effectuer le travail proposé, que ce travail est sans danger pour sa santé, sa sécurité et son intégrité physique compte tenu de sa lésion et que ce travail est favorable à sa réadaptation. En aucun moment, le docteur Adam ne s’exprime de façon explicite sur ces trois aspects.
[52] Malgré cette lacune, la Commission des lésions professionnelles considère que l’esprit de la loi est rencontré. Le docteur Adam connaît bien la condition physique du travailleur au 1er octobre 2004 et les tâches assignées ne nécessitent pas une description exhaustive. Son consentement ne fait aucun doute.
[53] La Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’il faut éviter le formalisme rigoureux dans une telle situation et favoriser davantage la reprise d’activités professionnelles allégées en attendant le retour à la santé. Des décisions en ce sens ont déjà été rendues par le tribunal.
[54] Dans Ville de Laval et Lalonde, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) conclut que l’esprit de la loi est rencontré même si le médecin, qui a charge du travailleur, ne se prononce pas spécifiquement sur les trois éléments mentionnés à l’article 179 de la loi. Elle considère qu’il faut favoriser l’utilisation de la loi et éviter de paralyser son application par un formalisme rigoureux.
[55] Dans Manning et Premier Horticulture ltée, la Commission des lésions professionnelles considère que l’interprétation de la loi ne doit pas être rigide au point que l’on doive se plier à sa lettre et non à son esprit, à la lettre des formulaires et non à l’avis qui y est clairement exprimé.
[56] Dans Bastar inc. et Lapierre, la Commission des lésions professionnelles considère que le médecin qui a charge approuve l’assignation temporaire proposée par l’employeur même s’il ne coche pas les cases reliées aux critères énumérés à l’article 179 de la loi. Elle retient surtout qu’il ne faut pas imposer au médecin un formalisme sévère alors qu’il connaît les composantes du travail assigné et que son consentement ne fait aucun doute.
[…] »
(nos soulignements)
[22] Une autre décision, plus récente encore, C.H.U.Q. (pavillon Hôtel-Dieu)[4], de la juge Monique Lamarre conclut aussi en ce sens dans le cadre de l’application de l’article 326 :
« […]
[24] Or, sur cette question, la jurisprudence a reconnu à plusieurs reprises que le fait, pour un employeur de ne pouvoir assigner temporairement un travailleur à cause d’une maladie personnelle intercurrente, donne droit à un transfert d’imputation au motif qu’il est obéré injustement2.
[25] Dans le présent cas, la Commission des lésions professionnelles retient de la preuve prépondérante que la travailleuse est en arrêt de travail complet du 17 octobre 2005 jusqu’au 26 février 2006. À partir du 27 février 2006, la travailleuse est assignée à des travaux légers. La CSST retient que la travailleuse n’est pas alors en assignation temporaire puisqu’il n’y a aucune preuve d’assignation temporaire et qu’en outre, aucun formulaire n’a été rempli à cet égard.
[26] L’article 179 de la loi prévoit ce qui suit concernant l’assignation temporaire :
179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que :
1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;
2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et
3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.
Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.
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1985, c. 6, a. 179.
[27] Or, tel que le soumet l’employeur, dans le passé, la Commission des lésions professionnelles a déjà décidé que même en l’absence de ce formulaire, une assignation temporaire peut être considérée comme valide si la preuve démontre, par ailleurs, que le médecin traitant était convaincu que la travailleuse était raisonnablement en mesure d’accomplir ce travail et que de ce fait, il répondait aux différentes conditions prévues à l’article 179 de la loi. En outre, dans l’affaire Transylve inc. et Lavictoire3, la Commission des lésions professionnelles était appelée à se prononcer sur la validité d’une assignation temporaire en l’absence du formulaire prévu à cet effet. Voici comment s’exprime la commissaire :
« […]
[22] Est-ce que l’omission de compléter le formulaire d’assignation temporaire conçu par la CSST a pour effet d’invalider une assignation temporaire?
[23] Le tribunal ne le croit pas pour les motifs ci-après exposés.
[24] En effet, le tribunal partage la position reprise dans plusieurs décisions du présent tribunal selon laquelle la procédure d’assignation temporaire, pour être valide, n’exige pas un tel niveau de formalisme.
[25] Dans l’affaire Brisebois et Volailles Grenville inc.3, la Commission des lésions professionnelles a eu à se prononcer sur la validité d’une assignation temporaire, tout comme dans le présent dossier. Bien que la travailleuse était informée du consentement du médecin traitant à l’assignation temporaire que proposait l’employeur, elle refusait de s’y conformer tant que le formulaire signé par son médecin ne serait pas déposé chez l’employeur pour qu’elle puisse le voir de ses propres yeux.
[26] Le tribunal s’exprime ainsi sur le niveau de formalisme requis pour conclure à la validité d’une assignation temporaire :
« […]
[39] L’article précité ne soumet l’expression de la volonté de l’employeur d’assigner le travailleur à un travail déterminé et celle du consentement du médecin qui en a charge à aucun formalisme particulier, en termes de libellé, de document écrit ou de formulaire prescrit3. L’important c’est que les composantes pertinentes du travail assigné (en regard des trois critères énumérés au premier alinéa de l’article 179) soient connues et que l’accord du médecin traitant ne fasse pas de doute. Exiger en cette matière un formalisme à outrance, comme le voudrait la travailleuse, aurait pour conséquence d’entraver indûment l’application concrète et pratique de la loi4.
[40] Rien dans la preuve administrée ne démontrant en quoi l’assignation temporaire à du travail de bureau faite le 23 mai 2000 ne respectait pas les exigences de fond de la loi, le tribunal ne peut conclure que la travailleuse avait un motif raisonnable de refuser ou d’omettre de s’en acquitter dès à compter du lendemain. La CSST était donc justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu payable à la travailleuse à compter du 24 mai 2000. En conséquence, la contestation doit être rejetée à cet égard.
[…] »
(nos soulignements)
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3 Bourassa et Hydro-Québec, 111311-04-9903, 00-09-22, M. Carignan
4 Ville de Laval et Lalonde, 22936-61-9011, 91-06-20, J.-M. Duranceau, (J3-13-18).
[27] De même, dans l’affaire Manning et Premier horticulture ltée4, une cause comportant des faits similaires au présent dossier, la Commission des lésions professionnelles s’est prononcée comme suit :
[52] En outre, il est généralement reconnu qu’un employeur doit préciser au médecin le travail spécifique qu’il entend assigner au travailleur, afin que le médecin puisse se prononcer à savoir si ce travail rencontre les critères énoncés à l’article 179 de la loi5. Par contre, on n’exige pas toujours que l’avis du médecin soit consigné sur le formulaire administratif prévu par la CSST, ni qu’il soit écrit, ni même qu’il comporte une réponse spécifique à chacune des trois questions reliées aux critères de l’article 1796.
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5 Société canadienne des postes et Thibault, [1987] C.A.L.P. 377 ; Mueller Canada inc. et Lavoie, [1987] C.A.L.P. 506 ; Jonquière et Corneau, [1989] C.A.L.P. 14 ; Bourgault et Marcel Lauzon inc. [1992] C.A.L.P. 188 ; Bombardier inc. et Côté, C.A.L.P. 35904-60-9201, 17 novembre 1993, M. Lamarre; J.M. Asbestos inc. et Marcoux, C.A.L.P. 72559-05-9508, 26 juillet 1996, C. Demers; Métallurgie Brasco inc. et Jomphe, C.L.P. 114861-01B-9904, 16 juin 2000, C. Bérubé; Permafil ltée et Fournier, C.L.P. 148090-03B-0010, 28 février 2001, M. Cusson.
6 Ville de Laval et Lalonde, C.A.L.P. 22936-61-9011, 20 juin 1991, M. Duranceau; Bourassa et Hydro-Québec, C.L.P. 111311-04-9903, 22 septembre 2000, M. Carignan.
[28] Le tribunal poursuit en réitérant un principe fondamental d’interprétation des lois comme suit :
« […]
[60] Le tribunal ne peut non plus avoir une interprétation de la loi d’une rigidité telle que l’on ne doive plus que se plier à sa lettre et non à son esprit et se plier à la lettre des formulaires et non à l’avis y clairement exprimé. En l’occurrence, il apparaît plus que probable que le médecin du travailleur ait approuvé les assignations proposées et jugé qu’elles respectaient les critères de l’article 179 de la loi, et ce, même s’il n’a pas coché les réponses à ces questions spécifiques.
[…] »
(Notre soulignement)
[29] La soussignée partage l’interprétation de l’article 179 de la loi proposée par ces décisions.
[30] En appliquant les principes établis par la jurisprudence citée, le tribunal doit s’assurer que le médecin qui autorise des travaux légers respecte les trois conditions d’application de l’article 179.
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3 C.L.P. 157910, 29 novembre 2002, J-F Martel.
4 C.L.P. 181536-09-0203, 10 mars 2003, L. Desbois. Voir au même effet : Bestar inc. et Lapierre, C.L.P. 200160-03B-0302, 30 mai 2003, R. Savard, Pointe-Nor inc. et Drolet, C.L.P. 252054-08-0501, 06 mai 2005, P. Prégent.
[28] Dans le présent cas, la Commission des lésions professionnelles retient de la preuve que, malgré l’absence du formulaire à cet effet, la travailleuse a dûment été assignée temporairement à des travaux légers conformément à l’article 179 de la loi.
[29] En effet, il ressort clairement des rapports médicaux et des notes évolutives de la CSST, que la travailleuse a été assignée à des travaux légers à compter du 27 février 2006. De plus, à l’audience, l’employeur dépose un formulaire d’assignation temporaire, signé après coup par le docteur du Tremblay, qui confirme que lorsqu’il a autorisé des travaux légers à compter du 27 février 2006, ce médecin était convaincu que la travailleuse était raisonnablement en mesure d’accomplir ce travail. De ce fait, le tribunal estime que le médecin considérait que le travail ne comportait pas de danger pour la santé et la sécurité de la travailleuse et qu’il était utile à sa réadaptation, sinon il n’aurait pas recommandé la reprise des travaux légers.
[30] Par ailleurs, il ressort des notes évolutives que, le 17 mai 2006, l’employeur informe la CSST que, depuis le 11 mai 2006, la travailleuse a été mise en arrêt de travail pour une maladie intercurrente d’anxiété situationnelle à la suite d’un deuil. La CSST a donc repris le versement de l’indemnité de remplacement du revenu. Par conséquent, la preuve démontre que, à partir de cette date jusqu’au 20 juin 2006 , la travailleuse a reçu de l’indemnité de remplacement du revenu alors qu’elle n’était pas disponible pour son assignation temporaire pour une raison autre que sa lésion professionnelle.
[31] Entre le 21 juin et le 16 juillet 2006, la travailleuse est en arrêt de travail à la suite de l’exérèse de plaque et vis. Durant cette période, la travailleuse reçoit donc de l’indemnité de remplacement du revenu en raison de sa lésion professionnelle.
[32] Puis, la preuve démontre que, à partir du 17 juillet 2006, le docteur du Tremblay autorise un retour au travail qui est vraisemblablement du travail léger puisque la lésion n’est toujours pas consolidée. Cependant, la travailleuse est toujours en arrêt de travail pour sa condition personnelle et elle ne reprendra le travail que le 18 septembre 2006. Ainsi, la preuve prépondérante démontre que, entre le 17 juillet et le 18 septembre 2006, la travailleuse reçoit de l’indemnité de remplacement du revenu et elle n’est pas disponible pour de l’assignation temporaire étant donné une condition autre que sa lésion professionnelle.
[33] La Commission des lésions professionnelles estime que l’employeur a démontré avoir été obéré injustement au regard de l’indemnité de remplacement du revenu versée durant ces deux périodes puisque la travailleuse n’était pas disponible pour de l’assignation temporaire en raison d’une maladie intercurrente.
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2 Voir notamment : CSSS de la Côte de Gaspé, 316188-01B-0704, 30 août 2007, J.-F. Clément; Hôpital Laval et CSST, 76351-03-9601, 10 octobre 1997, B. Roy; Collège Notre-Dame de l’assomption, 126608-04B-9911, 24 mai 2000, A. Gauthier; Ballin inc., 176607-62B-0201, 11 octobre 2002, Y. Ostiguy; Industries Maibec inc., 257704-03B-0503, 6 janvier 2006, M. Cusson; Provigo Distributions, 156025-63-0102, 25 février 2002, J.-M. Charrette; Isolation Algon 2000 inc., 248669-71-0411, 7 juin 2005, C. Racine.
3 C.L.P. 357176-04B-0808, 11 décembre 2008, A. Quigley.
( nos soulignements)
[23] Le tribunal conclut que l’absence du formulaire d’assignation temporaire officiel de la CSST ne peut être considéré comme une fin de non recevoir à la présente demande de partage de coûts.
[24] Le tribunal est d’avis que le médecin de la travailleuse, en utilisant l’expression « travaux légers », voulait clairement permettre à la travailleuse de poursuivre un certain travail pour son employeur, malgré la survenance de sa lésion professionnelle. Manifestement, cet objectif rencontre l’intention du législateur derrière l’article 179 de la loi. Le but de cet article est de permettre l’assignation, de façon temporaire, d’un travailleur ou d’une travailleuse à un nouveau poste de travail, en attendant qu’il redevienne capable d’exercer son emploi habituel ou éventuellement, un emploi convenable.
[25] Par ailleurs, l’employeur permet ainsi de mitiger ses coûts auprès de la CSST puisqu’aucune indemnité de remplacement du revenu n’est versée durant cette période, la travailleuse recevant son salaire habituel.
[26] Dans le présent dossier, c’est précisément ce qui s’est produit. La travailleuse a bénéficié d’un travail adapté à sa condition suite à sa lésion professionnelle et l'a occupé, dans les faits, pendant une certaine période, pour ensuite être interrompue en raison d’une maladie personnelle. À la fin de cette période de convalescence en raison d’une maladie personnelle, la travailleuse poursuit alors les travaux légers.
[27] Le tribunal est d’avis qu’on ne peut se formaliser de l’utilisation, par un médecin, de l’expression « travail léger » qui, dans le langage courant, peut correspondre, dans les faits, à la notion d’assignation temporaire. La communauté médicale et les parties de même que leur représentant, d’ailleurs, utilisent souvent le terme « travail léger » pour désigner ce qui correspond dans la réalité à une « assignation temporaire » au sens de la loi. Le terme « travail léger » est utilisé depuis fort longtemps, tel que le démontre le texte de la « Loi annotée sur les accidents du travail et les maladies professionnelles » publié en 1986, au sujet de l’article 179 :
« Commentaire :
Cet article, de droit nouveau, permet l’assignation temporaire d’un nouveau poste de travail à un travailleur en attendant qu’il redevienne capable d’exercer son emploi ou un emploi convenable. Les intérêts du travailleur sont protégés du fait des responsabilités qu’exerce en la matière le médecin qui a charge. D’autre part, il est expressément mentionné que ce travail doit être favorable à la réadaptation du travailleur.
En grande partie, cet article correspond à une politique antérieure de la Commission concernant le « travail léger ». Une exception : cette politique exigeait, comme condition essentielle, l’accord du travailleur, alors qu’en vertu du présent article c’est l’avis du médecin qui a charge du travailleur qui est déterminant.
[…] »
(notre soulignement)
[28] La finalité de l’article 179 ayant été rencontrée, le tribunal croit qu’il serait formaliste à outrance d’exiger qu'un médecin produise un formulaire standardisé simplement pour dire la même chose. On peut présumer que le médecin, en utilisant l'expression « travail léger » et le fait que la travailleuse ait effectué les tâches pour l’employeur d’un travail plus léger rencontraient, dans les faits, les objectifs de la loi.
[29] Le tribunal est d’avis qu’il s’agit essentiellement d’une question factuelle qui doit être analysée dans chaque dossier. Le seul fait qu’un formulaire standardisé n’a pas été rempli en cochant chacune des cases n’est pas un élément déterminant. Il s’agit d’analyser, dans l'ensemble, les éléments factuels du dossier et de s’assurer simplement que les objectifs de l’assignation temporaire ont été rencontrés. C'est le cas dans le présent dossier.
[30] Le tribunal conclut donc qu’il y a eu, ici, dans les faits, une assignation temporaire à compter du 19 novembre 2006. Celle-ci a, par ailleurs, été interrompue en raison d’une maladie personnelle à compter du 27 novembre 2006, et ce, jusqu’au 24 janvier 2007.
[31] Dans ce contexte, l’employeur peut réclamer l’application de l’article 326 de la loi, au motif qu’il a été obéré injustement du fait que l’assignation temporaire que la travailleuse occupait depuis le 19 novembre 2006 a été interrompue, le 27 novembre 2006, en raison d’une maladie personnelle la rendant incapable d’accomplir les tâches reliées à son assignation temporaire. Le tribunal est d’avis qu'il s’agit, ici, d’une situation d’injustice telle que reconnue par la jurisprudence. En effet, la jurisprudence a reconnu que le fait qu’une assignation temporaire soit interrompue en raison d’une maladie personnelle du travailleur pouvait constituer une telle injustice. La juge administratif Juteau s’exprime ainsi dans la décision Hydro-Québec[5] :
« […]
[12] Dans le présent dossier, le tribunal juge qu’il pourrait y avoir une situation d’injustice puisque l’employeur est appelé à supporter le coût de l’indemnité de remplacement du revenu pour la période d’assignation temporaire autorisée par le médecin du travailleur. N’eût été de la maladie personnelle intercurrente du travailleur, cette assignation aurait eu lieu et l’indemnité de remplacement du revenu n’aurait pas été versée.
[…] »
[32] Dans le présent dossier, la preuve démontre clairement que l’employeur est obéré injustement du fait de cette interruption de l’assignation temporaire de la travailleuse en ce que :
1. La travailleuse a été victime d’un accident de travail le 18 novembre 2006;
2. Dès le 19 novembre 2006, la travailleuse débute ses tâches en assignation temporaire;
3. Sa période d’arrêt de travail en raison de sa maladie personnelle est du 27 novembre 2006 au 24 janvier 2007 inclusivement (58 jours);
4. La travailleuse a été consolidée le 27 janvier 2007 (durée totale de l’invalidité 61 jours).
[33] Par conséquent, la période réclamée par l’employeur représente environ 95% des coûts d’indemnité de remplacement du revenu imputés à son dossier d’employeur, que ce dernier aurait pu minimiser en raison des travaux légers autorisés et effectués par la travailleuse avant le 27 novembre 2006. L’employeur a donc été obéré injustement au sens de l’article 326 de la loi.
[34] En effet, l’employeur a démontré de façon prépondérante que :
1. La travailleuse était en assignation temporaire au moment de son arrêt de travail;
2. La cause de l’arrêt de l’assignation temporaire est hors du contrôle, de la volonté et des gestes de l’employeur et aucunement en lien avec la lésion professionnelle;
3. N’eut été de cette cause externe à l’employeur (chirurgie et maladie personnelle), la travailleuse aurait poursuivi les tâches reliées à son assignation temporaire;
4. L’employeur a été obéré injustement du fait qu’il a été empêché d’assigner temporairement la travailleuse et ainsi minimiser les coûts de prestations imputés à son dossier.
[35] L'employeur a donc droit à un transfert de coûts, pour la période du 27 novembre 2006 au 24 janvier 2007, aux employeurs de toutes les unités de classification, en vertu de l’article 326 de la loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la contestation de C.S.S.S. Québec-Nord, l’employeur, déposée le 13 février 2009;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 28 janvier 2009, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’employeur a droit à un transfert complet des coûts, suite à la lésion professionnelle subie par madame Élise Voyer, la travailleuse, le 18 novembre 2006, pour la période du 27 novembre 2006 au 24 janvier 2007 inclusivement, aux employeurs de toutes les unités de classification, conformément à l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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JEAN-LUC RIVARD |
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Me Marie-Douce Huard |
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CAIN LAMARRE CASGRAIN WELLS |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Annick Marcoux |
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PANNETON LESSARD |
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Représentante de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Transylve inc. et Lavictoire, 2008 QCCLP 7168 . (annexe 2)
[3] Pointe-Nor inc. (Gravier) et Drolet, C.L.P. 252054-08-0501 et 252055-08-0501, le 6 mai 2005. (annexe 2)
[4] C.L.P. 349341-31-0805, 7 mai 2009, M. Lamarre; Voir aussi Levinoff-Colbex, C.L.P. 366333-04B-0812, 31 mars 2009, A. Quigley.
[5] C.L.P. 296140-63-0608, 17 décembre 2008, M. Juteau.
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