Décision

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Lemieux et Verger Serge Darsigny

2007 QCCLP 6013

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec :

25 octobre 2007

 

Région :

Yamaska

 

Dossier :

276756-62B-0511-R

 

Dossier CSST :

126315696

 

Commissaire :

Me Guylaine Tardif

 

Membres :

Bertrand Delisle, associations d’employeurs

 

Pierre Jutras, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Gilles Lemieux

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Verger Serge Darsigny

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 28 février 2007, monsieur Gilles Lemieux (le travailleur) dépose une requête en révision à l’encontre de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles, le 16 janvier 2007.

[2]                Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête du travailleur, confirme la décision rendue en révision administrative par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) et déclare que le travailleur n’a plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu depuis le 29 juin 2005 et qu’il n’a pas subi une rechute, récidive ou aggravation le 25 juillet 2005.

[3]                Les parties n’ont pas demandé la tenue d’une audience. Le tribunal a pris connaissance des motifs détaillés de la requête en révision produite par le travailleur et de l’argumentation écrite produite par la CSST. Verger Serge Darsigny (l’employeur) n’a produit aucune argumentation au dossier.

[4]                La Commission des lésions professionnelles a procédé à l’étude du dossier le 10 octobre 2007. La cause a été mise en délibéré le même jour.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[5]                Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision qu’elle a rendue, d’accueillir sa requête, de déclarer qu’il conserve son droit à l’indemnité de remplacement du revenu et de retourner le dossier à la CSST afin qu’elle soumette les questions d’ordre médical à un membre du Bureau d’évaluation médicale (le BEM).

L’AVIS DES MEMBRES

[6]                Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis qu’il y a lieu de rejeter la requête en révision.

[7]                Ils observent qu’il n’y a aucune preuve au dossier supportant l’allégation du travailleur selon laquelle la CSST a fait pression sur le médecin qui avait charge du travailleur, la docteure Deblonde, afin qu’elle produise un rapport final consolidant la lésion.

[8]                Quant au reste, ils sont d’avis que la première commissaire a disposé de l’allégation du travailleur relative à l’illégalité du rapport médical complémentaire signé par la docteure Deblonde et qu’elle a longuement exprimé les motifs supportant ses conclusions.

[9]                Dans les circonstances, ils considèrent que la requête en révision du travailleur s’apparente à un appel déguisé et qu’elle doit être rejetée puisque le travailleur n’a pas démontré que la décision rendue par la première commissaire comporte un vice de fond de nature à l’invalider.


LES FAITS ET LES MOTIFS

[10]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a matière à révision la décision qu’elle a rendue.

[11]           Le travailleur exerce le recours prévu à l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c.A-3.001) (la loi) qui se lit comme suit :

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:

 

1°   lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2°   lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3°   lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[12]           En l’espèce, le travailleur ne prétend pas avoir découvert un fait nouveau ni qu’il n’a pu être entendu par la première commissaire. Il plaide plutôt que la décision rendue comporte plusieurs vices de fond de nature à l’invalider.

[13]           Le vice de fond de nature à invalider une décision comprend, selon la jurisprudence solidement établie en la matière[1], l’erreur manifeste de fait ou de droit qui est déterminante sur l’issue du litige.

[14]           La Cour d’appel s’est prononcée à plusieurs reprises récemment sur la portée de l’article 429.56, paragraphe 3, de la loi, à la lumière de l’article 429.49 de la loi qui prévoit qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel, et en considération des principes fondamentaux de la justice administrative.

[15]           Ainsi, dans l’affaire Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Fontaine[2], la Cour d’appel affirme qu’il faut éviter d’interpréter les dispositions de la loi, en l’occurrence l’article 429.56, de manière à éviter que règne un régime de deuxième opinion. Elle insiste sur le caractère final et sans appel de la décision rendue par la formation qui a initialement entendu l’appel. Elle réaffirme le principe voulant que le vice de fond de nature à invalider une décision corresponde à une erreur grave, manifeste et déterminante sur l’issue du litige.

[16]           La Cour d’appel réitère ces principes dans l’affaire Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Touloumi[3].

[17]           Dans l’affaire Amar c. C.S.S.T.[4], la Cour d’appel casse la décision rendue en révision en vertu de l’article 429.56 de la loi puisque, à son avis, la divergence d’opinions relative à l’interprétation de la loi ne doit pas être considérée comme un vice de fond invalidant la décision du premier commissaire.

[18]           Et finalement, dans l’affaire Bourassa c. Commission de la santé et de la sécurité du travail[5], la Cour d’appel insiste sur la retenue nécessaire à l’égard du recours en révision, et ce, dans les termes suivants :

« […]

 

[22]      Sous prétexte d’un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments1.

________________

1  Voir : Y. OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada, Procédure et Preuve, Montréal, Les Éditions Thémis, 1997, p. 506-509. J.P. VILLAGI, Droit public et administratif, Vol. 7, Collection de droit 2002-2003, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 127-129.

 

[…] »

 

 

[19]           C’est donc à la lumière de ces principes incontournables qu’il y a lieu de déterminer si la décision rendue par la première commissaire comporte un vice de fond de nature à l’invalider.

[20]           Ayant écouté l’enregistrement des arguments présentés par le travailleur à la première commissaire, analysé la décision rendue par la première commissaire et considéré les arguments des parties relatifs à la requête en révision, la commissaire soussignée en vient à la conclusion qu’il y a lieu de rejeter la requête en révision.

[21]           La première commissaire rapporte les faits prouvés ou allégués aux paragraphes [4] à [29] de sa décision. Le travailleur ne prétend pas que ce résumé des faits comporte une erreur manifeste et déterminante. Il en ressort que le travailleur a subi une lésion professionnelle, jugée consolidée le 26 avril 2005 par la docteure Deblonde avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles selon le rapport final qu’elle a produit le même jour et que la docteure Deblonde s’est ensuite rangé à l’opinion du docteur Gravel, désigné par la CSST, selon laquelle il ne persiste aucune atteinte permanente ni aucune limitation fonctionnelle.

[22]           Le travailleur prétend qu’à partir de la preuve qui lui a été offerte, la première commissaire aurait dû conclure que les rapports final et complémentaires produits par la docteure Deblonde, médecin qui en avait charge à l’époque, sont illégaux, qu’ils ne pouvaient lier la CSST en vertu de l’article 224 de la loi et qu’il y avait lieu, vu la divergence d’opinions entre la docteur Deblonde et le docteur Gravel, médecin désigné par la CSST, de référer le dossier pour avis à un membre du BEM.

[23]           La première commissaire n’a pas retenu cette prétention. Elle s’en explique de façon détaillée aux paragraphes [32] à [43] de sa décision.

[24]           La commissaire soussignée constate que le travailleur reprend au stade de la révision les arguments déjà présentés à la première commissaire. Or, le recours en révision nécessite, pour être reçu, plus qu’un simple désaccord avec l’appréciation des faits ou du droit faite par la première commissaire, puisqu’il ne doit pas s’agir d’un appel déguisé.

[25]           Le travailleur devait nécessairement démontrer que la décision rendue par la première commissaire comporte une erreur manifeste de faits ou de droit et que cette erreur est déterminante sur l’issue du litige. De l’avis de la commissaire soussignée, le travailleur n’a pas fait cette démonstration.

[26]           La première commissaire résume bien les prétentions du travailleur au paragraphe [34] de sa décision :

« […]

 

[34]      La représentante du travailleur allègue qu’il (le rapport complémentaire ) est illégal puisque la docteure Deblonde ne peut modifier son avis initial et s’approprier celui d’un autre. Aussi, elle prétend que le rapport ne respecte pas les conditions de l’article 205.1 de la loi, en ce que la docteure Deblonde aurait dû informer le travailleur qu’elle changeait d’opinion et elle aurait même dû l’examiner avant de changer d’idée.

 

[…] »

 

 

[27]           La première commissaire procède ensuite à une revue de la jurisprudence portant sur la question qui lui est soumise. Prenant appui sur cette jurisprudence, elle affirme que la docteure Deblonde pouvait se rallier à l’opinion du docteur Gravel dans la mesure où son opinion est claire, non ambiguë et non susceptible d’interprétation. Appréciant la preuve qui lui a été présentée, la première commissaire est d’avis que l’opinion de la docteure Deblonde rencontre ces exigences.

[28]           La première commissaire apprécie ensuite que le retournement d’opinion de la docteure Deblonde est motivé et étayé. Elle prend appui sur la preuve au dossier pour conclure en ce sens. (Voir le paragraphe [37] de la décision de la première commissaire). À cet effet, la première commissaire note que la docteure Deblonde a même procédé à un nouvel examen du travailleur, qu’elle jugeait normal, avant de réitérer son accord avec les conclusions du docteur Gravel à la visite médicale ultérieure.

[29]           La première commissaire énonce enfin le principe voulant que le rapport complémentaire n’est pas invalide en raison du seul fait que le travailleur n’a pas été informé de son contenu avant qu’il soit produit. Elle s’appuie sur plusieurs décisions rendues en ce sens par la Commission des lésions professionnelles.

[30]           Sur la base de ces motifs, la première commissaire conclut que le rapport complémentaire de la docteure Deblonde est régulier et qu’il liait la CSST en vertu de l’article 224 de la loi, d’où son dispositif à l’effet que le travailleur n’a plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu depuis le 29 juin 2005.

[31]           Le travailleur est visiblement en désaccord avec les motifs et la conclusion de la première commissaire. Mais, tel qu’on l’a vu précédemment, en l’absence d’erreur manifeste et déterminante, il faut donner effet à l’article 429.49 de la loi qui prévoit que la décision rendue par la première commissaire est finale et sans appel.

[32]           Par ailleurs, au paragraphe [25] de sa décision, la première commissaire mentionne le témoignage du travailleur selon lequel la docteure Deblonde a complété un rapport final à la demande de la CSST. La première commissaire n’a donc pas ignoré une partie de la preuve.

[33]           Se fondant sur ce témoignage, la procureure du travailleur prétend, devant la première commissaire, que la CSST a fait pression sur la docteure Deblonde afin qu’elle consolide la lésion et que de ce fait son rapport est illégal. La première commissaire n’a pas répondu spécifiquement à cet argument.

[34]           Il n’y a pas pour autant un vice de fond invalidant la décision. Ce seul témoignage ne permet pas en effet en lui-même de considérer que la docteure Deblonde a fait l’objet de pressions indues de la part de la CSST. De plus, la note consignée par l’agent de la CSST le 15 avril 2005 contredit l’interprétation des faits proposée par la procureure du travailleur. Cette note est à l’effet que, selon ce que rapporte le travailleur lui-même, la docteure Deblonde consolidera la lésion à la visite du 26 avril 2005 et que le travailleur prévoit ensuite attendre un rendez-vous avec le docteur Pouliot pour l’évaluation des séquelles. C’est dans ce contexte qu’un examen par un médecin désigné par la CSST est suggéré, ce avec quoi le travailleur exprime son accord.

[35]           En l’absence de preuve supportant l’allégation de pressions indues sur la docteure Deblonde, la première commissaire n’avait pas à disposer explicitement de l’argument du travailleur à l’effet que le rapport médical final consolidant la lésion professionnelle est illégal.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête en révision déposée par monsieur Gilles Lemieux, le travailleur.

 

 

 

 

GUYLAINE TARDIF

 

Commissaire

 

 

 

 

Me Maryse Rousseau

F.A.T.A - MONTRÉALE

Procureure de la partie requérante

 

 

Me Hugues Magnan

PANNETON LESSARD

Procureur de la partie intervenante

 



[1]           Produits forestiers Donohue et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 683.

[2]           [2005] C.L.P. 626 .

[3]           500-09-015132-046, 6 octobre 2005, jj. Robert, Morissette et Bich, C.A. Montréal.

[4]           [2003] C.L.P. 606 .

[5]           [2003] C.L.P. 610.

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