Décision

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Gabarit EDJ

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Gabriel et autres) c. Ward

2016 QCTDP 18

 

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

 

 

N°:

500-53-000416-147

 

DATE :

20 juillet 2016

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE

SCOTT HUGHES, J.C.Q.

 

AVEC L'ASSISTANCE DES ASSESSEURES :

 

Me Claudine Ouellet, avocate à la retraite

Me Mélanie Samson

 

commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, agissant en faveur de Sylvie Gabriel, Steeve Lavoie et Jérémy Gabriel

            Partie demanderesse

c.

MIKE WARD

            Partie défenderesse

et

SYLVIE GABRIEL

et

STEEVE LAVOIE

et

JÉRÉMY GABRIEL

            Parties victimes et plaignantes

 

 

JUGEMENT

 

JH 5371

 

 

[1]           Comme l’a souligné la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Société St-Jean-Baptiste, « les tribunaux ne sont pas arbitres en matière de courtoisie, de politesse et de bon goût »[1]. Ils sont toutefois, pour reprendre les mots de la Cour Suprême, « les gardiens des valeurs constitutionnelles canadiennes »[2], dont font partie la liberté d’expression mais aussi la promotion de l’égalité et le respect de la dignité inhérente à tout être humain[3].

[2]           Ce litige met en opposition deux droits fondamentaux : la liberté d’expression et le droit d’être protégé contre des propos discriminatoires.  Le Tribunal conclut que dans les faits de cette affaire, le second droit doit prévaloir.

I.          MISE EN CONTEXTE

[3]           La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Commission) demande au Tribunal de constater que le défendeur, monsieur Mike Ward, a porté atteinte au droit de Jérémy Gabriel (Jérémy), de madame Sylvie Gabriel et de monsieur Steeve Lavoie à la sauvegarde de leur dignité, de leur honneur et de leur réputation, sans discrimination fondée sur le handicap ou l’état civil, contrairement aux articles 4 et 10 de la Charte des droits et libertés de la personne[4] (Charte).

[4]           Le litige découle de propos tenus par monsieur Ward dans le cadre de son spectacle « Mike Ward s’eXpose » et sur Internet.

[5]           La Commission demande au Tribunal de condamner monsieur Ward à verser, à titre de dommages moraux, une somme de 40 000 $ à Jérémy, un montant de 10 000 $ à madame Gabriel et une somme de 10 000 $ à monsieur Lavoie.

[6]           De plus, la Commission demande au Tribunal de condamner monsieur Ward à verser, à titre de dommages punitifs, un montant de 10 000 $ à Jérémy, une somme de 5 000 $ à madame Gabriel et un montant de 5 000 $ à monsieur Lavoie.

[7]           La Commission demande en outre au Tribunal « d’ordonner à monsieur Ward de ne plus tenir des propos en regard de Jérémy, de monsieur Steeve Lavoie et de madame Sylvie Gabriel en lien, de près ou de loin, avec le handicap de Jérémy et de ne plus utiliser le handicap de Jérémy, directement ou indirectement, en diffusant son image ou en rapportant ses faits et gestes. »

II.         LES FAITS

A.        La situation de Jérémy

[8]           Jérémy est né prématurément le […] 1996. Il est atteint du syndrome de Treacher Collins. Ce syndrome entraîne certaines malformations au niveau de la tête, notamment aux oreilles et au palais. Dans le cas de Jérémy, il s’est aussi manifesté par une surdité sévère. De plus, en raison d’un déficit de son système immunitaire, Jérémy doit recevoir des transfusions sanguines aux trois semaines. Depuis sa naissance, il a subi 23 chirurgies ayant nécessité une anesthésie générale et a été hospitalisé à de nombreuses reprises. Le syndrome dont il souffre n’affecte toutefois pas ses capacités intellectuelles ni son espérance de vie.

[9]           À partir de l’âge de trois ans et jusqu’à son entrée à l’école secondaire en 2010, Jérémy fréquente l’École Oraliste de Québec pour enfants malentendants ou sourds.

[10]         En 2003, alors que Jérémy est âgé de six ans, ses parents prennent la décision de lui faire implanter un appareil auditif ostéo-intégré connu sous le nom de BAHA. Sans son implant, Jérémy n’aurait aucune audition. Son implant lui permet d’entendre 80 à 90 % des sons. Grâce à cet appareil, il apprend à parler et à chanter. 

[11]        Jérémy exprime rapidement le souhait de mener une carrière artistique internationale en chant. Sa mère entreprend de l’aider dans la réalisation de ses projets.

[12]        En 2005, Jérémy participe à l’émission de télévision « Donnez au suivant » et chante l’hymne national au Centre Bell avant un match des Canadiens de Montréal. En mars 2006, il assiste à un spectacle de Céline Dion à Las Vegas puis la rencontre et chante avec elle dans sa loge. En mai 2006, il se rend à Rome pour chanter devant le pape. Il participe ensuite à différentes émissions et lance un album. Son autobiographie paraît en 2007. En 2008, il participe à un documentaire sur le syndrome de Treacher Collins. Par la suite, Jérémy fait quelques concerts et participe à des levées de fonds pour différents organismes. En 2012, il devient patient ambassadeur pour les hôpitaux Shriners, ce qui l’amène à voyager au Canada et aux États-Unis.    

[13]        Jérémy réalise la plupart de ses engagements professionnels à titre bénévole. Les revenus générés par la vente de son livre servent à lui payer des formations et à payer certains déplacements. Les parents de Jérémy assument aussi certaines dépenses.

[14]        Outre leur soutien financier, Jérémy peut compter sur le support moral de ses parents. Ils l’aident à s’accepter tel qu’il est et investissent temps et argent pour que Jérémy puisse suivre des formations, mener ses activités professionnelles et réaliser ses rêves. Pendant son témoignage, Jérémy dira d’eux qu’ils ont fait des sacrifices pour lui, pour satisfaire à ses demandes.

[15]        En 2010, Jérémy fait son entrée à l’école secondaire Cardinal-Roy dans le programme théâtre-études. C’est la première fois qu’il est inscrit dans une école régulière et certaines mesures d’adaptation sont mises en place pour favoriser sa réussite. Il obtient de bons résultats dans les cours de langues, mais éprouve des difficultés en mathématique et en science. En 2012, il doit quitter car il ne rencontre pas les exigences académiques du programme. Depuis septembre 2013, il fréquente le Centre d’éducation des adultes Louis-Jolliet et obtient de meilleurs résultats académiques. Cette école étant mieux adaptée à ses besoins et à son horaire il n’a pas de rattrapage scolaire à effectuer s’il doit s’absenter pour des raisons médicales ou ses activités professionnelles.

B.        Les blagues de monsieur Ward et leurs répercussions

[16]        Monsieur Ward est humoriste depuis 1993 et, de façon professionnelle, depuis 1996. Il est diplômé de l’École nationale de l’humour. Il a donné entre 4 000 et 5 000 spectacles en français, pour lesquels il a reçu plusieurs prix. Il pratique l’humour noir, un style d’humour qui provient, principalement des États-Unis, de la Grande-Bretagne et du Canada. Il traite de sujets délicats et aime s’attaquer aux tabous.  

[17]        De septembre 2010 à mars 2013, monsieur Ward présente un spectacle intitulé « Mike Ward s’eXpose »[5]. Ce spectacle a été rodé préalablement dans les bars pendant un an. Monsieur Ward y parle notamment de tolérance, de racisme et de religion. Il s’en prend aussi à certaines personnes qu’il qualifie de « vaches sacrées » dont on n’ose généralement pas rire parce qu’elles sont riches, influentes ou faibles. Jérémy est l’une d’entre elles, tout comme Céline Dion, René Angelil, Louis-José Houde, Guy A. Lepage, Ariane Moffatt et Jacques Languirand.

[18]        Dans son spectacle, monsieur Ward parle du « petit Jérémy », « le jeune avec le sub-woofer » sur la tête. Il dit avoir pris sa défense auprès de ceux qui « chialaient » qu’il « chantait mal », leur disant « Y’est mourant, laissez-le vivre son rêve ». Soulignant que « 5 ans plus tard… y’est pas encore mort ! », monsieur Ward dit l’avoir croisé « dans un Club Piscine » et « avoir essayé de le noyer » pour finalement constater qu’« y est pas tuable ». Il résume ensuite la maladie de Jérémy en disant « Y’est lette ! » Le numéro se termine par la déclaration suivante : « J’savais pas jusqu’où je pouvais aller avec ce gag-là. Je me suis dit à un moment donné, je vais aller trop loin, ils vont arrêter de rire. Non, vous n’avez pas décroché… gang de… ».  

[19]        En trois ans, le spectacle « Mike Ward s’eXpose » a été présenté 230 fois et environ 135 000 billets ont été vendus. Le spectacle a fait l’objet d’une captation vidéo en décembre 2012 et il a été possible de le télécharger sur le site de monsieur Ward en 2013. Par la suite, il a été vendu sur DVD, en 7 500 exemplaires.

[20]        Outre ses spectacles, monsieur Ward produit des capsules humoristiques qu’il diffuse sur son site Web. Les capsules sont disponibles pendant un an puis retirées du site. Il arrive toutefois que certaines d’entre elles se retrouvent sur d’autres plates-formes sans l’autorisation de monsieur Ward. Certaines de ces capsules concernent Jérémy. 

[21]        À l’occasion du lancement de l’autobiographie de Jérémy, monsieur Ward réalise une capsule qui met Jérémy en scène[6]. Il est qualifié de «pas beau qui chante». Il est aussi mentionné que la bouche de Jérémy ne ferme pas au complet. Monsieur Ward insinue, par ailleurs, que la mère de Jérémy a utilisé l’argent de ce dernier pour s’acheter des biens de luxe.

[22]        Monsieur Ward utilise l’image de Jérémy dans deux autres capsules. Dans la première, Jérémy chante une chanson grivoise[7]. Les parties ont été incapables de retrouver et de produire en preuve l’autre capsule relative à Jérémy, mais monsieur Ward en reconnaît l’existence. Jérémy a témoigné que cette capsule contenait des blagues sur le pape et des insinuations de pédophilie.

[23]        En 2012, dans le cadre de l’émission Les Francs-Tireurs, monsieur Ward accorde une entrevue au cours de laquelle il revient sur ses blagues au sujet de Jérémy et affirme que ça le fait rire de dépasser les limites[8]. Se comparant à un cocaïnomane, il dit avoir besoin de faire des blagues qui vont trop loin. C’est après avoir pris connaissance de cette entrevue que Jérémy et ses parents décident de porter plainte auprès de la Commission. Tous les témoins de la Commission ont fait mention des répercussions que les blagues de monsieur Ward ont eues sur la vie personnelle et professionnelle de Jérémy.

[24]        C’est en 2010 que Jérémy voit la première capsule de monsieur Ward à son sujet. Il est alors au début du secondaire. Des amis de ses parents lui ont fait parvenir le lien Web afin qu’il la visionne et l’ont encouragé à agir pour protéger sa carrière et sa réputation. Jérémy visionne ensuite l’ensemble des capsules et le numéro de monsieur Ward le concernant. En les visionnant, il se sent dégoûté. Il est blessé parce qu’on rit de son handicap. Il est également déstabilisé par les allusions d’exploitation financière concernant sa mère.

[25]        Les blagues de monsieur Ward amènent Jérémy à se questionner sur sa propre valeur : « sa vie vaut-elle moins que celle d’un autre » ? Il se replie sur lui-même et perd confiance et espoir. Pendant deux ans, il ne veut plus sortir, ne veut plus chanter, ne veut plus exister.

[26]        À l’école, les autres élèves répètent les blagues entendues dans les capsules de monsieur Ward. Jérémy se sent ridiculisé et triste. Il développe alors des idées suicidaires. Il se confie à sa professeure de chant, mais le cache à ses parents. Ses résultats scolaires reflètent ses sentiments et ses notes baissent.

[27]        Disant s’être senti perdu, fragile, isolé, Jérémy mentionne dans son témoignage qu’il aurait eu besoin d’une aide psychologique. Après l’avoir d’abord nié en contre-interrogatoire, Jérémy reconnaît en ré-interrogatoire avoir rencontré à quelques reprises un psychologue à son école, sur l’insistance de ses parents et professeurs. Il manquait toutefois d’assiduité à ses rendez-vous. 

[28]        Pendant ces moments difficiles, les parents de Jérémy tentent de le motiver.  Toutefois, Jérémy perçoit la douleur et le sentiment d’impuissance de ses parents.

[29]        Le père de Jérémy, monsieur Steeve Lavoie, a témoigné au sujet des répercussions que les blagues de monsieur Ward ont eues sur Jérémy et sa famille. À son entrée à l’école secondaire, Jérémy devient taciturne et s’isole alors qu’il était auparavant enjoué. Ses notes baissent également. Des membres du personnel de l’école confirment à monsieur Lavoie que Jérémy ne semble pas aller bien. Jérémy parle toutefois peu de ce qui le préoccupe.

[30]        Sur le plan personnel, monsieur Lavoie vit difficilement les blagues de monsieur Ward au sujet de son fils et de sa conjointe et le fait que ces blagues soient reprises par d’autres personnes. Cela le rend agressif. Il veut protéger son fils, mais ne sait pas quoi faire. Monsieur Lavoie ne communique pas avec monsieur Ward pour lui demander de cesser ses blagues parce qu’il craint que cela envenime la situation. Il espère que le tout s’estompe avec le temps. 

[31]        La mère de Jérémy, madame Sylvie Gabriel, a aussi témoigné sur les conséquences des blagues de monsieur Ward pour Jérémy et sa famille. À partir de 2010, elle constate un changement de comportement de la part de son fils. Il perd sa joie de vivre et devient de plus en plus dépressif. Il est froid, triste et parle peu, même lorsqu’elle le questionne. Il finira par lui dire qu’il se fait « écœurer » à l’école.

[32]        En tant que mère, madame Gabriel est dévastée par les propos de monsieur Ward concernant son fils. Elle estime qu’il est « venu briser tout ce qu’elle a bâti ». Elle a voulu donner de l’espérance et de la force à Jérémy, l’aider à socialiser, lui montrer qu’il est possible de réaliser ses rêves en dépit de son handicap. À ses yeux, les propos de monsieur Ward sont venus « tout briser ». Elle se demande comment une personne peut être aussi cruelle. Elle a pleuré énormément. Elle souffre d’insomnie, est impatiente, a perdu confiance envers les gens. Elle prend des antidépresseurs depuis 2012.

[33]        Sur le plan personnel, madame Gabriel est aussi affectée par les insinuations de monsieur Ward selon lesquelles elle aurait tiré profit de son fils. Dans son milieu de travail, des personnes lui ont prêté une vie, ont pensé qu’elle était riche et lui ont fait sentir qu’elle avait exploité son fils, alors qu’il n’en est rien. En raison des hospitalisations fréquentes de Jérémy, il a pendant longtemps été impossible pour elle d’avoir un emploi. La famille occupe une maison modeste et a vécu pendant longtemps avec le seul salaire de monsieur Lavoie. Ils n’ont ni chalet ni voiture sport, contrairement à ce que laisse entendre monsieur Ward dans l’une de ses capsules.

[34]        Madame Gabriel n’a jamais parlé avec monsieur Ward. Elle n’a pas tenté de le joindre pour lui demander de cesser ses blagues. Elle a cru qu’il allait arrêter de lui-même. Sa famille n’a pas les moyens d’engager un avocat et elle ignorait comment porter plainte. Les propos tenus par monsieur Ward à l’émission Les Francs-Tireurs sont la goutte qui a fait déborder le vase. Elle s’est alors adressée à la Commission.   

[35]        Deux autres personnes ont témoigné au sujet des répercussions que les blagues de monsieur Ward ont eues sur Jérémy.

[36]        Madame Nathalie Bourget est la professeure de chant de Jérémy. Elle est la première personne de l’entourage de Jérémy à avoir pris connaissance des blagues de monsieur Ward à son sujet. Elle en a informé la mère de Jérémy. Par la suite, il est arrivé que Jérémy se confie à elle parce qu’il ne voulait pas inquiéter sa mère. Il craignait que personne ne puisse l’aimer et avait des pensées suicidaires. Madame Bourget a craint de le perdre. Puisqu’elle avait promis à Jérémy de ne pas rapporter ses propos à sa mère, elle a seulement dit à cette dernière que Jérémy n’allait pas bien. Elle a aussi conseillé à Jérémy de consulter un psychologue ou un travailleur social.  

[37]        Monsieur Jean Pruneau, dont le nom d’artiste est Jean Perruno, est le producteur de Jérémy. Il le connaît depuis 2008. Lui aussi a pu constater les conséquences des blagues de monsieur Ward pour Jérémy. Pendant cette période, il est témoin de sa tristesse et reçoit ses confidences. Il apprend ainsi que Jérémy est victime d’intimidation à l’école. Le tout a un impact sur son talent et l’oblige à reprendre des enregistrements. Monsieur Perruno encourage Jérémy et sa mère à agir pour protéger leur intégrité.

[38]        En 2014, Jérémy accorde une entrevue au Journal de Montréal[9] dans laquelle il affirme ne pas avoir d’amertume et minimise la souffrance vécue en lien avec les blagues de monsieur Ward et l’intimidation dont il a été victime. De même, lors de sa participation à l’émission « La victoire de l’amour »[10], Jérémy explique avoir « bien réagi » face à la situation et avoir pardonné à ceux qui lui ont fait du mal. À l’audience, Jérémy précise qu’il faisait alors allusion à ses camarades de classe et non à monsieur Ward et explique qu’il désirait projeter une image forte et positive. De plus, à ce moment, il ne se sentait pas encore prêt à parler de ce qu’il avait vécu et ne voulait pas nuire à sa carrière. Il croyait, par ailleurs, que les moqueries allaient cesser.

C.        La version de monsieur Ward

[39]        Monsieur Ward présente au moins 200 spectacles d’humour par année. Il écrit lui-même ses textes et réalise ses spectacles de même que les capsules vidéo présentées sur son site Web.

[40]        Les capsules sont réalisées à l’aide du logiciel EasyTalk et d’une photo de la personne prise pour cible. Elles sont conservées sur son site Web pendant un an puis retirées. Cette formule lui donne l’occasion de faire des blagues sur l’actualité. Monsieur Ward compare ses capsules à du fast-food. Elles sont improvisées, écrites sur un coin de table. Il ne les diffuse pas sur YouTube, mais il arrive que d’autres utilisateurs les rendent disponibles sur différentes plates-formes sans son autorisation.

[41]        Monsieur Ward a entendu parler de Jérémy aux nouvelles et dans les journaux lorsqu’il a chanté pour le pape. Il ne nie pas avoir fait des blagues à son sujet. Il reconnaît, par ailleurs, ne jamais avoir communiqué avec Jérémy ou sa famille pour leur demander leur accord.

[42]        Au sujet de la première capsule, monsieur Ward précise qu’il ignorait que Jérémy a une malformation qui empêche sa bouche de fermer complètement. S’il a fait une blague à ce sujet, c’est parce que sur la photo utilisée pour la capsule, la bouche de Jérémy est entrouverte.

[43]        Par ailleurs, s’il a fait des blagues insinuant que la mère de Jérémy a poussé son fils à réaliser ses rêves à elle et a profité de son argent à des fins personnelles, c’est pour faire référence au phénomène fréquent des « showbiz moms ». Il ne croyait pas vraiment que sa mère s’enrichissait aux dépens de Jérémy.   

[44]        En ce qui concerne la capsule dans laquelle Jérémy chante une chanson grivoise, monsieur Ward explique avoir tout simplement eu besoin de la photo d’un chanteur. Il a utilisé celle de Jérémy.

[45]        Monsieur Ward ne se souvient pas de la troisième capsule mettant en vedette Jérémy. Il constate toutefois qu’une entrée sur le blogue de son site Web fait référence à cette capsule. Il n’en conteste donc pas l’existence.

[46]        Les capsules concernant Jérémy ont été retirées de son site Web, sauf en ce qui concerne leurs descriptions.

[47]        Dans le spectacle « Mike Ward s’eXpose », monsieur Ward a voulu démontrer que l’on peut rire de tout. Le numéro intitulé « Les Intouchables » porte sur des personnalités publiques dont il est difficile de rire sans créer un malaise. Rire d’un enfant crée un malaise, d’où sa décision de prendre Jérémy pour cible.

[48]        Monsieur Ward croyait que le fait pour Jérémy de chanter pour le pape et pour Céline Dion s’inscrivait dans le cadre des activités de l’association « Make-a-Wish ». C’est pourquoi il pensait que Jérémy était atteint d’une maladie incurable et qu’il allait mourir. C’est en constatant qu’il ne mourait pas qu’il a eu l’idée de la blague sur sa tentative de « noyer » Jérémy.

[49]        Ce n’est pas la première fois que monsieur Ward fait des blagues sur une personne ayant un handicap. Il a déjà fait un numéro avec monsieur Dave Richer, un autre humoriste qui a lui-même un handicap. Monsieur Ward explique que le fait de ne pas rire de quelqu’un, c’est l’exclure, le considérer trop faible et le prendre en pitié. Rire de quelqu’un, c’est l’inclure.

[50]        Il arrive à monsieur Ward de faire de l’improvisation lors de ses spectacles, mais les blagues concernant Jérémy ont été écrites et testées devant public en 2009. Pendant la période de rodage, ces blagues ont toujours suscité de bonnes réactions. Monsieur Ward dit trouver ridicule de se retrouver devant le tribunal pour des blagues dont tout le monde rit.

[51]        Monsieur Ward reconnaît que ses blagues sur Jérémy ont pu dépasser les limites de certaines personnes. En entrevue dans le cadre de l’émission Les Francs-Tireurs, monsieur Ward a senti que ses blagues au sujet de Jérémy avaient dépassé les limites de l’animateur Patrick Lagacé. Cela dit, l’humour noir ne cherche pas à faire plaisir à tout le monde et n’oblige pas à être gentil. Le but de monsieur Ward demeure néanmoins de faire rire, d’apporter du bonheur à son public, qu’il décrit comme ouvert d’esprit et ayant le goût de rire.

[52]        C’est vers la fin de l’année 2012 ou au début de l’année 2013 que monsieur Ward est informé par son gérant de la plainte déposée par Jérémy auprès de la Commission.

[53]        Dans le passé, monsieur Ward avait déjà reçu des mises en demeure découlant du contenu de ses numéros d’humour, mais il n’avait jamais été poursuivi. Habituellement, les gens qui souhaitent se plaindre de ses blagues communiquent avec son gérant ou lui, mais ne veulent pas aller en cour.

[54]        Monsieur Ward a envisagé de retirer de son spectacle le passage concernant Jérémy. Il a pris la décision de ne pas le faire parce que la plainte auprès de la Commission semblait être une question d’argent. Les blagues sur Jérémy ont donc plutôt pris fin en même temps que sa tournée, le 3 mars 2013.

[55]        Monsieur Ward insiste sur le fait qu’il contribue à des collectes de fonds pour venir en aide à des personnes ayant un handicap, notamment par l’achat de bras robotisés. De plus, il a participé à des campagnes de sensibilisation contre l’intimidation. Monsieur Ward explique qu’il fait une différence très nette entre l’acharnement contre une personne et une œuvre artistique produite devant un public consentant.

III.        LES QUESTIONS EN LITIGE

[56]        Pour trancher le litige, le Tribunal doit répondre aux questions suivantes :

1)          Le défendeur a-t-il compromis le droit des plaignants à la sauvegarde de leur dignité, de leur honneur et de leur réputation, sans discrimination fondée sur le handicap ou l’état civil, de façon contraire aux articles 4 et 10 de la Charte?

2)          La liberté d’expression artistique exonère-t-elle le défendeur de toute responsabilité pour ses propos relatifs aux plaignants?

3)          Les plaignants ont-ils droit aux dommages moraux et punitifs réclamés en leur faveur?

4)          L’ordonnance réclamée est-elle justifiée?

IV.       LE DROIT APPLICABLE

[57]        Le recours de la Commission prend appui sur les dispositions suivantes de la Charte :

4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap.

49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnue par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.

[58]        L’article 10 de la Charte ne protège pas le droit à l’égalité de façon autonome; le droit à la non-discrimination n’est protégé que dans l’exercice des autres droits et libertés garantis par la Charte[11]. La combinaison des articles 4 et 10 de la Charte protège le droit à l’égalité dans la reconnaissance et l’exercice des droits à la dignité, à la réputation et à l’honneur.

[59]        L’article 4 garantit trois droits distincts[12] : le droit à la sauvegarde de sa dignité, le droit à la sauvegarde de son honneur et le droit à la sauvegarde de sa réputation.

[60]        En plus d’être un droit protégé par son article 4, la dignité humaine est mentionnée à deux reprises dans le Préambule de la Charte :

Considérant que tous les êtres humains sont égaux en valeur et en dignité et ont droit à une égale protection de la loi;

Considérant que le respect de la dignité de l'être humain, l'égalité entre les femmes et les hommes et la reconnaissance des droits et libertés dont ils sont titulaires constituent le fondement de la justice, de la liberté et de la paix.

[61]        La dignité humaine apparaît ainsi comme « la pierre angulaire » de la Charte[13], comme une « valeur sous-jacente » à l’ensemble des droits et libertés qu’elle protège[14]

[62]        La Cour d'appel du Québec définit la dignité comme « le respect auquel a droit la personne pour elle-même, en tant qu’être humain et sujet de droit »[15]. Ainsi, « chaque être humain possède une valeur intrinsèque qui le rend digne de respect. »[16]

[63]        Le droit à la dignité jouit d’une protection sur la scène internationale. L'article premier de la Déclaration universelle des droits de l’Homme énonce que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits[17].

[64]        Une atteinte au droit à la dignité s’apprécie de façon objective[18]. Il y a atteinte à la dignité lorsqu’une personne essuie « un affront particulièrement méprisant envers son identité raciale, ethnique ou autre, et lourd de conséquences pour elle »[19].

[65]        Tout comme le droit au respect de la dignité, le droit au respect de la réputation est inhérent à la personne humaine; « la bonne réputation de l’individu représente et reflète sa dignité inhérente »[20].

[66]        Le droit au respect de la réputation est protégé par la Charte mais aussi par les articles 3 et 35 du Code civil du Québec :

3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l'inviolabilité et à l'intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.

Ces droits sont incessibles.

35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.

Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l'autorise.

[67]        Une atteinte à la réputation « est appréciée objectivement, c’est-à-dire en se référant au point de vue du citoyen ordinaire »[21].  « [L]’atteinte portée à la réputation d’une personne peut reposer sur des allégations de fait ou simplement sur des propos outrageants et injurieux »[22]. Elle « se traduit par une diminution de l’estime et de la considération que les autres portent à la personne qui est l’objet des propos »[23].

[68]        Alors que la réputation a trait à la façon dont une personne est perçue par les autres, l’honneur renvoie plutôt à l’opinion qu’une personne a d’elle-même[24] :

L’honneur est lié à l’estime que la personne a d’elle-même, au sentiment tant personnel que social de la considération qu’elle mérite. Il a un caractère […] subjectif et est largement tributaire de l’intériorité de la personne, de même que de sa position sociale ainsi que des mœurs sociales, selon les cultures et les époques. En d’autres termes, perdre son honneur, c’est un peu perdre la considération de ses semblables, du moins à ses yeux.[25]

[69]        Plusieurs instruments internationaux protègent le droit au respect de l’honneur et de la réputation, dont la Déclaration universelle des droits de l’homme[26] et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques[27]. La Convention relative aux droits des personnes handicapées[28] et la Convention relative aux droits de l’enfant[29] protègent, respectivement et de façon plus spécifique, le droit à la sauvegarde de l’honneur et de la réputation de la personne ayant un handicap et celui de l’enfant. Ces instruments internationaux de protection des droits de la personne peuvent servir d’inspiration dans l’interprétation des dispositions de la Charte.

[70]        Le moyen de défense invoqué par monsieur Ward repose sur la liberté d’expression et sur le caractère artistique et humoristique de ses propos.

[71]        La Charte garantit la liberté d’expression à son article 3 :

3. Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d'opinion, la liberté d'expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d'association.

[72]        L’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés[30] protège également cette liberté fondamentale :

 Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

[…]

b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

[…].

[73]        La liberté d’expression est protégée par les Chartes des droits « pour assurer que chacun puisse manifester ses pensées, ses opinions, ses croyances, en fait, toutes les expressions du cœur ou de l’esprit, aussi impopulaires, déplaisantes ou contestataires soient-elles »[31]. Elle « est au cœur même de notre conception de la démocratie »[32] ; « elle permet aux individus de s’émanciper, de créer et de s’informer, elle encourage la circulation d’idées nouvelles, elle autorise la critique de l’action étatique et favorise l’émergence de la vérité »[33]

[74]        La garantie de la liberté d’expression revêt une large portée. Elle vaut « non seulement pour les "informations" ou "idées" accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population. »[34] Elle « protège tout autant les propos recherchés que les remarques qui provoquent l’ire »[35]. Dès lors qu’une activité « transmet ou tente de transmettre une signification, elle a un contenu expressif et relève à première vue du champ de la garantie »[36]. Seul l’écrit ou le discours qui exprime la violence ou la menace de recourir à la violence est exclu, d’entrée de jeu, du champ d’activité protégé par la liberté d’expression[37].

[75]        Cela dit, la Cour Suprême du Canada a reconnu à maintes reprises que la liberté d’expression n’est pas un droit absolu et que des restrictions à cette liberté peuvent se justifier[38]. La liberté d’expression « peut être limitée par d’autres droits propres à une société démocratique, dont le droit à la protection de la réputation »[39], le droit au respect de l’honneur, le droit à la sauvegarde de la dignité et le droit à l’égalité. 

[76]        Plusieurs conventions internationales reflètent ce besoin d’équilibre entre les droits fondamentaux[40]. Par exemple, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel le Canada est partie, assujettit l’exercice du droit à la liberté d’expression au respect de la réputation d’autrui. La Convention américaine relative aux droits de l’homme[41] ainsi que la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales[42], contiennent des garanties similaires.

V.        ANALYSE

A.        La présence de discrimination au sens des articles 4 et 10 de la Charte

[77]        C’est le plus souvent dans le contexte d’un recours en diffamation que les tribunaux sont appelés à établir un point d’équilibre entre la liberté d’expression et les autres droits fondamentaux. En l’espèce, conformément à son champ de compétence[43], le Tribunal est saisi d’un recours pour discrimination. La première étape de l’analyse consiste donc à déterminer si les plaignants ont été victimes de discrimination au sens de l’article 10 de la Charte.

[78]        Il y a discrimination au sens de l’article 10 de la Charte lorsque sont réunis les trois éléments suivants :

1.         une distinction, exclusion ou préférence,

 

2.         fondée sur l’un des motifs énumérés à l’article 10 de la Charte, et

 

3.         qui a pour effet de détruire ou de compromettre le droit à une pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne[44].

[79]        C’est à la Commission qu’il incombe d’établir ces trois éléments selon la prépondérance des probabilités[45]. Si le Tribunal parvient à la conclusion que la Commission a démontré que les plaignants ont été victimes de discrimination au sens de l’article 10 de la Charte, il lui faudra déterminer si l’atteinte à leur droit à l’égalité est justifiée par la liberté d’expression de monsieur Ward.

[80]        Il est par ailleurs bien établi qu'en matière de discrimination, une victime n'a pas à prouver l'intention de discriminer ou de porter préjudice, pas plus que l'auteur d'une discrimination ne peut se justifier en prouvant sa bonne foi ou ses bonnes intentions[46].

1.         Une distinction, exclusion ou préférence   

[81]        Il a été prouvé que Jérémy a fait l’objet de propos de la part de monsieur Ward dans son spectacle « Mike Ward s’eXpose » ainsi que dans trois capsules diffusées sur le Web. Il a aussi été démontré que madame Gabriel a été visée personnellement par certains propos de monsieur Ward.

[82]        En exposant Jérémy et sa mère à la moquerie, monsieur Ward les a ainsi distingués ou différenciés dans le but de faire rire son auditoire.

2.         Fondée sur l’un des motifs énumérés à l’article 10 de la Charte

[83]        Les propos de monsieur Ward au sujet de Jérémy et de sa mère doivent être considérés dans leur contexte et dans leur ensemble[47]. Compte tenu de sa compétence en matière de discrimination, il est cependant nécessaire que le Tribunal identifie avec précision les propos de monsieur Ward qui sont liés à un motif interdit de discrimination. Des propos pourraient être diffamatoires ou autrement fautifs sans que le Tribunal ait compétence pour les sanctionner.

[84]        La Commission soumet que les propos tenus par monsieur Ward au sujet de Jérémy sont « fondés » sur son handicap.

[85]        La teneur du lien qui doit exister entre la différence de traitement et un motif prohibé de discrimination a été précisée par la Cour Suprême du Canada dans l’arrêt Bombardier[48]. Le plus haut tribunal du pays a établi clairement « qu’il n’est pas nécessaire que la personne responsable de la distinction, de l’exclusion ou de la préférence ait fondé sa décision ou son geste uniquement sur le motif prohibé; il est suffisant qu’elle se soit basée partiellement sur un tel motif » pour que son comportement soit jugé discriminatoire[49]. En d’autres termes, « il suffit que le motif ait contribué aux décisions ou aux gestes reprochés pour que ces derniers soient considérés comme discriminatoires »[50].  

[86]        À la lumière de l’ensemble de la preuve, dont le numéro du spectacle « Mike Ward s’eXpose » et le témoignage de monsieur Ward, le Tribunal conclut que, selon la prépondérance des probabilités, c’est parce qu’il est une personnalité publique qui attire la sympathie du public et paraît « intouchable », comme Grégory Charles ou Céline Dion, que Jérémy a été pris pour cible.  Il n’a pas choisi Jérémy à cause de son handicap.

[87]        Ainsi, la décision de monsieur Ward de faire des blagues sur Jérémy n’étant pas elle-même discriminatoire, le Tribunal doit concentrer son analyse sur les propos eux-mêmes afin de déterminer s'ils sont ou non liés au handicap de Jérémy.

[88]        Parmi l’ensemble des propos reprochés à monsieur Ward, le Tribunal a identifié quatre passages (trois lors du spectacle et le quatrième dans une capsule) où il est fait référence au handicap de Jérémy.

[89]        D’abord, dans son spectacle, monsieur Ward dit :

·        « Vous vous rappelez du petit Jérémy, t'sais le jeune avec le sub-woofer su’a tête ? »

·        « J’suis allé voir sur Internet c’était quoi sa maladie? Sais-tu c’est quoi qu’y a? Y’est lette! »

[90]        Dans le même numéro de son spectacle, monsieur Ward fait aussi référence à la maladie de Jérémy en mentionnant qu’il était censément « mourant » mais n’est pas mort, d’où sa tentative de « le noyer » « dans un Club Piscine » et son constat qu’il n’est « pas tuable ».

[91]        Ces propos au sujet de Jérémy sont tenus dans le contexte d’un numéro d’humour intitulé « Les Intouchables » dans lequel plusieurs autres personnalités publiques sont écorchées, notamment sur la base de leur apparence physique. Ce qui distingue Jérémy des autres personnes visées par monsieur Ward dans son numéro, est le fait que les caractéristiques physiques mentionnées par monsieur Ward sont liées à son handicap ou à l’utilisation d’un moyen pour pallier un handicap.

[92]        D’autre part, dans une capsule diffusée sur le Web qui met en scène Jérémy en tant que personnage, monsieur Ward qualifie ce dernier de « pas beau qui chante ». Il fait aussi référence au fait que la bouche de Jérémy ne ferme pas au complet. Du même souffle, le personnage de Jérémy enchaîne en disant : « C’est une opération que j’aurais aimé avoir, mais ça l’air que j’aimais mieux mettre tout mon argent dans le char sport que ma mère a acheté. Faque là moi je suis pogné avec ma petite boîte de son sur la tête, ma gueule qui ne ferme pas pis un livre assez moyen merci. » Ces propos ont un lien avec le handicap de Jérémy.

[93]        Le Tribunal précise qu’il n’a pas compétence pour juger des propos possiblement diffamatoires de monsieur Ward quant à la façon dont madame Gabriel a administré les sommes perçues par son fils dans le cadre de ses activités professionnelles. Cependant, dans le passage cité précédemment, le Tribunal note un lien entre les soins reçus par Jérémy, les moyens utilisés pour pallier son handicap et les insinuations de monsieur Ward quant à la façon dont madame Gabriel aurait utilisé l’argent de son fils.

[94]        Par contre, le Tribunal juge que les propos tenus par monsieur Ward dans la capsule où le personnage de Jérémy chante une chanson grivoise ne sont pas fondés sur son handicap.

[95]        Monsieur Ward a reconnu l’existence d’une autre capsule mettant en scène le personnage de Jérémy. Cette capsule n’a toutefois pu être retrouvée et produite en preuve devant le Tribunal. Selon le témoignage de Jérémy, il était question du pape et de pédophilie dans cette capsule. Le Tribunal juge que ces propos sont sans lien avec le handicap de Jérémy.

[96]        Le Tribunal doit maintenant déterminer si les propos de monsieur Ward relatifs au handicap de Jérémy ont porté atteinte au droit à l’égalité de ce dernier et de ses parents dans la reconnaissance et l’exercice des droits à la dignité, à l’honneur et à la réputation.

 

 

3.         Qui a pour effet de détruire ou de compromettre le droit à une pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne

[97]        Le Tribunal juge que les propos de monsieur Ward au sujet du handicap de Jérémy et de l’utilisation d’un moyen pour pallier son handicap ont porté atteinte, de façon discriminatoire, au droit de Jérémy au respect de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

[98]        Dans l’arrêt Calego, la Cour d’appel du Québec a souligné que le « but poursuivi par l’article 4 et […] ne saurait être de permettre à toute personne qui, subjectivement et même de bonne foi, se croit visée par une insulte ou par une injure à teneur discriminatoire, de brandir avec courroux les notions de dignité ou d’honneur et de demander réparation par voie de justice. »[51] Ainsi, pour parvenir à démontrer une atteinte discriminatoire au droit au respect de sa dignité ou au droit à la sauvegarde de son honneur, une personne doit « avoir essuyé un affront particulièrement méprisant […] et lourd de conséquences pour elle »[52]. Les propos doivent être appréciés « dans le contexte précis » où se trouve la personne qui s’estime victime de discrimination[53].

[99]        Le Tribunal n’a aucun doute que les propos de monsieur Ward selon lesquels Jérémy est « lette », a un « sub-woofer sur la tête » et a une « petite bouche qui ne ferme pas » atteignent le degré de gravité exigé par la Cour d’appel. Jérémy a longuement témoigné au sujet de la détresse que ces propos, ensuite répétés par d’autres, ont engendrée chez lui et ses parents.

[100]     La dignité humaine est définie par la Cour Suprême du Canada ainsi:

La dignité humaine signifie qu'une personne ou un groupe ressent du respect et de l'estime de soi.  Elle relève de l'intégrité physique et psychologique et de la prise en main personnelle.  La dignité humaine est bafouée par le traitement injuste fondé sur les caractéristiques ou la situation personnelle qui n'ont rien à voir avec les besoins, les capacités ou les mérites de la personne.[54]

[101]     La Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées[55] de 2006 reconnaît « que toute discrimination fondée sur le handicap est une négation de la dignité et de la valeur inhérentes à la personne humaine. »

[102]     L'effet des propos de monsieur Ward est de distinguer Jérémy par rapport à d'autres personnes qui n'ont pas de handicap.  Ses propos sont discriminatoires et ont porté atteinte au respect de sa dignité et son honneur.  Ce genre de comportement est clairement interdit par la Charte. De plus, le Tribunal croit Jérémy quand il affirme avoir été humilié par ces propos. Son témoignage démontre clairement qu’il s’est senti diminué par rapport aux autres.

[103]     Selon la Cour Suprême du Canada, « une atteinte à la réputation se traduit par une diminution de l’estime et de la considération que les autres portent à la personne qui est l’objet des propos »[56]. Pour déterminer s’il y a eu atteinte à la réputation de Jérémy, le Tribunal doit donc se demander si les propos de monsieur Ward ont diminué l’estime que le citoyen ordinaire porte à ce dernier[57].

[104]     L’ensemble des témoins qu’a fait entendre la Commission se sont dits préoccupés des répercussions des propos de monsieur Ward sur la réputation et la carrière artistique de Jérémy.

[105]     Selon son témoignage, Jérémy a été moins sollicité à compter de 2008. Il a laissé entendre devant le Tribunal que des organismes ont refusé de s’associer à lui en raison des propos de monsieur Ward à son sujet. Cependant, il a été incapable d’identifier ces organismes.

[106]     Monsieur Lavoie renchérit. À son avis, les propos de monsieur Ward ont nui à la carrière de Jérémy pour qui, en tant qu’« enfant » « handicapé », il était déjà difficile d’être pris au sérieux. Incidemment, dans son milieu de travail, le père de Jérémy a entendu des collègues reprendre les blagues de monsieur Ward au sujet de son fils.

[107]     Madame Gabriel fait un lien entre les blagues de monsieur Ward et le ralentissement des activités professionnelles de son fils. Jérémy était auparavant sollicité pour des collectes de fonds, notamment par des églises et par Enfant Soleil. Selon elle, plus il y eu de sketchs, moins le téléphone a sonné. Maintenant, il ne sonne « plus pantoute ». Les propos de monsieur Ward ont donc eu, à son avis, un gros impact sur la carrière de son fils.

[108]     Il a été prouvé que les activités professionnelles de Jérémy ont ralenti à compter de 2008. Cependant, la Commission n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que cela découle des propos de monsieur Ward.

[109]     La preuve de la Commission révèle que la carrière de Jérémy a débuté en 2005 par sa participation à l’émission « Donnez au suivant » et le chant de l’hymne national avant un match des Canadiens de Montréal. Elle a connu son apogée lorsqu’il a rencontré Céline Dion et a chanté devant le pape au printemps 2006, alors qu’il était âgé de 9 ans. La même année, il a lancé un album. L’année suivante, son autobiographie a été publiée. Puis, en 2008, il a participé à un documentaire pour faire connaître le syndrome de Treacher Collins, dont il est atteint. Par la suite, ses activités professionnelles ont consisté à donner quelques concerts et à participer à différentes collectes de fonds. Dans la plupart de ses activités, Jérémy a agi bénévolement.

[110]     Les accomplissements de Jérémy sont certes admirables, mais ils ne témoignent pas d’une carrière artistique bien établie. Comme l’ont souligné Jean Perruno et Steeve Lavoie, il est difficile pour un artiste de percer. Plusieurs raisons peuvent expliquer pourquoi Jérémy a été moins sollicité à partir de 2008. La preuve ne permet pas de conclure que les blagues de monsieur Ward au sujet de son handicap en font partie.

[111]     De même, la preuve ne permet pas de conclure que les propos de monsieur Ward en lien avec le handicap de Jérémy ont porté atteinte à la réputation de ce dernier auprès de son entourage, y compris les membres des communautés religieuses. Essentiellement, le témoignage de madame Gabriel sur cette question fait état de ses impressions quant à la manière dont les prêtres et les religieuses ont pu interpréter certaines allusions à des actes de pédophilie. Selon la prépondérance de la preuve, les propos litigieux dont le Tribunal est saisi, c’est-à-dire ceux en lien avec le handicap de Jérémy, n’ont pas contribué à ce que les communautés religieuses s’éloignent de la famille Gabriel, en supposant qu’elles aient véritablement pris leurs distances.

[112]     Selon Jérémy et madame Gabriel, les propos de monsieur Ward ont aussi eu un gros impact pour Jérémy à l’école. En 2010, il a commencé à « se faire écœurer », les blagues de monsieur Ward au sujet de son apparence physique ont été reprises par les camarades de classe.  C’est à ce moment que Jérémy a véritablement pris conscience de sa différence. Les enfants lui faisaient dire le mot « pédophile » et ont fait plusieurs blagues sur le thème de la pédophilie. Madame Gabriel établit aussi un lien entre les blagues de monsieur Ward et le fait que des enfants aient traité Jérémy de « lette » et de « mongol ».

[113]     Le père de Jérémy a mentionné dans son témoignage que ce dernier avait reçu des courriels de menaces ou d’insultes. Il en reçoit encore. Certains de ces courriels reprennent des propos tenus par monsieur Ward. Il ressort toutefois aussi de son témoignage que Jérémy a commencé à recevoir des courriels déplacés dans l’année qui a suivi sa prestation devant le pape, soit bien avant que monsieur Ward le prenne pour cible.

[114]     En ce qui concerne les moqueries dont Jérémy a été victime à l’école, le Tribunal retient des témoignages de Jérémy et de sa mère que la plupart des blagues ont porté sur la performance de Jérémy devant le pape et la pédophilie. Ces blagues ne revêtent pas un caractère discriminatoire. Par contre, le Tribunal note qu’en s’inspirant des propos de monsieur Ward, des élèves ont fait des blagues sur son implant et sur sa bouche. Monsieur Lavoie a d’ailleurs rapporté que certains de ses collègues ont aussi fait des blagues sur le physique de Jérémy en reprenant les propos de monsieur Ward dans ses capsules.

[115]     Exposer une personne à des taquineries ou des moqueries peut constituer une atteinte discriminatoire au droit au respect de la réputation[58]. Selon la Cour d’appel du Québec dans Société Radio-Canada c. Radio Sept-Îles Inc., il y a diffamation lorsqu’une personne tient des propos qui font perdre l'estime ou la considération de quelqu'un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables; « [la diffamation] implique une atteinte injuste à la réputation d’une personne, par le mal que l’on dit d’elle ou la haine, le mépris ou le ridicule auxquels on l’expose. »[59] Dans Fillion c. Chiasson, la Cour d’appel a jugé que le dénigrement d’une personne par des moqueries sur son apparence physique constitue une atteinte à la réputation[60]. Lorsque ces moqueries concernent des caractéristiques physiques liées à un handicap, l’atteinte à la réputation revêt un caractère discriminatoire. 

[116]     En somme, à la lumière de l’ensemble de la preuve, le Tribunal conclut que les propos de monsieur Ward en lien avec le handicap de Jérémy n’ont pas altéré sa réputation professionnelle aux yeux de la communauté artistique, des organismes de bienfaisance et des communautés religieuses. Par contre, le Tribunal considère qu’en exposant Jérémy à la moquerie en raison de son apparence physique caractérisée par son handicap, monsieur Ward a porté atteinte, de façon discriminatoire, au droit au respect de la réputation de ce dernier. Cela dit, le Tribunal ne croit pas que monsieur Ward soit à l’origine de toutes les moqueries dont Jérémy a pu être victime en raison de son apparence. Le Tribunal reviendra sur cette question au moment d’évaluer le préjudice subi par Jérémy.

B.        Le moyen de défense fondé sur la liberté d’expression

[117]     Le droit à l’égalité n’est pas absolu. La personne qui contrevient aux articles 4 et 10 de la Charte peut être exonérée de toute responsabilité si elle parvient à démontrer que la différence de traitement dénoncée par la partie plaignante est justifiée. Après avoir conclu que Jérémy a été victime de discrimination, le Tribunal doit maintenant déterminer si l’atteinte à son droit à l’égalité est justifiée par la liberté d’expression de monsieur Ward.

[118]     Quand deux droits quasi constitutionnels s’entrechoquent dans un litige privé, comme c’est le cas en l’espèce, il convient de procéder « à un exercice de pondération ou de conciliation » des droits en présence[61]. Cet exercice est le plus souvent effectué en application de l’article 9.1 de la Charte. Cette disposition prévoit que :

9.1 Les libertés et droits fondamentaux s'exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.

La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l'exercice.

[119]     L’application de cette disposition justificative vise à déterminer si une mesure qui porte atteinte prima facie à l’un des droits fondamentaux protégés par les articles 1 à 9 de la Charte peut être justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique.  Aucune disposition d’exception analogue à l’article 9.1 ne se retrouve au chapitre I.1 de la Charte, dans lequel est enchâssé le droit à l'égalité. C’est pourquoi la Cour Suprême du Canada juge que l’article 10 n'est pas soumis à l’analyse de l'article 9.1[62].

[120]     Bien que l’article 10 ne soit pas soumis directement à l’article 9.1 de la Charte, cette clause de justification s’applique indirectement lorsqu’il y a contravention au droit à l’égalité dans l’exercice d’un droit ou d’une liberté garantis par les articles 1 à 9[63].

[121]     De la même façon, l’article 9.1 de la Charte est applicable, indirectement, pour déterminer si une atteinte discriminatoire au droit à la sauvegarde de sa dignité, au droit à la sauvegarde de son honneur ou au droit à la sauvegarde de sa réputation est justifiée ou non. La nécessité de concilier les différents droits protégés par la Charte n’est d’ailleurs pas uniquement prévue par l’article 9.1. Elle apparaît aussi clairement à la lecture du quatrième considérant du préambule de la Charte : « les droits et libertés de la personne humaine sont inséparables des droits et libertés d’autrui et du bien-être général ».

[122]     La recherche d’un équilibre entre le droit à l’égalité dans la reconnaissance et l’exercice des droits au respect de la réputation, de l’honneur et de la dignité et la liberté d’expression est un exercice délicat.

[123]     Dans l’arrêt Whatcott, la Cour Suprême a établi que « les écrits et les discours ne seront pas traités sur un pied d’égalité lorsqu’il s’agit de trouver un juste équilibre entre des valeurs concurrentes » ; « selon leur nature, les divers types d’écrits et de discours se rapprochent ou s’éloignent relativement des valeurs fondamentales à la base de la liberté [d’expression], ce qui à son tour influe sur la valeur de l’écrit ou du discours en question par rapport aux autres droits garantis par la Charte  dont l’exercice ou la protection peut porter atteinte à la liberté d’expression.»[64]  Ainsi « il y a bien des façons d’exercer sa faculté d’expression et toutes ne constituent pas, sur un même pied d’égalité, l’exercice d’une liberté fondamentale »[65].

[124]     Dans l’arrêt Irwin Toy, la Cour Suprême a dégagé les trois valeurs sous-jacentes au droit à la liberté d’expression, à savoir l’épanouissement personnel, la recherche de la vérité par l’échange ouvert d’idées et le discours politique qui est fondamental pour la démocratie[66]. Plus le propos litigieux est lié à l’une de ces valeurs, plus grand est son poids dans l’exercice de pondération des droits.

[125]     La Cour Suprême a jugé que le discours politique doit jouir d’une reconnaissance particulière sur le plan de la liberté d’expression[67]. Pour trancher ce litige, le Tribunal doit déterminer si les propos humoristiques bénéficient aussi d’un statut particulier.

[126]     Le Tribunal a déjà établi que l’expression de la colère ne saurait justifier des propos discriminatoires[68]. À l’inverse, la volonté de faire rire pourrait-elle rendre licites de tels propos ?

[127]     Dans l’arrêt Whatcott, la Cour Suprême indique que l’humour permet de tenir des propos dénigrants ou blessants susceptibles de porter atteinte à la dignité des membres d’un groupe protégé :

Les formes d’expression qui critiquent et qui cultivent l’humour au détriment d’autres personnes peuvent être dénigrantes au point de devenir répugnantes.  Les représentations qui rabaissent un groupe minoritaire ou qui portent atteinte à sa dignité par des blagues, des railleries ou des injures peuvent être blessantes.  Toutefois, pour les raisons que j’ai exposées, les idées offensantes ne suffisent pas pour justifier une atteinte à la liberté d’expression.[69]

[128]     Ce faisant, la Cour Suprême souscrit à la position adoptée par la Cour d’appel de la Saskatchewan dans l’affaire Owens :

[traduction]  Bien des propos protégés de toute évidence par la Constitution exposent dans une certaine mesure au ridicule, rabaissent ou portent atteinte à la dignité pour des motifs fondés sur la race, la religion et autres.  J’ai à l’esprit, à titre d’exemple, la caricature qui ridiculise des personnes originaires d’un pays en particulier, l’article de magazine qui critique le programme des politiques sociales d’un groupe religieux, et ainsi de suite.  Dans le cadre d’une démocratie saine et solide, la liberté d’expression doit faire place à ce type de discours…[70]

[129]     Le litige dont le Tribunal est saisi se distingue du fait que les propos discriminatoires de monsieur Ward ne visaient pas un groupe mais une personne en particulier[71]. La question est donc de déterminer si la liberté d’expression protégée par la Charte permet de faire des blagues discriminatoires en lien avec le handicap d’une personne nommément identifiée.

[130]     En matière de diffamation, les tribunaux ont dégagé une série de critères qui permettent de déterminer si l’atteinte à la réputation d’une personne est justifiée par la liberté d’expression. La véracité des propos et l’intérêt public sont des facteurs pertinents[72]. Le contexte dans lequel les propos ont été prononcés, le ton employé, l’identité de l’auteur des propos et celle de la victime le sont également. Le Tribunal estime que ces critères sont aussi utiles au moment de déterminer si une atteinte discriminatoire au droit à la sauvegarde de la réputation, au respect de l’honneur et à la sauvegarde de la dignité est justifiée par la liberté d’expression.

[131]     Le litige oppose deux personnalités publiques. Les propos reprochés à monsieur Ward ont été tenus publiquement, sur scène et sur le Web. Les capsules diffusées sur le Web sont conçues rapidement alors que pour ses spectacles, les blagues sont rédigées à l’avance et testées devant public. C’est le rire du public qui sert de balise à monsieur Ward. Si le public rit, c’est que la blague est réussie et doit être conservée. Dans le numéro « Les Intouchables », les blagues sur Jérémy ont toujours remporté du succès.  

[132]     Monsieur Ward affirme que son objectif est de faire rire mais aussi de briser des tabous. Selon lui, on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui. Pour lui, rire d’une personne ayant un handicap, c’est lui faire une place et ne pas la prendre en pitié. Dans son témoignage, monsieur Ward reconnaît cependant ne pas s’être soucié de la façon dont ses propos allaient être reçus par Jérémy et sa famille.  

[133]     L’humour peut certes avoir des vertus éducatives[73] ou inclusives, mais il doit, pour ce faire, être exercé dans le respect de la dignité de la personne visée. Aucune forme d’humour ne fait exception à cette règle[74]. Dans l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Villemaire, le Tribunal a jugé que «l’humour ne peut servir de prétexte, de paravent ou de justification à une conduite discriminatoire»[75].  En fait, il peut même constituer un facteur aggravant :

Selon les circonstances, il peut même constituer une forme particulièrement insidieuse de discrimination.  Tenter de faire rire à propos de caractéristiques personnelles qui constituent des motifs interdits de discrimination comporte un risque évident de banalisation de l’interdiction de la discrimination.  L’humour peut avoir pour effet d’isoler encore davantage la personne qui fait l'objet de discrimination, en attirant les rieurs du côté de celui qui se moque et en discréditant les protestations de la victime de discrimination.[76]

[134]     Des propos inacceptables en privé ne deviennent pas automatiquement licites du fait d’être prononcés par un humoriste dans la sphère publique. Plus encore, le fait de disposer d’une tribune impose certaines responsabilités. Un humoriste ne peut agir uniquement en fonction des rires de son public; il doit aussi tenir compte des droits fondamentaux des personnes victimes de ses blagues.  

[135]     Pas plus que leur nature humoristique, le caractère artistique des propos de monsieur Ward ne saurait le mettre entièrement à l’abri des recours. La liberté d’expression comprend la liberté d’expression artistique, sans toutefois que celle-ci ait un statut supérieur à la liberté d’expression générale[77]. La liberté d’expression artistique est donc aussi limitée par les autres droits protégés par la Charte.

[136]     En l’espèce, Jérémy a été pris pour cible, nommément et à plusieurs reprises, par monsieur Ward, et ce, sans jamais y avoir consenti. Ce consentement constitue la différence importante avec la situation de monsieur Dave Richer, dont a fait mention monsieur Ward dans son témoignage. Le fait que Jérémy soit connu du public en raison de ses activités artistiques l’expose à être l’objet de commentaires et de blagues sur la place publique[78], mais cela ne saurait être interprété comme une renonciation à son droit au respect de son honneur, de sa réputation et de sa dignité, sans discrimination fondée sur son handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.

[137]     Le Tribunal note, par ailleurs, que les blagues reprochées à monsieur Ward ne soulèvent pas une question d’intérêt public et ne s’inscrivent pas dans le cadre d’un débat public sur des questions d’intérêt général[79].

[138]     En tenant compte du contexte, le Tribunal conclut que les blagues de monsieur Ward ont outrepassé les limites de ce qu’une personne raisonnable doit tolérer au nom de la liberté d’expression. La discrimination dont Jérémy a été victime est injustifiée.

 

 

C.        Les réclamations des parents

[139]     Le Tribunal doit déterminer si les parents de Jérémy ont aussi été victimes de discrimination fondée sur le handicap de leur fils ou leur état civil. La jurisprudence de la Cour d’appel sur cette question est partagée.

[140]     Dans l’arrêt Commission scolaire des Phares (2006), la Cour d’appel a confirmé la conclusion par laquelle le Tribunal avait condamné la commission scolaire à verser conjointement à un élève handicapé et à ses parents une somme de 30 000 $ à titre de dommages moraux[80].

[141]     Cependant, dans l’arrêt Commission scolaire des Phares (2012), la Cour d’appel a annulé la conclusion du Tribunal ordonnant le versement de dommages moraux aux parents d’un enfant victime de discrimination sur la base de son handicap[81]. La Cour a alors établi une distinction entre la situation de l’enfant handicapé qui fait l'objet de discrimination et la situation de ses parents :

Les parents de Joël n'ont pas été victimes de discrimination en raison des décisions prises par l'appelante. Seul ce dernier a ou non été victime d'exclusion. Dit autrement, les parents de Joël n'ont pas reçu un traitement différent en raison de la trisomie de leur fils.[82]

[142]     Dans l’arrêt Beauchesne c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP-301), la Cour d’appel a réitéré que les parents d’un enfant handicapé ne peuvent invoquer pour eux-mêmes les garanties offertes par la Charte. En parlant de la mère de l’enfant, la Cour écrit :

[103]  Beauchesne n'est pas handicapée et elle ne fait pas usage d'un moyen pour pallier un handicap. C'est son fils qui est handicapé et pour qui sa présence représente un moyen de pallier. Or, comme le plaide le Syndicat et dans l'état actuel des choses, la Charte québécoise ne permet pas à une personne d'invoquer pour elle-même le handicap d'une autre ou le fait d'être le moyen utilisé par cette autre personne, le cas échéant, pour pallier son handicap.[83]

[143]     Plus récemment, cependant, la Cour d’appel a nuancé sa position en jugeant que les parents qui se consacrent à l’entraînement d’un chien d’assistance destiné à leur fils bénéficient de la protection de la Charte, même en l’absence de ce dernier[84]. Dans cette affaire, les parents avaient eux-mêmes été victimes d’un refus de location en raison de la présence du chien d’assistance de leur enfant. Dans le passé, le Tribunal a aussi jugé qu’il y a discrimination fondée sur l’état civil lorsqu'une personne fait elle-même l’objet d’un traitement préjudiciable différent en raison de l’identité[85] ou des caractéristiques particulières[86] de son enfant ou de son conjoint.

[144]     En somme, les tribunaux reconnaissent qu’un parent est victime de discrimination lorsqu’il fait lui-même l’objet d’une différence de traitement préjudiciable en lien avec une caractéristique personnelle de son enfant.

[145]     En l’espèce, la mère de Jérémy a reçu un traitement différent en raison du handicap de son fils.

[146]     La mère de Jérémy a personnellement fait l’objet de blagues de la part monsieur Ward. Elle n’a pas été ciblée en tant que madame Gabriel mais en tant que mère de Jérémy. Les blagues la concernant ne sont pas toutes discriminatoires. Par exemple, les blagues insinuant que les rêves réalisés par Jérémy sont ceux de sa mère et non les siens ne sont pas discriminatoires. Cependant, dans l’une des capsules où monsieur Ward met en scène le personnage de Jérémy, monsieur Ward souligne que la bouche de Jérémy ne ferme pas au complet et ajoute : « C’est une opération que j’aurais aimé avoir, mais ça l’air que j’aimais mieux mettre tout mon argent dans le char sport que ma mère a acheté. Faque là moi je suis pogné avec ma petite boîte de son sur la tête, ma gueule qui ne ferme pas pis un livre assez moyen merci». Monsieur Ward insinue que Jérémy n’a pas pu obtenir les meilleurs soins parce que sa mère a préféré utiliser son argent à d’autres fins. Cette blague vise madame Gabriel personnellement et elle est liée au handicap de son fils. N’eût été du handicap de Jérémy, madame Gabriel n’aurait pas fait l’objet de cette blague désobligeante. Le Tribunal y voit une atteinte discriminatoire à son droit, à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et sa réputation.  Cette blague outrepasse les limites de ce qu’une personne raisonnable doit tolérer au nom de la liberté d’expression. Ce moyen de défense est donc rejeté.

[147]     Quant à monsieur Lavoie, il a été très touché par les propos de monsieur Ward au sujet de son fils et de sa conjointe. Il a éprouvé de la colère, de la tristesse et un sentiment d’impuissance. Cependant, il n’a pas été lui-même victime d’un traitement préjudiciable de la part de monsieur Ward. Le Tribunal comprend les sentiments exprimés par monsieur Lavoie, mais rejette les réclamations le concernant.

VI.       LES RÉPARATIONS

[148]     La Commission a présenté des demandes d’ordre monétaire ainsi qu’une demande d’ordonnance.

[149]     La Commission réclame à titre de dommages moraux un montant de 40 000 $ pour Jérémy et un montant de 10 000 $ pour chacun de ses parents. Le Tribunal est d’avis que des dommages moraux doivent être accordés à Jérémy et à sa mère.

[150]     Mesurer le dommage moral et déterminer l’indemnité conséquente constitue une tâche délicate et forcément discrétionnaire[87].

[151]     En l’espèce, il importe de distinguer entre les aléas de la vie dont Jérémy et sa famille ont été victimes et le préjudice qui découle des propos de monsieur Ward. Compte tenu du champ de compétence du Tribunal en matière de discrimination uniquement, il faut au surplus distinguer le préjudice qui découle des blagues discriminatoires de monsieur Ward du préjudice qui découle possiblement de ses autres blagues concernant Jérémy et sa mère.

[152]     Il a été mis en preuve que les difficultés scolaires de Jérémy sont en partie attribuables à ses absences fréquentes dues à ses problèmes de santé et à ses activités professionnelles. La mère de Jérémy a témoigné, par ailleurs, au sujet des difficultés rencontrées avec certains enseignants qui ne respectaient pas le plan d’intervention prévu pour son fils.

[153]     Il a aussi été mis en preuve que les moqueries dont Jérémy a été victime à l’école étaient principalement liées à sa prestation de chant devant le pape et non à son handicap. La mère de Jérémy a longuement témoigné sur les blagues de pédophilie dont son fils a été victime. D’ailleurs, il ressort des témoignages de ses deux parents que Jérémy a fait l’objet de blagues et d’insinuations sur le thème de la pédophilie bien avant que monsieur Ward le prenne pour cible.

[154]     La mère de Jérémy a témoigné que depuis la naissance de Jérémy, le regard des autres est pesant. Elle a aussi reconnu que Jérémy s’est fait frapper alors qu’il était plus jeune et s’est fait insulter bien avant que monsieur Ward fasse des blagues à son sujet.

[155]     À la lumière de l’ensemble de la preuve, le Tribunal comprend que les blagues discriminatoires de monsieur Ward ont contribué à rendre plus difficile encore la réalité de Jérémy en tant qu’enfant ayant un handicap, son entrée dans l’adolescence et son passage à l’école secondaire. Jérémy a témoigné au sujet de la détresse dans laquelle il a vécu pendant cette période. Ses parents, madame Bourget et monsieur Perruno ont aussi témoigné au sujet des changements de comportement observés chez Jérémy à cette période. Ce dernier a perdu sa joie de vivre, s’est replié sur lui-même et a même eu des idées suicidaires.

[156]     Les difficultés vécues par Jérémy ne sont pas toutes imputables à monsieur Ward et les blagues dont il a été victime ne revêtent pas toutes un caractère discriminatoire. Pour ces raisons, le Tribunal estime approprié de lui accorder un montant de 25 000 $ en guise de réparation pour le préjudice moral subi en raison des propos discriminatoires de monsieur Ward. Pour fixer ce montant, le Tribunal tient compte du fait que les blagues discriminatoires de monsieur Ward ont été répétées à de nombreuses reprises pendant sa tournée qui a duré plus de deux ans, et ont été largement diffusées. 

[157]     Dans son témoignage, madame Gabriel a relaté de façon convaincante les effets des blagues de monsieur Ward à son sujet. Dans son milieu de travail, elle a été perçue comme une mère qui profitait de son enfant. Nul doute que cette situation l’a grandement affectée et l’affecte encore. Cependant, la plupart des blagues à son sujet ne revêtent pas un caractère discriminatoire et le Tribunal n’a pas compétence pour décider de leur caractère diffamatoire ou non. Dans ce contexte, le Tribunal estime qu’un montant de 5 000 $ est une réparation appropriée pour le préjudice moral que lui a occasionné la blague discriminatoire de monsieur Ward au sujet de la chirurgie qu’elle aurait refusée à son fils.

[158]     La Commission réclame à titre de dommages punitifs un montant de 10 000 $ pour Jérémy et un montant de 5 000 $ pour chacun de ses parents. Le Tribunal conclut que des dommages punitifs doivent être accordés à Jérémy et à sa mère.

[159]     Les dommages punitifs poursuivent des objectifs de punition, de dissuasion et de dénonciation des comportements jugés particulièrement répréhensibles[88]. L’attribution de dommages punitifs vise à punir l’auteur d’une atteinte illicite et intentionnelle à un droit protégé par la Charte, à le dissuader de récidiver, à décourager les tiers d’agir de la même façon et à exprimer la désapprobation face à ce comportement.

[160]     Dans l'arrêt Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, la Cour Suprême a précisé en ces termes les circonstances dans lesquelles une condamnation au paiement de dommages punitifs est possible en vertu de l’article 49 alinéa 2 de la Charte :

Il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l'art. 49 de la Charte lorsque l'auteur de l'atteinte illicite a un état d'esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s'il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère.[89]

[161]     L’analyse du caractère intentionnel ou non d’une atteinte illicite comporte un volet subjectif et un volet objectif[90]. Le volet subjectif « consiste à déterminer si l’auteur de la violation souhaitait la conséquence de son acte »[91].  Le volet objectif de l’analyse « vise à évaluer si une personne raisonnable, dans la même situation que l’auteur, aurait pu prévoir les conséquences subies par la victime. »[92] C’est en vertu de ce deuxième critère que des dommages punitifs sont accordés à Jérémy et à sa mère.

[162]     Monsieur Ward reconnaît qu’il ne se préoccupe pas des sentiments de ses victimes et de leur famille lorsqu’il rédige une blague. Il est toutefois conscient qu’une blague peut blesser et serait prêt à cesser d’utiliser une blague si on lui apprenait que sa victime en est peinée. Parce qu’il sentait que l’animateur avait été choqué par ses blagues au sujet de Jérémy, il a reconnu dans l’émission Les Francs-Tireurs que ces blagues allaient trop loin, qu’elles dépassaient la limite.

[163]     Le Tribunal est convaincu que monsieur Ward ne pouvait ignorer les conséquences de ses blagues sur Jérémy. Une personne raisonnable ne peut d’ailleurs pas ignorer qu’un enfant handicapé sera profondément blessé qu’un humoriste connu fasse publiquement des blagues sur son handicap, notamment en affirmant qu’il est «lette». De même, une personne raisonnable ne peut ignorer que la mère d’un enfant handicapé sera blessée que l’on insinue, même à la blague, qu’elle a préféré s’acheter une voiture sport plutôt que de payer une chirurgie à son enfant.

[164]     Le Tribunal reconnaît qu’il peut être difficile pour un artiste de l’humour d’évaluer où se trouve la limite de l’exercice légitime de sa liberté d’expression. Cependant, en l’espèce, la preuve révèle que monsieur Ward a outrepassé cette limite de façon intentionnelle, au sens où l’entend la Cour Suprême dans l’arrêt Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand.

[165]      Le Tribunal jouit d’un pouvoir discrétionnaire dans la détermination du montant des dommages punitifs. Selon l’article 1621 C.c.Q., ce montant doit être déterminé en tenant compte de toutes les circonstances appropriées et, notamment, de la gravité du comportement de monsieur Ward, de sa situation patrimoniale et de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers la victime.

[166]     En l’espèce, les propos discriminatoires de monsieur Ward ont un caractère répété. Ils ont été tenus dans une capsule et dans un spectacle, tous deux largement diffusés. Pendant les années 2010 à 2013, monsieur Ward a présenté son spectacle à 230 reprises, devant environ 135 000 personnes générant ainsi d’importants revenus. Le spectacle a aussi fait l’objet d’une captation vidéo et a été vendu en ligne et sur DVD. En outre, bien que monsieur Ward témoigne que s’il apprend qu’une de ses blagues blesse la personne visée, il serait prêt à la retirer de son spectacle, les faits ici démontrent qu’il ne l’a jamais fait, en ce qui concerne Jérémy. Par surcroît, il affirme avec arrogance, être convaincu que la plainte auprès de la Commission n’était "qu’une question d’argent".

[167]     Pour ces raisons, le Tribunal juge approprié de condamner monsieur Ward à verser à Jérémy une somme de 10 000 $ et à sa mère un montant de 2 000 $ à titre de dommages punitifs. Selon la preuve relative à la situation patrimoniale de monsieur Ward[93], ce montant paraît raisonnable. 

[168]     La Commission demande au Tribunal « d’ordonner au défendeur, monsieur Mike Ward, de ne plus tenir des propos en regard de Jérémy, de monsieur Steeve Lavoie et de madame Sylvie Gabriel en lien, de près ou de loin, avec le handicap de Jérémy et de ne plus utiliser le handicap de Jérémy, directement ou indirectement, en diffusant son image ou en rapportant ses faits et gestes. »

[169]     À plusieurs reprises, la Cour Suprême a insisté sur « la nécessité de la flexibilité et de la créativité dans la conception des réparations à accorder pour les atteintes aux droits fondamentaux de la personne »[94]. La Cour a en outre explicitement reconnu que la mise en œuvre de ces droits sous le régime de la Charte « peut conduire à l’imposition d’obligations de faire ou de ne pas faire, destinées à corriger ou à empêcher la perpétuation de situations incompatibles avec [celle-ci] »[95].

[170]     Une ordonnance émise par le Tribunal doit « se rapporter au litige soumis au Tribunal, être appuyé[e] par la preuve pertinente et être approprié[e] compte tenu de l’ensemble des circonstances »[96]. Le fait que l’ordonnance recherchée restreigne la liberté d’expression de monsieur Ward fait partie des circonstances dont le Tribunal doit tenir compte.

[171]     La portée de l’ordonnance recherchée est excessive puisqu’elle aurait pour effet d’empêcher monsieur Ward de tenir des propos qui ne sont ni discriminatoires ni autrement contraires à la Charte.

[172]     Par ailleurs, le Tribunal ne croit pas nécessaire de prononcer une ordonnance dont la portée serait mieux circonscrite. Dans le passé, il est arrivé que le Tribunal ordonne à une personne de cesser tout propos discriminatoire à l’endroit d’une autre[97]. L’émission d’une ordonnance de cette nature est parfois appropriée pour prévenir la récidive, tout particulièrement lorsque l’auteur de la discrimination nie toute responsabilité.

[173]     Monsieur Ward n’a pas cherché à se déresponsabiliser. Il a plutôt invoqué que ses propos relevaient de la liberté d’expression artistique. Devant le Tribunal, monsieur Ward a reconnu que ses blagues sur Jérémy étaient un « mauvais move » puisqu’il s’est retrouvé « en cour ». Maintenant que le Tribunal a établi qu’il a outrepassé les limites de la liberté d’expression en portant atteinte au droit à l’égalité de Jérémy et de sa mère, il y a lieu de penser que monsieur Ward modifiera sa conduite de façon à ne plus contrevenir aux garanties d’égalité prévues par la Charte.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[174]     ACCUEILLE en partie la demande introductive d'instance;

[175]     CONDAMNE le défendeur, Mike Ward, à verser les montants suivants :

a)         une somme de 25 000 $ à Jérémy Gabriel à titre de dommages moraux avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 9 juin 2014, date de signification de la proposition de mesures de redressement;

b)         une somme de 5 000 $ à madame Sylvie Gabriel à titre de dommages moraux avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 9 juin 2014, date de signification de la proposition de mesures de redressement;

c)         une somme de 10 000 $ à Jérémy Gabriel à titre de dommages punitifs avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la date de ce jugement;

d)         une somme de 2 000 $ à madame Sylvie Gabriel à titre de dommages punitifs avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la date de ce jugement.

[176]     AVEC FRAIS de justice.

 

 

 

 

 

__________________________________

SCOTT HUGHES,

Juge au Tribunal des droits de la personne

 

 

 

 

Me Marie Dominique

Madame Élise Nadeau (stagiaire)

BOIES DRAPEAU BOURDEAU

 

360, rue Saint-Jacques Ouest, 2e étage

Montréal (Québec) H2Y 1P5

 

Pour la partie demanderesse

 

 

 

Me Julius H. Grey

Me Simon Gruda-Dolbec

Me Julien Massicotte-Dolbec

GREY,CASGRAIN

 

1155, boul. René-Lévesque Ouest, suite 1715

Montréal (Québec) H3B 2K8

 

Pour la partie défenderesse

 

 

Dates d’audience :

23 septembre 2015

24 et 26 février 2016

 

 



[1]     Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal c. Hervieux-Payette, [2002] R.J.Q. 1669 (C.A.), par. 27. Voir aussi Dubois c. Société St-Jean Baptiste de Montréal, [1983] C.A. 247, 258.

[2]     Swing Inc. c. Elta Golf Inc., 2006 CSC 52, par. 59.

[3]     Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, 2013 CSC 11, par. 66.

[4]     R.L.R.Q., c. C-12.

[5]     Pièce P-4 : Vidéo CD du spectacle « Mike Ward s’eXpose ».

[6]     Pièce P-3 : Vidéo CD des clips 1, 2 et 3 (vidéo 1).

[7]     Pièce P-3 : Vidéo CD des clips 1, 2 et 3 (vidéo 2).

[8]     Pièce P-5 : Vidéo CD de l’entrevue donnée par monsieur à l’émission Les Francs-Tireurs diffusée sur les ondes de Télé-Québec le 18 janvier 2012.

[9]     Pièce D-3 : Entrevue accordée au Journal de Montréal.

[10]    Pièce D-5 : « La Victoire de l’Amour ».

[11]    Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, par 53.

[12]    Calego International Inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2013 QCCA 924, par. 101; Commission des droits de la personne c. Centre d'accueil Villa Plaisance, [1996] R.J.Q. 511 (T.D.P.Q.).

[13]    Coutu c. Québec (Commission des droits de la personne), [1995] R.J.Q. 1628, 1651 (C.A.). 

[14]    Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211, par. 100.

[15]    Calego International Inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 12, par. 101.

[16]    Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, préc., note 14, par. 104.

[17]    A.G. Rés. 217 A (III), Doc. A/810 N.U., à la p. 71 (1948).

[18]    Calego International Inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 12, par. 99 et 102. Voir aussi : Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, préc., note 14, par. 108.

[19]    Calego International Inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, id., par. 99.

[20]    Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, par. 120.

[21]    Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR Inc., 2011 CSC 9, par. 26.

[22]    Id., par.  15.

[23]    Id., par.  27.

[24]    Édith DELEURY et Dominique GOUBAU, Le droit des personnes physiques, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014 au par. 171.

[25]    Marie Annik Grégoire, « Réparation à la suite d'une atteinte aux droits à l'honneur, à la dignité, à l'égalité, à la réputation et à la vie privée », fasc 27 dans Pierre-Claude Lafond, dir, JurisClasseur Québec-Obligations et responsabilité civile, feuilles mobiles, Montréal, LexisNexis au para 3.

[26]    Préc., note 17, art. 12 : « Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ».

[27]    19 décembre 1966, 999 RTNU 171, art. 17 : « Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation ».

[28]    13 décembre 2006, 2515 RTNU 3, art. 22 : « Aucune personne handicapée, quel que soit son lieu de résidence ou son milieu de vie, ne sera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance ou autres types de communication ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation. Les personnes handicapées ont droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ».

[29]    20 novembre 1989, 1577 RTNU 3, art. 16 : « 1. Nul enfant ne fera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation. 2. L'enfant a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ».

[30]    Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c.11 (R.-U.)].

[31]    Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, 968.

[32]    Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, préc., note 3, par. 64.

[33]    Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR Inc., préc., note 21, par. 17. Voir aussi : Société Radio-Canada c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 2.

[34]    Handyside, Cour Eur. D. H., décision du 29 avril 1976, série A no 24, à la p. 23, citée avec approbation par la Cour Suprême du Canada dans l’arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), préc., note 31.

[35]    Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR Inc., préc., note 21, par. 17. Voir aussi : R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697; R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452.

[36]    Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), préc., note 31, 969 (nos soulignements).

[37]    S.D.G.M.R. c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573; Irwin Toy Ltd. c. Procureur général du Québec, préc., note 31, 971; Libman c. Procureur général du Québec, [1997] 3 R.C.S. 569, 594; R. c. Khawaja, [2012] 2 R.C.S. 559; Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, préc., note  3, par. 112.

[38]    Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, id., par. 64.

[39]    Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR Inc., préc., note 21, par. 17. Voir aussi : Hill c. Église de scientologie de Toronto, préc., note 20, par. 102-106; Prud’homme c. Prud’homme, 2002 CSC 85, par. 43; Gilles E. Néron Communication Marketing Inc. c. Chambre des notaires du Québec, 2004 CSC 53, par. 52.

[40]    Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR Inc., préc., note 21, par. 16.

[41]    1144 R.T.N.U. 123, art. 11, 13(1) et (2).

[42]    213 R.T.N.U. 221, art. 10.

[43]    Art. 111 de la Charte.

[44]    Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525, 538; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville); Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand (Ville), [2000] 1 R.C.S. 665.

[45]    Art. 2804 C.c.Q.; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), préc., note 11, par. 56, 59, 65.

[46]    Québec (Ville de) c. Commission des droits de la personne du Québec, 1989 CanLII 613 (QCCA), [1989] R.J.Q. 831, p. 841-842 (C.A.).

[47]    Par analogie, voir en matière de diffamation : Prud’homme c. Prud’homme, préc., note 39.

[48]    Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), préc., note 11.

[49]    Id., par. 48.

[50]    Id.

[51]    Calego International Inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 12, par. 98.

[52]    Id., par. 99.

[53]    Id., par. 102.

[54]    Law c. Canada (Ministère de l'Emploi et de l'Immigration), 1999 CanLII 675 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 497, par. 53).

[55]    Précité note 28 au préambule, par. h.

[56]    Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR Inc., préc., note 21, par. 27.

[57]    Id., par. 32.

[58]    Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Dan-My Inc., 1998 CanLII 18453.

[59]    Société Radio-Canada c. Radio Sept-Îles Inc., [1994] R.J.Q. 1811 (C.A.).

[60]    Fillion c. Chiasson, 2007 QCCA 570.

[61]    Roy c. Corporation Sun Media (Journal de Québec), 2016 QCCQ 3878, par. 71.

[62]    Devine c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 790.

[63]    Id., p. 818-819.

[64]    Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, préc., note 3, par. 112.

[65]    Calego International Inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 12, par. 114.

[66]    Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), préc., note 31, 976; R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, par. 23; Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, préc., note 3, par. 65.

[67]    R. c. Sharpe, id.

[68]    Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Lamarre, 2004 CanLII 48550 (T.D.P.); Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Entreprise conjointe Pichette, Lambert, Somec, 2007 QCTDP 21; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Brisson, 2009 QCTDP 3; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Abdelkader, 2012 QCTDP 17.

[69]    Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, préc., note 3, par. 90.

[70]    Owens v. Saskatchewan (Human Rights Commission), 2006 SKCA 41, par. 53.

[71]    Calego International Inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 12, paragraphe 112.

[72]    Prud’homme c. Prud’homme, préc., note 47; Gilles E. Néron Communication Marketing Inc. c. Chambre des notaires du Québec, préc., note 47, par. 60.

[73]    Commission des droits de la personne c. Lemay, 1995 CanLII 10775 (QC TDP).

[74]    Rosenberg c. Lacerte, 2013 QCCS 6286, par. 155.

[75]    Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Villemaire, 2010 QCTDP 8, par. 46.

[76]    Id.

[77]    Aubry c. Éditions Vice-Versa Inc., [1998] 1 R.C.S. 591.

[78]    Blanc c. Éditions Bang Bang Inc., 2011 QCCS 2624, par. 82;  Beaudoin c. La Presse Ltée, 1997 CanLII 8365 (QC CS), par. 50 à 52; Kanavaros c. Artinian, 2010 QCCS 3398. Voir au même effet Aubry c. Éditions Vice-Versa, id., par. 58.; Wic Radio Ltd. c. Simpson, 2008 CSC 40, par. 75.; Landry c. Dumont, 2012 QCCS 2769, par. 52-53; Rosenberg c. Lacerte, 2013 QCCS 6286, par. 177.

[79]    Calego International Inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 12, par. 114.

[80]    Commission scolaire des Phares c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2006 QCCA 82.

[81]    Commission scolaire des Phares c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2012 QCCA 988. Voir aussi : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Commission scolaire de Montréal, 2014 QCTDP 5 (requête pour permission d’appeler accueillie : 2014 QCCA 1761); Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Destination Dollar Plus Inc., 2014 QCTDP 15.

[82]    Commission scolaire des Phares c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, id., par. 182. (nos soulignements).

[83]    Beauchesne c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP-301), 2013 QCCA 2069.

[84]    Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Côté, 2015 QCCA 1544.

[85]    Brossard c. Commission des droits de la personne du Québec, [1988] 2 R.C.S. 279; B. c. Ontario, 2002 CSC 66.

[86]    Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Industrielle Alliance, assurances auto et habitation Inc., 2013 QCTDP 7; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Québec (Ville de), 2013 QCTDP 32.

[87]    Calego International Inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 12, par. 59.

[88]    de Montigny c. Brossard (Succession), 2010 CSC 51, par. 47 et suiv.

[89]    Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, préc., note 14, par. 121.

[90]    Construction Val-d’Or Ltée c. Gestion LRO (1997) Inc., J.E. 2006-209 (C.A.).

[91]    Id. (par. 23).

[92]    Id.

[93]    Pièce P-11 : Déclaration des revenus et prestations 2013.

[94]    Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal, 2004 CSC 30, par. 26. Voir aussi Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, par. 24-25 et 94; Bombardier, préc., note 11, par. 104.

[95]    Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal, id., par. 26 ; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), id.

[96]    Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), id., par. 103.

[97]    Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Périard, 2007 QCTDP 10.

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