Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Modèle de décision CLP - juillet 2015

Torchenaud et Service d'aide domestique enr.

2016 QCTAT 2440

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

580892-71-1507

 

Dossier CNESST :

136603099

 

Montréal,

le 20 avril 2016

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

Francine Juteau

______________________________________________________________________

 

 

 

Marie Carmelle Torchenaud

 

Partie demanderesse

 

 

 

et

 

 

 

Service d’aide domestique enr.

 

Partie mise en cause

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 29 juillet 2015, madame Marie Carmelle Torchenaud (la travailleuse) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle elle conteste une décision rendue le 16 juillet 2015 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 17 juin 2015, déclare qu’elle était justifiée de refuser d’appliquer l’article 76 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et déclare qu’il n’y a pas lieu de déterminer un nouveau revenu brut plus élevé, servant au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse.

[3]           Le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[2] (la LITAT) est entrée en vigueur. Cette loi crée le Tribunal administratif du travail qui assume les compétences de la Commission des relations du travail et de la Commission des lésions professionnelles. En vertu de l’article 261 de cette loi, toute affaire pendante devant la Commission des relations du travail ou devant la Commission des lésions professionnelles est continuée devant la division compétente du Tribunal administratif du travail.

[4]           De plus, depuis le 1er janvier 2016, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) assume les compétences autrefois dévolues à la CSST.

[5]           Le Tribunal administratif du travail a tenu une audience à Montréal le 2 février 2016 à laquelle assiste la travailleuse, représentée par procureure. Service d’aide domestique enr. (l’employeur SAD) a cessé ses activités.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[6]           La travailleuse demande au Tribunal d’appliquer les dispositions de l’article 76 de la loi et de retourner le dossier à la Commission pour déterminer un nouveau revenu brut plus élevé pour calculer son indemnité de remplacement du revenu.

LES FAITS

[7]           La travailleuse est embauchée en 2008 par l’employeur SAD à titre d’intervenante en milieu de vie (IMV). Son travail consiste à assurer une assistance aux personnes en déficience intellectuelle dans une résidence à assistance continue. La travailleuse exerce alors ses tâches à la Résidence des Écores.

[8]           Le 16 juillet 2010, lors du transfert d’une bénéficiaire, la travailleuse subit une lésion professionnelle.

[9]           Le 24 août 2010, la CSST accepte la réclamation de la travailleuse retenant que l’entorse lombaire qu’elle s’est infligée lors de cet événement constitue une lésion professionnelle.

[10]        Le 19 janvier 2011, la CSST accepte de reconnaître la relation entre le diagnostic de hernie discale lombaire et la lésion professionnelle.

[11]        Le diagnostic de la lésion fait l’objet de la procédure d’évaluation médicale. Le docteur J. Demers, neurochirurgien, membre du Bureau d’évaluation médicale, retient dans son rapport du 5 juillet 2011 que la travailleuse présente une entorse lombaire sur une spondylo-discarthrose. C’est le diagnostic qui est retenu en lien avec la lésion professionnelle. La lésion est consolidée avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles de classe 2 de l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (l’IRSST) pour le rachis lombaire.

[12]        Ces questions médicales sont confirmées dans une décision rendue le 15 juillet 2011 par la CSST, reprenant l’opinion émise par le membre du Bureau d’évaluation médicale le 5 juillet 2011. Cette décision est devenue finale.

[13]        Par la suite, le dossier de la travailleuse est acheminé en réadaptation et une analyse de la capacité de la travailleuse à exercer son emploi prélésionnel est réalisée. La CSST conclut que la travailleuse n’est pas en mesure d’exercer son emploi prélésionnel en raison des limitations fonctionnelles qu’elle conserve de sa lésion professionnelle.

[14]        Le 13 août 2012, la CSST détermine un emploi convenable de réceptionniste de bureau de dentiste et offre une formation en secrétariat à la travailleuse afin qu’elle puisse exercer cet emploi.

[15]        Le 12 octobre 2012, la CSST rend une décision déterminant que la travailleuse a la capacité à exercer un emploi convenable de réceptionniste de bureau de dentiste, à compter du 10 octobre 2012 avec un revenu annuel estimé à 20 856 $.

[16]        La travailleuse reçoit l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’au 10 octobre 2013 pour couvrir l’année de recherche d’emploi. Par la suite, son indemnité de remplacement du revenu est réduite, conformément aux dispositions de la loi.

[17]        La travailleuse n’est jamais retournée au travail à la suite de sa lésion professionnelle, n’ayant jamais occupé l’emploi convenable et n’ayant jamais occupé d’autres emplois.

[18]        Il appert du dossier que la CSST retient une base salariale de 32 000 $ pour établir le montant de l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse.

[19]        Le 14 novembre 2014, la travailleuse présente à la CSST une demande aux fins de faire ajuster sa base salariale suivant les dispositions de l’article 76 de la loi.

[20]        Au soutien de sa demande, la travailleuse fait valoir qu’à la suite d’une décision rendue par la Commission des relations du travail le 22 juin 2011[3], il a été déterminé que le véritable employeur des travailleurs à l’emploi de SAD est le Centre de réadaptation Lisette-Dupras. Toutefois, à la suite d’une fusion d’établissements, le Centre de réadaptation Lisette-Dupras fait maintenant partie du Centre de réadaptation en déficience intellectuelle et en trouble envahissant du développement de Montréal (CRDITED). À la suite de la décision de la Commission des relations du travail, une entente est intervenue entre le syndicat et l’employeur pour réintégrer les travailleurs autrefois à l’emploi de SAD chez CRDITED. La travailleuse indique que si elle avait pu réintégrer son emploi, n’eût été sa lésion professionnelle, elle aurait pu profiter des effets de la décision de la Commission des relations du travail et obtenir un emploi au taux horaire de 18,05 $ en 2010.

[21]        Pour expliquer le contexte entourant la décision rendue par la Commission des relations du travail et ses conséquences, le Tribunal entend en témoignage le président du syndicat du CRDITED, monsieur Alain Croteau, qui exerce également les fonctions d’auxiliaire aux services de santé et sociaux (ASSS).

[22]        Monsieur Croteau explique qu’il a été embauché par l’employeur SAD en 2005 pour y occuper les fonctions d’IMV, où il a exercé ses fonctions dans une résidence à assistance continue pour le Centre de réadaptation Lisette-Dupras.

[23]        Il explique que le Centre de réadaptation Lisette-Dupras est un établissement public au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux[4], qui offre des services de réadaptation et d’intégration auprès d’une clientèle en déficience intellectuelle ou en trouble envahissant du développement. Tous les travailleurs de SAD travaillaient pour le Centre de réadaptation Lisette-Dupras, qui était son seul client.

[24]        Il explique que le titre d’emploi d’IMV correspond au titre d’emploi d’ASSS. Dans les établissements publics, le titre d’IMV a été abandonné en 2005, c’est le titre d’ASSS qui a alors été retenu. Toutefois, pour les employés du SAD, le titre d’IMV est demeuré, après 2005, aux mêmes conditions salariales.

[25]        Le 15 mars 2011, le syndicat, en vertu de l’article 39 du Code du travail[5], présente une requête[6] à la Commission des relations du travail afin que le Centre de réadaptation Lisette-Dupras soit reconnu comme étant le véritable employeur des personnes salariées des agences SAD et 2320-4035 Québec inc. (SAPH), qui travaillent dans les points de service du Centre de réadaptation Lisette-Dupras.

[26]        À la suite de l’audience tenue au mois de mars et avril 2011, la Commission des relations du travail rend une décision le 22 juin 2011.

[27]        À cette période, le Centre de réadaptation Lisette-Dupras annonce la fin des contrats des travailleurs à l’emploi du SAD et de SAPH et ouvre à l’interne 130 postes d’ASSS pour remplacer les postes d’IMV et pour combler ses besoins à compter du 1er avril 2011. L’employeur SAD met fin à ses activités le 31 mars 2011.

[28]        Le syndicat dépose des griefs pour contester le congédiement des salariés du SAD et de SAPH et exige la réintégration en emploi des anciens travailleurs.

[29]        Les griefs ont mené à l’arbitrage, la médiation et la négociation avec le CRDITED. Le CRDITED est devenu intervenant au dossier puisque cet organisme résulte de la fusion d’établissements du ministère de la Santé, survenue en 2012, dont le Centre de réadaptation Lisette-Dupras.

[30]        Le 11 décembre 2013, une entente de principe intervient entre l’employeur, le CRDITED et le syndicat. Cette entente mène à la réintégration des travailleurs qui étaient en emploi au moment du dépôt de la requête par le syndicat en mars 2011, soit 170 travailleurs ayant œuvré au Centre de réadaptation Lisette-Dupras pour l’une des agences, soit SAD ou SAPH

[31]        Cette entente est acceptée par les travailleurs en janvier 2014 et le processus d’intégration en emploi prévu à cette entente est amorcé. Un calcul de l’ancienneté est réalisé. Ceci permet à la plupart des travailleurs, dont la travailleuse, de se classer à l’échelon cinq des ASSS. Antérieurement, le titre d’IMV ne comportait qu’un seul échelon. En 2010, le salaire d’un IMV était de 12,07 $ l’heure. Le salaire d’un ASSS varie d’un taux horaire de 17,62 $ à 19,35 $ selon les cinq échelons qu’il comporte.

[32]        Également, l’entente entérinée par les travailleurs prévoyait une compensation financière pouvant aller jusqu’à 70 % du salaire qu’ils auraient pu obtenir s’ils avaient été affectés temporairement sur un poste d’ASSS au CRDITED pendant la période de 33 mois de mise à pied, soit du 1er avril 2011 au 31 décembre 2013. Cette entente prévoyait qu’une personne ayant choisi de ne pas participer au processus d’intégration à l’emploi pouvait recevoir un montant forfaitaire établi suivant les années d’ancienneté et le moment de la prise de la décision de ne pas participer au processus de réintégration.

[33]        Monsieur Croteau explique que les démarches liées à l’entente ont été finalisées en 2014 pour l’ensemble des travailleurs et que les derniers montants ont été versés à la fin de l’année 2014.

[34]        En réponse à des questions qui lui sont adressées, monsieur Croteau précise que la compensation financière prévue à l’entente couvre la période du 1er avril 2011 au 31 décembre 2013 et qu’aucune compensation n’était prévue pour l’année 2010. Il souligne que la décision de la Commission des relations du travail et l’entente qui est intervenue par la suite n’ont pas d’effet rétroactif, mais concernent les travailleurs en poste au moment du dépôt de la requête, le 15 mars 2011.

[35]        Monsieur Croteau témoigne que le syndicat a formulé une demande d’application de l’article 76 de la loi pour la travailleuse, de même que dans le cas d’une autre travailleuse, occupant les mêmes fonctions au Centre de réadaptation Lisette-Dupras. Dans ces demandes à la CSST, le syndicat fait valoir, pour la travailleuse, que si elle avait été à l’emploi du Centre de réadaptation Lisette-Dupras en 2010, son salaire, suivant le taux horaire d’un ASSS à l’échelon 2, aurait été de 18,05 $ l’heure. Pour l’année 2013, il aurait été de 20,14 $ l’heure, correspondant à l’échelon 5. Le syndicat soutient que n’eût été l’accident, les travailleuses auraient pu réintégrer leur emploi prélésionnel et profiter des effets de la décision rendue par la Commission des relations du travail le 22 juin 2011.

[36]        Le syndicat soumet une décision rendue le 2 décembre 2014 par la CSST qui accepte d’appliquer les dispositions de l’article 76 de la loi dans le dossier de l’autre travailleuse pour laquelle une demande écrite similaire a été formulée à la CSST. Voici le texte de cette décision :

Madame,

 

Nous vous informons que votre demande de modification de votre basse salariale en vertu de l’article 76 de la LATMP est acceptée en date du 17 juin 2011, tel qu’entendu entre les parties.

 

Les deux critères pour l’application de l’article 76 sont rencontrés soit que vous étiez incapable d’exercer votre emploi pendant plus de deux ans et que n’eut été de circonstance particulière (fusion de deux compagnies) votre base salariale aurait été plus élevée, tel que démontré par les documents reçus.

 

Nous vous invitons à communiquer avec nous si vous avez besoin de renseignements supplémentaires au sujet de cette décision ou pour tout autre question. Veuillez noter que vous pouvez demander la révision de la décision par écrit dans les 30 jours de la réception de la lettre.

 

Nous vous prions d’accepter, Madame, nos salutations distinguées. [sic]

 

 

[37]        Le Tribunal a demandé à la procureure de la travailleuse de lui fournir de plus amples informations sur les éléments ayant mené la CSST à rendre cette décision. Toutefois, celle-ci n’était pas en mesure de le faire, n’ayant obtenu, de l’autre travailleuse, que la décision de la CSST sans autres documents. La procureure de la travailleuse suggère que la circonstance particulière retenue par la CSST, soit la fusion de deux compagnies, pourrait représenter la fusion d’établissements faisant en sorte que le Centre de réadaptation Lisette-Dupras fait maintenant partie du CRDITED.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[38]        Le Tribunal doit déterminer s’il y a lieu de modifier le revenu annuel brut de la travailleuse aux fins du calcul de son indemnité de remplacement du revenu auquel elle a droit en raison de sa lésion professionnelle du 16 juillet 2010.

[39]        La travailleuse demande l’application des dispositions de l’article 76 de la loi qui prévoit ce qui suit :

76.  Lorsqu'un travailleur est incapable, en raison d'une lésion professionnelle, d'exercer son emploi pendant plus de deux ans, la Commission détermine un revenu brut plus élevé que celui que prévoit la présente sous-section si ce travailleur lui démontre qu'il aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur lorsque s'est manifestée sa lésion, n'eût été de circonstances particulières.

 

Ce nouveau revenu brut sert de base au calcul de l'indemnité de remplacement du revenu due au travailleur à compter du début de son incapacité.

__________

1985, c. 6, a. 76.

 

 

[40]        Pour bénéficier des dispositions de l’article 76 de la loi, la travailleuse doit remplir les deux conditions qui y sont énumérées. Elle doit démontrer une incapacité à exercer son emploi d’une durée de plus de deux ans à la suite de sa lésion professionnelle et doit démontrer qu’elle aurait pu exercer un emploi plus rémunérateur lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle, n’eût été de circonstances particulières.

[41]        En l’espèce, la première condition a été démontrée par la travailleuse puisque cette dernière est toujours incapable d’exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle.

[42]        Par ailleurs, le Tribunal estime que la travailleuse n’a pas démontré qu’elle aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur au moment de sa lésion professionnelle en juillet 2010, n’eût été de circonstances particulières.

[43]        La travailleuse allègue que les circonstances particulières donnant ouverture à l’application de l’article 76 sont la fusion de deux compagnies intégrant le Centre de réadaptation Lisette-Dupras au CRDITED. Cette reconnaissance du véritable employeur découle de la décision de la Commission des relations du travail à la suite de laquelle une entente est intervenue entre les parties pour la réintégration des travailleurs à l’emploi du SAD. En conséquence, un titre d’emploi d’ASSS a été reconnu pour les IMV, correspondant à une meilleure rémunération en raison d’une échelle de salaire différente. Ainsi, si la travailleuse avait réintégré son emploi elle aurait pu se voir reconnaître un salaire correspondant à un emploi d’ASSS à l’échelon 5, soit un salaire horaire de 20,14 $ en 2013. Elle plaide que c’est pour protéger sa capacité de gains qu’elle doit voir sa base salariale modifiée suivant les dispositions de l’article 76 de la loi.

[44]        La jurisprudence qui a analysé les conditions d’application de l’article 76 de la loi rappelle que cette disposition ne vise pas à pallier les conséquences d’une lésion professionnelle et que les circonstances particulières font référence à des circonstances qui sont particulières au travailleur concerné, c’est-à-dire qu’elles lui sont personnelles. L’analyse aux fins de déterminer si un autre emploi plus rémunérateur aurait pu être occupé doit se faire en se replaçant au moment de la survenance de la lésion professionnelle et ne prévoit pas une situation purement hypothétique.

[45]        Dans l’affaire Létourneau et Automobile Transport inc.[7], la Commission des lésions professionnelles s’exprime sur l’objectif de l’article 76 de la loi :

[31]      Cette disposition vise en effet à protéger la capacité de gains sur laquelle un travailleur pouvait concrètement compter au moment même de la survenance de sa lésion professionnelle compte tenu d’un emploi plus rémunérateur qu’il aurait alors pu occuper et dont il a cependant été privé en raison de circonstances particulières hors de son contrôle.

 

 

[46]        Tant dans cette affaire que dans l’affaire Laroche et Entreprises Nortec inc.[8], il est souligné que l’argument voulant que le travailleur ait pu gagner un revenu plus rémunérateur n’eût été sa lésion professionnelle ne peut être retenu. Voici comment s’exprime la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Laroche à ce sujet :

[52]      Comme le précise la jurisprudence en la matière4, l'article 76 de la loi vise à protéger la capacité de gain sur laquelle le travailleur peut compter au moment même de la survenance de sa lésion professionnelle compte tenu de l'emploi qu'il aurait alors pu occuper et dont il a toutefois été privé en raison de circonstances particulières.

 

[53]      Cette disposition ne vise cependant pas la situation d'un travailleur qui est privé d'un revenu plus rémunérateur en raison de l'incapacité qui résulte de sa lésion professionnelle. Le législateur n'a pas voulu inclure dans la notion de «circonstances particulières» le fait que le travailleur soit incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle. Dès lors, la démonstration de la progression salariale qu'aurait été susceptible de connaître le travailleur s'il avait poursuivi l'exercice de son emploi d'aide-foreur ou même s'il avait accédé au poste de foreur après la survenance de sa lésion professionnelle n'est pas pertinente à l'application de l'article 76 de la loi.

 

[54]      Le législateur a prévu d'autres mécanismes spécifiques, bien que limités, qui permettent au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'être indemnisé en tenant compte du revenu qu'il tirait au moment de sa lésion professionnelle et aussi, dans une certaine mesure, de la perte de capacité de gain qui résulte de cette lésion. Il s'agit, dans tous les cas, de la revalorisation annuelle de la base salariale servant au calcul de l'indemnité de remplacement du revenu. De plus, si le travailleur demeure incapable de refaire l'emploi prélésionnel, la loi prévoit des mesures de réadaptation en vue de le rendre apte à exercer un emploi convenable et le versement d'une indemnité réduite de remplacement du revenu jusqu'à ce que le travailleur tire de l'emploi convenable ou d'un autre emploi qu'il occupe, un revenu annuel égal ou supérieur à celui qu'il avait au moment de la lésion professionnelle.

______________

            4        Létourneau et Automobile transport inc., C.L.P. 126297-61-9911, 01-02-26, G. Morin.

 

 

[47]        Dans l’affaire Sukovic et Scores Sherbrooke[9], la Commission des lésions professionnelles rappelle que la jurisprudence a interprété la notion de « circonstances particulières » apparaissant à l’article 76 de la loi, et déterminé que cette expression ne vise pas la situation d’un travailleur privé d’un revenu plus rémunérateur en raison de son incapacité à exercer son emploi à la suite de sa lésion professionnelle.

[48]        Cette approche a été reprise dans l’affaire Turcotte et Les aliments Lesters ltée[10] et plus récemment, dans l’affaire Gagnon et Les fermes du Soleil inc.[11] et dans l’affaire Baril et Entreprise S. Mathieu[12].

[49]        Par les arguments qu’elle présente, la travailleuse fait valoir qu’elle a été privée d’une meilleure rémunération, car elle n’a pu poursuivre l’exercice de son emploi. Cet argument comporte l’hypothèse d’une situation qui se serait concrétisée, n’eût été la survenance de la lésion professionnelle. C’est clairement la lésion professionnelle qui est invoquée comme circonstance particulière. Or, il ne s’agit pas ici d’une situation donnant ouverture à l’application des dispositions de l’article 76 de la loi, car il ne s’agit pas de circonstances particulières au sens de cette disposition[13]. En fait, la situation est similaire à tous les travailleurs qui sont privés d’une augmentation salariale postérieure à la survenance d’une lésion professionnelle.

[50]        En l’instance, les faits du dossier démontrent que c’est l’incapacité qui résulte de sa lésion professionnelle qui prive la travailleuse d’un revenu plus rémunérateur. En effet, la travailleuse conserve des limitations fonctionnelles de sa lésion professionnelle et la CSST a analysé sa capacité à exercer son emploi d’IMV qui, rappelons-le, est de même nature que celui d’ASSS. Or, il a été déterminé que la travailleuse ne pouvait exercer son emploi prélésionnel en raison des limitations fonctionnelles qu’elle conserve de sa lésion professionnelle. Cette situation a amené la CSST, le 13 août 2012, à rendre une décision déterminant un emploi convenable à la travailleuse. La travailleuse a bénéficié de mesures de réadaptation, entre autres, d’un emploi convenable qui a été déterminé à la travailleuse pour pallier les conséquences de sa lésion professionnelle. Ainsi, la travailleuse a bénéficié des autres mécanismes prévus à la loi pour pallier les conséquences de sa lésion professionnelle et il ne s’agit pas d’une situation donnant ouverture à l’application de l’article 76 de la loi.

[51]        De plus, les arguments présentés par la travailleuse n’identifient pas de circonstances particulières qui lui sont propres et la concernent de façon particulière. Les modalités découlant de l’entente intervenue entre les parties à la suite de la décision de la Commission des relations du travail et permettant aux travailleurs une réintégration en emploi et une meilleure rémunération pour le même emploi, maintenant doté d’un nouveau titre d’emploi, s’appliquent à tous les travailleurs visés par cette entente.

[52]        Or, des circonstances s’appliquant à tous les travailleurs visés par une entente ou une convention collective ne constituent pas des conditions particulières au sens de l’article 76 de la loi. C’est la conclusion de la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Roy et Molson Canada (Québec)[14] qui décide que les circonstances particulières dont il est question à l’article 76 de la loi doivent concerner personnellement le travailleur. Ainsi, une nouvelle convention collective qui modifie la rémunération du travailleur ne constitue pas une circonstance particulière.

[53]        Même si le Tribunal avait conclu qu’il était en présence de circonstances particulières au sens de l’article 76 de la loi, celles-ci n’étaient pas présentes au moment de la survenance de sa lésion professionnelle, tel que le requière le législateur. La jurisprudence rappelle qu’il faut se replacer au moment de la survenance de la lésion professionnelle pour analyser si un autre emploi plus rémunérateur aurait pu être occupé[15].

[54]        La décision rendue par la Commission des relations du travail le 22 juin 2011 et l’entente négociée par la suite entre le syndicat et l’employeur n’ont pas d’effets rétroactifs. Il est vrai qu’un nouveau calcul de l’ancienneté des travailleurs visés par l’entente a permis d’établir une nouvelle échelle salariale pour les travailleurs qui ont vu leur titre d’emploi modifié, passant d’IMV à ASSS comprenant cinq échelons. Toutefois, ces conditions ne s’appliquent pas pour l’année 2010 en raison de l’absence d’effet rétroactif de la décision de la Commission des relations du travail et de l’entente intervenue par la suite. Elles ne s’appliquent pas davantage pour les années suivantes, mais l’entente a permis aux travailleurs visés par celle-ci d’obtenir une compensation financière pour les années 2011 à 2013. Ainsi, les circonstances particulières alléguées par la travailleuse ne prévalaient pas lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle en 2010.

[55]        Également, la travailleuse allègue que si le syndicat avait produit sa requête plus tôt et que la décision de la Commission des relations du travail avait été rendue avant que ne survienne sa lésion professionnelle en 2010, elle aurait pu bénéficier, tout comme ses collègues, d’un nouveau titre d’emploi assorti d’une rémunération plus importante.

[56]        Cet argument ne peut être retenu, car il est fondé sur une situation hypothétique et non sur des circonstances concrètes qui prévalaient au moment de la lésion professionnelle de la travailleuse en 2010. De plus, ce n’est que le 15 mars 2011 que la requête a été présentée, soit huit mois après que la lésion professionnelle soit survenue.

[57]        La situation de l’espèce se distingue de celle qui prévalait dans l’affaire Léonard et Vitrerie Bellefeuille enr.[16] déposée par la procureure de la travailleuse au soutien de ses prétentions. Dans cette affaire, la situation n’était pas purement hypothétique, car certaines démarches avaient été entreprises avant la survenance de la lésion professionnelle du travailleur afin qu’il puisse obtenir sa carte de compétence et puisse exercer le métier de monteur mécanicien-vitrier première année. C’est en raison de la charge de travail de l’employeur que les démarches n’ont pu se concrétiser.

[58]        Quant au fait que la CSST a appliqué les dispositions de l’article 76 dans un autre dossier, chez une travailleuse visée par l’entente intervenue à la suite de la décision de la Commission des relations du travail, cet élément à lui seul ne peut mener le Tribunal à conclure dans le sens recherché par la travailleuse. Les faits de cette affaire n’ont pas été présentés au Tribunal et la motivation de la décision rendue par la CSST n’est pas suffisamment détaillée pour permettre de comprendre le sens de sa décision.

[59]        Considérant l’ensemble de ces éléments, le Tribunal conclut que la travailleuse ne peut bénéficier des dispositions de l’article 76 de la loi et qu’il n’y a pas lieu de modifier le revenu brut annuel de la travailleuse aux fins du calcul de son indemnité de remplacement du revenu.

 

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

REJETTE la requête du 29 juillet 2015 de madame Marie Carmelle Torchenaud, la travailleuse;

CONFIRME la décision rendue le 16 juillet 2015 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE qu’il n’y a pas lieu de déterminer un nouveau revenu brut plus élevé aux fins d’établir le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse.

 

 

__________________________________

 

Francine Juteau

 

 

 

Me Gabrielle Dufour-Turcotte

CSN

Pour la partie demanderesse

 

Date de l’audience :            2 février 2016

 



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

[2]          RLRQ, c. T-15.1.

[3]           2011 CRT 0297.

[4]           RLRQ, c. S-4.2.

[5]           RLRQ, c. C-27.

[6]           CM-2011-1480.

[7]           C.L.P. 126297-61-9901, 26 février 2001, G. Morin.

[8]           C.L.P. 168349-03B-0101, 19 mars 2002, G. Marquis.

[9]           C.L.P. 328892-05-0709, 22 janvier 2008, L. Boudreault.

[10]         C.L.P. 412896-61-1006, 22 décembre 2010, C.-A. Ducharme.

[11]         2014 QCCLP 2191.

[12]         2015 QCCLP 2979.

[13]         Létourneau et Automobile Transport inc., précitée note 7; Leblanc et J.G. Boudreau Grande-Rivière inc., C.L.P. 90251-0113-9708, 28 février 2003, H. Thériault, Touchette et Airboss Produits d’Ingéniérie inc., C.L.P. 308154-62B-0701, 3 décembre 2007, N. Blanchard; Sukovic et Scores Sherbrooke, précitée note 9.

[14]         C.L.P. 164091-64-0106, 7 février 2006, J.-F. Martel.

[15]         Gagnon et Les fermes du Soleil, précitée note 11; Bénard et Hôpital du Sacré Cœur de Montréal, 2014 QCCLP 6470; Baril et Entreprise S. Mathieu, précitée note 12.

[16]         C.L.P. 255544-64-0502, 13 octobre 2006, R. Daniel.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.