COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES
QUÉBEC, le 20 octobre 1998
QUÉBEC
DEVANT LE COMMISSAIRE : Michel Renaud
ASSISTÉ DES MEMBRES : Jean L’Italien
Associations d'employeurs
Étienne Giasson
Associations syndicales
RÉGION :
Mauricie-Centre du Québec
DOSSIER :
88377-04-9705
DOSSIER CSST : AUDIENCE TENUE LE : 21 avril 1998
110949419 DÉLIBÉRÉ LE : 30 juillet 1998
DOSSIER BRP :
6227 3521 À : Drummondville
IMPRIMERIES TRANSCONTINENTAL INC.
1330, rue Michaud
Drummondville [Québec]
J2C 2Z5
PARTIE APPELANTE
et
YVAN MASSON
51, 13e Avenue
Drummondville [Québec]
J2B 2Z6
PARTIE INTÉRESSÉE
et
COMMISSION DE LA SANTÉ ET
DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL
1055, boul. des Forges, # 200
Trois-Rivières [Québec]
G8Z 4J9
PARTIE INTERVENANTE
D É C I S I O N
Le 14 mai 1997, la compagnie Imprimeries Transcontinental [l'employeur] dépose à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles [la Commission d'appel] une déclaration d'appel à l'encontre d'une décision unanime du Bureau de révision paritaire de la région Mauricie-Centre du Québec [Bureau de révision] rendue le 21 avril 1997.
La décision du Bureau de révision confirme une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail [la Commission] le 5 juillet 1996 et déclare que le travailleur avait droit à de pleines indemnités de remplacement du revenu entre le 28 avril et le 5 mai 1996.
OBJET DE L'APPEL
L'employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d'infirmer la décision du Bureau de révision et de déclarer que le travailleur a perdu son droit à cause d’une mise à pied applicable aux employés syndiqués et par voie de conséquence au poste d’assignation temporaire.
LES FAITS
Âgé de 35 ans, M. Yvan Masson [le travailleur] oeuvre au service de l'employeur à titre d’empaqueteur et ce, depuis 1994.
Le 25 mars 1996, la CSST accepte une réclamation déposée par le travailleur pour une blessure à l’épaule gauche le 16 février 1996.
La lésion professionnelle est consolidée le 5 mai 1996.
Le travailleur a été en assignation temporaire entre le 28 février et le 5 mai 1996. Les parties conviennent que la date de consolidation est aussi celle où le travailleur pouvait être considéré capable de refaire son emploi préaccidentel.
Entre le 28 avril et le 5 mai 1996, le travailleur a été retiré de son assignation temporaire parce que, considérant son ancienneté, aucun poste n’était disponible dans l’entreprise.
Le travailleur a reçu des indemnités de remplacement du revenu pendant sa mise à pied.
ARGUMENTATION DES PARTIES
La représentante de l'employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision du Bureau de révision et de déclarer que la CSST ne pouvait verser au travailleur des indemnités de remplacement du revenu pendant la période où l’employeur avait pris le travailleur en charge en lui proposant une assignation temporaire.
Elle ajoute :
«[...]
les besoins en main-d’oeuvre de l’employeur fluctuent selon la production et que les employés peuvent être fréquemment mis à pied s’il y a manque de travail. Cela fait partie des conditions de travail normales des employés de l’Imprimerie Transcontinental Inc. de Drummondville.»
Comment doit-on traiter un employé en assignation temporaire ainsi mis à pied ? Nous vous soumettons que ce travailleur devrait être régi par les mêmes règles et conditions de travail que ses collègues.
En effet, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) (ci-après la "LATMP") stipule ce qui suit au sujet de l’assignation temporaire.
SECTION II : ASSIGNATION TEMPORAIRE D’UN TRAVAIL
Article 179 :
"L’employeur d’un travailleur victime d’une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu’il redevienne capable d’exercer son emploi ou devienne capable d’exercer un emploi convenable, même si sa lésion n’est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que :
1° le travailleur est raisonnablement en mesure d’accomplir ce travail ;
2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion ; et
3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.
Si le travailleur n’est pas d’accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, mais dans ce cas, il n’est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n’est pas confirmé par une décision finale."
Article 180 :
"L’employeur verse au travailleur qui fait le travail qu’il lui assigne temporairement le salaire et les avantages liés à l’emploi que ce travailleur occupait lorsque s’est manifesté sa lésion professionnelle et dont il bénéficierait s’il avait continué à l’exercer."
On constate que ces articles se retrouvent dans le chapitre IV de la Loi qui traite de la "Réadaptation".
Ces articles prévoient qu’un employeur peut assigner temporairement un travail à son employé qui a subi une lésion professionnelle et ce, à certaines conditions bien précises définies à l’article 179. En contrepartie, l’employeur doit continuer à verser au travailleur le salaire et les avantages liés à l’emploi qu’il occupait lorsque est survenue la lésion professionnelle.
L’assignation temporaire remet donc les parties dans le même état qu’avant la lésion : le travailleur est au travail et l’employeur lui verse une rémunération. Le travailleur en assignation temporaire est donc traité comme tous les autres travailleurs en ce qui concerne les horaires de travail et l’ensemble des autres conditions de travail qui s’appliquent chez l’employeur. Il devrait donc, selon nous, se retrouver dans la même situation que ses collègues de travail en ce qui concerne les mises à pied et autres aléas de la production inhérents au travail qu’il occupe.
La CSST s’est basée, entre autres, sur l’article 44 de la LATMP pour justifier sa décision de payer l’indemnité de remplacement de revenu pendant la mise à pied. Or, l’article 44 de la LATMP vise à compenser la perte du revenu d’emploi subie par un travailleur suite à la lésion. Cependant, lorsque le travailleur est en assignation temporaire, il a à nouveau un revenu d’emploi. S’il perd à cause d’une mise à pied, il s’agit d’une situation tout à fait étrangère à la lésion professionnelle.
Les employés de l’Imprimerie Transcontinental Inc. n’ont pas de garantie de travail : ils suivent les besoins de la production et sont rémunérés en conséquence. Les mêmes règles s’appliquent selon nous aux employés en assignation temporaire.
En versant l’indemnité de remplacement de revenu aux travailleurs en assignation temporaire qui sont mis à pied, la CSST leur octroie un régime plus avantageux que celui qui régit les autres travailleurs de la même entreprise. En effet, ces travailleurs sont maintenant à l’abri des fluctuations du travail et ont la garantie d’être payés pour quarante (40) heures de travail par semaine, peu importe le nombre d’heures effectivement travaillées.
Par exemple, s’il y a du travail pour 3 jours chez l’employeur, la CSST verse automatiquement au travailleur l’indemnité de remplacement du revenu pour les deux autres journées, et ainsi de suite. Or, nous vous soumettons que ce n’est pas là ce que prescrit la LATMP.
L’article 180 prévoit que le travailleur ne doit pas être pénalisé par l’assignation temporaire, il doit être remis dans la situation qui prévalait lors de la lésion. Cependant, nous vous soumettons que l’assignation temporaire ne doit pas avoir pour effet de lui octroyer des conditions plus avantageuses qu’avant sa lésion et de le traiter différemment de ses collègues de travail.
Bien qu’aucune décision de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles ne porte spécifiquement sur cette question nous vous soumettons que certaines d’entre elles exposent des principes qui sont utiles à l’étude du présent cas.
Ainsi, dans l’affaire Ville de Laval et Lafleur et CSST, C.A.L.P. no 34959-61-9112 (décision du 30 novembre 1993) il s’agissait d’un travailleur en assignation temporaire, dont l’assignation avait été interrompue à cause de son hospitalisation pour des motifs personnels. La Commission d’appel a conclu qu’il n’avait pas droit à l’indemnité de remplacement du revenu à compter de la date où avait pris fin l’assignation temporaire en fonction de sa condition personnelle. La commissaire Billard s’exprime ainsi :
"Le travailleur était apte à effectuer l’assignation temporaire qui lui a été attribuée, ce qui a été confirmé par le médecin traitant du travailleur et il n’avait donc pas droit de recevoir des versements de l’indemnité de remplacement du revenu en vertu des dispositions de l’article 44 de la Loi" (p. 9)
Dans le présent dossier, les deux travailleurs étaient aptes à effectuer l’assignation temporaire. Celle-ci n’a pas été effectuée complètement pour des raisons qui sont complètement étrangères à la lésion professionnelle, ce qui ne permet pas de recevoir l’indemnité de remplacement prévue à l’article 44 LATMP.
Dans l’affaire Hôpital Laval et CSST, C.A.L.P. no 76351‑03A‑9601 (décision du 10 octobre 1997) il s’agissait d’une travailleuse qui n’avait pas effectué son assignation temporaire pendant une certaine période à cause de problèmes de santé personnels. L’employeur n’était pas d’accord pour qu’elle reçoive l’indemnité de remplacement de revenu pendant cette période et il demanda à la Commission d’imputer à l’ensemble des employeurs le coût des prestations versées. Le commissaire Bertrand Roy affirme :
"La Commission d’appel, comme elle l’a déjà décidé auparavant, considère que la travailleuse n’aurait pas dû recevoir l’indemnité de remplacement du revenu pendant le temps qu’a duré sa maladie professionnelle alors qu’elle était en assignation temporaire."
Il affirme ensuite :
"Ainsi, il s’agit d’une erreur de la part de la Commission dont il serait injuste de faire supporter les coûts par l’employeur. Il y a donc lieu d’accorder la demande de l’employeur que les coûts de l’indemnisation de la travailleuse pour la période de temps dont il s’agit ne soient pas imputés à son dossier."
La Commission d’appel retient dans cette affaire que l’employeur aurait dû contester la décision de la CSST de payer l’indemnité de remplacement du revenu pendant cette période mais en impute quand même les coûts à d’autres que l’employeur.
Dans les deux présents dossiers, l’employeur a remis en question, dès qu’il en a eu connaissance, le versement de prestations pendant les mises à pied. Il n’a jamais acquiescé à cette façon de faire. Au contraire, l’employeur a toujours prétendu que l’employé en assignation temporaire devait être traité comme un autre employé.
À plusieurs reprises, la Commission d’appel a d’ailleurs rappelé qu’en vertu de l’article 180 LATMP le travailleur en assignation temporaire avait droit de recevoir le salaire et les mêmes avantages qu’il avait lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle. Ceci confirme à notre avis que le travailleur qui revient ainsi au travail reprend l’ensemble de ses conditions de travail, y compris les horaires et les mises à pied liés aux fluctuations de la production.
Nous vous référons à cet effet à :
-Durocher et La Tribune (1982) Inc., C.A.L.P. no 47532-05-9211, (décision du 6 mars 1995).
-Plamondon et Centre hospitalier St-Charles Borromée, C.A.L.P. no 64813-60-9412, (décision du 29 mars 1996).
-F.F. Soucy Inc. et Ghislain Gaudreault (1991) C.A.L.P., 174.
On ne pourrait non plus prétendre que le travailleur en assignation temporaire qui est mis à pied ne peut recevoir d’assurance-chômage comme ses compagnons de travail.
En effet, il a été décidé par un juge-arbitre de la Commission de l’assurance-chômage dans l’affaire Gulutzan (CUB-8465) qu’une personne qui souffre de sclérose en plaques et qui est limitée physiquement demeure admissible aux prestations. Le Tribunal affirme :
"Dans le présent cas, le prestataire "bien que frappé d’incapacité, reste en mesure d’accomplir des travaux légers." Ce fait, le prestataire l’a prouvé, et j’ai aussi accepté comme prémisse qu’il existe une demande pour ses services, même si elle est faible. Donc, le conseil a eu tort de prétendre que, selon la jurisprudence, un prestataire qui ne peut travailler qu’à la maison à cause d’une mauvaise santé n’est pas disponible pour travailler."
Le travailleur en assignation temporaire qui est mis à pied, se retrouve donc dans la même situation que les autres travailleurs. Lui verser l’indemnité de remplacement de revenu pendant cette période lui confère un avantage supplémentaire à ses conditions normales de travail, contrairement à l’article 180 LATMP.»
[...]
Le représentant du travailleur demande de confirmer la décision du Bureau de révision et de déclarer que le travailleur avait droit à des indemnités de remplacement du revenu, même si les autres employés étaient temporairement mis à pied.
Il note :
[...]
«Considérant que pendant l’événement d’origine du 16 février 1996 et la R.R.A. du 23 janvier 1997, monsieur Masson est en suivi médical par ces médecins ;
Considérant que pendant les mises à pied effectuées par l’employeur monsieur Masson ne peut être en assignation temporaire ;
Considérant que contrairement aux autres travailleurs monsieur Masson ne peut bénéficier de régime d’assurance-chômage parce que victime d’un accident de travail et pas éligible à l’emploi et déjà payé par la CSST ;
Considérant que monsieur Masson ne peut recevoir de prestation d’assurance-chômage-maladie (cause maladie personnelle) parce que victime d’un accident de travail et payé par la CSST ;
Considérant qu’une mise à pied chez l’employeur ne fait pas que monsieur Masson est consolidé de sa lésion professionnelle;
Considérant qu’il appartient au médecin traitant d’établir le type de mouvement effectué par le travailleur en assignation temporaire afin de favoriser la guérison de la lésion professionnelle ;
Considérant qu’en vertu de l’article 44 de la loi des accidents du travail et maladies professionnelles, monsieur Masson a droit au I.R.R s’il devient incapable d’exercer son emploi.»
La représentante de la CSST demande de rejeter l’appel de l’employeur au motif que le droit à des indemnités de remplacement du revenu est indéniable jusqu’à la date de la consolidation. Elle ajoute que le travailleur récupère le droit à des indemnités de remplacement du revenu lorsque la période d’assignation temporaire est interrompue par son employeur.
Elle affirme :
«[...]
Argumentation
1. Principe
Le premier alinéa de l’article 44 de la Loi édicte ce qui suit :
44. Le travailleur victime d’une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s’il devient incapable d’exercer son emploi en raison de cette lésion.
Il s’agit donc d’un principe fondamental et incontournable de la Loi, soit le droit à l’indemnité de remplacement du revenu. Ce droit est intimement lié à la notion de perte de capacité.
Le deuxième alinéa de l’article 44 de la Loi vient même préciser que le travailleur qui n’a plus d’emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a quand même droit à cette indemnité s’il devient incapable d’exercer l’emploi qu’il occupait habituellement.
Bref, la condition «sine qua non» au droit à l’indemnité de remplacement du revenu demeure la perte de capacité pour le travailleur d’exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle. L’article 46 de la Loi précise que le travailleur est présumé incapable d’exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n’est pas consolidée. De ce fait, la CSST verse une indemnité de remplacement du revenu au travailleur tant qu’il demeure incapable d’exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle.
2. Assignation temporaire
Ce principe étant établi, la Loi prévoit, à la section II de son chapitre IV, lequel a trait à la réadaptation, la possibilité, pour un employeur, d’assigner temporairement un travail à un travailleur victime d’une lésion professionnelle à la condition que soient respectées les conditions précisées à l’article 179 de la Loi.
L’assignation temporaire demeure donc un moyen qui doit favoriser la réadaptation du travailleur et ce, en réduisant la durée d’absence de son milieu de travail. Il s’agit d’un droit que la Loi confère à l’employeur.
Ainsi, le travailleur qui effectue le travail que son employeur lui assigne temporairement recevra le salaire et les avantages liés à l’emploi que ce travailleur occupait lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle et dont il bénéficierait s’il avait continué à l’exercer, le tout tel que prévu à l’article 180 de la Loi.
Ceci permet donc à la CSST de réduire l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur considérant que l’employeur est tenu de verser le plein salaire au travailleur temporairement assigné à un travail. La CSST cesse alors d’imputer les coûts de l’indemnité de remplacement du revenu à l’employeur, puisque aucune indemnité de remplacement du revenu ne sera versée tant que le travailleur sera temporairement assigné.
Ainsi, si l’employeur n’est plus en mesure d’offrir une telle assignation temporaire à un travailleur dont la lésion professionnelle n’est toujours pas consolidée est donc toujours présumé incapable d’exercer son emploi en raison de cette lésion professionnelle, nous soumettons que le principe général doit de nouveau recevoir application, à savoir : le droit à l’indemnité de remplacement du revenu, droit que le travailleur aurait toujours si l’employeur ne lui avait jamais offert une telle assignation temporaire.
Dans les présentes affaires, l’employeur a dû interrompre l’assignation temporaire du travailleur et de la travailleuse et ce, suite à des mises à pied en raison d’un manque de travail. Cette interruption demeure le fait de l’employeur. Le travailleur et la travailleuse doivent ainsi récupérer leur droit à l’indemnité de remplacement du revenu, ces derniers n’ayant pas à être pénalisés du fait que l’assignation temporaire n’est plus disponible. Ils doivent donc se retrouver dans la même situation qu’avant le début de cette assignation temporaire.
Nous soumettons, avec respect, qu’il est inexact et contraire aux objectifs et dispositions de la Loi de vouloir traiter le travailleur reconnu incapable d’exercer son emploi en raison d’une lésion professionnelle comme tous les autres travailleurs à l’emploi de l’employeur.
La Loi prévoit un tel traitement que pour la durée de l’assignation temporaire. En effet, l’article 180 de la Loi précise notamment ce qui suit :
180. L’employeur verse au travailleur qui fait le travail qu’il lui assigne temporairement... .
En conséquence, l’employeur qui ne peut offrir une assignation temporaire au travailleur incapable d’exercer son emploi en raison d’une lésion professionnelle, voit le travailleur récupérer son droit à l’indemnité de remplacement du revenu n’est aucunement dans la même situation que ses collègues de travail puisqu’il est incapable d’exercer son emploi.
Il est intéressant de citer le jugement de la Cour Suprême du Canada dans l’affaire Roland Lapointe c. Domtar Inc. et Commission d’appel en matière de lésions professionnelles, (1993 C.A.L.P. 613 à 636) aux fins d’effectuer un parallèle avec ce que la Commission d’appel en matière de lésions professionnelle a décidé quant à l’interprétation de ’article 60 de la Loi, l’interprétation ayant été jugée, par la Cour Suprême, comme n’étant pas manifestement déraisonnable.
3. Réponse à l’argumentation de l’employeur
Dans le cadre de cette section de notre argumentation, nous nous proposons de citer quelques extraits de l’argumentation de la représentante de l’employeur et d’y apporter nos commentaires.
L’assignation temporaire remet donc les parties dans le même état qu’avant la lésion. (page 3)
Une nuance devrait être apportée quant à cette affirmation. En effet, cette affirmation s’avère exacte, mais uniquement quant au salaire et aux avantages liés à l’emploi que le travailleur occupait lorsque s’est manifestée la lésion professionnelle, le tout en vertu de l’article 180 de la Loi. Cependant, au niveau de la capacité de travail, nous soumettons que le travailleur est toujours considéré incapable d’effectuer son emploi en raison d’une lésion professionnelle, qu’il n’est toujours pas consolidé et qu’il s’avère alors faux de prétendre que les parties sont dans le même état qu’avant la lésion professionnelle.
Il devrait donc, selon nous, se retrouver dans la même situation que ses collègues de travail en ce qui concerne les mises à pied et autres aléas de la production inhérents au travail qu’il occupe. (page 3)
Avec respect, nous ne pouvons concourir à cette affirmation. En effet, il ne faut pas mettre de côté le fait que l’assignation temporaire de travail soit une mesure de réadaptation visant à favoriser le maintien du travailleur victime d’une lésion professionnelle dans son milieu de travail. Comme nous l’avons mentionné dans le cadre de notre argumentation, il s’agit d’un droit conféré à l’employeur dans la mesure où les conditions prévues à l’article 179 de la Loi sont respectées. Si, par contre, cette assignation temporaire ne peut plus être offerte par l’employeur, le travailleur ne peut se retrouver dans la même situation que ses collègues de travail puisqu’il est considéré incapable d’exercer son emploi en raison d’une lésion professionnelle.
Or, l’article 44 de la LATMP vise à compenser la perte de revenu d’emploi subie par un travailleur suite à la lésion. (page 3)
Avec respect, nous soumettons que cette affirmation ne peut être soutenue lorsque nous effectuons la lecture et l’analyse des dispositions de la Loi, notamment les articles 44 et 46. En effet, ce que la Loi vise à compenser, c’est une perte de capacité du travailleur à exercer son emploi et non une perte de revenu d’emploi. Ainsi, lorsque l’employeur ne peut plus offrir une assignation temporaire à un travailleur, ce dernier demeure toujours en incapacité d’effectuer son emploi en raison d’une lésion professionnelle et il doit donc récupérer son droit à l’indemnité de remplacement du revenu.
Cependant, nous vous soumettons que l’assignation temporaire ne doit pas avoir pour effet de lui octroyer des conditions plus avantageuses qu’avant sa lésion et de le traiter différemment de ses collègues de travail. (page 4)
Lorsque l’employeur ne peut plus offrir l’assignation temporaire à un travailleur, nous ne devons pas évaluer la situation qui prévalait lors de la lésion, mais bien la situation qui prévalait avant que le travailleur ne débute son assignation temporaire. Il était alors en incapacité de travail en raison d’une lésion professionnelle. C’est donc cette situation qui doit prévaloir lorsque l’employeur ne peut plus lui offrir cette assignation temporaire.
Ville de Laval et Lafleur et CSST/Hôpital Laval et CSST (page 4)
Dans le cadre des 2 décisions de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles citées par la représentante de l’employeur, il s’agissait d’une interruption d’assignation temporaire en raison du fait du travailleur. L’assignation temporaire était disponible mais n’a pu être effectuée complètement et ce, pour des raisons tout à fait personnelles au travailleur, ce qui diffère de la situation prévalant dans les présentes affaires.
En effet, la grande distinction qui existe est le fait que, dans les présentes affaires, l’employeur ne peut plus offrir d’assignation temporaire et ce, en raison d’un manque de travail. Le travailleur doit donc récupérer son droit à l’indemnité de remplacement du revenu puisqu’il est toujours incapable d’exercer son emploi en raison d’une lésion professionnelle.
Ceci confirme à notre avis que le travailleur qui revient ainsi au travail reprend l’ensemble de ses conditions de travail, y compris les horaires et les mises à pied liés aux fluctuations de la production. (page 5)
Cette affirmation est exacte en autant que le travailleur effectue le travail qui lui est assigné temporairement. Lorsque cette assignation temporaire n’est plus disponible, il a droit de récupérer l’indemnité de remplacement du revenu puisqu’il est toujours présumé incapable d’exercer son emploi.
Conclusion
Pour toutes les considérations mentionnées ci-dessus, nous demandons à la Commission des lésions professionnelles de rejeter les appels formulés par l’employeur et de confirmer les décisions rendues par la CSST à l’effet de verser à la travailleuse et au travailleur l’indemnité de remplacement du revenu lors des périodes de mise à pied en raison d’un manque de travail.»
AVIS DES MEMBRES
Le membre issu des associations d’employeurs constate que la demande de l'employeur respecte peu les principes établis par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Le membre issu des associations syndicales affirme qu'une grave injustice serait commise si le travailleur qui a subi une lésion professionnelle était privé de revenu pendant sa convalescence parce qu'il est alors incapable de travailler comme il le ferait s'il était en parfaite santé.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si M. Yvan Masson pouvait percevoir de la CSST ses pleines indemnités de remplacement du revenu entre le 28 avril et le 5 mai 1996.
La déclaration d’appel a été déposée à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles [Commission d’appel]. Nous avons entendu les parties à titre de commissaire de la Commission des lésions professionnelles. Le 1er avril 1998, la Loi instituant la Commission des lésions professionnelles et modifiant diverses dispositions législatives[1] est entrée en vigueur. Cette loi crée la Commission des lésions professionnelles qui remplace et continue la Commission d’appel. En vertu de l’article 52 de cette loi, les affaires pendantes devant la Commission d’appel sont continuées et décidées par la Commission des lésions professionnelles.
La présente décision est rendue par le soussigné en sa qualité de commissaire de la Commission des lésions professionnelles.
La représentante de l’employeur ne fait pas de distinction entre la pleine capacité du travailleur et la notion «d’assignation temporaire d’un travail» élaborée par le législateur pour couvrir la période qui se situe entre la lésion professionnelle et la date où le travailleur est déclaré capable d’exercer son emploi ou un emploi convenable. Elle en déduit que l’employeur doit appliquer, dès la prise en charge en assignation temporaire, les règles normales et habituelles de rémunération du travailleur.
La CSST propose une fiction juridique, soit suspendre les politiques habituelles de rémunération du travailleur et maintenir la prise en charge par la CSST jusqu’à ce que le médecin du travailleur ait émis une attestation médicale à l’effet que la lésion professionnelle est consolidée. Cette façon de faire permet une application automatique de la présomption de capacité prévue à l’article 46 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Elle a l’inconvénient de ne pas faire de distinction entre «le salaire net» des articles 59 et 60 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et le versement des indemnités de remplacement du revenu prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles pour les périodes postérieures aux 14 premiers jours.
Qu’en est-il alors de la décision que la CSST doit rendre relativement à la capacité du travailleur de reprendre l’emploi préaccidentel ? Si le rapport final est à l’effet que le travailleur ne conserve pas d’atteinte permanente à son intégrité physique et qu’il n’a pas de limitations fonctionnelles à la suite de sa lésion professionnelle, l’application automatique de la présomption prévue à l’article 46 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles prive le travailleur de toute possibilité de débattre sur la problématique de sa capacité. Par ailleurs, si l’avis médical n’est pas concluant, la prise en charge par la CSST pourrait être indéterminée.
La représentante de l'employeur a raison de constater que la Commission d’appel a confirmé que : "Le travailleur apte à effectuer l’assignation temporaire qui lui a été attribuée... n’avait donc pas droit de recevoir des versements de l’indemnité de remplacement du revenu en vertu des dispositions de l’article 44 de la Loi." La Commission des lésions professionnelles ne peut ignorer que le vice-président de la Commission d’appel a déclaré qu’une «travailleuse n’aurait pas dû recevoir l’indemnité de remplacement du revenu pendant le temps qu’a duré sa maladie professionnelle alors qu’elle était en assignation temporaire».
Par ailleurs, la représentante de la CSST constate que les articles 179 et 180 sont au chapitre IV de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et que les dispositions relatives au versement des indemnités de remplacement du revenu sont au chapitre III de cette même loi. De toute évidence, les objectifs poursuivis par le chapitre troisième ont trait à la réparation des lésions professionnelles alors que le chapitre quatrième traite de réadaptation.
Il y a certainement ambiguïté de la législation et les deux hypothèses d’interprétation ont des conséquences pratiques importantes que nous devrons évaluer à la lumière des objectifs clairement définis par le législateur, soit la «réparation des lésions professionnelles» et la «réadaptation physique, sociale et professionnelle».
L’article 44 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles établit le principe que le travailleur a droit à des indemnités de remplacement du revenu tant et aussi longtemps qu’il est incapable d’exercer son emploi. Nous retenons le point de vue de la CSST à l’effet qu’il est inexact et contraire aux objectifs et dispositions de la loi de vouloir traiter le travailleur reconnu incapable d’exercer son emploi en raison d’une lésion professionnelle comme tous les autres travailleurs à l’emploi de l’employeur.
La CSST peut légitimement conclure que l’assignation temporaire ne remplace pas les parties dans la même position juridique qu’elles étaient avant la lésion professionnelle. Ce retour à la normale ne sera possible que lorsque que la CSST aura statué sur la capacité du travailleur de reprendre son emploi ou un emploi convenable. En ce sens, l’employeur a raison de conclure que la date de consolidation ne change rien à la nature juridique de la relation entre le travailleur et l’employeur. C’est aux termes de l’article 179 de la loi, la capacité d’exercer l’emploi qui modifie cette relation juridique et les règles relatives à la rémunération. Il n’est donc pas exact d’affirmer que le travailleur est dans la même situation que tout autre travailleur lorsque débute l’assignation temporaire. Il ne le sera que le jour où la CSST l’aura déclaré capable d’exercer son emploi préaccidentel ou un emploi convenable.
La CSST allègue que l’assignation temporaire demeure un moyen qui doit favoriser la réadaptation du travailleur et ce, en réduisant la durée d’absence de son milieu de travail. Il s’agit d’un droit que la loi confère à l’employeur pour lui permettre de participer au processus de réadaptation, tout en réduisant les coûts de la réparation. Il ne fait pas de doute que le maintien du lien d’emploi est avantageux pour le travailleur. Il s’agit, en quelque sorte, d’une disposition visant l’intégration de la réparation et de la réadaptation. Cette interprétation de la loi n’est pas incompatible avec les dispositions relatives à la réparation des lésions professionnelles.
La CSST ne peut, par ailleurs, alléguer que c’est la date de consolidation qui, au sens de l’article 179 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, met fin au droit à des indemnités de remplacement du revenu. Cette date est tout au plus le point de départ. La date charnière qui permet aux officiers de la CSST de conclure relativement à la capacité du travailleur de reprendre son emploi préaccidentel et de mettre fin au versement des indemnités de remplacement du revenu.
Les décisions alléguées de la Commission d’appel ne contredisent pas cette interprétation dans la mesure où la preuve établit clairement que l’incapacité d’occuper le travail temporaire résulte d’une cause étrangère à la lésion professionnelle. De toute évidence, la cause ne peut être attribuable à l’employeur puisqu’il est le principal bénéficiaire au plan économique, de la mesure connue à la section II du chapitre IV de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles sous l’appellation «assignation temporaire d’un travail».
Il apparaît donc que le travailleur doit recevoir de l’employeur le salaire et les avantages liés à l’emploi que le travailleur occupait au moment de la lésion professionnelle. La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ne prévoit pas que les obligations de la CSST envers le travailleur cessent pour autant. La CSST a toujours l’obligation de verser les indemnités de remplacement du revenu établies conformément aux dispositions des articles 63 et suivants de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Cette obligation, nous l’avons vue, prendra fin seulement lorsque la CSST aura déclaré le travailleur capable de reprendre son emploi préaccidentel ou un emploi convenable.
Dans le présent dossier, la lésion professionnelle a été consolidée le 5 mai 1996 et il ne fait pas de doute que la CSST avait l’obligation de verser au travailleur des indemnités de remplacement du revenu. Les sommes versées par l’employeur à titre de compensation pour l’emploi temporaire ne font que réduire les obligations de la CSST envers le travailleur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE le présent appel ;
CONFIRME la décision rendue par le Bureau de révision de la région Mauricie-Centre du Québec le 21 avril 1997 ;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 5 juillet 1996 ;
DÉCLARE que, suite à la lésion professionnelle du 16 février 1996, M. Yvan Masson avait droit à des indemnités de remplacement du revenu pour la période du 28 avril au 5 mai 1996 ;
DÉCLARE que pendant la période d’assignation temporaire, M. Yvan Masson conservait le droit de recevoir de pleines indemnités de remplacement du revenu ;
CONSTATE les dispositions législatives relatives à l’assignation temporaire d’un travail sont indissociables de la réadaptation. Elles réduisent les obligations en réparation de Imprimeries Transcontinental et sont destinées à faciliter la réintégration professionnelle de M. Yvan Masson.
Michel Renaud
Commissaire
LORANGER, MARCOUX
Me Lucille Dubé
1100, boul. René-Lévesque Ouest
Montréal [Québec]
H3B 4N4
Représentante de la partie appelante
R.A.T.T.A.C.Q.
M. Jacques Fleurent
47, rue Bérard
Drummondville [Québec]
J2B 6P8
Représentant de la partie intéressée
PANNETON, LESSARD
Me Lise Matteau
1055, boul. des Forges, # 200
Trois-Rivières [Québec]
G8Z 4J9
Représentante de la partie intervenante
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.