Décision

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Gabarit CFP

Paquin et Secrétariat du Conseil du Trésor

2016 QCCFP 19

COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DOSSIERS Nos :

1301443, 1301446, 1301447, 1301449, 1301450, 1301451
1301452, 1301511, 13011519

 

DATE :

23 novembre 2016

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

Me Sonia Wagner

______________________________________________________________________

 

 

Luc Paquin

 

Appelant

 

et

 

Secrétariat du Conseil du trésor

 

Intimé

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE DEMANDE DE RÉCUSATION

(Article 118, Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1)

______________________________________________________________________

 

LA DEMANDE

[1]         Le 28 septembre 2016, l’appelant prĂ©sente une demande de rĂ©cusation visant la soussignĂ©e en vertu des articles 118 de la Loi sur la fonction publique[1] (ci-après la « LFP Â») et 201 Ă  205 du Code de procĂ©dure civile[2].

[2]         Les parties ont eu l’opportunitĂ© de produire des argumentations Ă©crites. Bien qu’y ayant Ă©tĂ© invitĂ©, M. Paquin n’a pas prĂ©sentĂ© de rĂ©plique Ă  l’argumentation de l’employeur.

CONTEXTE

[3]         Entre le 18 mars et le 18 dĂ©cembre 2015, M. Paquin dĂ©pose neuf appels auprès de la Commission de la fonction publique (ci-après la « Commission Â») :

·        dans son premier appel, M. Paquin prĂ©tend que des congĂ©s auxquels il avait droit (du 14 au 26 mai et du 12 au 30 juin 2015) lui ont Ă©tĂ© refusĂ©s par son employeur, le SecrĂ©tariat du Conseil du trĂ©sor (ci-après le « SCT Â»);

·        dans son deuxième appel, M. Paquin prĂ©tend que des reprĂ©sentants de la Direction des ressources humaines (ci-après la « DRH ») du SCT lui interdisent des amĂ©nagements de son horaire de travail pour anticiper des congĂ©s compensatoires auxquels il aurait droit;

·        dans son troisième appel, M. Paquin prĂ©tend qu'un congĂ© auquel il avait droit (le 12 juillet 2015) lui a Ă©tĂ© refusĂ©;

·        dans son quatrième appel, M. Paquin prĂ©tend que des congĂ©s auxquels il avait droit (du 20 aoĂ»t au 11 septembre et du 17 septembre au 2 octobre 2015) lui ont Ă©tĂ© refusĂ©s;

·        dans son cinquième appel, M. Paquin prĂ©tend que des congĂ©s auxquels il avait droit (du 27 mai au 11 juin 2015) lui ont Ă©tĂ© refusĂ©s;

·        dans son sixième appel, M. Paquin prĂ©tend que l’employeur lui refuse l'adhĂ©sion Ă  l'horaire variable de travail auquel il aurait droit;

·        dans son septième appel, M. Paquin prĂ©tend qu’il a subi des mesures de reprĂ©sailles Ă  la suite du dĂ©pĂ´t d'appels Ă  la Commission;

·        dans son huitième appel, M. Paquin conteste la dĂ©cision de son employeur de lui imposer une suspension d'une journĂ©e, le 5 novembre 2015;

·        dans son neuvième appel, M. Paquin conteste la dĂ©cision de son employeur, signifiĂ©e le 25 novembre 2015, de lui imposer une suspension de 3 jours.

[4]         Ces neuf appels sont assignĂ©s Ă  la juge administrative Louise Caron par le prĂ©sident de la Commission.

[5]         Le 16 mars 2016, M. Paquin demande Ă  la Commission de tenir des sĂ©ances de mĂ©diation ainsi que des audiences distinctes pour chacun de ses neuf appels.

[6]         Le 23 mars 2016, la Commission informe les parties que la juge administrative Caron a fixĂ© une journĂ©e d’audience, soit le 12 mai 2016, pour entendre les sept premiers appels de M. Paquin. Elle indique Ă©galement qu’une confĂ©rence tĂ©lĂ©phonique prĂ©paratoire sera convoquĂ©e dans les semaines prĂ©cĂ©dant l’audience et que, Ă  cette occasion, M. Paquin pourra faire valoir ses commentaires relativement Ă  la nĂ©cessitĂ© de tenir des audiences distinctes. La juge administrative Caron demande par ailleurs aux parties leurs commentaires quant Ă  la possibilitĂ© de joindre Ă  ces dossiers les huitième et neuvième appels de M. Paquin.

[7]         Le 24 mars 2016, la juge administrative Caron confirme aux parties que les neuf appels de M. Paquin seront entendus le 12 mai 2016.

[8]         L’audience prĂ©vue le 12 mai 2016 est remise au 13 dĂ©cembre 2016.

[9]         Le 31 aoĂ»t 2016, en raison de la dĂ©mission de la juge administrative Caron, effective le 22 octobre suivant, les neuf appels de M. Paquin sont rĂ©assignĂ©s Ă  la soussignĂ©e.

[10]        Le 28 septembre 2016, la Commission reçoit une demande de rĂ©cusation de la part de M. Paquin dans laquelle il allègue une crainte raisonnable de partialitĂ© dĂ©coulant des termes suivants du DĂ©cret n1093-2014 du 10 dĂ©cembre 2014, Conditions de travail de MSonia Wagner comme membre de la Commission de la fonction publique[3] :

1.         OBJET

L'Assemblée nationale a nommé Me Sonia Wagner, qui accepte d'agir à titre exclusif et à temps plein, comme membre de la Commission de la fonction publique, ci­après appelée la Commission.

[...]

Me Wagner, avocate, est en congé sans traitement du secrétariat du Conseil du trésor pour la durée du présent mandat.

2.         DURÉE

Le présent engagement commence le 26 janvier 2015 pour se terminer le 25 janvier 2020 sous réserve des dispositions des articles 4 et 5.

6.         RENOUVELLEMENT

[...]

Si le présent engagement n'est pas renouvelé ou si le gouvernement ne nomme pas Me Wagner à un autre poste, cette dernière sera réintégrée parmi le personnel du secrétariat du Conseil du trésor au traitement prévu au deuxième alinéa de l'article 5.

[11]        Au moment de recevoir cette demande de rĂ©cusation, la soussignĂ©e n’était pas encore intervenue dans la prĂ©sente affaire ni n’avait communiquĂ© avec les parties.

[12]        Lors de sa nomination par l’AssemblĂ©e nationale, la soussignĂ©e est avocate Ă  la Direction des affaires juridiques de l’Office des professions du QuĂ©bec[4]. Ses autres expĂ©riences au sein de la fonction publique ont Ă©tĂ© acquises au ministère des Finances, au ministère de la Culture et des Communications et au ministère du Revenu[5].

L’ARGUMENTATION

de M. Paquin

[13]        M. Paquin Ă©nonce ainsi ses motifs pour demander la rĂ©cusation de la soussignĂ©e :

Les raisons pour lesquelles je demande la rĂ©cusation de Me Sonia Wagner sont Ă  tel point Ă©videntes, que le fait que j'aie Ă  en faire la demande suscite dĂ©jĂ  d'Ă©normes questions quant Ă  l'impartialitĂ© et l'indĂ©pendance non seulement de Me  Wagner mais de la Commission.

Devrais-je avoir Ă  rappeler que son dĂ©cret de nomination la place d’emblĂ©e dans une position qui la prive, tout au moins en apparence, de l'indĂ©pendance minimum face aux parties qui doit assurer son impartialitĂ©. En effet ce document public prĂ©cise de manière très claire qu'elle a un lien d'emploi permanent et direct avec le SecrĂ©tariat du Conseil du trĂ©sor (SCT). C'est donc ainsi qu'il Ă©tablit son statut en mentionnant qu’elle est « […] en congĂ© sans traitement du SecrĂ©tariat du Conseil du trĂ©sor pour la durĂ©e de son mandat. Â». Ce dĂ©cret prĂ©cise surtout que, en cas de retour dans la fonction publique ou de non renouvellement de son mandat Ă  son Ă©chĂ©ance Ă  titre de membre de la Commission, elle sera rĂ©intĂ©grĂ©e parmi le personnel du SecrĂ©tariat du Conseil du trĂ©sor.

À partir de ces faits, il serait déjà possible de conclure que Me Wagner ne peut pas disposer de l'indépendance nécessaire pour rendre un jugement équitable dans un conflit auquel est partie prenante son employeur à la fois présent et futur.

Mais, les faits que je compte révéler et exposer à la Commission risque de la placer dans une position encore plus délicate. En effet j'entends faire la démonstration que le SCT est une bureaucratie qui est dorénavant devenue incapable d'admettre ses erreurs même les plus flagrantes, que sa DRH se fait l'avocate de la soumission totale des employés à l'arbitraire administratif et à cette fin ne recule devant aucune méthode coercitive pour y arriver, sans égard pour les droits et la santé de ses employés.

Faut-il rappeler que le SCT est une organisation dont les taux de roulement de tout le personnel incluant les cadres, sont si élevés qu'ils ont été retirés du rapport annuel de gestion, tellement ils étaient embarrassants. D'ailleurs le climat organisationnel que je serai amené à décrire a déjà été largement avéré par d'importantes enquêtes administratives au cours des dernières années.

Si jamais elle devait rendre une décision le moindrement défavorable au SCT, dans de telles circonstances, comment une Commissaire ne serait-elle pas en position de craindre les représailles auxquelles sont régulièrement soumis une grande partie du personnel du SCT? De plus si une Commissaire est vouée à la fin de son mandat à transiter par le SCT dans l'attente d'une éventuelle nomination subséquente, elle risque fort de se trouver en situation très vulnérable face au climat administratif que je lui aurai décrit, où on paye souvent un prix économique et psychologique, très lourd pour avoir indisposé certaines autorités. Dans de telles circonstances, l'impartialité prévue et voulue par la loi, est non seulement douteuse mais strictement impossible.

De plus, ce qui ne facilite pas la tâche de Me Wagner, la Commission après m'avoir affirmé que ça allait de soi, refuse dorénavant d'entendre séparément mes différentes plaintes, me niant le droit à une justice pleine et entière et pavant la voie à un rejet intempestif et global de mes griefs.

Nous connaissons tous, puisqu'elles ont fait l'objet de publication dans la presse, l'existence d'études universitaires sérieuses, qui ont conclut à des lacunes importantes dans la nomination des juges des tribunaux administratifs, qui entraveraient sérieusement leur capacité à rendre justice en toute indépendance.

Dans ces circonstances, comment pourrais-je prĂ©sumer de l'impartialitĂ© de MWagner pour juger d'un diffĂ©rend entre le SCT et un de ses employĂ©s? Cette situation contrevient Ă  l'article 5 des dispositions gĂ©nĂ©rales du code de dĂ©ontologie de la CFP, qui stipule que les membres de la Commission « [...] s'abstiennent d'intervenir dans un dossier [...] en cas d'apprĂ©hension raisonnable de partialitĂ© pouvant rĂ©sulter notamment [...] de relations [...] de travail [...] Â».

[14]        M. Paquin demande Ă©galement que ses neuf appels soient entendus sĂ©parĂ©ment. Pour M. Paquin, la dĂ©cision de la Commission d’entendre conjointement ses neuf appels dĂ©note un dĂ©ni de justice et laisse dĂ©jĂ  prĂ©sager leur rejet intempestif et global.

du Secrétariat du Conseil du trésor

[15]        Le SCT analyse le bien-fondĂ© de la demande de rĂ©cusation de M. Paquin sous deux angles.

[16]        S’appuyant sur la jurisprudence[6], le SCT rappelle d’abord les principes directeurs en matière de crainte de partialitĂ©, soit la prĂ©somption d’impartialitĂ© des dĂ©cideurs et le fait que le statut de fonctionnaire n’affecte pas leur impartialitĂ©.

[17]        Selon le SCT, les prĂ©tentions de M. Paquin ne se fondent que sur l’existence de règles prĂ©voyant le maintien du lien d'emploi dans la fonction publique des membres de Commission et sur leur droit de la rĂ©intĂ©grer en cas de non-renouvellement de leur mandat. Ă€ cet Ă©gard, le SCT souligne que M. Paquin ne prĂ©cise pas en quoi ces dispositions rendent les membres de la Commission partiaux Ă  son endroit ni n'invoque de reproche prĂ©cis Ă  l'encontre de la soussignĂ©e dans le cadre de la gestion de ses appels jusqu'Ă  prĂ©sent.

[18]        Le SCT rappelle que le statut de fonctionnaire n'est pas en soi incompatible avec l'impartialitĂ© ou mĂŞme l'indĂ©pendance d'un membre d'un tribunal administratif[7]. Dans ce contexte, le SCT conçoit difficilement qu’un membre de la Commission, dĂ©tenant toutes les garanties d’indĂ©pendance et d’impartialitĂ©, ne soit pas impartial du fait qu’il soit susceptible de retourner dans la fonction publique.

[19]        Par ailleurs, le SCT fait valoir que les clauses de rĂ©intĂ©gration dans la fonction publique sont frĂ©quentes[8] et que les membres de la Commission ne sont pas dans une situation exceptionnelle. Aussi, ces clauses s’ajoutent Ă  d’autres mesures visant Ă  assurer l’indĂ©pendance des membres de la Commission afin qu’ils exercent leurs fonctions en toute impartialitĂ©.

[20]        D'une part, les membres de la Commission sont nommĂ©s durant bonne conduite pour un mandat Ă  durĂ©e dĂ©terminĂ©e d'au plus cinq ans, sur proposition du premier ministre, par rĂ©solution de l'AssemblĂ©e nationale approuvĂ©e par au moins les deux tiers de ses membres. De plus, ils ne peuvent ĂŞtre destituĂ©s que par une rĂ©solution de l'AssemblĂ©e nationale approuvĂ©e par au moins les deux tiers de ses membres[9]. Ces garanties permettent d'assurer l’inamovibilitĂ© des membres de la Commission.

[21]        D'autre part, les membres de la Commission dĂ©tiennent Ă©galement des garanties permettant d'assurer leur sĂ©curitĂ© financière[10].

[22]        Enfin, l'article 108.1 de la LFP consacre l’autonomie administrative de la Commission, ce qui constitue la troisième condition assurant l'indĂ©pendance de la Commission et celle de ses membres.

[23]        Il s’ensuit, selon le SCT, que les membres de la Commission dĂ©tiennent ce que la Cour suprĂŞme[11] considère ĂŞtre les garanties ou conditions essentielles pour assurer l'indĂ©pendance individuelle ou personnelle, Ă  savoir l'inamovibilitĂ© et la sĂ©curitĂ© financière.

[24]        Pour le SCT, les règles prĂ©voyant le maintien du lien d'emploi des membres de la Commission ainsi que leur droit Ă  la rĂ©intĂ©gration au sein de la fonction publique, en cas de non-renouvellement de leur mandat, visent Ă  rehausser la garantie d'inamovibilitĂ© et la sĂ©curitĂ© financière des membres de la Commission ce qui contribue Ă  mieux assurer leur indĂ©pendance et, consĂ©quemment, leur impartialitĂ©.

[25]        Le SCT souligne que d'autres mesures visent Ă©galement Ă  assurer l’impartialitĂ© des membres de la Commission : l’assujettissement Ă  un code de dĂ©ontologie[12]; l’obligation d’éviter toute situation de conflit d’intĂ©rĂŞts[13]; l’immunitĂ© Ă  l’égard des poursuites judiciaires[14].

[26]        Finalement, le SCT soutient qu’il n'existe aucune crainte logique et sĂ©rieuse que la soussignĂ©e soit victime de reprĂ©sailles de sa part, lors d’un Ă©ventuel retour au travail au sein de son personnel, dans l’éventualitĂ© oĂą elle rendrait une dĂ©cision qui lui serait dĂ©favorable.

[27]        Le SCT conclut que le statut des membres de la Commission et les diffĂ©rentes règles encadrant l'exercice de leurs fonctions juridictionnelles offrent des garanties qui permettent d'assurer l'exercice impartial de leurs fonctions. Il ajoute que les règles prĂ©voyant le maintien de leur lien d'emploi ainsi que leur droit Ă  la rĂ©intĂ©gration au sein de la fonction publique ne sont pas susceptibles de soulever une crainte raisonnable de partialitĂ© dans l'esprit de la personne informĂ©e de l'ensemble de ces mesures.

[28]        Pour ces motifs, le SCT est d’avis qu’il y a lieu de rejeter la demande de rĂ©cusation de M. Paquin.

ANALYSE ET MOTIFS

[29]        M. Paquin allègue une crainte raisonnable de partialitĂ© de la soussignĂ©e et demande sa rĂ©cusation. L’analyse de la demande de M. Paquin requiert un rĂ©el exercice d’introspection. Avant d’aborder spĂ©cifiquement celle-ci, il y a lieu de prĂ©senter les principes sur lesquels elle est Ă©valuĂ©e.

[30]        L’article 118 de la LFP prĂ©voit :

118.     Un membre de la Commission peut être récusé. Les articles 201 à 205 du Code de procédure civile (chapitre C-25.01) s’appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires, à cette récusation.

[31]        Les articles pertinents du Code de procĂ©dure civile Ă©noncent :

201. Le juge qui considère qu’une des parties peut avoir des motifs sérieux de douter de son impartialité est tenu de le déclarer sans délai au juge en chef. Ce dernier désigne alors un autre juge pour continuer ou instruire l’affaire et il en informe les parties.

La partie qui a des motifs sérieux de douter de l’impartialité du juge doit le dénoncer sans délai dans une déclaration qu’elle notifie au juge concerné et à l’autre partie. Si le juge concerné ne se récuse pas dans les 10 jours de la notification, une partie peut présenter une demande de récusation. Une partie peut cependant renoncer à son droit de récuser.

[…]

203. Le juge est inhabile et ne peut entendre une affaire si lui-même ou son conjoint y ont un intérêt.

[…]

205. La demande de récusation est décidée par le juge saisi de l’affaire et sa décision peut faire l’objet d’un appel sur permission d’un juge de la Cour d’appel.

S’il accueille la demande, le juge doit se retirer du dossier et s’abstenir de siéger; s’il la rejette, il demeure saisi de l’affaire.

[…]

[32]        Une allĂ©gation de partialitĂ© Ă  l’endroit d’un dĂ©cideur est excessivement sĂ©rieuse. Dans l’affaire Ouellette c. Mecar Metal inc.[15], la Commission des relations du travail indiquait :

[41]      L’impartialité des juges administratifs est un élément-clé de la confiance du public et, particulièrement, des parties qui lui soumettent leur litige, confiance que la Commission doit viser à préserver dans l’exercice de ses compétences. Toute impartialité, même la simple apparence de partialité, doit être sanctionnée afin que soit maintenue cette confiance. Et la sanction se traduit habituellement par la récusation du décideur.

[42]      Pour cette raison, contester l’impartialité d’un juge est une affaire grave et ce recours ne doit pas être entrepris ni ne peut être accueilli à la légère. […]

[la soussignée souligne]

[33]        Les principes applicables en matière de rĂ©cusation pour cause de crainte raisonnable de partialitĂ© sont bien Ă©tablis par la jurisprudence. D’abord, dans l'arrĂŞt Committee for Justice and Liberty[16], la Cour suprĂŞme dĂ©finit ainsi la notion de « crainte raisonnable de partialitĂ© Â» :

La crainte de partialitĂ© doit ĂŞtre raisonnable et le fait d'une personne sensĂ©e et raisonnable qui se poserait elle-mĂŞme la question et prendrait les renseignements nĂ©cessaires Ă  ce sujet. Ce critère consiste Ă  se demander Ă  quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignĂ©e qui Ă©tudierait la question en profondeur, de façon rĂ©aliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, « le dĂ©cideur Â» consciemment ou non, ne rendra pas une dĂ©cision juste?

[la soussignée souligne]

[34]        Dans Droit de la famille - 1559[17], la Cour d'appel Ă©nonce ainsi les critères d’analyse en matière de crainte raisonnable de partialitĂ© :

Pour être cause de récusation, la crainte de partialité doit donc:

a)         être raisonnable, en ce sens qu'il doit s'agir d'une crainte, à la fois, logique, c'est-à-dire qui s'infère de motifs sérieux, et objective, c'est-à-dire que partagerait la personne décrite à b) ci-dessous, placée dans les mêmes circonstances; il ne peut être question d'une crainte légère, frivole ou isolée;

b)         provenir d'une personne:

1°  sensée, non tatillonne, qui n'est ni scrupuleuse, ni angoissée, ni naturellement inquiète, non plus que facilement portée au blâme;

2° bien informée, parce que ayant étudié la question, à la fois, à fond et d'une façon réaliste, c'est-à-dire dégagée de toute émotivité; la demande de récusation ne peut être impulsive ou encore, un moyen de choisir la personne devant présider les débats; et

c)         reposer sur des motifs sérieux; dans l'analyse de ce critère, il faut être plus exigeant selon qu'il y aura ou non enregistrement des débats et existence d'un droit d'appel.

[la soussignée souligne]

[35]        Dans l'arrĂŞt Bande indienne Wewaykum c. Canada[18], la Cour suprĂŞme rappelle Ă  qui incombe le fardeau en matière de rĂ©cusation, l’impartialitĂ© du juge dĂ©cideur Ă©tant prĂ©sumĂ©e :

Comme l'ont signalé les juges L'Heureux-Dubé et McLachlin (maintenant juge en chef) dans l'arrêt R. c. S. (R.D.) [1997] 3 R.C.S. 484, cette présomption d'impartialité a une importance considérable, et le droit ne devrait pas imprudemment évoquer la possibilité de partialité du juge, dont l'autorité dépend de cette présomption. Par conséquent, bien que l'impartialité judiciaire soit une exigence stricte, c'est à la partie qui plaide l'inhabilité qu'incombe le fardeau d'établir que les circonstances permettent de conclure que le juge doit être récusé.

[la soussignée souligne]

[36]        Quant au fardeau lui-mĂŞme, la Cour suprĂŞme utilise l’expression « rĂ©elle probabilitĂ© de partialitĂ© Â» pour le dĂ©crire[19]. La Cour d’appel fĂ©dĂ©rale l’expliquait comme suit dans l’affaire Arthur c. Canada[20] :

Une allégation de partialité, surtout la partialité actuelle et non simplement appréhendée, portée à l’encontre d’un tribunal, est une allégation sérieuse. Elle met en doute l’intégrité du tribunal et des membres qui ont participé à la décision attaquée. Elle ne peut être faite à la légère. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur ou de son procureur. Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme.

[la soussignée souligne]

[37]        Maintenant, qu’en est-il dans la prĂ©sente affaire ?

[38]        La thèse prĂ©sentĂ©e par M. Paquin est Ă  l’effet que la soussignĂ©e pourrait vouloir favoriser le SCT dans les appels en cause parce que, une fois son mandat de juge administrative Ă©chu, le 24 janvier 2020, et dans l’hypothèse de son non-renouvellement, le DĂ©cret no 1093-2014, Conditions de travail de Me Sonia Wagner comme membre de la Commission de la fonction publique, prĂ©voit son retour dans la fonction publique en tant qu’avocate au SCT.

[39]        M. Paquin voit Ă©galement dans ce dĂ©cret l’existence d’un lien d’emploi direct et permanent entre la soussignĂ©e et le SCT, ledit dĂ©cret mentionnant qu’elle est en congĂ© sans traitement du SCT pour la durĂ©e de son mandat Ă  la Commission.

[40]        Le SCT Ă©tant « [l’]employeur Ă  la fois prĂ©sent et futur Â» de la soussignĂ©e, celle-ci ne dispose pas, aux yeux de M. Paquin, de l'indĂ©pendance nĂ©cessaire pour dĂ©cider Ă©quitablement de ses appels.

[41]        Par contre, M. Paquin n’indique aucun geste posĂ© par la soussignĂ©e, dans le cadre du traitement de ses appels jusqu’à prĂ©sent, susceptible d’étayer ses craintes de partialitĂ©.

[42]        Or, pour justifier la rĂ©cusation d’un dĂ©cideur, la crainte raisonnable de partialitĂ© doit se fonder sur une rĂ©elle probabilitĂ© de partialitĂ© de sa part et non seulement sur des soupçons, de pures conjonctures ou des insinuations.

[43]        Ainsi, bien que le DĂ©cret no 1093-2014, Conditions de travail de Me Sonia Wagner comme membre de la Commission de la fonction publique, semble avoir créé un doute dans l’esprit de M. Paquin, les dispositions en cause Ă©tablissent essentiellement le droit de la soussignĂ©e Ă  un retour dans la fonction publique ainsi que les modalitĂ©s de ce retour, le cas Ă©chĂ©ant.

[44]        En effet, depuis le 26 janvier 2015, la soussignĂ©e agit, Ă  titre exclusif et Ă  temps plein, comme membre de la Commission. Au moment de sa nomination par l’AssemblĂ©e nationale, la soussignĂ©e Ĺ“uvrait au sein de l’Office des professions du QuĂ©bec. Ainsi, contrairement Ă  ce qu’avance M. Paquin, le SCT n’est pas ni n’a Ă©tĂ© l’employeur de la soussignĂ©e.

[45]        Dans les faits, les dispositions en cause assurent uniquement la sĂ©curitĂ© d’emploi de la soussignĂ©e en lui permettant de retourner au sein de la fonction publique Ă  l’expiration de son mandat, en cas de non-renouvellement.

[46]        AppelĂ©e Ă  se prononcer Ă  l’égard de dispositions similaires dans les dĂ©crets de nomination des rĂ©gisseurs de la RĂ©gie des alcools, des courses et des jeux dans l’arrĂŞt 2747-3174 QuĂ©bec Inc., la Cour suprĂŞme a confirmĂ© que de telles dispositions n’entachent pas l’indĂ©pendance et l’impartialitĂ© d’un dĂ©cideur :

66.       Certains contrats d'emploi contiennent aussi la clause suivante:

7. Renouvellement

            Tel que prévu à l'article 2, le mandat de monsieur Laflamme se termine le 31 mai 1995. Dans le cas où le ministre responsable a l'intention de recommander au gouvernement le renouvellement de son mandat à titre de régisseur et président de la Régie, il l'en avisera au plus tard six mois avant l'échéance du présent mandat.

Si le présent engagement n'est pas renouvelé ou si le gouvernement ne nomme pas monsieur Laflamme à un autre poste, ce dernier sera réintégré parmi le personnel du ministère de la Sécurité publique aux conditions énoncées à l'article 6.

67.       Les conditions d'emploi des régisseurs se conforment à mon avis aux exigences minimales d'indépendance. Celles-ci ne requièrent pas que tous les juges administratifs occupent, à l'instar des juges des tribunaux judiciaires, leur fonction à titre inamovible. Les mandats à durée déterminée, fréquents, sont acceptables. Il importe toutefois que la destitution des juges administratifs ne soit pas laissée au bon plaisir de l'exécutif. Le juge Le Dain résumait ainsi les exigences d'inamovibilité dans l'affaire Valente, à la p. 698:

[la soussignée souligne]

[47]        Par ailleurs, rien dans les agissements de la soussignĂ©e ne permet Ă  M. Paquin de mettre en doute son intĂ©gritĂ© personnelle et son impartialitĂ© : celle-ci n’a pas encore, dans les faits, eu l’occasion d’intervenir dans le traitement des appels de M. Paquin.

[48]        En d’autres termes, M. Paquin ne s’est pas dĂ©chargĂ© du fardeau qui lui incombait, soit celui de dĂ©montrer, par une preuve concrète et convaincante, une rĂ©elle probabilitĂ© de partialitĂ© de la part de la soussignĂ©e. En ce sens, la crainte exprimĂ©e par M. Paquin n’est pas celle d’une personne raisonnable et bien renseignĂ©e.

[49]        Quant Ă  la crainte exprimĂ©e par M. Paquin rĂ©sultant du rejet de sa demande que soit traitĂ© sĂ©parĂ©ment chacun de ses neuf appels, elle ne repose pas, elle non plus, sur une dĂ©cision ou une indication de la position de la soussignĂ©e Ă  cet Ă©gard puisque, Ă  ce jour, aucune communication entre les parties et la soussignĂ©e n’a eu lieu Ă  ce sujet. Il n’y a donc aucune raison de prĂ©sumer de mauvaises intentions de la soussignĂ©e.

[50]        En somme, la rĂ©cusation ne se justifie pas dans la prĂ©sente affaire.

POUR CES MOTIFS, la demande de récusation de M. Paquin est rejetée.

 

ORIGINAL SIGNÉ PAR :

 

 

 

_________________________

Sonia Wagner

 

M. Luc Paquin

Appelant non représenté

 

Me Jean-François Dolbec

Procureur pour le Secrétariat du Conseil du trésor

Intimé

 

Demande prise en dĂ©libĂ©rĂ© :

12 novembre 2016

 



[1]     RLRQ, c. F-3.1.1.

[2]     RLRQ, c. C-25.01.

[3]     (2014) 53 G.O. II, 4930.

[4]     Journal des dĂ©bats de l'AssemblĂ©e nationale, le vendredi 5 dĂ©cembre 2014 - Vol. 44 N° 53, Motion sans prĂ©avis : Nommer Mme Sonia Wagner membre de la Commission de la fonction publique.

[5]     Document no 699-20141205, Le curriculum vitae de Me Sonia Wagner et un extrait de la Loi sur la fonction publique, déposé à l’Assemblée nationale par M. Philippe Couillard, premier ministre, le vendredi 5 décembre 2014.

[6]     Sethi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] 2 C.F. 552, par. 14; Association générale des étudiants de la faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Sherbrooke c. Roy Grenier, 2016 QCCA 86, par. 32.

[7]     Mohamed c. M.E.I., [1989] 1 C.F. 363 (C.A.); Cloutier c. Gouvernement du Québec et al., [1998] R.J.Q. 1430 (C.A.).

[8]     Art. 137.31 du Code du travail (RLRQ, c. C-27); art. 22 et 23 du Règlement sur la rĂ©munĂ©ration et les autres conditions de travail des membres de la Commission des relations de travail (RLRQ, c. J-3, r. 7); art. 406 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (RLRQ, c. A-3.001); art. 22 et 23 du Règlement sur la rĂ©munĂ©ration et les autres conditions de travail des membres de la Commission des lĂ©sions professionnelles, (RLRQ, c. A-3.001, r. 14.1).

[9]     Art. 106 et 107 de la LFP.

[10]    Art. 106 de la LFP ainsi que les art. 3.1 et 3.3 du DĂ©cret no 1093-2014 Ă©nonçant les conditions de travail de la soussignĂ©e.

[11]    Valente c. R., [1985] 2 R.C.S. 673.

[12]    GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE, Code de déontologie, 2e édition, Québec, 2008; R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114.

[13]    Art. 111 de la LFP; R. c. Lippé, préc., note 12.

[14]    Art. 113 de la LFP.

[15]    2015 QCCRT 266.

[16]    Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369.

[17]    [1993] R.J.Q. 625 (C.A.).

[18]    [2003] 2 R.C.S. 259.

[19]    R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484.

[20]    Arthur c. Canada (Procureur Général), 2001 CAF 223.

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