Commission municipale du Québec ______________________________ |
||||
|
||||
|
||||
|
||||
Date : |
11 février 2016 |
|
||
|
|
|||
|
|
|||
Dossier : |
CMQ-65317 (29213-16)
|
|
||
|
|
|||
|
|
|||
Juges administratifs : |
Thierry Usclat, vice-président |
|
||
Sylvie Piérard |
|
|||
|
|
|||
|
|
|||
|
|
|||
|
|
|||
|
|
|||
|
|
|||
Personne visée par l’enquête : Xavier-Antoine Lalande, conseiller Ville de Saint-Colomban
|
|
|||
|
|
|||
|
|
|||
|
|
|||
|
|
|||
_____________________________________________________________________ |
|
|||
ENQUÊTE EN ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE EN MATIÈRE MUNICIPALE |
|
|||
_____________________________________________________________________ |
|
|||
DÉCISION
LA DEMANDE
[1] La Commission municipale du Québec est saisie d’une demande d’enquête en éthique et déontologie transmise par le ministre des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire selon l’article 22 de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale[1] (LEDMM).
[2] La demande d’enquête allègue que Xavier-Antoine Lalande, conseiller municipal de la Ville de Saint-Colomban, a eu une conduite dérogatoire au Code d’éthique et de déontologie révisé des élus de la ville de Saint-Colomban[2], en se plaçant en situation de conflit d’intérêts. Plus précisément, la demande lui reproche d’avoir discuté des conditions salariales des employés-cadres de la Ville et tenté d’influencer les membres du conseil, et ce, alors que sa mère est directrice de la bibliothèque et de la culture.
[3] La demande d’enquête reproche à monsieur Lalande d’avoir contrevenu aux règles édictées aux articles 2, 3, et aux sous-paragraphes 1 et 2 de l’article 5.3 du Code d’éthique et de déontologie.
[4] Le 8 juin 2015, la Commission rejette une requête en irrecevabilité alléguant l’absence de fondement juridique de la demande d’enquête, déposée par le procureur de monsieur Lalande.
[5] Lors des journées d’audience tenues les 13 octobre et 17 et 18 novembre 2015, monsieur Lalande est présent et représenté par Me Natale Screnci[3]; Me Nicolas Dallaire agit à titre de procureur indépendant de la Commission.
[6] Aux fins de son enquête, la Commission entend le plaignant, neuf témoins ainsi que monsieur Lalande.
[7] La Commission prend également connaissance des documents produits au soutien de la demande. Elle examine de plus les pièces déposées par les témoins au cours des audiences.
LA PREUVE
[8] Monsieur Lalande a grandi à Saint-Colomban et connaît bien la Ville; il s’intéresse aux affaires municipales depuis 2010. Ainsi, avant l’élection de 2013, il assiste régulièrement aux séances du conseil municipal.
[9] À cette époque, il s’implique notamment afin de régler un dossier concernant les insectes piqueurs. Il souhaite que le conseil municipal ne renouvelle pas un contrat pour l’épandage d’insecticide.
[10] À l’élection municipale de novembre 2013, monsieur Lalande se présente comme conseiller municipal pour le parti Option citoyenne qui est dirigé par le plaignant, monsieur Dumais.
[11] Avant de constituer son équipe en vue de cette élection, ce dernier rencontre chacun des candidats dont monsieur Lalande, pour leur rappeler les trois valeurs fondamentales de son parti, soit le respect, la transparence et l’intégrité.
[12] À cette occasion, monsieur Dumais explique à monsieur Lalande que s’il est élu, il devra s’exclure de tous les débats concernant les conditions de travail de sa mère, madame Jubinville, puisque cette dernière est directrice de la bibliothèque et de la culture depuis plus de vingt ans.
[13] En novembre 2013, monsieur Dumais est élu maire de la Ville et monsieur Lalande, conseiller municipal.
[14] Lors de la séance du conseil du 11 février 2014, par sa résolution 042-02-14, le conseil embauche madame Gagnon à titre de conseillère stratégique aux communications et relations avec les citoyens, selon les termes établis dans le Recueil des conditions de travail des employés non syndiqués. Ce document prévoit une période de probation de six mois pour les nouveaux employés-cadres.
[15] Après cette séance publique, les membres du conseil se réunissent à huis-clos. Le maire rappelle à monsieur Lalande que lorsqu’il est question des conditions de travail des cadres, il devrait se retirer des discussions.
[16] Devant la Commission, monsieur Lalande admet qu’il a posé beaucoup de questions lors de l’embauche de madame Gagnon. Il reconnaissait les besoins de la Ville en matière de communication, notamment dans le dossier des insectes piqueurs, mais il ne voulait pas que cette employée remplisse le rôle d’attachée politique. De plus, il souhaitait que ses tâches soient spécifiques et liées aux plaintes des citoyens.
[17] Selon la perception de monsieur Lalande, l’embauche de madame Gagnon dans un poste de cadre visait uniquement à ne pas soulever de problèmes de relations de travail avec le syndicat, considérant qu’elle n’avait aucune responsabilité décisionnelle et qu’elle n’était pas en situation de gestion. De plus, monsieur Lalande trouvait inconcevable que l’échelle salariale du poste de madame Gagnon, soit la même que celle des directeurs de service.
[18] Il a tout de même voté pour l’engagement de madame Gagnon par solidarité avec les autres membres du conseil. Il s’est dit qu’après la période de probation de celle-ci, son travail serait réévalué.
[19] Selon le plaignant, c’est durant les mois de juillet et d’août 2014 que le conseil aborde dans des caucus, la question de la probation de madame Gagnon. Monsieur Dumais témoigne que lors des discussions sur cette question, monsieur Lalande se dit insatisfait des services de celle-ci et de son salaire trop élevé. Il laisse entendre que sa mère est sous-payée compte tenu de ses vingt - deux ans d’expérience et de ses responsabilités de gestion. Monsieur Dumais affirme cependant que les discussions ont porté sur la probation de madame Gagnon et non sur les conditions de travail des cadres.
[20] Monsieur Dumais se souvient clairement d’avoir dit à monsieur Lalande, durant le mois d’août 2014, « qu’il se plaçait en conflit d’intérêts lorsqu’il traitait du rendement de madame Gagnon et qu’il faisait un parallèle avec les conditions de travail de sa mère. »
[21] Pour sa part, monsieur Lalande soutient qu’à cette époque, les discussions concernaient l’iniquité de traitement entre la titulaire du poste de conseillère stratégique aux communications et relations avec les citoyens et les autres cadres de la Ville. Il croyait que cela nuirait aux négociations relatives au renouvellement des conditions de travail des cadres.
[22] Ces discussions amènent le conseil à adopter la résolution 298-08-14[4], le 12 août 2014, en vertu de laquelle il octroie un contrat relatif à la révision de la structure salariale des cadres municipaux au Carrefour du Capital humain (UMQ).
[23] Dans un paragraphe introductif de la résolution, il est indiqué que ce contrat est octroyé « considérant que le recueil des employés-cadres est venu à échéance en 2012 et qu’il y a lieu de procéder à la négociation de nouvelles conditions de travail pour les employés-cadres de la Ville ».
[24] Soulignons qu’en 2012, l’ancien conseil avait décidé de reporter le dossier des conditions de travail des cadres. Il souhaitait au préalable régler les dossiers des cols blancs, des cols bleus et des pompiers. Le directeur général affirme qu’entre l’élection de 2013 et le mois d’août 2014, les membres du conseil discutent à plusieurs reprises et de façon informelle du fait que les conditions de travail des cadres sont à revoir.
[25] Au caucus du 7 octobre 2014, le directeur général inscrit officiellement à l’ordre du jour le point suivant : probation de madame Gagnon. Il affirme que lors de cette réunion, les discussions à ce sujet entre les membres du conseil se sont enflammées. Selon lui, il n’a été question que de la probation de madame Gagnon. Monsieur Lalande voulait prolonger la période de probation et abolir le poste de conseillère stratégique aux communications et relations avec les citoyens pour créer celui d’agent de communication; il était d’avis que madame Gagnon était trop payée pour le travail qu’elle effectuait et les responsabilités qu’elle avait.
[26] Devant la Commission, monsieur Lalande affirme n’avoir jamais parlé des conditions salariales de sa mère. Il confirme que lors de ce caucus, ce sont plutôt certains conseillers qui ont évoqué le salaire de sa mère. Il précise avoir discuté du problème d’iniquité découlant du salaire élevé de madame Gagnon en comparaison de celui des directeurs de service de la Ville. Monsieur Lalande était d’avis que la description des tâches de madame Gagnon ne correspondait pas à son titre et à sa classification et que le conseil créait un précédent dangereux en période de négociations. Il était au courant que plusieurs cadres s’étaient plaints du fait que le salaire versé à madame Gagnon constituait une injustice et une iniquité. Monsieur Lalande explique qu’il souhaitait prendre les bonnes décisions dans l’intérêt de l’ensemble des citoyens.
[27] Le directeur général confirme qu’à cette époque, plusieurs cadres dont la greffière, le directeur du Service des incendies et la directrice de la bibliothèque et de la culture, avaient un sentiment d’iniquité, particulièrement en raison des conditions de travail de madame Gagnon.
[28] Le 14 octobre 2014, le conseil se réunit en séance publique. À l’ordre du jour de la séance, il y a le point intitulé « Fin de la période de probation de la conseillère stratégique aux communications et relations avec les citoyens ».
[29] Le projet de résolution proposé vise à mettre fin à la période de probation de cette employée et à confirmer son statut d’employée-cadre régulier :
« […]
CONSIDÉRANT QUE conformément à la politique d’évaluation du rendement du personnel cadre de la Ville, madame Marie-Andrée Gagnon a rencontré les objectifs fixés à son engagement;
EN CONSÉQUENCE, il est dûment proposé :
DE METTRE FIN à la période de probation de madame Marie-Andrée Gagnon et de confirmer le statut d’employée cadre régulier. »
[30] Lors de la séance, monsieur Lalande propose un amendement à ce projet de résolution afin d’abolir le poste de conseillère stratégique aux communications et relations avec les citoyens, de créer un nouveau poste d’agent de communications et de diminuer le salaire attaché à ce nouveau poste de 30 %:
« ATTENDU l’absence d’équité en lien avec les tâches et les responsabilités effectuées en comparaison avec les autres cadres;
ATTENDU que ceci risque de nuire aux négociations futures avec les cadres;
ATTENDU que les tâches attitrées ne correspondent pas au poste établi;
ATTENDU l’incapacité à trouver un compromis de la part du maire, c’est-à-dire la prolongation de la période de probation;
ATTENDU que les discussions qui ont mené à l’embauche ne reflètent pas la réalité liée à l’occupation de temps de la ressource humaine;
ATTENDU la stratégie personnelle du maire d’avoir repoussé la résolution mettant fin à la probation de la ressource humaine, excédant ainsi le délai de 6 mois entendu;
ATTENDU qu’il est toutefois nécessaire de palier à des besoins en communication, tels d’assurer les liens entre conseillers municipaux et citoyens, la rédaction de communiqué de presse, de favoriser la communication entre les différents services municipaux et d’assurer une présence adéquate sur les réseaux sociaux;
EN CONSÉQUENCE, il est proposé, en amendement, d’abolir le poste de conseillère stratégique en communication et en relation avec les citoyens et créer le poste d’agent de communications répondant de l’administration générale avec une diminution salariale de 30%. »
[31] Monsieur Lalande affirme avoir transmis cet amendement au préalable à seulement deux autres membres du conseil.
[32] Le vote sur la proposition d’amendement est demandé et celle-ci est rejetée à quatre voix contre trois. La proposition initiale est adoptée, également sur division, à quatre voix contre trois.
[33] Le 24 octobre 2014, le maire Dumais invite les représentants des médias à un point de presse qui doit avoir lieu le 27 octobre, à 10 h 30, au cours duquel il doit annoncer qu’il demande à un conseiller municipal de démissionner de son poste pour conflit d’intérêts et inconduite[5].
[34] Le 27 octobre 2015, à 10 h 26, il transmet un courriel à monsieur Lalande, ayant pour objet :
« Demande de démission
Bonjour Xavier-Antoine,
Je t’avise ce matin, qu’après de profondes réflexions et de sérieuses recherches juridiques, nous demandons publiquement que tu démissionnes de ton poste de conseiller du district 6 pour une sérieuse apparence de conflit d’intérêts et pour inconduite. Ta sortie en caucus devant les témoins, François Boyer et Steve Gagnon, où tu justifiais ta décision de voter contre la fin de la probation d’une employée en évoquant les conditions de travail de la directrice de la bibliothèque et de la culture, en l’occurrence ta mère, constitue principalement et non exclusivement, la raison justifiant cette demande de démission. Ce faisant, tu es allé tout à fait à l’encontre des valeurs de notre parti et des engagements que nous avons pris en nous présentant à l’hôtel de ville, il y a un an. Nous regrettons vivement que nous en soyons là, mais malheureusement, malgré de nombreuses mises en garde, tu ne nous offres aucun autre choix. Je demeure disponible pour échanger avec toi, comme je l’ai toujours été.
[…] »
[35] Le 27 octobre, à 10 h 30, a lieu la conférence de presse. Le maire explique aux journalistes qu’à la suite de profondes réflexions avec les conseillers municipaux et de sérieuses recherches légales encadrant le rôle de l’élu, il est arrivé à la conclusion qu’il n’y avait pas d’autre alternative que de demander la démission de monsieur Lalande.
[36] Selon monsieur Dumais, monsieur Lalande serait intervenu à plus d’une reprise dans des décisions administratives du conseil en évoquant les conditions de travail des employés de la Ville et plus spécifiquement celles touchant un membre de sa famille. Il aurait transgressé les règles de son Code d’éthique et de déontologie et les valeurs fondamentales de l’équipe du maire.
[37] Le maire ajoute qu’à plus d’une reprise, tant ses collègues présents que lui, ont fait des mises en garde et des rappels à l’ordre à monsieur Lalande. Malgré ces mises en garde, il a continué à prendre parti sur des questions salariales liées à un de ses proches parents à l’emploi de la Ville. Finalement, le maire annonce qu’une plainte formelle sera déposée devant l’instance appropriée[6].
[38] Le 30 octobre 2015, monsieur Lalande transmet au plaignant une mise en demeure par laquelle il le somme de déposer la plainte au ministre dans les cinq jours juridiques suivants.
[39] Selon monsieur Lalande, le maire n’a pas apprécié qu’il présente un amendement à la résolution pour mettre fin à la probation de madame Gagnon, sans lui en avoir parlé au préalable. Il est d’avis que c’est pour cette raison que monsieur Dumais a déposé une demande d’enquête pour manquement au Code d’éthique et de déontologie.
[40] Dans son témoignage, le directeur général affirme que monsieur Lalande ne s’est pas ingéré dans les négociations avec les cadres. Il ajoute que ce dernier n’a jamais monnayé le salaire de sa mère contre le vote sur la probation de madame Gagnon. Il se souvient que monsieur Lalande s’est plaint du travail de madame Gagnon à trois reprises.
[41] Monsieur Lalande affirme qu’en aucun temps, il n’a eu l’intention de favoriser les intérêts de sa mère, ou tenté d’influencer les membres du conseil dans ce but. Il déclare avoir agi uniquement dans l’intérêt de la Ville afin d’éviter des conflits avec les autres cadres.
REPRÉSENTATIONS
[42] Me Nicolas Dallaire procureur indépendant de la Commission, rappelle les manquements aux sous-paragraphes 1 et 2 de l’article 5.3 du Code d’éthique et de déontologie, qui sont reprochés à monsieur Lalande.
[43] Il soumet que le Code d’éthique et de déontologie définit l’intérêt personnel et l’intérêt des proches qui comprend notamment l’intérêt des ascendants.
[44] Il rappelle également qu’il faut tenir compte de la valeur de prudence dans l’évaluation du présent dossier ainsi que des objectifs visés par les règles de conduite inscrites au Code d’éthique et de déontologie.
[45] Me Dallaire résume la preuve et précise les éléments qui ne sont pas contestés et qui devraient être retenus par le Tribunal.
[46] Il soumet cependant que la preuve est contradictoire sur certains éléments, notamment sur le fait que monsieur Lalande ait discuté ou évoqué les conditions salariales et les responsabilités de sa mère en les comparant à celles de la conseillère stratégique aux communications et relations avec les citoyens.
[47] Me Dallaire soumet que l’élu doit favoriser les intérêts du public et non ceux d’une autre personne. Cependant, il faut tenir compte de la définition de l’intérêt des proches qu’on retrouve au Code d’éthique et de déontologie. De plus, l’intérêt doit être distinct de l’intérêt général, soit celui du public.
[48] Me Dallaire rappelle le degré de preuve requis, tel que la Commission l’a établi dans les décisions Bourassa[7].
[49] En ce qui concerne le sens à donner au terme « de manière abusive », il réfère la Commission à la décision Laurin[8], plus particulièrement aux paragraphes 81, 82 et 83.
[50] Il rappelle qu’une orientation quelque peu différente a été prise par la Commission dans le dossier Mc Hugh[9], mais il ajoute que la Commission devrait retenir l’orientation des affaires Laurin et Pinsonneault[10].
[51] Comme les propos sont contradictoires sur plusieurs éléments de l’enquête, la décision de la Commission sera tributaire de la crédibilité qu’elle accorde aux témoins entendus.
[52] Selon Me Dallaire, il ressort de la preuve qu’il existe un conflit politique entre le plaignant et monsieur Lalande. Cependant, le fait que la plainte soit motivée par des considérations politiques, ne permet pas à lui seul de conclure au rejet de la demande.
[53] Pour sa part, Me Natale Screnci qui représente monsieur Lalande, rappelle le fardeau de preuve que la Commission doit appliquer lorsqu’elle doit décider si un élu a commis un manquement. Ainsi, la preuve doit avoir une force probante et suffisante selon la balance des probabilités et elle doit être claire, précise et sans ambiguïté. Enfin, on ne peut accorder une valeur probante aux doutes, aux insinuations ou aux impressions.
[54] Me Screnci soumet que lorsque la Commission décide si un élu a commis un manquement à son code d’éthique et de déontologie, elle doit le faire en deux étapes.
[55] D’abord, elle doit s’assurer de la véracité des faits et ensuite, si les faits sont prouvés, elle doit décider si la situation constitue un manquement ou non.
[56] Me Screnci est d’avis que la première partie du test n’est pas rencontrée puisque la véracité des faits n’a pas été établie.
[57] Il est d’avis que la preuve n’est pas précise, n’est pas claire et qu’elle est truffée d’ambiguïtés. Pour lui, la crédibilité est le point central de ce dossier. Or, de nombreux points et témoignages ne concordent pas.
[58] Il constate des contradictions dans les témoignages ainsi que des répétitions et similarités de termes utilisés par le plaignant et les témoins. Par exemple, il trouve étrange que plusieurs témoins aient utilisé l’expression : « le chat est sorti du sac ».
[59] Il cite entre autres la décision rendu dans l’affaire Barreau c. Salvant[11] relativement à la force probante dans le cas de versions contradictoires. Il rappelle également la décision rendue par la Commission dans l’affaire Bielen[12] relativement aux intérêts réels et palpables.
[60] Me Screnci est d’avis que dans le cas à l’étude, les allégations ne reposent que sur des insinuations, des hypothèses et des impressions. Aucune preuve ne permet de conclure que l’intérêt d’une autre personne n’ait été favorisé. On n’est pas en présence d’un intérêt réel et palpable qui soit distinct de l’intérêt général.
[61] Monsieur Lalande a agi dans l’intérêt général, voulant éviter une augmentation salariale des cadres. Il n’a pas agi pour favoriser un intérêt privé.
[62] Me Screnci rappelle également le rôle d’un conseiller municipal en citant des passages de la décision Renaud[13] rendue par la Commission municipale.
[63] Il cite la décision de la Commission dans l’affaire Pinsonneault[14] et plaide que même si le contexte politique ne peut constituer un moyen de défense, la preuve démontre que dans le présent dossier, les véritables motivations du plaignant sont de nature politique.
[64] Selon Me Screnci, la seule version qui soit crédible est celle de monsieur Lalande et demande que la plainte déposée à l’égard de son client, soit rejetée.
ANALYSE
[65] Dans le cadre d’une enquête en vertu de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale, la Commission doit s’enquérir des faits afin de décider si l’élu visé par l’enquête a commis les actes ou les gestes qui lui sont reprochés et si ces derniers constituent une conduite dérogatoire au Code d’éthique et de déontologie.
[66] Pour ce faire, l’enquête doit être conduite dans un esprit de recherche de la vérité qui respecte les règles d’équité procédurale et le droit de l’élu visé par l’enquête à une défense pleine et entière.
[67] Ainsi, et même si on ne peut parler de fardeau de preuve comme tel, la Commission doit tout de même être convaincue que la preuve qui découle des témoignages, des documents et des admissions, a une force probante suffisante suivant le principe de la balance des probabilités, pour lui permettre de conclure que l’élu visé par l’enquête a manqué à ses obligations déontologiques et enfreint le Code d’éthique et de déontologie.
[68] En raison du caractère particulier des fonctions occupées par un élu municipal et des lourdes conséquences que la décision pourrait avoir sur celui-ci au niveau de sa carrière et de sa crédibilité, la Commission est d’opinion que pour conclure à un manquement au Code d’éthique et de déontologie, la preuve retenue doit être claire, précise, sérieuse, grave et sans ambiguïté.
[69] En ce sens, la Commission est d’avis que le principe établi par les tribunaux quant au degré de preuve requis en matière disciplinaire peut s’appliquer, avec les adaptations nécessaires, aux enquêtes en éthique et déontologie en matière municipale[15].
[70] Enfin, elle doit analyser la preuve en tenant compte de l’article 25 de la LEDMM qui précise que :
« 25. Les valeurs énoncées dans le code d’éthique et de déontologie ainsi que les objectifs mentionnés au deuxième alinéa de l’article 5 doivent guider la Commission dans l’appréciation des règles déontologiques applicables ».
[71] Pour conclure que l’élu visé par la demande d’enquête a enfreint certaines règles du Code d’éthique et de déontologie, la Commission doit d’abord être convaincue que les actes reprochés à monsieur Lalande se sont effectivement produits. Enfin, elle doit être convaincue que ces agissements, propos ou comportements constituent des manquements au Code d’éthique et de déontologie.
[72] On reproche à monsieur Lalande d’avoir commis les actes dérogatoires suivants :
1) s’être placé en situation de conflit d’intérêts en participant lors des caucus et d’une séance du conseil, aux discussions concernant les conditions salariales des cadres de la Ville, et ce, alors que sa mère est directrice de la bibliothèque et de la culture de la Ville;
2) avoir discuté des conditions salariales de sa mère;
3) avoir influencé ou tenté d’influencer sciemment les membres du conseil dans le but de favoriser dans l’exercice de ses fonctions, ses intérêts personnels, ou, d’une manière abusive, ceux d’une autre personne, soit de sa mère.
LE CODE D’ÉTHIQUE ET DE DÉONTOLOGIE
[73] Les dispositions du Code d’éthique et de déontologie pertinentes à l’analyse du dossier, sont les suivantes :
« ARTICLE 2. BUT DU CODE
Le présent code poursuit les buts suivants :
1° accorder la priorité aux valeurs qui fondent les décisions d’un membre du conseil de la Ville et contribuer à une meilleure compréhension des valeurs de la Ville ;
2°Instaurer des normes de comportement qui favorisent l’intégration de ces valeurs dans le processus de prise de décision des élus et, de façon générale, dans leur conduite à ce titre;
Prévenir les conflits éthiques et s’il en survient, aider à les résoudre efficacement et avec discernement;
Assurer l’application des mesures de contrôle aux manquements déontologiques.
[…]
ARTICLE 3. DÉFINITION
Tous les mots utilisés dans le présent code conservent leur sens usuel, sauf pour les expressions et les mots définis comme suit :
[…]
« Intérêt personnel »
Intérêt de la personne concernée, qu’il soit direct ou indirect, pécuniaire ou non, réel, apparent ou potentiel. Il est distinct, sans nécessairement être exclusif, de celui du public en général ou peut être perçu comme tel par une personne raisonnablement informée. Est exclu de cette notion le cas où l’intérêt personnel consiste dans des rémunérations, des allocations, des remboursements de dépenses, des avantages sociaux ou d’autres conditions de travail rattachées aux fonctions de la personne concernée au sein de la Ville ou de l’organisme municipal.
« Intérêt des proches »
Intérêt du conjoint de la personne concernée, de ses enfants, de ses ascendants ou intérêt d’une société, compagnie, coopérative ou association avec laquelle elle entretient une relation d’affaires. Il peut être direct ou indirect, pécuniaire ou non, réel, apparent ou potentiel. Il est distinct, sans nécessairement être exclusif, de celui du public en général ou peut être perçu comme tel par une personne raisonnablement informée.
[…]
ARTICLE 4 VALEURS DE LA VILLE
Les valeurs suivantes servent de guide pour la prise de décision et, de façon générale, la conduite des membres du Conseil de la Ville en leur qualité d’élus, particulièrement lorsque les situations rencontrées ne sont pas explicitement prévues dans le présent code ou par les différentes politiques de la Ville.
[…]
3) La prudence dans la poursuite de l’intérêt public
Tout membre assume ses responsabilités face à la mission d’intérêt public qui lui incombe. Dans l’accomplissement de cette mission, il agit avec professionnalisme, ainsi qu’avec vigilance et discernement.
[…]
ARTICLE 5 RÈGLES DE CONDUITES
[…]
5.2 Objectifs
Ces règles ont notamment pour objectifs de prévenir :
1. toute situation où l’intérêt personnel du membre du conseil peut influencer son indépendance de jugement dans l’exercice de ses fonctions;
[…]
3. le favoritisme, la malversation, les abus de confiance ou autres inconduites;
5.3 Conflits d’intérêts et interdictions
1. Il est interdit à tout membre d’agir, de tenter d’agir ou d’omettre d’agir de façon à favoriser, dans l’exercice de ses fonctions, ses intérêts personnels ou, d’une manière abusive, ceux de toute autre personne.
[…]
2. Il est interdit à tout membre de se prévaloir de sa fonction pour influencer ou tenter d’influencer la décision d’une autre personne de façon à favoriser ses intérêts personnels ou, d’une manière abusive, ceux de toute autre personne.
[…] »
[74] Dans le cadre de son analyse, la Commission devra déterminer si monsieur Lalande a agi ou tenté d’agir de façon à favoriser d’une manière abusive les intérêts de sa mère. Elle devra décider également si monsieur Lalande s’est prévalu de sa fonction pour influencer ou tenter d’influencer les autres membres du conseil, afin de favoriser les intérêts de sa mère.
[75] Après avoir analysé la preuve, la Commission retient les éléments suivants :
- À plusieurs reprises, monsieur Lalande pose des questions sur le salaire accordé à la conseillère stratégique aux communications et relations avec les citoyens, la qualité de ses services et la fin de sa période de probation. Les interventions de monsieur Lalande ont lieu lors de caucus ainsi qu’à la séance du conseil du 14 octobre 2014.
- Les questions posées par monsieur Lalande sur le salaire versé à la conseillère stratégique aux communications et relations avec les citoyens, a pour but d’établir que celui-ci est inéquitable par rapport à celui versé à l’ensemble des cadres, et ce, si on tient compte des responsabilités de cette employée.
- Certains employés-cadres ont fait part à monsieur Panneton, le directeur général de la Ville, de leur insatisfaction à l’égard de leurs conditions salariales et plus particulièrement en regard de l’iniquité découlant du salaire accordé à la conseillère stratégique aux communications et relations avec les citoyens.
- La mère de monsieur Lalande pourrait être touchée par une problématique relative à l’équité salariale advenant un réajustement.
- Le 14 octobre 2014, en séance du conseil, monsieur Lalande propose un amendement au projet de résolution concernant la fin de la période de probation de la conseillère stratégique aux communications et relations avec les citoyens, et ce, sans en avoir avisé préalablement le maire.
- Le 24 octobre 2014, le maire convoque une conférence de presse afin de demander la démission du conseiller Lalande.
- Le 30 octobre 2014, monsieur Lalande met le maire en demeure de saisir le ministre de la situation et de déposer une plainte formelle contre lui pour un manquement à son Code d’éthique et de déontologie.
[76] Cependant, la preuve est contradictoire quant au fait que monsieur Lalande ait discuté ou évoqué les conditions salariales et les responsabilités de sa mère en les comparant avec celles de la conseillère stratégique aux communications et relations avec les citoyens.
[77] Comme les actes reprochés reposent sur une preuve contradictoire, la Commission doit se prononcer sur la crédibilité qu’elle accorde aux témoignages.
[78] Essentiellement, on retrouve d’un côté le plaignant qui, avec trois conseillers qui lui sont fidèles, tentent de démontrer que monsieur Lalande a prononcé les paroles et poser les gestes qui lui sont reprochés et, de l’autre, monsieur Lalande, le directeur général et les deux autres conseillers qui nient les actes et paroles prononcées. Qui croire ?
[79] La Commission doit décider en fonction de la force probante qu’elle accorde à la preuve offerte suivant le principe de la balance des probabilités. Cependant, elle doit s’assurer que la preuve qu’elle retient soit claire, précise, sérieuse, grave et sans ambiguïté.
[80] La Commission est d’avis que le témoignage de monsieur Dumais comporte certaines contradictions. D’autre part, lors de son témoignage, il a, tout comme les conseillers qui l’appuient, utilisé les mêmes expressions, notamment : « le chat est sorti du sac ».
[81] La Commission préfère la version de monsieur Lalande quant aux paroles qu’il a prononcées et les gestes qu’il a posés. Son témoignage est sincère et crédible.
[82] Il ressort du témoignage de monsieur Dumais que sa véritable motivation est de se débarrasser d’un conseiller qui ne partage pas ses opinions, qui n’est pas solidaire de ses décisions et qui devient gênant.
[83] Ainsi, monsieur Dumais a tenté par tous les moyens de discréditer monsieur Lalande autant devant les membres de son parti politique en sollicitant l’appui de certains d’entre eux, que publiquement lors de la conférence de presse.
[84] Monsieur Lalande affirme qu’en aucun temps, il n’a eu l’intention de favoriser les intérêts de sa mère, mais qu’il a plutôt agi uniquement dans l’intérêt de la Ville, afin d’éviter des conflits avec les autres cadres.
[85] La preuve contradictoire ne permet pas d’établir que monsieur Lalande a, par les gestes qui lui sont reprochés, tenté de favoriser d’une manière abusive les intérêts d’un membre de sa famille, soit ceux de sa mère.
[86] Cette preuve n’établit pas non plus que monsieur Lalande a, par les gestes qui lui sont reprochés, tenté d’influencer les membres du conseil dans le but de favoriser d’une manière abusive les intérêts d’un membre de sa famille, soit ceux de sa mère.
[87] Comme la Commission l’a déjà énoncé, le rôle d’un conseiller est de représenter la population et en ce sens, il jouit d’un droit de parole, il peut critiquer, commenter ou ne pas être en accord avec les décisions du conseil. Sur ces points, la Commission s’exprimait ainsi [16]:
« [35] … les interventions de monsieur Renaud, sont des prérogatives essentielles à l’exercice de toute démocratie municipale. Un conseiller est libre de voter en faveur ou contre une proposition soumise au conseil municipal. Il est également libre de critiquer ses décisions.
[…]
[38] De plus, par la nature de leurs fonctions, les élus municipaux doivent s’attendre à ce que leur comportement soit examiné et critiqué. »
[88] La Cour supérieure dans l’affaire Girard c. Desmeules[17], se prononçait ainsi :
« [129] Les opinions controversées et critiques émises sur la place publique ne sont pas chose facile à accepter pour quiconque en fait l'objet. Elles sont cependant privilégiées dans notre société démocratique en matière d'affaires publiques et servent à vérifier la transparence et la conformité de certains processus. »
[89] Dans l’arrêt Chenail c. Lavigne[18], la Cour d’appel va dans le même sens en énonçant :
« […] il n'est pas interdit, dans un système démocratique, de critiquer les choix politiques de ses adversaires. »
[90] Comme l’énonce la Cour suprême dans Prud’homme c. Prud’homme[19], le pouvoir de critiquer les élus municipaux fait partie intégrante des débats démocratiques :
« […]
L’élu municipal est en quelque sorte le porte-voix de ses électeurs : il
transmet leurs doléances à l’administration, d’une part, et les informe de
l’état de cette administration, d’autre part. Son droit de parole ne saurait
être limité sans conséquences négatives sur la vitalité de la démocratie
municipale, comme le souligne le professeur P. Trudel dans un article
intitulé « Poursuites en diffamation et censure des débats publics. Quand
la participation aux débats démocratiques nous conduit en cour »
La démocratie municipale suppose la confrontation des points de vue et les débats ouverts, parfois vigoureux et passionnés. Les échanges sur des matières controversées ne peuvent exister que dans un climat de liberté. Si les règles entourant le déroulement de pareils débats sont appliquées de manière à laisser craindre à ceux qui y participent d’être traînés devant les tribunaux, au moindre écart, la probabilité qu’ils choisissent de se retirer de la chose publique s’accroît.
Cette liberté de parole n’est toutefois pas absolue. Elle est limitée, entre autres, par les exigences du droit d’autrui à la protection de sa réputation. »
(Nos soulignements.)
[91] Après analyse de la preuve et des dispositions du Code d’éthique et de déontologie, la Commission est d’avis que monsieur Lalande n’a commis aucun acte dérogatoire à son Code.
[92] La Commission est d’avis que la plainte a été déposée uniquement pour des raisons politiques; monsieur Dumais en tant que maire, n’acceptait pas qu’un conseiller membre de son parti ne partage pas sa vision des choses.
[93] La conduite déontologique d’un élu ne se juge pas sur la place publique lors d’une conférence de presse alors que celui-ci ne peut se défendre. L’examen de la conduite d’un élu est encadré et régi par la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale.
[94] Enfin, il aurait été plus prudent que monsieur Lalande, le maire ou un membre du conseil sollicite l’opinion d’un conseiller à l’éthique et à la déontologie. En effet, toute cette situation découle d’une méconnaissance des règles applicables et d’une incompréhension mutuelle teintée d’une méfiance devant les idées et positions contraires. L’opinion d’un expert dans ce domaine, aurait sans aucun doute permis d’éviter que la situation ne dégénère et n’occasionne des coûts importants sur le plan financier et humain.
EN CONSÉQUENCE, LA COMMISSION MUNICIPALE DU QUÉBEC :
- CONCLUT QUE la conduite de monsieur Xavier-Antoine Lalande alléguée dans la demande d’enquête ne constitue pas un manquement au Code d’éthique et de déontologie des élus de la Ville de Saint-Colomban.
_________________________________
THIERRY USCLAT, vice-président et
Juge administratif
SYLVIE PIÉRARD
Juge administrative
Me Natale Screnci
HAMON SCRENCI
Procureur de Xavier-Antoine Lalande
Me Nicolas Dallaire
D’ARAGON DALLAIRE
Procureur de la Commission municipale
Audiences : les 13 octobre et 17 et 18 novembre 2015
TU/SP/lg
[1]. RLRQ, chapitre E-15.1.0.1.
[2]. Code d’éthique et de déontologie révisé des élus de la ville de Saint-Colomban abrogeant et remplaçant le règlement 636-2013, adopté le 14 janvier 2014 et entré en vigueur le 27 janvier 2014.
[3]. HAMON SCRENCI INC.
[4]. Pièce E-12.
[5]. Pièce D-9.
[6]. Pièce E-9.
[7]. Bourassa, CMQ-63969 et CMQ-63970, 30 mars 2012.
[8]. Laurin, CMQ-64349, 28 juin 2013.
[9]. Mc Hugh, CMQ-65114, 19 décembre 2014.
[10]. Pinsonneault c. Québec (Procureur
général),
[11]. Barreau du
Québec (syndic adjoint) c. Salvant,
[12]. Bielen, CMQ-65324, 5 août 2015.
[13]. Renaud, CMQ-65304, 14 septembre 2015.
[14]. Préc., note 10.
[15]. Médecins c.
Lisanu,
[16]. Renaud (Re), 2015 CanLII 58731 (QC CMNQ).
[17]. 2011, QCCS 6764, par. 129 et 131.
[18]. 2011, QCCA 862, par. 23.
[19].
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.