Décision

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Goulet c. Charron

2016 QCCQ 1327

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

JOLIETTE

LOCALITÉ DE

JOLIETTE

« Chambre civile »

N° :

705-32-014441-155

 

 

 

DATE :

4 mars 2016

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

RICHARD LANDRY, J.C.Q.

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

CLAUDINE GOULET

et

JEAN-PHILIPPE DUCHARME

Partie demanderesse

c.

ALAIN CHARRON

et

GROUPE SUTTON SYNERGIE INC.

et

ANDRÉ CORBEIL

Partie défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Les demandeurs Goulet et Ducharme réclament des défendeurs la somme de 14 600 $ du fait que le terrain acheté de monsieur Charron en août 2013 n’avait en réalité que 35 500 pieds carrés en superficie au lieu des 56 422 pieds carrés mentionnés aux documents précontractuels.

[2]           Dans sa défense, monsieur Charron déclare que la vente est conforme à l’offre d’achat et que les demandeurs savaient qu’une partie du terrain était submergée dans le lac.

[3]           Quant à Groupe Sutton Synergie inc. (« Sutton ») et son courtier André Corbeil, ils plaident que les demandeurs savaient que des bornes étaient dans l’eau, que l’acquisition a été faite sans égard à la contenance et que les demandeurs ont fait défaut de vérifier adéquatement cette question de contenance avant d’acheter.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[4]           Les questions en litige sont les suivantes :

1)    Y a-t-il une responsabilité du vendeur quant au défaut de contenance (articles 1716, 1720 et 1737 C.c.Q.)?

2)    Y a-t-il une responsabilité du courtier et de l’agence?

3)    Selon les réponses apportées aux questions précédentes, les demandeurs ont-ils droit à une compensation et, si oui, à combien?

LES FAITS

[5]           Monsieur Ducharme est directeur des ventes chez un concessionnaire automobile et madame Goulet travaille dans une animalerie.

[6]           À l’été 2013, les demandeurs sont à la recherche d’un terrain sur le bord d’un lac en prévision d’y installer une roulotte à court terme et d’y construire un chalet à long terme (± 10 ans) pour les besoins de leur famille (2 jeunes enfants).  Ils convoitent un terrain d’environ 50 000 pieds carrés en superficie pour être isolés de la rue et des voisins.

[7]           En consultant le site internet de Sutton, certains terrains attirent leur attention.  Ils en visitent quelques-uns dont celui en litige.

[8]           Concernant le terrain acheté, la fiche descriptive [1] émise par Sutton fait état d’un terrain d’une superficie de 56 422 pieds carrés dont les dimensions sont 162 x 474 pieds (irr).

 

[9]           Cette même fiche descriptive mentionne également ce qui suit :

« Bordé par le lac, ce terrain vous permettra de vous ressourcer loin du bruit et de la pollution.  Terrain de 56 422 pieds carrés.  Sa profondeur de 474 pieds vous permet de vous construire de façon à être loin de la route et du regard des curieux…»

[10]        Cette description correspond à leurs critères.

[11]        Le lac en question est un lac artificiel qui a été créé par l’inondation d’une ancienne carrière de pierres dans les années 80.

[12]        Lors d’une première visite, les demandeurs et le courtier Corbeil tentent de « marcher le terrain », ce qui s’avère impossible à cause de la densité de la végétation qui s’y trouve.  C’est en passant par un terrain voisin construit qu’ils pourront avoir une certaine idée du terrain.

[13]        Lors de cette première visite, monsieur Corbeil attire leur attention sur deux repères d’arpentage situés en bordure de la rue Michel qui délimitent la largeur du terrain le long de la rue.  En front sur le lac, monsieur Corbeil mentionne que les bornes sont « dans le lac »; c’est la raison pour laquelle il y a des piquets de bois avec l’extrémité supérieure peinte en rouge sur le bord de la rive pour indiquer l’alignement des bornes dans le lac.

[14]        Monsieur Ducharme se dit alors que les bornes devaient être près de la rive, ce qui pouvait s’expliquer selon lui par les variations saisonnières du lac artificiel qui borde le terrain.

[15]        Pour les demandeurs, le fait qu’une petite partie du terrain puisse se trouver submergée ne posait pas de problèmes compte tenu de la grande superficie disponible.

[16]        Monsieur Ducharme demande néanmoins à monsieur Corbeil s’il possède un certificat de localisation du terrain.  Celui-ci lui répond que non puisque de tels certificats n’existent que lorsqu’il y a des bâtisses à localiser.  Il leur remet cependant un extrait de la matrice graphique de la municipalité montrant le lot concerné sur lequel il a inscrit manuellement : « LE LAC EST ICI  [2]».  Cet extrait montre une superficie de 5 241,6 m2, soit 56 422 pieds carrés, hors du lac.  Monsieur Corbeil déclare que c’est le seul plan qui existe.  Ce plan conforte les demandeurs.

[17]        Lors de la négociation du contrat de courtage, monsieur Corbeil avait été avisé par son client, le défendeur Charron, qu’une partie du terrain était submergée.  Ce dernier le savait pour avoir déjà vu un plan de subdivision qui lui avait été montré par son vendeur lors de son achat en janvier 2007.  Il témoigne qu’il n’en a pas gardé de copie et qu’il ne s’est pas questionné outre mesure sur la superficie du terrain submergé puisqu’il a acheté à l’époque deux terrains d’une grande superficie (environ 127 000 pieds carrés) et que cela le satisfaisait amplement.  Il a payé 25 000 $ pour le terrain en litige.  Il n’a pas fourni de plan à monsieur Corbeil et celui-ci ne lui en a pas demandé.

[18]        Monsieur Corbeil témoigne qu’il avait alors vérifié à la Municipalité de St-Calixte les données disponibles pour déterminer quelle était la superficie de la partie submergée mais la Municipalité ne possédait pas cette information.  La matrice graphique indiquait que le terrain avait une superficie de 56 422 pieds et c’est donc ce qu’il a indiqué à sa fiche descriptive.

[19]        L’offre d’achat acceptée fait état d’une superficie de 56 422 pieds carrés.

[20]        Le contrat de vente intervient entre les demandeurs et monsieur Charron le 30 août 2013 [3].  Ce contrat de vente réfère au numéro de lot vendu (3 780 164) sans mention de dimensions.  Elle est faite avec la garantie légale pour un prix de 32 500 $.

[21]        Dans les jours suivants l’achat, les demandeurs entreprennent de pratiquer une ouverture à la scie à chaîne à partir de la rue vers le lac en vue d’y créer éventuellement une voie d’accès et une clairière.

[22]        Ils furent surpris de la faible distance entre la rue Michel et le lac compte tenu des mesures apparaissant sur l’extrait de la matrice graphique qui leur avait été fournie par monsieur Corbeil [4].

[23]        Pour en avoir le cœur net, monsieur Ducharme retourne un peu plus tard mesurer le terrain de manière plus précise avec un ruban de 100 pieds.  Il constate que la ligne qui devait avoir environ 160 pieds en profondeur (49,72 mètres) en comptait seulement 100.  Du côté opposé, la ligne qui devait avoir environ 474 pieds en profondeur (144,3 mètres) en mesurait moins de 300.

[24]        Il communique alors avec monsieur Corbeil pour lui faire part de ses constatations et obtenir des explications sur ce qui paraît être une défaut de contenance important par rapport à celle mentionnée à la fiche descriptive et à l’offre d’achat acceptée.  Monsieur Corbeil dit qu’il va vérifier mais, par la suite, se fait peu loquace.

[25]        Monsieur Ducharme examine alors de plus près les repères d’arpentage se trouvant en bordure de la rue Michel.  Il constate que ceux-ci portent le nom de l’arpenteur-géomètre Gilles Dupont.  Il communique avec ce dernier pour apprendre que le terrain avait été subdivisé avec plusieurs autres en 2006 et qu’il avait réalisé un plan à cet égard.  Monsieur Ducharme en commande une copie.

[26]        Or, ce plan [5] révèle clairement qu’une partie importante du terrain se trouve submergée.  En effet, on voit sur ce plan topographique du 23 mai 2006 le terrain en litige (terrain no 2) qui montre une ligne nommée « bord du lac » qui est située nettement en deçà des limites du terrain.  Ce plan permet effectivement d’établir qu’une superficie de 21 000 pieds carrés sur les 56 422 pieds carrés achetés se trouve submergée dans le lac.

[27]        Cette découverte amène les demandeurs à s’adresser à l’Organisme d’Autoréglementation du Courtage Immobilier du Québec (« OACIQ ») pour se plaindre de la situation [6] parce qu’ils questionnaient la conduite du courtier Corbeil.  Cette démarche donne peu de résultats car, le 25 mars 2014, l’OACIQ leur répond laconiquement qu’elle a constaté certaines « lacunes » chez le courtier visé, ce qui lui a valu un « avertissement »[7].

[28]        Le 4 juillet 2014, les demandeurs transmettent à Sutton une mise en demeure [8] relatant les événements ci-dessus et faisant état d’une perte d’une valeur de 12 096,35 $, soit le prorata des 21 000 pieds manquants sur une superficie déclarée de 56 422 pieds carrés payés 32 500 $ (donc à .57¢ le pied carré) [9].

[29]        Cette mise en demeure est suivie d’une lettre d’avocat plus détaillée datée du 4 septembre 2014 dans laquelle la réclamation est arrondie à 12 100 $.

[30]        Dans leur poursuite du 9 juin 2015, les demandeurs ajoutent une réclamation de 2 500 $ pour perte de jouissance et frais professionnels, portant la réclamation à 14 600 $

ANALYSE ET DÉCISION

1)    La responsabilité du vendeur quant au défaut de contenance (articles 1716, 1720 et 1737 C.c.Q.)

[31]        Le vendeur a une responsabilité concernant la contenance de ce qu’il vend.  Les articles 1716, 1720 et 1737 du Code civil du Québec prévoient ce qui suit :

1716. Le vendeur est tenu de délivrer le bien, et d'en garantir le droit de propriété et la qualité.

Ces garanties existent de plein droit, sans qu'il soit nécessaire de les stipuler dans le contrat de vente.

1720. Le vendeur est tenu de délivrer la contenance ou la quantité indiquée au contrat, que la vente ait été faite à raison de tant la mesure ou pour un prix global, à moins qu'il ne soit évident que le bien individualisé a été vendu sans égard à cette contenance ou à cette quantité.

1737. Lorsque le vendeur est tenu de délivrer la contenance ou la quantité indiquée au contrat et qu'il est dans l'impossibilité de le faire, l'acheteur peut obtenir une diminution du prix ou, si la différence lui cause un préjudice sérieux, la résolution de la vente.

Toutefois, l'acheteur est tenu, lorsque la contenance ou la quantité excède celle qui est indiquée au contrat, de payer l'excédent ou de remettre celui-ci au vendeur.

[32]        Dans une affaire de Veilleux c. Dubeau [10], Monsieur le juge Pierre A. Gagnon établit que le vendeur doit livrer le bien vendu à l’acheteur, incluant la contenance prévue au contrat.  En vertu de la garantie légale, il est responsable du déficit de contenance du terrain lorsque celle-ci était une considération importante dans la décision de l’acheteur d’acquérir sa propriété.

[33]        De même, dans 9192-5982 Québec inc. c. 90673 Canada inc. [11], Monsieur le juge Pierre Bachand souligne que même si la venderesse est de bonne foi en fournissant un plan cadastral qui montrait la superficie vendue, elle est tout de même responsable du défaut de contenance vu que le plan cadastral était erroné :

[19] «En vertu de l’article 1720 C.c.Q., le vendeur est tenu de délivrer la contenance indiquée au contrat à moins qu’il ne soit évident que le bien a été vendu sans égard à cette contenance.  La Cour d’appel a déterminé que le vendeur a le fardeau de preuve quant à cette exception : Turgeon c. Germain Pelletier ltée , [2001] RJQ 291 (C A)

[25] La bonne foi de Mme Sabourin ne fait aucun doute dans cette affaire.  Le plan cadastral est présumé exact en vertu de l’article 3027 C.c.Q.  Elle s’y est fiée, comme l’a fait aussi Mme Ostiguy.  Mais le fait que la défenderesse soit de bonne foi ne change rien (Poulin et Thompson c. Bauer).  Un peu comme au cas de vices cachés où la bonne foi du vendeur n’a pas d’incidence sur la diminution du prix de vente, il en va de même ici.  Le vendeur doit délivrer la contenance indiquée au contrat, cela constitue une de ses obligations. »

[34]        Monsieur le juge Bachand applique une règle de trois pour accorder 23 763 $ pour compenser le déficit de contenance.

[35]        Ici, la preuve démontre que monsieur Charron savait qu’une partie du terrain était submergée sous le lac et qu’il en a fait mention à son courtier monsieur Corbeil lors de la signature du contrat de courtage.  Il savait aussi qu’il existait un plan d’arpentage des terrains du secteur.

[36]        Tel que mentionné précédemment, il ne s’est pas soucié de cette question par la suite étant absent des pourparlers avec les demandeurs, son rôle s’étant limité à la signature de l’offre d’achat et du contrat de vente.

[37]        En vertu de la garantie légale, il est responsable envers les demandeurs du défaut de contenance du terrain vendu car non seulement il n’a pas été démontré que la contenance était sans importance pour ceux-ci mais qu’au contraire, celle-ci était le critère de base de leur sélection.

[38]        En conséquence, les demandeurs ont droit à une diminution du prix payé.

2)    La responsabilité du courtier et de l’agence

[39]        Il est connu que le courtier immobilier, en sa qualité de « professionnel de la vente », a une obligation de vérification et de conseil tant en vertu de la nouvelle Loi sur le courtage immobilier [12] ainsi que du Règlement sur le courtage et du Code civil du Québec [13].

[40]        Les nouvelles dispositions susceptibles de s'appliquer dans le présent litige sont les suivantes:

La loi

18. Une agence est responsable du préjudice causé à toute personne ou société pour une faute commise par un courtier qui la représente dans l'exécution de ses fonctions.

21. Un courtier, de même qu'une agence et ses administrateurs et dirigeants, doivent agir avec honnêteté, loyauté et compétence. Ils sont également tenus de divulguer tout conflit d'intérêts.

Les règles relatives à l'obligation de divulguer un conflit d'intérêts sont prévues par règlement de l'Organisme.

(nos soulignés)

Le Règlement sur le courtage

5. Le titulaire de permis doit vérifier, conformément aux usages et aux règles de l'art, les renseignements qu'il fournit au public ou à un autre titulaire de permis. Il doit toujours être en mesure de démontrer l'exactitude de ces renseignements.

(nos soulignés)

[41]        Plus spécifiquement en matière de déontologie, les devoirs et obligations duu courtier et de l’agence envers le public en général et les parties au contrat comprennent les suivants :

61. Le présent chapitre s'applique au courtier et au dirigeant d'agence, qu'il soit ou non dans l'exercice de ses activités.

62. Le courtier ou le dirigeant d'agence doit exercer ses activités avec prudence, diligence et compétence, et faire preuve de probité, de courtoisie et d'esprit de collaboration. Il ne doit commettre aucun acte dérogatoire à l'honneur et à la dignité de la profession.

Le courtier ou le dirigeant d'agence doit aussi maintenir de saines pratiques.

73. Le courtier ou le dirigeant d'agence doit, dans l'exercice de ses activités, tenir compte de ses aptitudes, des limites de ses connaissances et des moyens dont il dispose. Notamment, il ne doit pas accepter de se livrer à une opération de courtage visée à l'article 1 de la Loi sur le courtage immobilier (chapitre C-73.2) qui est hors de son champ de compétence, sans obtenir l'aide nécessaire notamment auprès d'un autre titulaire de permis ayant les compétences requises.

80.  Le courtier ou le dirigeant d'agence doit, lorsque la protection des intérêts d'une des parties à une transaction l'exige, recommander à celle-ci d'avoir recours à un expert reconnu.

83. Le courtier ou le dirigeant d'agence doit conseiller et informer avec objectivité la partie qu'il, ou l'agence pour laquelle il agit, représente et toutes les parties à une transaction. Cette obligation porte sur l'ensemble des faits pertinents à la transaction ainsi que sur l'objet même de celle-ci et doit être remplie sans exagération, dissimulation ou fausse déclaration.

S'il y a lieu, il doit les informer des produits et services relatifs à cette transaction concernant la protection du patrimoine visé.

84. Le courtier ou le dirigeant d'agence doit entreprendre les démarches pour découvrir, conformément aux usages et aux règles de l'art, les facteurs pouvant affecter défavorablement la partie qu'il, ou l'agence pour laquelle il agit, représente ou les parties à une transaction ou l'objet même de cette transaction.

85. Le courtier ou le dirigeant d'agence doit informer la partie qu'il représente et toutes les parties à une transaction de tout facteur dont il a connaissance qui peut affecter défavorablement les parties ou l'objet même de la transaction.

86. Le courtier ou le dirigeant d'agence doit, pour assurer la protection de toutes les parties à une transaction, veiller à ce que leurs droits et obligations soient consignés par écrit et reflètent adéquatement leur volonté. Il doit informer de façon raisonnable toutes les parties à une transaction des droits et obligations découlant des documents qu'il leur fait signer.

110. Un service ou un bien fourni par un courtier ou une agence doit être conforme aux déclarations ou messages publicitaires relatifs à ce service ou à ce bien.

[42]        Ces obligations doivent être lues en complémentarité avec les articles 1457 et 2100 du Code civil du Québec concernant les prestataires de service :

1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.

Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.

2100. L'entrepreneur et le prestataire de services sont tenus d'agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence et diligence. Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l'ouvrage à réaliser ou du service à fournir, d'agir conformément aux usages et règles de leur art, et de s'assurer, le cas échéant, que l'ouvrage réalisé ou le service fourni est conforme au contrat.

Lorsqu'ils sont tenus au résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu'en prouvant la force majeure.

[43]        Dans son ouvrage sur le Courtage immobilier au Québec [14], Monsieur le juge Henri Richard fait état dans ces termes de l’importance de ces devoirs et obligations (à la page 119) :

« Il apparaît que le courtier immobilier doit posséder un niveau de compétence qui équivaut à un expert dans le domaine de l’immobilier.  Bien qu’il ne soit pas un notaire, ni un architecte et encore moins un évaluateur agréé, il se doit néanmoins de posséder des connaissances minimales afin de conseiller adéquatement ses clients.  Il ne peut se permettre d’empocher des sommes importantes en commission sans être soumis à des normes de conduite qui reflètent son expertise. »

 

 

[44]        Et à la page 285 :

« En résumé, l’agence et le courtier immobiliers demeurent soumis au régime général de la responsabilité civile.  Une agence et un courtier doivent répondre des actes fautifs qu’ils commettent envers un tiers, que ces actes intentionnels ou non.  Ils ne peuvent se réfugier derrière leur contrat de courtage pour échapper à leur responsabilité civile. »

[45]        Comme nous venons de le voir, le courtier et l’agence doivent agir « avec compétence » (L-21 et R-62), «vérifier et démontrer l’exactitude des renseignements fournis» (R-5) «conseiller et informer toutes les parties» (R-83), «entreprendre les démarches pour découvrir les facteurs pouvant affecter défavorablement l’une des parties» (R-84 et R-85), «veiller à ce que les droits et obligations des parties reflètent leur volonté» (R-86).

[46]        Ces obligations déontologiques font reposer sur les épaules du courtier et de l’agence des responsabilités très importantes dans l’accomplissement de leur mission.

[47]        En matière de contenance superficiaire d’un terrain vendu, la jurisprudence s’est maintes fois penchée sur la responsabilité du courtier à cet égard.

[48]        Règle générale, le courtier immobilier est responsable envers les tiers (les acheteurs) des renseignements erronés portant sur la contenance d’un terrain, sauf si c’est son client vendeur qui l’a induit en erreur, si la contenance était relativement exacte ou que le déficit était sans importance pour les acheteurs.

[49]        Ainsi, dans Hamel c. Cie Trust Royal [15], la Cour d’appel retient la responsabilité d’un courtier qui avait inscrit dans la fiche descriptive une superficie de 9 180 pieds carrés alors qu’il n’en avait que 6 000 pieds, ce qu’il aurait dû savoir.  Monsieur le juge Gendreau fait ce commentaire :

« À mon avis, l’agent De Rouin, représentant du courtier Trust Royal, fut négligent : il n’a pas manifesté cette diligence dont on est en droit de s’attendre du courtier bon père de famille.  Si je suis tout à reconnaître que son mandat consiste à vendre l’immeuble de son client, cela ne le libère pas pour autant de toute obligation de bonne conduite envers l’acheteur. »

[50]        Ces commentaires ont été formulés il y a 25 ans.  Quand on considère que les obligations des agences et des courtiers ont été nettement renforcées depuis, comme nous venons de le voir, cela démontre que ce n’est pas d’hier que leur responsabilité extracontractuelle est reconnue en la matière.

[51]        Récemment, dans Boudreau c. Sauriol [16], Madame la juge Céline Gervais concluait dans le même sens que la Cour d’appel alors que le déficit était de 4 419 pieds carrés par rapport à la contenance affichée.  Elle octroie 15 020 $ représentant la valeur de la superficie manquante et 2 500 $ pour les troubles et inconvénients subis par l’acheteur.

[52]        Dans Guérard c. Re/Max Saint-Jérôme inc. [17], Monsieur le juge Luc Lefebvre condamne le vendeur, le courtier et son agence pour des problèmes de titre impliquant également un déficit de contenance de 7 000 pieds carrés.  Il octroie 20 000 $ en compensation pour le déficit de contenance car l’acheteur a dû racheter du terrain pour réaliser ses projets (12 000 $) et a perdu 8 000 $ sur la revente du terrain acheté initialement.  Il accorde également 5 000 $ pour troubles et inconvénients plus les déboursés encourus.

[53]        Dans Veilleux c. Dubeau [18], c’est un déficit de 33 % sur la superficie représentée qui était en cause, les circonstances s’apparentant beaucoup à celles de la présente affaire. Monsieur le juge Pierre A. Gagnon alloue une diminution de prix en fonction de la superficie manquante, soit 14 036 $ en appliquant une règle de trois [19] tirée de l’article 1501 du Code civil du Bas-Canada.

[54]        Il condamne le vendeur et le courtier mais, ultimement, retient la responsabilité totale de l’agence et du courtier pour ne pas avoir agi de manière prudente et diligente dans leurs devoirs de conseil et de vérification concernant la superficie vendue.

[55]        Dans 9192-5982 Québec inc. c. 90673 Canada inc. [20], on applique une règle de trois pour compenser les 4 346 mètres carrés sur les 65 839 mètres carrés vendus, ce qui, à .50¢ le pied carré, a établi une compensation de 23 763 $.

[56]        Plusieurs autres jugements ont conclu dans le même sens [21].

[57]        Par contre, dans Hossain c. Groupe Sutton [22], Madame la juge Sylvie Lachapelle n’accorde aucun dommage à l’acheteur malgré un déficit de superficie de la maison (774 pieds carrés au lieu de 928 pieds carrés).  Elle conclut à une conduite fautive du courtier qui avait fait défaut de procéder aux vérifications appropriées mais conclut que les demandeurs n’ont pas prouvé que le déficit de superficie leur avait causé un préjudice quelconque car ils s’étaient montrés satisfaits de la grandeur du condo visité.

[58]        Dans le dossier à l’étude, la preuve nettement prépondérante démontre que monsieur Corbeil a été fautif dans l’accomplissement de sa mission.

[59]        Il a su de son client dès le départ qu’une partie du terrain à vendre se trouvait sous l’eau.

[60]        Il lui incombait dès lors d’entreprendre les démarches pour le clarifier avant de publiciser la fiche descriptive faisant état de la contenance du terrain car cela était susceptible « d’affecter défavorablement les parties à la transaction ».

[61]        Il s’est borné à consulter la matrice graphique de la municipalité qui ne contenait pas d’information sur cette partie submergée.  Il s’est arrêté là et a reproduit sur sa fiche descriptive la contenance mentionnée à cette matrice graphique, même s’il savait que cela n’était pas exact.  Dans sa note en bas de la fiche [23], il ajoute même : «bordé par le lac»…«terrain de 56 422 pieds carrés, profondeur de 474 pieds » ce qui passe sous silence qu’il y a une partie submergée.  De plus, ces mesures sont fausses.

[62]        Tout d’abord, il aurait dû consulter le titre de propriété de son client, ce qu’il reconnaît ne pas avoir fait.

[63]        Il aurait également dû communiquer avec l’arpenteur Dupont.  Celui-ci avait réalisé le plan de subdivision qui montrait clairement l’importance du débordement du lac sur le terrain [24].

[64]        Comme nous l’avons vu, le nom de l’arpenteur-géomètre Dupont apparaissait sur les repères d’arpentage implantés en bordure de la rue Michel.  C’est monsieur Corbeil lui-même qui a montré ces repères aux demandeurs.  En tant que «professionnel de la vente», il savait ou devait savoir qu’en communiquant avec cet arpenteur, il avait de bonnes chances d’en apprendre davantage sur l’importance de la partie submergée.  Il reconnaît également qu’il aurait dû le faire mais qu’il ne l’a pas fait.

[65]        Cela lui aurait notamment évité de déclarer aux demandeurs, peut être de bonne foi mais faussement, que la matrice graphique de la municipalité était le seul plan existant du terrain.

[66]        C’est monsieur Ducharme, qui est néophyte en la matière, qui a découvert la vérité auprès de l’arpenteur Dupont après avoir constaté qu’il y avait un déficit de contenance.  S’il a pu le faire, monsieur Corbeil aurait pu le découvrir également et c’était son devoir « d’entreprendre les démarches pour le découvrir » (R-84).

[67]        C’est à mauvais droit que le courtier reproche aux demandeurs de ne pas avoir vérifié davantage avant d’acheter.  C’est à monsieur Corbeil qu’incombait l’obligation de le découvrir avant d’annoncer le terrain en vente, autant pour le bénéfice de son propre client que celui des demandeurs.

[68]        Comme l’écrit monsieur le juge Richard, le temps où le courtier n’avait qu’à faire visiter une propriété pour encaisser sa commission est révolu.

[69]        Et, à défaut de remplir ses devoirs avec compétence selon les exigences précises de la Loi et du Règlement, sa responsabilité et celle de l’agence sera engagée envers leur client et envers les tiers.  C’est pour cela qu’ils sont rémunérés.

[70]        C’est le cas dans la présente affaire, ce qui engage également la responsabilité de Sutton en vertu de l’article 18 de la Loi.

3)    La compensation

[71]        Dans la présente affaire, l’application de la règle de trois maintes fois retenue comme on l’a vue dans la jurisprudence citée ci-dessus est une évaluation appropriée de la perte subie par les demandeurs.

[72]        21 000 pieds carrés de «leur» terrain se trouvent dans l’eau.  Cette superficie ne leur est et ne leur sera jamais d’aucune utilité pour eux à moins que l’on fasse disparaître le lac, ce qui ne paraît pas être une éventualité prévisible vu le nombre de propriétés construites autour.  Il est donc justifié de diminuer le prix de vente, valant un taux unitaire de .57¢ du pied carré, en fonction du prix et la superficie vendus, ce qui donne le montant réclamé de 12 100 $.

[73]        Quant à la réclamation de 2 100 $ pour perte de jouissance et frais professionnels, aucune preuve n’a été faite quant aux frais.

[74]        Pour le reste, le Tribunal fixe à 1 500 $ la compensation pour les troubles et inconvénients, pertes de temps et de jouissance et démarches réalisées, pour un total de 13 600 $.

[75]        La responsabilité de monsieur Charron est basée sur le contrat de vente.  Celle de monsieur Corbeil et Sutton est extracontractuelle.  Cela doit amener une condamnation « in solidum » plutôt que solidaire [25].

[76]        Même si tous les défendeurs sont responsables ensemble envers les demandeurs pour la totalité de la condamnation de 13 600 $, il y a lieu de préciser qui, ultimement, doit assumer cette responsabilité entre les défendeurs.

[77]        Je suis d’avis que la responsabilité ultime doit être assumée entièrement par Sutton et monsieur Corbeil.

[78]        En effet, monsieur Charron avait clairement informé son courtier dès le départ qu’il y avait une partie du terrain qui était submergé.  Cela aurait dû, tel que mentionné précédemment, obliger le courtier à obtenir le plan de subdivision et le contrat d’achat de son client pour tirer la situation au clair et éviter toutes les complications qui ont suivies.

[79]        POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[80]        CONDAMNE in solidum monsieur Alain Charron, d’une part, et Groupe Sutton Synergie inc. et monsieur André Corbeil, solidairement d’autre part, à payer conjointement à madame Claudine Goulet et monsieur Jean-Philippe Ducharme la somme de 13 600 $, avec intérêts au taux légal plus l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter du 4 septembre 2014, plus les frais judiciaires de 200 $ et, pour valoir entre les défendeurs uniquement :

[81]        CONDAMNE solidairement Groupe Sutton Synergie inc. et monsieur André Corbeil à indemniser monsieur Alain Charron de toutes sommes que celui-ci pourrait être appelé à payer en capital, intérêts et frais aux demandeurs en vertu de la condamnation ci-dessus.

 

 

__________________________________

RICHARD LANDRY, J.C.Q.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Date d’audience :

18 février 2016

 



[1]     Pièce P-1

[2]     Entrait, pièce P-2

[3]     Contrat notarié, pièce P-8

[4]     Pièce P-2

[5]     Pièce P-3

[6]     Pièce P-6 du 14 octobre 2013

[7]     Réponse, pièce P-7 du 25 mars 2014

[8]     Pièce P-5

[9]     21 000 pieds x .57¢/pied carré = 12 096,35 $

[10]    2014 QCCS 1844

[11]    AZ-50692385

[12]    RLRQ c. C-73.2 entrée en vigueur D.299-2010 G.O. 2 1308

[13]    RLRQ c. C-73.2, r.1

[14]    2010, 3e éd., Les Éditions Yvon Blais Ltée, Cowansville page 393 pages

[15]    J.E. 90-1328 (C.A.)

[16]    J.E. 2015-1618 (C.Q.)

[17]    2014 QCCS 1844

[18]    51 666 pieds carrés au lieu de 77 061 pieds carrés

[19]    25 935,04 pieds carrés manquants à .54¢ pied carré

[20]    J.E 2011-31 (C.Q.); permission d’appeler refusée 2011 QCCA 124

[21]    Lire notamment Rocheleau c. 9107-1142 Québec inc. (Royal Lepage de l’Outaouais) B.E. 2205BE-629 (C.Q.); Godin-Parisien c. Thériault-Lavoie B.E. 2004BE-468 (C.Q.)

[22]    J.E. 2014-2165 (C.Q.); Lire dans le même sens Cassy c. Rochon 2007 QCCQ 11976; 9097-4437 Québec inc. c. Ferme Desloges enr. J.E. 2014-2083 (C.S.)

[23]    Voir paragraphe [8] ci-dessus

[24]    Pièce P-3

[25]    Banque c. Poudrier J.E. 2013-1774 (C.A.); Charté c. Exploitation agricole et forestière des Laurentides inc. J.E. 2002-1155 (C.A.)

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