Habitations JM Lambert et Alta ltée |
2014 QCCLP 6113 |
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Dossier 523844-31-1310
[1] Le 4 octobre 2013, Habitations JM Lambert (les) (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 30 août 2013, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 18 juillet 2013. Elle déclare que monsieur Lucien Bujold (le travailleur) a subi une lésion professionnelle au regard du diagnostic de syndrome du canal de Guyon gauche. Elle déclare en outre que le travailleur a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) au regard de ce diagnostic.
Dossier 543695-31-1406
[3] Le 6 juin 2014, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 28 mai 2014, à la suite d’une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST conclut qu’elle pouvait, le 14 mars 2014, reconsidérer sa décision du 18 juillet 2013 relativement à l’admissibilité de la réclamation. Elle confirme ainsi sa décision du 14 mars 2014 et déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle et qu’il n’a ainsi pas droit aux prestations prévues à la loi.
[5] La CSST confirme en outre sa décision du 18 mars 2014. Elle déclare qu’elle est justifiée de réclamer la somme de 1 563,18 $ versée au travailleur pour la période des 14 premiers jours suivants le début de son incapacité à exercer son emploi.
[6] Une audience se tient à Québec le 9 octobre 2014. L’employeur est représenté. Plusieurs autres employeurs convoqués à l’audience sont également représentés. Tel est notamment le cas pour Coffrage L.D. inc., Coffrages Bouchard inc., Construction L.F.G. inc., Construction Marc Bolduc inc., Construction Polaris inc., Fondation du St - Laurent (1988) inc. et Pomerleau/Decarel Co-entreprise. Le travailleur est présent et représenté. La cause est mise en délibéré le 17 octobre 2014 à la suite de la réception du dossier médical du travailleur requis lors de l’audience.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[7] Eu égard aux représentations des représentants des parties en début d’audience, le tribunal doit statuer sur la régularité de la procédure médicale précédant la reconsidération de la décision d’admissibilité de la lésion effectuée par la CSST le 14 mars 2014, décision confirmée le 28 mai 2014 à la suite d’une révision administrative.
LES FAITS
[8] Le travailleur est charpentier-menuisier pour le compte de l’employeur au moment d’une réclamation présentée à la CSST le 22 mai 2013. Dans le formulaire qu’il remplit, il allègue avoir travaillé avec un marteau piqueur pendant trois jours consécutifs et avoir ressenti des engourdissements puis une douleur telle, qu’il ne pouvait plus bouger sa main le 8 mai 2013.
[9] Sa réclamation est accompagnée d’une attestation médicale délivrée le 14 mai 2013 par son médecin traitant, le docteur Ringuet. Ce dernier fait état d’un œdème à la paume de la main gauche en raison de l’utilisation d’un outil à percussions pendant trois jours consécutifs.
[10] Le 21 mai 2013, le travailleur revoit son médecin traitant. Celui-ci fait état de lésions paresthésiques à la paume de la main gauche, post-traumatiques, par percussions. Il prolonge l’arrêt de travail et prescrit des anti-inflammatoires non stéroïdiens. Il réfère par ailleurs le travailleur en physiatrie.
[11] Le 4 juin 2013, le travailleur rencontre le physiatre Brault. Celui-ci retient le diagnostic de compression du nerf cubital au canal de Guyon du poignet gauche. Dans la note qu’il achemine au médecin traitant à la suite de la consultation, le docteur Brault retient, après examen, que le travailleur est victime d’une compression du nerf ulnaire au niveau du canal de Guyon. Il soupçonne une axonotmèse, compte tenu des signes d’atteinte motrice qu’il retrouve à l’examen. Il demande un examen par électromyogramme dans le but de valider son opinion.
[12] Le 17 juin 2013, le travailleur passe l’examen par électromyogramme prescrit. Le physiatre Baribault conclut alors à un canal de Guyon. Sur les formulaires de la CSST, il retient le diagnostic de neuropathie du nerf cubital gauche distalement au niveau de la loge de Guyon avec dénervation. Dans une note qu’il achemine au docteur Brault, le physiatre Baribault conclut comme suit :
Cet examen confirme la présence d’une neuropathie cubitale gauche distalement au niveau de la loge de Guyon. L’atteinte est tout de même sévère, considérant les signes de dénervation retrouvés au niveau du premier interosseux dorsal gauche. Aucun ralentissement n’a été mis en évidence au passage du coude, en regard de la gouttière épitrochléo-olécranienne.
Il existe cependant chez ce patient un bon potentiel de récupération. Il devra éviter toute pression en regard de la loge de Guyon et, pour l’instant, tout travail avec un marteau piqueur. De toute façon, il devra vous revoir en contrôle.
[13] Le 20 juin 2013, l’agente d’indemnisation de la CSST s’adresse à un médecin de l’organisme pour décider de l’admissibilité de ces diagnostics.
[14] Le 25 juin 2013, le médecin lui répond ce qui suit :
Le dx de compression du nerf cubitale au canal de Guyon poignet g. fait habituellement suite à des lipomes ou à des kystes du poignet. Les microtraumatismes répétés sont parfois responsables du syndrome de Guyon. Par contre, ceci survient généralement après une véritable surutilisation répétée. L’utilisation du marteau piqueur durant 3 jours est quand même faible comme mécanisme de production. Ceci n’est donc pas impossible mais improbable. Il est par contre évident, que je pourrais me prononcer plus facilement avec les notes cliniques.
Le même raisonnement s’applique à la mention de neuropathie du nerf cubital.
Resoumettre avec les notes cliniques. [sic]
[15] Le 2 juillet 2013, le travailleur revoit son médecin traitant qui retient le diagnostic de neuropathie du nerf cubital en référant à l’examen par électromyogramme effectué par le docteur Baribault.
[16] Le 10 juillet 2013, l’agente d’indemnisation de la CSST soumet au médecin de la CSST les notes cliniques reçues des médecins du travailleur. Elle lui demande une opinion quant au lien de causalité entre le diagnostic de syndrome de canal de Guyon et le travail du travailleur.
[17] Le même jour, la médecin de la CSST répond à l’agente d’indemnisation :
Médicalement il est rare de développer un syndrome du Canal de Guyon après seulement trois jours de microtraumatismes mais cela n’est pas impossible.
Habituellement, si on exclu les causes comme les tumeurs et les kystes, le développement du syndrome du c. de Guyon se produit après plusieurs mois (voire années) de traumatismes plus ou moins direct au poignet. Un peu comme le syndrome du canal carpien.
Notez que les tâches que le T décrit comme faisant partie de son travail normal avant sa période de chômage ayant débutée en janvier 2013, pourraient avoir contribuer au développement du syndrome. Est-ce que la période de chômage (repos?) suivie d’une période intense comme celle qu’il a eu durant 3 jours de marteau piqueur aurait pu démasquer un problème latent sous-jacent? De plus, il n’est pas possible de savoir ce que le T a pu faire personnellement durant sa période de chômage.
En conclusion, comme la littérature scientifique identifie quelques cas faisant suite à des traumatismes aigus et que le dx a été confirmé par un EMG, la réclamation serait acceptable médicalement. [sic]
[18] Le 18 juillet 2013, la CSST accepte la réclamation du travailleur au regard du diagnostic de syndrome du canal de Guyon gauche.
[19] Le 19 juillet 2013, l’employeur conteste cette décision.
[20] Le 15 août 2013, le travailleur revoit le physiatre Brault. Celui-ci retient le diagnostic de neuropathie cubitale du canal de Guyon au poignet gauche en raison de l’utilisation d’un marteau piqueur.
[21] Le 30 août 2013, la CSST confirme sa décision initiale du 18 juillet 2013 à la suite d’une révision administrative. Elle déclare que le travailleur a subi une lésion professionnelle, soit un syndrome du canal de Guyon gauche et qu’il a ainsi droit aux prestations prévues par la loi.
[22] Le 3 septembre 2013, la médecin de la CSST informe l’agente d’indemnisation qu’un nouveau diagnostic de neuropathie cubitale est en lien avec l’événement d’origine. C’est pourquoi, le 4 septembre 2013, la CSST accepte ce diagnostic en lien avec l’événement d’origine et fait droit au versement des indemnités de remplacement du revenu.
[23] Le 19 septembre 2013, un conseiller en réadaptation de la CSST écrit au médecin traitant pour savoir si des limitations fonctionnelles sont à prévoir en relation avec les diagnostics de syndrome du canal de Guyon et de neuropathie cubitale gauche.
[24] Le 20 septembre 2013, le médecin traitant informe le conseiller en réadaptation qu’on peut espérer une récupération à moyen terme.
[25] Le même jour, l’employeur conteste la décision rendue par la CSST, le 4 septembre 2013, portant sur l’admissibilité du diagnostic de neuropathie cubitale gauche et sur le droit du travailleur aux indemnités de remplacement du revenu en lien avec ce diagnostic.
[26] Le 4 octobre 2013, l’employeur conteste par ailleurs la décision rendue par la CSST le 30 août 2013, à la suite d’une révision administrative, d’où le litige à la Commission des lésions professionnelles dans le dossier 523844-31-1310.
[27] Le 6 novembre 2013, la CSST confirme sa décision du 4 septembre 2013, à la suite d’une révision administrative[2]. Elle déclare que le diagnostic de neuropathie du nerf cubital gauche est en lien avec la lésion professionnelle du 8 mai 2013 et que le travailleur a droit aux prestations prévues à la loi au regard de ce diagnostic.
[28] Le 29 novembre 2013, le physiatre Brault produit un rapport final dans lequel il estime que la lésion sera consolidée le 6 janvier 2014, sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.
[29] Le 6 janvier 2014, le médecin traitant produit un rapport final dans lequel il s’interroge sur la présence de limitations fonctionnelles. Il fait alors état d’une intolérance au froid et demande à la CSST de les évaluer. Il retient le diagnostic de neuropathie cubitale post-traumatique.
[30] Le 22 janvier 2014, le chirurgien orthopédiste Blanchet évalue le travailleur à la demande de l’employeur. Dans le rapport qu’il produit le 24 janvier 2014 à la suite de son examen, le docteur Blanchet retient le diagnostic de compression du nerf cubital gauche en haut du canal de Guyon, possiblement au niveau de la gouttière épitrochléo-oléocrânienne gauche. Il estime que la lésion est consolidée depuis le 6 janvier 2014 et qu’elle ne nécessite pas de traitement additionnel. Il est par ailleurs d’avis que la lésion n’entraîne pas d’atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles.
[31] Dans son rapport d’expertise, le docteur Blanchet rapporte une atteinte sensitive de la branche dorsale du nerf cubital. C’est pourquoi il écarte la compression provenant de la loge de Guyon. Il estime qu’il est plus que probable que cette compression du nerf cubital se trouve en haut de la loge de Guyon et ne serait donc pas causée par l’utilisation du marteau piqueur pendant trois jours. Il ajoute qu’il y a discordance entre les trouvailles à l’examen clinique et l’électromyogramme.
[32] Le 28 janvier 2014, le docteur Lépine évalue le travailleur à la demande de la CSST pour déterminer l’existence de limitations fonctionnelles résultant de la lésion. Après examen, il conclut à leur existence. Il écrit ce qui suit :
Même si le Dr Breault et le Dr Ringuette espèrent l’absence de limitations fonctionnelles permanentes chez ce patient il faut prévoir la persistance de vulnérabilité aux vibrations et au froid, avec une certaine intolérance à la manipulation de lourdes charges, vraisemblablement pour les prochaines années. Compte tenu de l’âge du patient, compte tenu du travail qu’il doit effectuer pour encore au moins les trois prochaines années, compte tenu que ce travail se fait à l’extérieur, même lors des saisons froides, compte tenu de l’apparition d’un axonotmèse cubital, main gauche après trois jours seulement d’utilisation d’un marteau-piqueur, compte tenu de l’objectivation de cet axonotmèse par électromyographie, compte tenu de la persistance des symptômes dans le temps, malgré une convalescence maintenant de plus de huit mois, compte tenu que dans ce type de lésion il persiste une vulnérabilité plus ou moins chronique aux vibrations et au froid, compte tenu que la problématique actuelle peut en cacher une autre de vulnérabilité aux vibrations et au froid, non clairement encore identifiée au dossier, nous suggérons chez ce patient, dans le but d’éviter toute récidive, rechute et aggravation, d’éviter les vibrations importantes de basse fréquence, main gauche, et éviter une exposition prolongée au froid, de même que d’éviter la manutention répétitive de charges de plus de 20 kg avec la main gauche, sans intervalle de repos. [sic]
[33] Le 11 février 2014, une représentante de l’employeur fait parvenir au médecin traitant le rapport d’expertise du docteur Blanchet en lui indiquant qu’il peut étayer ses conclusions en vertu de l’article 212.1 de la loi.
[34] Le 20 février 2014, le médecin traitant remplit le rapport complémentaire acheminé par l’employeur. Il se dit alors d’accord avec toutes les conclusions du docteur Blanchet.
[35] Le 21 février 2014, l’agente d’indemnisation de la CSST écrit une note au médecin de la CSST. Elle veut savoir si le diagnostic émis par le docteur Blanchet diffère de ceux acceptés par la CSST.
[36] Le 3 mars 2014, la médecin de la CSST répond à l’agente d’indemnisation :
Effectivement, dans son expertise, le Dr Blanchet retient le dx de compression du nerf cubital gauche en haut du canal de Guyon, possiblement au niveau de la gouttière épitrochléo-olécranienne gauche.
De plus, le médecin qui a charge, par le biais de son rapport complémentaire, est d’accord avec ces conclusions.
Ainsi le nouveau dx de compression du nerf cubital gauche en haut du canal de Guyon, possiblement au niveau de la gouttière épitrochléo-olécranienne gauche n’est pas acceptable en lien avec les tâches décrites par le T. Il ne s’agit donc pas d’une lésion professionnelle.
Il serait préférable de communiquer avec le médecin qui a charge afin de s’assurer que son rapport soit complet et conforme avec le dx qu’il désire vraiment retenir: soit une atteinte du nerf cubitale au canal de Guyon (si c’est le cas, puisqu’il y aurait alors litige avec l’expert, le dossier serait acheminé au BEM). Si le MQAC est d’accord avec le nouveau dx, il faudra se reconsidérer. [sic]
[37] Le 3 mars 2014, l’agente d’indemnisation écrit au médecin traitant, tel que le suggère la médecin de la CSST :
Comme les diagnostics de syndrome du canal de Guyon gauche et de neuropathie cubitale gauche ne sont pas retenus et sont changés par celui de compression du nerf cubital gauche en haut de Guyon, la CSST devra:
- refuser le dossier initial
- cesser les indemnités
- récupérer certaines sommes
Je vous rappelle que nous sommes lié à l’opinion du médecin traitant, en l’occurence, vous.
Si vous maintenez votre accord, nous fermerons le dossier, si vous êtes en désaccord avec le Dr Blanchet, nous entreprendrons une démarche au BEM. [sic]
[38] Le 4 mars 2014, une représentante de l’employeur s’objecte à l’envoi effectué par l’agente d’indemnisation. Dans une lettre subséquente datée du 6 mars 2014, elle écrit ce qui suit :
Nous accusons réception de la demande d’information que vous avez adressée au Dr Serge Ringuet le 3 mars 2014.
La loi ne permet pas à la CSST d’influencer le médecin qui à charge ou de modifier son opinion dûment émise par le rapport complémentaire prévu à cette fin. Les articles 212.1 et 224 sont clairs, la CSST est liée par l’opinion du médecin qui à charge et elle doit se comporter comme tel.
Nous demandons à la CSST de rester dans le cadre légal de ses pouvoirs, de ne pas déclarer qu’il y a aura possibilité de coupure d’indemnités, alors que la loi et vos procédures vous enjoignent de ne pas faire de récupération rétroactive d’indemnités au-delà de la période des 14 premiers jours.
D’insister sur ces conséquences auprès du médecin traitant au lieu des considérants médicaux est tout à fait inhabituel dans le cadre de l’administration d’un régime d’assurance-accident.
Nous vous demandons donc de rendre les décisions qui s’imposent, entre autre sur la capacité de travail, en vous déclarant lié par le rapport complémentaire et ce, sans faire d’autres interventions auprès du médecin traitant et de retirer la lettre transmise au Dr Ringuet dès réception de la présente.
À défaut nous n’aurons d’autre choix de contester le rapport d’évaluation médicale du docteur Lépine du 3 février 2014 et de l’informer du contenu de ce rapport. [sic]
[39] Le 7 mars 2014, l’agente d’indemnisation tente de communiquer avec le médecin traitant pour lui demander de ne pas tenir compte de sa lettre du 3 mars 2014. Elle demande alors à sa secrétaire avec qui elle s’entretient de retirer du dossier la copie acheminée le 3 mars 2014.
[40] L’agente d’indemnisation consigne la note évolutive suivante au regard des démarches faites auprès du docteur Ringuet :
Je parle à Mme Samson au CLSC la Sources.
Elle m’avise que le Dr Ringuet ne pratique pratiquement pas au CLSC et qu’il ne voit aucun patient CSST au CLSC.
Il voit ses patients à la Clinique Le Mesnil.
Par ailleurs, le Dr Ringuet à récupéré toutes ses télécopies cette semaine.
Appel à la Clinique Le Mesnil
Je parle à la secrétaire du Dr Ringuet, Mme Wendy.
Je lui demande d’aviser le Dr Ringuet de ne pas tenir compte de la télécopie du 03-03-14, elle sera remplacée par une télécopie amendée que je ferai parvenir aujourd’hui.
Je lui demande retirer du dossier la télécopie du 03-03-14.
J’insiste pour le Dr Ringuet ne réponde pas à cette demande et n’en tienne pas compte.
Elle fera le message aujourd’hui au Dr Ringuet.
Appel fait à la mutuelle
En attente d’un retour d’appel
Mme Desrosiers est avisée qu’après vérification auprès de ma supérieure et de la consignes des services juridiques, nous allons poursuivre notre demande auprès du médecin, mais que nous avons amendée cette demande puisqu’elle comportait certains éléments litigieux.
En conséquence, j’ai contactée la secrétaire du Dr Ringuet pour retirer la télécopie du dossier. Je fait parvenir la télécopie amendée au médecin désigné.
Elle se questionne à propos du fondée de cette demande.
Je lui explique que pour être parfaitement légale, selon notre service juridique, un rapport complémentaire doit être étoffé, ce qui n’est pas le cas dans ce dossier.
Nous comprenons que le médecin se dit en accord avec tous les points, mais dans ce cas, le nouveau dx vient remplacer celui que le médecin traitant avait déjà émit. Il est important que le médecin soit mis au courant et exprime son accord. [sic]
[41] Quant à la nouvelle lettre acheminée, elle prévoit ce qui suit :
Cependant, nous vous demandons d’étayer vos conclusions en ce qui concerne le diagnostic.
La CSST a accepté les diagnostics de syndrome du canal de Guyon gauche et de neuropathie cubitale gauche.
Le docteur Blanchet retient le diagnostic de compression du nerf cubital gauche en haut du canal de Guyon, possiblement au niveau de la gouttière épitrochléo-olécranienne gauche.
Si vous êtes en accord avec le nouveau diagnostic de compression du nerf cubital gauche en haut du canal de Guyon émis par le Dr Blanchet en remplacement de celui de neuropathie cubitale du canal de Guyon au poignet gauche, veuillez le préciser sur votre rapport complémentaire.
[42] Le 11 mars 2014, le médecin traitant fait parvenir un rapport final amendé dans lequel il retient le diagnostic de compression du nerf cubital gauche en haut du canal de Guyon. Il indique que cette lésion est consolidée sans séquelle. Il ajoute que son rapport est amendé à la demande de la CSST.
[43] Le même jour, l’agente d’indemnisation de la CSST communique avec une représentante de l’employeur et le travailleur. Elle consigne ce qui suit dans le dossier de la CSST :
Appel logé au T.
Je demande au T s’il a reçu une copie de l’expertise du Dr Blanchet. Non. Je vais lui en acheminer une.
Je lui explique les conclusions comme déjà fait lors de notre discussion du 18 février 2014. Comme je lui avait déjà mentionné, c’est ce rapport qui a été acheminé à son médecin traitant.
Je lui demande si le Dr Ringuet l’a avisé de son accord avec l’expertise. Non.
Je lui explique qu’il nous a mentionné être en accord sur le rapport complémentaire et que la CSST lui a préciser que le diagnostic serait changé dans le dossier.
Le Dr Ringuet à réitéré son accord.
En conséquence, la CSST a dû se repencher sur la relation entre ce nouveau diagnostic et l’événement alléguée.
T avisé que la CSST renverse la décision d’admissibilité.
Le dossier du T sera donc fermé à partir de demain.
Les indemnités sont cessées. La dernière journée de paiement sera aujourd’hui.
La CSST doit récupérer la période des 14 premiers jours, soit un montant de 1563.18$
T avisé de son droit de contestation.
Appel à la mutuelle (Lyne Desrosiers)
Je l’informe de la réception du RMF et de la décision de reconsidération.
Elle est surprise que la CSST accepte de reconsidérer un décision.
Je lui explique que l’article 365 est une mesure d’exception, qu’elle doit recevoir une interprétation restrictive et limitative.
La reconsidération pour fait nouveau peut être appliquée seulement si 3 conditions sont respectés et c’est le cas dans le présent dossier. [sic]
[44] Le 14 mars 2014, la CSST reconsidère sa décision d’admissibilité du 18 juillet 2013 au regard du diagnostic de syndrome du canal de Guyon gauche. Sa reconsidération ne met toutefois pas en cause sa décision du 4 septembre 2013 portant sur l’admissibilité du diagnostic de neuropathie cubitale gauche.
[45] Le 18 mars 2014, la CSST avise le travailleur qu’elle doit récupérer la somme de 1 563,18 $ relativement à la période des 14 premiers jours payés à la suite de la réclamation soumise.
[46] Le 27 mars 2014, le travailleur conteste les décisions rendues les 14 et 18 mars 2014.
[47] Le 28 mai 2014, la CSST confirme ses décisions des 14 et 18 mars 2014 à la suite d’une révision administrative, d’où la contestation du travailleur à la Commission des lésions professionnelles, le 6 juin 2014, dans le dossier 543695-31-1406.
[48] À l’audience, le travailleur fait entendre le médecin traitant, le docteur Ringuet.
[49] Ce dernier fait état du suivi médical du travailleur. Il indique que la neuropathie cubitale diagnostiquée n’a jamais fait de doute dans son esprit. Il ajoute que lors des consultations du travailleur, il a noté des douleurs, des paresthésies, un œdème et, quelques mois plus tard, de l’intolérance au froid. Il affirme que le diagnostic de neuropathie cubitale est d’ailleurs confirmé par l’électromyogramme passé le 17 juin 2013. Il mentionne que son rapport final produit le 6 janvier 2014 faisait d’ailleurs état d’une neuropathie cubitale post-traumatique.
[50] Dans ce contexte, il indique qu’il a commis des erreurs en émettant le rapport complémentaire du 20 février 2014 et le rapport final du 11 mars 2014 puisque les diagnostics retenus à l’origine sont fondés et que la relation entre la lésion du travailleur et son travail n’est pas contestable à la relecture du dossier.
[51] Pour expliquer ses erreurs, il mentionne qu’au moment de la rédaction de ses rapports, il n’a pas revu l’ensemble du dossier. Il ajoute qu’il n’avait pas non plus en mains la lettre du docteur Baribeault signée le 3 juillet 2013, laquelle est adressée au docteur Brault. Il ne se souvient par ailleurs pas d’avoir eu en mains le rapport d’électromyogramme du 17 juin 2013[3], lequel conclut à un canal de Guyon.
[52] Il mentionne en outre que le rapport du docteur Blanchet pouvait laisser croire à une atteinte au-dessus du canal de Guyon. Comme il n’avait pas en tête tous les éléments du dossier au moment de la rédaction de ses rapports, il a retenu le diagnostic émis par le docteur Blanchet. Dans son esprit ce diagnostic n’écartait toutefois pas la possibilité d’une lésion en lien avec le travail. À la relecture complète du dossier, il estime cependant que le premier diagnostic émis n’aurait pas dû être changé de même que le deuxième accepté par la CSST le 4 septembre 2013.
[53] Il affirme ne pas avoir remis ses rapports au travailleur et ne pas l’avoir informé des modifications apportées dans son dossier. Il ajoute que la CSST ne l’a pas non plus informé du rapport produit par le docteur Lépine, le 28 janvier 2014, portant sur les limitations fonctionnelles.
[54] En contre-interrogatoire, le docteur Ringuet admet qu’il aurait dû lire le dossier dans son ensemble avant de se prononcer et que cette omission constitue une erreur de sa part.
L’AVIS DES MEMBRES
[55] Conformément à l’article 429.50 de la loi, le soussigné a demandé et obtenu l’avis des membres qui ont siégé avec lui sur les questions faisant l’objet de la contestation ainsi que les motifs de cet avis.
[56] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis d’accueillir la requête préliminaire du travailleur.
[57] Selon eux, les rapports produis par le médecin du travailleur, le docteur Ringuet, les 20 février 2014 et 11 mars 2014, sont irréguliers et ne peuvent lier la CSST.
[58] À leur avis, le docteur Ringuet a modifié son avis sans étayer ses conclusions comme le requiert la loi. Ils estiment que les décisions rendues par la CSST après la réception du rapport complémentaire et du rapport final devraient être annulées et que le dossier du travailleur devrait être soumis à un Bureau d’évaluation médicale relativement aux cinq éléments compris à l’article 212 de la loi.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[59] Eu égard aux représentations des parties en début d’audience, la Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le rapport complémentaire produit par le médecin traitant, le 20 février 2014, et le rapport final émis le 11 mars 2014, sont conformes à la loi et lient la CSST aux fins de rendre ses décisions postérieures, notamment celle du 14 mars 2014 reconsidérant l’admissibilité de la lésion subie par le travailleur et celle du 18 mars portant sur le remboursement des 14 premiers jours.
[60] Le représentant du travailleur prétend en effet que la décision rendue par la CSST le 14 mars 2014, à la suite d’une reconsidération, devrait être annulée puisque le processus médical qui y a donné lieu est entaché d’irrégularités qui la vicient fondamentalement.
[61] D’une part, il soumet que le médecin qui a charge n’a pas étayé ses conclusions dans son rapport médical produit le 20 février 2014 et son rapport final émis le 11 mars 2014. L’omission du médecin ne respectant pas les prescriptions de l’article 212.1 de la loi, la CSST ne pouvait, selon lui, être liée par le rapport complémentaire.
[62] D’autre part, il prétend que le médecin qui a charge n’a pas informé le travailleur de ses conclusions. Cette irrégularité donnerait aussi, selon lui, ouverture à l’annulation de la décision de la CSST puisque l’obligation d’information prévue à l’article 212.1 de la loi constituerait une exigence de fond à laquelle n’aurait pas satisfait le médecin traitant.
[63] Enfin, le représentant du travailleur prétend que la CSST ne pouvait mettre fin au versement de l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur au regard du diagnostic de neuropathie cubitale gauche puisque la reconsidération qu’elle a effectuée, le 14 mars 2014, ne porte pas sur ce volet du dossier.
[64] Qu’en est-il des prétentions du travailleur?
[65] La procédure d’évaluation médicale est prévue aux articles 199 et suivants de la loi. Plus particulièrement, les articles 204, 205.1, 206, 209, 212, 212.1, 224 et 224.1 de la loi prévoient ce qui suit :
204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.
La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115.
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1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.
1997, c. 27, a. 3.
206. La Commission peut soumettre au Bureau d'évaluation médicale le rapport qu'elle a obtenu en vertu de l'article 204, même si ce rapport porte sur l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 sur lequel le médecin qui a charge du travailleur ne s'est pas prononcé.
__________
1985, c. 6, a. 206; 1992, c. 11, a. 13.
209. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut exiger que celui-ci se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'il désigne, à chaque fois que le médecin qui a charge de ce travailleur fournit à la Commission un rapport qu'il doit fournir et portant sur un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
L'employeur qui se prévaut des dispositions du premier alinéa peut demander au professionnel de la santé son opinion sur la relation entre la blessure ou la maladie du travailleur d'une part, et d'autre part, l'accident du travail que celui-ci a subi ou le travail qu'il exerce ou qu'il a exercé.
__________
1985, c. 6, a. 209; 1992, c. 11, a. 14.
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
__________
1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
212.1. Si le rapport du professionnel de la santé obtenu en vertu de l'article 212 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de cet article, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission soumet ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.
1997, c. 27, a. 5.
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
__________
1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
224.1. Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.
Lorsque le membre de ce Bureau ne rend pas son avis dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par le rapport qu'elle a obtenu du professionnel de la santé qu'elle a désigné, le cas échéant.
Si elle n'a pas déjà obtenu un tel rapport, la Commission peut demander au professionnel de la santé qu'elle désigne un rapport sur le sujet mentionné aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 qui a fait l'objet de la contestation; elle est alors liée par le premier avis ou rapport qu'elle reçoit, du membre du Bureau d'évaluation médicale ou du professionnel de la santé qu'elle a désigné, et elle rend une décision en conséquence.
La Commission verse au dossier du travailleur tout avis ou rapport qu'elle reçoit même s'il ne la lie pas.
1992, c. 11, a. 27.
[66] Les articles 205.1 quant à une situation impliquant un rapport d’un médecin désigné par la CSST, et 212.1 quant à une situation impliquant un rapport émis par un médecin désigné par l’employeur, font partie intégrante du processus d’évaluation médicale. Ils sont au cœur des prétentions du représentant du travailleur.
[67] Les articles 205.1 et 212.1 de la loi visent la production par le médecin ayant charge du travailleur d’un rapport complémentaire, rapport permettant à ce médecin de réagir à une opinion émise par un médecin désigné de la CSST (article 204) ou de l’employeur (article 212).
[68] Les articles 205.1 et 212.1 prévoient que dans chacun de ces cas, le médecin qui a charge peut produire un rapport complémentaire en vue d’étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin doit en outre informer le travailleur, sans délai, du contenu de son rapport.
[69] La jurisprudence du tribunal a clairement établi qu’il existe, aux articles 205.1 et 212.1 de la loi, une similarité des textes quant aux exigences faites au médecin ayant charge du travailleur[4].
[70] Par ailleurs, dans l’affaire Hammami et Fabricants de Plastique fédéral ltée[5], la Commission des lésions professionnelles cerne la nature et la portée de l’exigence faite au médecin traitant quant à son obligation d’étayer ses conclusions dans son rapport complémentaire.
[26] « Étayer ses conclusions » implique que le médecin énonce les éléments sur lesquels il appuie ses conclusions et donne des explications. Cette étape est d’autant plus importante lorsque le médecin qui a charge du travailleur, comme en l’espèce, change son opinion pour se rallier à celle du médecin désigné de la CSST. Cette nouvelle opinion du médecin qui a charge du travailleur revêt alors le caractère liant qui laisse le travailleur sans recours, concernant les questions d’ordre médical, conformément au second alinéa de l’article 358 de la loi :
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365.
Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1.
__________
1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.
[27] La jurisprudence reconnaît que l’article 205.1 de la loi n’a pas pour effet d’empêcher le médecin qui a charge du travailleur de modifier son opinion dans un rapport complémentaire. Cependant, en raison des conséquences juridiques importantes que ce geste peut entraîner, le médecin qui a charge du travailleur doit étayer ses conclusions. Son opinion doit être claire, limpide, non ambiguë et ne doit pas porter à interprétation.
[...]
[31] Ce changement d’opinion du docteur Dahan est lourd de conséquences pour le traitement ultérieur du dossier du travailleur. Il nécessite davantage d’explications que la seule allégation d’être en accord avec l’évaluation minutieuse du docteur Proulx. L’adjectif utilisé pour qualifier l’évaluation du docteur Proulx ne constitue pas une explication suffisante au changement d’opinion, lequel n’est pas étayé.
[32] Pour étayer ses conclusions, le docteur Dahan aurait pu, par exemple, comparer des éléments contenus dans son rapport d’évaluation médicale avec ceux contenus dans le rapport du docteur Proulx et expliquer les raisons pour lesquelles il retient désormais tel ou tel élément.
[71] En l’espèce, force nous est de constater que le rapport du docteur Ringuet, daté du 20 février 2014, n’est pas conforme aux prescriptions de l’article 212.1 de la loi.
[72] Le rapport complémentaire ne comporte en effet aucune explication ou précision du docteur Ringuet au sujet des conclusions médicales nouvelles auxquelles il donne son accord. Il en est d’ailleurs de même à l’égard du rapport final qu’il remplit le 11 mars 2014, lequel modifie celui initialement émis le 6 janvier 2014.
[73] De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, il aurait fallu que le docteur Ringuet justifie ses nouvelles conclusions et explique pourquoi il changeait soudainement d’opinion.
[74] Son rapport ne permet pas de comprendre sa volteface depuis la production du rapport final du 6 janvier 2014. Il n’explique pas pourquoi il est d’accord avec la conclusion du médecin désigné de l’employeur quant au diagnostic de la lésion et quant à l’absence de limitations fonctionnelles, alors qu’il s’interrogeait sur leurs présences lors de la production du rapport final du 6 janvier 2014. Cela est d’autant plus vrai puisqu’à l’audience il affirme avoir commis une erreur lors de la rédaction de son rapport, en changeant d’opinion sans avoir revu son dossier.
[75] L’obligation d’étayer ses conclusions prévue à l’article 212.1 de la loi trouve son sens dans le fait que les conclusions d’un médecin qui a charge sont lourdes de conséquences puisque le travailleur ne peut les contester[6].
[76] C’est pourquoi, comme l’exprime la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Sifonios et Circul-Aire inc.[7], le changement d’opinion du médecin traitant sur le diagnostic en lien avec la lésion professionnelle et les séquelles fonctionnelles commandent davantage d’explication que les seules allégations selon lesquelles il est d’accord avec l’opinion du médecin de l’employeur.
[77] Par ailleurs, en ne revoyant pas ses notes de consultation médicale et le dossier qu’il détenait et en étant privé de l’éclairage du rapport du docteur Lépine portant sur les limitations fonctionnelles, le docteur Ringuet n’a pas modifié son opinion en toute connaissance de cause. Il n’a pas considéré toutes les données pertinentes, et agi après mûres réflexions[8].
[78] Ces éléments s’ajoutent au fait que, dans l’esprit du docteur Ringuet, s’en remettre au rapport du docteur Blanchet quant au diagnostic de la lésion n’excluait pas que le travailleur puisse être atteint d’une neuropathie cubitale gauche, un diagnostic accepté par la CSST le 4 septembre 2013.
[79] La Commission des lésions professionnelles constate que ce diagnostic figure toujours au dossier et que sa relation est toujours reconnue par la CSST puisque la décision du 4 septembre 2013 n’a pas fait l’objet de reconsidération et a été confirmée par la CSST, le 6 novembre 2013, à la suite d’une révision administrative, cette dernière décision n’ayant pas été contestée par l’employeur.
[80] Vu ces éléments, la Commission des lésions professionnelles conclut que la CSST n’était pas liée par le rapport complémentaire du docteur Ringuet et le rapport final du 11 mars 2013. Il y a donc lieu de les écarter puisque leur maintien ne serait pas raisonnable, dans les circonstances.
[81] Cela étant, il n’est pas nécessaire de disposer de l’argument du représentant du travailleur portant sur l’obligation d’information dévolue au médecin traitant en vertu de l’article 205.1 ou 212.1 de la loi, argument qu’il plaide avec insistance.
[82] Notons toutefois à cet égard, que la controverse jurisprudentielle au sein du tribunal sur cette question tend à se résorber. En effet, dans plus en plus d’affaires, la Commission des lésions professionnelles se fonde sur les affaires Raymond et Transformation B.F.L.[9] et Vézina et Entreprise d’électricité NT ltée[10] et conclut qu’on ne saurait invalider un rapport complémentaire parce que le médecin traitant n’aurait pas rempli son obligation d’information à l’égard du travailleur[11].
[83] Quoi qu’il en soit, parce que la CSST n’était pas liée par le rapport complémentaire du docteur Ringuet ni par son rapport final, il y a lieu d’annuler toutes les décisions rendues par la CSST à la suite de la réception du rapport complémentaire du 20 février 2014 et du rapport final amendé du 11 mars 2014 pour que les parties soient remises dans l’état où elles étaient avant l’émission de ces rapports.
[84] Vu l’existence de divers rapports médicaux au dossier qui divergent sur certains éléments prévus à l’article 212 de la loi, notamment ceux du docteur Ringuet, Lépine et du docteur Blanchet, et compte tenu du chassé-croisé dans le traitement administratif du dossier du travailleur jusqu’à présent[12], il y a lieu, dans le but de sauvegarder les droits des parties et, comme elles le demandent d’ailleurs expressément elles-mêmes, de soumettre le dossier du travailleur au Bureau d’évaluation médicale pour qu’il traite de chacun des éléments compris à l’article 212 de la loi. La CSST pourra par la suite rendre les décisions qui s’imposent, en conséquence.
[85] Par ailleurs, les décisions des 14 et 18 mars étant annulées, la CSST doit rétablir le versement des indemnités de remplacement du revenu du travailleur. Rien d’ailleurs ne la justifiait de cesser de les verser puisqu’elle n’a pas reconsidéré sa décision du 4 septembre 2013 portant sur le diagnostic de neuropathie cubitale gauche et qu’elle l’a au contraire confirmée le 6 novembre 2013 à la suite d’une révision administrative.
[86] Enfin, les parties n’ont présenté aucune preuve ni argumentation dans le dossier 523844-31-1310, au regard de la contestation portant sur l’admissibilité du diagnostic de syndrome du canal de Guyon. Ce diagnostic fera par ailleurs l’objet d’une analyse par un membre du Bureau d’évaluation médicale vu les conclusions du tribunal quant à la validité de la procédure médicale suivie dans le dossier. L’avis du Bureau d’évaluation médicale pourrait peut-être avoir des effets sur ce volet du dossier, notamment, si ce diagnostic devait ne pas être retenu. C’est pourquoi, même si les parties n’ont pas requis de remise formelle de l’audience dans ce dossier de la Commission des lésions professionnelles, il y a lieu de la suspendre dans le but de sauvegarder leurs droits, l’étude de la question soumise étant prématurée, dans les circonstances particulières de ce dossier.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier 543695-31-1406
ACCUEILLE le moyen préliminaire soulevé par le travailleur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 28 mai 2014 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE irrégulier le rapport complémentaire du médecin qui a charge émis le 20 février 2014 par le docteur Ringuet de même que le rapport final amendé du 11 mars 2014;
ANNULE les décisions de la CSST des 14 et 18 mars 2014 faisant suite au processus d’évaluation médicale irrégulier;
RETOURNE le dossier à la CSST pour qu’elle soumette le dossier du travailleur à la procédure d’arbitrage médical prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, au regard des cinq éléments prévus à l’article 212, et qu’elle rende les décisions en conséquence;
DÉCLARE que le travailleur a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles vu la nullité des décisions rendues les 14 et 18 mars 2014;
Dossier 523844-31-1310
SUSPEND l’audience relative à la contestation de l’employeur pour permettre à la CSST de soumettre le dossier du travailleur à la procédure d’évaluation médicale et de rendre les décisions appropriées;
RETOURNE le dossier au greffe de la Commission des lésions professionnelles;
CONVOQUERA à nouveau les parties, le cas échéant, à une audience sur le fond de la contestation déposée par l’employeur.
[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] Lors de l’audience, tant le tribunal que les parties ont cru, à tort, que la CSST n’avait pas rendu de décision à la suite de la contestation logée par l’employeur le 20 septembre 2013. La note évolutive du 7 novembre 2013 était pourtant explicite. Voir à cet effet les pages 23 et 24 du dossier de la Commission des lésions professionnelles.
[3] Il est probable que le docteur Ringuet ait eu en mains le rapport d’électromyogramme puisque le 2 juillet 2013 il y faisait référence dans son rapport médical.
[4] Voir par exemple sur cette question Bergeron et Fondations André Lemaire, C.L.P. 334647-71-0712, 9 avril f2009, J.-C. Danis.
[5] C.L.P. 376688-71-0904, 23 septembre 2010, L. Crochetière.
[6] Les Aliments O Sole Mio inc. et Abu-Eid, C.L.P.
[7] C.L.P.
[8] Mazda Chatel et Arseneault,
[9] C.L.P.
[10] C.L.P.
[11] Voir également sur cette question Trudel et Transelec/Common
inc., C.L.P.
[12] Le tribunal tient à souligner qu’aucun reproche ne peut être adressé à l’agente d’indemnisation de la CSST dans le traitement du dossier relativement à la procédure d’évaluation médicale. Elle s’est acquittée de ses tâches avec rigueur, justice et impartialité, selon le mérite réel du cas.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.