Gestion A. Blouin inc. c. Émond

2015 QCCA 1903

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-09-008773-142

(200-17-020808-143)

 

DATE :

16 novembre 2015

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

JULIE DUTIL, J.C.A.

GUY GAGNON, J.C.A.

 

 

GESTION A. BLOUIN INC.

APPELANTE - Défenderesse

c.

 

LOUISE ÉMOND, JÉSUEL ALBERNHE et MARIE-CLAUDE MARANDA

INTIMÉS - Demandeurs

et

JESSICA BORGIA

MISE EN CAUSE - Mise en cause

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelante appelle du jugement de la Cour supérieure (l'honorable Lise Bergeron), rendu le 26 septembre 2014, qui limite l'étendue de son hypothèque légale à la quote-part de l’intimé Jésuel Albernhe dans un immeuble qu'il détient en copropriété indivise avec les autres intimées. Le jugement conclut aussi à la radiation de cette sûreté sur remise à l'appelante de la partie du prix de vente de l'immeuble correspondant à cette quote-part.

[2]           Pour les motifs du juge Gagnon, auxquels souscrivent les juges Morissette et Dutil;

LA COUR :

[3]           Accueille le pourvoi à la seule fin de rayer la conclusion suivante du jugement de première instance :

[36]      DÉCLARE que la défenderesse doit consentir à la radiation de cet avis d’hypothèque légale sur paiement par la mise en cause de la somme de 31 398,44 $ correspondant à la part du demandeur Jésuel Albernhe dans le montant net revenant aux vendeurs;

[4]           MaintienT, pour le reste, les autres conclusions du jugement de première instance;

[5]           LE TOUT, avec dépens contre l'appelante.

 

 

 

 

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

JULIE DUTIL, J.C.A.

 

 

 

 

 

GUY GAGNON, J.C.A.

 

Me G. Marc Henry

Quessy, Henry

Pour l’appelante

 

Me Robert Allard

Dumas, Gagné

Pour les intimés

 

Date d’audience :

1er octobre 2015


 

 

MOTIFS DU JUGE GAGNON

 

 

[6]           L'appelante se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure (l’honorable Lise Bergeron), rendu le 26 septembre 2014[1], qui limite l’étendue de son hypothèque légale à la quote-part de l’intimé Jésuel Albernhe (« Albernhe ») dans un immeuble qu’il détient en copropriété indivise avec les autres intimées. Le jugement conclut aussi à la radiation de cette sûreté sur remise à l’appelante de la partie du prix de vente de l’immeuble correspondant à la quote-part d’Albernhe.

LES FAITS

[7]           Un jugement de la Cour supérieure, rendu le 29 octobre 2012[2], a condamné Albernhe à payer à l’appelante 64 363,41 $. Cette créance s’élèverait maintenant à plus de 100 000 $ en raison de l’effet galopant du taux d’intérêt annuel de 18 % calculé sur le solde en capital.

[8]           Les intimés sont les copropriétaires indivis d’un immeuble résidentiel acquis au prix de 360 000 $. En vue de garantir sa créance, l’appelante a publié sur cette propriété un avis d’hypothèque légale contenant la mention suivante :

L’hypothèque résultant du jugement ci-devant mentionné grève la part dont le débiteur [Albernhe] est titulaire dans l’immeuble et qui [en vertu du contrat de vente publié le 27 mai 2011 au bureau de la publicité des droits pour la circonscription foncière de Montmorency sous le numéro 18 162 866] est d’un tiers.[3]

[9]           En février 2014, les intimés reçoivent une offre d’achat pour leur immeuble au montant de 375 000 $. Informée de ce projet, l’appelante avise la notaire chargée de rédiger l’acte de vente de son intention de consentir à la radiation de son hypothèque seulement si sa créance était payée intégralement. En cas de vente, le montant censé revenir à Albernhe n’était que de 31 398,44 $, somme de beaucoup inférieure à la condamnation en capital et intérêts du 29 octobre 2012.

[10]        Pressentant l’émergence d’une difficulté réelle, les intimés ont choisi de demander à la Cour supérieure de se prononcer sur les droits des parties (art. 453 C.p.c.). Le débat devant cette instance a porté principalement sur le refus de l’appelante de radier son hypothèque, et ce, même si on lui remettait la totalité de la portion du prix de vente correspondant à la quote-part d’Albernhe.

[11]        Il faut aussi savoir que les intimés et les acheteurs ont signé un acte de préoccupation par lequel ils consentaient à reporter la vente de l’immeuble à une date future. Il était aussi prévu à cette convention que le paiement d’un loyer mensuel allait, le moment venu, servir d’acompte sur le prix de vente.

[12]        En appel, la Cour a été informée de l’abandon de l’offre d’achat par les acheteurs en raison notamment du conflit opposant les intimés à l’appelante. En dépit de cette nouvelle réalité, le pourvoi n’est pas devenu théorique pour autant vu la prétention de l’appelante selon laquelle sa sûreté lui conférerait un droit de suite, et ce, même dans le cas où l’indivision des intimés prendrait fin par la vente de l’immeuble à un tiers. Il est donc manifeste que les parties ont intérêt à ce que cette question soit tranchée pour l’avenir.

LE JUGEMENT A QUO

[13]        La juge explique que l’hypothèque légale est une mesure conservatoire. Elle rappelle que cette sûreté aurait pu être l’objet d’une requête en radiation si l’appelante s’était avisée de grever tout l’immeuble (art. 3063 C.c.Q.). Elle ajoute que l’affaire dont elle est saisie se distingue du cas de l’hypothèque conventionnelle négociée et consentie d’un commun accord par des indivisaires, situation qui obéit, pour partie du moins, à des règles différentes[4].

[14]        Selon la juge, c’est l’article 2679 C.c.Q. qui trouve application en l’espèce. Elle considère que les termes utilisés à cette disposition sont suffisamment larges pour inclure la vente de gré à gré avec un tiers. Comme aucun des indivisaires, y compris Albernhe, ne conserve de droit dans l’immeuble vendu, elle conclut que l’hypothèque légale de l’appelante doit être reportée sur la portion du prix de vente correspondant à la valeur de la quote-part du débiteur-copartageant, soit 31 398,44 $. En somme, la juge oppose à la règle du droit de suite l’exception du report prévu au deuxième alinéa de l’article 2679 C.c.Q.

[15]        L’appelante soutenait en première instance qu’une telle conclusion favoriserait la collusion entre indivisaires de mauvaise foi qui n’auraient qu’à vendre leur immeuble pour se « débarrasser » de leur créancier hypothécaire. La juge rejette cet argument en rappelant les mécanismes de protection prévus à la loi dont notamment celui de l’article 1021 C.c.Q.[5].

LE DROIT

[16]        L'appelante, dans son avis d'hypothèque légale, prend soin de préciser que sa sûreté ne « grève [que] la part dont le débiteur est titulaire dans l'immeuble »[6]. En dépit de cette mention, elle souhaite se voir reconnaître un droit prioritaire à celui des intimés qui, pour leur part, désirent aliéner l’immeuble libre de toute charge réelle.

[17]        En appel, elle explique que sa sûreté est indivisible et subsiste en entier sur la partie grevée détenue par son débiteur (art. 2662 C.c.Q.). De plus, elle soutient que l’aliénation de l’immeuble au profit d’un tiers n’équivaut pas à un « partage » et n’est pas non plus « attributif de propriété ». En somme et selon cette logique, l’appelante ne serait pas contrainte de reporter sa sûreté sur le prix de la cession devant normalement être payé au débiteur-copartageant.

[18]        Elle pousse son raisonnement jusqu’à prétendre que, lors de l’achat d’un bien indivis par un tiers, l’immeuble ainsi acquis, même dépouillé des attributs de l’indivision, conserverait les stigmates de l’hypothèque légale dans une proportion équivalente à l’ancienne quote-part du débiteur-copartageant.

[19]        La thèse de l’appelante ignore la règle du report de l’hypothèque sur le prix de la cession lorsque les indivisaires ne conservent aucun droit sur le bien cédé (art. 2679 al. 2 C.c.Q.). Avec égards, elle commet une erreur en écartant cette disposition de son raisonnement.

Les articles 1037 et 2679 C.c.Q.

[20]        Ce pourvoi met en exergue la portée de l'article 2679 C.c.Q. et, plus particulièrement, son deuxième alinéa. Il me faut donc déterminer si la juge a fait une application correcte du droit en concluant que cette disposition trouvait application dans le cas d’une vente de gré à gré d’un bien indivis à un tiers. Une lecture croisée des articles 1037 et 2679 C.c.Q. permet de répondre à la question en litige.

[21]        Je reproduis les deux dispositions en cause :

1037.  L'indivision cesse par le partage du bien ou par son aliénation.

1037.  Indivision ends by the partition or alienation of the property.

Si on procède au partage, les dispositions relatives au partage des successions s'appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires.

In the case of partition, the provisions relating to the partition of successions apply, adapted as required.

Néanmoins, l'acte de partage qui met fin à une indivision autre que successorale est attributif du droit de propriété.

However, the act of partition which terminates indivision, other than indivision by succession, is an act of attribution of the right of ownership.

2679. L'hypothèque sur une partie indivise d'un bien subsiste si, par le partage ou par un autre acte déclaratif ou attributif de propriété, le constituant ou son ayant cause conserve des droits sur quelque partie de ce bien, sous réserve des dispositions du livre Des successions.

2679. A hypothec on an undivided share of property subsists if, by reason of partition or other act declaratory or attributive of ownership, the grantor or his successor retains rights in some part of the property, subject to the Book on Successions.

Si le constituant ne conserve aucun droit sur le bien, l'hypothèque subsiste néanmoins, mais elle est reportée, selon son rang, sur le prix de la cession qui revient au constituant, sur le paiement résultant de l'exercice d'un droit de retrait ou d'un pacte de préférence, ou sur la soulte payable au constituant.

If the grantor does not retain any rights in the property, the hypothec nevertheless subsists and attaches, according to its rank, to the transfer price payable to the grantor, to the payment resulting from the exercise of a right of withdrawal or a first refusal agreement, or to the equalizing sum payable to the grantor.

[Je souligne.]

[22]        Avant 1994, le partage entre indivisaires était qualifié d’acte déclaratif avec portée rétroactive. Cette idée provenait d’une conception selon laquelle les règles régissant l’indivision trouvaient application essentiellement dans un contexte successoral. L’indivisaire qui, au terme du partage, devenait l’unique propriétaire du bien était présumé posséder cette qualité depuis le jour du décès marquant le début de l’indivision.

[23]        Cependant, l’hypothèque publiée sur une portion indivise de l’immeuble risquait de constituer une sûreté éphémère si le débiteur indivisaire ne se voyait pas remettre le bien par le jeu du partage des lots[7]. Les règles juridiques de l’époque invitaient au constat rétrospectif selon lequel, dans de telles conditions, un droit réel avait été publié « sur le bien d’autrui ».

[24]        L’auteur Pierre-Claude Lafond explique comment les tribunaux ont réagi face à cette situation :

1345 - Sous l’empire de l’ancien droit, le partage avait également pour conséquence directe la libération de toute hypothèque portant sur une portion indivise de l’immeuble, lorsque le débiteur-copartageant ne se voyait pas attribuer une partie de l’immeuble en question (art. 2021 C.c.B.C.). Par un jeu d’interprétation, les tribunaux avaient réussi à tempérer l’effet draconien produit par cette disposition, en restreignant la règle qui y est énoncée aux stricts cas de partage. L’hypothèque était maintenue dans le cas où l’immeuble était simplement vendu, soit de gré à gré, soit par une vente en justice qui ne suivait pas une demande de partage.[8]

[Je souligne.]

[25]        La jurisprudence[9] et la doctrine[10] ont choisi d’atténuer les effets contraignants d’une règle mal adaptée à un contexte manifestement plus étendu que celui de l’indivision résultant du décès. La réalité moderne du droit des biens imposait d’étendre les possibilités d’indivision à d’autres situations que les seuls cas de succession.

[26]        L’article 1037 C.c.Q. constitue en quelque sorte la réponse à une partie de la problématique vécue avant l’adoption du Code civil du Québec. À cette occasion, le législateur a choisi d’apporter une nette distinction entre le partage déclaratif réalisé dans un contexte successoral (art. 884 C.c.Q.) et celui survenu dans des circonstances autres que successorales. Ce dernier type de partage qualifié aussi d’attributif est, pour sa part, en raison de sa nature même, délesté de tout effet rétroactif.

[27]        Le législateur a aussi pris soin de préciser à l’article 1037 C.c.Q. que le partage n’était pas la seule façon de mettre fin à l’indivision, l’aliénation du bien conduisant également à ce résultat[11]. En matière d’indivision autre que successorale, il est logique d’inférer que la vente du bien[12] au profit d’un tiers fait disparaître les causes à l’origine de l’indivision, qu’elles soient légales ou conventionnelles (art. 1012 C.c.Q.). Il en résulte un partage implicite dont le seul véritable enjeu restant est la répartition du prix de vente entre indivisaires une fois déduits l’apport et la contribution de chacun[13].

[28]        Comme chacun des indivisaires a la capacité d’aliéner sa quote-part (art. 1015 C.c.Q.) et donc de l’hypothéquer, le législateur a aussi choisi de reporter cette sûreté sur le prix de la cession[14] dans les cas où le constituant (un indivisaire) ne conservait aucun droit sur le bien cédé (art. 2679 al. 2 C.c.Q.)

[29]        Le ministre de la Justice explique, au sujet de cet article, que « [l]e second alinéa, nouveau, est une codification jurisprudentielle de la décision Perras c. Banque Provinciale du Canada, [1956] B.R. 731, où l'on a admis la subrogation des droits du créancier hypothécaire dans le produit d'une licitation »[15].

[30]        En somme, l’interprétation développée par les tribunaux selon laquelle l’article 2021 C.c.B.-C. devait s’appliquer aux stricts cas de partage, excluant la situation de l’immeuble vendu de gré à gré, visait à éviter que l’hypothèque soit purgée dans les cas où le constituant ne conservait aucun droit sur le bien. Dans les mêmes circonstances, la règle énoncée au deuxième alinéa de l’article 2679 C.c.Q. met maintenant de l’avant un mécanisme de report de cette sûreté sur le prix de cession payable au constituant.

[31]        Cependant, ce mécanisme ne vise pas que les seules situations de partage à l’origine d’un acte attributif de propriété. L’article 2679 C.c.Q. s’applique aussi à tout « autre acte déclaratif ou attributif de propriété » comme, par exemple, celui d’une vente. À ce propos, la version anglaise du Code civil du Québec me semble explicite : « […], if, by reason of partition or other act declaratory or attributive of ownership, […] ».

[32]        Probablement en raison d’une rédaction qui aurait pu être plus heureuse, la doctrine a entretenu des sentiments partagés à l’égard de l’article 2679 C.c.Q.[16]. Même si les auteurs ne s’entendent pas sur le choix du législateur de regrouper dans un même article les différents concepts juridiques qui y sont énoncés, je n’ai toutefois pas perçu de véritable opposition à l’idée selon laquelle cette disposition s’appliquait aussi à des actes d’aliénation intervenus entre indivisaires et un tiers acquéreur.

[33]        Tout comme la juge de première instance, je suis donc d’avis que l’article 2679 C.c.Q. s’applique en l’espèce. J’estime toutefois que les faits mis en preuve ne soutiennent pas l’existence d’un partage proprement dit. La vente projetée de l’immeuble des intimés doit plutôt être rangée parmi les autres « acte[s] attributif[s] de propriété » qui, une fois réalisée, met fin à l’indivision. Je m’explique.

ANALYSE

[34]        C’est bien connu, nul n’est tenu de demeurer dans l’indivision (art. 1030 C.c.Q.). L’application de cette règle fondamentale en droit des biens obligeait le législateur à s’intéresser au sort de l’hypothèque portant sur une quote-part d’un bien indivis aliéné au profit d’un tiers. L’article 2679 C.c.Q. répond à cette préoccupation.

[35]        À sa lecture, on constate rapidement que la disposition en cause ne se concentre pas uniquement sur la notion de « partage ». Elle prévoit aussi le maintien de l’hypothèque sur le bien grevé dans les autres cas d’actes déclaratifs ou attributifs de propriété. À ce chapitre, les auteurs du Dictionnaire de droit privé considèrent qu'un acte attributif peut, selon le cas, être constitutif ou translatif[17]. Ils définissent ainsi ces notions :

Acte constitutif : Acte juridique dont l'objet est de créer un droit nouveau.[18]

Acte translatif de propriété : Acte translatif dont l'objet est de faire passer un droit de propriété d'un titulaire à un autre. Par ex., la vente, la dation en paiement.[19]

[Référence omise.] [Je souligne.]

[36]        Le Dictionnaire de droit québécois et canadien[20] ne s’écarte pas de ces concepts en qualifiant d’acte attributif celui qui « confère un droit à une personne ». Quant aux actes constitutifs et translatifs, voici ce que l’auteur écrit :

Acte constitutif : Acte juridique qui crée un état de droit nouveau ou qui modifie une situation juridique antérieure.[21]

Acte translatif : Acte juridique qui a pour effet de faire passer un droit d’un titulaire à un autre. Ex. La vente est un acte translatif de propriété.[22]

[Je souligne.]

[37]        Il est acquis au débat, à la différence du cas de l’hypothèque conventionnelle, que la sûreté en cause se limite qu’à la quote-part d’Albernhe. Rien dans la preuve ne permet à l’appelante d’entretenir l’ambition que son hypothèque légale pourrait s’étendre, même implicitement, à tout le bien indivis.

[38]        Or, selon l’article 1037 C.c.Q., l’aliénation du bien met fin à l’indivision. Si la vente de l’immeuble telle que projetée par les intimés se réalise en faveur d’un tiers, l’indivision se terminera sans plus de formalité.

[39]        Dans le présent cas, l’appelante a raison de soutenir que nous ne sommes pas en présence d’un véritable acte de partage. L’argument ne fait cependant pas avancer sa cause. Il faut plutôt retenir de la preuve que la fin de l’indivision est ici provoquée par la vente de l’immeuble à un tiers (art. 1037 al. 1 C.c.Q.). Comme on l’a vu précédemment, la vente d’un bien est attributive de propriété. Or, cette situation est spécifiquement prévue au premier alinéa de l’article 2679 C.c.Q.

[40]        Comme l’acte attributif concerné n’intervient pas dans un contexte de partage (art. 885 C.c.Q.), il n’est pas nécessaire de distinguer ce qui est « attributif » de ce qui est « translatif »[23]. Cela dit et au risque de formuler un truisme, je rappelle que la vente d’un bien à un tiers produit des effets translatifs même si cette opération n’est pas le résultat d’un partage.

[41]        Bref, une lecture appliquée du premier alinéa de l'article 1037 et de l'article 2679 C.c.Q. permet d’affirmer en cas d’aliénation d’un bien indivis que l’hypothèque portant sur la quote-part d’un indivisaire suivra le bien grevé si ce dernier conserve un droit sur une partie de ce bien. Dans le cas contraire, cette sûreté ne vaudra que sur le prix de la cession payable au constituant.

[42]        En l’espèce, les intimés voulaient vendre leur immeuble à des tiers, en l’occurrence un acte d’aliénation avec effet translatif. Il est également admis qu’au terme de l’exercice aucun intimé n’entendait conserver de droit sur le bien vendu. Les conditions du deuxième alinéa de l’article 2679 C.c.Q. allaient donc être réunies, c'est-à-dire l’existence d’un acte attributif de propriété dans lequel le constituant ne conserve aucun droit sur le bien aliéné et une sûreté ne grevant qu’une quote-part. Il n’en faut pas davantage pour que le report de l’hypothèque de l’appelante s’opère sur le prix de la vente (« […], to the transfer price payable to the grantor, […] » [24]).

[43]        Cela dit, la thèse avancée par l’appelante me paraît insoutenable tant du point de vue du droit que de la simple logique.

[44]        Tout d’abord, elle crée une injustice en proclamant l’idée qu’une hypothèque légale est susceptible de produire des effets sur un bien qui n’appartient pas en pleine propriété au débiteur (art. 2644 C.c.Q.). Ensuite, elle restreint le droit de propriété des autres indivisaires non visés par la créance hypothécaire (art. 1015 C.c.Q.). Elle incite aussi au maintien de l’indivision, et ce, contre le gré des indivisaires, incapables de se départir d’un immeuble accablé par un droit de suite dont l’étendue est indéfinissable (art. 1030 C.c.Q.). Mais plus fondamentalement encore, elle ignore la volonté du législateur voulant que l’aliénation du bien mette fin à l’indivision et nie les conséquences juridiques rattachées à ce résultat (art. 1037 et 2679 C.c.Q.).

[45]        De même, si on devait retenir la proposition de l’appelante, cela obligerait les copropriétaires indivis à procéder systématiquement à un partage formel du bien avant que la vente n’intervienne.

[46]        Finalement, et strictement d’un point de vue conceptuel, on imagine difficilement comment les effets de l’indivision pourraient perdurer à l’égard du bien vendu une fois que celui-ci est passé aux mains du nouvel acquéreur.

[47]        L’appelante ne manque pas d’invoquer les caractéristiques intrinsèques de l’hypothèque (art. 2660 C.c.Q.). Elle ne peut pour autant ignorer le régime d’exception prévu au deuxième alinéa de l’article 2679 C.c.Q. Le créancier qui souhaite protéger sa créance par la publication d’une hypothèque sur la quote-part indivise de son débiteur accepte du même coup la précarité qui accompagne cette démarche. Dans un tel contexte, il doit aussi comprendre que la réalisation de sa sûreté ne devrait pas excéder la valeur du prix de la cession de la quote-part de son débiteur à la condition bien entendu d’être en mesure d’identifier le produit de la vente dans le patrimoine de ce dernier.

CONCLUSION

[48]        L'appelante ne peut tenter de tirer profit de l'indivision des intimés en s'opposant à l'aliénation de l'immeuble à la seule fin stratégique de susciter le paiement en entier de sa créance alors que sa sûreté n'a manifestement pas cette étendue.

[49]        J’ajoute que sur un plan strictement pratique, les circonstances de l’espèce font voir que l'appelante peut, de toute façon, difficilement espérer obtenir plus que la valeur de la quote-part d’Albernhe. L'état des répartitions préparé par la notaire[25] contient l’inscription d’une sûreté prioritaire consentie par les intimés aux fins de garantir une créance institutionnelle d’une valeur substantielle susceptible d'accaparer une bonne partie du prix de vente de l’immeuble. Dans un tel contexte, l’attitude de l’appelante s’apparente à de l’obstruction.

[50]        En définitive, la juge a eu raison de conclure :

[21]      Dans l’affaire en l’espèce, ni Albernhe ni aucun des indivisaires ne conservent de droit dans le bien, celui-ci faisant l’objet d’une vente. Ainsi, en appliquant les dispositions du second alinéa de l’article 2679 C.c.Q., l’hypothèque légale se reporte sur le prix de la vente qui revient à Albernhe, soit sur le montant de 31 398,44 $.

[51]        Par ailleurs, les conclusions du jugement entrepris tenaient pour acquis que la vente de l’immeuble allait se réaliser, d’où l’ordonnance faite à l’appelante de radier son hypothèque sur remise des sommes correspondant au prix de cession pour la quote-part d’Albernhe. Cette conclusion est devenue sans objet, la vente projetée ne s’étant pas réalisée. Il y a donc lieu de la rayer du dispositif du jugement[26].

[52]        Je propose donc d’accueillir le pourvoi à la seule fin de rayer la conclusion 36 du jugement entrepris, mais avec dépens contre l’appelante, étant d’avis que, à l’époque, elle n’était pas justifiée de refuser de radier son hypothèque légale.

 

 

 

 

GUY GAGNON, J.C.A.

 



[1]     Émond c. Gestion A. Blouin inc., 2014 QCCS 4879 (« jugement entrepris »).

[2]     Gestion A. Blouin inc. c. Entrepreneur paysagiste Pro-Paysage (2006) inc., 2012 QCCS 5935 (rectifié le 14 janvier 2013).

[3]     Avis d’hypothèque légale publié le 19 mars 2013 et enregistré sous les numéros 19 804 846 et 19 733 119, Pièce P-3.

[4]     Voir notamment Pierre-Claude Lafond, Précis de droit des biens, 2e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 2007, no 1346, p. 568.

[5]     Voir aussi art. 1037 al. 2 et 864 C.c.Q.

[6]     Avis d'hypothèque légale, supra, note 3.

[7]     Art. 2021 C.c.B.-C.

[8]     P.-C. Lafond, supra, note 4, nos 1345-1346, p. 571.

[9]     Voir notamment Gagnon c. Paquette, [1988] R.D.I. 202 (C.S.); Fortier c. Brisson, [1991] R.D.I. 324 (C.S.).

[10]    P.-C. Lafond, supra, note 4, no 1345, p. 571.

[11]    P.-C. Lafond, supra, note 4, no 1350, p. 575. Voir aussi Sylvio Normand, Introduction au droit des biens, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2014, section 1.4.1.5, p.164; Denys-Claude Lamontagne, Biens et propriété, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, no 361, p. 262.

[12]    Selon le dictionnaire Vocabulaire juridique, l’aliénation est une opération translative susceptible de prendre plusieurs formes dont notamment celle de la vente, de la donation ou encore de l’échange. Voir Gérard Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, 10e éd., Paris, Presses Universitaires de France, 2014, p. 54, à l’entrée « Aliénation ». Voir aussi France Allard et al., Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues : les obligations, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p. 17, à l’entrée « Aliénation ».

[13]    Je n’exprime pas d’opinion à l’égard des autres formes d’aliénation.

[14]    …ou sur le paiement résultant de l’exercice d’un droit de retrait (art. 1022 C.c.Q.), d’un pacte de préférence (art. 1033 C.c.Q.) ou encore sur la soulte payable au constituant (art. 2679 al. 2 C.c.Q.)

[15]    Québec, Ministère de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice : le Code civil du Québec, t. 2, Québec, Publications du Québec, 1993, p. 1678.

[16]    Lucie Laflamme, La copropriété par indivision, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2007, nos 139-140, p. 39. Voir aussi P.-C. Lafond, supra, note 4, nos 1339-1348, p. 567-570; François Frenette, « L’état du droit des biens au cinquième anniversaire du Code civil du Québec », dans Service de la formation permanente, Barreau du Québec, La réforme du Code civil, cinq ans plus tard, vol. 113, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, 81, à la p. 85; D.-C. Lamontagne, supra, note 11, no 368, p. 265; Louis Payette, Les sûretés réelles dans le Code civil du Québec, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, no 538, p. 242; Marc Boudreault, Les sûretés, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2014, no 498.2, p. 245.

[17]    F. Allard et al., supra, note 12, p. 7, à l’entrée « Acte attributif ».

[18]    Ibid., p. 8.

[19]    Ibid., p. 13.

[20]    Hubert Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, p. 14.

[21]    Ibid., p. 14.

[22]    Ibid., p. 19.

[23]    P.-C. Lafond, supra, note 4, no 1341, p. 568.

[24]    Art. 2679 al. 2 C.c.Q.

[25]    État des répartitions du 28 juillet 2014, Pièce P-6.

[26]    Il s’agit de la conclusion contenue au paragraphe 36 du jugement entrepris.

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