Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Olymel Vallée-Jonction

2014 QCCLP 165

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

13 janvier 2014

 

Région :

Chaudière-Appalaches

 

Dossier :

489452-03B-1212

 

Dossier CSST :

136696291

 

Commissaire :

Sophie Sénéchal, juge administratif

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Olymel Vallée-Jonction

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 5 décembre 2012, Olymel Vallée-Jonction (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) du 29 novembre 2012, rendue à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue initialement le 9 octobre 2012 et déclare que l’imputation du coût des prestations de la lésion professionnelle du 25 mars 2010 subie par monsieur Michel Dulac (le travailleur) demeure inchangée.

[3]           L’employeur ayant renoncé à la tenue d’une audience, la présente décision est rendue conformément à l’article 429.14 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et tenant compte de l’argumentation écrite de la procureure de l’employeur.

 

[4]           Le dossier est mis en délibéré à compter du 12 novembre 2013.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]           L’employeur demande un transfert partiel des coûts imputés à son dossier concernant la lésion professionnelle du 25 mars 2010. Il demande le retrait de son dossier des coûts relatifs aux versements de l’indemnité de remplacement du revenu pour la période du 19 mai au 30 août 2010.

LES FAITS

 

[6]           À l’époque pertinente, le travailleur occupe un poste de journalier à l’établissement de l’employeur, une entreprise se spécialisant dans l’abattage et la transformation du porc.

[7]           Le 23 novembre 2009, il subit un accident du travail. Le diagnostic reconnu est celui d’épitrochléite droite.

[8]           La lésion professionnelle est consolidée le 14 janvier 2010, sans atteinte permanente à l’intégrité physique ni limitations fonctionnelles. Le travailleur reprend ses tâches de journalier.

[9]           Il subit une récidive, rechute ou aggravation à compter du 25 mars 2010. Le diagnostic est toujours celui d’épitrochléite droite.

[10]        Il est suivi par le docteur Clément Morin, lequel dirige le travailleur en orthopédie.

[11]        C’est ainsi que le 2 avril 2010, il est examiné par le docteur Simon Beaudoin, orthopédiste.

[12]        À la suite de son examen, le docteur Beaudoin confirme le diagnostic d’épitrochléite droite. Il prescrit des traitements de physiothérapie.

[13]        Le docteur Beaudoin autorise également une assignation temporaire telle que proposée par l’employeur au département de la coupe ou de l’abattage. Plus spécifiquement, le docteur Beaudoin est d’accord avec le fait que le travailleur puisse emballer des flancs (coupe), placer des intestins (abattage) ou vérifier les têtes (coupe).

[14]        Aucune période précise n’est déterminée pour la durée de cette assignation temporaire.

[15]        Le 19 mai 2010, le travailleur consulte le docteur Germain Savard. Il s’agit d’une consultation pour une condition médicale sans lien avec la lésion professionnelle du 25 mars 2010.

[16]        Le docteur Savard produit un billet médical dans lequel il précise que le travailleur devra s’absenter du travail pour la période du 19 mai au 7 juin 2010, en raison d’un problème de santé.

[17]        Le 27 mai 2010, le docteur Morin rédige une note précisant que cette absence sera prolongée pour une durée indéterminée.

[18]        Par ailleurs, le même jour, le docteur Morin produit un rapport médical final consolidant l’épitrochléite droite, sans atteinte permanente à l’intégrité physique mais avec des limitations fonctionnelles, celles-ci devant être émises pour une période de six mois.

[19]        Le 8 juin 2010, il produit un rapport d’évaluation médicale. Il détermine des limitations fonctionnelles et suggère une réaffectation de tâches.

[20]        Le même jour, le travailleur est examiné par la docteure Suzanne Lavoie, physiatre, à la demande de l’employeur. À la suite de son examen, elle ne détermine aucune limitation fonctionnelle.

[21]        Le dossier du travailleur est donc acheminé au Bureau d'évaluation médicale sur la question des limitations fonctionnelles.

[22]        Le 29 juillet 2010, au regard de la condition médicale personnelle, le docteur Morin produit un billet médical dans lequel il indique que le travailleur sera apte au travail le 30 août 2010.

[23]        Le 11 août 2010, l’employeur formule une demande de transfert de l’imputation pour la période au cours de laquelle le travailleur n’a pu occuper l’assignation temporaire en raison de sa condition médicale personnelle.

[24]        Le 25 août 2010, le travailleur est examiné par le docteur Jean-Pierre Dalcourt, membre du Bureau d'évaluation médicale.

[25]        À la suite de son examen, le docteur Dalcourt reconnaît l’existence de limitations fonctionnelles en relation avec la lésion professionnelle du 25 mars 2010.

[26]        Le 9 septembre 2010, le docteur Morin produit un nouveau rapport médical final, consolidant la lésion professionnelle le 13 septembre 2010.

[27]        Le 15 septembre 2010, le travailleur revoit le docteur Beaudoin, lequel constate l’échec des traitements conservateurs. Il souligne toutefois le fait que le travailleur n’a pu bénéficier de traitements de physiothérapie, tel que prescrit. L’option chirurgicale est écartée.

[28]        Entre-temps, le 10 septembre 2010, la CSST rend une décision à la suite de l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale. Cette décision est maintenue au stade de la révision administrative.

[29]        Le 20 octobre 2010, l’agent de la CSST indique ce qui suit aux notes évolutives du dossier :

Titre : Application de la décision de la RA

 

- ASPECT LÉGAL :

>   Appel fait à l’employeur qui me confirme la période d’arrêt de travail, soit du 19 mai 2010 au 12 septembre 2010 pour une condition personnelle.  ET présentera donc une demande de désimputation.

 

>   Retour au travail à temps plein le 13 septembre 2010, Il est présentement au département d’expédition.

 

>   Appel fait au T. qui me confirme le retour à son emploi sans problème pour le moment.

 

Application de la décision :

 

>   Modification de l’admissibilité

>   Inscription de la date d’arrêt de travail (25 mars 2010), de retour au travail (13 septembre 2010), la capacité reste à déterminer selon les LF.

>   Aucune période obligatoire à autorisée puisque le T. était en assignation temporaire;

>   Autorisation des indemnités du 19 mai 2010 au 12 septembre 2010.

>   Aucun frais à réclamer selon le T., il n'a pas procéder à ses traitements de physio.

>   Dossier transféré en réadaptation pour détermination de la capacité. [Sic]

 

 

[30]        Le 14 janvier 2011, la CSST rend une décision par laquelle elle statue sur le droit à la réadaptation du travailleur. Cette décision est confirmée au stade de la révision administrative.

[31]        Le 26 mai 2011, la CSST rend une décision par laquelle elle détermine que le travailleur a la capacité d’exercer l’emploi convenable d’alimentation de la table de flancs, disponible chez l’employeur, à compter du 24 mai 2011.

[32]        Le 9 octobre 2012, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse la demande de transfert de l’imputation. L’employeur demande la révision de cette décision.

[33]        Le 29 novembre 2012, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative. Elle confirme son refus d’accorder un transfert de l’imputation.

[34]        L’employeur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre de cette décision, d’où le présent litige.

L’argumentation des parties

[35]        La procureure de l’employeur plaide que l’employeur n’a pas à être imputé du coût des prestations de la lésion professionnelle du 25 mars 2010 pour la période du 19 mai au 30 août 2010. Au cours de cette période, le travailleur n’a pu poursuivre son assignation temporaire en raison d’une condition médicale personnelle, sans lien avec la lésion professionnelle du 23 mars 2010[2].

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[36]        Le tribunal doit statuer sur la demande de transfert de l’imputation de l’employeur produite le 11 août 2010.

[37]        Il convient d’abord de référer à l’article 326 de la loi, lequel se lit comme suit:

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

[38]        De façon générale, la CSST impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

[39]        Selon certaines conditions, elle peut procéder à une imputation différente du principe général.

[40]        En effet, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, la CSST peut imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

[41]        Le deuxième alinéa de l’article 326 a fait l’objet d’une abondante jurisprudence, particulièrement en ce qui concerne la situation où l’employeur se dit obéré injustement par une imputation faite en vertu du principe général établi par le premier alinéa.

[42]        Une décision récente de la Commission des lésions professionnelles[3] apporte un éclairage intéressant quant à l’analyse de ces demandes de transfert et particulièrement celles visant, comme en l’espèce, un transfert partiel de coûts plutôt qu’un transfert total de ceux-ci.

[43]        Après une analyse des principes d’interprétation et de l’abondante jurisprudence sur la question, la Commission des lésions professionnelles résume ses conclusions comme suit :

[131]     En résumé, le tribunal retient de son analyse que l’exception au principe général d’imputation prévue au deuxième alinéa de l’article 326 de la loi, en regard de la notion d’obérer injustement, ne s’applique qu’à l’égard des demandes de transfert total de coûts qui visent généralement des situations liées à l’admissibilité même de l’accident du travail. Dans de tels cas, la notion « d’obérer injustement » ne fera pas l’objet d’interprétations contradictoires puisque la proportion significative des coûts devant être démontrée dans le cadre de telles demandes sera facilement établie puisqu’il s’agira de la totalité de ceux-ci.

[132]     Par ailleurs, les demandes de transfert partiel de coûts doivent plutôt être analysées en vertu du premier alinéa de l’article 326 de la loi afin de déterminer si les prestations ont été ou non imputées en raison de l’accident du travail. Il n'y a pas de délai pour produire une telle demande et l'employeur doit alors démontrer que les prestations qu'il souhaite faire retirer de son dossier financier ne sont pas en lien direct avec l'accident du travail.

[notre soulignement]

 

[44]        Dans la cause sous étude, le travailleur subit une lésion professionnelle le 25 mars 2010, soit une épitrochléite droite. Il s’agit d’une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle du 23 novembre 2009, découlant d’un accident du travail.

[45]        La preuve révèle que dès le 2 avril 2010, l’orthopédiste Beaudoin autorise une assignation temporaire aux départements de la coupe et de l’abattage et ce, pour une période indéterminée.

[46]        La preuve révèle également que le travailleur occupe cette assignation temporaire mais qu’à compter du 19 mai 2010, il doit cesser de l’occuper. Cette cessation découle d’une condition médicale personnelle, sans lien avec la lésion professionnelle du 25 mars 2010.

[47]        Le docteur Savard indique d’abord que cet arrêt de travail, pour un problème de santé personnelle, est prévu jusqu’au 7 juin 2010. Toutefois, la preuve soumise permet de constater que cet arrêt de travail sera prolongé pour une période indéterminée par le docteur Morin et que le 29 juillet 2010, ce dernier indiquera que le travailleur sera apte au travail le 30 août 2010.

[48]        Ceci, dans un contexte où dès le 27 mai 2010, le docteur Morin fournit un rapport médical final indiquant qu’il y a consolidation de la lésion professionnelle du 25 mars 2010.

[49]        Avec respect, cette consolidation le 27 mai 2010 ne fait pas en sorte de mettre fin d’emblée à l’assignation temporaire préalablement autorisée par le docteur Beaudoin.

[50]        L’article 179 de la loi prévoit d’ailleurs qu’un employeur peut assigner temporairement un travail à un travailleur en attendant qu’il redevienne capable d’exercer son emploi ou devienne capable d’exercer un emploi convenable et ce, même si sa lésion professionnelle n’est pas consolidée.

[51]        Il est donc possible pour un travailleur d’être assigné temporairement à un travail, alors que sa lésion professionnelle est consolidée mais que l’on attende de déterminer sa capacité d’occuper son emploi ou un emploi convenable. Ceci, en autant que l’assignation temporaire soit dûment autorisée par le médecin qui a charge.

 

 

[52]        Dans le présent dossier, c’est le 25 août 2010 que le travailleur est examiné par le membre du Bureau d'évaluation médicale, le docteur Dalcourt, pour la détermination des limitations fonctionnelles.

[53]        Selon le billet médical du docteur Morin du 29 juillet 2010, c’est à compter du 30 août 2010 que le travailleur est apte au travail, à la suite de sa condition médicale personnelle et selon les notes de l’agent de la CSST, dès le 13 septembre 2010, le travailleur est de retour à un travail à temps plein au département de l’expédition.

[54]        La preuve prépondérante permet de conclure que n’eût été de la cessation de travail du 19 mai 2010, pour des raisons de santé non reliées à la lésion professionnelle, et prolongée par la suite jusqu’au 30 août 2010, le travailleur aurait pu poursuivre l’assignation temporaire au département de la coupe ou de l’abattage autorisée dès le 2 avril 2010 par le docteur Beaudoin pour une période indéterminée.

[55]        Ainsi, le tribunal est d’avis qu’il n’y a pas lieu d’imputer au dossier de l’employeur les coûts reliés au versement de l’indemnité de remplacement du revenu pour la période du 19 mai au 30 août 2010.

[56]        Et comme l’indique la Commission des lésions professionnelles dans la décision Supervac précitée, une telle façon d’interpréter et d’appliquer l’article 326 ne remet pas en cause le droit du travailleur à l’indemnité de remplacement du revenu. Cette interprétation ou cette application a plutôt pour effet de constater que le versement de celle-ci, pour la période mentionnée, découle d’une situation étrangère à la lésion professionnelle. En ce sens, les coûts de cette indemnité de remplacement du revenu ne sont pas dus en raison d’un accident du travail, mais d’une situation étrangère à la lésion professionnelle.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête déposée le 5 décembre 2012 par Olymel Vallée-Jonction, l’employeur;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du 29 novembre 2012, rendue à la suite d’une révision administrative;

ET

DÉCLARE qu’Olymel Vallée-Jonction ne doit pas être imputé du coût de l’indemnité de remplacement du revenu versée à monsieur Michel Dulac, le travailleur, pour la période du 19 mai au 30 août 2010.

 

 

 

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Sophie Sénéchal

 

 

 

 

Me Joanie Simard

CAIN LAMARRE CASGRAIN WELLS

Représentante de la partie requérante

 

 

 



[1]           L.R.Q. c. A-3.001.

[2]          Portes Cascade inc., C.L.P. 180560-62B-0203, 19 décembre 2002, Alain Vaillancourt; Hôpital du Haut-Richelieu, C.L.P. 384572-62A-0901, 14 juillet 2010, E. Malo, rectification 13 septembre 2010.

[3]           Supervac 2000, 2013 QCCLP 6341, requête en révision judiciaire déposée 26 novembre 2013.

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