CSSS Jeanne Mance et Danier |
2012 QCCLP 5795 |
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Dossier 449049-71-1109
[1] Le 9 septembre 2011, CSSS Jeanne-Mance (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 26 mai 2011, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 21 avril 2011 et déclare que madame Marie-Dominique Danier (la travailleuse) a subi une lésion professionnelle le 15 mars 2011 dont le diagnostic est contusion et tendinite épaule droite.
Dossier 456375-71-1112
[3] Le 2 décembre 2011, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 11 novembre 2011, à la suite d'une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu'elle a initialement rendu le 19 septembre 2011 et déclare que le nouveau diagnostic de déchirure à l’insertion du tendon du sus-épineux de l’épaule droite est consécutive à l’événement du 15 mars 2011.
[5] L’audience s’est tenue le 11 juillet 2012 en présence de l’employeur, de la travailleuse et de leurs représentants. La cause a été mise en délibéré le même jour.
L’OBJET DES CONTESTATIONS
Dossier 449049-71-1109
SUR LA QUESTION PRÉLIMINAIRE
[6] Comme mentionné sur l'avis de convocation, la requête déposée par l'employeur devant la Commission des lésions professionnelles, le 9 septembre 2011, l’a été à l’extérieur du délai prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). Il faut donc, avant d'aller plus loin, se prononcer sur la recevabilité de cette requête.
[7]
À cet égard, l'employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de le relever de son défaut d'avoir déposé la requête
dans le délai prévu à l'article
[8] Sur le fond du litige, l'employeur demande de déclarer que la travailleuse n'a pas subi une lésion professionnelle puisque la chute qui a entraîné sa blessure à l'épaule est reliée à une condition personnelle et non au travail.
Dossier 456375-71-1112
[9] Si la Commission des lésions professionnelles fait droit à la requête de l'employeur dans le premier dossier, la deuxième décision devient caduque.
L’AVIS DES MEMBRES SUR LA QUESTION PRÉLIMINAIRE
[10] Le membre issu des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales partagent le même avis. Selon eux, l'employeur a démontré par une preuve probante qu'il a reçu la décision du 26 mai 2011, le 6 septembre 2011. Sa requête logée le 9 septembre 2011 est donc recevable.
LES FAITS ET LES MOTIFS SUR LA QUESTION PRÉLIMINAIRE
[11] Du dossier et du témoignage de madame Andréa Castilho, agente de gestion chez l’employeur, la Commission des lésions professionnelles retient les faits suivants.
[12] Le 21 avril 2011, la CSST avise l'employeur qu'elle accepte la réclamation de la travailleuse pour un événement survenu le 15 mars 2011. La lettre est adressée à madame Johanne Bellemare, Manoir de L'Âge d'or, 1200 avenue Papineau, suite 301 Montréal (Québec) H2K 4R5.
[13] Le 5 mai 2011, madame Castilho, agente de gestion du personnel pour l'employeur, conteste la décision. L'adresse de l'employeur sur l'en-tête de la lettre est la même que celle sur la lettre d'admissibilité de la CSST.
[14] Le 26 mai 2011, madame France Rouisse de la Révision administrative de la CSST transmet sa décision. La lettre est envoyée à l'employeur à l'adresse suivante : Monsieur Johanne Bellemare Manoir de l'Âge d'or, 1200 avenue Papineau, bureau 1200 Montréal (Québec) H2K 4R5.
[15] Vers le 6 septembre 2011, l'employeur reçoit la décision rendue le 26 mai précédent par la CSST. Cette décision est dans une enveloppe ouverte sur laquelle on a ajouté un collant indiquant « adresse incomplète renvoi à l'expéditeur ». Il est aussi écrit à la main « France Rouisse Bleury ».
[16] Sur la dernière page de la décision où se retrouvent les coordonnées de la travailleuse et de l'employeur, on peut constater que l'adresse a été corrigée ainsi que les numéros de téléphone pour joindre l'employeur.
[17] La Commission des lésions professionnelles constate donc que la décision transmise le 26 mai 2011 ne s'est pas rendue dans le délai normal à l'employeur, à cause d'une erreur de la CSST quant aux coordonnées de l'employeur.
[18] Il est donc plausible que l'employeur n'ait reçu la décision que le 6 septembre 2011, comme l'indique le tampon dateur sur la lettre.
[19]
L'article
359. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358 peut la contester devant la Commission des lésions professionnelles dans les 45 jours de sa notification.
__________
1985, c. 6, a. 359; 1992, c. 11, a. 32; 1997, c. 27, a. 16.
[20] Ainsi, si on considère que la notification est la prise de connaissance de la décision, il faut retenir que ce n'est que le 6 septembre 2011 que la décision du 26 mai 2011 a été notifiée à l'employeur.
[21] Sa contestation de la décision a donc été faite dans le délai imparti dans la loi et est recevable.
LES FAITS
[22] Au début de l'audience, les parties ont déposé les admissions suivantes :
1. Madame Danier est à l’emploi du CSSS Jeanne-Mance;
2. Elle est préposée aux bénéficiaires sur appel. À ce titre, elle donne des soins d’hygiène, d’alimentation et de confort aux résidents;
3. Elle bénéficie d’une pause-repas de 45 minutes et de deux pauses de 15 minutes par quart de travail;
4. Avant mars 2011, la travailleuse admet avoir eu des migraines et/ou céphalées de façon régulière, 1 à 2 fois par mois, depuis plusieurs années. Les premières notes de consultation à ce sujet (au dossier) sont de 2007;
5. La travailleuse admet qu’elle avait alors des douleurs à la tête, une sensibilité à la lumière et/ou au bruit. Ces épisodes duraient quelques jours;
6. La travailleuse admet avoir consulté des médecins à quelques reprises avant mars 2011 pour des migraines et/ou céphalées;
7. La travailleuse admet avoir subi un CT-scan cérébral (environ 2008) et avoir bénéficié de médication avant mars 2011;
8. La travailleuse admet s’être déjà absentée du travail en raison de migraines et/ou céphalées;
9. Vers le 12 mars 2011, la travailleuse admet avoir souffert d’une migraine. Les symptômes ont été présents également les 13 et 14 mars 2011;
10. Le 15 mars 2011, la travailleuse travaillait sur le quart de soir. Elle avait une « grosse migraine », avec douleur frontale pulsative et une sensibilité à la lumière;
11. Elle a pris de la médication, Tylenol;
12. Pendant tout le quart de travail, elle admet avoir eu des maux de tête;
13. Lors d’une pause, elle prend l’ascenseur. Elle admet s’être alors sentie faible et étourdie. Elle avait des maux de tête intense;
14. La travailleuse a perdu conscience, a fait une chute. Lors de cette chute, elle s’est cogné l’épaule droite;
15. C’est la première fois que la travailleuse perdait conscience lors d’une migraine;
16. Quelques minutes plus tard, elle a été examinée à l’Hôpital Jean-Talon. Le médecin a diagnostiqué et traité une migraine en plus de diagnostiquer une contusion à l’épaule droite. La travailleuse admet avoir eu son congé après que les maux de tête aient diminué d’intensité;
17. Le 23 mars 2011, la travailleuse admet avoir consulté à l’hôpital Santa Cabrini. Elle est examinée pour son épaule droite et pour des migraines et/ou céphalées;
18. Un premier certificat médical sur un formulaire CSST a été complété le 28 mars 2011;
19. La réclamation du travailleur a été complétée et signée par la travailleuse le 31 mars 2011;
20. Par la suite, la travailleuse a reçu des traitements pour son épaule droite, pour des diagnostics de contusion, tendinite puis déchirure du tendon épineux de l’épaule droite.
21. La travailleuse admet avoir eu de nouveaux épisodes de migraines/céphalées après mars 2011.
Signé le 11 juillet 2012
[23] En fait, les faits ne sont pas contestés. La travailleuse se blesse le 15 mars 2011 lorsqu’elle revient de sa pause. Elle prend l'ascenseur et s'évanouit à cause d'une migraine importante. C'est en tombant qu'elle se frappe l'épaule droite.
[24] Le diagnostic initial, accepté par la CSST comme lésion professionnelle, est contusion et tendinite à l'épaule droite.
[25] Le 12 mai 2011, l’imagerie par résonance magnétique de l’épaule droite révèle notamment une petite déchirure focale partielle intra substance à l’insertion du tendon du sus-épineux antérieur distal.
[26] Le 23 juin 2011, le médecin qui a charge, la docteure Thuy Nhien Dang, retient un diagnostic de « déchirure à l'insertion du tendon du sus-épineux ». Le 19 septembre 2011, la CSST accepte la relation entre ce nouveau diagnostic et l'évènement du 15 mars 2011.
L’AVIS DES MEMBRES
[27] Le membre issu des associations d’employeurs accueillerait la requête de l'employeur. Il est d'avis que la lésion découle d'une condition personnelle et ne peut être considérée comme reliée au travail.
[28] Le membre issu des associations syndicales retient que c'est la chute qui est l'événement imprévu et soudain qui a causé la blessure de la travailleuse. Celle-ci étant survenue à l'occasion du travail, il en découle qu'il s'agit d'une lésion professionnelle. Il rejetterait la requête de l'employeur.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[29] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a subi un accident du travail le 15 mars 2011.
[30] Quelques remarques s'imposent avant de décider du fond de l'affaire.
[31] La loi prévoit, à l'article 28, une présomption de lésion professionnelle si une blessure survient à l'occasion et sur les lieux du travail. En l'espèce, il n'y a pas lieu de discuter de cette disposition puisqu’une des conditions n'est pas rencontrée. En effet, il est évident que la lésion n'est pas survenue par le fait du travail puisque la travailleuse ne donnait pas des soins à des bénéficiaires au moment de l'événement, mais revenait de sa pause et était dans l'ascenseur.
[32] La travailleuse ne prétend pas qu'il s'agit d'une maladie professionnelle, cette notion ne sera donc pas analysée.
[33] Enfin, l'employeur ne remet pas en cause la relation entre les blessures à l'épaule et la chute. Il prétend plutôt qu'il ne s'agit pas d'un accident du travail, la chute n'étant pas survenue, selon lui, à l'occasion du travail.
[34]
La lésion professionnelle est ainsi définie à l'article
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[35]
On retrouve aussi à l'article
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[36] Pour pouvoir conclure à l’existence d’un accident du travail, la preuve doit donc démontrer des éléments suivants :
1. un événement imprévu et soudain
2. attribuable à toute cause
3. survenant à une personne par le fait ou à l’occasion du travail
4. relation entre la lésion et l’événement imprévu et soudain
5. Présence d’une blessure ou d’une maladie.
[37] L’expression « à l’occasion du travail », retrouvée à la définition d’« accident du travail ». a donné lieu à une abondante jurisprudence par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles et, ensuite, par la Commission des lésions professionnelles.
[38] Il ressort de cette jurisprudence que pour conclure à un accident du travail, il faut que la blessure soit survenue à l'occasion d'une activité rattachable à une finalité incidente, accessoire ou facultative au travail ou dont la finalité est rattachable de façon incidente accessoire ou facultative au travail.
[39] Il convient ici de reprendre les termes de la Cour d'appel dans l'affaire Lajoie[2] :
[26] À l'article
« lésion professionnelle» : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
« accident du travail» : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
[27] Ces dispositions utilisent un langage à large portée et s'inscrivent dans la philosophie de base d'une loi dont l'objectif social et les effets porteurs de remèdes sont depuis longtemps reconnus. L'article 1 dispose dans son premier alinéa:
La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
[…]
[38] Pareille démarche occulte littéralement un des éléments essentiels du système d'indemnisation mis en place par le législateur. Sauf l’exception expressément prévue à la Loi, et sur laquelle je reviendrai sous peu, l’existence d’un accident de travail est indépendante de la responsabilité de quiconque. Le législateur est formel à ce sujet :
2. […]
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
[39] Par une conclusion de fait, sur laquelle il n'y a certes
pas lieu de revenir, la CLP a établi qu'il y avait, au sens de la LATMP, un lien générateur de droit qui s’était établi en faveur de l'appelant au moment de la
découverte du détonateur défectueux. Tout l'exercice de décomposition des faits
qui suivent cette découverte devient, d'une certaine façon, superflu, dans la
mesure où il ne permet pas de donner ouverture à l'application de l'article
27. Une blessure ou une maladie qui survient uniquement à cause de la négligence grossière et volontaire du travailleur qui en est victime n'est pas une lésion professionnelle, à moins qu'elle entraîne le décès du travailleur ou qu'elle lui cause une atteinte permanente grave à son intégrité physique ou psychique.
[40] L'exception que prévoit cet article ne peut recevoir application en l'espèce puisque, même en supposant que l'accident ait été causé par la négligence grossière et volontaire du travailleur, une occurrence que la CLP met elle même de côté, la présence de l'atteinte permanente grave à l'intégrité physique de l'appelant (il a perdu le pouce et plusieurs doigts de la main gauche) fait obstacle à sa mise en œuvre. En somme, la conclusion de la CLP portant sur la rupture du lien générateur de droit ne peut prendre appui sur quelque assise juridique valable. Bien au contraire, elle heurte de plein fouet le texte et l'esprit de la Loi qui veulent qu’un «événement soudain et imprévu attribuable à toute cause» donne ouverture à une indemnisation du moment où il survient «à l’occasion du travail », c’est-à-dire lorsqu'il est relié à l’emploi, comme en l’espèce.
(Notre soulignement)
[40] Cette notion d’« accident à l’occasion du travail » n’est pas définie dans la loi, mais la jurisprudence permet d’identifier certains éléments susceptibles de préciser et de qualifier un événement d’accident survenu à l’occasion du travail. Ces critères sont rappelés dans l’affaire Constantin et STCUM[3] :
- Le lieu de l’événement;
- le moment de l’événement;
- la rémunération de l’activité exercée par le travailleur au moment de l’événement;
- l’existence et le degré d’autorité ou de subordination de l’employeur lorsque l’événement ne survient ni sur les lieux du travail, ni durant les heures de travail;
- la finalité de l’activité exercée au moment de l’événement, qu’elle soit incitante, accessoire ou facultative aux conditions de travail du travailleur;
- l’utilité relative de l’activité exercée par le travailleur en regard de l’accomplissement de son travail.
[41] Il n’est toutefois pas nécessaire que tous ces éléments soient simultanément réunis pour qu’il soit permis de conclure à l’existence d’un lien de connexité avec le travail et aucun d’eux n’est à lui seul décisif. Chaque cas doit plutôt être apprécié en fonction de l’ensemble des circonstances qui lui sont propres.
[42] Ainsi, dans l'affaire Madeleine Lapierre et Alimentation Daniel Landry inc., le juge administratif Dubois discute ainsi de la portée des mots à l'occasion du travail : [4]
[25] Le critère utilisé consiste à se demander si le travail de la victime a été le prétexte sans lequel l’accident ne serait pas survenu. Dans l’affaire Québec Téléphone c C.A.L.P. la travailleuse se blesse pendant sa pause-santé alors qu’elle est sur la voie publique en se rendant à un restaurant pour chercher son repas. On y indique qu’il n'est pas nécessaire que le travailleur doive obligatoirement obéir à une dictée précise ou générale comme une directive ou une habitude de travail. Il n'est pas davantage nécessaire qu'il soit sous la surveillance de son supérieur au moment de l'accident.
[26] Dans le présent cas, on retrouve une certaine similitude avec cette affaire puisque l’événement, qui a donné naissance à la maladie est survenu entre autres, lors des déplacements de la travailleuse à l’occasion de ses pauses santé rémunérées ou périodes de repas.
[27] La Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’il y a lieu d’appliquer à la présente cause les principes énoncés particulièrement dans l’affaire Québec Téléphone c. C.A.L.P., comme si tout au long cité, pour reconnaître que c’est à l’occasion de son travail que la travailleuse a contracté la bactérie responsable de sa maladie.
[43] Dans plusieurs décisions, la Commission des lésions professionnelles a reconnu comme lésion professionnelle, des lésions survenues lors d'une activité de bien-être (par exemple, prendre un repas), de parcours (se rendre à ou quitter son lieu de travail), de repos (pause de récupération) [5].
[44] Comme le souligne avec justesse la juge administrative Goyette[6], « la jurisprudence[7] reconnaît qu’un accident qui survient à un travailleur qui arrive ou qui repart des lieux de travail en utilisant les voies d’accès usuelles, constitue un accident à l’occasion du travail. Ce principe vaut tout autant lorsque le travailleur se déplace dans les voies d’accès au début ou au départ de la période de repas ou de pause ».
[45] La Commission des lésions professionnelles estime que les circonstances entourant la chute de la travailleuse permettent d'établir un lien de connexité avec le travail et de conclure que cette chute est arrivée à l'occasion du travail.
[46] Dans l'affaire Provigo Division Loblaws Québec et Serafinowicz[8], le juge administratif décrit ainsi les courants jurisprudentiels ayant cours à la Commission des lésions professionnelles en matière d'évanouissement au travail :
[35] La jurisprudence est partagée en matière d’évanouissement au travail qui cause une chute et une lésion.
[36] Certaines décisions considèrent que, lorsque la perte de conscience n’a aucun lien direct avec les conditions d’emploi, la chute et la lésion qui s’ensuivent ne constituent pas des éléments qui donnent ouverture à la reconnaissance d’un accident du travail.
[37] Par contre, d’autres décisions reconnaissent soit que l’évanouissement ou l’étourdissement constituent un événement imprévu et soudain, soit que l’évanouissement et la chute constituent ensemble l’événement imprévu et soudain.
[38] Dans une décision, la chute constitue l’événement imprévu et soudain et non l’évanouissement qui la cause alors que, dans une autre décision, l’évanouissement et la chute constituent des événements imprévus et soudains distincts, mais consécutifs.
(Références omises)
[47] Avec respect pour l'opinion contraire, la soussignée est d'avis qu'il ne faut pas confondre l'événement imprévu et soudain avec la cause. Ainsi, dans la présente affaire, il y a bien eu un événement imprévu et soudain, soit la chute. Il est exact de dire que la cause de la chute est une condition personnelle, soit un évanouissement provoqué par une forte migraine.
[48] Mais de l'avis de la soussignée, la cause de l'événement imprévu et soudain ne peut avoir un impact sur la détermination d'un accident du travail. En effet, décider qu'un événement imprévu et soudain qui arrive à l'occasion du travail et qui entraîne une lésion. ne peut être une lésion professionnelle, puisqu'il aurait pour origine une cause personnelle, aurait pour effet de vider de son sens l'expression « attribuable à toute cause ».
[49] La juge administrative Morin discute ainsi de l'expression « attribuable à toute cause » dans l'affaire Les Industries Algo ltée et Succession de Mario Iapaolo[9]:
[27] C’est de ce type de lésion dont il est question dans la
présente affaire, de sorte que c’est à la notion d’« accident du travail »
telle que définie à l’article
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[28] La Commission des lésions professionnelles en vient à la conclusion que la preuve démontre, de façon prépondérante, que monsieur Iapaolo a subi un accident du travail à cette date.
[29] En effet, la preuve non contredite révèle que monsieur Iapaolo s’est subitement effondré au sol à cette date et ce, alors qu’il était en train d’exercer son travail de coupeur. Une telle chute constitue donc sans aucun doute un événement imprévu et soudain survenu par le fait ou à l’occasion du travail de monsieur Iapaolo.
[30] Par ailleurs, la preuve non contredite révèle que cette chute a certes entraîné une blessure chez monsieur Iapaolo puisqu’une fracture du crâne avec complications hémorragiques a été diagnostiquée chez ce travailleur dès son arrivée le même jour au service des urgences.
[31] En fait, seule la question des circonstances expliquant la survenance de la chute de monsieur Iapaolo est en litige.
[32] La représentante de la succession prétend en effet que c’est vraisemblablement la chaleur élevée dans l’établissement de l’employeur le 8 juillet 2005 qui a provoqué cette chute, mais que, de toute façon, il importe peu de déterminer si c’est le cas puisqu’un événement imprévu et soudain peut être attribuable à toute cause.
[33] Pour sa part, l’employeur prétend qu’il n’a pas été démontré que la chaleur ambiante de l’établissement était réellement à l’origine de la chute de monsieur Iapaolo et qu’il faut plutôt conclure comme l’a fait le médecin conseil de la CSST, soit que cette chute s’explique par des conditions médicales particulières.
[34] Or, comme le soumet la représentante de la succession, la Commission des lésions professionnelles estime qu’il n’y a effectivement pas lieu de rechercher la cause exacte de la chute de monsieur Iapoalo puisque, en définissant ce qui constitue un accident du travail, le législateur a clairement prévu qu’il s’agissait d’un événement imprévu et soudain « attribuable à toute cause ».
[35] À maintes reprises, le tribunal a affirmé qu’il ne fallait pas confondre l’événement imprévu et soudain avec la cause de cet événement et qu’il n’était pas nécessaire de procéder à l’identification de cette cause aux fins de conclure à la survenance d’un accident du travail. Notamment, dans l’affaire Vilfort , le tribunal s’exprime ainsi sur cette question :
La preuve non contredite révèle que le 22 mars 1990, la travailleuse a subi une blessure à son genou lors de sa chute dans les escaliers du centre hospitalier où elle travaillait.
La Commission d’appel considère que la chute de la travailleuse constitue l’événement imprévu et soudain. Par ailleurs, l’employeur prétend que la cause de la chute, l’étourdissement, est la conséquence de son anémie, condition strictement personnelle, et dès lors, ne peut qu’amener la Commission d’appel à conclure qu’il ne s’agit pas d’une lésion professionnelle.
La Commission d’appel est d’avis qu’il n’y a pas lieu dans un tel cas, de rechercher la cause de
la chute. La définition de l’expression « accident du travail » qu’on
retrouve à l’article
[36] Ainsi, peu importe ce qui a provoqué la chute au sol de monsieur Iapaolo le 8 juillet 2005, il demeure que cette chute constitue un événement imprévu et soudain survenu par le fait ou à l’occasion du travail qu’exerçait ce travailleur à ce moment, lequel événement a entraîné une fracture du crâne avec complications hémorragiques, de sorte que l’on peut conclure que ce dernier a été victime d’un accident du travail à cette date.
[50] Dans l’affaire Bureau et STM (Réseau du métro), le juge administratif Martin s'exprimait ainsi quant aux critères à retenir pour déterminer si la lésion est une lésion professionnelle[10] :
[25] Dans cette décision, le tribunal considérait également que l’expression « un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause » signifiait que la cause pouvait être intrinsèque ou extrinsèque au travail et que pour cette raison le tribunal n’avait pas à rechercher la cause de l’événement imprévu et soudain.
[26] Dans le présent dossier, la cause de la perte d’équilibre de la travailleuse à la suite de son malaise ressenti après la rencontre avec sa supérieure immédiate a fait en sorte que la travailleuse s’est retrouvée à genoux dans un escalier mécanique tout en se retenant avec le membre supérieur gauche. La travailleuse n’avait plus le contrôle de son corps au moment de cet événement et a dû être transportée à l’hôpital en ambulance. Le dossier médical tel que soumis ne permet pas d’identifier une condition personnelle qui puisse expliquer les symptômes de la travailleuse. D’autre part, un médecin qui a examiné la travailleuse le jour même a conclu que cet événement avait engendré une entorse dorsale.
[27] Certes, tout comme le souligne la procureure de l’employeur, une rencontre avec son employeur ou encore à la suite de l’exercice habituel du droit de gérance de l’employeur, ne saurait être reconnue pour expliquer une lésion professionnelle. Toutefois, il ressort des décisions citées par la procureure de l’employeur que la Commission des lésions professionnelles est arrivée à cette conclusion dans le cadre de réclamations de travailleurs pour des lésions d’ordre psychologique.
[28] Dans le présent dossier, ce n’est pas le malaise ou le stress vécu par la travailleuse à la suite de sa rencontre avec sa supérieure immédiate qui fait l’objet de la présente réclamation. L’objet de la réclamation concerne une blessure, soit une entorse dorsale, diagnostiquée le jour même de l’événement du 25 septembre 2008.
[51] Ainsi, le fait que la chute découle d'une condition personnelle ne peut donc être retenu pour conclure qu'il n'y a pas d'accident du travail.
[52] Dans une affaire semblable à la nôtre, en ce que la chute de la travailleuse a été causée par une condition médicale personnelle, la juge administrative Crochetière reconnaît l'existence d'une lésion professionnelle[11]:
[27] De la position debout, en quelques secondes, la travailleuse se retrouve en position assise, sur une marche près du sol, une jambe sur la marche, l’autre par terre. Cette description ne correspond pas à l’action de s’asseoir mais davantage à celle de tomber en position assise. Le mur a pu aider à ralentir la chute, possiblement à diminuer l’impact au sol mais non à l’éliminer.
[28] Cette chute constitue donc un événement imprévu et soudain survenu par le fait ou à l’occasion du travail de madame Adam le 25 juillet 1999.
[29] Il s’agit d’un cas d’illustration de l’expression attribuable à toute cause que l’on retrouve dans la définition précitée. En effet, la preuve révèle que la lipothymie qui cause la chute est attribuable en toute probabilité, à l’état de grossesse de la travailleuse.
[53] Plus récemment, le juge administratif Ranger s'exprimait ainsi quant à l'effet des mots « attribuable à toute cause » utilisés par le législateur dans la définition de l'accident du travail[12]:
[16] Par contre, nonobstant la présomption prévue à l’article
[35] À maintes reprises, le tribunal a affirmé qu’il ne fallait pas confondre l’événement imprévu et soudain avec la cause de cet événement et qu’il n’était pas nécessaire de procéder à l’identification de cette cause aux fins de conclure à la survenance d’un accident du travail2. Notamment, dans l’affaire Vilfort3, le tribunal s’exprime ainsi sur cette question :
La preuve non contredite révèle que le 22 mars 1990, la travailleuse a subi une blessure à son genou lors de sa chute dans les escaliers du centre hospitalier où elle travaillait.
La Commission d’appel considère que la chute de la travailleuse constitue l’événement imprévu et soudain. Par ailleurs, l’employeur prétend que la cause de la chute, l’étourdissement, est la conséquence de son anémie, condition strictement personnelle, et dès lors, ne peut qu’amener la Commission d’appel à conclure qu’il ne s’agit pas d’une lésion professionnelle.
La Commission d’appel est
d’avis qu’il n’y a pas lieu dans un tel cas, de rechercher la cause de la
chute. La définition de l’expression « accident du travail » qu’on
retrouve à l’article
[…]
__________
2 Voir
notamment : Savard et Général Motors du Canada ltée,
3 Précitée, note 2.
[17] Ainsi, étant d’avis que l’événement imprévu et soudain est la chute du travailleur, il importe peu que celui-ci soit dû à une « baisse de pression », comme le croit l’employeur, à l’effet secondaire d’un médicament ou à autre chose. Cette chute s’étant produite alors que le travailleur était au travail, il a droit d’être indemnisé de ses conséquences. En acceptant de lier à l’événement les diagnostics de « trauma crânien mineur » et d’abrasions au nez, c’est précisément ce qu’a fait la CSST.
[54] La Commission des lésions professionnelles tient à souligner que les conséquences de la migraine de la travailleuse auraient pu être tout autre si elle s'était manifestée ailleurs. Par exemple, si la travailleuse avait été chez elle, elle se serait peut-être allongée, évitant ainsi la chute.
[55] C'est parce qu'elle retournait à son poste que la travailleuse était debout dans l'ascenseur et qu'elle est tombée suite à la perte de conscience.
[56] Ainsi, l’événement imprévu et soudain étant la chute de la travailleuse, il importe peu que celui-ci soit dû à un évanouissement, secondaire à une migraine ou à autre chose. Cette chute s’étant produite à l'occasion du travail, la travailleuse a droit d’être indemnisée de ses conséquences.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossiers 449049-71-1109 et 456375-71-1112
DÉCLARE recevable la requête de l'employeur à l'encontre de la décision de la CSST en révision administrative rendue le 26 mai 2011;
REJETTE les requêtes de l’employeur CSSS Jeanne Mance;
CONFIRME les décisions rendues le 26 mai 2011 et le 11 novembre 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse, madame Marie Dominique Danier, a subi le 15 mars 2011 une lésion professionnelle à savoir une tendinite et une déchirure à l’insertion du tendon du sus-épineux de l’épaule droite.
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Marie-Anne Roiseux |
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Me Isabelle Auclair |
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MONETTE, BARAKETT, ASS. |
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Représentante de la partie requérante |
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M. Yves Sicotte |
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C.S.N. |
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Représentant de la partie intéressée |
[1] L.R.Q. C. A-3.001.
[2] Lajoie c. CLP
[3] C.L.P. 129244-64-9912, 13 septembre 2000, R. Daniel.
[4] C.L.P.164918-62A-0107, 27 septembre 2002, J.-M. Dubois, révision rejetée 29 octobre 2003, G. Godin.
[5] Auclair et General
Mills Canada, C.L.P.,
[6] C.L.P. 352228-71-0806; 21 décembre 2009, R. M-Goyette.
[7] Centre hospitalier de la Sagamie et Côté, C.L.P.
[8] C.L.P.
[9] C.L.P.
[10] 2011 QCCLP 1935 .
[11] Adam et Les croisières Nouvelle Vague, C.LP. 159777-72-0104, 30 novembre 2001, L. Crochetière.
[12] Econauto (1985) inc. et Berger, C.L.P.
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