Bérubé et GDS Valoribois inc. (Div. Degeli) (F) |
2014 QCCLP 748 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 9 mai 2013, monsieur Simon Bérubé (le travailleur), dépose une requête en révocation à l’encontre d’une décision de la Commission des lésions professionnelles du 3 avril 2013.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette une requête déposée par le travailleur le 28 novembre 2011, confirme une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 8 novembre 2011, à la suite d’une révision administrative, et déclare que le travailleur n’a pas subi d’aggravation de sa maladie professionnelle pulmonaire le 21 octobre 2010.
[3] À l’audience tenue le 28 janvier 2014 à Lévis, le travailleur est présent et représenté par procureur.
[4] Le dossier est mis en délibéré à compter du 28 janvier 2014.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[5] Le travailleur demande la révocation de la décision de la Commission des lésions professionnelles du 3 avril 2013 du fait qu’il n’a pu, pour des raisons qu’il juge suffisantes, se faire entendre au moment de l’audience prévue devant le premier juge administratif, le 31 janvier 2013.
L’AVIS DES MEMBRES
[6] La membre issue des associations d’employeurs et celui issu des associations syndicales sont d’avis qu’il y a lieu de révoquer la décision de la Commission des lésions professionnelles du 3 avril 2013. Ils estiment que le travailleur n’a pu se faire entendre au moment de l’audience prévue le 31 janvier 2013 et ce, pour des raisons jugées suffisantes. La preuve prépondérante permet de conclure que le travailleur n’a pu être informé de la date de cette audience en raison d’un déménagement, de l’absence de notification d’un changement d’adresse et du fait que la représentante de l’époque ait cessé d’occuper pour le travailleur environ trois semaines avant l’audience prévue le 31 janvier 2013. À ceci, s’ajoute une certaine difficulté pour le travailleur de lire et d’écrire.
LES FAITS ET MOTIFS
[7] Le tribunal doit déterminer s’il y a lieu de révoquer la décision de la Commission des lésions professionnelles du 3 avril 2013.
[8] Il faut d’abord rappeler le caractère final et sans appel d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[notre soulignement]
[9] Le législateur a toutefois prévu l’exercice d’un recours en révision ou révocation à l’encontre d’une telle décision.
[10] Ce recours, qualifié d’exceptionnel, peut s’exercer en présence de motifs bien précis, lesquels sont énumérés à l’article 429.56 de Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[11] Dans la cause sous étude, la requête du travailleur dénonce une violation de son droit d’être entendu.
[12] Cette requête concerne le deuxième paragraphe de l’article 429.56 puisque la violation alléguée découlerait de son absence à l’audience convoquée devant le premier juge administratif et non du comportement de ce dernier au cours de cette audience[2].
[13] Tel qu’indiqué, c’est la règle du droit d’être entendu qui est en cause.
[14] Dans l’affaire Hall c. C.L.P.[3], la juge Courteau rappelle l’importance de cette règle de justice naturelle tout en indiquant qu’une partie peut toutefois y renoncer :
Le droit d’être entendu, soit le respect de la règle audi alteram partem, est la première règle de justice naturelle qui doit être observée. Un tribunal chargé de trancher une question doit entendre les deux parties13.
(…)
L’intervention de la Cour supérieure en révision judiciaire d’une décision qui a violé un principe de justice naturelle est certes une règle fondamentale. Toutefois, cette règle n’a pas un caractère absolu.
(…)
Eu égard plus particulièrement à la règle audi alteram partem, les tribunaux reconnaissent qu’un individu peut y renoncer, soit expressément, soit implicitement, ou par sa négligence16.
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13 Harelkin c. Université de Régina, [1979] 2 R.C.S. 561.
16 Beacon Plastics Ltd c. C.R.O., [1964] BR. 177.
[nos soulignements]
[15] Le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour le justiciable d’obtenir une convocation, celui de faire des représentations, de présenter une preuve, d’interroger ou de contre-interroger[4].
[16] Bref, l’on doit donner aux parties impliquées le droit de faire valoir leurs moyens ou leur point de vue[5].
[17] La Loi sur la justice administrative[6] consacre le droit d’être entendu à ses articles 10 et 12 :
10. L'organisme est tenu de donner aux parties l'occasion d'être entendues.
Les audiences sont publiques. Toutefois, le huis clos peut être ordonné, même d'office, lorsque cela est nécessaire pour préserver l'ordre public.
1996, c. 54, a. 10.
1° de prendre des mesures pour délimiter le débat et, s'il y a lieu, pour favoriser le rapprochement des parties;
2° de donner aux parties l'occasion de prouver les faits au soutien de leurs prétentions et d'en débattre;
3° si nécessaire, d'apporter à chacune des parties, lors de l'audience, un secours équitable et impartial;
4° de permettre à chacune des parties d'être assistée ou représentée par les personnes habilitées par la loi à cet effet.
1996, c. 54, a. 12.
[nos soulignements]
[18] Ainsi, l’organisme exerçant une fonction juridictionnelle, telle la Commission des lésions professionnelles, est tenu de donner aux parties l’occasion de se faire entendre, ce qui implique non seulement de donner aux parties l’occasion de prouver les faits au soutien de leur prétention et d’en débattre, mais également, si nécessaire, d’apporter à chacune des parties, lors de l’audience, un secours équitable et impartial de même que leur permettre à chacune d’être assistée ou représentée par les personnes habilitées par la loi à cet effet.
[19] D’ailleurs, ce principe fondamental du droit d’être entendu est repris par le législateur dans la loi qu’est chargée d’appliquer la Commission des lésions professionnelles.
[20] L’article 429.13 le reflète bien :
429.13. Avant de rendre une décision, la Commission des lésions professionnelles permet aux parties de se faire entendre.
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1997, c. 27, a. 24.
[notre soulignement]
[21] Ainsi, le droit d’être entendu est la première règle de justice naturelle qui doit être observée. Ce droit n’est pas absolu puisqu’une personne peut y renoncer expressément, implicitement ou par sa négligence.
[22] Qu’en est-il dans le présent dossier?
[23] Il convient d’abord de rappeler les faits ayant conduit à la convocation d’une audience devant le premier juge administratif le 31 janvier 2013.
[24] Il s’agit d’un travailleur ayant subi une lésion professionnelle le 17 mars 2003, soit une maladie professionnelle pulmonaire (asthme bronchique professionnel dû au cèdre). Il se voit ainsi reconnaître une atteinte permanente à son intégrité physique et des limitations fonctionnelles.
[25] En 2006, sur recommandation du Comité spécial des présidents, le travailleur est réévalué par un Comité des maladies pulmonaires professionnelles. On détermine un déficit anatomo-physiologique de 28 % et l’on reconnaît ainsi une récidive, rechute ou aggravation à partir de 2006.
[26] Le travailleur entreprend un processus de réadaptation et en août 2009, la CSST détermine qu’il a la capacité d’exercer un emploi convenable d’aide-commis d’épicerie.
[27] En août 2010, le travailleur se dit toujours incapable d’exercer cet emploi convenable en raison de l’aggravation de sa condition pulmonaire.
[28] Il produit une réclamation à la CSST pour faire reconnaître l’existence d’une récidive, rechute ou aggravation à compter d’octobre 2010.
[29] La réclamation est soumise à l’attention d’un Comité des maladies pulmonaires professionnelles le 1er avril 2011, puis à un Comité spécial des présidents le 13 avril 2011.
[30] Ce comité constate l’absence d’éléments justifiant une modification du déficit anatomo-physiologique ou des limitations fonctionnelles.
[31] Le 17 juin 2011, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse de reconnaître l’existence d’une récidive, rechute ou aggravation le 21 octobre 2010.
[32] Le travailleur conteste cette décision jusqu’à la Commission des lésions professionnelles. Il s’agit du litige dont était saisi le premier juge administratif et pour lequel une audience avait été prévue le 31 janvier 2013.
[33] À cette date, le travailleur est absent. Quant aux employeurs convoqués, ils sont également absents.
[34] En l’absence des parties, le premier juge administratif rend donc sa décision en fonction des informations au dossier.
[35] Le travailleur est informé de cette décision. Il dépose une requête en révocation à l’encontre de celle-ci.
[36] À l’audience de la présente requête, le travailleur indique n’avoir reçu aucun avis de convocation pour l’audience du 31 janvier 2013 prévue devant le premier administratif. Il n’a reçu aucune information à ce sujet de la part de sa procureure de l’époque.
[37] Questionné par le tribunal, le travailleur indique qu’en juillet 2012, il déménage au […], à Montmagny. Il y réside depuis. Préalablement au 1er juillet 2012, le travailleur habite au […], à Montmagny.
[38] Sur le procès-verbal du premier juge administratif, la seconde adresse du travailleur apparaît, soit celle préalable au 1er juillet 2012.
[39] En vue de l’audience du 31 janvier 2013, un premier avis de convocation est envoyé le 12 septembre 2012, puis un second avis modifié est envoyé le 3 décembre 2012.
[40] Tenant compte de l’adresse indiquée au procès-verbal du premier juge administratif, le tribunal comprend que les avis n’ont pas été acheminés à la bonne adresse. Rien ne permettait au premier juge administratif de faire ce constat le 31 janvier 2013.
[41] Le travailleur indique avoir fait ses changements d’adresse, mais de toute évidence, la Commission des lésions professionnelles n’a pas été informée d’un tel changement pour l’envoi des avis de convocation.
[42] Il est vrai qu’à l’époque, le travailleur est représenté. Toutefois, la communication avec la représentante de l’époque semble plutôt restreinte. Le travailleur indique qu’il rencontre sa représentante aux trois mois, laquelle lui fournit peu d’information. Également, l’on constate un retrait du dossier de cette représentante le 7 janvier 2013, soit environ trois semaines avant l’audience du 31 janvier 2013.
[43] Ceci, dans un contexte où le travailleur présente certaines difficultés à lire et à écrire. Sa compréhension semble plutôt limitée.
[44] La requête en révocation du 28 mai 2013 est d’ailleurs rédigée par son ancienne représentante.
[45] Dans un tel contexte, le tribunal estime que le travailleur n’a pas renoncé de façon expresse, implicite ou par sa négligence à son droit d’être entendu.
[46] Ainsi, le tribunal juge suffisantes les raisons pour lesquelles le travailleur n’a pu se faire entendre le 31 janvier 2013.
[47] Par conséquent, il y a lieu de révoquer la décision du 3 avril 2013.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête en révocation déposée le 9 mai 2013 par monsieur Simon Bérubé, le travailleur;
RÉVOQUE la décision de la Commission des lésions professionnelles du 3 avril 2013;
ET
CONVOQUERA les parties à une audience devant la Commission des lésions professionnelles afin que soit débattue la question de fond, soit l’existence ou non d’une lésion professionnelle à compter du 21 octobre 2010.
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Sophie Sénéchal |
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Me Steeven Cauchon |
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RICARD ET LEBEL AVOCATS |
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Représentant de la partie requérante |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Valois et Service d’entretien Macco ltée, [2001] C.L.P. 823; Lebrasseur et Société de l’assurance automobile du Québec, C.L.P. 208251-09-0305, 15 décembre 2004, D. Beauregard; Brazeau et Sonoco Flexible Packaging Canada Co, 2011 QCCLP 8265.
[3] [1998] C.L.P. 1076 (C.S.).
[4] Gilles PÉPIN et Yves OUELLETTE, Principes de contentieux administratif, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1982, p. 237-238.
[5] Patrice GARANT avec la collab. de Philippe GARANT et Jérôme GARANT, Droit administratif, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, pp. 609, 621, 634-636.
[6] L.R.Q., c. J-3.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.