Décision

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Patel et Produits d'Acier Hason inc.

2007 QCCLP 6329

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

7 novembre 2007

 

Région :

Montréal

 

Dossiers :

281263-71-0602      306161-71-0612      315881-71-0704

 

Dossier CSST :

126771708

 

Commissaire :

Me Mireille Zigby

 

Membres :

Guy Lemoyne, associations d’employeurs

 

Gilles Prud’Homme, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Manu Patel

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Les Produits d’Acier Hason inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier 281263-71-0602

 

[1]                Le 2 février 2006, monsieur Manu Patel (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue le 27 janvier 2006 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.

[2]                Cette décision confirme deux décisions initialement rendues par la CSST en date respectivement du 21 novembre 2005 et du 8 décembre 2005. La décision du 21 novembre 2005 entérine l’avis d’un membre du Bureau d’évaluation médicale, lequel porte sur les limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle que le travailleur a subie le 4 novembre 2004 et déclare qu’en raison de ces limitations fonctionnelles, le travailleur a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) jusqu’à ce que la CSST se prononce sur sa capacité d’exercer un emploi. La décision du 8 décembre 2005 reconnaît que le travailleur a droit à la réadaptation.

Dossier 306161-71-0612

[3]                Le 20 décembre 2006, le travailleur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue le 18 décembre 2006 par la CSST, à la suite d’une révision administrative.

[4]                Cette décision confirme une décision initialement rendue par la CSST en date du 3 octobre 2006 et déclare que le travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation le 12 avril 2006 en relation avec un événement d’origine survenu le 4 novembre 2004.

Dossier 315881-71-0704

[5]                Le 26 avril 2007, le travailleur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue le 20 avril 2007 par la CSST, à la suite d’une révision administrative.

[6]                Cette décision confirme une décision initialement rendue par la CSST en date du 20 mars 2007 et déclare que l’emploi d’assembleur de composantes électroniques est un emploi convenable que le travailleur est capable d’exercer à compter du 19 mars 2007.

[7]                À l’audience tenue le 16 mai 2007, le travailleur et son procureur sont présents. La CSST est représentée. La compagnie Les Produits d’Acier Hason inc. (l’employeur) n’a aucun représentant.


L’OBJET DES CONTESTATIONS

Dossier 281263-71-0602

[8]                La contestation du travailleur dans ce dossier ne porte que sur la question des limitations fonctionnelles. Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision qui a été rendue le 27 janvier 2006 concernant cette question et de retenir les limitations fonctionnelles émises par le docteur Gilles Roger Tremblay, chirurgien orthopédiste, dans son rapport d’expertise du 11 mai 2006.

Dossier 306161-71-0612

[9]                Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision qui a été rendue le 18 décembre 2006 et de déclarer qu’il a été victime d’une récidive, rechute ou aggravation en avril ou mai 2006. Il demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître que les diagnostics de hernie discale et de dépression sont en relation avec la lésion initiale survenue le 4 novembre 2004.

Dossier 315881-71-0704

[10]           Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision qui a été rendue le 20 avril 2007 et de déclarer qu’il est incapable d’exercer l’emploi convenable d’assembleur de composantes électroniques.

LES FAITS

[11]           Le travailleur occupe un emploi de soudeur-assembleur chez l’employeur et est âgé de 42 ans lorsqu’il subit une lésion professionnelle le 4 novembre 2004. En déplaçant une poutre métallique avec un chariot élévateur, ce jour-là, il ressent une douleur lombaire aiguë qui le force à abandonner le travail et à se rendre à l’urgence de l’hôpital Général Juif pour consulter un médecin. Le diagnostic posé est celui de « mechanical back pain ». Un arrêt de travail est prescrit.

[12]           À compter du 8 novembre 2004, le suivi médical est assuré par le docteur M.C. Khadilkar, lequel diagnostique une entorse lombaire. Il prolonge l’arrêt de travail et réfère le travailleur en orthopédie.

[13]           La consultation en orthopédie a lieu le 30 novembre 2004 auprès du docteur C. Rajakumar, lequel diagnostique une entorse sacro-iliaque aiguë et croit qu’il peut y avoir également une hernie discale. Il prolonge l’arrêt de travail, réfère le travailleur en physiothérapie et demande une tomodensitométrie de la colonne lombaire.

[14]           Le travailleur est revu par le docteur Rajakumar le 23 décembre 2004 et le 20 janvier 2005. Le médecin réitère le diagnostic d’entorse sacro-iliaque, auquel il ajoute celui d’entorse lombo-sacrée. En l’absence d’amélioration, il met fin à la physiothérapie le 20 janvier 2005, maintient l’arrêt de travail et demande une résonance magnétique de la colonne lombaire.

[15]           Cet examen est effectué le 28 janvier 2005. Les constatations suivantes sont faites :

[…]

 

There is no abnormality at T12-L1, L1-L2 and L2-L3.

 

At L3-L4, discopathy with disc space narrowing associated with hyposignal of the disc in T2 weighted images. There is mild diffuse disc builging but no focal disc herniation. No spinal or foraminal stenosis.

 

At L4-L5, discopathy with hyposignal of the disc in T2 weighted images. There is a left foraminal disc herniation with compression of the left emerging L4 root. There is no spinal stenosis.

 

At L5-S1, there is no abnormality.

 

Bone structures including facet joints are normal.

 

Spinal canal is normal. Conus medularris is normal.

 

 

[16]           Le 28 janvier 2005, le travailleur est aussi examiné par le docteur Claude Jean-François, chirurgien orthopédiste, à la demande de l’employeur. Ce dernier conclut à un examen dans les limites de la normale, considérant qu’il y a une « nette dysharmonie entre les plaintes de monsieur, ses difficultés à exécuter certains mouvements et gestes et les éléments objectifs de l’examen clinique ». Pour mieux comprendre à quoi réfère le docteur Jean-François, il y a lieu de citer quelques extraits de son examen clinique :

[…]

 

Durant toute la conversation qui a précédé cet examen, monsieur est resté debout avec le dos appuyé contre le mur, penché du côté droit sur sa canne. Pour se déshabiller, son épouse l’a aidé à se dévêtir. Monsieur évitait de bouger le tronc dans tous les mouvements nécessités par l’enlèvement de ses vêtements.

 

À la marche bipodale, monsieur tient tout le membre inférieur gauche en extension, appuyé sur le membre inférieur droit et ramène le membre inférieur gauche d’un bloc. Il se dit incapable de se mettre ni sur la pointe des pieds ni sur les talons.

 

Comme monsieur se tient debout avec le tronc en flexion de 20 à 30o en permanence, à la demande de flexion du tronc sur le bassin en position debout, il a juste esquissé le geste et dit ne pas pouvoir bouger le tronc.

L’extension du tronc n’a pas été faite, l’inclinaison latérale droite et gauche s’est faite à 20o avec le tronc déjà en position à 30o, la rotation à droite et à gauche du tronc sur le bassin se fait à 30o. Les réflexes ostéo-tendineux aux membres supérieurs sont présents et symétriques. Le cutané plantaire va en flexion bilatéralement. Le tripode est négatif. La sensibilité cutanée est normale à tous les niveaux. Les pouls périphériques sont présents.

 

[…]

 

En décubitus dorsal, monsieur passe activement en position assise sur la table d’examen malgré la présence dans son slip d’une ceinture pelvienne. Avec les membres inférieurs en chiffre de 4, les sacro-iliaques sont sans particularité. Lors de ce test, monsieur dit ressentir des étirements au niveau lombaire.

 

En décubitus ventral, la palpation des muscles dorsaux et lombaires ne met en évidence aucune contracture, aucun spasme. Il n’y a pas de point douloureux identifié.

 

[…]

 

 

[17]           Au moment de son examen, le docteur Jean-François ne retrouve aucun signe d’entorse lombaire. Il mentionne que si le travailleur a présenté de tels signes antérieurement, ceux-ci ne sont plus présents. Il retient la date du 28 janvier 2005 comme date de consolidation de la lésion et considère que les soins et traitements ont été suffisants, en nature et en durée, à cette date. Considérant que son examen clinique objectif est dans les limites de la normale, il est d’avis que le travailleur pourrait refaire son travail régulier avec une période de réinsertion au travail de deux semaines.

[18]           Le docteur Rajakumar revoit le travailleur le 17 février 2005 et à la lumière de la résonance magnétique, modifie son diagnostic pour celui de hernie discale lombaire. Il recommande une infiltration épidurale mais le travailleur refuse ce traitement. Il réfère également le travailleur en neurochirurgie mais aucun traitement chirurgical n’est proposé. Le 16 mars 2005, le docteur Rajakumar finit par le référer à une clinique de la douleur. Le travailleur y sera pris en charge par le docteur Catchlove.

[19]           Après évaluation du travailleur, le docteur Catchlove fait rapport au docteur Rajakumar en date du 1er avril 2005. Il écrit :

This patient has sustained a herniated lumbar disc and seems to have radiculopathy. This diagnosis is consistent with the nature of the accident and the severity of the symptoms immediately. He now has, on top of this, developed a severe chronic pain syndrome which will require a comprehensive integrated treatment program. However I think it would be useful to do an EMG in case there is significant nerve root compression, which I think, and I would be delighted to have your opinion, might indicate a need for surgical decompression. I have therefore sent him for an EMG which we are able to get done quite quickly and I will see him after that. I do not find that epidurals or conservative therapy replaces surgery when it is truly indicated.

 

 

[20]           L’électromyographie (EMG) est effectuée le 11 mai 2005 et s’avère strictement dans les limites de la normale.

[21]           Entre-temps, à la demande de l’employeur, le dossier est référé au Bureau d’évaluation médicale sur les questions relatives au diagnostic, à la date de consolidation et à la suffisance des soins ou traitements. Le 12 mai 2005, le travailleur est évalué par le docteur Denis Laflamme, orthopédiste, désigné pour agir à titre de membre du Bureau d’évaluation médicale. L’examen objectif est rapporté comme suit :

Nous sommes en présence d’un travailleur marchant difficilement en position de flexion lombaire à 30o, appuyé sur une canne qu’il tient de sa main droite.

 

En position debout monsieur Patel nous dit qu’il ne peut se redresser, la douleur étant trop importante.

 

Il maintient une attitude de flexion à 30o au niveau lombaire.

 

La flexion peut se prolonger à 40o avec allégation de douleur irradiant au niveau de son membre inférieur gauche.

 

Les mouvements de flexion latérale sont limités à 10o de chaque côté et les rotations à 20o de chaque côté.

 

À la palpation il allègue une douleur au niveau du segment lombaire.

 

Au niveau des membres inférieurs, à l’aide de sa canne il peut tenir sur la pointe des pieds ainsi que sur les talons.

 

En position assise, les réflexes rotuliens et achilléens sont présents et symétriques et le tripode est négatif.

 

En décubitus dorsal, on note une extension à 0o. Au niveau des membres inférieurs la manœuvre de Lasègue est négative cependant le ‘‘straight leg raising’’ est positif à gauche à 30o et à droite à 40o.

 

Il n’y a pas d’atrophie musculaire, les mensurations sont symétriques à 51 cm au niveau des cuisses et 36 cm au niveau des jambes.

 

Il n’y a aucun déficit moteur, il conserve une bonne force segmentaire tant au point de vue de la flexion plantaire que de la dorsiflexion ainsi que des péroniers et il n’y a aucun déficit sensitif au toucher et à l’aiguille.

 

[22]           Son avis motivé se lit ainsi :

1.   DIAGNOSTIC :

 

      Considérant le mécanisme de production de la lésion tel que décrit ci-haut;

 

      Considérant la symptomatologie qu’il présente au niveau de la région lombaire avec irradiation au niveau de son membre inférieur gauche;

 

      Considérant l’examen neurologique des membres inférieurs dans les limites de la normale;

 

      Comme diagnostic monsieur Patel a présenté une entorse lombaire avec sciatalgie gauche.

 

2.   DATE OU PÉRIODE PRÉVISIBLE DE CONSOLIDATION DE LA LÉSION :

 

      Considérant le diagnostic ci-haut mentionné;

 

      Considérant l’examen aujourd’hui où l’on note une symptomatologie douloureuse persistante;

 

      La lésion n’est pas consolidée.

 

3.   NATURE, NÉCESSITÉ, SUFFISANCE OU DURÉE DES SOINS OU TRAITEMENTS ADMINISTRÉS OU PRESCRITS :

 

      Il y a lieu de poursuivre les traitements qui sont déjà en cours.

 

 

La CSST entérine cet avis dans une décision du 16 mai 2005.

[23]           Dans une lettre qu’il adresse à l’employeur, en date du 25 mai 2005, le docteur Jean-François se déclare en désaccord avec les conclusions du membre du Bureau d’évaluation médicale. Il écrit :

J’ai vu ce monsieur le 28 janvier 2005 pour une expertise médicale. J’ai eu l’occasion de décrire dans l’examen objectif, à la page 3, l’attitude de monsieur, et je concluais après l’examen clinique à une nette dysharmonie entre les plaintes de monsieur, ses difficultés à exécuter certains mouvements et gestes et les éléments objectifs de l’examen clinique.

 

La résonance magnétique réalisée le 28 janvier 2005 montrait la discopathie en L3-L4, L4-L5, avec notion de compression au niveau L4-L5 de la racine L4, et le niveau L5-S1 étant normal.

 

Un ÉMG réalisé le 11 mai 2005 était normal et éliminait la notion de radiculopathie.

 

Alors, je ne comprends pas la conclusion diagnostique du Dr Laflamme, qui retient alors une entorse lombaire avec sciatalgie et ne consolide pas la lésion.

 

Je constate donc son désaccord et je reste avec la conclusion émise le 28 janvier 2005, d’une importante dysharmonie entre les manifestations symptomatologiques de monsieur et la réalité clinique qui est celle d’une dégénérescence discale étagée avec de l’arthrose dégénérative.

 

 

[24]           S’appuyant sur l’opinion du docteur Jean-François, l’employeur demande la révision de la décision du 16 mai 2005 mais cette décision est confirmée, à la suite d’une révision administrative et ne fera pas l’objet de contestation devant la Commission des lésions professionnelles. Le diagnostic retenu dans le présent dossier est donc celui d’entorse lombaire avec sciatalgie gauche.

[25]           Le 13 juin 2005, le docteur Catchlove revoit le travailleur et fait le rapport suivant au docteur Rajakumar :

I saw this patient again today following his EMG which does not seem to demonstrate any clear nerve root damage. Apparently also he has seen a neurosurgeon who said that he did not need surgery. With this information, I think we can say that he requires a comprehensive integrated pain treatment program and that we will also make sure that he has an ergotherapy evaluation of his work site and of his work capacity. I think there is quite a possibility that he will not be able to return to his former work and he would need to plan with the CSST to undertake other forms of work.

 

 

[26]           Le travailleur est suivi à la Clinique de la douleur durant plusieurs mois sous la supervision du docteur Catchlove. Le traitement est essentiellement analgésique et consiste en une polymédication antidouleur.

[27]           À la demande de l’employeur, le travailleur est évalué le 6 septembre 2005 par le docteur Marc Beauchamp, chirurgien orthopédiste. Le travailleur se plaint d’une douleur sévère et incapacitante touchant l’ensemble du rachis et irradiant au niveau des deux membres inférieurs, de façon plus marquée du côté gauche. Il dit également présenter, de façon intermittente, des engourdissements au niveau des deux pieds. Il se plaint aussi d’une douleur au niveau de la hanche gauche. Il se décrit comme étant très peu fonctionnel, ne pouvant marcher ou rester debout plus de quelques minutes. Il utilise une canne pour ses déplacements qu’il qualifie de minimes.

[28]           Lors de l’examen objectif, le docteur Beauchamp note le manque de collaboration du travailleur. Il relève plusieurs contradictions et de nombreux signes de non-organicité. Les extraits suivants en fournissent des exemples :

[…]

 

Lorsque nous voulons mesurer les amplitudes de mouvement, le travailleur est capable d’effectuer une flexion antérieure de 15 degrés. L’extension est à - 5 degrés. La flexion latérale gauche atteint 10 degrés et la flexion latérale droite atteint 10 degrés. Les rotations du rachis, avec le bassin fixe, atteignent un total de 5 degrés à gauche et de 5 degrés à droite.

 

Assez curieusement, lorsque le travailleur est invité à se mettre en position assise sur la table d’examen, il effectue alors une flexion latérale avec une torsion complète du rachis à plus de 30 degrés vers la gauche.

 

[…]

 

Lorsque nous voulons effectuer une manœuvre de « straight leg raising », à une élévation d’à peine 10 degrés, le travailleur allègue une douleur insupportable au niveau lombaire à droite comme à gauche. À ce stade-ci, nous cessons l’examen physique.

 

Nous remarquons que lorsqu’il se place en position assise, à partir de la position de décubitus dorsal complète, le travailleur n’effectue pas de roulement latéral, mais s’assied de façon très droite sur la table et se place par la suite en position debout.

 

[…]

 

 

[29]           Le manque de collaboration du travailleur est réitéré dans les conclusions du docteur Beauchamp :

[…]

 

Nous devons souligner le manque de collaboration au niveau de l’examen physique.

 

En effet, force est d’admettre que le travailleur, aujourd’hui, a effectué de façon spontanée des gestes qu’il se disait incapable d’effectuer à notre demande. De plus, l’examen musculaire du membre inférieur droit dénote une absence de collaboration à peu près totale et semble en contradiction avec un ÉMG qui aurait été lu comme normal, ainsi que l’absence de signes physiques pouvant dénoter une faiblesse aussi généralisée, entre autres l’absence d’atrophie musculaire.

 

Nous demeurons avec un homme qui présente une symptomatologie extrêmement importante, avec un examen physique tout à fait non fiable et une investigation radiologique qui a démontré une discopathie au niveau L4-L5. Nous prenons note qu’aucune radiculopathie n’a été identifiée chez cet homme.

 

[…]

 

 

[30]           En regard des différentes questions qui lui ont été posées, le docteur Beauchamp répond ce qui suit :

1.   Le diagnostic

 

-     Considérant le mécanisme initial de l’événement en titre;

-     Considérant les notes médicales;

 

Nous retiendrons un diagnostic d’entorse lombaire greffée sur une discopathie lombaire.

 

2.   La date de consolidation

 

-     Considérant l’absence de changement depuis l’évaluation du docteur Denis Laflamme;

-     Considérant finalement ce qui semble être une absence de traitement depuis cette date aussi

-     Considérant que le travailleur aurait refusé des traitements suggérés par le docteur Rajakumar en mars 2005;

Je crois que la date de l’évaluation du docteur Denis Laflamme pourrait être retenue comme date de consolidation administrative à savoir le 12 mai 2005.

 

3.   La nature, la nécessité et la durée des traitements

 

      Aucun traitement supplémentaire n’est recommandé, aucune investigation supplémentaire non plus.

 

4.   A-t-il une atteinte permanente?

 

Il est toujours difficile ici de proposer une atteinte permanente dans un contexte d’examen physique tout à fait non fiable où il y a des éléments de non-organicité qui dominent le tableau.

 

-     Considérant le diagnostic retenu;

-     Considérant l’ensemble du dossier;

 

      Il serait probablement approprié ici de retenir une atteinte permanente de 2%, c’est-à-dire :

 

     

204004

Entorse lombaire avec limitations fonctionnelles

2%

 

5.   Si oui, aura-t-il des limitations fonctionnelles qui l’empêcheront de faire son travail?

 

-     Considérant l’ensemble du dossier;

-     Considérant que les signes cliniques du travailleur sont absolument non crédibles aujourd’hui;

-     Considérant les anomalies à la résonance magnétique, qui témoignent d’une discopathie d’ordre probablement personnel et des allégations de lombalgie constante suite à une entorse lombaire subie en novembre 2004;

 

Je suggère des limitations fonctionnelles de classe 1 en rapport avec l’événement en titre, c’est-à-dire :

 

-     Ne pas effectuer de manipulations de charge de plus de 20 kg;

-     Ne pas effectuer de mouvements répétitifs du rachis dorsolombaire.

 

 

[31]           Le 23 septembre 2005, le docteur Catchlove revoit le travailleur et à titre de médecin ayant charge, émet un rapport final. Il consolide la lésion en date du même jour et indique que le travailleur conserve une atteinte permanente à l’intégrité physique et des limitations fonctionnelles.

[32]           Un rapport d’évaluation médicale est produit par le docteur Catchlove le même jour. Il y a lieu d’en reproduire les extraits suivants :

[…]

 

5.   On examination, the patient showed an enormous amount of pain behaviour, resting against the wall supported by cane, unable to stand freely, not able to walk freely, closely attended by his wife and verbalising pain almost continuously. It was essentially impossible to have an absolute determination or range of motion of the lumbar spine, but what was found was an almost total reduction of movement with a tripod, straight leg raising etc being very positive with the slightest movement. Although difficult to precisely define the limitations it was quite clear from examination of this patient that he would be absolutely unable to do the work of a welder or anything else that was remotely difficult physically.

 

[…]

 

9.   This patient would be quite unable to lift weights of more than 10 pounds, to bend flex squat rotate repetitively. He would be unable to stand for longer than 20 minutes and sit for longer that 20 minutes.

 

[…]

 

11.  This patient suffered an entorse lombaire on what was probably pre-existing degenerative disc easy as which appears to have been severely aggravated by the work accident. He has failed completely to respond to treatment, has developed a dependency on a believe on narcotic medication and exhibits a great amount of pain behaviour. He has developed a chronic pain syndrome which is quite severe and since there is no longer a comprehensive multidisciplinary pain management program and as well he demonstrated little interest in cooperating with any kind of program he should be consolidated as of this date.

 

12.  Entorse lombaire with a functional limitations, 204004, 2%.

 

 

[33]           Vu les conclusions divergentes des docteurs Beauchamp et Catchlove concernant les limitations fonctionnelles, le dossier est transmis au Bureau d’évaluation médicale sur cette question.

[34]           Le 3 novembre 2005, le travailleur est examiné par le docteur Karl Fournier, orthopédiste, désigné pour agir à titre de membre du Bureau d’évaluation médicale. L’état actuel est résumé comme suit :

Le patient manifeste avoir beaucoup de souffrance.

 

Il marche avec une canne qu’il promène de la main droite à la main gauche parce qu’il dit avoir des douleurs surtout du côté gauche, mais que parfois ces douleurs-là sont du côté droit et qu’elles sont surtout au niveau corporel, c’est-à-dire dans la région lombaire et dorsale.

 

Il n’y a pas de point précis de douleur.

 

Le patient dit qu’il est très limité dans ses activités. Il a besoin de son épouse pour s’habiller.

 

Le patient ne s’habille pas actuellement et prendrait occasionnellement une médication de type Dilaudid.

Il ne mentionne pas d’incontinence et les manœuvres de Valsalva reproduisent surtout des douleurs lombaires.  

 

 

[35]           Lors de l’examen objectif, le docteur Fournier note, tout comme le docteur Beauchamp, qu’il est très difficile d’examiner ce patient étant donné qu’il est très peu mobile et montre peu de collaboration. Il relève lui aussi de nombreuses contradictions et signes de non-organicité comme le démontrent les extraits suivants :

[…]

 

Le patient, tout de suite lorsqu’il est entré dans le bureau, est allé se placer en décubitus dorsal sur la table d’examen. Je lui demande de se relever debout pour qu’on puisse le mesurer et le peser. On réussit difficilement à évaluer cela, mais on obtient un poids de 168 lb pour une taille de 5 pi 5 po, mais celle-ci est approximative puisqu’il était impossible d’avoir un redressement du tronc complet.

 

Le patient marche avec la canne. Il est très difficile de le faire grimper sur la pointe des pieds, mais j’ai réussi après motivation. Il a réussi aussi à se tenir sur ses talons avec difficulté.

 

Il refuse de faire une manœuvre de « squat ».

 

La flexion antérieure est nulle parce qu’il maintient une attitude en flexion à environ 30o. L’extension est nulle aussi puisqu’il reste en flexion tout le temps et mentionne ne pas pouvoir faire d’extension. Les flexions latérales sont d’environ 10o à droite et à gauche, mais le patient fait cela avec des tremblements et manifestations de douleurs très sévères. Les rotations sont aussi très limitées et nous obtenons environ 15o. Toutefois, le patient n’a pas de mouvements réguliers et continus. Il n’arrête pas de bouger et de tituber sur place avec sa canne mentionnant que les douleurs sont extrêmes.

 

Je tente de mettre le patient en position assise, mais dit que c’est intolérable et retombe en décubitus dorsal. J’ai réussi toutefois à lui faire enlever ses pantalons.

 

[…]

 

Au niveau des signes physiques non organiques, il y a ici réaction exagérée à tous les mouvements. Il y a ici présence de manifestation de douleurs, sans précision anatomo-physiologique.

 

Le moindre toucher ou amorce d’examen physique reproduit des douleurs dans la région lombaire et dorsale, sans site spécifique.

 

La compression axiale reproduit des douleurs lombaires.

 

 

[36]           Dans la DISCUSSION, le docteur Fournier résume ainsi le dossier et ses constatations lors de son examen objectif :

Il s’agit d’un homme de 42 ans qui s’est blessé dans le cadre de son emploi en date du 4 novembre 2004, lorsqu’il essayait de placer une poutre sur un « fort lift ». Les douleurs se sont presque manifestées dans toutes les régions du dos avec mention d’irradiation au niveau du membre inférieur gauche à l’origine. Après investigation, le diagnostic qui a été retenu était entorse lombaire.

 

Il est à noter qu’il a eu un électromyogramme qui était essentiellement négatif et qu’il a eu une résonance magnétique nucléaire le 28 janvier 2005 qui démontrait qu’une simple discopathie à L3-L4 ainsi qu’à L4-L5 avec une petite protrusion discale qui ne nécessitait aucun traitement chirurgical et qui n’avait aucune répercussion au niveau de l’électromyogramme.

 

L’examen physique d’aujourd’hui confirme cela, c’est-à-dire qu’il y a absence de sciatalgie chez ce patient, absence d’atrophie et absence d’hypoesthésie ainsi qu’une force qui, quoique difficile à obtenir, est essentiellement symétrique chez ce patient et les tests de mise en tension radiculaire comme le tripode ou le Lasègue reproduit une douleur lombaire, sans irradiation au niveau des membres inférieurs.

 

Il est à noter que la manifestation subjective de ce symptôme est très floride comparé à l’investigation obtenue par résonance magnétique nucléaire et l’électromyogramme et comparé au mécanisme de trauma. 

 

 

[37]           Son avis motivé en ce qui concerne les limitations fonctionnelles se lit ainsi :

AVIS MOTIVÉ :

 

5.   EXISTENCE OU ÉVALUATION DES LIMITATIONS FONCTIONNELLES :

 

« Éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de :

 

-     Soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 20 kg;

-     Travailler en position accroupie;

-     Ramper, grimper;

-     Effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire;

-     Subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale. »

 

 

[38]           La CSST entérine cet avis dans une décision du 21 novembre 2005 et avise le travailleur qu’il continuera de recevoir une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle se prononce sur sa capacité de travail.

[39]           Le 8 décembre 2005, la CSST rend une autre décision, reconnaissant que le travailleur a droit à la réadaptation étant donné que ses limitations fonctionnelles l’empêchent d’exercer l’emploi qu’il occupait au moment de sa lésion professionnelle.

[40]           Le travailleur demande la révision de ces deux décisions car il n’est pas d’accord avec les limitations fonctionnelles émises par le membre du Bureau d’évaluation médicale. À la suite d’une révision administrative, en date du 27 janvier 2006, ces deux décisions sont confirmées d’où la contestation du travailleur dans le dossier 281263-71-0602.

[41]           Entre-temps, bien que le docteur Catchlove ait consolidé la lésion, le travailleur continue de se faire suivre médicalement. Il consulte la docteure S. Rawal, le 5 décembre 2005, laquelle pose un diagnostic de hernie discale lombaire et le maintient sous forte médication analgésique. On voit au dossier que la docteure Rawal est son médecin de famille depuis 1989.

[42]           Le 26 janvier 2006, la docteure Rawal réfère le travailleur en psychiatrie mais ne fournit aucune information concernant l’état psychologique du travailleur à cette date et les raisons qui l’amènent à le référer en psychiatrie. Les renseignements qui apparaissent sur son rapport médical ne concernent que la condition physique du travailleur. Ce n’est que le 6 mars 2006 que la docteure Rawal inscrira sur un rapport médical que le travailleur souffre d’une « reactive depression » en faisant référence à sa condition de hernie discale et de douleur lombaire chronique.

[43]           Lorsqu’elle revoit le travailleur, le 12 avril 2006, la docteure Rawal note :

The above named patient is suffering from lumbar disc disease and herniation following a session of Ergotherapy with AAPP. Severe spasms and stiffness of back. Advised rest and to see neurosurgeon/anasthesis for bloc facettaire. 

 

 

[44]           Sur le rapport médical qu’elle complète le même jour pour la CSST, elle écrit :

Chronic back pain . Disc herniation. Lumbar Disc Disease. Secondary Depression. Unable to sit and stand for a long time. Swelling and spasms pain lowback.

 

 

[45]           Le 11 mai 2006, le travailleur est examiné à sa demande par le docteur Gilles Roger Tremblay, chirurgien orthopédiste, pour fin d’expertise. Il se plaint d’une douleur lombaire constante, qui débute au rachis lombaire et se propage au niveau du rachis cervico-dorsal avec irradiation aux deux membres inférieurs et aux deux membres supérieurs. Il se déplace avec une canne et présente une boiterie antalgique au niveau du membre inférieur gauche.

[46]           Lors de l’examen physique, la mobilité du rachis lombaire s’avère extrêmement limitée mais il n’y a aucun signe neurologique. Les réflexes rotuliens et achilléens sont présents et symétriques. Il n’y a aucun déficit sensitif au niveau des membres inférieurs. La force musculaire est bien préservée. Par ailleurs, certains signes de mise en tension radiculaire sont rapportés comme étant positifs. Pour fin de comparaison avec les examens des autres examinateurs, il y a lieu de citer quelques extraits de l’examen effectué par le docteur Tremblay :

[…]

 

Le patient présente des manifestations vraiment importantes de souffrance et est très lent dans l’exécution des mouvements qu’on lui demande.

 

La flexion antérieure ne dépasse pas 40 degrés en position debout, avec un Schöeber à 12/10.

 

L’extension est impossible à obtenir et le patient se maintient toujours avec un flexum entre 15 et 20 degrés au niveau lombaire.

 

Avec ce flexum de 15 degrés, les inclinaisons latérales sont à 20 degrés et les rotations sont à 20 degrés.

 

En position assise, le tripode gauche est positif à 10 degrés de flexion du genou, pour une douleur se répercutant jusqu’au niveau du mollet.

 

Le patient est incapable de s’asseoir avec les jambes étendues devant lui et de se mettre les mains sur les genoux.

 

[…]

 

Nous sommes incapables d’obtenir une flexion des hanches sur le bassin avec les genoux en flexion, à cause d’une douleur sévère au niveau du bassin.

 

Le Straight-leg-raising de même à gauche est positif à 30 degrés d’élévation, pour une douleur se répercutant jusqu’au mollet, et à droite le Straight-leg-raising provoque à 50 degrés d’élévation une douleur lombaire seulement.

 

 

[47]           Au terme de son examen, l’opinion du docteur Tremblay est la suivante :

Ce patient est extrêmement souffrant et, considérant l’imagerie médicale et les diagnostics posés par les médecins traitants et la symptomatologie de ce patient, de même que son examen clinique, nous croyons que le diagnostic à retenir est celui d’hernie discale L4-L5 gauche.

 

Nous n’avons aucun traitement à recommander à monsieur Patel, sauf peut-être l’utilisation d’épidurales de façon intermittente.

 

Il y a atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique, et celle-ci s’évalue à :

 

204 148

Hernie discale lombaire L4-L5

2%

207 582

Flexion lombaire à 40 degrés

7%

207 626

Extension lombaire perdue

3%

207 680

Flexion latérale droite à 20 degrés

1%

207 724

Flexion latérale gauche à 20 degrés

1%

206 680

Rotation droite à 20 degrés

1%

206 804

Rotation gauche à 20 degrés

1%

 

Les limitations fonctionnelles résultant de cette atteinte permanente sont :

 

-    Éviter les efforts de plus de 5 à 7 kilogrammes pour tirer, soulever ou pousser.

 

-    Éviter les mouvements répétitifs, même de faible amplitude, du rachis lombaire.

 

-    Éviter les positions statiques pour le rachis lombaire, pour plus de 30 minutes à la fois.

 

-    Éviter les mouvements avec amplitude modérée de flexion, extension ou torsion du rachis lombaire.

 

-    Éviter les terrains accidentés ou glissants.

 

-    Éviter l’exposition aux vibrations et aux contre-coups, pour le rachis lombaire.

 

 

[48]           C’est à la suite de cette expertise que le travailleur présente une réclamation pour récidive, rechute ou aggravation. Sur le formulaire qu’il complète en date du 22 mai 2006, il écrit :

RRA - Please verify Dr Tremblay’s Report May 11, 2006, according to his report I have the following : «Hernie discale L4-L5 gauche». I am in constant pain and unable to move my back without any pain. 

 

 

[49]           La réclamation du travailleur est accompagnée de l’expertise du docteur Tremblay et du rapport médical de la docteure Rawal en date du 12 avril 2006.

[50]           La CSST refuse la réclamation du travailleur, le 3 octobre 2006, en ces termes :

We have received the documents regarding the claim for a relapse, recurrence or aggravation occuring on April 12, 2006. We would like to inform you that we cannot accept this claim for the following reason :

 

-    There is no link between the diagnosis of secondary depression, L4-L5, disc hernia and the event of November 4, 2004

 

[…]

 

 

[51]           Comme on peut le constater, la CSST a considéré la date de consultation auprès de la docteure Rawal comme date de la récidive, rechute ou aggravation alléguée et non celle du 11 mai 2006 apparaissant sur le formulaire de réclamation du travailleur et correspondant à l’expertise du docteur Tremblay.

[52]           Le travailleur demande la révision de la décision de la CSST, laquelle est confirmée, le 18 décembre 2006, à la suite d’une révision administrative. La CSST ne reconnaît pas l’existence d’une récidive, rechute ou aggravation tant au niveau physique que psychologique. Le diagnostic de dépression secondaire n’est pas considéré comme étant en relation avec la lésion professionnelle survenue le 4 novembre 2004. C’est la décision qui fait l’objet de la contestation du travailleur dans le dossier 306161-71-0612.

[53]           Il y a lieu de mentionner qu’en ce qui concerne l’aspect psychologique de la récidive, rechute ou aggravation alléguée par le travailleur, les seuls rapports médicaux complétés pour la CSST, sur le formulaire prévu à cette fin, sont ceux de la docteure Rawal, en date des 6 mars et 12 avril 2006, sur lesquels apparaît le diagnostic de dépression secondaire (reactive depression) sans autre explication. Le dossier complet du travailleur provenant du département de psychiatrie de l’hôpital Royal Victoria, où le travailleur a été référé par la docteure Rawal en janvier 2006, a cependant été produit.

[54]           Ce dossier démontre que le travailleur souffre de problèmes psychiatriques importants d’ordre personnel et qu’il a des antécédents qui remontent bien avant la survenance de l’événement du 4 novembre 2004 dont un épisode en juin 2004. Au cours de l’année 2006 seulement, le travailleur a dû être conduit à l’urgence de l’hôpital Royal Victoria, à au moins deux reprises, parce qu’il était en crise. Cela s’est produit le 22 mai 2006 et le 4 juin 2006. Les notes de consultation font état, à chaque fois, d’hallucinations, de délire de persécution, de paranoïa. On parle également de psychose, de « psychotic and aggressive behavior », de « delusional disorder ». Lors de l’épisode de juin 2006, on considère même que le travailleur constitue un danger pour lui-même et autrui. On recommande qu’il soit gardé en établissement durant 21 jours mais il obtient finalement son congé après 48 heures. Le médecin qui signe le congé écrit « Stable. Psychosis and hallucinations resolved ». Le travailleur est référé à son médecin de famille. On parle peu de dépression dans le volumineux dossier hospitalier du travailleur et lorsqu’il en est question, les psychiatres parlent de « psychotic depression » dans un contexte de psychose et de délire paranoïde comme c’est le cas, par exemple, dans les notes du 22 mai 2006.

[55]           Le seul médecin à diagnostiquer un trouble d’adaptation secondaire à un syndrome de douleur chronique est le résident en psychiatrie qui évalue le travailleur, le 17 mars 2006, à la demande de la docteure Rawal. L’examen mental est cependant sommaire et le médecin semble tout ignorer des antécédents psychiatriques du travailleur. Il se fie à ce que lui dit ce dernier et écrit que le travailleur n’a pas d’antécédents psychiatriques. Il écrit également que le travailleur nie avoir des hallucinations, des idées suicidaires. Ce n’est pas ce que révèlent les notes des médecins qui l’ont soigné en mai et juin 2006. Dans sa note de référence, la docteure Rawal mentionnait: « … very suspicion, Paranoïd feeling. Had similar psychological problem in June 2004 but refused to see anybody ». Le rapport du résident n’insiste pas beaucoup sur cet aspect.

[56]           On retrouve dans le dossier de la CSST plusieurs notes qui font référence aux antécédents psychiatriques du travailleur, dont cette note évolutive assez éloquente du 17 mai 2006 où la conseillère en réadaptation rapporte une conversation téléphonique avec la docteure Rawal.

[…]

 

Je questionne Dr Rawal sur la référence en psychiatrie au Allan Memorial à savoir si elle a reçu un rapport à ce sujet.

 

Dr Rawal m’explique avoir référé T en psychiatrie, car il consomme beaucoup de médication et la femme du travailleur ainsi que le travailleur reconnaisse que celui-ci est très agressif.

 

À ce sujet, je questionne Dr Rawal si elle est au courant que le travailleur aurait des antécédants psychiatriques bien avant AT et non liée à AT.

 

Dr Rawal me répond par l’affirmative tout en précisant que le tout mis ensemble (DLR, absence du travail, etc.) n’aide pas le travailleur.

 

De plus, Dr Rawal ajoute que le travailleur « is not looking to do something ». Ses problèmes deviennent une excuse pour ne rien faire.  

 

[… ] (sic)

 

(nos soulignements)

 

 

[57]           En septembre 2006, le travailleur est aussi évalué en neurologie par le docteur I. Woods. Ce dernier semble croire que le travailleur a été vu à l’urgence de l’hôpital Royal Victoria, en mai 2006, pour cause de dépression majeure. Il écrit : « In May 2006, he presented to the emergency room at the Royal Victoria Hospital with an episode of major depression ». À la lumière du dossier hospitalier qui a été produit, ces informations n’apparaissent pas tout à fait exactes.

[58]           Antérieurement à la réclamation du travailleur pour récidive, rechute ou aggravation, la CSST avait entrepris d’évaluer la capacité de travail du travailleur eu égard aux limitations fonctionnelles retenues par le membre du Bureau d’évaluation médicale. Une décision du 8 décembre 2005 reconnaît le droit du travailleur à la réadaptation. Un plan individualisé de réadaptation est mis en œuvre dès le début de l’année 2006 mais on voit, aux notes évolutives de la CSST, que le travailleur montre peu de collaboration, demeure centré sur sa douleur et ne manifeste aucun intérêt pour un retour au travail. La réclamation du travailleur pour récidive, rechute ou aggravation, en mai 2006, suspend le plan de réadaptation. Ce plan est repris après le refus de sa réclamation. Le 7 juin 2006, le travailleur est référé à un programme multidisciplinaire de gestion de la douleur dans le but de faciliter un éventuel retour sur le marché du travail. Ce programme doit débuter le 2 octobre 2006 mais on y mettra fin, en novembre 2006, en raison de l’absence de collaboration du travailleur et son refus de poursuivre.

[59]           Le 26 mars 2007, la CSST détermine l’emploi d’assembleur de composantes électroniques comme emploi convenable et considère que le travailleur est capable d’exercer cet emploi à compter du 19 mars 2007.

[60]           La détermination de l’emploi convenable a été faite en fonction des renseignements contenus au système REPÈRES pour ce type d’emploi et en tenant compte des limitations fonctionnelles du travailleur ainsi que des autres critères de l’emploi convenable. Il y a lieu de reproduire, ci-après, l’analyse de la CSST sur laquelle repose la décision du 20 mars 2007 :

Titre de l’emploi convenable :  Assembleur de composantes électroniques

 

1.   Un emploi qui permet au travailleur d’utiliser sa capacité résiduelle :

 

      Limitations fonctionnelles :

 

      Éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de :

 

-     Soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 20 kilos.

-     Travailler en position accroupie.

-     Ramper, grimper.

-     Effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire.

-     Subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale.

 

Les assembleurs et les monteurs de matériel électronique assemblent et fabriquent des pièces et des composantes électroniques. Les fonctions principales sont souder, monter manuellement diverses composantes électroniques de microcircuits, remplacer des pièces défectueuses.

 

Considérant les exigences physiques requises pour occuper l’emploi selon Repères :

 

-     être capable de voir de près

-     être capable de distinguer les couleurs

-     être capable de travailler principalement en position assise

-     être capable de coordonner les mouvements de ses membres supérieurs

-     être capable de soulever un poids d’environ 5 kg

-     être capable de coordonner la vue avec les mouvements des mains et des pieds

 

L’emploi retenu se fait principalement en position assise mais peut permettre d’alterner les positions. Les poids à manipuler sont généralement inférieurs à 5 kilos. Ce travail peut être qualifié de très léger. Il ne nécessite pas que le T fasse de grands mouvements de la colonne lombaire.

 

L’emploi respecte donc amplement les limitations fonctionnelles du T.

 

 


2.   Un emploi qui permet au travailleur d’utiliser ses qualifications professionnelles :

 

Le T est habile manuellement car il a été soudeur de nombreuses années. Depuis 10 ans qu’il est au Québec et malgré qu’il parle peu le français, il a toujours travaillé. Cet emploi est simple et ne demande pas de formation particulière. Cet emploi correspond au profil du T et tient compte des caractéristiques professionnelles du T, soit de travailler dans un emploi où les tâches sont concrètes et simples. Cet emploi a un niveau d’apprentissage qui est peu exigeant et est facile d’accès.

 

 

3.   Un emploi qui présente une possibilité raisonnable d’embauche :

 

      Repères nous indique des perspectives supérieures à la moyenne jusqu’en 2008 chez les monteurs de matériel de communication dont fait partie l’emploi convenable.

 

      Selon la DRHC (Emploi-Avenir) le taux de croissance jusqu’en2010 est acceptable.

 

      « Le nombre d’assembleurs, monteurs, contrôleurs et vérificateurs de matériel électronique a diminué au cours de la première moitié des années quatre-vingt-dix, a ensuite augmenté fortement jusqu’à l’an 2000 pour ensuite diminuer fortement de 2000 à 2005. Ces mouvements correspondent assez bien avec l’évolution de l’emploi dans l’industrie de la fabrication de produits informatiques et électroniques. Étant donné que les investissements des entreprises en produits informatiques et électroniques devraient repartir en hausse, on prévoit que le nombre d’assembleurs, monteurs, contrôleurs et vérificateurs de matériel électronique augmentera fortement au cours des prochaines années, mais sans rattraper le niveau d’emploi du sommet atteint en 2000. »

 

 

4.   Un emploi qui ne présente pas de danger pour la santé ou la sécurité du travailleur :

 

      Le travail d’assembleur de matériel électronique est sans danger pour la santé du T. Avec cet emploi, le T retrouvera sa capacité de gain avec des IRR réduites.

 

 

5.   Un emploi approprié :

 

      Cet emploi a été suggéré au T suite à des tests d’intérêts administrés à celui-ci. Ce type d’emploi se rapproche des expériences antérieures du T. Comme cet emploi est peu exigeant, il convient également à des travailleurs ayant des difficultés d’ordre psychologique. Le T connaît les conditions de travail même s’il préférait faire du temps partiel. L’emploi d’assembleur de composantes électroniques est tout à fait approprié dans la situation du T.

 

[…]

 

 

[61]           Le travailleur demande la révision de la décision du 20 mars 2007, laquelle est confirmée à la suite d’une révision administrative d’où la contestation du travailleur dans le dossier 315881-71-0704.

[62]           À l’audience, le tribunal a l’occasion d’entendre le témoignage du travailleur ainsi que celui de son épouse. Selon les témoignages entendus, le travailleur est arrivé au Canada en 1985 et a toujours travaillé comme soudeur-assembleur. Il n’a jamais eu d’accident du travail avant le 4 novembre 2004 et n’avait jamais eu aucun problème physique ou psychologique avant l’accident survenu à cette date. Il avait une vie active, pratiquait plusieurs sports, s’impliquait dans les travaux ménagers tout autant que dans sa communauté. Il menait une vie normale et sans histoire. L’accident du travail survenu le 4 novembre 2004 a bouleversé sa vie. C’est à compter de ce moment que tous ses problèmes ont commencé.

[63]           Le travailleur se plaint d’une douleur lombaire avec irradiation dans les deux membres inférieurs mais de façon plus marquée du côté gauche. La douleur est constante même si elle peut varier en intensité. Aucun traitement ne l’a vraiment soulagé. Il ne fait plus rien à cause de la douleur. Il prend des médicaments et voit toujours la docteure Rawal sur une base régulière. Il est également suivi au niveau psychologique à l’hôpital Royal Victoria mais il ne se souvient pas du nom de la personne qui le suit et nie tout antécédent psychiatrique, reconnaissant tout au plus être agressif à l’occasion. Il relie cet état d’agressivité, qui se manifeste parfois, à sa souffrance physique. C’est la douleur qui le rend agressif. Il affirme n’avoir jamais fait preuve d’agressivité avant l’événement du 4 novembre 2004.

[64]           L’épouse du travailleur, avec qui il est marié depuis 20 ans, corrobore le témoignage de son conjoint. Elle minimise les événements du printemps 2006 alors que le travailleur a dû être conduit d’urgence à l’hôpital Royal Victoria, à au moins deux reprises, parce qu’il était en crise. Elle affirme que le travailleur n’a jamais été traité pour un problème psychiatrique avant son accident du travail du 4 novembre 2004. Elle reconnaît qu’il a un problème d’agressivité mais elle dit comprendre que cette agressivité est engendrée par l’état de souffrance physique permanent dans lequel se trouve son conjoint. Elle mentionne que ce dernier n’était pas du tout agressif avant son accident, qu’il était même coopératif et participait aux tâches domestiques. La vie a radicalement changé depuis que son conjoint a eu cet accident. Elle dit qu’il n’est plus le même homme, qu’il est incapable de faire quoi que ce soit dans la maison, qu’il dépend entièrement d’elle. Même pour s’habiller, il a besoin de son aide. Elle confirme, par ailleurs, que son conjoint fait présentement l’objet d’un suivi psychologique à l’hôpital Royal Victoria.

[65]           Il y a lieu de souligner que le travailleur est demeuré debout tout au long de l’audience qui a duré 2 heures 30 minutes, alléguant que le fait de s’asseoir augmentait la douleur. Il était appuyé sur une canne qu’il tenait de sa main droite et a manifesté très ostensiblement des signes de souffrance durant toute la durée de l’audience.

L’AVIS DES MEMBRES

[66]           Conformément à l’article 429.50 de la loi, la soussignée a obtenu l’avis des membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sur les questions en litige.

[67]           Les deux membres sont d’avis que les contestations du travailleur doivent être rejetées. Ils considèrent que l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale doit être retenu en ce qui concerne les limitations fonctionnelles résultant de la lésion professionnelle survenue le 4 novembre 2004. Ils considèrent également qu’il n’a pas été démontré, de façon prépondérante, que le travailleur a été victime d’une récidive, rechute ou aggravation en avril ou en mai 2006, tant au niveau physique que psychologique. Enfin, ils considèrent qu’il a été démontré que l’emploi d’assembleur de composantes électroniques constitue un emploi convenable que le travailleur est capable d’exercer à compter du 19 mars 2007.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[68]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer quelles sont les limitations fonctionnelles qui découlent de la lésion professionnelle qu’a subie le travailleur le 4 novembre 2004. Elle doit également déterminer si le travailleur a été victime d’une récidive, rechute ou aggravation en avril ou mai 2006, tant au niveau physique que psychologique. Elle doit déterminer, enfin, si l’emploi d’assembleur de composantes électroniques constitue un emploi convenable que le travailleur peut exercer.

Les limitations fonctionnelles

[69]           Le membre du Bureau d’évaluation médicale, le docteur Fournier, recommande des limitations fonctionnelles de classe 1, selon l’échelle de restrictions de l’IRRST[2]. Il s’agit de restrictions légères qui consistent à :

Éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de :

·     soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 15 à 25 kg;

·     travailler en position accroupie;

·     ramper, grimper;

·     effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire;

·     Subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale

 

 

[70]           Le docteur Fournier reprend intégralement ces restrictions tout en fixant la limite des charges à 20 kilogrammes.

[71]           Le docteur Beauchamp recommande également des limitations fonctionnelles de classe 1 mais n’en retient que deux parmi celles suggérées par l’IRSST, soit :

-     Ne pas effectuer de manipulations de charge de plus de 20 kg;

-     Ne pas effectuer de mouvements répétitifs du rachis dorsolombaire.

 

 

[72]           Les docteurs Catchlove et Tremblay recommandent des limitations fonctionnelles beaucoup plus sévères. Il s’agit de limitations qui correspondent à des restrictions de classe 2 et 3 selon l’échelle de l’IRSST. Les charges sont limitées à 10 livres dans le cas du docteur Catchlove alors que la limite est de 5 à 7 kilogrammes chez le docteur Tremblay, ce qui est équivalent. Ces deux médecins recommandent d’éviter les positions statiques pour le rachis lombaire, un changement de position étant recommandé après 20 minutes par le docteur Catchlove, après 30 minutes par le docteur Tremblay. Les deux médecins recommandent également d’éviter les mouvements répétitifs du rachis, même de faible amplitude précise le docteur Tremblay. De plus, le docteur Tremblay recommande d’éviter les mouvements d’amplitude modérée en tout temps, d’éviter de marcher en terrain accidenté ou glissant et d’éviter de subir des vibrations ou des contrecoups à la colonne lombaire.

[73]           Le procureur du travailleur demande au tribunal de retenir les limitations fonctionnelles émises par le docteur Tremblay mais n’a soumis aucune argumentation concernant cette question.

[74]           Le tribunal estime que les limitations fonctionnelles émises par le docteur Tremblay, tout comme celles émises par le docteur Catchlove, sont trop sévères et non justifiées.

[75]           Il faut d’abord souligner que le docteur Tremblay émet des limitations fonctionnelles en fonction d’un diagnostic de hernie discale lombaire, alors que ce diagnostic n’a pas été retenu en relation avec la lésion professionnelle subie par le travailleur le 4 novembre 2004. Le seul diagnostic retenu dans le présent dossier et qui lie la Commission des lésions professionnelles est celui d’entorse lombaire. Même si l’investigation radiologique a montré une image pouvant être compatible avec une hernie discale foraminale L4-L5 gauche, le membre du Bureau d’évaluation médicale qui s’est prononcé sur la question du diagnostic, le docteur Laflamme, n’a pas retenu le diagnostic de hernie discale vu l’absence de signes cliniques à l’examen. Le diagnostic retenu par le membre du Bureau d’évaluation médicale n’a pas fait l’objet de contestation devant la Commission des lésions professionnelles.

[76]           Il faut également mentionner que le docteur Catchlove n’a pas non plus retenu le diagnostic de hernie discale lombaire comme diagnostic final. Il a évalué l’atteinte permanente à l’intégrité physique en fonction d’un diagnostic d’entorse lombaire.

[77]           Le fait que le docteur Tremblay recommande des limitations fonctionnelles en tenant compte d’un diagnostic différent de celui qui lie la Commission des lésions professionnelles, dans le présent dossier, fait en sorte que son opinion ne peut être retenue.

[78]           De plus, eu égard aux examens objectifs au dossier, de telles limitations fonctionnelles n’apparaissent pas justifiées. Les docteurs Fournier et Beauchamp ont noté le manque de collaboration du travailleur lors de l’examen physique et ont relevé plusieurs contradictions et de nombreux signes de non-organicité. L’examen du docteur Tremblay n’est pas plus cohérent ni plus fiable que ceux des docteurs Fournier et Beauchamp. L’examen qu’il rapporte est assez semblable à ceux des deux autres examinateurs sauf que le docteur Tremblay n’a pas exercé son sens critique. Aucun test croisé n’a été fait, aucune manœuvre de diversion. Les signes de non-organicité n’ont pas été recherchés.

[79]           Bien que le docteur Catchlove ait retenu le diagnostic d’entorse lombaire comme diagnostic final plutôt que celui de hernie discale, il a émis des limitations fonctionnelles aussi sévères que le docteur Tremblay et qui ne se justifient pas davantage. Son examen physique est extrêmement sommaire et ne repose, en fin de compte, que sur les allégations de douleur du travailleur. C’est uniquement sur la foi de ces allégations subjectives de douleur que les limitations fonctionnelles ont été émises.

[80]           Le fait que le travailleur soit demeuré debout durant 2 heures 30 minutes lors de l’audience, refusant de s’asseoir un seul instant, alors qu’il utilise une canne pour ses déplacements, qu’il a lui-même dit au docteur Beauchamp qu’il ne pouvait demeurer debout plus de quelques minutes à la fois et que, selon les docteurs Catchlove et Tremblay, il doit éviter de garder la même position plus de 20 ou 30 minutes, est un bel exemple des contradictions et de l’exagération que l’on retrouve dans ce dossier et constitue une preuve éloquente que les limitations fonctionnelles émises par les docteurs Catchlove et Tremblay sont trop sévères et non justifiées.

[81]           Tenant compte du diagnostic retenu d’entorse lombaire; tenant compte également des examens et opinions des docteurs Beauchamp et Fournier, auxquels le tribunal accorde une force nettement prépondérante; des limitations fonctionnelles correspondant à des restrictions de classe 1 selon l’échelle de l’IRSST, tel que recommandé par ces deux médecins, apparaissent amplement justifiées et adéquates. Le tribunal privilégie, toutefois, la description du docteur Fournier à celle du docteur Beauchamp car elle est plus complète. Elle reprend intégralement les restrictions de classe 1 identifiées par l’IRSST et correspond à ce qui est généralement recommandé dans les cas d’entorse lombaire avec séquelles.

La récidive, rechute ou aggravation

[82]           La lésion professionnelle est définie, à l’article 2 de la loi, en ces termes :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.

 

 

[83]           Il appert de cette définition que la lésion professionnelle inclut la récidive, rechute ou aggravation d’une blessure qui est survenue par le fait ou à l’occasion d’un accident du travail.

[84]           Le législateur n’a pas défini les termes récidive, rechute ou aggravation. La jurisprudence nous enseigne, toutefois, qu’il faut s’en remettre au sens courant de ces termes pour en comprendre la signification. On retiendra donc des définitions que l’on retrouve dans les principaux dictionnaires de langue française qu’il s’agit d’une reprise évolutive, d’une réapparition ou d’une recrudescence d’une lésion ou de ses symptômes. L’existence de l’ou ou l’autre de ces éléments doit donc être démontrée.

[85]           La partie qui allègue une récidive, rechute ou aggravation doit également démontrer, par une preuve prépondérante, qu’il existe une relation entre la pathologie diagnostiquée à l’occasion de la récidive, rechute ou aggravation alléguée et la lésion initiale.

[86]           Dans le présent dossier, le travailleur allègue une récidive, rechute ou aggravation comportant deux volets : un volet physique et un volet psychologique.

[87]           Sur le plan physique, le travailleur devait démontrer une aggravation de sa condition en avril ou mai 2006 et advenant qu’une telle aggravation soit démontrée, il devait établir qu’il existe une relation entre la condition qu’il présentait en avril ou mai 2006 et sa lésion professionnelle survenue le 4 novembre 2004. Cette preuve n’a pas été faite.

[88]           Le rapport médical de la docteure Rawal, en date du 12 avril 2006, ne fait que référer à un état de douleur lombaire chronique que le médecin relie à la condition de dégénérescence discale du travailleur et à la hernie discale visualisée à l’imagerie. Dans une note émise le même jour, la docteure Rawal laisse entendre qu’il y aurait eu apparition d’un spasme et d’une raideur lombaire (stiffness of back) à la suite d’une séance d’ergothérapie. Cela ne suffit pas à établir qu’il y a une détérioration dans la condition du travailleur.

[89]           L’apparition d’un spasme ou d’une raideur lombaire est un phénomène tout à fait normal chez un individu qui souffre de douleur lombaire chronique et qui s’est vu reconnaître une atteinte permanente à son intégrité physique en raison justement d’une certaine ankylose lombaire. Dans un tel cas, la présence d’un spasme musculaire ou d’une raideur lombaire ne signifie pas que la condition s’est détériorée. Cela en fait partie.

[90]           Il n’y a aucun examen physique détaillé de la docteure Rawal qui permettrait d’établir une comparaison avec les examens réalisés, en septembre et novembre 2005, par les docteurs Beauchamp et Fournier. La condition que présentait le travailleur en avril ou mai 2006 doit pouvoir se comparer, de façon objective, avec celle qui prévalait au moment de la détermination de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles découlant de la lésion initiale. Autrement, comment peut-on conclure qu’il y a eu aggravation?

[91]           Le seul examen physique détaillé, qui a été effectué à la période contemporaine à la récidive, rechute ou aggravation alléguée, est celui réalisé par le docteur Tremblay le 11 mai 2006. Cet examen n’a pas été réalisé, au départ, dans le but de documenter une aggravation de la condition du travailleur mais dans le but d’établir le pourcentage de l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles découlant de la lésion initiale. L’évaluation du docteur Tremblay repose sur un diagnostic de hernie discale lombaire, lequel n’a pas été retenu en relation avec la lésion professionnelle survenue le 4 novembre 2004 comme cela a été mentionné précédemment.

[92]           Cela étant, l’examen physique du docteur Tremblay est, de toute façon, similaire à ceux des docteurs Beauchamp et Fournier et ne permet pas de voir une détérioration quelconque dans la condition du travailleur en mai 2006. Si le docteur Tremblay avait exercé le même sens critique que les deux autres examinateurs au moment de son examen, au lieu de se fier uniquement aux allégations douloureuses du travailleur, ses conclusions auraient fort probablement été identiques à celles de ses collègues.

[93]           Dans un rapport complémentaire du 14 juin 2006, le docteur Tremblay mentionne que la condition du travailleur s’est détériorée par rapport à ce qu’elle était au moment de l’évaluation du docteur Laflamme réalisée le 12 mai 2005. Il n’explique pas en quoi il y a eu détérioration. De plus, il compare son examen à celui du docteur Laflamme, le membre du Bureau d’évaluation médicale qui s’est prononcé sur le diagnostic de la lésion initiale. À ce moment, la lésion n’était pas consolidée et le travailleur était toujours en cours de traitement. La comparaison doit s’établir non pas avec l’examen du docteur Laflamme mais avec ceux réalisés après la consolidation de la lésion initiale, au moment de l’établissement des séquelles permanentes. Les deux examens significatifs réalisés à cette période sont ceux des docteurs Beauchamp et Fournier. L’examen du docteur Tremblay est similaire à ceux de ces deux examinateurs, avec le sens critique en moins, comme le tribunal l’a mentionné précédemment.

[94]           La preuve prépondérante ne démontre pas une aggravation de la condition physique du travailleur en avril ou mai 2006.

[95]           Quant à l’aspect psychologique de la récidive, rechute ou aggravation alléguée, le travailleur avait le fardeau de démontrer qu’il existe une relation de causalité entre le diagnostic de dépression posé le 12 avril 2006 et la lésion professionnelle survenue le 4 novembre 2004. Cette preuve n’a pas non plus été faite.

[96]           Il ne suffit pas que le médecin traitant écrive « dépression secondaire à douleur chronique » sur un rapport médical, sans autre explication, deux ans après la survenance de la lésion professionnelle, pour établir une relation avec celle-ci. Il est très loin d’être démontré que la condition psychologique du travailleur au printemps 2006, qui a nécessité une prise en charge et un suivi au département de psychiatrie de l’hôpital Royal Victoria, est en relation avec la lésion professionnelle survenue le 4 novembre 2004.

[97]           Le dossier du travailleur provenant de l’hôpital Royal Victoria démontre que celui-ci a des problèmes psychologiques importants d’ordre personnel et qu’il a des antécédents qui remontent bien avant l’événement du 4 novembre 2004. Il souffre, entre autres, de psychose et de délire paranoïde. C’est pour cette condition qu’il a été traité en mai et juin 2006. Il est peu question de dépression dans le dossier hospitalier et lorsqu’il en est question, les psychiatres parlent de « psychotic depression ». Aucun psychiatre n’a jamais rempli de rapport médical à l’intention de la CSST. Aucun psychiatre n’est venu démontrer, par une expertise ou un témoignage, que la dépression diagnostiquée au printemps 2006, de même que les autres problèmes psychiatriques qui ont nécessité suivi et traitements, étaient en relation avec la lésion professionnelle qu’a subie le travailleur le 4 novembre 2004. La preuve ne permet aucunement de conclure que l’état psychologique du travailleur, qui est d’ailleurs toujours suivi en psychiatrie à l’hôpital Royal Victoria, est relié à cette lésion professionnelle.

L’emploi convenable

[98]           L’emploi convenable est défini, à l’article 2 de la loi, comme suit :

« emploi convenable » : un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les
conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.

 

 

[99]           Un emploi, pour être convenable, doit donc répondre aux critères suivants :

-     permettre au travailleur d’utiliser sa capacité résiduelle;

 

-     permettre au travailleur d’utiliser ses qualifications professionnelles;

 

-     présenter une possibilité raisonnable d’embauche;

 

-     ne pas présenter de danger pour la santé ou la sécurité du travailleur;

 

-     être approprié.

 

 

[100]       L’évaluation qui a été faite par la CSST démontre que tous ces critères sont respectés. L’emploi d’assembleur de composantes électroniques, qui a été analysé en fonction des informations fournies par le système REPÈRES, respecte intégralement les limitations fonctionnelles du travailleur. Il permet au travailleur d’utiliser ses capacités professionnelles étant donné que le travailleur est habile manuellement et qu’il a exercé le métier de soudeur-assembleur durant de nombreuses années.

[101]       Il s’agit d’un emploi dont le niveau d’apprentissage est peu exigeant. Il s’agit également d’un emploi qui, selon REPÈRES, offre de bonnes perspectives d’embauche. Le travail d’assembleur de composantes électroniques est sans danger pour la santé et la sécurité du travailleur eu égard à sa lésion professionnelle et les tests d’intérêt qui ont été administrés au travailleur, de même que ses expériences de travail antérieures permettent de croire qu’il s’agit d’un emploi approprié.

[102]       Le principal argument du travailleur concerne sa capacité à exercer l’emploi convenable, tant en raison de son état physique que psychologique. Il fait valoir que l’emploi convenable doit être déterminé en tenant compte de sa condition globale, ce qui doit inclure sa condition psychologique même si celle-ci n’est pas reconnue à titre de lésion professionnelle.

[103]       Le tribunal ne peut retenir les prétentions du travailleur.

[104]       D’abord, sur le plan physique, il s’agit d’un emploi qui respecte intégralement ses limitations fonctionnelles et qui est peu exigeant. De plus, il y a lieu de souligner qu’un programme multidisciplinaire de gestion de la douleur a été offert au travailleur pour faciliter sa réinsertion sur le marché du travail et qu’il s’est volontairement retiré de ce programme. Quant à la condition psychologique, même si elle devait être prise en compte, rien n’indique qu’elle était incapacitante au moment où l’emploi convenable a été déterminé. À l’époque, le travailleur se prétendait incapable de travailler à cause de la douleur. Il a montré peu de collaboration tout au long du processus de réadaptation. Il n’a cependant jamais prétendu que son état psychologique était un obstacle à sa réinsertion sur le marché du travail.

[105]       Même si le travailleur a des problèmes psychologiques et qu’il est suivi en psychiatrie et sous médication, cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas travailler en dehors des périodes de crise comme celles qu’il a connues en 2006 et pour lesquelles il a dû être hospitalisé. Il n’y a aucune preuve qui démontre que le travailleur ne peut pas exercer l’emploi convenable déterminé. Comme la conseillère en réadaptation le note dans son analyse de l’emploi convenable, l’emploi d’assembleur de composantes électroniques est un emploi peu exigeant, qui convient également à des travailleurs ayant des difficultés d’ordre psychologique. Aucune preuve n’a été faite pour démontrer le contraire.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 281263-71-0602

REJETTE la requête du travailleur, monsieur Manu Patel;

CONFIRME la décision qui a été rendue le 27 janvier 2006 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;

ET

DÉCLARE que les limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle qu’a subie le travailleur le 4 novembre 2004 sont celles émises par le membre du Bureau d’évaluation médicale, le docteur Karl Fournier, dans son avis motivé du 14 novembre 2005.

Dossier 306161-71-0612

REJETTE la requête du travailleur, monsieur Manu Patel;

CONFIRME la décision qui a été rendue le 18 décembre 2006 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;

ET

DÉCLARE que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle, sous forme de récidive, rechute ou aggravation, en avril ou mai 2006, tant au niveau physique que psychologique.

Dossier 315881-71-0704

REJETTE la requête du travailleur, monsieur Manu Patel;

CONFIRME la décision qui a été rendue le 20 avril 2007 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;

ET

DÉCLARE que l’emploi d’assembleur de composantes électroniques est un emploi convenable et que le travailleur est capable d’exercer cet emploi à compter du 19 mars 2007.

 

 

 

__________________________________

 

Me Mireille Zigby

 

Commissaire

 

 

 

 

Me Pasquale Di Prima

DI PRIMA, PICCOLINO AVOCATS

Procureur de la partie requérante

 

 

M. Luc St-Hilaire

LES CONSULTATIONS LUC ST-HILAIRE

Représentant de la partie intéressée

 

 

Me Karine Morin

PANNETON LESSARD

Procureure de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           INSTITUT DE RECHERCHE EN SANTÉ ET EN SÉCURITÉ DU TRAVAIL DU QUÉBEC, PROGRAMME SÉCURITÉ-ERGONOMIE, Échelle de restrictions pour la colonne lombo-sacrée, Montréal, Institut de recherche en santé et en sécurité du travail du Québec, mars 1988.

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