Décision

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Québec (Procureure générale) c. Distributions Percour inc.

2015 QCCS 3227

 

JG 2270

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

 LAVAL

 

 

N° :

540-17-005061-113

 

 

DATE :

Le 10 juillet 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

LOUIS J. GOUIN, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

Demanderesse

c.

DISTRIBUTIONS PERCOUR INC.

et

MAGASIN LANDCO STORE INC. (résultant de la fusion de Jalberco Inc., Transcan-Pharma Inc. et Exmart Pharma Inc.)

Défenderesses

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

1.         MISE EN CONTEXTE

[1]           Les produits érotiques vendus par les défenderesses sont-ils des produits «hygiéniques ou sanitaires» aux termes de la Loi sur les heures et les jours d’admission dans les établissements commerciaux[1] (la «LHJA»), de telle sorte qu’ils puissent être vendus en dehors des heures d’admission prescrites par la LHJA.

[2]           Cette question s’inscrit dans le cadre de la «Requête introductive d’instance en injonction permanente et Requête pour l’émission d’une injonction interlocutoire amendée» présentée par la demanderesse Procureure Générale du Québec (la «Demanderesse»).

 

 

2.         AMENDEMENTS ET PRÉCISIONS

[3]           Dès le début de l’audition, les procureurs des parties ont fait part au Tribunal de modifications à effectuer à la désignation et au retrait de certaines des parties, et de quelques précisions à apporter relativement aux commerces exploités par les défenderesses, soit :

a.    Landco Import Canada Ltée est retirée à titre de partie défenderesse, sans frais;

b.    Magasin Landco Store Inc. (la «Défenderesse Landco») est substituée aux défenderesses Jalberco Inc. et Transcan-Pharma Inc., ces dernières ayant fusionné avec Exmart Pharma Inc. pour former la Défenderesse Landco[2];

c.    La défenderesse Distributions Percour Inc.[3] (la «Défenderesse Percour») opère la boutique «Séduction» située au 5220 boulevard Métropolitain Est à Montréal (la «Boutique Séduction»); et

d.    La Défenderesse Landco opère la boutique «Romance» située au 14 Pont-Viau à Laval (la «Boutique Romance I») et la boutique «Romance» (anciennement «La Sexerie») située au 145 Curé-Labelle à Laval (la «Boutique Romance II»).

[4]           La Défenderesse Percour et la Défenderesse Landco sont ci-après collectivement appelées les «Défenderesses».

[5]           La Boutique Séduction, la Boutique Romance I et la Boutique Romance II sont ci-après collectivement appelées les «Boutiques».

3.         LHJA

[6]           L’article 7. de la LHJA est au cœur du litige opposant les parties et, afin de bien saisir le débat, il s’avère approprié de le citer immédiatement, ainsi que certains autres articles pertinents de la LHJA :

« SECTION I 
CHAMP D'APPLICATION

1. La présente loi s'applique à tout établissement commercial où des produits sont offerts en vente au détail à qui que ce soit du public, y compris des membres d'un club, d'une coopérative ou d'un autre groupe de consommation.

[…]

SECTION II 
HEURES ET JOURS D'ADMISSION

2. Sous réserve des articles 3 à 14, le public ne peut être admis dans un établissement commercial qu'entre:

 1° 8 h 00 et 17 h 00, le samedi et le dimanche et qu'entre 8 h 00 et 21 h 00, les autres jours de la semaine;

 2° 8 h 00 et 17 h 00, les 24 et 31 décembre;

 3° 13 h 00 et 17 h 00, le 26 décembre s'il tombe un samedi ou un dimanche et qu'entre 13 h 00 et 21 h 00, s'il tombe un autre jour de la semaine.

3. Sous réserve des articles 4.1 à 14, le public ne peut être admis dans un établissement commercial:

 1° le 1er janvier;

 2° le 2 janvier;

 3° le dimanche de Pâques;

 4° le 24 juin;

 5° le 1er juillet;

 6° le premier lundi de septembre;

 7° le 25 décembre;

 8° (paragraphe abrogé).

[…]

7. Le public peut être admis dans un établissement commercial également en dehors des périodes légales d'admission, pourvu que:

 1° l'établissement n'offre principalement en vente, en tout temps, que les produits ou un ensemble des produits suivants: des produits pharmaceutiques, hygiéniques ou sanitaires, des journaux, des périodiques, des livres, du tabac ou des objets requis pour l'usage du tabac et pourvu qu'au plus quatre personnes assurent le fonctionnement de l'établissement en dehors des périodes légales d'admission;

 2° l'établissement n'offre principalement en vente, en tout temps, que les produits ou un ensemble des produits suivants: de l'huile à moteur, du combustible, des journaux, des périodiques, des livres, du tabac ou des objets requis pour l'usage du tabac.

Pour l'application du paragraphe 1° du premier alinéa, le mot «personnes» exclut les professionnels régis par la Loi sur la pharmacie (chapitre P-10) et les personnes affectées exclusivement à la préparation des médicaments.

[…] »

[le Tribunal souligne]

[7]           Ainsi, tel que déjà mentionné, les Défenderesses prétendent qu’elles n’ont pas à respecter les heures d’admission prévues à l’article 2 de la LHJA pour l’opération des Boutiques, au motif qu’elles bénéficient de l’une des exceptions prévues à l’article 7. de la LHJA, soit qu’elles offrent «principalement» en vente des produits «hygiéniques ou sanitaires», soit les produits érotiques énumérés ci-après.

4.         PRINCIPAUX FAITS

[8]           Exception faite du débat relatif à l’interprétation de l’article 7. de la LHJA et les divergences d’opinion à cet égard entre les experts des parties, les principaux faits ne sont pas contestés.

[9]           Essentiellement, les produits vendus «au détail» par les Défenderesses dans les Boutiques sont ceux décrits dans le rapport[4] de l’expert retenu par les Défenderesses, le Dr Michel R. Campbell (l’«Expert Campbell»), et aussi décrits à la pièce D-2, soit :

«1)            Les accessoires

Nous entendons par accessoires, les produits vibrants ou non, sans forme phallique, conçus essentiellement pour améliorer la vie sexuelle, favorisant l’excitation sexuelle, la stimulation sexuelle et la satisfaction sexuelle, et cela, tant chez l’homme que chez la femme. Nous faisons ici référence aux accessoires de type anal, vaginal, corporel, les anneaux péniens, les anneaux vibrants, les boules chinoises, les tiges et boules vibrantes, les pompes pour aider l’érection, les rallonges péniennes, les dilatateurs, etc.

[…]

(collectivement les «Accessoires»)

3) [sic] Les lotions, les crèmes, les huiles et les lubrifiants

[…]

(collectivement les «Lubrifiants»);

4) Les produits naturels et alimentaires de type suppléments

[…]

(collectivement les «Suppléments»);

5) Les prothèses, les orthèses, les pompes, les vibrateurs et les masturbateurs

[…]

(collectivement les «Instruments»);

6) Les livres, les revues et les cartes

[…]

(collectivement les «Livres»);

7) Les condoms, les préservatifs et les digues dentaires

[…]

(collectivement les «Préservatifs»).»

[10]        Les Accessoires, les Lubrifiants, les Suppléments, les Instruments, les Livres et les Préservatifs sont ci-après collectivement appelés les «Produits érotiques».

[11]        Même si les Défenderesses opèrent les Boutiques en dehors des heures d’admission imposées par la LHJA depuis au moins 1992, ce n’est qu’à compter de 2008, suite à des inspections[5], que le ministre du «Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation», chargé de l’application de la LHJA[6], a pris les mesures nécessaires pour que soit émis à l’encontre des Défenderesses des constats d’infraction aux dispositions de la LHJAConstats»).

[12]        Le 7 novembre 2011, soit lors de l’institution des procédures en injonction permanente à l’origine du présent jugement (les « Procédures »), plus de 60 Constats avaient déjà été émis à l’encontre de l’une ou l’autre des Défenderesses.

[13]        Par contre, ce n’est que dans le cadre de leur contestation des Procédures que les Défenderesses ont fait part à la Demanderesse, pour la première fois, de leur position à l’encontre des Constats, soit qu’elles prétendaient bénéficier de l’exception prévue à l’article 7. de la LHJA reliée au fait qu’elles offriraient «principalement» en vente des produits «hygiéniques ou sanitaires».

[14]        En effet, la Défenderesse Percour n’a jamais donné suite à la lettre du 17 décembre 2009[7] que la «Direction du commerce et de la construction du Ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation» adressait à ses procureurs, les invitant à «nous convaincre que la Boutique Séduction peut bénéficier d’une des exemptions prévues» par la LHJA.

[15]        En date de l’audition des Procédures, 180 Constats additionnels avaient été émis à l’encontre de l’une ou l’autre des Défenderesses, portant ainsi le total à 240 Constats, tous contestés, entre autres, pour ce même motif relié à l’article 7. de la LHJA.

[16]        Étant donné que l’émission de Constats n’incite aucunement les Défenderesses à ajuster en conséquence les heures d’ouverture des Boutiques, la Demanderesse demande, par le biais des Procédures, qu’il soit ordonné aux Défenderesses, à leurs dirigeants, administrateurs, représentants, employés et mandataires, de cesser d’admettre le public dans les Boutiques en dehors des heures d’admission prévues à l’article 2 de la LHJA.

[17]        Par ailleurs, le Tribunal tient à mentionner que dans une affaire[8] impliquant une société parente des Défenderesses, soit Trans-Asia Tours inc., laquelle vend aussi des Produits érotiques, l’argument élaboré autour de l’exception reliée à la vente de «produits hygiéniques ou sanitaires» ne fut pas retenu par la juge de paix Johanne Whyte.

[18]        Par contre, ce jugement est présentement en appel devant la Cour supérieure.

5.         POSITION DES PARTIES

[19]        Étant donné que la Demanderesse a commenté les prétentions des Défenderesses, celles de ces dernières seront d’abord résumées, suivies de celles de la Demanderesse.

5.1       Défenderesses

[20]        Les Défenderesses prétendent que les Produits érotiques qu’elles vendent dans les Boutiques sont des produits améliorant la santé sexuelle, soit le mieux-être sexuel et la satisfaction sexuelle[9], et qu’ils aident ainsi à favoriser la santé en général et, de ce fait, ils constituent des produits «hygiéniques ou sanitaires» visés par cette exception de l’article 7. de la LHJA.

[21]        Selon les Défenderesses, l’interprétation à donner aux termes produits «hygiéniques ou sanitaires» doit être inclusive et être adaptée à l’évolution de la société et, en aucun temps, répondre au qualificatif ou à la condition de «nécessité» et de «dépannage», ce qui irait d’ailleurs à l’encontre des règles d’interprétation applicables en la matière.

[22]        Les Défenderesses soumettent donc qu’elles offrent «principalement» en vente des produits «hygiéniques ou sanitaires» et, vu leur nature, les achats de ces produits sont effectués, en partie importante, en fin de soirée, soit en dehors des heures d’admission prévues à l’article 2 de la LHJA.

[23]        Ainsi, selon les Défenderesses, toute modification aux heures d’admission actuelles des Boutiques compromettrait leur viabilité économique et menacerait les emplois des personnes qui y travaillent.

[24]        Finalement, par le biais d’une demande reconventionnelle, les Défenderesses demandent au Tribunal une «déclaration» confirmant qu’elles bénéficient effectivement de cette exception prévue à l’article 7. de la LHJA et qu’elles ont donc le droit d’ouvrir les Boutiques en dehors des heures légales d’admission prévues à l’article 2 de la LHJA.

5.2       Demanderesse

[25]        Tel que mentionné ci-après, la Demanderesse admet que les Lubrifiants et les Préservatifs soient des produits «hygiéniques ou sanitaires» mais, par contre, ils ne représentent pas ce qui est offert «principalement» en vente par les Défenderesses dans les Boutiques.

[26]        Selon la Demanderesse, les produits «hygiéniques ou sanitaires» dont il est question à  l’article 7. de la LHJA, sont des produits d’utilité courante pour la majorité des consommateurs, ce qui n’est pas le cas pour la majeure partie des Produits érotiques offerts en vente par les Défenderesses dans les Boutiques.

[27]        Par conséquent, la Demanderesse soumet que les Défenderesses ne respectent pas les dispositions de l’article 2 de la LHJA relatives aux heures d’admission du public dans un établissement commercial.

[28]        Étant donné que la LHJA est une loi pénale d’ordre public et que les Défenderesses contestent systématiquement tous les Constats qui leur sont émis, la Demanderesse soumet donc qu’elle a alors l’intérêt requis pour procéder par voie d’injonction permanente afin d’assurer le respect immédiat de la LHJA.

[29]        Selon la Demanderesse, la contestation d’un Constat ou le paiement de l’amende reliée à une telle infraction ne peuvent justifier le non-respect constant de la LHJA et le Tribunal doit y mettre fin, d’où les Procédures.

6.         EXPERTISES

[30]        Similairement à la position des parties, l’expert retenu par la Demanderesse, soit le Dr Marc Ravart (l’«Expert Ravart»), a commenté le rapport de l’Expert Campbell retenu par les Défenderesses, et l’opinion de ce dernier sera d’abord résumée brièvement, suivie de celle de l’Expert Ravart.

6.1       Expert Campbell

[31]        Le Tribunal a reconnu l’expertise en psychologie et en sexologie de l’Expert Campbell.

[32]        Au départ, l’Expert Campbell explique sa compréhension de la LHJA comme suit :

«Nous comprenons que, selon la [LHJA], les produits sanitaires sont des articles reliés à la santé publique. Nous comprenons également que les articles reliés à la santé publique doivent favoriser la santé en général, et dans certains cas, la santé sexuelle, soit le mieux-être sexuel ou le bien-être sexuel et la satisfaction sexuelle.»[10]

[33]        Puis, selon l’Expert Campbell, les Produits érotiques «que nous retrouvons dans les boutiques érotiques [des Défenderesses] et qui peuvent être bénéfiques pour la santé sexuelle, physique et psychologique des femmes et des hommes qui les utilisent»[11] sont essentiellement sanitaires, car ils favorisent le bien-être sexuel, l’épanouissement sexuel, la satisfaction sexuelle, et ils peuvent également aider à combler des dysfonctions sexuelles, des désordres sexuels ainsi que des anomalies corporelles sexuelles[12].

[34]        L’Expert Campbell conclut ainsi :

«En conclusion tous les produits ou autres objets érotiques pouvant augmenter l’excitation sexuelle, le désir sexuel, la satisfaction sexuelle ou pouvant réduire l’anxiété sexuelle, souvent la source de difficultés sexuelles, doivent être considérés comme des produits sanitaires puisqu’ils favorisent la santé sexuelle.

[…]

Il faut également mentionner que les personnes ayant des pratiques particulières comme le fétichisme, le masochisme léger, le sadisme léger, dans le respect de soi et des autres, et les comportements de domination ou de soumission sexuelle, également dans le respect de soi et des autres, sont souvent associés à des vêtements, des articles et objets sexuels. Le but est d’utiliser les objets pour augmenter l’excitation sexuelle, le plaisir sexuel et la satisfaction sexuelle associée à la santé sexuelle.

[…].» [13]

6.2       Expert Ravart

[35]        Le Tribunal a aussi reconnu l’expertise en psychologie et en sexologie de l’Expert Ravart.

[36]        D’abord, l’Expert Ravart note qu’en plus de 20 années d’expérience comme psychologue et sexologue clinicien, il n’a «jamais lu ou entendu parler de la notion de produits hygiéniques et sanitaires pour décrire les divers produits érotiques faisant l’objet d’étude dans ce dossier»[14].

[37]        Même si l’Expert Ravart est en accord avec l’Expert Campbell quant à l’importance de la santé sexuelle et son rôle sur la santé globale des personnes, il ne partage pas son opinion quant au fait que l’ensemble des Produits érotiques peut et doit être qualifié de produits «hygiéniques ou sanitaires».

[38]        Voici les conclusions de l’Expert Ravart à ce sujet :

«D’emblée, l’étude du dossier dans la présente expertise est compliquée par le fait que les termes produits hygiéniques et sanitaires ne sont pas définis [dans la LHJA], ce qui ne laisse place qu’au sens commun, quant à la qualification de tels produits. Selon moi, la notion de produits hygiéniques et sanitaires renvoie nettement plus à la propreté, à la santé générale d’une personne et à la santé publique qu’à la santé sexuelle et aux produits  érotiques. À mon avis, cette notion ne rejoint pas le vocabulaire normalement utilisé dans ma profession pour qualifier les produits érotiques qui apparaissent au document E-1 C.P. [les Produits érotiques].

Quant à mon opinion sur les produits érotiques qui apparaissent au document E-1 C.P. et qui peuvent être conceptualisés et qualifiés comme des produits hygiéniques et sanitaires, à mon avis, seulement les produits érotiques qui protègent contre les maladies sexuelles et les grossesses non désirées méritent d’être catégorisés ainsi. Il s’agit donc de condoms masculins et féminins, incluant à la limite certains lubrifiants associés au bon fonctionnement de ceux-ci.

L’ensemble des autres produits érotiques peut en effet favoriser l’épanouissement sexuel et la santé sexuelle chez certaines personnes. Par contre, selon mon opinion, ces autres produits érotiques renvoient nettement plus à des produits pouvant favoriser et préserver des préférences et intérêts sexuels qu’à des produits pouvant favoriser et préserver la santé générale et publique. Je crois que les autres produits érotiques ne méritent pas d’être qualifiés de produits hygiéniques ou sanitaires, considérant que la non disponibilité de ces produits érotiques en dehors des heures d’affaires n’a aucun lien avec la santé générale d’une personne ni la santé publique.»[15]

7.         ADMISSIONS

[39]        La Demanderesse admet que certains des Produits érotiques sont des produits «hygiéniques ou sanitaires», tels que les Préservatifs et les Lubrifiants, mais cela ne représente pas plus que 10 % à 15 % des Produits érotiques vendus par les Défenderesses dans les Boutiques, soit une portion loin d’être importante.

[40]        Parallèlement, les Défenderesses admettent par ailleurs que si le Tribunal en vient à la conclusion que les Accessoires et les Instruments ne sont pas des produits «hygiéniques ou sanitaires», alors elles ne rencontrent pas la condition de l’article 7. de la LHJA reliée au fait d’offrir «principalement» en vente des produits «hygiéniques ou sanitaires», et elles ne peuvent pas alors bénéficier de l’exception qui y est prévue.

[41]        Dans un tel cas, il ne sera pas nécessaire d’analyser le pourcentage des ventes dans les Boutiques de chacun des Produits érotiques et de confronter les rapports des experts retenus à cette fin par les parties.

8.         QUESTIONS EN LITIGE

[42]        Dans ces circonstances, et vu que le Tribunal en vient effectivement à cette conclusion, les deux seules questions à discuter sont les suivantes :

a.    Les Accessoires et les Instruments sont-ils des produits «hygiéniques ou sanitaires» au sens de l’article 7. de la LHJA?

b.    Dans la négative, l’injonction permanente est-elle le véhicule procédural approprié pour forcer les Défenderesses à respecter l’article 2 de la LHJA et, le cas échéant, l’ordonnance à être rendue doit-elle être déclarée exécutoire nonobstant appel?

9.         DISCUSSION

9.1       Les Accessoires et les Instruments sont-ils des produits «hygiéniques ou sanitaires» au sens de l’article 7. de la LHJA?

9.1.1    Le droit

[43]        La LHJA ne définit pas les termes «produits hygiéniques ou sanitaires».

[44]        L’article 41 de la Loi d’interprétation[16] prévoit ce qui suit :

«41. Toute disposition d’une loi est réputée avoir pour objet de reconnaître des droits, d’imposer des obligations ou de favoriser l’exercice des droits, ou encore de remédier à quelque abus ou de procurer quelque avantage.

Une telle loi reçoit une interprétation large, libérale, qui assure l’accomplissement de son objet et l’exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin.»

[le Tribunal souligne]

[45]        Driedger[17], maintes fois cité par la Cour suprême du Canada[18], formule ainsi le principe et les étapes d’interprétation :

«[Traduction] Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur

[…]

«1. Il faut interpréter l’ensemble de la loi en fonction de son contexte global pour déterminer l’intention du législateur (la loi selon sa teneur expresse ou implicite), l’objet de la loi (les fins qu’elle poursuit) et l’économie de la loi (les liens entre ses différentes dispositions).

2. Il faut ensuite interpréter les termes des dispositions particulières applicables à l’affaire en cause selon leur sens grammatical et ordinaire, en fonction de l’intention du législateur manifestée dans l’ensemble de la loi, de l’objet de la loi et de son économie. S’ils sont clairs et précis, et conformes à l’intention, à l’objet, à l’économie et à l’ensemble de la loi, l’analyse s’arrête là.

3. Si les termes sont apparemment obscurs ou ambigus, il faut leur donner le sens qui est le plus compatible avec l’intention du législateur, l’objet de la loi et son économie, mais un sens qu’ils peuvent raisonnablement avoir.

4. Si, malgré que les termes soient clairs et sans ambiguïté lorsqu’ils sont interprétés selon leur sens grammatical et ordinaire, il y a discordance dans la loi, avec les lois qualifiées de pari materia, ou avec le droit en général, alors il faut donner aux termes un sens inhabituel pouvant entraîner l’harmonie, s’ils peuvent raisonnablement avoir ce sens.

5. Si les termes obscurs, ambigus ou discordants ne peuvent être interprétés objectivement en fonction de l’intention du législateur, de l’objet de la loi ou de son économie, alors il faut donner l’interprétation qui paraît la plus raisonnable.»

[46]        De plus, les règles suivantes sont aussi pertinentes aux fins des présentes :

a.    Une loi pénale, telle que la LHJA, est sujette à une interprétation stricte et, pour qu’il y ait lieu d’interpréter une disposition d’une telle loi, encore faut-il qu’il y ait une ambiguïté réelle, c’est-à-dire qu’elle soit «raisonnablement susceptible de donner lieu à plus d’une interprétation», et ce, en fonction du contexte global de cette disposition.

Donc, il faut «deux ou plusieurs interprétations plausibles, qui s’harmonisent chacune également avec l’intention du législateur, créent une ambiguïté véritable que les tribunaux doivent recourir à des moyens d’interprétation externe», «y compris d’autres principes d’interprétation».[19]

Par contre, si une ambiguïté persiste lors de l’analyse d’une disposition d’une loi pénale, telle la LHJA, alors la règle de l’interprétation stricte s’applique, soit l’interprétation la plus favorable au défendeur.[20]

b.    «Malgré les nombreuses lacunes de la preuve des débats parlementaires, notre Cour a reconnu qu’elle peut jouer un rôle limité en matière d’interprétation législative.»[21]

«Des très nombreux arrêts où l’on retrouve ces éléments historiques, il est possible de dégager une orientation assez nette de la Cour [Cour suprême du Canada]. Elle peut se résumer comme suit : les travaux préparatoires sont admissibles sans restrictions pour interpréter la loi (1), mais ils doivent être utilisés avec prudence (2), de façon complémentaire (3) et en tenant compte de la clarté des renseignements qu’ils contiennent (4).»[22]

9.1.2    L’esprit de la LHJA, l’objet de la LHJA et l’intention du législateur

[47]        Lors des débats à l’Assemblée nationale dans le cadre de l’adoption du projet de loi de la LHJA, Monsieur Gérald Tremblay, alors ministre de «l’Industrie, du Commerce et de la Technologie» et responsable dudit projet (le «Ministre»), résumait comme suit les principes sous-tendant la LHJA :

«[…] Premier principe : l’équité entre tous les commerçants. Si on veut qu’une loi soit respectée, il faut au moins qu’elle soit équitable pour tous les commerçants. Deuxième principe : on fait une loi, entre autres, pour répondre aux besoins réels des consommateurs. Donc, c’est important. Et j’ai pris soin de mentionner, à ce moment là : besoins, mais, également, besoins réels. Troisième principe : la qualité de vie de la population, notamment celle des travailleurs et des travailleuses. Donc, nos trois principes.»[23]

[le Tribunal souligne]

[48]        L’objectif visé par la LHJA consistait à libéraliser les heures d’admission du public dans tous les commerces, y inclus le dimanche, et mettre fin au pouvoir discrétionnaire du Ministre d’autoriser certains commerçants à bénéficier d’exceptions, pour un certain temps et pour diverses raisons.

[49]        Quant aux exceptions, dorénavant limitées aux termes de la LHJA, le Ministre précisait alors ce qui suit :

«[…] On a cru bon maintenir huit exceptions et je ne crois pas que ça semble poser un problème : La restauration. Les restaurants peuvent demeurer ouverts 24 heures par jour, sept jours par semaine; les pharmacies : la vraie pharmacie peut ouvrir sept jours par semaine, 24 heures par jour; les stations d’essence, les tabagies, les commerces qui vendent des œuvres d’art et de l’artisanat, les fleuristes, les antiquaires, les personnes qui vendent également de la marchandise usagée, et, la huitième exception, hors les heures normales, la règle qui a été mise de l’avant de quatre employés.»[24]

[le Tribunal souligne]

[50]        Le député Maurice Richard, président du Comité Richard institué aux fins de faire le point sur la controversée question des heures d’affaires au Québec, précisait ce qui suit lors de ces débats à l’Assemblée nationale :

«Enfin, soulignons que cette loi réduira à l’essentiel les exceptions relatives à l’ouverture des établissements commerciaux en dehors des heures normales. Les exceptions passent de 19 à 8 et touchent des services ou des secteurs d’activité dits essentiels ou de dépannage pour l’ensemble des citoyens.»[25]

[le Tribunal souligne]

[51]        Il est donc clair que le législateur voulait, par la LHJA, libéraliser équitablement entre tous les commerçants les heures d’admission dans leurs établissements, sauf certaines exceptions limitées, pour accommoder et dépanner les consommateurs pour certains services et biens essentiels.

[52]        Dans l’affaire Procureur général c. 9030-5871 Québec Inc., le Juge L. Baribeau constatait ce qui suit :

«Ces exceptions font référence à des biens d’utilité courante dont la nécessité peut se faire sentir en dehors des heures d’ouverture des établissements commerciaux prévus [sic] par la loi[26]

9.1.3    Sens ordinaire des termes «hygiéniques ou sanitaires»  

[53]        Selon les principes d’interprétation revus précédemment, il faut donner aux mots le sens ordinaire qu’ils ont dans la langue courante.[27]

[54]        Ainsi, nous retrouvons les définitions suivantes dans Le Petit Robert 2013[28] :

«Hygiénique, adjectif

 1.        Qui a rapport à l'hygiène, à la propreté, des parties intimes du corps.  Papier hygiénique.  Serviette, tampon hygiénique, utilisés pendant les règles.  périodique.

 2.        Qui est conforme à l'hygiène, bon pour la santé.  1. sain.  Faire une promenade hygiénique.  Prêter sa brosse à dents n'est pas très hygiénique.  Conditions hygiéniques et sanitaires

«Hygiène, nom féminin

1.         Ensemble des principes et des pratiques tendant à préserver, à améliorer la santéRègles, précautions d'hygiène.  Désinfecter un lieu par mesure d'hygiène.  Hygiène hospitalière.  Avoir une bonne hygiène de vie, une bonne hygiène alimentaire: vivre, se nourrir sainement. «il se forçait à cet exercice, par hygiène» (Zola).

Hygiène mentale: ensemble de mesures destinées à conserver l'intégrité des fonctions psychiques.  Dispensaire d'hygiène sociale.  Hygiène publique: ensemble des moyens mis en œuvre par les pouvoirs publics pour la sauvegarde et l'amélioration de la santé à l'intérieur d'un pays.  salubrité, santé.  Mesures d'hygiène collective: assainissement, désinfection, prophylaxie.»

«Sanitaire, adjectif et nom masculin

 1.        Relatif à la santé publique et à l'hygiène.  santé.  La technique sanitaire: épidémiologie, étude de la salubrité des denrées alimentaires, de la pollution atmosphérique, des problèmes de construction, de voirie, de distribution des eaux.  Législation, police sanitaire.  hygiène, médecine.  Action sanitaire et sociale.  Cordon* sanitaire pour enrayer la contagion.  Catastrophe sanitaireRapatriement* sanitaire. Génie sanitaire: ensemble d'études et de techniques visant à assurer la salubrité et l'hygiène des lieux, des services publics, des denrées alimentaires, des installations industrielles.  Formation, service sanitaire.  Pour plus de sûreté, «le personnel sanitaire continuait de respirer sous des masques de gaze désinfectée» (Camus)»

[55]        De plus, autant l’Expert Ravart que l’Expert Campbell confirment que, dans leur domaine de pratique professionnelle, les termes «produits hygiéniques ou sanitaires» ne sont pas utilisés pour désigner des produits érotiques.

9.1.4    Analyse

[56]        À la lumière de ce qui précède, le Tribunal est d’avis que le texte même de l’article 7. de la LHJA n’est pas ambigu et que les exceptions doivent se lire de façon limitative, en donnant aux termes utilisés leur sens courant et ordinaire, et non pas un sens spécialisé.

[57]        Il est clair que le législateur n’avait pas l’intention d’inclure dans l’exception des produits «sanitaires» tous les produits qui pouvaient, grâce une interprétation «élastique» du terme «sanitaires», toucher, de près ou de loin, à la santé ou permettre d’améliorer, d’une certaine façon, la santé.

[58]        Si tel était le cas, il ne s’agirait plus d’une exception, car beaucoup de produits peuvent avoir une influence positive sur la santé. Il suffit de penser aux articles de sport, à la musique d’ambiance, à la lecture, etc.

[59]        Dans le contexte de la LHJA, les termes «hygiéniques ou sanitaires» font plutôt référence à l’hygiène corporelle et la salubrité, et à l’intégrité physique.

[60]        D’ailleurs, dans la loi[29] précédant la LHJA, l’utilisation des termes «produits pharmaceutiques, hygiéniques ou sanitaires» avait pour but de ne pas limiter les «produits pharmaceutiques» aux seuls produits vendus sous ordonnance.

[61]        Le législateur a voulu alors adapter la terminologie à ce qui était effectivement vendu en pharmacie, et ce, dans un contexte où la disposition de la loi alors en vigueur spécifiait plutôt «dont l’activité exclusive est la vente de».

[62]        L’objectif était de viser, de façon générale, les biens essentiels ou de dépannage pour l’ensemble des consommateurs, et non des biens pouvant avoir un bienfait quelconque pour la santé sexuelle de certains.

[63]        Les exceptions doivent être analysées et interprétées de façon limitative et restrictive, et non pas libéralement et globalement inclusives, au point où elles vont à l’encontre de l’objet de la LHJA.

[64]        Le Tribunal est donc d’avis que les produits «hygiéniques ou sanitaires» dont il est question à l’article 7. de la LHJA sont des produits d’utilité courante et que le législateur vise à accommoder les consommateurs en permettant leur achat en dehors des heures normales d’ouverture des magasins[30].

[65]        Le Tribunal retient donc l’opinion émise par l’Expert Ravart, modérée et conforme à la réalité législative et courante, et il rejette celle de l’Expert Campbell, très inclusive, sans limite.

[66]        Pour l’Expert Campbell, des cas d’exception deviennent des cas courants, sans considération aucune de l’impact que ses affirmations peuvent avoir pour d’autres produits ayant aussi un effet positif pour la santé.

[67]        Il ne faut jamais perdre de vue le «portrait global», et il est apparu clairement au Tribunal que l’Expert Campbell épousait, sans réserve, la position des Défenderesses, alors que des distinctions évidentes s‘imposaient.

[68]        Ainsi, selon le Tribunal, les produits «hygiéniques ou sanitaires» dont il est question à l’article 7. de la LHJA sont ceux reliés à l’hygiène et la salubrité et, de façon générale, ceux qui permettent la préservation de l’intégrité physique et assurent, entre autres, la protection contre les infections, les maladies transmises sexuellement et les grossesses non désirées.

[69]        Il ne fait donc aucun doute pour le Tribunal que le législateur n’entrevoyait pas d’inclure dans ces produits des produits tels que les Accessoires et les Instruments.

[70]        En effet, plusieurs de ces produits sont reliés à des intérêts personnels particuliers, ou encore à une utilisation sur une certaine période afin d’atteindre l’objectif visé, ne nécessitant aucunement d’y avoir accès pour une utilisation urgente, à la toute dernière minute.

[71]        Il y a tout lieu de croire que les personnes intéressées par les Accessoires et les Instruments ont prévu le coup, sinon ils devraient commencer à y penser sérieusement.

[72]        Tel que le Tribunal l’a mentionné aux Défenderesses lors de l’audition, si elles veulent que les Produits érotiques fassent partie des exceptions de l’article 7. de la LHJA, elles doivent plutôt s’adresser au législateur afin qu’il modifie en conséquence la LHJA. Tel n’est pas le rôle du Tribunal.

[73]        Par ailleurs, et quoique que cela n’ait aucune incidence aux fins des présentes, les Défenderesses ont prétendu que si elles devaient respecter les heures d’affaires de la LHJA, alors leur survie financière serait sérieusement affectée.

[74]        Pour appuyer cette prétention, les Défenderesses ont produit des tableaux[31] divisant leurs ventes par heures d’ouverture des Boutiques, afin d’établir la proportion des ventes effectuées après 21h les jeudis et vendredis, et après 17h les samedis et dimanches (en «Dehors des heures d’affaires»).

[75]        Or, il appert que la majeure partie des ventes des Boutiques n’a pas lieu en Dehors des heures d’affaires, mais plutôt les après-midi.

[76]        De plus, si les Défenderesses font des ventes en Dehors des heures d’affaires, ceci n’est certes pas étranger au fait que les consommateurs ont, fort probablement, modulé leurs habitudes d’achat en fonction des heures d’ouverture des Boutiques.

[77]        À tout événement, le chiffre d’affaires d’une entreprise n’a aucune incidence sur l’application de la LHJA et, tel que mentionné précédemment, la santé financière des Défenderesses n’a pas à être prise en considération dans le cadre de l’analyse de l’application de la LHJA. S’il en était ainsi, il y a tout lieu de croire que la liste des «prétendants» serait plutôt longue.

[78]        Parallèlement, le fait que la Demanderesse n’aurait pas poursuivi certains des compétiteurs des Défenderesses qui ne respecteraient pas les heures d’admission prévues à l’article 2 de la LHJA ne constitue aucunement un moyen de défense acceptable, chaque cas devant être étudié à son mérite. Il ne peut être question de faire aussi le procès de ces autres compétiteurs, si tant est que telle soit la situation.

[79]        Enfin, le fait que la Demanderesse ait attendu plusieurs années avant d’émettre des Constats ne justifie aucunement le rejet des Procédures.

[80]        Quoiqu’il soit déplorable que la Demanderesse ait laissé ainsi perdurer une telle situation, cela n’excuse pas pour autant le non-respect par les Défenderesses des dispositions de l’article 2 de la LHJA.

9.1.5    Conclusion

[81]        Le Tribunal est donc d’avis que les Accessoires et les Instruments vendus par les Défenderesses dans les Boutiques ne sont pas des produits «hygiéniques ou sanitaires» au sens de l’article 7. de la LHJA, et les Défenderesses ne peuvent donc pas bénéficier de l’exception qui y est prévue à cet égard.

[82]        Par conséquent, les Défenderesses doivent respecter les heures prévues à l’article 2 de la LHJA pour l’admission du public dans les Boutiques.

9.2       Vu cette conclusion, l’injonction permanente est-elle le véhicule procédural approprié pour forcer les Défenderesses à respecter l’article 2 de la LHJA et, le cas échéant, l’ordonnance à être rendue doit-elle être déclarée exécutoire nonobstant appel?

9.2.1    Le droit

[83]        Le Tribunal fait siens les principes suivants, applicables en la matière et rappelés par la juge Sophie Picard, j.C.s., dans l’affaire Drouin c. 9179-3588 Québec inc.[32] :

a.    «Le recours à l’injonction permet à l’autorité publique de faire respecter une loi d’intérêt public lorsque les sanctions pénales y étant prévues s’avèrent inefficaces[33].»

b.    «Au stade de l’injonction permanente, le demandeur doit établir son droit à l’injonction et l’existence de circonstances en justifiant l’octroi[34]. Il n’a pas à prouver le préjudice sérieux ou irréparable ni la prépondérance des inconvénients; ces critères appartiennent plutôt à l’injonction interlocutoire[35].»

9.2.2    Analyse

[84]        Il n’est pas contesté que la Demanderesse puisse s’adresser au Tribunal pour faire respecter une loi d’ordre public, la jurisprudence l’a reconnu à plusieurs reprises[36].

[85]        La LHJA, étant une loi pénale d’ordre public[37], la Demanderesse a donc l’intérêt pour instituer les Procédures.

[86]        Plus de 240 Constats ont été émis à ce jour à l’encontre des Défenderesses, sans succès, ces dernières contestant systématiquement tout Constat émis.

[87]        Il est d’ailleurs déplorable qu’aucun de ces Constats n’ait encore fait l’objet d’un débat judiciaire, sauf un constat émis à l’encontre d’une société parente des Défenderesses[38].

[88]        À ce rythme, il y a tout lieu de croire que les Défenderesses continueront à ne pas respecter les dispositions de l’article 2 de la LHJA, et ce, pour encore de nombreuses années à venir.

[89]        Qui sait, peut-être aussi que les Défenderesses décideront éventuellement de régler les Constats par le paiement des amendes à être imposées, mais tout en ne changeant pas les heures d’admission du public dans les Boutiques.

[90]        Le problème du non-respect de l’article 2 de la LHJA demeurera alors tout entier, tout comme il l’est présentement.

[91]        Une telle situation est inacceptable, car la contravention répétée de la LHJA constitue pour le bien public un préjudice sérieux, en plus du fait que cela crée une concurrence déloyale à l’égard des compétiteurs des Défenderesses qui respectent les heures d’admission prévues à l’article 2 de la LHJA.

[92]        Dans de telles circonstances, l’injonction permanente s’avère appropriée, et son exécution immédiate nonobstant appel est tout autant appropriée, afin d’éviter tout délai additionnel, résultant, entre autres, de la stratégie adoptée par les Défenderesses.

9.2.3    Conclusion

[93]        Le Tribunal est donc d’avis que l’injonction permanente est le véhicule procédural approprié pour forcer les Défenderesses à respecter l’article 2 de la LHJA, et qu’il est essentiel qu’elle soit exécutoire nonobstant appel afin d’assurer le respect immédiat dudit article. Cette situation a déjà trop duré.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[94]        ACCUEILLE la requête en injonction permanente de la Procureure Générale du Québec à l’encontre des défenderesses Distributions Percour inc. et Magasin Landco Store inc. (les «Défenderesses»);

[95]        REJETTE la défense et demande reconventionnelle des Défenderesses;

[96]        ORDONNE à la Défenderesse Distributions Percour inc., à ses dirigeants, administrateurs, représentants, employés et mandataires, de cesser d’admettre le public en dehors des heures d’admission prévues à l’article 2 de la LHJA dans sa boutique «Séduction» située au 5220 boulevard Métropolitain Est à Montréal;

[97]        ORDONNE à la Défenderesse Magasin Landco Store inc., à ses dirigeants, administrateurs, représentants, employés et mandataires, de cesser d’admettre le public en dehors des heures d’admission prévues à l’article 2 de la LHJA dans ses boutiques «Romance» situées au 14 Pont-Viau à Laval et au 145 Curé-Labelle à Laval;

[98]        ORDONNE l’exécution provisoire de ce jugement nonobstant appel;

[99]        LE TOUT avec dépens, y inclus les frais d’expertise du Dr Marc Ravart.

 

 

__________________________________

LOUIS J. GOUIN, J.C.S.

 

Me Charles Gravel

Bernard, Roy (JUSTICE QUÉBEC)

Procureurs de la Demanderesse

 

Me Louis-Denis Laberge

Bernard & Brassard

Procureurs des Défenderesses

 

Me Jean-Philippe Asselin

Crochetière Pétrin

Avocats-conseils des Défenderesses

 

 

Dates d’audience :

4, 5, 6 et 7 mai 2015

 



[1] RLRQ, c. H-2.1.

[2] Pièce P-2a.

[3] Pièce P-1a.

[4] Rapport de l’Expert Campbell, pp. 9 - 12.

[5] Pièce P-4.

[6] Art. 38 de la Loi.

[7] Pièce P-7.

[8] Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Trans-Asia Tours inc. 20014 QCCQ 289.

[9] Pièce D-6.

[10] Rapport de l’Expert Campbell, p. 3, paragr. 1.

[11] Rapport de l’Expert Campbell, p. 9, paragr. 1.

[12] Rapport de l’Expert Campbell, pp. 9 - 12.

[13] Rapport de l’Expert Campbell, p. 13.

[14] Rapport de l’Expert Ravart, p. 3. dernier paragr.

[15] Rapport de l’Expert Ravart, pp. 5-6.

[16] RLRQ, c. I-16.

[17] Elmer A. DRIEDGER, Construction of Statutes, 2nd ed., coll. «Canadian legal manual series», Toronto, Butterworths, 1983, p. 87 et 105.

[18] R. c. McIntosh [1995] 1 S.C.R. 686, paragr. 18 et 21; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re) [1998] 1 .R.C.S. 27, paragr. 21; Bell Expressvu c. Rex [2002] 2 R.C.S. 559, paragr. 26.

[19] Bell Expressvu c. Rex [2002] 2 R.C.S. 559, paragr. 29, et les arrêts auxquels réfère le juge Iacobucci.

[20] R. c. Hasselwander [1993] 2 R.C.S. 398, pp. 411-413; Bell Expressvu c. Rex [2002] 2 R.C.S. 559, paragr. 28; Pierre-André CÖTÉ, Interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2009, paragr. 1697.

[21] Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re) [1998] 1 .R.C.S. 27, paragr. 35.

[22] Pierre-André CÖTÉ, Interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2009, paragr. 1582.

[23] QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats, 1ère sess., 34e légis., 11 juin 1990, p. 3035.

[24] QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats, 1ère sess., 34e légis., 11 juin 1990, p. 3039.

[25] QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats, 1ère sess., 34e légis., 11 juin 1990, p. 3056.

[26] C.M. Montréal, 997-000-450, 23 février 2000, p. 4.

[27] Voir aussi Pierre-André CÖTÉ, Interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2009, paragr. 994-995.

[28] Petit Robert de la langue française, édition en ligne; Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Trans-Asia Tours inc. 2014 QCCQ 289, paragr. [73] et [74].

[29] Loi sur les heures d’affaires des établissements commerciaux, L.R.Q. c. H-2.

[30] Le Procureur général c. 9030-5871 Québec Inc., 2000 CanLII 21543 (QC CM).

[31] Pièce D-9.

[32] 2012 QCCS 2685, paragr. [64] et [66].

[33] Associated Bakery Stores c. Comité paritaire de livraison de pain de Montréal, No : 09-000094-748, 8 avril 1976 (C.A.); Coutu c. Ordre des pharmaciens du Québec, [1984] R.D.J. 298, p. 308 (C.A.).

[34] A.I.E.S.T., local de scène no 56 c. Société de la Place des Arts de Montréal, [2004] 1 R.C.S. 43, paragr. 13.

[35] Daniel FERRON, Mathieu PICHÉ-MESSIER et Lawrence A. POITRAS, L’injonction et les ordonnances Anton Piller, Mareva et Norwich, Montréal, Lexis Nexis, 2009, p. 73-74.

[36] Club Price Canada Inc. c. Le Procureur  Général du Québec, 1992 CanLII 3871 (QC CA); Procureur général du Québec c. Marchés Bonanza Jean-Talon Inc., [1987] D.L.Q. 202 (C.S. juge Charles D. Gonthier); Association de la Distribution alimentaire du Québec et al. c. Les Placements G.M.R. Maltais Inc. et al., No : 160-05-000124-876, 11 janvier 1990, AZ-90021092, p. 26 (C.S.).

[37] Club Price Canada Inc. c. Le Procureur  Général du Québec, Note 34.

[38] Voir les paragr. [17] et [18] de ce jugement.

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