Agence du revenu du Québec c. Vriniotis |
2015 QCCQ 5220 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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LOCALITÉ DE |
MONTRÉAL |
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« Chambre criminelle et pénale » |
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N° : |
500-61-344174-124 |
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500-61-361201-131 |
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DATE : |
9 JUIN 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
M. SERGE CIMON, JUGE DE PAIX MAGISTRAT |
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AGENCE DU REVENU DU QUÉBEC |
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Poursuivante
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c.
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NICK VRINIOTIS |
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Défendeur |
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JUGEMENT |
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[1] Que doit faire un restaurateur pour respecter son obligation de remettre sans délai une facture à un client lors de la fourniture d’un repas taxable ?[1]
[2] Le défendeur soumet qu’il n’a pas à la remettre en mains propres. Il allègue qu’il lui est suffisant de la rendre disponible pour les clients en raison de la version anglaise de la Loi qui utilise le mot « provide ». La poursuivante plaide que le défendeur ne peut rester passif et qu’il se doit d’accomplir un geste positif visant la remise de la facture à chacun de ses clients.
[3] Quel est le sens du mot « remettre » de l’article 350.51 de la Loi ? Voilà la question en litige.
CONTEXTE FACTUEL
[4] Le 12 septembre 2011, l’inspectrice Martine Gagnon se présente au restaurant Décarie Hot-Dog. À cinq reprises, elle constate que le caissier ne remet aucune facture à des clients qui ont pris un repas. Les factures sortent de l’imprimante reliée à la caisse et demeurent attachées les unes à la suite des autres, pour tomber ensuite dans une poubelle.[2] Elle informe alors Athanasios Vriniotis de l’infraction.[3]
[5] Le 5 octobre 2012, l’inspecteur Alex Parenteau va au restaurant pour effectuer la prise d’un repas. Dès son entrée, il constate que six factures sont accrochées à l’imprimante. Il commande ensuite un repas. Le caissier le sert et lui rend sa monnaie, mais ne lui remet pas la facture imprimée qui reste attachée aux factures précédentes.
[6] Athanasios Vriniotis dirige le commerce de son père Nick depuis 22 ans. Parce que le restaurant est petit et qu’il offre surtout des repas pour emporter, il a mis en place un protocole permettant de servir rapidement les clients et de dégager l’espace. Ainsi, chaque employé doit indistinctement noter la commande du client, préparer le repas, enregistrer la commande dans la caisse, la remettre au client en l’invitant à prendre sa facture, puis passer à la commande suivante. D’ailleurs, une affiche installée sur la caisse enregistreuse indique: « PRENEZ VOTRE FACTURE S.V.P. ».
[7] Monsieur Vriniotis a placé intentionnellement l’imprimante du côté des clients pour que ceux qui veulent une facture n’aient qu’à tendre le bras et la prendre avant de quitter. Cette façon de faire est plus productive, puisqu’elle permet de servir immédiatement un autre client ou d’en servir deux à la fois, tout en décongestionnant l’entrée du restaurant où se trouve la caisse enregistreuse.
[8] Les infractions reprochées au défendeur sont de responsabilité stricte.[4] La poursuivante n’a donc pas à prouver une intention malveillante, mais uniquement l’acte interdit. Dès que celui-ci est démontré, il existe une présomption de culpabilité que le défendeur peut repousser en démontrant, selon la balance des probabilités, qu’il a agi avec diligence raisonnable pour prévenir la commission de l’infraction. Il est entendu que chaque cas est un cas d’espèce et se doit d’être analysé selon ses faits particuliers.[5]
[9] Cela étant dit, le Tribunal ne peut retenir les prétentions du défendeur.
[10] L’exploitation d’un restaurant est une activité hautement réglementée. En application de la théorie de l’acceptation des conditions[6], les restaurateurs se doivent de respecter les lois qui encadrent leur champ d’activité économique. L’une de ces obligations légales concerne la remise d’une facture à l’acquéreur d’un repas taxable. Or, cette obligation ne peut être déléguée aux consommateurs sous prétexte d’efficacité ou de rentabilité.
[11] De plus, le mot « remettre » est utilisé plusieurs fois dans la Loi.[7] À chaque occasion, son sens est clair[8] et signifie mettre quelque chose en la possession de quelqu’un.[9] Accepter le sens que le défendeur veut lui attribuer entraîne non seulement des incongruités[10], mais en plus prive d’effet une disposition législative imposant une obligation spécifique aux restaurateurs.[11]
[12] Par ailleurs, le défendeur propose une définition réductrice du mot « provide » qui ne tient pas compte de l’esprit de la Loi et du sens commun qu’il doit d’avoir avec le mot « remettre ». Plusieurs définitions de dictionnaires font état de ce sens commun:
· Provide : verb (give), to give something that is need or wanted to someone;[12]
· Provide : to give something wanted or needed to (someone or something); to supply (someone or something) with something;[13]
· Provide : (= supply) fournir;[14]
· Provide : supply, furnish. Offer or present.[15]
[13] En outre, même en supposant que le mot « provide » ait un sens différent que celui du mot « remettre », en cas de divergence, le texte français se doit de prévaloir en vertu de la Charte de la langue française[16] et de la Loi d’interprétation du Québec.[17]
[14] Certes, l’exploitant n’est pas tenu de remettre en mains propres la facture aux clients, ni à exiger d’eux qu’ils prennent leur facture. Cependant, pour respecter son obligation, l’exploitant se doit de poser un geste actif. Il doit prendre la facture et la tendre aux clients. C’est d’ailleurs l’opinion exprimée par la juge Réna Émond dans la cause Agence du revenu du Québec c. Abdullah Gader, lorsqu’elle conclut que le fait de simplement planter la facture sur un support ne respecte pas la Loi. [18]
[15] En l’espèce, les employés du défendeur ne posent aucun geste actif en se limitant d’indiquer aux clients de prendre leur facture. Un système qui fait en sorte que les clients doivent exiger leur facture ou la prendre eux-mêmes, ne respecte pas la Loi.
[16] De plus, la méthode mise en place oblige chaque client à faire un tri dans une guirlande de factures non réclamées avant de trouver la sienne. Or, il ne fait aucun doute pour le Tribunal que les restaurateurs se doivent d’individualiser chaque facture.
[17] Également, la remise de la facture permet un contrôle indirect de la Loi puisqu’ainsi, le client peut vérifier l’exactitude de sa commande, mais également s’assurer que l’exploitant inscrit les renseignements prévus et qu’il utilise un appareil prescrit. Par ailleurs, la remise de la facture empêche un exploitant de la réutiliser de nouveau.[19]
[18] Enfin, le défendeur ne démontre aucune diligence raisonnable. Le fait qu’il opère un restaurant dans un espace restreint et qu’il y ait une forte affluence ne constituent pas des moyens de défense.[20] Un restaurateur ne peut refuser d’obéir à la loi pour des motifs économiques ou de commodités. S’il veut servir plus rapidement ses clients, il doit embaucher plus de personnel pour opérer son commerce.
POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
DÉCLARE le défendeur coupable des infractions reprochées.
LE CONDAMNE à payer l’amende minimale de 300 $ et les frais limités à ceux du constat pour le dossier 500-61-344174-124;
LE CONDAMNE à payer l’amende minimale de 300 $ et les frais limités à ceux du constat pour le dossier 500-61-361201-131;
LUI ACCORDE un délai de 4 mois pour payer le tout.
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___________________________________ Serge Cimon, Juge de paix magistrat |
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Me Aurélien FRUIT |
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Procureur de la poursuivante |
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Me Victoria TCHISTIAKOVA |
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Procureure du défendeur |
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MORENCY, SOCIÉTÉ D’AVOCATS |
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Date d’audience : |
7 octobre 2014 |
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[1] Article 350.51 de la Loi sur la taxe de vente du Québec, R.L.R.Q., c. T-0.1, ci-après nommée la « Loi ».
[2] Pièce P-1 du dossier 500-61-344174-124.
[3] Article 60.4 de la Loi sur l’administration fiscale, R.L.R.Q., c. A-6.002
[4] Agence du revenu du Qc c. 9240-2023 Québec Inc., 2012 QCCQ 3954, par. 21; DPCP c. 95112 Canada Inc., 2013 QCCQ 4497, par. 8; Agence du revenu du Qc c. 2849-1827 Québec Inc., 2014 QCCQ 6034, par. 21; Agence du revenu du Qc c. 2855-2321 Québec Inc., 2014 QCCQ 6035, par. 45.
[5] Agence du revenu du Qc c. Desjardins, 2013 QCCS 4225, par. 11.
[6] Thomson Newspapers c. Dir. des enq. & rech, [1990] 1 RCS 425, 506-507; R. c. Wholesale Travel Group, [1991] 3 RCS 154, 227-228; R. c. Fitzpatrick, [1995] 4 RCS 154, par. 40.
[7] Notamment, les articles 402.10 (5); 425.1.1; 449 (1) et 672 (1) de la Loi.
[8] R. c. Mac, [2002] 1 RCS 856, paragraphes 4 et 6.
[9] Dictionnaire Le Petit Robert 2011, page 2182.
[10] Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27, par. 27.
[11] Article 41 de la Loi d’interprétation du Québec, RLRQ, c. I-16.
[12] Cambridge Dictionaries Online.
[13] Merriam-Webster, m-w.com.
[14] Le grang Robert & Collins, 2008.
[15] Oxford Canadian Dictionary, 2006.
[16] RLRQ, c. C-11, articles 1, 7 et 8.
[17] RLRQ, c. I-16; Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 4e édition, 2009, No 1401.
[18] Décision verbale, 200-61-159884-129, 19 décembre 2012, pages 3 et 6 des notes sténographiques.
[19] Journal des débats de la Commission des finances publiques, 39e législature, 1ère session, le mardi 23 mars 2010, vol. 41, no 52.
[20] Agence du revenu du Qc c. 2855-2321 Québec Inc., 2014 QCCQ 6035, par. 60; Agence du revenu du Qc c. 9217-4101 Québec Inc., 700-61-107884-121, 30 août 2013, par. 37 et 38, Décision non-rapportée du juge Gaby Dumas.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.