Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Modèle de décision CLP - juin 2011

Michaud et Trans-Herb E inc.

2013 QCCLP 784

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Longueuil

6 février 2013

 

Région :

Montérégie

 

Dossier :

465289-62-1203

 

Dossier CSST :

138942495

 

Commissaire :

Line Vallières, juge administrative

 

Membres :

Jean-Marie Jodoin, associations d’employeurs

 

Jean-Jacques Malenfant, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Kenel Michaud

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Trans-Herb E inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 14 mars 2012, monsieur Kenel Michaud (le travailleur) dépose une requête, à la Commission des lésions professionnelles, par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 5 mars 2012, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme la décision initialement rendue le 30 janvier 2012 et déclare que le travailleur n’a pas subi une lésion professionnelle le 16 décembre 2011 et qu’il n’a pas droit aux bénéfices prévus à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[3]           Le 27 novembre 2012, la Commission des lésions professionnelles tient une audience à laquelle assiste le travailleur et son représentant. Trans-Herb E inc. (l’employeur) y est également représenté.

[4]           La Commission des lésions professionnelles a accordé un délai aux parties pour soumettre une argumentation écrite concernant un point de droit soulevé à l’audience. Les dernières représentations écrites ont été reçues à la Commission des lésions professionnelles le 21 décembre 2012, soit dans le délai accordé. C’est à cette dernière date que le dossier est mis en délibéré.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[5]           Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a été victime d’un accident du travail le 16 décembre 2011 qui a entraîné un étirement musculaire à l’épaule gauche (trapèze gauche) et une entorse cervicale. Il demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision de la CSST en conséquence.

L’AVIS DES MEMBRES

[6]           Le membre issu des associations syndicales est d’avis d’accueillir en partie la requête du travailleur. Il est d’avis que le travailleur bénéficie de la présomption édictée à l’article 28 de la loi. Il est d’avis que la preuve prépondérante permet de conclure que le travailleur s’est infligé un étirement musculaire du trapèze gauche le 16 décembre 2011. Il est d’avis que cette lésion est consolidée le 15 février 2012, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle, comme en fait foi le rapport final émis par le médecin traitant. À partir du 22 février 2012, il s’agirait plutôt d’une récidive, rechute ou aggravation alléguée par le travailleur. Il appartiendra à la CSST, le cas échéant, d’examiner le bien-fondé de la prétention du travailleur.

[7]           Le membre issu des associations d'employeurs est d’avis que le travailleur ne peut bénéficier de la présomption édictée à l’article 28 de la loi, car la preuve ne permet pas de conclure à la survenance d’une blessure au travail le 16 décembre 2011. Il est d’avis que le travailleur n’a pas non plus prouvé la survenance d’un événement imprévu et soudain le 16 décembre 2011. Il est d’avis que la requête du travailleur devrait être rejetée.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[8]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a été victime d’un accident du travail le 16 décembre 2011.

[9]           La loi définit, à l’article 2, la notion d’accident du travail comme suit :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

 

 

[10]        La loi contient également une présomption de lésion professionnelle en faveur du travailleur lorsque les éléments constitutifs de cette présomption sont établis par une preuve prépondérante. Cet article est libellé comme suit :

28.  Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.

 

 

[11]        Aux fins de rendre sa décision, la Commission des lésions professionnelles retient les principaux éléments de preuve suivants.

[12]        Le travailleur, né au mois d’octobre 1971, a immigré au Canada le 7 juillet 2009. Après avoir d’abord occupé son poste par l’entremise d’une agence de placement, il est embauché par l’employeur le 5 janvier 2011. Il occupe un poste de journalier aux mélanges dans cette entreprise qui procède à l’amalgame d’herbes et d’épices entrant dans la fabrication de thés et de tisanes. Le travail consiste à peser les ingrédients requis et d’effectuer le chargement des ingrédients dans des mélangeurs puis procéder au déchargement et au contrôle de la qualité.

[13]        Le travailleur témoigne à l’audience. Le vendredi 16 décembre 2011, son horaire de travail s’échelonne de 7h00 à 13h00. Vers 11h00, en prenant un sac d’ingrédients, dont il évalue le poids entre 30 et 35 kilos, il le met sur son épaule gauche pour en vider le contenu dans le baril du mélangeur. Lors de cette manœuvre, il ressent une douleur à l’épaule gauche. Il déclare à son collègue, monsieur François Brousseau, qu’il s’est fait mal à l’épaule. C’est un collègue qui a plus d’ancienneté que lui.

[14]        Il se rend au bureau de madame Virginie Pomerleau, responsable des ressources humaines, à deux reprises avant la fin de son quart de travail, afin de déclarer ce qui vient de se produire. Elle n’est pas à son bureau. Il cherche également un contremaître dans l’usine pour déclarer l’événement, mais n’en trouve aucun.

[15]        Le samedi 17 décembre 2011 et le dimanche 18 décembre 2011, il est en congé. Le lundi 19 décembre 2011, il n’entre pas au travail. Il ne se souvient pas ce qu’il a fait ce jour-là. Le mardi 20 décembre 2011, il rencontre madame Pomerleau et lui déclare ce qui s’est produit le vendredi 16 décembre 2011, soit que ce jour-là, vers 8h20 le matin, il a soulevé un sac lourd pour le mettre sur l’épaule gauche et il s’est étiré quelque chose dans l’épaule. Il a redéposé le sac par terre et a pris la pelle. Il n’y aurait pas de témoins de l’événement. L’employeur suggère qu’il devrait utiliser la pelle seulement. Le rapport d’enquête d’événement est déposé à l’audience (pièce E-2) et est signé du travailleur et de madame Pomerleau le 20 décembre 2011.

[16]        À cette date, madame Pomerleau remet un formulaire d’assignation temporaire au travailleur qu’il droit remettre à son médecin après la consultation médicale.

[17]        Selon les rapports des heures travaillées déposés à l’audience (pièce E-4), le travailleur a occupé son poste régulier la journée du 20 et du 21 décembre 2011.

[18]        Le 22 décembre 2011, il est entré à son poste le matin vers 7h00, mais a quitté à 7h52. Ce jour-là, le travailleur se rend à l’urgence d’un hôpital pour une consultation. Comme il n’a aucune carte d’assurance-maladie du Québec, il quitte sans avoir été pris en charge (pièce T-7, en liasse).

[19]        Le 23 décembre 2011, le travailleur est absent du travail. Ce jour-là, il consulte un médecin. Les notes cliniques de cette consultation sont déposées à l’audience (pièce T-3). Le docteur Provost écrit que le travailleur a présenté une douleur à l’épaule gauche en soulevant au travail un sac d’environ 25 kilos le vendredi 16 décembre 2011. Il remplit le formulaire d’assignation temporaire destiné à l’employeur. Dans ce formulaire, l’employeur suggère un travail léger jusqu’au 3 janvier 2012. Le médecin est d’avis que le travailleur n’est pas raisonnablement en mesure d’accomplir ce travail.

[20]        Le travailleur témoigne à l’audience qu’à cette époque, compte tenu de démarches d’ordre administratif auprès des services de l’immigration, il n’a pas de carte d’assurance-maladie du Québec. Il témoigne avoir tenté de voir un médecin les 21 et 22 décembre 2011.

[21]        Le travailleur témoigne que les médecins lui ont réclamé une compensation monétaire afin de procéder à l’examen. Le 23 décembre 2011, il a déboursé une somme d’argent pour être examiné par le médecin et pour faire remplir le formulaire d’assignation temporaire. Le travailleur croit que le médecin a rempli un rapport médical destiné à la CSST. Toutefois, ni le dossier de l’employeur ni le dossier à la CSST ne contiennent un tel rapport médical.

[22]        Du 24 décembre 2011 au 2 janvier 2012 inclusivement, l’entreprise est fermée pour la période des fêtes. Le travailleur a repris le travail les 3 et 4 janvier 2012.

[23]        Le 5 janvier 2012, le travailleur consulte un médecin qui diagnostique un étirement musculaire à l’épaule gauche (trapèze gauche) sans atteinte neurologique. Il recommande des travaux légers jusqu’au 16 janvier 2012. Un rapport médical, sur les formulaires de la CSST, est rempli par le médecin.

[24]        Ce rapport médical est remis à l’employeur et c’est à cette date que débute une assignation temporaire pour le travailleur.

[25]        Le 16 janvier 2012, le travailleur est examiné à nouveau par un médecin. Celui-ci remplit un rapport médical destiné à la CSST où il maintient le diagnostic d’étirement musculaire du trapèze gauche et recommande des traitements de physiothérapie. Il autorise une assignation temporaire pour deux semaines.

[26]        Entre-temps, le 9 janvier 2012, le travailleur remplit une réclamation destinée à la CSST où il décrit qu’en soulevant un sac d’au moins 30 kilos, il s’est étiré un muscle à l’épaule gauche le 16 décembre 2011. C’est son premier accident du travail.

[27]        Le 16 janvier 2012, l’employeur remplit le formulaire Avis de l’employeur et demande de remboursement destiné à la CSST. Madame Pomerleau, qui signe ce formulaire pour l’employeur, ajoute des commentaires visant à s’opposer à l’admissibilité de la réclamation du travailleur.

[28]        Dans ses commentaires, madame Pomerleau précise que le travailleur s’est absenté le 19 décembre 2011 sans justification. Ce n’est que mardi le 20 décembre 2011 que le travailleur lui a mentionné s’être blessé à l’épaule gauche dans le cadre de son travail le vendredi 16 décembre 2011. Il a fait son travail régulier les 20 et 21 décembre 2011. Il a vu un médecin le 23 décembre 2011 qui recommande un arrêt de travail, mais le travailleur n’a jamais remis de rapport médical à cet effet. Il a repris ses tâches normales le 3 janvier 2012. Ce n’est que le 5 janvier 2012 qu’il a remis pour la première fois un rapport médical sur les formulaires de la CSST où le médecin ayant charge a diagnostiqué un étirement musculaire au niveau du trapèze gauche.

[29]        Pour l’employeur, le travailleur n’a pas, notamment, respecté l’article 265 de la loi en omettant de rapporter, le plus tôt possible, s’être blessé le 16 décembre 2011 tel que l’exige l’article 265 de la loi libellé comme suit :

265.  Le travailleur victime d'une lésion professionnelle ou, s'il est décédé ou empêché d'agir, son représentant, doit en aviser son supérieur immédiat, ou à défaut un autre représentant de l'employeur, avant de quitter l'établissement lorsqu'il en est capable, ou sinon dès que possible.

 

 

[30]        Le 27 janvier 2012, l’agent de la CSST est d’avis que la réclamation doit être refusée puisqu’il y a un délai de 4 jours de déclaration d’événement à l’employeur, que le travailleur a occupé son travail régulier les 20 et 21 décembre 2011 et qu’il n’y a pas de rapport médical pour la consultation du 23 décembre 2011.

[31]        Le 30 janvier 2012, la CSST rend une décision informant le travailleur que sa réclamation est refusée. Ce refus est maintenu par une décision rendue le 5 mars 2012, à la suite d’une révision administrative, d’où la présente requête du travailleur.

[32]        Sur l’aspect médical, le 1er février 2012, le médecin ayant charge précise dans sa note clinique (pièce T-7, en liasse) que l’état du travailleur est amélioré de 75 % par rapport à l’état initial. Il maintient la recommandation de traitement de physiothérapie à raison d’une fois par semaine et maintient l’assignation temporaire pour deux semaines.

[33]        Le 15 février 2012, selon la note clinique du médecin ayant charge (pièce T-7, en liasse), le médecin constate une nette amélioration de l’étirement à l’épaule gauche et ajoute les signes + +. Il déclare le travailleur capable de retourner au travail et recommande de cesser la physiothérapie et l’assignation temporaire. Il remplit un rapport final destiné à la CSST où il déclare l’étirement du trapèze gauche consolidé le 15 février 2012, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle. Il autorise un retour au travail normal et cesse les traitements de physiothérapie.

[34]        Le 22 février 2012, le travailleur consulte à nouveau son médecin ayant charge. Selon la note clinique déposée à l’audience (pièce T-7, en liasse), le travailleur est retourné à son travail, mais a accusé une douleur au trapèze gauche en soulevant des sacs. Le médecin remplit un rapport médical destiné à la CSST (pièce T-6, en liasse) où il pose un diagnostic d’étirement musculaire au trapèze gauche et recommande de reprendre la physiothérapie et l’assignation temporaire pour trois semaines. Il dirige le travailleur au Centre de Médecine Industrielle (CMI) pour le suivi subséquent.

[35]        À l’occasion de la visite du 22 février 2012, le médecin demande une radiographie de la colonne cervicale. Les résultats montrent des ostéophytes au niveau C6-C7 sans pincement de l’espace intervertébral et la présence de uncarthrose bilatérale au niveau C5-C6 et C6-C7. Le travailleur est également porteur d’une scoliose à convexité gauche à la charnière C6-C7.

[36]        Le 22 mars 2012, le docteur Michel Gauthier diagnostique une entorse cervicale avec un syndrome myofascial du trapèze supérieur gauche au rapport médical qu’il destine à la CSST. Il recommande des blocs facettaires, un arrêt de travail et des traitements d’ergothérapie. Mentionnons que les notes du suivi médical à partir du 22 mars 2012 sont également déposées à l’audience (pièce T-1, en liasse).

[37]        Le 8 mai 2012, le docteur Hamel diagnostique un syndrome myofascial post-entorse cervicale et une tendinite de la coiffe des rotateurs probablement traumatique. Il recommande une infiltration, des traitements de physiothérapie et d’ergothérapie. Le 19 juin 2012, ces mêmes diagnostics sont repris, mais le médecin ajoute que la tendinite de la coiffe des rotateurs gauche est améliorée. Le 9 octobre 2012, le médecin diagnostique une entorse cervicale avec un syndrome myofascial associé. C’est là le dernier rapport médical déposé à l’audience.

[38]        À la date de l’audience, les lésions diagnostiquées à partir du 22 février 2012, ne sont toujours pas consolidées par le médecin ayant charge. Le travailleur n’a pas suivi les traitements, car il n’avait pas l’argent pour les payer.

[39]        La Commission des lésions professionnelles a entendu le témoignage de monsieur Carl Boucher, superviseur des employés chez l’employeur au mois de décembre 2011. Il témoigne qu’il circule dans le secteur des opérations, où travaillait le travailleur en décembre 2011, au moins trois fois par jour. Lorsqu’il y a un accident du travail, le travailleur doit s’adresser à lui ou à un autre superviseur. Monsieur François Brousseau est coordonnateur du travail. Monsieur Brousseau a un appareil émetteur-récepteur (CB) pour assurer les communications. Si le travailleur lui avait déclaré un accident le 16 décembre 2011, monsieur Brousseau aurait communiqué avec lui à l’aide de cet appareil.

[40]        Monsieur Boucher témoigne qu’il n’a jamais entendu parler d’un événement survenu au travailleur le 16 décembre 2011. Ce vendredi 16 décembre 2011, il était en réunion entre 10h00 et 11h00 en matinée, mais dans l’entreprise. Il était disponible de 11h00 à 12h00 et il n’a eu aucune information concernant un événement qui serait survenu au travailleur en avant-midi.

[41]        La Commission des lésions professionnelles a également entendu le témoignage de madame Virginie Pomerleau, responsable des ressources humaines chez l’employeur. Le 16 décembre 2011, elle n’a pas été avisée d’un événement qui serait survenu au travailleur ce jour-là. Ce n’est que le 20 décembre 2011 que le travailleur s’est présenté à son bureau pour déclarer un événement survenu le 16 décembre 2011. Elle a rempli avec lui le rapport d’enquête d’événement en écrivant ce que le travailleur lui déclarait. Elle lui a remis un formulaire d’assignation temporaire à remettre à son médecin.

[42]        Elle commente les rapports d’assiduité déposés à l’audience (pièce E-4). Le travailleur s’est absenté le 19 décembre 2011 sans en préciser la raison. Il a fait son travail régulier les 20 et 21 décembre 2011. Il a quitté le travail à 7h52 le 22 décembre 2011. Le 23 décembre 2011, il était absent. Puis, il y a eu le congé des fêtes du 24 décembre 2011 au 2 janvier 2012.

[43]        Le travailleur lui a remis le premier rapport médical destiné à la CSST le 5 janvier 2012. C’est à cette date qu’il y a eu assignation temporaire, et ce, jusqu’au 15 février 2012. Le 20 février 2012, le travailleur lui dit qu’il est incapable de refaire son travail régulier. Il s’est absenté le 21 février 2012 puis il y a eu un retour en assignation temporaire. À la date de l’audience, le travailleur est toujours en travaux légers.

[44]        Toutefois, madame Pomerleau témoigne que le travailleur, comme plusieurs autres travailleurs de l’entreprise, a été mis à pied du 3 mars 2012 au 3 août 2012, en raison d’un manque de travail. Le travailleur a été rappelé au travail après cette mise à pied de près de cinq mois.

[45]        Le représentant du travailleur soutient que ce dernier doit bénéficier de la présomption prévue à l’article 28 de la loi tant pour le diagnostic d’étirement musculaire à l’épaule gauche (trapèze gauche) que pour le diagnostic d’entorse cervicale. Il soutient que la Commission des lésions professionnelles doit écarter le rapport final émis par le médecin traitant le 15 février 2012, car il est évident que le 22 février 2012, la condition constatée par le médecin ayant charge est la continuité de la même lésion. Par conséquent, la lésion du travailleur ne serait pas consolidée le 15 février 2012, car elle n’est toujours pas consolidée.

[46]        La Commission des lésions professionnelles doit d’abord décider si le travailleur bénéficie de la présomption édictée à l’article 28 de la loi. La Commission des lésions professionnelles a rendu une décision phare quant aux critères d’application de cette présomption. Il s’agit de l’affaire Boies[2] rendue par une formation de trois commissaires. Cette décision réitère que les trois conditions contenues à l’article 28 de la loi, soit une blessure, qui arrive au travail alors que le travailleur est à son travail, doivent être établies par une preuve prépondérante pour que la présomption s’applique.

[47]        Un délai de déclaration de l’accident à l’employeur, de même qu’un délai de consultation médicale ne sont pas en soi des fins de non-recevoir à l’application de l’article 28 de la loi. Cependant, la preuve doit demeurer prépondérante afin de conclure à une blessure survenue au travail. Les témoignages et la crédibilité des témoins sont pris en compte dans cette analyse[3] :

[111]    La jurisprudence regorge de décisions qui ont apprécié ces éléments factuels, par exemple le délai à diagnostiquer la blessure, le délai pour déclarer un événement, et l’existence, par exemple, de déclarations contradictoires43. Il s’agit essentiellement d’indices que le tribunal recherche pour décider si les trois conditions d’application de la présomption de l’article 28 de la loi sont démontrées. À titre illustratif, le tribunal aura à apprécier le plus souvent, les éléments suivants en vue d’établir qu’une blessure est arrivée sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail :

 

-           Le moment d’apparition des premiers symptômes associés à la lésion alléguée par le travailleur avec l’événement44.

 

-           L’existence d’un délai entre le moment où le travailleur prétend à la survenance de la blessure ou de l’événement en cause et la première visite médicale où l’existence de cette blessure est constatée par un médecin. On parle alors du délai à diagnostiquer la blessure.

 

-           L’existence d’un délai entre le moment où le travailleur prétend à la survenance de la blessure ou de l’événement en cause et la première déclaration à l’employeur. On parle alors du délai à déclarer les faits.

 

-           La poursuite des activités normales de travail malgré la blessure alléguée.

 

-           L’existence de douleurs ou de symptômes dont se plaint le travailleur avant la date alléguée de la blessure.

 

-          L’existence de diagnostics différents ou imprécis.

 

-           La crédibilité du travailleur (lorsque les versions de l’événement en cause ou les circonstances d’apparition de la blessure sont imprécises, incohérentes, voire contradictoires, ou lorsque le travailleur bonifie sa version à chaque occasion).

 

-           L’existence d’une condition personnelle symptomatique le jour des faits allégués à l’origine de la blessure.

 

 

[…]

 

 

[113]    Le tribunal sera amené aussi à scruter le registre des accidents à la disposition des travailleurs, le rapport d’accident sur les formulaires de l’entreprise ou du syndicat, la réclamation du travailleur à la CSST, la version verbale rapportée au supérieur ou à d’autres employés, la version rapportée par le médecin désigné dans son rapport d’expertise médicale, la version inscrite aux notes du médecin traitant lors de la première visite médicale, les notes de triage des services d’urgence des hôpitaux, etc.

 

 

[114]    Dans ce contexte, la crédibilité de la version du travailleur pourra être scrutée et devra faire l’objet d’une analyse par le tribunal. […]

 

 

[48]        Dans la présente cause, le médecin ayant charge a diagnostiqué un étirement musculaire à l’épaule gauche (trapèze gauche) le 23 décembre 2011. Ce diagnostic répond à la notion de blessure contenue à l’article 28 de la loi. À ce stade-ci de l’analyse, la Commission des lésions professionnelles ne croit pas nécessaire, comme l’invite à le faire le représentant du travailleur, d’écarter le rapport final émis le 15 février 2012 pour tenir compte du diagnostic d’entorse cervicale posé par un médecin au mois de mars 2012. Aux fins de la détermination de l’application ou non de l’article 28 de la loi, qu’il suffise de retenir que l’étirement musculaire à l’épaule gauche constitue une blessure visée à l’article 28 de la loi et qu’il n’est pas nécessaire d’importer le diagnostic d’entorse cervicale à cette fin.

[49]        Toutefois, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la preuve prépondérante ne permet pas de conclure qu’une blessure est survenue au travail alors que le travailleur était à son travail, et ce, pour les motifs suivants.

[50]        À l’audience, le travailleur témoigne que l’événement est survenu vers 11h00 en matinée. Il témoigne également qu’il a déclaré immédiatement sa douleur à un collègue de travail, monsieur Brousseau. Il témoigne avoir tenté de trouver un superviseur et s’être rendu à deux reprises au bureau des ressources humaines pour déclarer l’événement.

[51]        La Commission des lésions professionnelles constate des contradictions entre le témoignage du travailleur et ses déclarations contemporaines faites à l’employeur le 20 décembre 2011 lorsqu’il remplit le rapport d’enquête d’événement avec madame Pomerleau (pièce E-2). Cette déclaration est beaucoup plus contemporaine à l’événement que le témoignage rendu par le travailleur à l’audience. Or, dans ce rapport, le travailleur déclare que l’événement est survenu à 8h20 le matin. En aucun temps il ne mentionne avoir déclaré une douleur à son collègue Brousseau. C’est à l’audience qu’il est question pour la première fois d’une déclaration au collègue Brousseau le 16 décembre 2011.

[52]        De plus, la Commission des lésions professionnelles ne peut retenir le témoignage du travailleur lorsqu’il affirme qu’il n’a pu trouver aucun superviseur et n’a pu voir madame Pomerleau le 16 décembre 2011 afin de déclarer l’événement. Hormis une réunion tenue entre 10h00 et 11h00, le superviseur était dans l’entreprise. Madame Pomerleau était aussi présente ce jour-là. La version du travailleur sur cet aspect est peu vraisemblable.

[53]        De plus, le travailleur s’est absenté du travail le 19 décembre 2011 sans contacter l’employeur afin de justifier cette absence par une blessure survenue au travail le 16 décembre 2011. C’était là une occasion pour le travailleur d’aviser l’employeur de ce qu’il prétendait être survenu le 16 décembre 2011. Or, il n’en a rien fait.

[54]        Le fait que le travailleur en était à son premier accident du travail n’explique pas tout. Cela n’explique pas les contradictions quant à l’heure de la survenance de l’événement, pas plus que cette omission d’avoir mentionné à madame Pomerleau, le 20 décembre 2011, qu’il aurait déclaré une blessure à son collègue Brousseau le 16 décembre 2011.

[55]        La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la preuve prépondérante ne permet pas de conclure que toutes les conditions prévues à l’article 28 de la loi sont établies. Ainsi, la preuve ne permet pas de conclure que la blessure est survenue sur les lieux du travail alors que le travailleur était à son travail ce 16 décembre 2011.

[56]        La Commission des lésions professionnelles est aussi d’avis que la preuve ne permet pas de conclure à la survenance d’un accident du travail le 16 décembre 2011, et ce, pour les motifs suivants.

[57]        À partir du 20 décembre 2011, il est vrai que les circonstances de l’événement décrites par le travailleur sont constantes, soit qu’il s’est blessé en déposant un sac d’ingrédients sur son épaule gauche, le 16 décembre 2011. Malgré cette constance, la Commission des lésions professionnelles ne peut retrouver de faits graves, précis et concordants lui permettant de conclure, par présomption de fait, à la survenance d’un événement imprévu et soudain. Il n’y a pas eu de déclaration d’événement le 16 décembre 2011 et il y a cette absence du travail, le 19 décembre 2011, qui demeure inexpliquée. Ainsi, bien que le travailleur ait eu un étirement à l’épaule gauche, constaté par un médecin le 23 décembre 2011, la preuve prépondérante ne permet pas d’établir un lien causal avec un événement imprévu et soudain survenu au travail le 16 décembre 2011.

[58]        Puisque la Commission des lésions professionnelles conclut qu’il n’y a pas eu d’accident du travail le 16 décembre 2011, il n’est pas nécessaire de disposer de la question soulevée par le représentant du travailleur quant à la possibilité pour la Commission des lésions professionnelles d’écarter le rapport final émis par le médecin ayant charge le 15 février 2012 pour conclure à une continuité de la même lésion.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de monsieur Kenel Michaud;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 5 mars 2012, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que monsieur Kenel Michaud n’a pas été victime d’une lésion professionnelle le 16 décembre 2011;

DÉCLARE que monsieur Kenel Michaud n’a pas droit aux bénéfices prévus à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

__________________________________

 

Line Vallières

 

 

 

 

Monsieur Claude Gagné

T.U.A.C. (LOCAL 1991-P)

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Marie-Claude Poirier

ADP SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

Représentante de la partie intéressée

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]          Boies et CSSS Québec-Nord, 2011 QCCLP 2775 .

[3]          Id., paragr. 111, 113 et 114.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.