Montacier International inc. et Marcil |
2014 QCCLP 5666 |
______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
[1] Le 12 août 2013, un représentant de la compagnie Montacier International dépose à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), le 6 août précédent, à la suite d’une révision administrative.
[2] La CSST confirme deux décisions rendues les 18 et 25 juin 2013 et déclare, d’une part, que le travailleur a droit à la reprise du versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 17 juin 2013, et, d’autre part, qu’il n’y avait pas lieu de suspendre le versement de son indemnité de remplacement du revenu.
[3] L’audience s’est tenue le 16 septembre 2014, à Trois-Rivières, en présence de l’avocat de l’employeur et de celui de monsieur Jonathan Marcil (le travailleur).
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le procureur de l’employeur demande au tribunal de déclarer, qu’en raison de la grève survenue dans le secteur de la construction le travailleur n’avait pas droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 17 juin 2013.
[5] De façon subsidiaire, il est allégué que le travailleur n’a pas fait valoir de raison valable pour justifier son absence à un travail qui lui a été assigné temporairement par l’employeur et qui était disponible du 17 au 24 juin 2013.
LES FAITS
[6] Le travailleur occupe les fonctions de monteur d’acier chez l’employeur, lorsqu’il est victime d’un accident du travail, le 9 mai 2013. La réclamation est acceptée en lien avec une entorse à la cheville gauche.
[7] Le procureur de l’employeur produit à l’audience le formulaire d’assignation du travailleur par l’employeur, et ce, pour la période du 13 au 27 mai 2013. La description des tâches autorisées est la suivante, pièce E-1 :
Ø un travail de bureau en position assise;
Ø la prise de statistiques;
Ø la vérification d’inventaires;
Ø la tenue d’un registre;
Ø de la formation;
Ø un travail assis à un banc.
[8] À l’audience, les avocats des parties admettent que le travail auquel était assigné temporairement le travailleur, à compter du 21 mai 2013, consistait essentiellement à effectuer la livraison en camionnette d’outils et de gants à diverses équipes de travailleurs, et ce, sur un chantier de construction ayant 80 km de routes. Il est également admis par les procureurs qu’une grève dans l’industrie de la construction fut déclenchée le 17 juin pour prendre fin le 24 juin 2013.
ARGUMENTAIRE DE L’EMPLOYEUR
[9] L’avocat de l’employeur soulève essentiellement une question d’équité quant à savoir qu’un travailleur en assignation temporaire ne devrait pas bénéficier davantage de droits que ses collègues grévistes. En conséquence, il n’aurait pas droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu pendant la durée de la grève, son statut ayant été modifié.
[10] Subsidiairement, il est allégué que le travailleur n’a pas fait valoir de raison valable pour justifier son absence à un travail qui lui a été assigné temporairement par l’employeur et qui était disponible du 17 au 24 juin 2013.
L’AVIS DES MEMBRES
[11] Le membre issu des associations d’employeurs croit qu’il serait inéquitable que le travailleur ait droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu, lors d’une grève, alors qu’il était assigné temporairement à un travail. À ses yeux, le travailleur bénéficierait, en pareil cas, d’un avantage par rapport à ses collègues grévistes. Ce membre partage l’opinion émise dans l’affaire Vêtements Golden Brand Canada ltée et Cardenas et al.[1] Il considère que la requête de l’employeur devrait être accueillie.
[12] Le membre issu des associations syndicales est d’avis contraire et s’en rapporte aux propos tenus dans l’affaire Société Commandite Manoir Richelieu et Dollar Émond (Fils)[2] :
« [56] La situation de l’espèce s’avère en somme
fondamentalement semblable à celle qui prévaut pendant les quatorze premiers
jours d’incapacité, et qui, selon la jurisprudence nettement majoritaire, est
indépendante de circonstances extrinsèques à l’incapacité du travailleur
victime d’une lésion professionnelle à exercer son emploi11, sauf
évidemment les autres conditions d’extinction du droit à l’indemnité de
remplacement du revenu prévues à l’article
—————————————-
Note omise
[13] Le membre issu des associations syndicales opine pour rejeter la requête de l’employeur.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[14] Le tribunal doit d’abord décider si le travailleur a droit à une indemnité de remplacement du revenu pendant la période où son assignation temporaire est court - circuitée par une grève.
[15] Le tribunal croit que l’impératif d’équité soulevé par l’avocat de l’employeur est fort louable. Or, ce n’est pas sous cette lorgnette que la question doit être examinée. Le tribunal entend plutôt aborder la question à la lumière des dispositions de la présente loi.
[16] L’indemnité de remplacement du revenu est un volet du processus de réparation d’une lésion professionnelle, tel qu’il appert de l’article premier de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[3] (la loi).
1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.
La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.
[17] Un travailleur victime d’une lésion professionnelle a le droit de recevoir une telle indemnité lorsqu’il est incapable d’exercer son emploi en raison de sa lésion, et il est présumé incapable de le faire tant que sa lésion n’est pas consolidée.
44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.
__________
1985, c. 6, a. 44.
45. L'indemnité de remplacement du revenu est égale à 90 % du revenu net retenu que le travailleur tire annuellement de son emploi.
__________
1985, c. 6, a. 45.
46. Le travailleur est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée.
__________
1985, c. 6, a. 46.
[18] Le législateur a prévu, à l’article 57 de la loi, trois causes d’extinction de ce droit.
57. Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint au premier des événements suivants :
1° lorsque le travailleur redevient capable d'exercer son emploi, sous réserve de l'article 48;
2° au décès du travailleur; ou
3° au soixante-huitième anniversaire de naissance du travailleur ou, si celui-ci est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans, quatre ans après la date du début de son incapacité d'exercer son emploi.
__________
1985, c. 6, a. 57.
[19] Bien que la lésion ne soit pas consolidée, un employeur peut assigner temporairement un travailleur victime d’une lésion professionnelle à un travail, qui répond aux exigences de l’article 179 de la loi, dans l’attente que celui-ci redevienne capable d’exercer son emploi. En contrepartie, le travailleur obtient le salaire et bénéficie des avantages liés à son emploi, tels qu’ils existaient avant la manifestation de sa lésion professionnelle.
179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que :
1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;
2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et
3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.
Si le travailleur n'est pas d'accord avec le
médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles
__________
1985, c. 6, a. 179.
180. L'employeur verse au travailleur qui fait le travail qu'il lui assigne temporairement le salaire et les avantages liés à l'emploi que ce travailleur occupait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle et dont il bénéficierait s'il avait continué à l'exercer.
__________
1985, c. 6, a. 180.
[20] Dans son argumentaire, le procureur de l’employeur invoque que le statut du travailleur est modifié pendant la période de l’assignation temporaire, tel qu’énoncé dans l’affaire Vêtements Golden Brand[4]. Or, le soussigné ne partage pas ce point de vue et, dans son analyse, s’inspire plutôt des principes qui se dégagent de l’affaire Société en commandite Manoir Richelieu et Émond[5].
[21] Le législateur n’a pas mentionné, à l’article 57 de la loi, l’assignation temporaire comme étant une des causes d’extinction du droit à l’indemnité de remplacement du revenu. Si tel avait été son intention, il l’aurait spécifiquement mentionné. En conséquence le droit à l’indemnité de remplacement du revenu se poursuit pendant la période d’assignation temporaire et le statut du travailleur n’est en rien modifié.
[22] La particularité en pareille situation est que l’employeur paie au travailleur le salaire pour le travail auquel il est assigné en plus de lui accorder les avantages afférents à son emploi prélésionnel. Tant et aussi longtemps que le salaire versé par l’employeur correspond au montant de l’indemnité de remplacement du revenu, le droit à cette prestation est mis en veilleuse. Cependant, si l’assignation temporaire ne correspond qu’à une partie de la durée normale de la semaine de travail habituelle, « la CSST conserve son obligation de […] verser [au travailleur] l’indemnité de remplacement du revenu pour le temps non travaillé. »[6] C’est dire que la CSST doit combler la différence entre le salaire versé pendant l’assignation temporaire et le montant de l’indemnité de remplacement du revenu, auquel le travailleur a droit, en vertu de l’article 45 de la loi.
[23] Que survient-il au droit à l’indemnité de remplacement du revenu lorsque, comme en l’espèce, une grève survient et qu’un travailleur ne se présente pas au travail qui lui a temporairement été assigné conformément à l’article 179 de la loi ?
[24] Le tribunal retient que la grève s’avère être un phénomène extrinsèque à la volonté du travailleur, lequel n’exerce aucun contrôle quant à son déclenchement ou sa durée. L’employeur, pour sa part, se voit empêcher d’offrir l’assignation temporaire et est dans l’impossibilité d’atténuer le coût de la lésion en regard de l’imputation de son dossier. En matière d’assignation temporaire, la grève a pour effet d’opposer ces deux droits.
[25] Le législateur n’ayant pas prévu les conséquences d’une telle situation, le tribunal croit que l’impossibilité de l’employeur d’assigner temporairement le travailleur, pour des situations autres que celles prévues à l’article 142 de la loi, ne peut emporter le droit du travailleur à un volet quelconque du processus de réparation de sa lésion professionnelle, notamment le droit à l’indemnité de remplacement du revenu.
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :
1° si le bénéficiaire :
a) fournit des renseignements inexacts;
b) refuse ou néglige de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention;
2° si le travailleur, sans raison valable :
a) entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;
b) pose un acte qui, selon le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, selon un membre du Bureau d'évaluation médicale, empêche ou retarde sa guérison;
c) omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;
d) omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation;
e) omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180;
f) omet ou refuse d'informer son employeur conformément à l'article 274.
__________
1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.
[26] Le droit à cette indemnité se maintenant pendant le processus d’assignation temporaire, le tribunal accorde préséance à ce droit inscrit dans l’objet même de la loi. L’argument principal invoqué par le procureur de l’employeur n’est pas retenu.
[27] En somme, le travailleur a droit à l’indemnité de remplacement du revenu parce qu’il a été victime d’une lésion professionnelle, laquelle l’a rendu incapable d’exercer son emploi; ses collègues grévistes, pour leur part, ne sont pas affectés d’une telle lésion et ne peuvent tirer aucun bénéfice de la loi. Il ne s’agit pas d’une iniquité ou d’une inégalité, mais de l’activation d’un droit, qui est le corollaire d’une lésion professionnelle.
[28] Il est soulevé de façon subsidiaire, que le travailleur ne s’est pas présenté au travail qui lui a temporairement été assigné et qu’il n’a pas fait valoir une raison valable justifiant son défaut. En vertu du paragraphe e) du second alinéa de l’article 142 de la loi, la CSST peut suspendre le paiement d’une indemnité si le travailleur omet ou refuse, sans raison valable, d’accomplir le travail que l’employeur lui a assigné temporairement.
[29] Il appert des admissions faites par les procureurs des parties, lors de l’audience, que, dans les faits, l’assignation temporaire du travailleur consistait essentiellement à livrer en camionnette des outils et des gants à diverses équipes de travailleurs sur un chantier de construction ayant 80 km de routes. Or, un tel travail ne pouvait être effectué en raison de la grève, dont le déclenchement est indépendant de la volonté du travailleur. Celui-ci n’a donc pas été à même d’omettre ou de refuser d’effectuer le travail en question.
[30] D’autre part, il n’est pas mis en preuve que le travailleur pouvait, malgré la grève, effectuer les tâches mentionnées dans le formulaire d’assignation du travailleur produit par l’employeur, pièce E-1. Qui plus est, la période couverte par cette assignation est antérieure (13 au 27 mai 2013) à la période en litige (17 au 24 juin 2013).
[31] La preuve n’est donc pas prépondérante pour établir que le travailleur a omis ou refusé d’accomplir le travail pour lequel il était assigné temporairement. L’argument subsidiaire de l’avocat de l’employeur est également rejeté.
[32] Aucune autre des conditions prévues à l’article 142 de la loi n’ayant été soulevée, la requête de l’employeur est rejetée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de la compagnie Montacier International, l’employeur;
CONFIRME la décision rendue, le 6 août 2013, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE qu’il n’y a pas lieu de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu auquel a droit monsieur Johathan Marcil, le travailleur;
DÉCLARE que le travailleur a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 17 juin 2013.
|
|
|
Réjean Bernard |
|
|
|
|
|
|
|
|
Me Philip Béliveau |
|
Bourque, Tétreault & ass. |
|
Représentant de la partie requérante |
|
|
|
|
|
Me Dominic Asselin |
|
A.I.T.P.F.S.O. (local 711) |
|
Représentant de la partie intéressée |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
[1] C.L.P. 187742-72-0207, 14 mars 2005, M. Denis.
[2]
[3] RLRQ, c. A-3.001.
[4] Précitée, note 1.
[5] Précitée, note 2.
[6] Ibid. Dans cette affaire, la juge administrative (G. Tardif) renvoie aux décisions suivantes :
Ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche et Jodoin,
Centre d'accueil Louis Riel et Boivin, C.L.P.
Côté et Les établissements de détention du
Québec, C.L.P.
Wal-Mart Canada inc. et Légaré, C.L.P.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.