Décision

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Wagner c. Agence du revenu du Québec

2016 QCCQ 11532

COUR DU QUÉBEC

« Division administrative et d'appel »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

« Chambre civile »

N°:

500-80-026469-131

 

DATE :

21 octobre 2016

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE MARK SHAMIE, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

KENNETH WAGNER

Demandeur

c.

L’AGENCE DU REVENU DU QUÉBEC

Défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Kenneth Wagner se pourvoit en appel d’une décision rendue le 14 août 2013 ayant rejeté ses avis d’opposition du 20 novembre 2012 et maintenu les cotisations établies dans des avis des 12 et 22 octobre 2012 pour les années d’imposition 2007 à 2010 inclusivement (période visée).

[2]           M. Wagner n’a pas produit de déclarations de revenus auprès de l’autorité fiscale québécoise pour la période visée.

[3]           Il soutient qu’il n’est pas un résident du Québec pendant cette même période, mais plutôt un résident de la Colombie-Britannique.

[4]           La décision du 14 août 2013 est ainsi rédigée :

The assessments were made in accordance with the provisions of the law, more specifically, but without restricting the generality of the foregoing, in that at the end of each taxation year 2007 to 2010, you were resident of Québec and therefore, you were subject to the Taxation Act in accordance with section 22 of the Taxation Act.

[5]           La seule question en litige peut être formulée comme ceci :

M    Est-ce que Kenneth Wagner est un résident du Québec aux fins de la Loi sur les impôts du Québec (LI)[1] pour les années d’imposition 2007 à 2010 inclusivement?

ANALYSE

1.       La notion de résidence

[6]           Tout particulier résidant au Québec est assujetti à un impôt sur son revenu imposable conformément à l’article 22 LI.

[7]           La détermination de la résidence d’un contribuable demeure une question de fait[2].

[8]           La LI ne contient pas de définition. La jurisprudence a toutefois élaboré un certain nombre de facteurs à considérer.

[9]           Les facteurs énoncés à l’origine dans l’affaire La Reine c. Reeder[3] ont été repris par la suite à de nombreuses reprises dont notamment dans l’affaire Touchette comme ceci :

[23]       L’article 22 de la Loi sur l’impôt, qui assujettit le particulier résidant au Québec à l’impôt sur le revenu, ne définit pas la notion de résidence.  Il en résulte que sa détermination à l’égard d’un contribuable est une question de fait qui s’évalue à partir de plusieurs facteurs (Sous-ministre du revenu du Québec c. Roy, [1979] R.D.F.Q. 37, à la p. 39 (C.A.)) :

Parmi les facteurs à considérer, l’arrêt Reeder mentionne les suivants :

a.     past and present habits of life ;

b.     regularity and length of visits of the taxpayer in the jurisdiction asserting residence ;

c.     ties within that jurisdiction ;

d.     ties elsewhere ;

e.    permanence (…) of stay abroad.

On peut aussi tenir compte de l’intention du contribuable, et des raisons qui ont amené son séjour à l’étranger.[4]

[10]        Plus récemment, le juge Landry, en conséquence de son analyse de la jurisprudence, ajoute quelques précisions à ces facteurs comme ceci :

[32]       Ainsi, les facteurs suivants font partie de ceux qui sont généralement retenus pour décider de la question :

M    l'état civil et le mode de vie habituel du contribuable («past and present habits of life»);

M    le(s) motif(s) de la présence hors Québec et sa durée prévue et réelle;

M    l'importance des «liens de résidence avec le Québec» (endroit de son logement, celui de son conjoint et/ou de ses personnes à charge, de ses biens personnels, de ses comptes bancaires, de ses liens sociaux) par rapport à ses «liens de résidence hors Québec»;

M    le lieu de résidence désigné par le contribuable dans les formulaires et documents;

M    la régularité et la durée des présences du contribuable au Québec par rapport à la permanence du séjour hors Québec;

M    la prévision d'un retour au Québec à la fin du séjour hors Québec.[5]

[11]        Il ne s’agit pas d’une recette, mais de critères à considérer et qui prendront plus ou moins d’importance selon une situation donnée applicable au contribuable selon les circonstances propres à son cas d’espèce[6].

[12]        La liste des facteurs n’est d’ailleurs pas exhaustive et comme le signale le juge Rand à propos de la notion de résidence : « It is quite impossible to give it a precise and inclusive definition »[7].

[13]        Comme le mentionne le juge Massol en paraphrasant le juge Rand dans l’affaire Thomson :

[24        […]

w     La résidence est une question de nuance et dépend de la mesure selon laquelle une personne centralise son mode de vie ordinaire à un endroit, avec tout ce que cela implique au niveau des relations familiales et sociales ainsi qu'à l'encontre de la possession de biens matériels ;

[…][8]

2.       La situation de M. Wagner

[14]        M. Wagner obtient un diplôme en génie électrique à la suite d’études à l’Université McGill à Montréal. Il fera des études supérieures à l’étranger et devient titulaire d’un doctorat en génie électrique.

[15]        Sa profession l’amène à travailler à l’étranger et à voyager beaucoup.

[16]        Il occupe différents postes pour différentes entreprises en Californie entre 1993 et 2001.

[17]        L’entreprise pour laquelle il travaille pendant la période visée, PMC Sierra (PMC), l’engage en juillet 2000.

[18]        Il s’est divorcé en avril 1999 et il commence des fréquentations avec celle qui deviendra sa nouvelle conjointe, Lucie Langlois, à la fin de l’année 1999.

[19]        Il est père de deux enfants, un garçon et une fille, nés de sa première union.

[20]        Mme Langlois réside alors en Ontario et elle est elle-même mère de deux enfants, un peu plus âgés que ceux de M. Wagner, dont elle obtient la garde exclusive en l’an 2000.

[21]        Mme Langlois et M. Wagner (le couple) vivront une relation à distance entre 2000 et 2001.

[22]        À mesure que ses liens avec Mme Langlois s’intensifient, M. Wagner entreprend des recherches pour un autre emploi.

[23]        Mme Langlois précise qu’elle et M. Wagner décident de faire vie commune en 2001.

[24]        En mars 2001, PMC le nomme à un poste de gestionnaire à Ottawa dans son bureau situé là.

[25]        À la même époque, en mars 2001, le couple fait l’acquisition d’une résidence à Nepean en Ontario et les enfants de M. Wagner reviennent vivre à Beaconsfield sur l’Île-de-Montréal vers juin 2001 avec leur mère qui est originaire du Québec.

[26]        Ses enfants se rapprochent donc de lui et il peut les voir à chaque deux week-ends et certains jours de congé comme à Pâques ou Noël.

[27]        En somme, Mme Langlois et M. Wagner vivent ensemble en Ontario entre mars 2001 et mars 2007 avec les deux enfants de Mme Langlois et M. Wagner voit ses enfants vivant avec leur mère à Beaconsfield à intervalle régulier.

[28]        Vers le mois de février 2007, le bureau de PMC situé à Ottawa est fermé.

[29]        M. Wagner doit occuper un autre poste et il a le choix entre la Californie, l’Inde, Montréal ou Vancouver.

[30]        Selon M. Wagner, le centre nerveux de l’entreprise est à Vancouver, là où PMC a établi son siège.

[31]        L’option de l’Inde ou de la Californie est mise de côté considérant que Mme Langlois est à cette époque fonctionnaire au sein du gouvernement canadien.

[32]        Comme elle le mentionne à l’audience, Mme Langlois est cependant consciente que les possibilités de carrière pour M. Wagner sont plus intéressantes à Vancouver considérant le contexte de l’entreprise.

[33]        Elle mentionne être allée à deux reprises à Vancouver pour visiter des résidences, prendre le pouls de l’endroit tout en vérifiant, en même temps, les possibilités d’emploi pour elle dans cette région du Canada.

[34]        L’idée de vivre à Vancouver est rejetée, Mme Langlois n’aimant pas notamment la température.

[35]        Mme Langlois et M. Wagner décident de s’établir à Montréal.

[36]        Ils se rapprochent ainsi de leur famille.

[37]        La mère de Mme Langlois et celle de M. Wagner, en perte d’autonomie, habitent toutes deux à Montréal. Il en va de même pour la sœur et le frère de M. Wagner.

[38]        Le 28 mars 2007, Mme Langlois et M. Wagner achètent un immeuble situé à Beaconsfield afin d’y établir leur résidence.

[39]        Les deux véhicules automobiles possédés par Mme Langlois et M. Wagner sont immatriculés auprès de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) à compter du 24 avril 2007.

[40]        Selon l’admission versée au dossier, les véhicules possédés par M. Wagner sont immatriculés au Québec à compter de cette date jusqu’à la fin de l’année 2010.

[41]        De la même manière, M. Wagner admet être inscrit et couvert par le Régime d’assurance maladie du Québec entre le 1er juillet 2007 et le 31 décembre 2010.

[42]        Selon son témoignage, M. Wagner occupe un poste de direction au sein du bureau de Montréal de PMC qu’il occupe à compter de mai 2007.

[43]        À l’automne de 2007, PMC lui offre une promotion, soit un poste de gestionnaire de l’équipe de développement basée à Vancouver.

[44]        M. Wagner accepte le nouveau poste et selon ce qu’il dit à l’audience, il commence ses nouvelles fonctions à Vancouver le 17 décembre 2007.

[45]        Selon son témoignage à l’audience, le nouvel emploi basé à Vancouver nécessite des interactions fréquentes en personne avec des membres de son équipe.

[46]        Mme Langlois et M. Wagner affirment tous deux qu’ils acceptent de vivre à distance. C’est ainsi que M. Wagner choisit, après discussions avec son comptable, John Shamash, de se considérer comme un résident de la Colombie-Britannique.

[47]        Le Tribunal ne partage pas son point de vue. Voici pourquoi.

3.       Le site de la résidence de M. Wagner

[48]        Dans le passé, la période où Mme Langlois et M. Wagner ont vécu séparés paraît beaucoup plus résultée de circonstances ponctuelles que d’un choix de mode de vie.

[49]        Mme Langlois et M. Wagner étaient en effet au début de leur relation alors que Mme Langlois a sa résidence en Ontario avec la garde de ses enfants et que M. Wagner est alors établi en Californie.

[50]        Plus important encore, Mme Langlois et M. Wagner choisissent en mars 2001 de faire vie commune et ils font des démarches en ce sens pour mettre en œuvre leur décision.

[51]        Cette volonté du couple se manifeste une première fois à ce moment là en 2001, puis une seconde fois au printemps 2007 lorsque les circonstances de la vie les amènent de nouveau devant un dilemme.

[52]        Les différents facteurs prévalant à Vancouver et qui rendent les perspectives d’avenir plus intéressantes pour la carrière de M. Wagner existent tout autant au printemps qu’à l’automne 2007.

[53]        Pourtant, Mme Langlois et M. Wagner choisissent à nouveau de faire vie commune à Montréal bien que M. Wagner aurait pu opter pour Vancouver et vivre à distance si c’était le mode de vie privilégié par le couple.

[54]        Le choix de s’établir à Montréal au printemps 2007 se manifeste dès ce moment-là, mais aussi tout au long de la période visée de différentes manières.

[55]        D’un point de vue personnel et matrimonial, les liens de M. Wagner avec le Québec sont très importants :

M    Il est originaire de la région de Montréal et sa famille vit à Montréal;

M    M. Wagner est couvert par le régime d’assurance maladie québécois et peut donc en bénéficier;

M    Selon le rapport de vérification et les questionnaires qu’il a remplis le 12 janvier 2012, le permis de conduire de M. Wagner émane du Québec;

M    M. Wagner est propriétaire d’un immeuble à Beaconsfield d’une valeur de plusieurs centaines de milliers de dollars qui sert de résidence familiale;

M    M. Wagner possède deux véhicules automobiles au Québec;

M    Le rapport de vérification indique que M. Wagner a même immatriculé au Québec une Honda Civic le 4 février 2008, c’est-à-dire, bien après la promotion à Vancouver en décembre 2007;

M    M. Wagner est un abonné Telus. Il n’a aucun lien entre son compte de téléphone et l’endroit où il vit à Vancouver. L’adresse et le numéro de téléphone de correspondance sont ceux de son bureau de Vancouver. Le numéro de cellulaire a un indicatif régional 514 correspondant à celui de Montréal.

[56]        M. Wagner partage un compte conjoint à la Banque Royale avec Mme Langlois, à partir duquel sont faites ses principales transactions.

[57]        Il admet que son salaire est déposé dans ce compte.

[58]        Selon son témoignage à l’audience, il croît que dans la manière de fonctionner de la banque, la succursale bancaire où le compte du client est ouvert à l’origine demeure le même tant que dure la relation malgré les déménagements.

[59]        Il suppose ainsi que le numéro de transit inscrit sur son spécimen de chèque serait celui de la succursale bancaire en Ontario, là où il a en théorie encore son compte selon la politique mentionnée précédemment.

[60]        Il est contredit par la preuve documentaire.

[61]        La lettre de la Banque royale pour confirmer que l’adresse de correspondance du compte conjoint est à Vancouver émane de la directrice d’une succursale de la Banque royale à Beaconsfield.

[62]        Il serait inusité qu’un employé de la région de Montréal écrive à propos d’un compte situé en Ontario.

[63]        Par ailleurs, l’adresse de la banque apparaissant sur le spécimen de chèque, d’où celui-ci est tiré, correspond à la même succursale située à Beaconsfield.

[64]        Le Tribunal conclut que le compte de banque est à Beaconsfield, comme le laisse entrevoir la preuve documentaire, ce qui paraît logique vu que c’est l’endroit où réside l’autre titulaire du compte, Mme Langlois, et où se retrouvent les principaux biens de M. Wagner.

[65]        M. Wagner possède un compte d’investissement à Vancouver là où il dépose ses économies.

[66]        Il n’est pas possible d’établir une relation importante entre ce compte et le reste du patrimoine de M. Wagner puisque la somme investie dans ce compte n’a pas été établie.

[67]        Cette preuve est plutôt secondaire comme le sont d’ailleurs ses activités ou amis à Vancouver et ses divers abonnements avec une adresse de correspondance à Vancouver.

[68]        Il est indéniable que M. Wagner séjourne à Vancouver et qu’il lui arrive de passer ses temps libres de différentes façons, ce qui ne place pas inévitablement sa résidence à cet endroit.

[69]        Il peut par exemple, très bien louer des films vidéo ou s’adonner à de la photographie lorsqu’il est à Vancouver bien que sa résidence soit ailleurs.

[70]        Or, lorsqu’il est à Vancouver, M. Wagner habite un condominium appartenant à l’un de ses amis.

[71]        L’analyse du bail révèle ceci :

M    M. Wagner obtient l’occupation exclusive d’une seule chambre avec droit d’accès à d’autres pièces et un stationnement;

M    M. Wagner doit partager l’usage du logement, sauf sa chambre, avec le propriétaire et ses parents;

M    En contrepartie, M. Wagner s’engage à respecter les règlements du condominium, à tenir le condominium en bon état de propreté, à payer les frais d’électricité et, à titre de loyer, les frais de condominium;

M    Le condominium est garni entièrement par les meubles de son ami propriétaire du condominium.

[72]        Les frais du condominium, lorsque son ami lui demande de les payer, de même que les frais d’électricité sont remboursés à M. Wagner par PMC.

[73]        Le bail a une durée d’un an du 31 décembre 2007 au 31 décembre 2008 et a été renouvelé chaque année pertinente par entente verbale selon le témoignage de M. Wagner.

[74]        M. Wagner apporte à Vancouver ses vêtements, son appareil photos ou autre équipement pour occuper ses loisirs. Il ne déménage aucuns meubles, lesquels sont restés à Montréal.

[75]        Par opposition à ce qui prévaut au Québec, M. Wagner à Vancouver loue des véhicules automobiles au besoin, au mois ou à la semaine. Les frais de location lui sont remboursés par PMC.

[76]        En somme, son organisation à Vancouver illustre que lorsqu’il s’y trouve M. Wagner est en situation transitoire ou temporaire.

[77]        Par ailleurs, Vancouver n’est pas le lieu où M. Wagner exécute entièrement et exclusivement ses tâches de travail.

[78]        Avant même sa promotion, son travail l’amène à faire beaucoup de voyage.

[79]        Après sa promotion, il continue de voyager aux États-Unis et en Inde.

[80]        Comme il le dit lui-même, il profite souvent de ses voyages d’affaires pour s’arrêter à Montréal qui devient par le fait même son lieu de départ vers l’étranger.

[81]        Dans le questionnaire qu’il remplit à la demande de L’Agence le 12 janvier 2012, il dit avoir à la fois un bureau à Vancouver et à Montréal pendant toute la période visée.

[82]        Mme Langlois dit que M. Wagner vient à peu près une fois par mois pour une semaine.

[83]        Il travaille alors de la résidence de Beaconsfield et aussi de son bureau à Montréal, ce que corrobore pour l’essentiel M. Wagner.

[84]        Le vérificateur de L’Agence, M. Émmanuel Lacroix, a analysé la plupart des comptes mensuels visant M. Wagner, relativement à sa carte de crédit, pour la période allant d’avril 2007 à décembre 2010.

[85]        L’ensemble des comptes Visa analysé est produit au dossier.

[86]        Cette analyse révèle notamment ceci :

M    63 % des journées où il y a une transaction sur Visa en 2007 ont eu lieu au Québec contre 11 % en Colombie-Britannique. Le reste des dépenses ont été faites ailleurs ou à un lieu indéterminé;

M    51 % des journées où il y a eu une transaction sur Visa en 2008 ont eu lieu au Québec contre 31 % en Colombie-Britannique;

M    45 % des journées où il y a eu une transaction sur Visa en 2009 ont eu lieu au Québec contre 40 % en Colombie-Britannique;

M    45 % des journées où il y a eu une transaction sur Visa en 2010 ont eu lieu au Québec contre 23 % en Colombie-Britannique.

[87]        Le Tribunal note que les dépenses pour la pharmacie, l’optométriste ou le dentiste sont faites au Québec.

[88]        Selon l’information provenant de L’Agence du revenu du Canada, les relevés T4 préparés par l’employeur de M. Wagner, PMC, indique les revenus dans les proportions indiquées ainsi :

M    En 2007, 77,33 % des revenus proviennent du Québec et 1,28 % proviennent de la Colombie-Britannique;

M    En 2008, 43,91 % des revenus proviennent du Québec et 56,09 % proviennent de la Colombie-Britannique;

M    En 2009, 43,33 % des revenus proviennent du Québec et 56,67 % proviennent de la Colombie-Britannique;

M    En 2010, 78,02 % des revenus proviennent du Québec et 21,98 % proviennent de la Colombie-Britannique.

[89]        Il est tentant de déduire, comme le fait d’ailleurs M. Lacroix, que ces proportions sont établies par PMC en fonction du temps de travail dans l’une ou l’autre des provinces.

[90]        Quoi qu’il en soit, ces analyses des comptes Visa et des T4, tirées de données objectives et documentaires, remettent sérieusement en cause les témoignages de Mme Langlois et M. Wagner sur la durée des séjours de M. Wagner à Montréal, particulièrement de 2008 à 2010, considérant que la promotion survient à la fin de l’année 2007.

[91]        Cette preuve, que le Tribunal retient, démontre que M. Wagner réussit à partager son temps, du mieux qu’il peut, de façon à peu près égale entre Montréal et Vancouver.

[92]        La présence de M. Wagner à Vancouver n’est d’ailleurs pas exigée en principe pour plus d’une semaine par mois, comme l’indique la lettre du 14 décembre 2007 de PMC confirmant sa promotion :

You have agreed to be present in the Burnaby office at a minimum of one full week per month. Exceptions to this will be reviewed on a case by case basis.

[93]        La notion de résidence évoque une idée de constance ou de durabilité par opposition à la vocation temporaire ou transitoire du gite utilisé pour un séjour quelconque.

[94]        Monsieur le juge Rand dans l’affaire Thomson propose cette idée comme ceci :

For the purposes of income tax legislation, it must be assumed that every person has at all times a residence.

It is not necessary to this that he should have a home or a particular place of abode or even a shelter. He may sleep in' the open. It is important only to ascertain the spatial bounds within which he spends his life or to which his ordered or customary living is related. Ordin­ary residence can best be appreciated by considering its antithesis, occasional or casual or deviatory residence. The latter would seem clearly to be not only temporary in time and exceptional in circumstance, but also accompanied by a sense of transitoriness and of return.[9]

[95]        Cette même idée est véhiculée dans le passage ci-après reproduit dans l’affaire Abdat :

[32]       Tel qu’il appert des déclarations de revenus du requérant (pièces R-16, R-19, R-20) qui corroborent en grande partie son témoignage, depuis 1977, il travaille pour une entreprise ontarienne, l’Algoma Central Corporation, et navigue sur un bateau appartenant à cette corporation, l’Algoma Sound, qui est enregistré en Ontario. Ces faits ne sont pas contestés. Lorsqu’il s’est engagé dans cette nouvelle carrière, le requérant n’a pas maintenu dans les faits un établissement au Québec. Et rien dans la preuve n’indique que cet embarquement à bord d’un bateau ontarien était temporaire ou que le requérant envisageait un retour au Québec.[10]

[96]        Les mêmes notions se retrouvent dans l’affaire Paradis Larrivée comme ceci :

[40]       Lorsqu'elle a quitté en 2001, c'était clairement dans l'optique de changer complètement «d'environnement» et de rompre les liens avec sa vie actuelle, de s'évader d'un « monde » devenu trop opprimant pour elle.  Cet environnement comprenait non seulement celui du travail mais également sa vie maritale qu'elle a décidé de mettre complètement en veilleuse.  Cela était vrai à tel point qu'elle et monsieur Larrivée ont convenu d'un commun accord de mettre la maison de Le Gardeur en vente.[11]

[97]        La preuve n’indique pas que M. Wagner a décidé de rompre avec le Québec afin d’établir sa résidence en Colombie-Britannique.

[98]        La preuve prépondérante illustre plutôt la mise en œuvre de la décision d’un couple de faire vie commune tant bien que mal et malgré les vicissitudes de la vie.

[99]        M. Wagner a certes organisé sa vie pour rendre ses séjours à Vancouver agréables, ce qui n’enlève pas le caractère transitoire de ceux-ci et ne détourne pas le cœur de sa vie, lequel demeure centré à Montréal.

[100]     Les cotisations dont fait l’objet M. Wagner jouissent d’une présomption de validité[12].

[101]     Il revient à M. Wagner de « démolir l’exactitude de la présomption en présentant une preuve prima facie de son inexactitude »[13].

[102]     Dans l’affaire Capobianco, la Cour d’appel souligne ceci :

[14]       À la première étape, le contribuable n'a pas d'autre fardeau que celui de «démolir» l'exactitude de la présomption en présentant une preuve prima facie.  Pour ce faire, il n'a pas à établir le montant exact de son revenu imposable.[14]

[103]     Quant au degré de preuve requis, la Cour d’appel conclut comme ceci :

[11]       La preuve du contribuable doit toutefois comporter un certain degré de précision et de probabilité en sa faveur par opposition à des allégations vagues et ambiguës.  Règle générale, la simple affirmation du contribuable ne suffit pas; elle aura avantage à être soutenue par une preuve documentaire ou circonstancielle.

[12]       La thèse voulant qu'une simple négation de la part du contribuable puisse contrer la présomption de validité de l'article 1014 L.I. reviendrait à priver cet article de tout son sens.[15]

[104]     La preuve présentée par M. Wagner ne rencontre pas le standard établi par la jurisprudence.

[105]     Comme le Tribunal l’a déjà souligné, la preuve établit au contraire que les liens significatifs tant personnels que matériels conservés par M. Wagner convergent vers le Québec.

[106]     Comme le mentionne à juste titre, le juge Massol paraphrasant le juge Rand dans l’affaire Thomson :

[24]       […]

w     Le fait de ne pas avoir une habitation régulière n'équivaut pas à l'absence de résidence ; une personne peut résider en un lieu même si elle s'en absente fréquemment et même si, lorsqu'elle y revient, elle n'habite pas toujours au même endroit ;[16]

[107]     M. Wagner doit donc être considéré comme un résident du Québec pendant toute la période visée aux fins de la LI.

[108]     Après que la cause est mise en délibéré, L’Agence fait parvenir une lettre du 18 mars 2016 au Tribunal mentionnant notamment ceci :

[…]

En effet, nous avons obtenu de notre cliente, la confirmation que si votre jugement confirme que M Kenneth Wagner était un résident du Québec pendant les années en litige et maintient les nouvelles cotisations faisant l’objet d’un appel, l’Agence du revenu du Québec acceptera d’établir des nouvelles cotisations pour tenir compte des montants d’impôts qui lui seraient transférés par l’Agence du Revenu du Canada, après la production de déclarations de revenus amendées par M. Kenneth Wagner le cas échéant.

Ces nouvelles cotisations réduiraient au moins de moitié les droits, intérêts et pénalités cotisées suite à la vérification si aucun autre élément n’est modifié.

                                                                                             (Soulignements ajoutés)

[109]     Le Tribunal ne peut dans le présent jugement tenir compte des propos tenus par L’Agence, sauf pour faire état de son engagement conditionnel, puisque la lettre réfère justement à des hypothèses advenant le rejet de l’appel de M. Wagner.

[110]     Considérant l’ensemble des circonstances, il y a lieu de rejeter l’appel sans frais.

POUR CES MOTIFS, le Tribunal

[111]     REJETTE sans frais l’appel.

 

 

 

__________________________________

MARK SHAMIE, J.C.Q.

 

Me Aaron Rodgers

Me Brian Moulaison

GWBR SENCRL LLP

Avocats du demandeur

 

Me Martine Bergeron

Larivière Meunier

Avocats de la défenderesse

 

Dates d’audience :

 10 et 11 mars 2016

 



[1]     RLRQ, chapitre I-3

[2]     Voir notamment Beament v. Minister of National Revenue, [1952] 2 R.C.S. 486 (affaire Beament), p. 488; Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Roy, AZ-79011089 (affaire Roy), p. 6; Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Touchette, (C.A., 2000-11-21), J.E. 2001-16, (affaire Touchette)

[3]     75 DTC 5160

[4]     Affaire Touchette, supra note 2, paragr. 23

[5]     Paradis Larrivée c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2009 QCCQ 11141, paragr. 32 (affaire Paradis Larrivée); voir également Bonin c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2010 QCCQ 4801, paragr. 28 (affaire Bonin)

[6]     Voir à cet égard Lévesque c. Agence du revenu du Québec, 2015 QCCQ 1411, paragr. 52

[7]     Thomson c. Minister of National Revenue, [1946] R.C.S. 209, p. 224 (affaire Thomson)

[8]     Affaire Bonin, supra note 5, paragr. 24

[9]     Affaire Thomson, supra note 7, p. 224 et 225

[10]    Abdat c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2008 QCCQ 5585, paragr. 32. M. Abdat vivait plus de huit mois par année sur le bateau. Voir le paragr. 40

[11]    Affaire Paradis Larrivée, supra note 5, paragr. 40

[12]    Article 1014 LI

[13]    St-Georges c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2007 QCCA 1442, paragr. 10 (affaire St-Georges); voir également Capobianco c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2007 QCCA 1235, paragr. 14 (affaire Capobianco)

[14]    Affaire Capobianco, supra note 13, paragr. 14

[15]    Affaire St-Georges, supra note 13, paragr. 11 et 12

[16]    Affaire Bonin, supra note 5, paragr. 24

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.