Lépine c. Lafleur |
2013 QCRDL 27956 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier: |
31-130301-019 31 20130301 G |
No demande: |
48742 |
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Date : |
21 août 2013 |
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Régisseure : |
Linda Boucher, juge administratif |
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ROGER LÉPINE |
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Locateur - Partie demanderesse |
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c. |
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JOCELYNE LAFLEUR |
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Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Il s’agit d’une demande en résiliation de bail, exécution provisoire de la décision nonobstant l’appel et condamnation de la défenderesse aux frais judiciaires.
[2] Aux motifs de sa demande, le locateur fait valoir que la locataire loue illégalement des chambres au sous-sol du logement visé et qu’elle garde deux chats en contravention du bail.
[3] Il s’agit d’un bail reconduit du premier juillet 2013 au 30 juin 2014 au loyer mensuel de 1 175 $.
[4] Le bail mentionne que le logement est loué à des fins résidentielles seulement.
[5] La locataire occupe le logement depuis plus d’une dizaine d’années. Le locateur possède l’immeuble depuis une quinzaine d’années.
[6] L’immeuble visé est un duplex dont le locateur occupe le premier étage depuis le premier juillet 2012.
[7] La locataire, pour sa part, occupe le rez-de-chaussée composé de sept pièces et d’une partie du sous-sol qui représente les 2/3 de la superficie du rez-de-chaussée.
Les faits
[8] Le locateur reproche à la locataire de louer l’espace du sous-sol à des tiers en contravention de la règlementation municipale et de son assurance propriétaire.
[9] Il explique que le propriétaire précédent de l’immeuble avait créé un petit appartement au sous-sol pour ses enfants. On y retrouve une cuisinette, un espace salon et deux chambres à coucher.
[10] Or, ce qui peut apparaitre comme une garçonnière ne peut être louée puisqu’elle ne possède pas de sortie de secours en nombre suffisant, de même les matériaux utilisés et sa configuration ne respectent pas la règlementation municipale à ce sujet.
[11] Par ailleurs, son assurance propriétaire ne couvre pas le risque accru de la location de cet espace.
[12] C’est pourquoi il a avisé la locataire au moment de la signature du bail que le sous-sol ne pouvait être loué, mais seulement être utilisé par la locataire elle-même.
[13] Il a, de plus, retiré les appareils électroménagers qui s’y trouvaient afin de bien marquer l’interdiction de louer le sous-sol.
[14] Au fil des ans et de ses visites aux lieux loués, il s’est douté que la locataire louait le sous-sol. Toutefois, ne résidant pas sur place, il s’est fié à la parole de celle-là qui lui affirmait le contraire.
[15] Depuis qu’il a pris possession du logement à l’étage, il a remarqué les allées et venues de plusieurs personnes qui ne sont manifestement pas des membres de la famille de la locataire en raison de leur diversité ethnique.
[16] Il constate aussi, à l’occasion de réparations, la présence d’appareils électroménagers au sous-sol.
[17] Une recherche lui fait découvrir une petite annonce placée par la locataire sur les médias sociaux et aux termes de laquelle elle offre des chambres à des « étudiant, stagiaire, touriste, travailleur / court moyen terme, 2 étages =1er + s-sol. Tout meublé, tout fournie; literie etc… »
[18] Elle y indique que les deux chambres du sous-sol sont occupées respectivement par Milton, un étudiant colombien et Ismayel, un stagiaire.
[19] Le locateur voit alors ses soupçons confirmés.
[20] Au surplus, il trouve épinglé au mur du sous-sol un règlement qui impose aux résidents un horaire d’entretien des lieux.
[21] Il affirme qu’un tel usage des lieux lui cause un préjudice sérieux puisque son assurance propriétaire ne couvre pas ce risque additionnel. Il exhibe une lettre de son courtier d’assurance attestant qu’il n’est couvert que pour deux logis, ce qui exclut la garçonnière.
[22] Il s’expose ainsi à des poursuites qui pourraient potentiellement le ruiner en cas d’accident ou de sinistre.
[23] Il ajoute que la locataire ne peut se servir des lieux loués pour y opérer un commerce de location de chambre et du sous-sol.
[24] À la prétention de la locataire qui lui a déjà dit que les occupants de son logement sont en réalité des colocataires, il répond qu’il n’a jamais été avisé de la sous-location d’une partie du logement.
[25] Le locateur ajoute que la locataire garde des chats en contravention du bail. Il admet cependant que malgré ses allergies aux félins et l’odeur d’urine qu’il perçoit chez lui de temps en temps, les bêtes ne lui causent aucun préjudice sérieux.
[26] En contre-interrogatoire, il affirme avoir constaté la présence de tiers chez la locataire pour la première fois au mois d’août 2012.
[27] Pour sa part, la locataire admet louer des chambres dans son logement.
[28] En défense, elle fait valoir que le locateur est au courant de cela depuis plusieurs années sans qu’il trouve à se plaindre.
[29] Elle exhibe comme preuve de la connaissance du locateur une lettre émanant de ce dernier et datée du mois de mars 2010. Il y mentionne son questionnement quant à la location des chambres.
[30] Elle exhibe aussi une liste de travaux qu’elle remettait au locateur au mois d’aout 2006. Elle opine que certains de ces travaux devaient se dérouler au sous-sol et que, conséquemment, le locateur ne pouvait ignorer qu’elle louait cet espace.
[31] Elle ajoute que le locateur, à l’occasion de ses visites, a eu des entretiens avec ses locataires sans qu’il s’en plaigne à elle.
[32] La locataire laisse entendre par là que le locateur avait donné son consentement implicite à son commerce de location de chambres et de la garçonnière du sous-sol.
[33] Elle exhibe aussi un rapport émanant d’un inspecteur municipal mentionnant qu’elle peut louer au plus trois chambres de son logement.
[34] En réplique, le locateur nie avoir discuté avec des occupants en 2006 ou avoir constaté leur présence à cette époque.
[35] Il fait remarquer qu’à sa missive de 2010, il fait part à la locataire de ses soupçons et affirme qu’il était alors incapable d’affirmer avec certitude l’usage de la locataire.
[36] Ainsi peut-on résumer l’essentiel de la preuve.
Le droit
« 1856. Ni le locateur ni le locataire ne peuvent, au cours du bail, changer la forme ou la destination du bien loué.»
« 1892. Sont assimilés à un bail de logement, le bail d'une chambre, celui d'une maison mobile placée sur un châssis, qu'elle ait ou non une fondation permanente, et celui d'un terrain destiné à recevoir une maison mobile.
Les dispositions de la présente section régissent également les baux relatifs aux services, accessoires et dépendances du logement, de la chambre, de la maison mobile ou du terrain.
Cependant, ces dispositions ne s'appliquent pas aux baux suivants :
1. Le bail d'un logement loué à des fins de villégiature;
2. Le bail d'un logement dont plus du tiers de la superficie totale est utilisée à un autre usage que l'habitation;
3. Le bail d'une chambre située dans un établissement hôtelier;
4. Le bail d'une chambre située dans la résidence principale du locateur, lorsque deux chambres au maximum y sont louées ou offertes en location et que la chambre ne possède ni sortie distincte donnant sur l'extérieur ni installations sanitaires indépendantes de celles utilisées par le locateur;
5. Le bail d'une chambre située dans un établissement de santé et de services sociaux, sauf en application de l'article 1974. »
[38] Dans l'affaire Lavoie c. Lavoie[1], le juge administratif Michel Dubé a analysé la portée de l'article 1856 du Code civil du Québec alors que le locataire poursuivi exerçait son métier de « ramancheur » dans le logement. Il exprime ce qui suit :
« Me Pierre-Gabriel Jobin déclare sur la question :
95. Notion. L'article 1856 du Code prescrit que le locataire ne peut pas changer la forme ou la destination du bien loué. (...)
La loi interdit d'abord au locataire de modifier la forme du bien loué, tel qu'il se trouvait lors de la conclusion du bail ou, tout au moins, lors de la délivrance du bien. Elle lui interdit également d'en changer la destination, ce qui est une source de difficultés plus nombreuses. Le changement s'apprécie en fonction de la destination qui a été prévue par une disposition du bail ou, à défaut, qui est révélée par l'usage antérieur du bien ou son état au moment de la délivrance. Par exemple, le locataire d'un logement ne saurait le transformer en établissement de bains turcs et en salon de massage, ni en maison de chambres, inversement, le locataire d'une salle de cinéma ne saurait la transformer en logement. (...)
Il peut y avoir changement de destination sans qu'il y ait nécessairement modification matérielle du bien loué (la poursuite d'activités commerciales ou artisanales en est un exemple. (...) » (Notre soulignement)
[39] Pour en conclure :
« Dans les circonstances, force est de constater que le locataire a changé, sans permission, la destination du bien loué, ce qui est interdit. »
[40] Dans une autre affaire présentant des faits similaires au présent dossier, l'honorable juge Gérald Locas, a été saisi de la question suivante: « Le locateur a-t-il le droit à la résiliation du bail du logement lorsque le locataire sans droit, change la destination des lieux.»
[41] Sa réponse a été la suivante :
« Et la réponse à cette question est évidemment oui. En effet, dans sa décision, la Régie a elle-même constaté que les locataires avaient changé la destination des lieux en transformant « près de 80% de la surface habitable du logement en maison de chambres et que c'est là leur activité commerciale. »[2]
[42] Au même effet, le juge administratif Éric Luc Moffat en arrive à la même conclusion dans la cause Julie Lanteigne c. Roger Dartiguenave[3], alors qu’il conclut que le locataire qui exploitait un gîte du passant (« bed and breakfast ») dans le logement à l'insu du locateur avait changé la destination des lieux loués, et a fait droit à la résiliation du bail.
[43] Aussi, la juge administrative Marie-Louisa Santirosi conclut dans la cause Velmahos c. Cossette[4]:
« Or, en vertu de l'article 1856 C.c.Q. ni le locateur ni le locataire ne peuvent, au cours du bail, changer la forme ou la destination du bien loué.
De ce fait, le locataire a fait du logement une activité commerciale organisée qui préjudicie au locateur.
En modifiant ainsi la vocation du logement résidentiel en maison de chambre, le locataire affecte la presque totalité de la surface du logement.
Cette modification intervient non seulement en l'absence d'une autorisation du locateur, mais à son insu dans l'espoir de profiter de son ignorance.
Cette situation cause au locateur un préjudice sérieux qui va au-delà de l'augmentation possible de ses primes d'assurances. »
[44] Le juge administratif André Monty a pour sa part déjà conclu :
« DÉCISION
Les parties ont signé un bail résidentiel le 26 juillet 2000. Depuis 2003, les locataires offrent dans leur logement un service de garde en milieu familial.
Les témoignages contradictoires entendus ne permettent pas au tribunal de conclure que la locatrice ait eu connaissance de ce changement avant 2008.
La preuve soumise convainc le tribunal que la locatrice n'a jamais autorisé les locataires à offrir ce service dans le logement. Dans une décision récente, la juge administratif Claire Courtemanche indique « [...] en ce qui concerne les activités de garde en milieu familiale, la locataire ne peut se livrer à une telle activité sans l'autorisation du locateur [...] (5) ». Le tribunal partage cette opinion.
L'article 1856 du Code civil du Québec stipule que ni le locateur ni le locataire ne peuvent, au cours du bail, changer la forme ou la destination du bien loué. Dans le cadre du présent dossier, le tribunal doit conclure que les locataires ont changé unilatéralement, en cours de bail, la destination du logement en offrant des services de garde.
Le tribunal reprendra à son compte les commentaires de la juge administratif Ducheine :
« Les locataires ayant loué un logement pour des fins résidentielles, ils ne pouvaient offrir des services de garde. En agissant ainsi, les locataires contreviennent aux dispositions de l'article 1856 du Code civil du Québec [...]
Ce sont des règles impératives auxquelles les locataires ne peuvent déroger. (4)
« Les parties ont tenté de délimiter dans l'espace la superficie occupée pour les fins du service de garde. L'article 1892, alinéa 3, paragraphe 2, prévoit que les règles particulières au bail d'un logement ne s'applique pas si plus du tiers de la superficie totale du logement est utilisée à un autre usage que l'habitation. »
Cet exercice est peu utile pour les fins du présent débat. Il importe peu de statuer si l'occupation depuis 2003 à des fins autres que résidentielles s'exerce sur le tiers du logement ou sur une superficie plus grande.
L'article 1892, alinéa 3, paragraphe 2, limite la compétence juridictionnelle de la Régie du logement au sens de l'article 28 de la Loi sur la Régie du logement. Il ne détermine pas les critères à retenir pour décider si la destination d'un logement a été modifiée. Aussi, la décision unilatérale d'une des parties de changer la destination du logement en cours de bail, comme c'est le cas en l'espèce, n'a pas pour effet de faire perdre compétence à la Régie du logement :
« La compétence rationae materiae ne doit pas dépendre de l'usage effectif du local, puisqu'elle risquerait de varier au gré du locataire qui pourrait choisir le tribunal compétent en utilisant le local à des fins autre que résidentielles, pour plus ou moins d'un tiers de sa superficie totale selon qu'il veuille s'adresser à la cour du Québec ou à la Régie du logement. »[5]
(Notre soulignement)
[45] En l’instance, pour obtenir la résiliation du bail, le locateur devait démontrer que la locataire a changé la destination du logement en transformant plus du tiers de celui-ci en une entreprise de location de chambres et de la garçonnière du type gite ou hôtellerie et que cet usage lui cause un préjudice sérieux.
[46] Le tribunal n’a pas retenu l’argument relatif à la présence admise des chats chez la locataire puisque celui-là a lui-même spontanément admis que les animaux ne lui causaient pas de préjudice sérieux.
[47] La preuve révèle en effet que la locataire manque à ses obligations en modifiant unilatéralement l'usage du logement.
[48] Elle loue à court ou moyen terme ses chambres et l’espace du sous-sol à des étudiants, stagiaires ou travailleurs de passage qu’elle recrute au moyen d’une petite annonce. Elle leur fournit les meubles et la literie et leur impose un code de vie. L’espace ainsi offert en location représente plus du tiers de la superficie du logement.
[49] Elle ne cherche manifestement pas à s’adjoindre des colocataires puisqu’elle ne requiert jamais l’autorisation du locateur et ne cherche pas à leur conférer les droits d’un locataire au bail; principalement le droit au maintien dans les lieux. Le service qu’elle rend à ses personnes de passage s’apparente à ceux offerts par une auberge.
[50] Quant au préjudice sérieux que le locateur affirme en éprouver, le tribunal reteint principalement l’absence de couverture d’assurance pour l’usage commercial de la locataire qui pourrait se traduire pour le locateur en une absence de couverture aux conséquences économiques désastreuses en cas de sinistre et expose celui-ci à des poursuites ruineuses de la part des victimes. Il s'agit certes là de préjudices sérieux.
[51] Les principes énoncés par la décision Trépanier c. Roberge[6] s'appliquent à la présente situation en y faisant les adaptations nécessaires. D'autres décisions ont également été rendues à l'effet que les difficultés avec les compagnies d'assurances représentaient pour le locateur un préjudice sérieux lorsqu'un locataire décidait unilatéralement d'opérer un service de garde.
[52] En l'instance, la preuve soumise ne permet pas au tribunal de conclure que le locateur savait avec certitude avant juillet 2012 que la locataire opérait une entreprise de location de son logement.
[53] Le tribunal conclut que la locataire a modifié sans autorisation la destination du logement et que cette situation cause au locateur un préjudice sérieux.
[54] Il y a conséquemment lieu de résilier le bail, comme le réclame le locateur.
[55] Malgré le préjudice causé au locateur, le tribunal est d’avis qu’il n’y a pas lieu d’accueillir sa demande d’exécution provisoire de la décision, comme il est prévu à l'article 82.1 de la Loi sur la Régie du logement, et ce, afin de permettre à la locataire et à ses clients de trouver un nouveau logis.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[56] RÉSILIE le bail et ORDONNE l’éviction de la locataire et de tous les autres occupants du logement;
[57] CONDAMNE la locataire à payer au locateur les frais judiciaires au montant de 70 $;
[58] REJETTE la demande quant au surplus.
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Linda Boucher |
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Présence(s) : |
le locateur la locataire Me Huu Phu Nguyen, avocate de la locataire |
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Date de l’audience : |
1er août 2013 |
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[2] André Gagnier et Nathalie Caron c. Robert Laplante et Jocelyne Reeves, 500-80-002448-034, décision rendue le 5 février 2004.
[3] 31-060714-025G, décision rendue le 9 août 2006.
[4] 31-061114-061G, décision rendue le 15 janvier 2008.
[5] Sylvie Bolduc c. Anne Brunet, R.L. 31-090512-016G, le 19 octobre 2011. Aussi Kokkalakis c. Daassi, 31-080828-005 G, Juge adm. Mailfait, le 26 janvier 2009; Berthiaume c. Bolduc, 16-001129-003 G, Juge adm. Leblanc, 4 janvier 2001.
[6] [2004], J.L., p. 347, juge administratif Courtemanche.
AVIS :
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