Décision

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R. c. Neashish

2015 QCCQ 12654

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

SAINT-MAURICE

LOCALITÉ DE

LA TUQUE

« Chambre criminelle et pénale »

Nos :

425-01-007524-116

425-01-008060-128

 

 

 

DATE :

9 décembre 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

JACQUES LACOURSIÈRE, J... C...Q.

______________________________________________________________________

 

 

LA REINE

Partie poursuivante

c.

JEAN-PAUL NEASHISH

Accusé

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

Ce dossier comporte une ordonnance limitant la publication selon

l’article 486.4(1) du Code criminel.

Il est interdit de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement permettant d’établir l’identité de la plaignante.

______________________________________________________________________

 

[1]           On reproche à l’accusé d’avoir commis des infractions de nature sexuelle sur cinq personnes entre les années 1966 et 2006.

LES FAITS

[2]           Sans entrer dans tous les détails de cette affaire dont l’audition s’est échelonnée sur plusieurs jours, il convient de résumer les grandes lignes de la preuve présentée par la poursuite ainsi que par la défense.

Preuve de la poursuite

425-01-008060-128, chef numéro 6

[3]           Entre le 1er juin et le 1er septembre 1984, S... Q... réside à Wemotaci. Elle est âgée d’environ 26 ans à cette époque.

[4]           L’accusé fait partie de la police amérindienne de 1976 à 1989.

[5]           Un jour de 1984, accompagnée de son conjoint, S... Q... se rend au domicile de J... C... où se déroule une fête.

[6]           Il y a beaucoup de personnes dans la maison. Il s’y consomme des boissons alcooliques.

[7]           Lorsqu’on offre à S... Q... une bière, elle commence par refuser puisqu’elle prend des médicaments pour traiter l’épilepsie. Elle finit par se laisser convaincre et boit quelques gorgées d’une bouteille de bière que son conjoint lui présente.

[8]           Soudainement, S... Q... ne se sent pas bien. Elle affirme qu’elle a de « drôles de visions ». Elle accepte, à la suggestion de son mari, d’aller attendre à l’extérieur de la maison.

[9]           C’est à ce moment qu’un véhicule de police arrive sur place. L’accusé qui porte l’uniforme de policier de la réserve lui prend le bras et la fait monter dans le véhicule. Elle s’assoit à l’avant sur le siège du passager. Elle est conduite dans un endroit isolé. Il lui est impossible de voir où l’accusé l’emmène puisque c’est très sombre.

[10]        Elle affirme que c’est lui qui la fait descendre et qui la couche sur le panneau arrière du véhicule. Ses jambes ne touchent pas au sol.

[11]        Elle sent alors qu’on lui détache et baisse son pantalon. L’accusé a une relation sexuelle complète avec S... Q.... Il y a éjaculation.

[12]        Marcel Boivin est tout près d’eux. Elle l’entend dire à l’accusé qu’il doit faire vite. Puis, Boivin a également une relation sexuelle avec elle.

[13]        Elle est en mesure de constater qu’un troisième individu se trouve près d’elle. Il s’agit de J... B... N…. Ce dernier est présent lors des agressions, mais il n’y a pas participé[1].

[14]        S... Q... éprouve encore des étourdissements. Elle tente en vain de se relever. Elle ne sait pas finalement comment elle a pu se rassoir.

[15]        Une fois revenue chez elle, c’est l’accusé qui la fait descendre du véhicule de patrouille. Il doit lui prendre le bras pour la conduire vers la porte d'entrée de sa résidence. Le mari de S... Q... dit à l’accusé : « Pis, ça a-tu fait votre affaire? (sic)» L’accusé lui répond : « Oui oui, ça va être correct. »[2]

[16]        S... Q... ne peut préciser si l’accusé a déposé Boivin et J... B... N... avant ou après l'avoir reconduite chez elle.

425-01-008060-128, chefs numéros 2, 3, 4 et 5

[17]        C... P... relate trois événements survenus dans les années 80.

[18]        À cette époque, elle est âgée d’environ 23 ans et elle habite avec son conjoint D... B... dans la maison du père de ce dernier à Wemotaci. En tout, huit personnes demeurent dans cette maison.

[19]        Les membres de la famille ont l’habitude de souligner l’arrivée deux fois par mois des prestations sociales en consommant des boissons alcooliques.

[20]        C’est à l’une de ces occasions qu’une chicane survient entre certains membres de la famille, ce qui nécessite l’intervention policière. L’accusé procède à l’arrestation de C... P... et la fait monter dans le véhicule de la police amérindienne. Il la conduit à un endroit nommé « la passerelle » lequel est situé près du chemin de fer qui mène à Sanmaur. Chemin faisant, il en profite pour lui prodiguer des conseils sur les relations de couple.

[21]        Dès qu’il arrive à sa destination, l’accusé commence à lui flatter le dos et les parties génitales par-dessus les vêtements. Malgré les objections de C... P..., il lève son gilet et lèche ses seins. Il dit qu’il va lui faire du bien.

[22]        L’accusé conseille à C... P... de ne rien dire en précisant que de toute façon personne ne la croira. Il porte son uniforme de policier.

[23]        Lorsqu’il la dépose à son domicile, l’accusé dit au conjoint de C... P... qu’à l’avenir, elle va se tenir tranquille.

[24]        Un an plus tard, par une belle journée de mai ou juin 1982, l’accusé procède une fois de plus à l’arrestation de C... P....

[25]        Il la conduit à nouveau dans un lieu isolé, soit à l’endroit où est située une génératrice qui alimente la communauté en électricité.

[26]        Elle se souvient qu’elle est couchée sur le dos. L’accusé a une relation sexuelle complète avec elle. Elle croit que c’est elle qui a remonté son pantalon. L’accusé, lui, ne dit rien.

[27]        Enfin, un autre événement survient à l’hiver 1983.

[28]        L’accusé se présente au domicile de C... P.... Cette fois, elle refuse de le suivre. L’accusé l’empoigne par le bras pour la faire monter dans le véhicule de police. Elle se débat. L’accusé la gifle et lui dit en atikamekw de « fermer sa gueule ». C... P... lui répond que s’il ne la lâche pas, elle révèlera tout ce qu’il lui a fait subir. L’accusé lâche prise et quitte les lieux.

[29]        C... P... reconnaît qu’elle est intoxiquée par l’alcool lors de ces événements.

[30]        Le témoin précise aussi que comme il y a souvent de la chicane dans la maison à cette époque, on fait régulièrement venir la police. Or, chaque fois que l’accusé se présente sur place, c’est C... P... qu’il arrête.

425-01-008060-128, chefs numéros 7, 8 et 9 

[31]        X est la petite-fille de l’accusé. Elle demeure chez ses grands-parents jusqu’à l’âge de 13 ou 14 ans.

[32]        Elle relate un premier événement survenu alors qu’elle est âgée de 7 ou 8 ans.

[33]        L’accusé va la chercher dans sa chambre à coucher pour la conduire dans la sienne qui se trouve juste en face sous prétexte de faire une sieste.

[34]        Il couche X sur le lit et se livre à des attouchements sur elle. Il enlève sa culotte, la touche aux seins et à la vulve avec sa langue. X a très peur.

[35]        Les activités de l’accusé sont interrompues par le cousin du père de la jeune fille qui se présente à la maison pour emprunter un fusil.

[36]        Lorsque le cousin entre dans la résidence, l’accusé sort de sa chambre. Il est suivi par X qui est étranglée par les sanglots. L’accusé demande à cette dernière de ne pas parler de ce qui vient de se produire.[3]

[37]        Ces attouchements se sont répétés à deux ou trois reprises dans la résidence de l’accusé[4]. Toutefois, le témoin ne se souvient pas des détails de ces autres incidents.

[38]        Un événement survient lors d’une semaine culturelle à Wemotaci.

[39]        L’accusé montre à X qui est âgée entre 12 et 14 ans comment conduire un véhicule tout terrain.

[40]        Elle est aux commandes du V.T.T. et l’accusé est assis à l’arrière d’elle.

[41]        Pendant une promenade dans la région de Casey, il touche aux cuisses ainsi qu’à la vulve de X par-dessus ses vêtements.

[42]        Selon elle, l’accusé répète les mêmes gestes lorsqu’il la laisse conduire son véhicule Ford. Elle est assise sur ses cuisses lors de ces attouchements. Cet incident survient la même année.

[43]        L’accusé lui dit une fois de plus de ne pas raconter ces événements à personne.

425-01-008060-128, chef numéro 1

[44]        Vers l’année 1966, Y demeure à Ruban, ancien petit village situé non loin de Sanmaur. À cette époque, il n’y a guère plus de dix maisons à cet endroit.

[45]        Y y réside avec ses parents, son frère et sa sœur. Elle a 10 ou 11 ans au moment de l'incident.

[46]        Un jour d’été, sa mère lui demande d’aller porter de la nourriture à sa grand-mère qui reste tout près de leur domicile. À son retour à la maison, elle croise l’accusé sur son chemin.

[47]        Celui-ci se penche vers elle et la saisit. Il veut l’embrasser. Il lui touche les seins par-dessus ses vêtements et dirige ses mains vers ses parties génitales. Y se débat énergiquement. Elle réussit à se défaire de l’emprise de l’accusé et s’enfuit vers sa maison.

[48]        Le témoin mentionne qu’elle n’a jamais parlé de cet événement à ses parents. Elle a eu extrêmement peur ce jour-là et encore aujourd’hui, des cauchemars continuent de la hanter. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui l’ont incitée à consulter une psychologue. C’est après le début de ce suivi psychologique qu’elle prend la décision de tout dévoiler à la police en 2007.

425-01-007524-116, chefs numéros 1, 2, 3 et 4

[49]        Z est âgée entre 7 et 10 ans. Elle habite à Ruban avec ses parents.

[50]        L’accusé et sa conjointe demeurent dans une petite maison située tout près.

[51]        Peu avant 1972, Z se rend à leur résidence pour surveiller et jouer avec les enfants. C’est la femme de l’accusé qui va la chercher lorsqu’on a besoin de ses services.

[52]        Les événements surviennent lorsqu’elle se retrouve seule en compagnie de l’accusé et de ses jeunes enfants.

[53]        Cette maison ne comprend qu’une pièce dans laquelle il y a un poêle à bois, un lit pour les adultes, un lit pour les enfants, une table et deux chaises lesquelles sont situées tout près de la porte d'entrée.

[54]        L’accusé est assis sur l’une des chaises de cuisine et demande à Z de venir près de lui. Il lui dit : « Un jour tu vas connaître ça. » Puis, il l’embrasse sur la bouche et lui demande de toucher à son pénis. Elle doit lui faire une fellation.

[55]        Le témoin affirme ceci :

« Il a caressé mon vagin. Il m’a montré comment sucer et il m’a dit de ne pas le dire. »

[56]        Selon ce témoin, l’accusé ajoute ceci :

« En vieillissant, tu vas apprendre ça. Un jour, tu vas connaître ça. »

[57]        Z ajoute ceci :

« Ça fait que c’était lui mon professeur, dans le fond. »[5]

[58]        L’accusé lui touche les parties génitales et il éjacule dans sa main, parfois dans sa bouche.

[59]        Cela se produit lorsque la conjointe de l’accusé est absente.

[60]        Au début, elle croit que c’est un jeu, puis elle comprend que les comportements de l'accusé sont inappropriés. Elle garde le silence et retourne chez lui de crainte que ses parents ne la disputent.

[61]        Elle insiste pour dire qu’elle se souvient encore très bien des odeurs de boisson, de sueur et de l'odeur et du goût du sperme de l’accusé.

[62]        Ces comportements se reproduisent à plus d’une dizaine de reprises. Ils n’ont pris fin que lorsque sa famille a déménagé à Wemotaci vers 1972.

Autres éléments de preuve

[63]        Après la tenue d’un voir-dire, le Tribunal a autorisé la poursuite à déposer deux déclarations de l’accusé dans lesquelles ce dernier reconnaît en partie les faits résumés plus haut.

Preuve de la défense

[64]        L’accusé, comme c’est son droit, se fait entendre.

[65]        Ce dernier nie avoir commis les infractions.

[66]        Il soutient que s’il a fait des déclarations aux policiers, c’est parce qu’il voulait mettre fin aux interrogatoires le plus tôt possible, mais aussi parce qu’il était en mesure de contredire chacun des détails entourant les récits des plaignantes.[6]

[67]        Ainsi, il affirme que de 1978 à 1981, les policiers de Wemotaci utilisaient un véhicule de marque Jimmy dont le panneau arrière s’ouvre en le descendant du haut vers le bas. Puis en 1981, le service de police a fait l’acquisition d’un véhicule de marque Toyota. Celui-ci n’a pas de banc à l’arrière.

[68]        Agnès Neashish a déposé un film de famille pris à l’occasion d’une cérémonie de confirmation à l’église en 1984. Cette année correspond à l’année de l’agression rapportée par S... Q....

[69]        Sur ce film, on y voit le véhicule de marque Toyota utilisé par la police amérindienne. On a accès au compartiment arrière par deux portières qui s’ouvrent de façon latérale soit du centre vers le côté. Il ne s’agit pas d’un panneau que l'on baisse comme l'affirme S... Q... dans son témoignage et comme l’accusé le déclare aux policiers.

[70]        Gaétanne Petiquay relate qu’elle a acheté ce véhicule en 1984 ou en 1985.

[71]        Caroline Coonishish est la conjointe de l’accusé. Elle soutient n’avoir jamais fait garder ses enfants par Y.

[72]        Dans le cas de Y, l’accusé affirme qu’en 1966, il est charretier au camp forestier du Lac Régal pendant tout l’été et la moitié de l’automne. En 1967, il travaille comme bûcheron cette fois au Lac Belles-Oreilles. Il n’a donc pu commettre les actes reprochés.

[73]        Quant aux agressions à l’égard de X, il soutient que s’il a parlé de ces événements qui, au départ, étaient inconnus des policiers, c’est dans l’unique but de leur fournir un exemple des « menteries » dont cette dernière est capable. Convaincu que les policiers iront la rencontrer, il veut savoir ce qu’elle déclarera.

[74]        Par ailleurs, l’accusé étant atteint d’un glaucome, il éprouve de sérieux problèmes de vision. Il ne conduit donc plus aucun véhicule à moteur depuis 2002 de telle sorte qu’il n’a pu donner des cours à X en 2005. Sa conjointe et sa fille confirment toutes deux les problèmes de vision de l’accusé.

[75]        Marcel Boivin explique qu’un projet de mini centrale électrique a déchiré les membres de la communauté atikamekw. La famille Chilton a érigé des barricades en 2005 qu’ils ont dû enlever à la suite de procédures judiciaires.

[76]        Le clan Chilton a des opinions politiques divergentes des siennes sur les questions qui concernent le Conseil de la Nation Atikamekw.

[77]        Il est donc convaincu que les accusations dont lui et l’accusé font l’objet sont le résultat d’une vengeance exercée par la famille Chilton.

[78]        Boivin qui était négociateur en chef pour le Conseil de la Nation Atikamekw a été congédié en 2009. Puis il a été accusé d’agression sexuelle sur S... Q... en 2012, tout comme l’accusé.

[79]        Il nie avoir agressé S... Q....

[80]        Dany Chilton relate qu’en 2009, il est conseiller politique au Conseil de bande de la Nation Atikamekw.

[81]        Lors d’une assemblée générale spéciale du Conseil tenue les 11, 12 et 13 février 2009, il fait savoir qu’il est soucieux de la crédibilité et de la moralité de certains représentants atikamekws. Interrogé sur la signification de cette affirmation, Chilton explique qu’à ses yeux, il est impératif de nommer des personnes sans tache dans les postes importants au niveau de la nation.

[82]        Enfin, le témoignage de L... C... concerne les agressions sexuelles commises à l’endroit de S... Q.... Ce témoin mentionne que sa mère J... C... n’avait pas l’habitude d’organiser des fêtes dans la maison lorsqu’il y avait des enfants. Elle était enceinte en 1984 et elle demeurait chez sa mère cette année-là.

LE DROIT

[83]        Dans cette affaire qui repose sur une question de crédibilité, les thèses avancées par les parties sont tout à fait contradictoires.

[84]        Le Tribunal qui a eu le privilège de voir et entendre les témoins doit appliquer les règles suivantes :

[85]        Premièrement, en matière criminelle, l’accusé n’a aucun fardeau puisqu’il est présumé innocent jusqu’à preuve du contraire.

[86]        Deuxièmement, la poursuite a le fardeau de démontrer hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé.

[87]        Troisièmement, comme le mentionne la Cour suprême dans les arrêts J.H.S.[7] et C.L.Y.[8], lorsque la preuve est contradictoire, le Tribunal n’a pas à choisir entre des versions également plausibles et vraisemblables.

[88]        Quatrièmement, le Tribunal doit suivre la méthode d’analyse proposée dans l’arrêt W.(D)[9].

[89]        Cinquièmement, par ailleurs, le fait que les plaignantes ne portent plainte que plusieurs années après les événements n’a aucune pertinence dans la présente affaire. Dans l’arrêt R. c. L.(W.K)[10], la Cour suprême, après avoir rappelé qu’au Canada, sauf dans de rares cas, il n’existe pas de prescription en matière criminelle, précise que la dénonciation tardive ou incomplète est très fréquente en matière d’infractions sexuelles. En effet, les victimes ne sont pas toujours prêtes psychologiquement à assumer les conséquences de leur dénonciation.

ANALYSE

[90]        Après avoir observé l’accusé lors de son témoignage, le Tribunal constate que la thèse offerte par ce dernier est très surprenante.

[91]        Plutôt que de faire ce que toute personne normale aurait fait dans les circonstances, l’accusé qui a été policier pendant plus de dix ans et négociateur en chef adjoint pour le Conseil de la Nation Atikamekw pendant environ huit ans[11] soutient qu’il a préféré admettre dans ses déclarations aux policiers avoir commis les gestes reprochés sachant que cela était faux, et ce, pour mieux les contester une fois au procès.

[92]        L’accusé s’exprime comme suit[12] :

« Q. … je voulais montrer des choses au juge», c’est quoi que vous avez fait dans votre tête? C’est quoi votre… c’était quoi, là, le plan?

R. C’était de suivre les déclarations des victimes, des erreurs qu’il y avait dedans, là, puis les menteries, je les ai mises dans ma déclaration, sachant quand même, là, que tout était faux, parce que moi, je savais concernant les véhicules puis les partys, puis Boivin puis Niquay, ils n’étaient pas là, là. Même, le panneau aussi qui s’ouvrait de la manière que...

Q. Alors, vous saviez ça, vous avez mis ça...

R. Oui.

Q. ... dans votre déclaration, pourquoi?

R. ...

Q. Le but de les marquer, c’était quoi?

R. Bien, c’est de me sortir de là, là.

Q. Quand? Comment?

R. Ici devant le juge.

Q. En démontrant quoi?

R. Les menteries qu’il y avait dans les déclarations des victimes, les erreurs. »

[93]        L’accusé plaide que l’agent Comeau l’a contraint à admettre les crimes dénoncés par les plaignantes et à en confirmer les moindres détails. C'est la raison pour laquelle il a adopté la stratégie qui consiste à reconnaître les faits pour les réfuter plus tard au procès.

[94]        La preuve lors du voir-dire, déposée de consentement pour valoir au fond, révèle plutôt que l’agent Comeau a, au début de l’interrogatoire, discuté avec l’accusé de la nature des relations qu’il entretenait avec les plaignantes à l’époque des infractions.[13]

[95]        À partir du moment où l’accusé a reconnu certains faits et qu’il a accepté de fournir sa version, les déclarations ont été prises de façon à refléter les échanges entre ce dernier et l’agent Comeau.[14]

[96]        Ceci étant dit, il est invraisemblable que l’accusé ait impliqué injustement Marcel Boivin, un bon ami dont il a été le négociateur adjoint pendant plusieurs années, dans l’unique but de démontrer à son procès que sa déclaration était un tissu de mensonges.

[97]        D’ailleurs, lorsque l’interrogatoire a porté sur l’agression commise sur S... Q..., les policiers ont constaté que l’accusé était torturé entre son désir de confesser ce crime et son devoir de loyauté vis-à-vis de Marcel Boivin.[15]

[98]        Non seulement l’accusé confirme dans ses déclarations plusieurs aspects des versions des plaignantes, mais au surplus, il n’a pas hésité lorsqu'il le jugeait nécessaire à apporter certaines précisions aux récits relatés par ces dernières.

[99]        L’attitude de l’accusé lors de l’interrogatoire par les policiers, mais aussi lors du procès va en totale contradiction avec la thèse qu’il soumet au Tribunal.

[100]     En fait, le témoignage de l’accusé comporte de très nombreuses incohérences et invraisemblances qui ont raison de sa crédibilité. Il convient d’en énumérer quelques-unes :

[101]     Premièrement, en ce qui concerne l’agression sexuelle à l’endroit de Z, l’accusé, en interrogatoire principal[16], admet avoir affirmé ceci dans sa déclaration Pr-1 :

« Le gros des agressions avec Z est arrivé dans la semaine après l’accouchement de mon fils Marcel le [...] 1972. Ma femme avait accouché à Sanmaur dans la cabane et elle a dû être évacuer le lendemain pour un curetage. Elle est restée 5 jours à l’hôpital de La Tuque. C’est dans cette semaine là que c’est arrivé. (sic) »

[102]     Or, il soutient que s’il a admis ce crime, c’est qu’il peut aujourd’hui présenter un alibi puisqu’il accompagnait sa femme à l’hôpital.[17]

[103]     Pourquoi ne pas avoir tout simplement déclaré aux policiers qu’il ne pouvait avoir commis les agressions en question puisqu’il se trouvait à La Tuque lorsque celles-ci se seraient produites? Cette explication est invraisemblable, d’autant plus que sa conjointe n’a pas confirmé ce prétendu alibi dans son témoignage.

[104]     Deuxièmement, considérant que Z n'avait que 8 ou 9 ans lors des agressions, seul l’accusé était en mesure de savoir que les infractions ont été commises pendant l’hospitalisation de sa conjointe.

[105]     Troisièmement, lors de l’interrogatoire, l’enquêteur Comeau demande à l’accusé pourquoi il était attiré par Z. Voici sa réponse[18] :

« Parce qu’elle était très attirante et elle m’a séduit. Je ne cherchais pas à lui faire du mal, mais je regrette ce que je lui ai fait. »

[106]     Lors du procès, il confirme qu’il trouvait que Z était attirante, parce qu’elle portait des minijupes.[19]

[107]     Quatrièmement, l’accusé dans cette même déclaration informe les enquêteurs que les dates des attentats à la pudeur et des actes de grossière indécence indiquées sur la dénonciation ne sont pas exactes. Encore une fois, il s’agit d’une précision qui étonne considérant qu’il soutient qu’il ne s’est rien passé.

[108]     Cinquièmement, il fait l’aveu suivant en contre-interrogatoire[20] :

« Q. Hum hum. C’est vous qui l’avez dit aux policiers, le nombre d’événements qui est survenu avec Z?

R. Oui. »

[109]     Sixièmement, l’accusé prétend avoir corroboré les versions des plaignantes pour en démontrer l’inexactitude lors de son procès. Pourtant, en contre-interrogatoire, bien que la question lui ait été posée plusieurs fois, il n’explique pas pourquoi lors de sa rencontre avec les policiers il nie avoir giflé C... P..., mais admet avoir commis les agressions sexuelles contre elle.[21]

[110]     Septièmement, S... Q... soutient que l’accusé a eu une éjaculation au cours de l'agression sexuelle. L’accusé, dans sa déclaration aux policiers, apporte la correction suivante[22] :

« J’étais pas fier car je savais qu’elle ne voulait pas c’est pour cela que je n’ai pas été capable de continuer et d’éjaculer. Elle n’avait aucune réaction, c’est comme si elle savait ce qui se passait, mais elle n’avait aucune réaction. »

[111]     Au procès, il reconnaît qu’il a peut-être affirmé cela aux policiers, mais il ne s’en souvient pas. Puis, il ajoute que s’il a dit cela, ce sont des « menteries ».[23] De toute évidence, son explication à ce sujet est loin d’être convaincante.

[112]     Huitièmement, contre-interrogé sur la précision qu’il a apportée aux policiers selon laquelle il n’a retiré à S... Q... qu’une seule jambe de son pantalon, l’accusé déclare que c’est parce qu’elle se méprend sur ce point. Il ajoute que cette dernière se trompe « même de la manière qu’elle était couchée »[24]. Voilà une réponse singulière de la part de quelqu’un qui soutient que l’agression sexuelle elle-même a été inventée de toutes pièces.

[113]     Neuvièmement, l’accusé admet que ses déclarations comportent les précisions suivantes, lesquelles ne se retrouvent pas dans la déposition de S... Q... [25]:

Ø  qu’au domicile de J... C..., S... Q... est allée le voir pour se plaindre du fait que son conjoint était agressif;

Ø  qu’il voulait au début reconduire S... Q... chez elle, mais qu’il a finalement décidé de faire un tour du village avec elle;

Ø  que J... B... N... souriait lors des agressions;

Ø  qu’il a croisé Marcel Boivin et J... B... N... sur la route et les a fait monter dans le véhicule;

Ø  que Marcel Boivin et J... B... N... avaient de la bière avec eux;

Ø  qu’il a fait descendre ces derniers devant l’école primaire avant de ramener S... Q... à son domicile.

[114]     Le Tribunal est incapable de comprendre ce qui aurait motivé l’accusé à imaginer ces précisions alors que les événements qu’on lui reproche n’ont pas eu lieu.

[115]     Dixièmement, l’accusé nie l’agression à l’endroit de Y Pourtant, il prend la peine de spécifier dans sa déclaration aux policiers que cet événement n’est pas survenu en 1966, mais bien en 1967 soit l’année de l’exposition universelle.

[116]     En défense, on soutient que cela fait partie de la stratégie de l’accusé. On allègue qu'il voulait apporter cette correction pour démontrer lors du procès qu’il lui était impossible de commettre les infractions en 1967 puisqu’il travaillait cette année-là comme bûcheron au Lac Belles-Oreilles.

[117]     Cet argument ne tient pas la route. Au procès tout comme lors de sa rencontre avec les policiers, l’accusé affirme qu’il ne pouvait pas de toute façon commettre les infractions en 1966 parce qu’il travaillait cette fois au Lac Régal.

[118]     Il n’y avait donc aucun intérêt à fournir cette précision aux policiers à moins que ce soit dans le cadre d’une reconnaissance des gestes reprochés.

[119]     D’ailleurs, les réponses peu convaincantes données à ce sujet en interrogatoire principal, en contre-interrogatoire et en ré-interrogatoire affectent grandement sa crédibilité.

[120]     Onzièmement, à la fin de la déclaration Pr-1, l’accusé affirme qu’il a fait beaucoup de mal à ces personnes et qu’il le regrette. Lorsqu’on lui demande s’il a effectivement prononcé ces paroles en présence des policiers, le Tribunal a décelé beaucoup d’hésitation. Il concède qu’il a peut-être fait cette déclaration, puis il affirme qu’il n’a pas dit cela pour finalement corriger le tir et mentionner qu’il ne s’en souvient pas.

[121]     Aussi, quand on demande à l’accusé dans quels termes il a annoncé à Marcel Boivin qu’il a tout avoué à la police, le témoignage de l’accusé devient vague, flou et embrouillé de telle sorte qu’il est impossible de savoir exactement ce qu’il lui a dit.

[122]     Douzièmement, quant aux agressions à l’égard de X, l’accusé a dû reconnaître que les policiers n’étaient pas au courant de cette histoire. C’est de sa propre initiative que l’accusé a abordé ce sujet avec les enquêteurs.

[123]     Son explication voulant que s’il a parlé de ces événements aux policiers, c'était dans l’unique but de leur fournir un exemple des « menteries » dont cette dernière est capable n’est tout simplement pas crédible.

[124]     Tout au long de son témoignage, l’accusé se répand en reproches de toutes sortes contre les plaignantes. Selon lui, l’une lui a fait des avances ou l’autre portait des jupes beaucoup trop courtes. De toute façon, il se dit convaincu que les plaignantes ont participé à un complot orchestré par le clan Chilton pour lui faire perdre son travail de négociateur en relatant des faussetés.

[125]     L’accusé fait la démonstration complète que son témoignage est cousu de fils blancs, incohérent, invraisemblable, non fiable et non crédible. Il a aussi déployé sans succès beaucoup d’énergie à tenter de diminuer la valeur probante des aveux faits aux enquêteurs.

[126]     Au bout du compte, son témoignage permet au Tribunal d’accorder une plus grande fiabilité et une plus grande crédibilité aux versions des plaignantes.

[127]     Pour toutes ces raisons, le Tribunal ne croit pas le témoignage de l’accusé.

[128]     Est-ce que sa défense est plausible ou est-ce que celle-ci soulève un doute raisonnable ? Le Tribunal est d’avis que non.

[129]     Le témoignage de Marcel Boivin n’est ni fiable ni crédible.

[130]     Il est possible que des désaccords portant sur la politique aient surgi entre certains dirigeants du Conseil de la Nation Atikamekw. Toutefois, à moins de se perdre en suppositions, le Tribunal est incapable de conclure que les présentes accusations reposent sur de fausses dénonciations à la suite d’un quelconque complot du clan Chilton auquel les plaignantes auraient participé.

[131]     Dany Chilton, entendu en défense, contredit Boivin à ce sujet. Il déclare n’être jamais intervenu dans l’enquête policière. Outre les conjectures invraisemblables de l’accusé et de Boivin, il n’y a pas un iota de preuve permettant d’appuyer la thèse mise de l’avant sur ce point.

[132]     Par ailleurs, selon la théorie avancée par la poursuite, Marcel Boivin était présent lors de la commission de l’infraction alléguée sur le 6e chef dans le dossier portant le numéro 425-01-008060-128. Ce dernier nie avoir commis l'agression sexuelle à l’égard de S... Q....

[133]     Toutefois, en contre-interrogatoire, ce témoin est très réticent à admettre que l’accusé l’a informé qu’il a fait une déclaration l’impliquant dans ce crime.

[134]     De plus, Boivin se contente d’une dénégation générale. Il n’aborde dans son témoignage aucun des faits à l’origine des accusations. Le Tribunal ne sait pas quelles relations ce témoin entretenait avec S... Q... si ce n’est qu’il s’agit d’une petite cousine. La preuve est également muette sur la nature de ses fréquentations avec l'accusé à l'époque de l’agression et sur son occupation professionnelle en 1984.

[135]     Aucune valeur probante ne peut être accordée à ce témoignage qui, outre la théorie du complot, demeure totalement silencieux quant aux événements en litige ainsi qu’aux circonstances qui les entourent.

[136]     Les témoignages de Gaétanne Petiquay et de L... C... n’ont pas soutenu la thèse avancée par la défense.

[137]     Gaétanne Petiquay n’est pas en mesure de confirmer qu’elle a fait l’achat du véhicule de marque Toyota appartenant à la police amérindienne en 1985. En fait, d’entrée de jeu, elle mentionne plutôt l’avoir acquis en 1984.

[138]     L... C... est la fille de J... C... Elle explique que sa mère J... C... n’avait pas l’habitude d’organiser des fêtes dans la maison lorsqu’il y avait des enfants. Elle était enceinte en 1984 et elle demeurait chez sa mère cette année-là. Le Tribunal considère que L... C... paraît sincère. Cependant, il faut bien reconnaître qu’elle est incapable d’écarter la possibilité que sa mère ait organisé la fête lors de laquelle S... Q... et son conjoint se sont présentés.

[139]     Du reste, la conjointe ainsi que la fille de l’accusé mentionnent que ce dernier ne conduit plus depuis 2005[26], ce qui n’est pas incompatible avec les faits relatés par X qui soutient que les agressions lors des cours de conduite sont survenues entre 2004 et 2006.

[140]     Également, après avoir affirmé catégoriquement qu’elle n’a jamais confié ses enfants à qui que ce soit, Caroline Coonishish reconnaît en contre-interrogatoire que sa belle-mère les a gardés à quelques reprises. De toute façon, cette affirmation, tout comme celle de l’accusé selon laquelle elle ne sortait jamais de la maison n’apparaît tout simplement pas plausible.

[141]     Il faut rappeler qu’elle n’a pas confirmé la version de l’accusé selon laquelle ce dernier l’aurait accompagnée à l’hôpital à La Tuque lors des agressions les plus importantes commises à l’endroit de Z.

[142]     Le Tribunal a observé l’accusé et les témoins de la défense. Il a examiné le tout en regard de l’ensemble de la preuve. Il en vient à la conclusion qu’il ne croit pas l’accusé lorsque ce dernier affirme ne pas avoir commis les infractions reprochées et sa défense n’est pas plausible et ne soulève pas de doute raisonnable.

[143]     Le Tribunal doit maintenant se demander si la preuve de la poursuite le convainc hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l’accusé.

[144]     Après avoir observé les témoins de la poursuite, le Tribunal estime qu’ils sont crédibles et fiables et il les croit.

[145]     Certes, les événements sont survenus il y a fort longtemps et il n’est pas étonnant que certains détails leur aient échappé.

[146]     Bien sûr, il faut tenir compte de l’état d’ébriété des témoins S... Q... et C... P…. Celles-ci ont admis sans réserve qu’elles étaient intoxiquées.

[147]     Néanmoins, il est manifeste qu’elles se souviennent très bien des agressions dont elles ont été victimes et la preuve dans son ensemble confirme leurs témoignages.

[148]     Comme il est mentionné précédemment, le témoignage de l’accusé permet au Tribunal d’accorder une grande valeur probante aux aveux que ce dernier a faits aux policiers. Ces aveux confirment plusieurs aspects des récits des plaignantes.

[149]     Dans les cas de X, Y et Z, ces femmes étaient âgées de 5 à 13 ans au moment des événements.

[150]     Il convient de rappeler ce que mentionne la juge McLachlin dans l’arrêt W.(R.)[27] au sujet des témoins adultes témoignant concernant des événements survenus lorsqu’ils étaient enfants :

« En règle générale, lorsqu'un adulte témoigne relativement à des événements survenus dans son enfance, il faut évaluer sa crédibilité en fonction des critères applicables aux témoins adultes.  Toutefois, pour ce qui est de la partie de son témoignage qui porte sur les événements survenus dans son enfance, s'il y a des incohérences, surtout en ce qui concerne des questions connexes comme le moment ou le lieu, on devrait prendre en considération l'âge du témoin au moment des événements en question. »

[151]     L’incapacité de ces plaignantes à préciser certains détails périphériques n’entraîne pas automatiquement la perte de la valeur probante des témoignages qu’elles ont rendus.

[152]     Le Tribunal a été impressionné par la qualité des versions des plaignantes dans cette affaire. Aujourd’hui, exception faite de X, les plaignantes sont âgées de 55 à 59 ans. Elles ont témoigné avec calme, sans aucune agressivité tout en faisant montre d’un souci évident d’éclairer utilement le Tribunal et de rapporter le plus fidèlement les faits.

Concernant S... Q... (dossier 425-01-008060-128)

[153]     La déclaration Pr-2 confirme plusieurs détails du récit de S... Q... à savoir la soirée chez J... C..., l’endroit même des agressions, la présence sur les lieux des agressions de Marcel Boivin et de J… B… N…, l’état semi-conscient de S... Q... et le fait qu’il l’ait allongée sur le panneau arrière de son véhicule pour par la suite avoir une relation sexuelle complète avec cette dernière.

[154]     L’accusé y affirme que Boivin a lui aussi eu une relation sexuelle avec S... Q.... Il confirme également que J... B... N... était présent, mais qu’il n’a pas participé activement à la commission des infractions.

[155]     Il existe certaines contradictions entre le témoignage de S... Q... et des déclarations antérieures. Cela n’est guère surprenant puisque l’accusé lui-même déclare aux policiers que la plaignante était inerte et qu’elle semblait confuse lorsqu’il l’a agressée. Il faut rappeler qu'à la page 5 de sa déclaration Pr-2, il mentionne que si S... Q... n’avait aucune réaction, elle paraissait savoir ce qui se passait. C’est d’ailleurs pour cette raison, explique-t-il aux policiers, qu’il a été incapable d’éjaculer. Faut-il souligner que S... Q... a confirmé qu’elle s’est effectivement très bien rendu compte des agressions sexuelles?

[156]     Il n’est pas exclu que S... Q... se trompe sur la sorte de véhicule utilisé par l’accusé lors de l’agression.

[157]     Toutefois, étant donné son état lors des événements et du délai écoulé depuis la commission de l’infraction, il ne s’agit pas aux yeux du Tribunal d’éléments de preuve susceptibles d’affecter la crédibilité de cette dernière. Il est compréhensible et très peu surprenant que l’attention de S... Q... ne se soit pas focalisée sur la marque, le nombre de portières et sur la façon dont on a accès au compartiment arrière du véhicule conduit par l’accusé le soir de l’agression.

[158]     D’ailleurs, il faut rappeler que sa description du véhicule est identique à celle donnée par l’accusé lui-même dans sa déclaration à la police.

[159]     En outre, C... P... confirme le témoignage de S... Q... quant à l’uniforme que portait l’accusé à cette époque-là.

[160]     Une chose est certaine, S... Q... ne se trompe pas lorsqu’elle affirme que l’accusé et Boivin l’ont agressée sexuellement. Le Tribunal en est convaincu hors de tout doute raisonnable.

Concernant C... P... (dossier 425-01-008060-128)

[161]     Quant à la version de C... P..., la défense insiste sur le fait qu’elle a, dans des déclarations antérieures, inversé les deux événements relatés devant la Cour. Le Tribunal considère que ce fait ne peut affecter la crédibilité de C... P.... Cette dernière a livré avec aplomb un témoignage juste relatant des faits précis et particuliers dans chacun des deux premiers événements.

[162]     Les divergences quant à la chronologie de ces deux agressions ne peuvent conduire au rejet de sa version d’autant plus qu’elle n’a pas hésité à reconnaître son erreur et qu’elle en a fait part aux policiers lorsqu’elle a pris la décision de porter plainte.[28] Il faut préciser que l’accusé, lors de sa rencontre avec les policiers, confirme les endroits où il a conduit sa victime. Il admet dans sa déclaration s’être livré à des attouchements sexuels aux deux occasions.

[163]     On a soutenu aussi que C... P... se trompe quant au véhicule conduit par l’accusé lors de la commission des infractions.

[164]     La preuve est loin d’être concluante à ce sujet.

[165]     En effet, selon l’accusé, la police amérindienne utilisait un véhicule de marque Toyota entre les années 81 et 86.[29] Ce véhicule est le seul qui ait été équipé d’un grillage.[30] Cet aspect de son témoignage confirme celui de C... P....[31] Si elle se trompe quant à la présence de sièges arrière, elle a été en mesure de constater l'existence d’un grillage dans ce véhicule.

[166]     De toute façon, il ne s’agit certainement pas d’un détail de nature à écarter son témoignage, particulièrement lorsqu’il s’agit, comme c’est le cas ici, d’incidents survenus il y a plus de 30 ans.

[167]     Le Tribunal est convaincu hors de tout doute raisonnable que l’accusé a eu une relation sexuelle complète avec C... P... lors du deuxième événement, ce qui constitue des « rapports sexuels » au sens de la loi. Conséquemment, l’accusé a commis l’infraction reprochée au 3chef d’accusation.

[168]     En ce qui concerne le troisième incident, il n’y a pas lieu de reprendre l’analyse de la crédibilité de l’accusé livrée précédemment.[32] Il convient cependant d’ajouter que l’explication de l’accusé voulant que ce soit C... P... qui lui a fait des avances est invraisemblable.

[169]     Le Tribunal ne croit pas non plus l’accusé lorsque celui-ci mentionne qu’elle consentait à avoir des relations sexuelles, mais qu’il ne l'a pas touchée pour des raisons personnelles ou familiales.[33] En conclusion, le Tribunal est convaincu hors de tout doute raisonnable que C... P... dit la vérité lorsqu’elle affirme que l’accusé l’a empoignée par le bras pour la faire monter de force dans le véhicule de police et qu’il l’a giflée tout juste avant de quitter les lieux commettant ainsi les infractions prévues aux chefs 4 et 5 de l’acte d’accusation.

Concernant Y (dossier 425-01-008060-128)

[170]     Dans le cas de Y, la défense soutient qu’il s’agit de gestes bénins et que les accusations sont basées strictement sur des impressions.

[171]     Le Tribunal ne partage pas cette opinion.

[172]     En observant Y, il a été facile de constater que ce témoin ne s’est certainement pas mépris sur la nature des gestes posés par l’accusé.

[173]     Y s’est débattue avec l’énergie du désespoir pour se dégager de l’emprise de l’accusé. Elle a eu très peur et elle est restée marquée par cet événement. Selon elle, c’est ce qui explique qu’elle s’en souvienne très bien malgré l’écoulement du temps.

[174]     D’ailleurs, la déclaration de l’accusé relativement à cette infraction ne porte pas non plus à confusion sur son intention :[34]

« (…) elle marchait devant moi je l’ai rattrappé, je l’ai pris par le corps, je l’ai retourné de bord face à moi, j’ai essayé de l’embrasser et je l’ai flatter les seins et la vulve mais elle s’est débattu et elle est partit à courir. (sic) »

Concernant X (dossier 425-01-008060-128)

[175]     Certes, X qui était âgée de 22 ans au moment du procès n’a pas été en mesure de relater la totalité des agressions exposées dans sa déclaration aux policiers en 2012. Il a cependant été possible de constater que son témoignage a été pénible et émotif. Après l’avoir observée, le Tribunal estime que les incidents se sont produits de la façon dont elle les décrit à l’audience.

[176]     Il faut rappeler que les policiers n’étaient pas au courant des agressions à l’égard de X. C’est l’accusé lui-même qui a avoué les gestes commis à son endroit. Les autorités policières ont rencontré la jeune femme après cet interrogatoire.

[177]     Le Tribunal tient à préciser cependant que puisqu’il y a absence totale de preuve sur le 8chef d’accusation, un verdict d’acquittement sera prononcé sur celui-ci. L’accusé sera toutefois déclaré coupable sur les chefs 7 et 9.

Concernant Z (dossier 425-01-007524-116)

[178]     Dans le cas de Z, on allègue en défense que son témoignage devrait être mis de côté puisqu’elle a affirmé avoir conversé avec la conjointe de l’accusé qui ne s’exprimait à l’époque qu’en cri et en anglais.

[179]     Le Tribunal n’est pas de cet avis.

[180]     Il est en preuve que cette plaignante était âgée entre 7 et 10 ans au moment des incidents. Lorsque ses services étaient requis, la conjointe de l’accusé s’adressait parfois à la mère de Z. Au surplus, comme le mentionne avec raison le procureur de la poursuite, il n’y avait nul besoin d’utiliser un vocabulaire très recherché pour lui faire comprendre de venir jouer avec les enfants pendant son absence.

[181]     Il faut souligner que Z a été en mesure de fournir une description assez précise de l’intérieur de la maison du couple Neashish. Celle-ci concorde largement avec celle fournie par l’accusé.

[182]     Le Tribunal a été fort impressionné par ce témoignage, certes émotif, mais très convaincant. Le récit de Z démontre qu’elle a manifestement vécu les moments douloureux qu’elle a décrits avec force et détails malgré l’écoulement du temps.

[183]     Le Tribunal conclut que la poursuite s’est déchargée de son fardeau de démontrer hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé aux accusations d’actes de grossière indécence à l’égard de Z.

[184]     Le Tribunal est également convaincu hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l’accusé quant aux chefs d’accusation d’attentat à la pudeur de Z.

[185]     Cependant, la règle interdisant les condamnations multiples s’applique et, partant, un arrêt conditionnel des procédures est ordonné sur les chefs d’accusation 1 et 3.

 

POUR TOUTES CES RAISONS, LE TRIBUNAL :

[186]     DÉCLARE l’accusé coupable des chefs d’accusation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 et 9 mentionnés dans le dossier portant le numéro 425-01-008060-128 et sur les chefs d’accusation 2 et 4 dans le dossier portant le numéro 425-01-007524-116;

[187]     ACQUITTE l’accusé du 8e chef d’accusation dans le dossier portant le numéro 425-01-008060-128;

[188]     ORDONNE l’arrêt conditionnel des procédures sur les 1er et 3e chefs d’accusation dans le dossier 425-01-007524-116.

 

 

__________________________________

JACQUES LACOURSIÈRE, J.C.Q.

 

Me Vicky Belleville

Me Éric Thériault

Procureurs de la partie poursuivante

 

Me David Monaghan

Procureur de l’accusé

 

 

Dates d’audience :

27, 28, 29, 30 avril et 1er octobre 2015

 



[1]     Notes sténographiques du 28 avril 2015, p. 77.

[2]     Id., p. 79, l. 17 à l. 20.

[3]     Notes sténographiques du 29 avril 2015, p. 64, l. 10.

[4]     Id., p. 60, l. 20 et suiv.

[5]     Id., p. 166, l. 19 et suiv.

[6]     Notes sténographiques du 30 avril 2015, p. 20, l. 20 et suiv.

[7]     R. c. J.H.S., [2008] 2 R.C.S. 152.

[8]     R. c. C.L.Y., [2008] 1 R.C.S. 5.

[9]     R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742.

[10]    R. c. L.(W.K.) [1991] 1 R.C.S. 1091.

[11]    Préc., note 6, p. 136 et 137.

[12]    Id., p. 34, l. 20 et suiv.

[13]    Notes sténographiques du 27 avril 2015, p. 87, l. 14 et suiv.

[14]    Id., p. 123, l. 17 et suiv.

[15]    Id., p. 129, l. 5 et suiv.

[16]    Préc., note 6, p. 41.

[17]    Id., p. 49, 50 et 51.

[18]    Pièce Pr-1.

[19]    Préc., note 6, p. 183, l.  20 et suiv.

[20]    Id., p. 184, l. 11.

[21]    Id., p. 185.

[22]    Pièce Pr-2.

[23]    Préc., note 6, p. 243 et 244.

[24]    Id., p.  215, l 25 et suiv.

[25]    Id., p. 226 et suiv.

[26]    Id., p. 359, l. 9. La fille de l’accusé, Déborah-Laurie Neashish, affirme également que l’accusé ne conduit plus depuis 2005.

[27]    R. c. W.(R.), [1992] 2 R.C.S. 122, voir également R. c. B.(G.), [1990] 2 R.C.S. 30.

[28]    Préc., note 3, p. 21, l. 6 et suiv.

[29]    Préc., note 6, p.  6, l. 5 à 15.

[30]    Id., p. 10, l. 17.

[31]    Préc., note 3, p. 28, l. 21 et suiv.

[32]    Arnold c. La Reine, QCCA, 3 novembre 2015, EYB 2015-258254, paragr. 50.

[33]    Préc., note 6, p. 188 et 189.

[34]    Pièce Pr-1.

AVIS :
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