Décision

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Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Boucher-Vachon

2014 QCCQ 9647

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

LOCALITÉ DE

QUÉBEC

« Chambre criminelle et pénale »

N° :

200-61-163923-137

 

 

 

DATE :

9 octobre 2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

MONSIEUR

FRANÇOIS KOURI

JUGE DE PAIX MAGISTRAT

______________________________________________________________________

 

 

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Poursuivant

c.

ALEX BOUCHER-VACHON

Défendeur

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           On reproche au défendeur, d'avoir conduit son véhicule alors qu'il y avait présence d'alcool dans son organisme, contrairement à l'article 202.2 du Code de la sécurité routière (« le Code »).[1]

Questions en litige

[2]           Le Tribunal doit d'abord déterminer si l'ensemble de la preuve démontre, hors de tout doute raisonnable, que le défendeur a contrevenu à cet article.

[3]           Le cas échéant, l'infraction reprochée est-elle de responsabilité stricte ou absolue ?

[4]           Enfin, la défense fondée sur l'erreur de droit provoquée par une personne en autorité est-elle recevable ?

Les faits

[5]           Les événements conduisant à la délivrance du constat d'infraction ne sont pas contredits.

[6]           Dans la soirée du 10 au 11 février 2011, le défendeur consomme à compter de 21 h 30 entre 9 et 12 petites bouteilles de bière à la buvette d'un hôtel de la région. Il estime se coucher vers 3 h 15 du matin et alors être en mesure de parler et de marcher sans difficulté. Il s'éveille vers midi, regarde la télévision, se douche pour ensuite se brosser les dents. Il évalue son départ de sa chambre d'hôtel entre midi et 13 heures. Jamais il ne doute alors de sa capacité de conduire.

[7]           Son travail exige sa présence à son bureau situé à Lévis. Compte tenu de la distance, le défendeur doit utiliser son automobile. Cette dernière est équipée d'un antidémarreur éthylométrique, dispositif accrédité par la Société de l'assurance automobile du Québec (« SAAQ ») et installé par l'un de ses agents autorisés. Cela l'oblige à souffler dans cet appareil afin qu'elle puisse démarrer. La condition « X » apparaît à son permis de conduire restreint suite à sa condamnation prononcée en 2008 pour conduite avec les facultés affaiblies.

[8]           Après avoir procédé selon les directives et soufflé dans ce dispositif, le défendeur quitte sans contre-indication en direction d'un établissement de restauration rapide. Il y restera le temps de lire un journal, retourner plusieurs de ses messages et manger.

[9]           Son repas complété, le défendeur souffle à nouveau. Une fois de plus, le moteur démarre sans que l'appareil ne détecte d'alcool dans son organisme.

[10]        En direction de son bureau, le défendeur se voit toutefois contraint d'immobiliser son véhicule en bordure de l'autoroute 20, à la suite d'un échec au test d'alcoolémie aléatoire exigé par l'antidémarreur. C'est la première fois qu'une telle situation se produit.

[11]        Le défendeur tente à deux reprises de redémarrer, sans succès. Des patrouilleurs autoroutiers du ministère des Transports interviennent et signalent à 15 h 9 la panne à la Sûreté du Québec.

[12]        L'agent Bélanger témoigne. Arrivant sur les lieux à 15 h 30, il remarque la présence de l'antidémarreur à l'intérieur du véhicule du défendeur. Ce dernier, qui s'est réfugié dans la camionnette à l'invitation des patrouilleurs du ministère des Transports, se dirige immédiatement en sa direction afin de lui expliquer les raisons qui l'ont forcé à s'immobiliser. Ces propos sont recueillis par l'agent Bélanger, notés au constat puis admis par le défendeur.

[13]        L'agent Bélanger incite également le défendeur à s'abriter à l'intérieur de l'auto-patrouille. Alors qu'il débute ses vérifications usuelles, l'agent détecte une odeur d'alcool dans l'habitacle. Des informations reçues, il constate que le défendeur est détenteur d'un permis restreint auquel est rattachée la condition «X» et qu'il ne peut conduire s'il y a quelque présence d'alcool dans son organisme.

[14]        À 15 h 35, considérant l'odeur, l'agent exige du défendeur, après lecture de ses droits, qu'il fournisse un échantillon de son haleine qu'il recueille à l'aide d'un appareil de détection approuvé («ADA»). L'instrument révèle la présence de 19 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang.

[15]        Devant ce résultat, le défendeur demande au policier la permission de retourner à son véhicule afin d'essayer à nouveau son propre dispositif. C'est ainsi qu'après avoir soufflé dans son appareil, le moteur démarre instantanément. Croyant le tout réglé, le défendeur s'apprête à quitter. Cependant, l'agent Bélanger intervient et lui demande plutôt de retourner à l'intérieur de l'auto-patrouille afin de compléter un constat, ce dernier s'appuyant sur la lecture de l'ADA. L'infraction est constatée à 15 h 45 et le billet remis en main propre à 16 heures. Le défendeur quitte alors avec son automobile sans qu'elle ne soit saisie par l'agent Bélanger.

[16]        Ce dernier confirme que le défendeur collabore bien.

[17]        Par ailleurs, au moment des événements, à l'exception des patrouilleurs autoroutiers et du policier, le défendeur est seul à bord de son automobile en bordure de l'autoroute. Ce dernier précise que sa dernière consommation remonte aux environs de 3 heures, 3 h 15 du matin et qu'il s'est écoulé au plus 90 minutes entre son départ du restaurant et sa rencontre avec le policier. Il ignore ce qui a pu provoquer l'odeur d'alcool perçu par l'agent. Il admet que l'appareil utilisé par le policier est dûment étalonné et le résultat d'alcoolémie inscrit au certificat.

Contexte législatif et légal

[18]        La condition « X » apparaissant au permis oblige le détenteur à conduire un véhicule muni d'un dispositif détecteur d'alcool. Elle vise :

Toute personne déclarée coupable d'une infraction pour conduite avec les facultés affaiblies et qui est soumise à une évaluation complète ou à une évaluation du maintien des acquis de l'Association des centres de réadaptation en dépendance du Québec (ACRDQ).[2]

[19]        Selon la documentation produite émanant de la SAAQ, le dispositif détecteur d'alcool empêche le démarrage du véhicule s'il détecte la présence d'alcool dans l'organisme du conducteur. Ce dispositif mesure le taux d'alcoolémie du conducteur et enregistre toutes les données pertinentes à son utilisation.[3]

[20]        Un seul modèle de ce dispositif est agréé par la SAAQ. Il est offert en location chez certains dépositaires autorisés par elle.[4] Les utilisateurs de ce dispositif doivent le faire vérifier à tous les deux mois chez l'un de ces concessionnaires. Un rapport leur est alors remis, qu'ils sont tenus de présenter à la SAAQ sur demande. Par ailleurs, le fournisseur du service est requis de signaler les violations du programme à la SAAQ.[5] Les utilisateurs sont également obligés de signer une entente de service et de respecter les conditions énoncées à défaut de quoi, le permis peut être suspendu.[6]

[21]        Les articles 76.1.1 et suivants du Code énoncent également les conditions dans lesquelles la conduite d'un véhicule est permise lorsque ce dernier est muni d'un antidémarreur éthylométrique agréé par SAAQ.

Code de la sécurité routière

Article 76.1.1

Dès l'expiration de l'ordonnance d'interdiction de conduire visée au deuxième alinéa de l'article 76 ou, à moins d'une ordonnance contraire, dès l'expiration de la période minimale d'interdiction absolue visée au Code criminel, la personne dont l'infraction donnant lieu à la révocation ou à la suspension est reliée à l'alcool, à une alcoolémie élevée ou au refus de fournir un échantillon d'haleine peut être autorisée, moyennant l'obtention d'un permis restreint, à conduire un véhicule routier mais uniquement si le véhicule est muni d'un antidémarreur éthylométrique agréé par la Société.

Article 202.2

Il est interdit aux personnes suivantes de conduire un véhicule routier ou d'en avoir la garde ou le contrôle s'il y a quelque présence d'alcool dans leur organisme :

1º (…)

2º (...)

3º le titulaire d'un permis restreint délivré en vertu de l'article 118 lorsque le permis a été délivré à la suite de la révocation d'un permis probatoire ainsi que le titulaire d'un permis délivré en vertu du quatrième alinéa de l'article 73 ou de l'un des articles 76.1.1, 76.1.3, 76.1.5, 76.1.6, 76.1.8, 76.1.11 ou 76.1.12 ;

[22]        Règlement sur les conditions d'accès à la conduite d'un véhicule routier relatives à la santé des conducteurs D.32-89 (1989) 121 G.O. 11, 255 [c.C-24.2, r.8] ci-après appelé («le Règlement»).

Article 60

Un permis peut être assorti de conditions selon l'un ou l'autre des critères suivants :

(…)

7º La condition a pour but de permettre à la personne de conduire uniquement un véhicule routier muni d'un dispositif, agréé par la Société, pouvant mesurer le taux d'alcool dans l'organisme du conducteur et empêcher la mise en marche du véhicule.

Prétention des parties

[23]        Le défendeur soutient que l'appareil installé dans son véhicule est fiable et que les résultats d'opération obtenus avant et après son interception sont suffisants pour soulever un doute sur la valeur de l'information communiquée par l'ADA du policier.

[24]        Il soumet également qu'il doit être acquitté de l'infraction qu'il qualifie de responsabilité stricte, puisqu'il a fait preuve de diligence et qu'il a été, plaide-t-il, induit en erreur par une personne en autorité, le dispositif agréé par l'État étant assimilé à cette dernière.

[25]        Le poursuivant n'est pas de cet avis et prétend qu'il s'est déchargé de son fardeau de preuve.

Analyse

[26]        Les circonstances de la présente affaire sont particulières et la preuve admise mérite qu'on s'y attarde attentivement.

[27]        La version du défendeur doit être considérée comme contradictoire à celle du policier, même si elle comporte une admission quant à la lecture affichée du taux d'alcool fourni par l'ADA.

[28]        Cela étant dit, les versions contradictoires doivent être appréciées à la lumière des enseignements de la Cour suprême dans l'affaire R. c. W. (D)[7], c'est-à-dire dans le respect de la présomption d'innocence et du fardeau qui incombe à la poursuite de prouver hors de tout doute les éléments de l'infraction.

[29]        Ici, le récit des événements rapportés par le défendeur concernant ses consommations, les deux démarrages consécutifs du véhicule avant son immobilisation sur l'accotement, suivi de l'essai réussi après la divulgation du résultat obtenu et affiché par l'ADA, sont en majeure partie corroborés, soit par sa déclaration spontanée, soit par le témoignage de l'agent Bélanger. Le Tribunal ajoute qu'il a également eu le loisir d'entendre et de voir le policier et le défendeur, lesquels se sont très bien exprimés. Au reste, pendant son contre-interrogatoire, les réponses du défendeur sont précises, sans faux-fuyant et spontanées. Il bénéficie d'une grande crédibilité.

[30]        Ainsi, la preuve admise et non contredite révèle qu'il s'écoule à peine quelques minutes entre le résultat affiché par l'ADA utilisé par le policier et l'appareil fourni au défendeur, et ce, sans autre précision pouvant justifier des lectures aussi opposées d'une même situation et réalisées dans un si court laps de temps. Ajoutons que la différence entre l'heure à laquelle le policier utilise l'ADA afin de recueillir l'échantillon d'haleine provenant du défendeur (complément de rapport d'infraction, 15 h 35) et l'heure de l'infraction notée au constat (15 h 45) demeure tout autant obscure. Au final, il n'appartient pas au défendeur d'expliquer l'écart entre ces deux lectures. Ce dernier n'a qu'à présenter une preuve attaquant la fiabilité de l'appareil utilisé par le policier. Cette dernière doit être crédible, sérieuse et tendre à conclure à l'absence d'alcoolémie chez le défendeur au moment de son interception. Il doit s'agir d'une preuve suffisante pour soulever un doute raisonnable, sans plus.

[31]        En l'espèce, cette preuve découle de l'utilisation de l'appareil installé à l'intérieur du véhicule du défendeur. C'est le seul modèle détecteur d'alcool autorisé par la SAAQ et il est soumis à des vérifications régulières et continues réalisées par ses agents autorisés.[8]

[32]        À cela, ajoutons que la loi[9], la réglementation[10] et la documentation publique émanant de la SAAQ[11] indiquent que cet instrument sert, comme l'ADA, à mesurer le taux d'alcool dans l'organisme d'un conducteur. Il est donc juste et raisonnable de croire qu'il est fiable.

[33]        En l'absence d'un témoignage technique quant aux appareils utilisés et tenant compte de l'ensemble de la preuve, le Tribunal ne peut conséquemment écarter la réaction de cet autre dispositif installé dans l'automobile du défendeur au moment des événements alors que sa principale et essentielle fonction est d'empêcher la mise en marche du véhicule dès la détection de la moindre présence d'alcool dans l'organisme du conducteur. Ainsi, puisque ce dispositif a permis un redémarrage instantané du véhicule, le Tribunal peut raisonnablement croire à l'absence d'alcoolémie.

[34]        On ne peut terminer cet exercice sans souligner certains choix du policier qui laissent perplexe le Tribunal. Ainsi, il permet au défendeur d'utiliser son propre dispositif alors qu'il vient tout juste de se servir de l'ADA, sans s'expliquer. Avait-il un doute ? De plus, malgré la remise du constat, il laisse ce dernier quitter au volant de son automobile sans procéder à sa saisie, et ce, sans même tenter de reprendre son propre test afin de supprimer toute ambiguïté quant à la commission de l'infraction.

[35]        La poursuite a le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable que le défendeur a conduit son véhicule avec la présence d'alcool dans son organisme.

[36]        Après analyse de l'ensemble de la preuve, le Tribunal est d'avis que le poursuivant ne s'est pas déchargé de son fardeau.

[37]        Cela étant, le Tribunal ne croit pas utile d'examiner les autres questions soulevées en défense.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[38]        ACQUITTE le défendeur de l'infraction reprochée.

 

 

__________________________________

FRANÇOIS KOURI

Juge de paix magistrat

 

 

Me Loubna Zehri

Pour le poursuivant

 

Me Antoine Gérin

Pour le défendeur

 

Date d’audience :

29 avril 2014 - Délibéré le 29 mai 2014

 



[1]     RLRQ, c. C-24.2

[2]     Article 202.2 (3) du Code et le document produit par le poursuivant le 29 avril 2014 intitulé «Permis assorti d'une condition X » voir la section «Qui est visé?».

[3]     Article 60 (7) du Règlement sur les conditions d'accès à la conduite d'un véhicule routier relatives à la santé des conducteurs D.32-89 - 1989 - 121 G.O.1, 255 [C-24.2 r.8] - Les conditions d'utilisation produites de consentement par le poursuivant avec ses notes et autorités.

[4]     Document produit par le poursuivant le 29 avril 2014, voir la section «Où vous le procurer ?»

[5]     Article 7 de l'entente de service produite de consentement avec les notes et autorités de la poursuite.

[6]      Document produit par le poursuivant le 29 avril 2014, voir la section «Des conditions à respecter?».

[7]     R. c. W. (D) [1991] 1 RCS 742.

[8]     Ibid note 4.

[9]     Article 202.2 (3) du Code.

[10]    Article 60 du Règlement.

[11]    Document «Permis assorti du condition «X» publié par la SAAQ et produit par le poursuivant le 29 avril 2014.

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