Nowak et Island Bar |
2010 QCCLP 1119 |
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[1] Le 23 janvier 2009, monsieur Pawel Nowak (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles, une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 15 janvier 2009, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision rendue le 14 octobre 2008 et déclare que le montant de l’indemnité du travailleur doit être établi sur la base du revenu brut annuel assurable de 17 727,60 $.
[3] Une audience a lieu le 27 janvier 2010 à St-Jean-sur-le-Richelieu. Le travailleur est absent. Island Bar (l’employeur) dont la compagnie est fermée est absent. Le dossier est mis en délibéré le même jour.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’il doit être indemnisé en fonction du revenu brut de 15.00$ de l’heure qu’aurait pu lui procurer l’exercice de l’emploi de technicien aux mélanges pour la compagnie Lafarge.
L’AVIS DES MEMBRES
[5]
Le membre issu des associations syndicales est d’avis d’accueillir la
requête du travailleur. En effet, le travailleur passe une entrevue pour un
poste de technicien aux mélanges chez la compagnie Lafarge en date du 11 août
2008 et obtient le poste. Toutefois, le 13 août 2008, le travailleur subi une
récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle pour laquelle son
médecin lui prescrit un arrêt de travail. Le travailleur doit refuser le poste
offert par la compagnie Lafarge. Le 5 septembre 2008, la responsable des
ressources humaines de la compagnie Lafarge prend la peine d’écrire une lettre
dans laquelle elle indique que le travailleur a dû refuser le poste à cause de
son état de santé et qu’il aurait bénéficié d’un emploi rémunéré à 15.00$
l’heure pour les trois premiers mois pour ensuite être augmenté à 16.00$ de
l’heure. Il est d’avis qu’il s’agit de circonstances exceptionnelles au sens de
l’article
[6]
Le membre issu des associations d'employeurs est d’avis de rejeter la
requête du travailleur. Selon lui, la lettre émanant de la compagnie Lafarge ne
démontre pas que le travailleur aurait été engagé mais démontre seulement un
intérêt de la compagnie Lafarge pour la candidature du travailleur, et ce,
d’autant plus que la lettre de la compagnie Lafarge est écrite le 5 septembre
2008 donc bien après la récidive, rechute ou aggravation du 13 août 2008. Selon
lui, le travailleur a le fardeau de démontrer l’existence de circonstances
exceptionnelles au sens de l’article
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de modifier le revenu brut annuel d’emploi retenu par la CSST aux fins de calculer l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur à la suite de sa récidive, rechute ou aggravation du 12 août 2008 en relation avec sa lésion professionnelle du 7 décembre 2003.
[8]
Pour analyser cette question, la Commission des lésions professionnelles
doit tenir compte des conditions prévues à l’article
76. Lorsqu'un travailleur est incapable, en raison d'une lésion professionnelle, d'exercer son emploi pendant plus de deux ans, la Commission détermine un revenu brut plus élevé que celui que prévoit la présente sous-section si ce travailleur lui démontre qu'il aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur lorsque s'est manifestée sa lésion, n'eût été de circonstances particulières.
Ce nouveau revenu brut sert de base au calcul de l'indemnité de remplacement du revenu due au travailleur à compter du début de son incapacité.
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1985, c. 6, a. 76.
[9] Aux fins de rendre sa décision, le tribunal retient plus particulièrement les faits suivants.
[10] Le 7 décembre 2003, le travailleur est poignardé dans l’exercice de ses fonctions de portier pour le compte de l’employeur. Cet accident entraîne un hématome au mésocolon et une lacération rénale gauche pour lesquels il subit une chirurgie abdominale.
[11] Le travailleur ne retournera pas au travail suivant cet accident. La CSST procède d’ailleurs à la détermination d’un emploi convenable de gardien de sécurité et déclare le travailleur capable d’exercer cet emploi à compter du 24 mars 2005.
[12] Quelques mois avant août 2008, le travailleur présente une douleur au niveau de la région sus-ombilicale. Il est sans emploi à ce moment là.
[13] Le 11 août 2008, la travailleur se présente en entrevue chez la compagnie Lafarge pour un poste de technicien aux mélanges. Il s’agit d’un emploi exigeant sur le plan physique. Il obtient le poste.
[14] Toutefois, le 13 août 2008, le travailleur consulte le docteur Ratté pour une hernie incisionnelle en relation avec sa lésion professionnelle initiale. Ce médecin recommande un arrêt de travail en attente d’une chirurgie curative.
[15] Le travailleur doit malheureusement refuser le poste en raison de son état de santé et conformément aux recommandations de son médecin.
[16] Le 5 septembre 2008, le travailleur se présente aux ressources humaines de la compagnie Lafarge et rencontre la responsable de ce département qui a l’amabilité de lui préparer une confirmation écrite du poste qui lui a été accordé et le salaire afférent.
[17] Dans sa lettre, la responsable des ressources humaines spécifie que le travailleur a dû refuser le poste de technicien aux mélanges, en raison de son état de santé. Ce poste lui aurait permis d’avoir un salaire horaire de 15.00$ pendant les trois premiers mois, suivi d’une augmentation à 16.00$ de l’heure pour les mois subséquents. Le libellé exact de sa lettre est le suivant :
Une petite note pour vous informer que monsieur Pawel Nowak a du refusé un emploi chez nous à cause de son état de santé. Nous étions très intéressés à engager monsieur Nowak à un poste de technicien aux mélanges.
Il s’agit d’un emploi très physique lequel lui aurait été rémunéré à 15.00$/heure pour les trois premiers mois pour ensuite être augmenté à 16.00$/heure. Il aurait eu droit à toute la gamme des bénéfices marginaux (assurance salaire, médicaments, dentaires) au bout de 6 mois. Nous regrettons énormément devoir nous passer de ce candidat de choix. [sic]
[18] Le 16 septembre 2008, le docteur Ratté procède à l’intervention chirurgicale de réparation de la hernie incisionnelle. Il juge cette lésion consolidée en date du 19 novembre 2008, date à laquelle il permet un retour au travail.
[19] Le 9 octobre 2008, la CSST accepte la réclamation pour récidive, rechute ou aggravation du 13 août 2008. Le travailleur se voit donc accorder le droit aux prestations prévues à la loi, à compter du 13 août 2008. Étant sans emploi au moment de la récidive, rechute ou aggravation, la CSST établit sa base salariale selon la base retenue lors de l’événement d’origine.
[20] Lors de la lésion professionnelle, le travailleur est indemnisé selon le salaire minimum. La CSST applique donc cette même base, soit sur une base de revenu assurable de 17 727,60$ et en informe le travailleur. Le travailleur reçoit son avis de paiement le même jour.
[21] Le 10 octobre 2008, le travailleur informe la CSST qu’il est en désaccord avec la base salariale retenue parce qu’il a dû refuser un emploi chez Lafarge en raison de sa hernie incisionnelle qui l’empêche de forcer. Le même jour, il envoie une contestation à la CSST relativement à la base salariale retenue aux fins d’établir ses indemnités de remplacement du revenu.
[22] Dans cette lettre, il explique qu’il a obtenu un poste à la compagnie Lafarge lors de son entrevue du 11 août 2008 mais qu’il a dû, subséquemment refuser le poste en date du 13 août 2008 en raison de sa hernie incisionnelle, son médecin lui ayant formellement recommandé un arrêt de travail et d’éviter de forcer. Par bonne foi, le travailleur a préféré refuser l’emploi plutôt que de débuter l’emploi quelques jours pour le quitter subitement.
[23] Le travailleur soulève que s’il n’avait pas eu de récidive, rechute ou aggravation le 13 août 2008, il serait à l’emploi de la compagnie Lafarge et demande donc que sa base salariale tienne compte d’un salaire de 15.00$ de l’heure.
[24] À cet égard, le tribunal tient à souligner que la lettre de la compagnie Lafarge ne précise pas le nombre d’heure de travail qu’aurait effectuées le travailleur. Est-ce basé sur une semaine de 35 heures ou de 37.5 heures ou encore de 40 heures?
[25] Aucune preuve n’est soumise par le travailleur à cet égard.
[26] Le 14 octobre 2008, la CSST confirme la base de revenu retenue dans son avis de paiement du 9 octobre 2008. La révision administrative confirme cette décision d’où l’objet du présent litige.
[27]
De l’avis du tribunal, la preuve démontre que le présent dossier
comporte des circonstances particulières et que le travailleur n’a pas exercé
son emploi depuis plus de 2 ans le tout, conformément aux conditions
d’application prévues à l’article
[28] En effet, selon toute vraisemblance, le travailleur aurait touché alors un salaire de 15,00 $ de l’heure à compter de son entrée en poste chez la compagnie Lafarge, soit à compter du 13 août 2008.
[29]
Selon la jurisprudence du tribunal, l’article
[30] C’est ce qu’ont exprimé les juges administratifs de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles et de la Commission des lésions professionnelles lorsque saisies de la question de l’application des dispositions de l’article 76 de la loi[2].
[31]
Le législateur, en employant l’expression « circonstances
particulières » a choisi de ne pas viser, par les dispositions de
l’article
[32] Le travailleur doit donc démontrer deux conditions, soit son incapacité durant plus de deux ans d’exercer son emploi et que, n’eût été de circonstances particulières, il aurait occupé au moment de la lésion professionnelle, un emploi plus rémunérateur[4].
[33] Dans le présent dossier, il est clair que le travailleur est devenu incapable d’exercer son emploi de portier pendant plus de deux ans. Sa condition résiduelle a même nécessité l’identification d’un emploi convenable. Dès lors, la première condition qu’impose l’article 76 est satisfaite.
[34] Subsiste la deuxième exigence, soit la présence de circonstances particulières.
[35] Le sens donné à l’expression « circonstances particulières » a été élaboré dans plusieurs décisions du tribunal. Il est maintenant bien établi que cette expression ne vise pas la situation d’un travailleur privé d’un revenu plus rémunérateur en raison de son incapacité à exercer son emploi à la suite de sa lésion professionnelle. Dans l’affaire Laroche et Entreprises Nortec inc.[5], la juge administrative Marquis résume bien la jurisprudence à ce propos :
[51] Quant à l'application de l'article
76. Lorsqu'un travailleur est incapable, en raison d'une lésion professionnelle, d'exercer son emploi pendant plus de deux ans, la Commission détermine un revenu brut plus élevé que celui que prévoit la présente sous-section si ce travailleur lui démontre qu'il aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur lorsque s'est manifestée sa lésion, n'eût été de circonstances particulières.
Ce nouveau revenu brut sert de base au calcul de l'indemnité de remplacement du revenu due au travailleur à compter du début de son incapacité.
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1985, c. 6, a. 76.
[52] Comme le précise la jurisprudence en la matière4,
l'article
[53] Cette disposition ne vise cependant pas la
situation d'un travailleur qui est privé d'un revenu plus rémunérateur en
raison de l'incapacité qui résulte de sa lésion professionnelle. Le
législateur n'a pas voulu inclure dans la notion de «circonstances
particulières» le fait que le travailleur soit incapable d'exercer son emploi
en raison de sa lésion professionnelle. Dès lors, la démonstration de la
progression salariale qu'aurait été susceptible de connaître le travailleur
s'il avait poursuivi l'exercice de son emploi d'aide-foreur ou même s'il avait
accédé au poste de foreur après la survenance de sa lésion professionnelle
n'est pas pertinente à l'application de l'article
[54] Le législateur a prévu d'autres mécanismes spécifiques, bien que limités, qui permettent au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'être indemnisé en tenant compte du revenu qu'il tirait au moment de sa lésion professionnelle et aussi, dans une certaine mesure, de la perte de capacité de gain qui résulte de cette lésion. Il s'agit, dans tous les cas, de la revalorisation annuelle de la base salariale servant au calcul de l'indemnité de remplacement du revenu. De plus, si le travailleur demeure incapable de refaire l'emploi prélésionnel, la loi prévoit des mesures de réadaptation en vue de le rendre apte à exercer un emploi convenable et le versement d'une indemnité réduite de remplacement du revenu jusqu'à ce que le travailleur tire de l'emploi convenable ou d'un autre emploi qu'il occupe, un revenu annuel égal ou supérieur à celui qu'il avait au moment de la lésion professionnelle.
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4 Létourneau et Automobile transport inc., C.L.P.
(le tribunal souligne)
[36] Dans le présent dossier, le travailleur ne revendique pas d’augmentation ou de progression salariale applicable à son emploi prélésionnel mais plutôt la base salariale d’un nouvel emploi qu’il aurait pu exercer n’eût été de sa récidive, rechute ou aggravation du 13 août 2008.
[37] En outre, lorsque la preuve démontre que le travailleur aurait pu occuper un autre emploi plus rémunérateur au moment de la survenance de la lésion professionnelle et que cette condition prévalait à ce moment précis, la Commission des lésions professionnelles reconnaît le droit au travailleur d’être indemnisé en conséquence[6].
[38]
Compte tenu des faits particuliers du présent dossier, la Commission des
lésions professionnelles estime que l’octroi du poste de technicien aux
mélanges au travailleur par la compagnie Lafarge avant la survenance de sa
récidive, rechute ou aggravation du 13 août 2008, constitue une circonstance
particulière conforme à l’article
[39] Il appert du dossier et surtout de la lettre de la responsable des ressources humaines de la compagnie Lafarge que le travailleur aurait exercer le métier de technicien aux mélanges à compter du 12 ou du 13 août 2008. À ce moment, le travailleur aurait bénéficié d’un salaire à un taux horaire de 15,00 $. La compagnie Lafarge n’avait pas à écrire une telle lettre et s’engager dans un possible processus de corroboration. Elle l’a pourtant fait et cette démarche constitue un preuve d’autant plus probante qu’il n’y a eu aucune preuve contraire.
[40] Le tribunal juge donc la requête du travailleur bien fondée et justifiée. Toutefois, le tribunal ne dispose pas du nombre d’heures que le travailleur aurait effectuées pour le compte de la compagnie Lafarge et ne peut donc pas présumer du nombre d’heures hebdomadaires ni du salaire annuel afférent à cet emploi. La CSST devra effectuer la démarche de calcul de la base salariale annuelle à retenir, en fonction de ce tarif horaire et des heures normales de travail que le travailleur aurait été appelé à faire. Cette démarche doit être faite auprès du travailleur et de la compagnie Lafarge.
[41] Ainsi, la base salariale à retenir aux fins du calcul de l’indemnité de remplacement du revenu doit être modifiée en conséquence et être évaluée sur la base d’un taux horaire d’un technicien aux mélanges, soit de 15,00 $ de l’heure, et ce, rétroactivement à la date de l’incapacité du travailleur, soit à compter du 13 août 2008.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Pawel Nowak, le travailleur;
INFIRME la décision rendue le 15 janvier 2009 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE qu’il y a lieu de modifier le revenu brut annuel du travailleur aux fins du calcul de son indemnité de remplacement du revenu liée à la lésion professionnelle survenue le 13 août 2008, pour y tenir compte du taux horaire de 15.00$ auquel le travailleur aurait eu droit n’eût été de cette lésion;
RETOURNE le dossier à la CSST pour qu’elle indemnise le travailleur en conséquence.
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Claire Burdett |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Coffrages Thibodeau inc. et Beaudoin
[3] Provost et Roll
Up Aluminium cie, C.A.L.P.
[4] Doris Boudreault et Établissements de détention du
Québec et CSST, C.L.P 15376-02-0012,
8 mai 2001, C. Bérubé ; Nabil Akkari et Les Entreprises Deland
2000 Inc., C.L.P.
[5] Laroche et Entreprises Nortec
inc., C.L.P.
[6] Voir les décisions suivantes : Rivest et Voyages
au Nordet inc. et CSST, C.L.P.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.