R. c. Racine Marc | 2022 QCCQ 9037 | ||||||
COUR DU QUÉBEC | |||||||
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CANADA | |||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||||
DISTRICT DE | MONTRÉAL | ||||||
LOCALITÉ DE | MONTRÉAL | ||||||
« Chambre criminelle et pénale » | |||||||
N° : | 500-01-206059-203 | ||||||
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DATE : | 1 décembre 2022 | ||||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | ÉRICK VANCHESTEIN, J.C.Q. | |||||
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SA MAJESTÉ LE ROI | |||||||
Poursuivant | |||||||
c. | |||||||
KEINLEY Jasson RACINE MARC | |||||||
Accusé | |||||||
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JUGEMENT SUR LA PEINE | |||||||
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[1] L'accusé a enregistré un plaidoyer de culpabilité à quatre chefs d'infraction d'avoir eu en sa possession des stupéfiants en vue d'en faire le trafic et à quatre autres chefs en lien avec la possession de deux armes à feu prohibées chargées et de dispositifs prohibés, à savoir des chargeurs, dont un chargeur à grande capacité.
[2] Compte tenu de la situation à Montréal en ce qui a trait à la possession et l'usage d'arme à feu prohibée, la Couronne cherche une peine d'emprisonnement de trois ans pour ces chefs et d’une année consécutive pour les infractions en matière de stupéfiants, pour un emprisonnement total de quatre ans.
[3] De son côté, l'accusé demande une peine d'emprisonnement avec sursis ou toute autre forme de combinaison de peines qui va lui permettre de poursuivre sa réhabilitation bien entreprise et consolider ses acquis.
[4] Le Tribunal doit donc décider quelle est la peine juste et appropriée en l'espèce.
CONTEXTE
[5] À la suite d'une enquête où l'accusé a fait l'objet de filatures, les policiers procèdent à la perquisition du domicile de l'accusé le 4 juin 2020. Dans différents lieux de la maison, on trouve des drogues, des instruments pouvant servir au trafic comme trois balances, des sacs Ziploc ainsi qu'une machine à compter de l'argent.
[6] Les quantités de stupéfiants trouvées sont les suivantes :
13,9 g de MDMA (amphétamines);
7,4 g de cocaïne;
53 comprimés de méthamphétamines;
685 g de cannabis.
[7] Les policiers découvrent également à deux endroits distincts les armes à feu : dans la chambre à coucher à l’intérieur d’un sac à main pour homme noir contenant des cartes d'identité de l'accusé, les policiers découvrent le Glock et un chargeur de 12 balles; dans une garde‑robe, les policiers découvrent un sac pour homme Louis Vuitton à l'intérieur duquel se trouvent l'autre arme à feu, un Taurus noir et 2 chargeurs de munitions.
[8] Selon l'expertise balistique, ces armes sont fonctionnelles et 2 des chargeurs trouvés sont des dispositifs prohibés au sens de la loi puisque l'un contient 30 cartouches et l'autre 12, ce qui est supérieur à la règle de 10 cartouches pour une arme de poing.
[9] Au total, les policiers ont récupéré 72 munitions.
PREUVE DE LA COURONNE
[11] La Couronne produit sous S‑1 un sommaire de situation en matière d'arme à feu contenant des tableaux d’incidents avec armes à feu pour les années 2020, 2021 et jusqu'au 30 avril 2022[1]. Ce document est préparé par le sergent détective Marc‑André Dubé qui est rattaché à l'Équipe nationale de soutien à l'application de la Loi sur les armes à feu (ENSALA). M. Dubé a déjà témoigné dans d’autres dossiers de la Cour du Québec, à Montréal[2].
[12] Ces tableaux démontrent une augmentation réelle des événements avec usage d'arme à feu à Montréal, en excluant ceux impliquant la simple possession. M. Dubé n’a retenu que les événements « lors desquels des armes à feu furent utilisées » et « qui impliquent la corroboration par un élément de preuve dite matérielle »[3]. Ces tableaux démontrent une augmentation nette du nombre d’incidents :
[13] M. Dubé formule les constats suivants :
hausse marquée de la fréquence des événements de violence impliquant le recours aux armes à feu;
changement notable dans la nature des événements et de leur intensité;
usage intensif de réseaux sociaux et médias ouverts pour la « démonstration de force » et multiplication des signalements d'exhibition d'armes à feu via ces médias;
diversification rapide des sources d'approvisionnement en armes à feu illégales;
hausse de qualité et sophistication des armes à feu disponibles et des méthodes de trafic[4].
[14] M. Dubé constate également que la circulation d'armes à feu de fabrication illicite d'excellente quantité est en nombre important, particulièrement les pistolets de type Glock d'assemblage artisanal. De plus, les événements récents au Québec, principalement dans la région de Montréal, sont similaires à ceux de la grande région de Toronto depuis 10 à 15 ans, ce qui a donné lieu à la création d'escouades dédiées spécifiquement à ce type de problèmes[5].
PREUVE DE LA DÉFENSE
[15] Le Tribunal a le bénéfice d'un rapport présentenciel et l’accusé a témoigné longuement lors de l’audience sur la peine. De plus, sa conjointe, un ami proche et son père ont témoigné pour décrire la personnalité de l'accusé.
[16] Celui-ci témoigne de ses difficultés vécues au cours de son enfance et de son adolescence alors qu'il entretenait une relation difficile avec sa mère et a grandi dans une famille sans père puisque sa mère l'empêchait de le voir. Son parcours scolaire s'en est ressenti et il a abandonné l'école après sa troisième année de secondaire.
[17] La rédactrice du rapport présentenciel décrit ainsi l'enfance de l'accusé :
« De son histoire sociale, on retient que le sujet aurait grandi auprès d'une mère aux prises avec d'importants problèmes personnels. Il semble avoir souffert de l’indifférence et du dénigrement dont elle faisait preuve à son égard, en plus de l'absence de la figure paternelle jusqu'à son adolescence. Ses carences semblent s'être traduites par l'adoption de comportements perturbateurs durant son parcours académique. Ceux‑ci se seraient exacerbés en raison, notamment, de l'intimidation et du racisme dont il aurait été victime au sein de son milieu scolaire. Le manque d'encadrement parental et la recherche d'un certain sentiment d'appartenance semblent avoir mené vers la fréquentation de pairs marginaux, favorisant ainsi son accès au milieu interlope. »[6]
[18] À l'âge de 17 ans, l'accusé quitte le domicile familial et loue son propre appartement dans le quartier Villeray.
[19] Il a occupé divers emplois jusqu'à ce qu'il constitue, en mai 2019, avec un autre associé, une compagnie d'achat et de revente de véhicules d'occasion. Cette entreprise a eu des débuts difficiles, mais lorsqu'est arrivé le confinement en mars 2020, ses activités ont complètement cessé. C'est alors que l'accusé cherchant une source de revenus pour assumer ses responsabilités auprès de sa conjointe et de son jeune fils qui est né en 2019, a repris contact avec d'anciennes fréquentations et s'est investi dans la vente de stupéfiants.
[20] Il reconnaît aujourd'hui qu'il a fait le mauvais choix d'appeler ses anciennes connaissances pour avoir du travail illégal.
[21] Il conservait un certain nombre de stupéfiants à sa résidence, il recevait des appels qui lui transmettaient le lieu de livraison de ces stupéfiants. Il estime avoir fait un revenu d'environ 1 000 $ par semaine.
[22] En ce qui concerne la possession des armes à feu prohibées, l'accusé assure que celles‑ci n'ont rien à voir avec ses activités de trafic de stupéfiants. Il explique que lui et sa conjointe ont fait l'objet de harcèlement et de menaces par texto. Il a même fait l’objet de graffitis apposés sur sa porte et sur sa voiture, représentant des menaces de mort.
[23] Un soir de décembre 2019, sa conjointe s'est fait agresser par deux hommes habillés en noir alors qu'elle sortait d'un salon d'esthétique, près du métro Radisson. Ceux‑ci l'ont frappée, ont déchiré son chandail et ont quitté. C'est suite à cet événement que l’accusé dit avoir eu la mauvaise idée d'acheter des armes.
[24] Il explique ne vouloir se procurer qu’une seule arme, mais le vendeur lui disait que c'était les deux ou rien. Il a donc acquis ces armes, les dispositifs et les munitions pour 1 000 $.
[25] Il affirme ne jamais les avoir utilisées. Il conservait ces armes dans sa maison pour se protéger, pour faire peur s'il était attaqué ou si un intrus entrait dans sa résidence.
[26] Aujourd'hui l'accusé se dit conscient d'avoir fait les mauvais choix. Depuis son arrestation, la situation a grandement changé. Il s'est plus ouvert auprès de sa conjointe qui prétend‑il n'a jamais été informée de ses activités illicites, même s'il mentionne qu'elle pouvait s'en douter puisqu'il sortait à toute heure du jour et de la nuit.
[27] Depuis cet événement, l'accusé a tenté de redémarrer son entreprise de vente de véhicules usagés, mais sans grand succès. Depuis avril 2022, il occupe un emploi à temps complet dans une compagnie de transport.
[28] Il a respecté ses conditions de liberté provisoire durant les deux dernières années et souhaite être un exemple pour son jeune fils. Il affirme devant la Cour que la récidive est impossible à la suite de tout ce qu'il a vécu après l'arrestation. Sur ce sujet, la rédactrice du rapport présentenciel écrit[7] :
« […] la criminalité de M. Racine Marc nous est apparue comme étant une question de choix puisqu'il semble posséder les capacités nécessaires pour adopter un fonctionnement conventionnel. Ainsi, nous sommes d'avis que le risque de récidive sera tributaire des décisions futures que prendra l'accusé et des avenues qu'il privilégiera s'il rencontre à nouveau des obstacles, notamment sur le plan financier, et des problèmes personnels. »
[29] Le père de l'accusé témoigne pour informer le Tribunal qu'il est en contact constant avec son fils depuis 2019. Au cours des deux dernières années, il a remarqué que son fils a changé, il est devenu une meilleure personne, entre autres, depuis la naissance de son enfant qui a eu un impact chez lui. L'accusé cherche conseil auprès de son père et selon ce dernier, il ne se mettra plus les pieds dans la même situation.
[30] Le meilleur ami de l'accusé témoigne également sur le fait que celui‑ci a mûri et prend de meilleures décisions qu'auparavant. Par ailleurs, il confirme que l’accusé est stressé par l’issue des procédures judiciaires.
[31] La conjointe de l'accusé et mère de son fils relate l'événement de décembre 2019 où elle a été attaquée par deux individus. Tout comme son conjoint, ils ne font pas confiance à la police et n'ont pas voulu en parler aux policiers.
[32] Elle affirme que l'accusé lui a fait part de stress financier à l'hiver 2020, mais qu'elle n'a rien vu de suspect à son domicile. Elle témoigne des changements positifs dans leur relation au cours des deux dernières années, l'accusé se confie plus et il a beaucoup changé. Pour elle, les armes trouvées à la résidence ont été un choc important et ils en ont discuté. Il lui apparaît clairement que cela ne se reproduira plus.
[33] Le procureur de l'accusé produit également des études gouvernementales relativement aux interrelations des personnes noires et autochtones avec le système de justice. Entre autres, le document suivant : « Perceptions et expériences relatives à la police et au système de justice au sein des populations noire et autochtone au Canada[8] ».
[34] Dans les données sommaires de ce rapport, il y est mentionné que dans la population noire et autochtone, une personne sur cinq, soit 21 ou 22 % de la population faisait peu ou pas confiance à la police. Ce qui correspond au double de la proportion observée chez les personnes qui n'étaient ni autochtones ni membres d'une minorité visible.
[35] Le procureur de l'accusé produit également le projet de loi C‑5 qui a été adopté par la Chambre des communes le 15 juin 2022 et qui, entre autres, abroge plusieurs infractions mentionnées à l'article 742.1c), e) et f) du Code criminel pour lesquelles l'emprisonnement avec sursis est interdit. Lors des audiences, ce projet de loi était devant le Sénat. Il est entré en vigueur le 17 novembre 2022[9].
[36] Le Tribunal a permis aux parties de soumettre des observations complémentaires à ce sujet, si elles le souhaitaient.
ANALYSE
Principes généraux sur la peine
[37] L’article 718 du Code criminel prévoit les objectifs applicables au prononcé d’une peine qui a « pour objectif essentiel de protéger la société et de contribuer […] au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions justes »[10].
[38] Pour donner pleinement effet à ce principe, le Tribunal doit déterminer lesquels des objectifs mentionnés à l’article 718 C.cr. seront les plus à même de permettre d’établir la peine appropriée dans un cas précis. Cet exercice doit se faire en considérant le principe de la proportionnalité codifié à l’article 718.1 C.cr. que le juge LeBel qualifie comme étant « la condition sine qua non d’une sanction juste » qui ne peut être atteinte sans « un processus fortement individualisé[11] ».
Gravité objective des infractions
[39] Les infractions en lien avec la possession pour fins de trafic de stupéfiants inscrits à l'Annexe I de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (Loi sur les drogues) appellent une peine maximale d'emprisonnement à perpétuité.
[40] En ce qui concerne la possession en vue de vendre du cannabis en contravention de l'article 10 de la Loi sur le cannabis, la peine maximale est d'un emprisonnement de 14 ans.
[41] Pour la possession d'arme à feu prohibée, la peine maximale est d'un emprisonnement de 10 ans[12] alors que pour la possession de dispositif prohibé, un emprisonnement maximal de 5 ans est prévu.
[42] La gravité des infractions commises par l'accusé va donc de moyenne à sévère.
Facteurs aggravants et atténuants
[43] Au titre des facteurs aggravants, le Tribunal détermine les suivants :
l'appât du gain, l'accusé n'est pas un consommateur de drogue et il était conscient des ravages que ces substances peuvent causer parce qu'un de ses oncles en a souffert. De plus, à la même époque il a perçu 20 000 $ de PCU[13];
la présence d’un jeune enfant dans un lieu dédié à la vente de stupéfiants, circonstance aggravante codifiée à l’article 10(2)a)iv) de la Loi sur les drogues;
la variété des drogues, dont trois substances sont des drogues dures inscrites à l'Annexe 1;
la possession d'armes et de dispositifs prohibés dans une résidence qui sert au trafic de stupéfiants. Comme le souligne la jurisprudence, il s'agit toujours d'une combinaison inquiétante;
le nombre d'armes, soit deux armes et deux chargeurs prohibés.
[44] En matière de facteurs atténuants, le Tribunal détermine les suivants :
l'absence d'antécédents judiciaires;
le jeune âge de l'accusé qui avait 21 ans au moment des infractions;
son plaidoyer de culpabilité;
l'accusé assume entièrement sa responsabilité et réalise son manque de jugement à l'époque;
son respect des conditions de mise en liberté, dont un couvre‑feu pendant plus d'une année;
son changement de mode de vie, sa prise de conscience, son ouverture envers les autres;
l'accusé occupe un emploi à temps complet;
il est soutien de famille;
le risque de récidive relativement faible.
L'accusé a‑t‑il fait la démonstration d'une réhabilitation particulièrement convaincante?
[45] L'accusé a fait la preuve que depuis deux ans, il a entrepris des démarches sérieuses et valables pour devenir un citoyen responsable. Tous les témoins entendus abondent dans ce sens.
[46] Le Tribunal peut constater que l'arrestation et l'inculpation de l'accusé ont eu un effet dissuasif certain. Celui‑ci, qui est père de famille, semble conscient de ses responsabilités et cherche des solutions légales pour les assumer.
[47] Le Tribunal croit l'accusé lorsqu’il mentionne vouloir devenir un exemple et une source d'inspiration pour son fils. Cet objectif est de nature à rassurer pour l'avenir.
[48] Cependant, le Tribunal s'explique mal la possession des armes à feu et considère que l'accusé n'a pas été complètement sincère et transparent à ce sujet. Cette affaire de menaces et de harcèlement est très nébuleuse. Tant le témoignage de l'accusé que de sa conjointe ne permettent pas de comprendre réellement les raisons pour lesquelles il s'est procuré ces armes à feu. Il y a même contradiction entre eux relativement à certains événements de graffitis et de menaces.
[49] Le Tribunal est sensible à la réalité décrite par l'accusé relativement à ses relations avec les autorités policières ou le fait qu'il a été antérieurement victime de racisme. Les différents rapports d’études fournis par la défense font éloquemment état des difficultés vécues au Canada par les personnes noires avec le système judiciaire ou les autorités policières.
[50] Comme le souligne le procureur de l'accusé, le Tribunal peut prendre connaissance d'office de la situation du profilage racial au Canada, ce que confirme la Cour suprême dans R. c. Le[14]. Cependant, la présente affaire n'a rien à voir avec le profilage racial. Ceci peut expliquer la méfiance qu'entretenait l'accusé à l'égard des autorités policières, mais ne peut justifier l'acquisition d'armes à feu dans un but de protection.
[51] La solution à ce problème ne peut passer par la commission d'infractions criminelles et encore moins par la possession d'armes de poing pour assurer sa protection. Ces gestes vont au‑delà de ce qui est acceptable en société.
[52] Par ailleurs, cette méfiance à l'égard des autorités policières semble partagée par la conjointe de l'accusé qui n'est pas une personne racisée. Il y a là une convergence qui semble être nourrie par d'autres éléments que les relations difficiles entre les personnes racisées et les policiers.
[53] Ainsi, cette partie du témoignage de l'accusé est peu crédible et le Tribunal a véritablement l'impression qu'on lui cache la vérité. Est‑ce que cela participe de cette méfiance envers les autorités? Le Tribunal n'a pas d'indices pour répondre à cette interrogation.
[54] Néanmoins, le Tribunal reconnaît que l'accusé a fait un cheminement important depuis deux ans pour reprendre le droit chemin, même si celui‑ci ne partait pas d'aussi loin que d'autres contrevenants, entre autres, n'ayant pas été aux prises avec des problèmes particuliers de consommation de stupéfiants.
Les objectifs sentenciels pour la présente affaire
[55] La possession d'arme à feu prohibée et plus particulièrement dans le contexte actuel à Montréal, où les événements impliquant des armes à feu vont en augmentant depuis 2020, demande de mettre l'accent sur la dénonciation et la dissuasion. Il en est de même en ce qui concerne le trafic de drogues dures. Cependant, dans le présent cas, le Tribunal considère que ces objectifs doivent être considérés en ciblant également la réhabilitation sociale et la conscientisation de sa responsabilité chez l'accusé.
[56] Dans le cas d'un délinquant primaire qui a entrepris une sérieuse prise de conscience de son agir délictuel et chez qui le processus judiciaire a déjà permis d'atteindre l'objectif de dissuasion spécifique, la société gagnera toujours en sécurité et en protection par des mesures qui aideront le contrevenant à réintégrer la société afin qu'il ne puisse plus récidiver.
Détermination des peines
Infractions en lien avec les armes à feu (chefs 4, 5, 6 et 7)
[57] En ce qui concerne la possession d'arme à feu prohibée, la Cour suprême établit trois catégories couvrant trois types de comportements pouvant être à la base de cette infraction comme l'a résumé la Cour d'appel du Québec dans R. c. Colangelo[15] :
[34] Dans R. c. Nur, reprenant les propos du juge Doherty de la Cour d’appel de l’Ontario, la Cour suprême considère que les infractions commises en contravention de l’article 95 C.cr. couvrent généralement trois types de comportement. Sur un même continuum, on retrouve (a) à une extrémité, le hors‑la-loi qui, dans le cadre de ses activités criminelles, se rend dans un lieu public muni d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte chargée; (b) un peu plus loin dans le continuum, la personne dont les actes sont moins graves et qui expose ses concitoyens à un danger moins grand; (c) à l’autre extrémité, le propriétaire responsable d’une arme, titulaire d’un permis, mais qui se méprend sur le lieu d’entreposage autorisé.
[35] Dans la première catégorie, la Cour suprême considère qu’une peine carcérale de trois ans peut être indiquée. Dans la deuxième, une peine carcérale de trois ans peut être disproportionnée sans l’être totalement. Enfin, dans la troisième, une peine carcérale de trois ans est totalement disproportionnée.
[36] En d’autres mots, la première catégorie vise ce qui peut être qualifié de « vrai crime » tandis que la troisième concerne plutôt des infractions règlementaires.
[58] La Cour d'appel dans Colangelo mentionne que la jurisprudence établit la fourchette pour les peines en cette matière entre 18 mois et 3 ans[16].
[59] En l'espèce, considérant que la preuve ne révèle pas que l'accusé a été retrouvé en possession de ces armes sur la voie publique ou qu'il y ait eu utilisation de ces armes et considérant son jeune âge, le Tribunal place l’accusé dans la deuxième catégorie. La peine applicable se situe au bas de la fourchette. Ainsi, une peine d'emprisonnement de 20 mois est de nature à satisfaire les objectifs ciblés.
[60] Puisque cette peine est de moins de deux ans, le Tribunal doit s'interroger si celle‑ci peut être purgée dans la collectivité conformément à l'article 742.1 C.cr.
[61] L'accusé satisfait les conditions de base soit : l'infraction ne prévoit pas une peine minimale d'emprisonnement[17], l'infraction ne fait pas partie de la liste des infractions interdites mentionnées aux sous‑alinéas c) et d), l'accusé est condamné à un emprisonnement de moins de deux ans et le Tribunal est convaincu que le fait de purger sa peine au sein de la collectivité ne met pas en danger la sécurité de celle‑ci.
[62] En effet, vu le profil de l'accusé, son jeune âge, l'absence d'antécédents judiciaires, la première peine d'importance et le respect des conditions depuis plus de deux ans, le Tribunal est convaincu que la sécurité de la collectivité n'est pas en péril si l'accusé purge sa peine au sein de celle‑ci.
[63] Le seul véritable empêchement pour l'imposition d'un emprisonnement avec sursis en l'espèce réside dans la nature de l'infraction et sa prolifération actuelle qui militent plutôt pour la dénonciation par l'emprisonnement ferme plutôt que par un emprisonnement avec sursis.
[64] Dans R. c. Proulx[18], la Cour suprême conclut qu’« une ordonnance de sursis à l’emprisonnement peut, en principe, être rendue à l’égard de toute infraction pour laquelle les préalables prévus par la loi sont réunis »[19].
[65] Il n'est pas inutile de rappeler les objectifs de l'emprisonnement avec sursis tels que décrits dans l'arrêt Proulx :
21 La peine d’emprisonnement avec sursis a été établie précisément en tant que sanction visant à la réalisation de ces deux objectifs du législateur. Elle constitue une solution de rechange à l’incarcération de certains délinquants non dangereux. Au lieu d’être incarcérés, les délinquants qui satisfont aux critères fixés par l’art. 742.1 purgent leur peine sous stricte surveillance au sein de la collectivité. Leur liberté est restreinte par les conditions dont est assortie leur ordonnance de sursis à l’emprisonnement en vertu de l’art. 742.3 du Code. Suivant l’art. 742.6, le délinquant qui manque à ces conditions est ramené devant le tribunal. Si le délinquant ne peut apporter d’excuse raisonnable pour justifier le manquement aux conditions de son ordonnance, le tribunal peut ordonner son incarcération pour le reste de la peine, puisque le législateur entendait faire peser une menace concrète d’incarcération en vue d’accroître le respect des conditions assortissant les ordonnances de sursis à l’emprisonnement.
22 La condamnation à l’emprisonnement avec sursis intègre certains aspects des mesures substitutives à l’incarcération et certains aspects de l’incarcération. Parce qu’elle est purgée dans la collectivité, la peine d’emprisonnement avec sursis permet généralement de réaliser plus efficacement que l’incarcération les objectifs de justice corrective que sont la réinsertion sociale du délinquant, la réparation des torts causés aux victimes et à la collectivité et la prise de conscience par le délinquant de ses responsabilités. Cependant, elle est également une sanction punitive propre à permettre la réalisation des objectifs de dénonciation et de dissuasion. C’est cette dimension punitive qui distingue l’emprisonnement avec sursis de la probation, question que je vais maintenant aborder.
[66] La Cour suprême dans l'arrêt Proulx établit que l'intention du législateur en créant un emprisonnement avec sursis visait à la fois des objectifs punitifs et des objectifs de réinsertion sociale.
[67] En l'espèce, le seul obstacle à l'imposition d'une peine d'emprisonnement avec sursis est la recherche de l'effet dénonciateur de la peine créé généralement par l'emprisonnement ferme. Cependant, le Tribunal ne doit pas mettre de côté que l'imposition d'une peine est d'abord un processus individualisé.
[68] Comme le souligne la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Proulx, l'emprisonnement avec sursis comporte « un effet dénonciateur appréciable, particulièrement dans les cas où l'ordonnance de sursis est assortie de conditions rigoureuses et que sa durée d'application est plus longue que la peine d'emprisonnement qui aurait ordinairement été infligée dans les circonstances »[20].
[69] Le Tribunal ne considère pas que la peine d'emprisonnement avec sursis soit indiquée à tous les cas d'infraction en matière de possession ou usage d'arme à feu. Cependant, pour les motifs mentionnés plus haut, le Tribunal considère qu’en l’espèce, il y a lieu d’appliquer le principe de modération dans l’imposition des peines d'emprisonnement prévu à l’article 718.2 d) C.cr, comme le soulignait récemment la Cour d’appel sous la plume du juge Cournoyer dans l’arrêt Bachou c. R.[21] :
[41] Toutefois, l’alinéa 718.2d) consacrait législativement le principe de modération dans l’utilisation de l’emprisonnement « pour la première fois au Canada » et il marque un pas en établissant que ce principe doit être envisagé à l’égard de tous les délinquants. Ce faisant, le législateur a « positionné l’emprisonnement comme une mesure de dernier recours ».
[42] Tout récemment, dans l’arrêt Parranto, la juge Martin rappelle l’importance du principe de la modération dans le recours à l’emprisonnement et le fait que les réformes de 1996 en matière de détermination de la peine visaient à s’attaquer au problème de la surincarcération au Canada :
[45] Les points de départ ne dispensent pas non plus les juges chargés de déterminer la peine de tenir compte de tous les principes applicables en la matière. Les principes de la dénonciation et de la dissuasion sont généralement des objectifs intrinsèques des points de départ et sont reflétés dans les fourchettes de peines, mais [TRADUCTION] « on ne saurait permettre à ces objectifs de réduire à néant et de rendre inopérants ou inefficaces d’autres objectifs pertinents de la détermination de la peine » (R. c. Okimaw, 2016 ABCA 246, 340 C.C.C. (3d) 225, par. 90). On s’attend à ce que les juges chargés de déterminer la peine tiennent compte des autres objectifs pertinents relatifs à la détermination de la peine, y compris la réinsertion sociale et la modération quant au recours à l’emprisonnement, lorsqu’ils procèdent à une analyse individualisée. D’ailleurs, notre Cour a jugé que les réformes de 1996 en matière de détermination de la peine visaient à la fois à faire en sorte que les tribunaux tiennent compte des principes de justice réparatrice et à s’attaquer au problème de la surincarcération au Canada (Gladue, par. 57; Proulx, par. 16-20). Les juges chargés de déterminer la peine jouissent du pouvoir discrétionnaire de décider à quels objectifs il faut accorder la priorité (Nasogaluak, par. 43; Lacasse, par. 54), et ils peuvent choisir d’attribuer plus de poids à la réinsertion sociale et à d’autres objectifs que des objectifs intrinsèques telles la dénonciation et la dissuasion. Les cours d’appel ne devraient pas perdre de vue ces principes — ni la norme de contrôle les obligeant à faire preuve de déférence — lorsqu’elles se penchent sur des peines qui s’écartent d’un point de départ ou d’une fourchette de peines.
[soulignements ajoutés]
[43] Cela dit, « la réalisation de l’important objectif de modération dans le recours à l’incarcération » ne doit pas se faire « à n’importe quel prix ». Comme l’explique le juge Lamer dans l’arrêt Proulx : « pour décider si les circonstances ‘‘justifient’’ des sanctions moins contraignantes ou si des sanctions substitutives sont ‘‘justifiées’’, il faut prendre en compte les autres principes de détermination de la peine visés aux art. 718 à 718.2 ».
[références omises]
[70] Ainsi, le Tribunal conclut que pour les chefs 4, 5, 6 et 7, il y a lieu d'imposer une peine concurrente d'emprisonnement de 20 mois avec sursis sur tous les chefs.
Infractions liées au trafic de stupéfiants (Chefs 1, 2, 3 et 8)
[71] La principale substance retrouvée en possession de l'accusé était du cannabis dans une quantité relativement peu élevée, soit un peu plus de 685 g. En ce qui concerne les autres substances, les quantités saisies sont relativement faibles et n'appellent pas une lourde peine d'emprisonnement.
[72] En ce qui concerne les infractions reliées au trafic de stupéfiants, le Tribunal est en accord avec le procureur de la Couronne que les peines pour ces infractions doivent être consécutives aux peines en lien avec les armes à feu.
[73] De plus, l'accusé, lui‑même, soutient que les armes n'ont rien à voir avec les stupéfiants qu'il possédait pour fins de trafic et donc, dans les circonstances, il s'agit de deux transactions distinctes, dont les peines doivent être consécutives.
[74] En l'espèce, en considérant la nature des stupéfiants, la période relativement courte à l'intérieur de laquelle l'accusé a trafiqué, le profil de ce dernier tel que décrit précédemment, le Tribunal estime qu’une peine d’emprisonnement de trois à quatre mois est adéquate. Cette peine sera également assortie d’une période probatoire de trois ans avec travaux communautaires.
[75] Compte tenu de l’entrée en vigueur et de l’application immédiate des modifications de l’article 742.1 C.cr., le sursis d’emprisonnement n’est plus exclu pour ce type d’infractions. Ainsi, pour les motifs exprimés ci-haut, la période d’emprisonnement sera de quatre mois moins un jour avec sursis. Cette peine est concurrente sur tous les chefs, mais consécutive à la peine imposée aux chefs impliquant les armes à feu.
[76] En conséquence, la peine globale est d’un emprisonnement de deux ans moins un jour avec sursis.
[77] Cette peine sera suivie d’une période probatoire de 3 ans avec l’accomplissement de 150 heures de service communautaire, ce qui, comme le mentionne la Cour d’appel dans R. c. M.B.[22], contribuera à la réinsertion sociale de l’accusé :
[18] Les travaux communautaires contribuent à l’objectif de favoriser la réinsertion sociale des délinquants, en plus d’être utiles à la communauté. Par ailleurs, ces travaux obligatoires dans le cadre d’une ordonnance de probation surveillée constituent un encadrement non négligeable pour un contrevenant qui est tenu à l’exécution d’obligations, sous contrainte de justice, en plus de contribuer à l’objectif de dissuasion individuelle du contrevenant à commettre d’autres infractions.
[78] Ainsi, l’accusé sera encadré pour les cinq prochaines années, ce qui est de nature à assurer sa réhabilitation déjà commencée et la sécurité de la société.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
Pour les chefs 4, 5, 6 et 7 :
CONDAMNE l'accusé à une peine de détention dans la communauté de 20 mois à être purgée de manière concurrente sur tous les chefs;
Pour les chefs 1, 2, 3 et 8 :
CONDAMNE l'accusé à une peine de détention dans la communauté de 4 mois moins un jour à être purgée de manière concurrente sur tous les chefs et consécutive à la peine imposée aux chefs 4, 5, 6, et 7;
CONDAMNE l'accusé à une peine globale d’emprisonnement de 2 ans moins un jour à être purgée dans la communauté et soumise aux conditions obligatoires et spécifiques qui seront énoncées à la cour;
IMPOSE à l'accusé une période de probation de 3 ans entrant en vigueur à la fin du sursis, conformément à l’article 732.2(1)c) C.cr, et ce, aux conditions obligatoires et aux conditions spécifiques énoncées en cour dont les suivantes :
se présenter à un agent de probation dans les 7 jours ouvrables de l’entrée en vigueur et par la suite, selon les modalités de temps et de forme fixées par l'agent de probation, et ce, pour les 2 premières années de la probation;
suivre les directives de l'agent de probation ou de tout autre intervenant désigné par lui;
effectuer 150 heures de service communautaire dans un délai de 16 mois à compter de l’entrée en vigueur de la probation et respecter les modalités d'exécution indiquées par un agent de probation ou tout autre intervenant désigné par celui‑ci. Se présenter à un agent de probation à cet effet dans les 7 jours ouvrables de l’entrée en vigueur de la probation;
ORDONNE à l'accusé selon l'article 487.051 du Code criminel de se soumettre au prélèvement du nombre d’échantillons de substances corporelles jugé nécessaire aux fins d'analyse génétique;
INTERDIT à l'accusé d’avoir en sa possession des armes et autres substances explosives tel que décrit à l’article 109(1) C.cr., et ce, pour 10 ans;
DISPENSE l’accusé du paiement de la suramende, le Tribunal étant convaincu que cela causerait un préjudice injustifié à l’accusé, vu sa situation financière.
| __________________________________ ÉRICK VANCHESTEIN, J.C.Q. | |
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Me Luc Pagé | ||
Pour le poursuivant | ||
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Me Carl-Henry Dominique | ||
Pour l’accusé | ||
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Dates d’audience : | 20 juin et 15 septembre 2022 | |
[1] Pièce S-1.
[2] Voir R. c. Harmali, 2021 QCCQ 2614 et R. c. Adams, 2021 QCCQ 4978.
[3] Préc., note 1, p. 4.
[4] Id., p. 2.
[5] Id., p. 2 et 3.
[6] Rapport présentenciel rédigé par Mme Marie‑Pier Legault, criminologue, daté du 6 mai 2022, p. 7.
[7] Id., p. 8.
[8] Pièce SD-11 : Publication Juristat de Statistique Canada, par Adam Cotter, 16 février 2022.
[9] Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C., 2022, c. 15.
[10] Art. 718 C.cr.
[11] Voir R. c. Ipeelee, [2012] 1 R.C.S. 433, par. 37 et 38.
[12] Les peines minimales prévues à l’article 95(2) C.cr. ont été déclarées inconstitutionnelles dans R. c. Nur, [2015] 1 R.C.S. 773 et récemment le législateur a modifié l’article en conséquence, voir préc. note 9, art. 4.
[13] Préc., note 6, p. 5.
[14] 2019 CSC 34.
[15] 2017 QCCA 195.
[16] Id., par. 39; voir également R. c. Moisescu, 2017 QCCQ 2093; R. c. Adams, préc., note 2, par. 41; R. v. Collins, 2021 QCCQ 233, par. 22.
[17] Voir note 12.
[18] 2000 CSC 5.
[19] Id., par. 79.
[20] Id., par. 102.
[21] Bachou c. R., 2022 QCCA 1145.
[22] R. c. M.B., 2022 QCCA 1515.
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