Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Jean-sur-Richelieu

14 juillet 2006

 

Région :

Richelieu-Salaberry

 

Dossiers :

274219-62A-0510   284421-62A-0603

 

Dossier CSST :

127274256

 

Commissaire :

Me Norman Tremblay

 

Membres :

Mario Lévesque, associations d’employeurs

 

Mario Benjamin, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Consoltex inc.

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Donald Franklin

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

Dossier 274219-62A-0510

 

[1]                Le 26 octobre 2005, Consoltex inc. (l'employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 13 octobre 2005 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 15 juin 2005 et déclare que monsieur Donald Franklin (le travailleur) a subi une lésion professionnelle le 3 novembre 2004.

 

Dossier 284421-62A-0603

[3]                Le 15 mars 2006, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 21 février 2006 à la suite d’une révision administrative.

[4]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 4 novembre 2005 et déclare que seulement 10 % du coût des prestations doit être imputé au dossier de l’employeur.

[5]                Une audience s’est tenue à Saint-Jean-sur-Richelieu le 20 mars 2006 en présence de l'employeur et de son représentant. Le travailleur est également présent et représenté. La cause est mise en délibéré à la date de l’audience.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

Dossier 274219-62A-0510

[6]                L'employeur demande de déclarer que le travailleur n’a pas subi une lésion professionnelle le 3 novembre 2004.

Dossier 284421-62A-0603

[7]                De façon subsidiaire, l'employeur demande au tribunal de transférer 100 % du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.

L’AVIS DES MEMBRES

[8]                Le membre issu des associations d'employeurs est d’avis d’accueillir la requête de l'employeur puisque la preuve démontre que la chute subie par le travailleur le 3 novembre 2004 découle uniquement d’une condition personnelle qui l’afflige sans aucun lien de quelque nature que ce soit avec son travail.

[9]                Pour sa part, le membre issu des associations syndicales est plutôt d’avis de rejeter la requête de l'employeur. En effet, il est d’avis que le travailleur a subi un accident du travail, l’événement imprévu et soudain étant la chute survenue à l’occasion d’une syncope.

 

 

LES FAITS ET LES MOTIFS

[10]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a subi une lésion professionnelle le 3 novembre 2004.

[11]           La seule prétention du travailleur est à l’effet qu’il a subi un accident du travail survenu à l’occasion du travail.

[12]           La notion d’accident du travail est définie comme suit à l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.

 

 

[13]           Le travailleur exerce le métier de mécanicien depuis 1976. Il a une histoire de maladie cardiaque ayant subi un infarctus en 1999.

[14]           Le 12 octobre 2004, il fait part à son contremaître qu’il est aux prises avec des étourdissements. Son épouse est appelée sur les lieux du travail et le travailleur est amené à l’hôpital. Il est de retour au travail le 18 octobre 2004 où il fait encore part à son contremaître qu’il ne se sent pas bien. Il quitte à nouveau en arrêt de travail jusqu’au 31 octobre 2004.

[15]           Le 1er novembre 2004, le travailleur rencontre son contremaître afin d’effectuer un retour au travail. Ce dernier lui demande de produire un billet médical attestant de sa capacité à reprendre le travail, ce qu’il fait en date du 3 novembre 2004.

[16]           Toujours le 3 novembre 2004, vers 20 h, le travailleur fait une chute secondaire à une syncope. Le diagnostic de trauma crânien avec hématome frontal est posé par le docteur Fortin à l’urgence du Centre hospitalier de l’université de Sherbrooke.

[17]           Le 4 novembre 2004, il subit une craniotomie fronto-temporale droite avec évacuation hématome sous-dural et hématome intra-parenchymateux.

[18]           Au moment de sa chute, le travailleur ne prenait pas ses médicaments pour sa condition cardiaque n’ayant pas les moyens de se les offrir bien que l'employeur ait mis en place un régime d’assurance maladie. Aussi, le travailleur était fumeur à cette date.

[19]           Le dossier hospitalier du travailleur indique qu’il a été hospitalisé jusqu’au 22 novembre 2004 au Centre hospitalier de l’université de Sherbrooke pour ensuite être transféré au Centre de réadaptation à Saint-Hyacinthe où il y est demeuré jusqu’au 22 décembre 2004.

[20]           Comme le souligne avec justesse l’expert de l'employeur, le docteur Mario Messier dans un rapport d’expertise daté du 22 novembre 2005, on retrouve les diagnostics suivants au dossier hospitalier du travailleur : hémorragies intra-cérébral parenchymateux et sous-dural opéré, maladie vasculaire athérosclérotique avec claudication aux membres inférieurs, maladie cardiaque athérosclérotique avec status post-infarctus et angine résiduelle, maladie pulmonaire objective chronique secondaire au tabagisme et finalement, un diabète de type II.

[21]           Le docteur Messier est d’avis que le travailleur était déjà aux prises avec une hémorragie intra-crânienne primaire, laquelle a causé la syncope et entraîné la chute et le trauma crânien et non pas l’inverse. Il ne s’agit donc pas d’une hémorragie post-traumatique, puisque dans ces circonstances, on retrouverait une hémorragie sous-arachnoïde, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Il est plutôt aux prises avec des hémorragies intra-cérébrales.

[22]           La preuve révèle aussi que rien dans le milieu de travail ne peut expliquer les malaises subies par le travailleur comme un surcroît de travail ou un excès de chaleur.

[23]           Comme le soulignent les représentants à l’audience, la jurisprudence est partagée lorsqu’il s’agit d’évanouissement au travail amenant une chute entraînant une lésion.

[24]             Le commissaire Prégent résume bien l’état de la jurisprudence sur cette question[2]:

[36]      Certaines décisions considèrent que, lorsque la perte de conscience n’a aucun lien direct avec les conditions d’emploi, la chute et la lésion qui s’ensuivent ne constituent pas des éléments qui donnent ouverture à la reconnaissance d’un accident du travail2.

 

[37]      Par contre, d’autres décisions reconnaissent soit que l’évanouissement ou l’étourdissement constituent un événement imprévu et soudain, soit que l’évanouissement et la chute constituent ensemble l’événement imprévu et soudain3.

 

[38]      Dans une décision4, la chute constitue l’événement imprévu et soudain et non l’évanouissement qui la cause alors que, dans une autre décision5, l’évanouissement et la chute constituent des événements imprévus et soudains distincts, mais consécutifs.

            _______________

            2           Hôpital Louis-H. Lafontaine et Tétreault-Ouellette, C.A.L.P. 09845-60-8810, 1991-01-14, M. Cuddihy; Tourville et Les Portes Premdor inc., C.A.L.P. 40100-62-9204, 1994-03-07, N. Lacroix; Théoret et Centre hospitalier St-Eustache, C.A.L.P. 85140-64-9701, 1998-02-04, M. Cuddihy; Banque canadienne impériale de Commerce et Commission d’appel en matière de lésions professionnelles, C.A.L.P. [1993], 1447, C.S.; Rôtisserie Laurier inc. et François Dubois, C.L.P. 132894-72-0002, 2000-05-24, R. Langlois; Vatrano et Construction Heco, C.L.P. 206582-63-0304, 2004-10-20, R. Brassard; Gestion personnel 10-04 inc. et Paquin, C.L.P. 220055-72-0311 et 234554-72-0405, 2004-07-20, M.-H. Côté

            3           Savard et Général Motors du Canada ltée, [1987] C.A.L.P. 806 ; Port de Montréal et Cormier, [1993] C.A.L.P. 972 ; Vilfort et Hôpital Louis-H. Lafontaine, [1993] C.A.L.P. 1323 ; Bergeron et Casino de Montréal, [1999] CLP 232 ; Hôtel Méridien Montréal et Josue, C.A.L.P. 45186-61-9209, 1994-07-15, A. Leydet; Du Perron et Commission scolaire Chomedey de Laval, C.A.L.P. 49209-61-9302, 1994-09-06, M. Denis; Bergeron et Casino de Montréal, C.L.P. 109289-71-9901, 1999-06-15, A. Vaillancourt

            4           Miville et Rothmans, Benson et Hedges inc., C.A.L.P. 44400-03-9210, 1994-05-18, R. Chartier

            5           Jolicoeur et Sécuricor Service des Valeurs, C.L.P. 206474-62-0304, 2005-03-08, S. Mathieu

 

 

[25]           Le présent tribunal est d’avis qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’un accident du travail. En effet, le travailleur n’a pas subi un événement imprévu et soudain, mais a plutôt été victime, de façon soudaine, d’une manifestation d’une condition purement personnelle. Selon le docteur Messier, il s’agirait même de l’évolution d’une hémorragie intra-crânienne qui serait à l'origine de la syncope. Cette manifestation de la condition personnelle aurait pu se produire à n’importe quel moment et ce n’est que par pure coïncidence qu’elle s’est produite sur les lieux du travail.

[26]           Rien dans les conditions de travail du travailleur ne peut expliquer, de près ou de loin, l’enclenchement de la syncope.

[27]           On peut même affirmer que la condition personnelle était symptomatique au moment de la chute, car le 3 novembre 2004, le travailleur effectuait un retour au travail à la suite des épisodes d’étourdissement qui l’affligeaient depuis au moins le 12 octobre précédent.

[28]           La preuve révèle aussi qu’en date de l’événement, le travailleur ne prenait pas ses médicaments. Selon le docteur Messier, ceci a contribué de « façon significative à rendre sa situation instable ».

[29]           La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que le travailleur n’a pas subi une lésion professionnelle le 3 novembre 2004 et qu’il n’a donc pas droit aux bénéfices prévus par la loi.

Dossier 284421-62A-0603

[30]           Compte de la conclusion à laquelle en arrive le tribunal dans le dossier de réparation, la décision de la CSST du 21 février 2006 est caduque et sans effet.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 274219-62A-0510

ACCUEILLE la requête de l'employeur, Consoltex inc. datée du 26 octobre 2005;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 13 octobre 2005 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur, monsieur Donald Franklin, n’a pas subi une lésion professionnelle le 3 novembre 2004.

Dossier 284421-62A-0603

DÉCLARE sans effet la décision rendue le 21 février 2006 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

 

 

 

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Me Norman Tremblay

 

Commissaire

 

Monsieur Gilles Charron

Gestion conseil Charron

Représentant de la partie requérante

 

Madame Maryse Arsenault

Conseil du Québec-Unite Here

Représentante de la partie intéressée

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

[2]           Provigo Division Loblaws Québec et Serafinowicz, C.L.P. 245751-08-0410, 253293-08-0501 et 251741-08-0412, 22 mars 2005

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