Décision

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Quebec English School Boards Association c. Procureur général du Québec

2023 QCCS 2965

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

 MONTRÉAL

 

No :

500-17-112190-205

 

 

 

DATE :

Le 2 août 2023

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

SYLVAIN LUSSIER, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

QUEBEC ENGLISH SCHOOL BOARDS ASSOCIATION

et

LESTER B. PEARSON SCHOOL BOARD

et

ADAM GORDON

 Demandeurs

c.

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

 Défendeur

et

NEW FRONTIERS SCHOOL BOARD

et

SHANNON KEYES

et

ENGLISH MONTREAL SCHOOL BOARD

et

WESTERN QUEBEC SCHOOL BOARD

et

RIVERSIDE SCHOOL BOARD

et

EASTERN TOWNSHIPS SCHOOL BOARD

et

SIR WILFRID LAURIER SCHOOL BOARD

et

EASTER SHORES SCHOOL BOARD

et

CENTRAL QUEBEC SCHOOL BOARD

et

CHRIS EUSTACE

 Intervenants

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

Table des matières

LE CONTEXTE...................................................................3

A. Le recours...........................................................3

B. Les parties demanderesses...............................................5

C. Le Projet de loi 40.....................................................7

D. L’article 23 de la Charte et le droit de contrôle et de gestion exclusif des établissements scolaires10

LES QUESTIONS EN LITIGE..........................................................13

L’ANALYSE....................................................................14

A. L’atteinte aux droits...................................................14

a) L’objet de l’article 23 de la Charte et son interprétation.......................14

b) Qui sont les ayants-droits de l’article 23 ?.................................20

c) Le caractère collectif des droits conférés par l’article 23.......................21

d) Le contexte historique..............................................28

e) Le contexte géographique...........................................49

f) La gestion et le contrôle des institutions scolaires par la minorité.................51

i. Les exigences relatives à l’éligibilité............................................54

ii. L’absence de rémunération des membres des conseils d’administration....................66

iii. L’inéligibilité aux postes de président et vice-président des conseils d’administration...........67

iv. La présence de représentants non-élus du personnel scolaire..........................67

v. Le rôle de porte-parole....................................................68

vi. La perte de contrôle sur le Comité d’engagement pour la réussite des élèves................72

vii. La perte de contrôle sur l’utilisation des établissements..............................77

viii. Transfert des pouvoirs des centres de services scolaires vers les conseils d’établissement par l’établissement de règles budgétaires              80

ix. Le pouvoir du ministre de déterminer des objectifs ou des cibles........................85

x. Conclusion sur la gestion et le contrôle.........................................87

g) Pouvoir du ministre d’annuler des décisions des commissions scolaires.............88

h) L’absence de statut d’ayant-droit aux élections scolaires.......................89

i) L’obligation de tenir compte des préoccupations de la minorité..................94

j) Conclusion sur l’atteinte............................................112

B. Justification de l’atteinte aux droits........................................112

C. Réparations........................................................119

 

 

LE CONTEXTE

A.    Le recours

[1]                Les demandeurs s’adressent à la Cour supérieure pour faire déclarer inopérants à leur égard les articles 50, 52, 66, 91, 93, 105, 142, 196, 208, 212, 216, 329 et 330 de la Loi modifiant principalement la Loi sur l’instruction publique relativement à l’organisation et à la gouvernance scolaires[1], ainsi que l’article 473.1 de la Loi sur l’instruction publique[2]. À leur avis, ces dispositions portent atteinte aux droits qui leurs seraient conférés par l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[2]                La Loi est celle qui a remplacé, tant pour le secteur francophone que pour le secteur anglophone, les commissions scolaires par des « centres de services scolaires »[3].

[3]                Les demandeurs soutiennent entre autres que les modifications apportées par la Loi à la composition du conseil d’administration des centres de services scolaires ainsi qu’au processus de nomination de ses membres ferait en sorte que les ayants-droits de l’article 23 n’auraient plus le pouvoir de gestion et de contrôle exclusif sur les établissements d’enseignement anglophones du Québec.

[4]                Les dispositions de la Loi dont on demande l’invalidité sont énumérées ci-après avec les articles correspondants de la Loi sur l’instruction publique et de la Loi sur les élections scolaires visant certains membres des conseils d'administration des centres de services scolaires anglophones[4]https://www.canlii.org/fr/qc/qccs/doc/2020/2020qccs2444/2020qccs2444.html?searchUrlHash=AAAAAQAHTHVzc2llcgAAAAAB&resultIndex=3 - _ftn11, qui sont modifiées ou adoptées :

  • Article 50 [Loi sur l’instruction publique, article 143.1], qui prévoit la composition des conseils d’administration des centres de services scolaires anglophones.
  • Article 52 [Loi sur l’instruction publique, article 155], qui dispose que les président et vice-président des conseils d’administration devront être désignés parmi les membres siégeant à titre de parents.
  • Article 66 [Loi sur l’instruction publique, article 175], qui abolit la rémunération des membres du conseil d’administration.  
  • Article 91 [Loi sur l’instruction publique, article 193.6], qui prévoit l’institution et la formation du comité d’engagement pour la réussite des élèves.
  • Article 93 [Loi sur l’instruction publique, article 201], plus particulièrement son dernier paragraphe qui fait du directeur général du centre de services scolaire son porte-parole officiel.
  • Article 105 [Loi sur l’instruction publique, article 215.2], qui impose aux centres de services scolaires l’obligation de favoriser le partage de ressources avec d’autres organismes publics.
  • Article 142 [Loi sur l’instruction publique, article 459.5.4], qui prévoit que le ministre peut déterminer, pour l’ensemble des centres de services scolaires ou en fonction de la situation de l’un ou de certains d’entre eux, des objectifs ou des cibles portant sur l’administration, l’organisation ou le fonctionnement du centre de services scolaire.
  • Article 196 [Loi sur les élections scolaires visant certains membres des conseils d'administration des centres de services scolaires anglophones, article 4.1], qui prévoit que les membres du centre de services scolaire siégeant à titre de parent sont élus pour une circonscription électorale alors que les membres représentant la communauté sont élus pour tout le territoire du centre de services scolaire.
  • Article 208 [Loi sur les élections scolaires visant certains membres des conseils d'administration des centres de services scolaires anglophones, articles 11.0.1-11.0.2]. Ces articles traitent du nombre de membres représentant la communauté et de l’ordre dans lequel ils sont élus.
  • Article 212 [Loi sur les élections scolaires visant certains membres des conseils d'administration des centres de services scolaires anglophones, article 15], qui fixe les modalités d’acquisition du statut d’électeur aux élections scolaires d’un centre de services scolaire anglophone.
  • Article 216 [Loi sur les élections scolaires visant certains membres des conseils d'administration des centres de services scolaires anglophones, articles 20-20.1], qui prévoient que les deux seules catégories d’électeurs sont les représentants de parents qui siègent à titre de parent d’un élève au conseil d’établissement, ou les « représentant de la communauté » qui correspondent au profil exigé par l’article 143 (3) de la Loi sur l’instruction publique.
  • Article 329, qui prévoit que le ministre peut annuler une décision d’une commission scolaire prise entre le 1er octobre 2019 et le 15 juin 2020, ainsi que l’article 330[5].
  • Article 473.1 de la Loi sur l’instruction publique qui prévoit que les règles budgétaires peuvent prescrire que certaines mesures budgétaires sont destinées à un transfert vers le budget des établissements d’enseignement.

[5]                Le 10 août 2020, le soussigné ordonnait le sursis de l’application de la Loi à l’égard des commissions scolaires anglophones[6].

[6]                Ce jugement fut confirmé en appel le 17 septembre 2020[7]. Il s’agit maintenant de disposer du fond des prétentions des demandeurs.

B.    Les parties demanderesses

[7]                La Quebec English School Boards Association[8] est une personne morale à but non-lucratif fondée en 1936 par l’octroi de Lettres patentes et connue à l’époque sous le nom de “Provincial Association of Protestant School Boards of the Province of Quebec”. Elle a changé son nom en 1999.

[8]                Le conseil d’administration de QESBA est composé de deux ou trois commissaires de chacune des 9 commissions scolaires anglophones. 

[9]                La Lester B. Pearson School Board est une des 9 commissions scolaires anglophones, constituée par Arrêté en conseil en 1997[9].

[10]           Les huit (8) autres commissions scolaires anglophones du Québec sont également parties aux présentes procédures, à titre d’intervenantes.

[11]           Monsieur Gordon est un ayant-droit au sens de l’article 23 de la Charte. Il détient une attestation d’admissibilité à l’enseignement en anglais aux termes de l’article 76.1 de la Charte de la langue française[10]. Un de ses enfants fréquente la Lake of Two Mountains High School de la Commission scolaire Sir Wilfrid Laurier and son autre enfant fréquente une école du English Montreal School Board.

[12]           Monsieur Gordon siège au conseil d’établissement de la Lake of Two Mountains High School depuis son élection en septembre 2018 et il est le président du comité des parents de la Sir Wilfrid Laurier School Board depuis octobre 2019.

[13]           Madame Keyes enseigne en prématernelle. Ses trois enfants fréquentent ou ont fréquenté les écoles publiques anglophones. Elle siège comme commissaire du New Frontiers School Board depuis 2014. Elle a le statut d’intervenante.

[14]           Monsieur Chris Eustace se dévoue à la cause de l‘éducation. Il a enseigné au secondaire pendant 33 ans. Il est maintenant retraité. Il s’est présenté à plusieurs reprises aux élections scolaires. Ses petits-enfants sont inscrits à l’école publique anglaise.

[15]           Il intervient de multiples façons dans le débat public de la gouvernance scolaire, soit par ses lettres aux lecteurs, ses entrevues à la radio ou ses participations à des assemblées publiques.

[16]           Il offre un point de vue original dans le présent débat, s’opposant à la position adoptée par les commissions scolaires anglophones.

[17]           Il a obtenu le statut d’intervenant à titre amical, (friend of the Court) conformément à l’article 187 C.p.c.

C.    Le Projet de loi 40

[18]           Le 1er octobre 2019, le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur déposait le projet de loi no 40, et l’annonçait en ces termes par communiqué[11] :

QUÉBEC, le 1er oct. 2019 /CNW Telbec/ - Un an jour pour jour après l'arrivée en poste du nouveau gouvernement, le ministre de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur, M. Jean-François Roberge, a déposé à l'Assemblée nationale du Québec le projet de loi no 40 modifiant principalement la Loi sur l'instruction publique relativement à l'organisation et à la gouvernance scolaires, qui vise à doter le réseau scolaire québécois d'une gouvernance moderne, efficace et plus près des besoins des élèves. Il en a fait la présentation en compagnie de l'adjoint parlementaire du premier ministre pour les relations avec les Québécois d'expression anglaise, M. Christopher Skeete.

Ce projet de loi permettra notamment :

De réduire la bureaucratie et de dégager des économies d'environ 45 millions de dollars sur quatre ans;

De dépolitiser la gouvernance scolaire;

De donner davantage d'autonomie aux écoles et de rapprocher la prise de décision de celles et ceux qui connaissent les élèves par leur nom;

D’assurer une gestion optimale des ressources qui sont investies dans le réseau scolaire public.

Le projet de loi prévoit une décentralisation importante de la prise de décision vers les écoles. Il prévoit également l'abolition des élections scolaires et la fin des commissions scolaires telles qu'on les connaît actuellement pour les transformer en centres de services scolaires (CSS), qui fourniront des services essentiellement administratifs aux écoles situées sur leur territoire.

Pour que la communauté anglophone puisse se reconnaître et s'approprier pleinement ses centres de services scolaires, le projet de loi prévoit également la possibilité d'élire les administrateurs parents et ceux issus de la communauté des neuf centres de services scolaires du réseau scolaire anglophone, par un suffrage universel, comme c'est actuellement le cas.

Citations :

« Le projet de loi que nous présentons aujourd'hui est fidèle aux engagements que nous avons pris. Nous modernisons la gouvernance scolaire en nous inspirant des meilleures pratiques. En un an, nous avons fait plus, beaucoup plus pour notre réseau scolaire. Il est maintenant temps de faire mieux et de doter notre réseau d'une gouvernance digne du 21e siècle. Après des années d'attente, nous remettons enfin les écoles entre les mains de nos communautés. »

Jean-François Roberge, ministre de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur

« Je suis très fier du projet de loi présenté aujourd'hui. Il constitue une preuve concrète de notre volonté de bâtir des ponts entre les communautés. Il permet aux élèves du réseau anglophone de bénéficier des nombreuses améliorations apportées à la gouvernance scolaire, tout en tenant compte des spécificités de la communauté anglophone. Je suis convaincu que les Québécois d'expression anglaise se reconnaîtront et qu'ils s'approprieront leurs futurs centres de services scolaires. »

Christopher Skeete, adjoint parlementaire du premier ministre pour les relations avec les Québécois d'expression anglaise.

[19]           Les notes explicatives de la Loi exposent :

Cette loi vise principalement à revoir l’organisation et la gouvernance des commissions scolaires, qui deviennent des centres de services scolaires administrés par un conseil d’administration, composé de parents, de représentants de la communauté et de membres de leur personnel.

La loi établit des processus distincts pour la désignation ou l’élection des membres parents d’un élève et des membres représentants de la communauté au conseil d’administration, selon que le centre de services scolaire soit francophone ou anglophone. Pour les centres de services scolaires francophones, la loi prévoit que le territoire du centre de services scolaire sera divisé en cinq districts, chacun étant représenté par un parent membre du comité de parents désigné par l’ensemble des membres de ce comité. Les membres de la communauté seront quant à eux cooptés par les membres parents et les membres du personnel siégeant au conseil d’administration. Pour les centres de services scolaires anglophones, les membres de ces deux catégories sont élus au suffrage universel. Les membres du personnel siégeant à un conseil d’administration d’un centre de services scolaire, francophone ou anglophone, seront quant à eux désignés par leurs pairs, conformément aux modalités qui seront prévues par règlement. La loi établit le processus applicable pour la désignation des membres du conseil d’administration des centres de services scolaires francophones dans la Loi sur l’instruction publique et elle modifie la Loi sur les élections scolaires afin d’y prévoir le processus applicable aux membres des conseils d’administration des centres de services scolaires anglophones.

La loi modifie certaines fonctions du conseil d’établissement, prévoit la création du comité d’engagement pour la réussite des élèves et révise certaines fonctions du comité de parents et du comité de répartition des ressources.

La loi impose aux membres des conseils d’administration et des conseils d’établissement l’obligation de suivre une formation élaborée par le ministre.

En ce qui concerne le cadre déontologique, la loi prévoit que le conseil d’administration d’un centre de services scolaire anglophone doit se doter d’un code d’éthique et de déontologie applicable à certaines catégories de ses membres. Les normes d’éthique et de déontologie applicables aux membres des conseils d’administration des centres de services scolaires francophones et aux membres représentant le personnel des centres de services scolaires anglophones sont plutôt déterminées dans un règlement du ministre. La loi permet notamment au ministre d’imposer des regroupements de services et de déterminer des objectifs ou des cibles portant sur l’administration, l’organisation ou le fonctionnement d’un ou de l’ensemble des centres de services scolaires, d’obtenir plus aisément les résultats des élèves aux épreuves qu’il impose au primaire et au secondaire et de communiquer avec les employés des centres de services scolaires et les parents du réseau scolaire.

[20]           Ainsi, la Loi abolit les élections scolaires en milieu francophone, mais les maintient pour la minorité anglophone.

[21]           Mais la Loi modifie la composition des conseils d’administration des organismes de gestion des écoles anglophones en imposant des catégories de membres.

[22]           En résumé, les conseils comportent une majorité de membres provenant des conseils d’établissements scolaires, qui sont donc obligatoirement des parents d’élèves inscrits dans ces établissements, et déjà élus.

[23]           La Loi prévoit ensuite qu’un certain nombre de membres proviendront de certaines catégories sociales définies comme suit : a) au moins une personne ayant une expertise en matière de gouvernance, d’éthique, de gestion des risques ou de gestion des ressources humaines; b) au moins une personne ayant une expertise en matière financière ou comptable ou en gestion des ressources financières ou matérielles; c) au moins une personne issue du milieu communautaire, municipal, sportif, culturel, de la santé, des services sociaux ou des affaires; d) au moins une personne âgée de 18 à 35 ans.

[24]           Finalement, font partie du conseil d’administration, quatre membres du personnel du centre de services scolaire, dont un enseignant, un membre du personnel professionnel non enseignant, un membre du personnel de soutien et un directeur d’un établissement d’enseignement, désignés par des membres de ces catégories de personnel.

[25]           D’autres dispositions, énumérées plus haut, modifient la gouvernance du système scolaire anglophone.

[26]           La Loi a été adoptée, sous le bâillon, le 8 février 2020.

D.    L’article 23 de la Charte et le droit de contrôle et de gestion exclusif des établissements scolaires

[27]           L’article 23 de la Charte édicte :

MINORITY LANGUAGE EDUCATIONAL RIGHTS

Language of instruction

23. (1) Citizens of Canada

(a) whose first language learned and still understood is that of the English or French linguistic minority population of the province in which they reside, or

(b) who have received their primary school instruction in Canada in English or French and reside in a province where the language in which they received that instruction is the language of the English or French linguistic minority population of the province,

have the right to have their children receive primary and secondary school instruction in that language in that province. 

Continuity of language instruction


(2) Citizens of Canada of whom any child has received or is receiving primary or secondary school instruction in English or French in Canada, have the right to have all their children receive primary and secondary school instruction in the same language.

Application where numbers warrant

(3) The right of citizens of Canada under subsections (1) and (2) to have their children receive primary and secondary school instruction in the language of the English or French linguistic minority population of a province

(a) applies wherever in the province the number of children of citizens who have such a right is sufficient to warrant the provision to them out of public funds of minority language instruction; and


(b) includes, where the number of those children so warrants, the right to have them receive that instruction in minority language educational facilities provided out of public funds.

 

DROITS À L’INSTRUCTION DANS LA LANGUE DE LA MINORITÉ

Langue d’instruction

23. (1) Les citoyens canadiens :

a) dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident,

b) qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français ou en anglais au Canada et qui résident dans une province où la langue dans laquelle ils ont reçu cette instruction est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province,

ont, dans l’un ou l’autre cas, le droit d’y faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans cette langue. 


Continuité d’emploi de la langue d’instruction

(2) Les citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada ont le droit de faire instruire tous leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de cette instruction.

Justification par le nombre

(3) Le droit reconnu aux citoyens canadiens par les paragraphes (1) et (2) de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de la minorité francophone ou anglophone d’une province :

a) s’exerce partout dans la province où le nombre des enfants des citoyens qui ont ce droit est suffisant pour justifier à leur endroit la prestation, sur les fonds publics, de l’instruction dans la langue de la minorité;

b) comprend, lorsque le nombre de ces enfants le justifie, le droit de les faire instruire dans des établissements d’enseignement de la minorité linguistique financés sur les fonds publics.

 

[28]           En vertu des articles 23 (1) (b) et 23 (2), les Canadiens qui ont reçu une instruction primaire en anglais n’importe où au Canada ou qui ont un enfant inscrit dans une école élémentaire ou secondaire anglophone n’importe où au Canada ont le droit de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, en anglais au Québec. L’article 23(1) (a) de la Charte, qui accorde un droit aux Canadiens dont la première langue apprise et parlée est celle de la minorité linguistique, n’est pas en vigueur au Québec, puisqu’il n’a pas été entériné par l’Assemblée nationale.[12]

[29]           Il n’est pas remis en cause en l’instance que le « nombre » d’élèves pouvant étudier en anglais est suffisant pour justifier qu’ils soient instruits dans des établissements de la minorité anglophone, financés sur les fonds publics. Il est également acquis que ce nombre justifie la création de commissions ou conseils scolaires de la minorité anglophone. La Cour suprême a en effet jugé que l’extrémité « supérieure » du nombre d’élèves requérait « l’existence d’une commission de la langue de la minorité. »[13]. Elle le réitère dans l’arrêt Conseil scolaire francophone de la ColombieBritannique c. ColombieBritannique[14]:

[24] En vertu de ce concept, désormais appelé « échelle variable », l’art. 23 donne ouverture à une gamme de services éducatifs. La limite inférieure de cette échelle variable correspond au seul droit à l’instruction prévu à l’al. (3)a), alors que la limite supérieure correspond au « niveau supérieur de gestion et de contrôle » que fixe l’al. (3)b) (Mahe, p. 370). [] À la limite supérieure, la minorité contrôle un établissement d’enseignement distinct, c’est-à-dire une école homogène. Le nombre d’enfants d’ayants droit peut en outre donner droit à la gestion et au contrôle d’un conseil scolaire distinct. Bref, une fois que le seuil minimal de l’al. (3)a) a été franchi, l’échelle variable permet de déterminer le niveau de services qui correspond au degré de contrôle qu’exercera la minorité sur la prestation des services éducatifs.

(Le Tribunal souligne)

[30]           Bien que le texte de l’article 23 de la Charte ne fasse pas mention de pouvoirs de gestion, les tribunaux ont jugé très tôt[15] que les protections que conférait cet article comprenaient un droit exclusif de « gestion et de contrôle » sur les institutions scolaires, par la minorité linguistique.

[31]           Dans Mahe, la Cour suprême a jugé que « les représentants de la minorité linguistique devraient avoir le pouvoir exclusif de prendre des décisions concernant l'instruction dans sa langue et les établissements où elle est dispensée, notamment :

a) les dépenses de fonds prévus pour cette instruction et ces établissements;

b) la nomination et la direction des personnes chargées de l'administration de cette instruction et de ces établissements;

c) l'établissement de programmes scolaires;

d) le recrutement et l'affectation du personnel, notamment des professeurs; et

e) la conclusion d'accords pour l'enseignement et les services dispensés aux élèves de la minorité linguistique. »[16]

[32]           Le Procureur général du Québec[17] concède que cette énumération n’est pas exhaustive.

[33]           Ces principes ont été dégagés dans un contexte où le nombre d’élèves de la minorité francophone était insuffisant pour justifier la création d’une commission ou conseil scolaire autonome. Il est évident que les représentants de la minorité doivent avoir, à l’égard de ce conseil scolaire, les mêmes pouvoirs exclusifs de gestion et de contrôle.

[34]           C’est sur cette question du pouvoir de gestion et de contrôle des institutions scolaires que le débat est engagé. Il est à noter qu’il n’est ici nullement question de protection de la langue française.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[35]           Les articles attaqués portent-ils atteinte aux droits garantis par l’article 23 de la Charte à la minorité anglophone québécoise ?

[36]           S’il y a atteinte à ces droits, est-elle justifiée ?

[37]           Pour les raisons qui suivent, le Tribunal estime que plusieurs des articles visés par ce recours portent atteinte aux droits de l’article 23 et que ces atteintes ne sont pas justifiées.

L’ANALYSE

A.     L’atteinte aux droits

a)     L’objet de l’article 23 de la Charte et son interprétation

[38]           L’interprétation de l’article 23 doit se faire en fonction de son objet. Un bref rappel des propos de la Cour suprême permet de saisir son objet et ses règles d’interprétation.

[39]           Le juge en chef Dickson a établi dans l’arrêt Mahe l’objet de l’article 23 de la Charte :

« L'objet général de l'art. 23 est clair : il vise à maintenir les deux langues officielles du Canada ainsi que les cultures qu'elles représentent et à favoriser l'épanouissement de chacune de ces langues, dans la mesure du possible, dans les provinces où elle n'est pas parlée par la majorité. L'article cherche à atteindre ce but en accordant aux parents appartenant à la minorité linguistique des droits à un enseignement dispensé dans leur langue partout au Canada.

Mon allusion à la culture est importante, car il est de fait que toute garantie générale de droits linguistiques, surtout dans le domaine de l'éducation, est indissociable d'une préoccupation à l'égard de la culture véhiculée par la langue en question. Une langue est plus qu'un simple moyen de communication; elle fait partie intégrante de l'identité et de la culture du peuple qui la parle »[18].

[40]           Le juge en chef Wagner a rappelé ces principes dans l’arrêt récent Conseil scolaire francophone de la ColombieBritannique c. ColombieBritannique.[19] Il nous met d’abord en garde contre une interprétation indûment restrictive de l’article 23[20]. Il rappelle ensuite les raisons ayant motivé l’adoption de cet article et les conséquences qui en découlent :

[4] Il est bien établi que les droits conférés par la Charte doivent être interprétés de façon large et libérale en fonction de l’objectif visé (Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145; R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295). De plus, il est essentiel de situer l’objet du droit en question dans ses contextes linguistique, philosophique et historique (Law Society of Upper Canada c. Skapinker, 1984 CanLII 3 (CSC), [1984] 1 R.C.S. 357; Big M Drug Mart Ltd., p. 344). Avant d’aborder les faits du présent pourvoi, j’estime nécessaire de rappeler le contexte de l’édiction de l’art. 23 et les principes qui doivent guider son interprétation.

[12] Le contexte historique et social à l’origine de la reconnaissance des droits linguistiques en matière d’éducation permet d’apprécier le rôle unique joué par l’art. 23 dans le paysage constitutionnel canadien. Dans un passage fréquemment cité, le juge en chef Dickson décrit l’importance de cette disposition en affirmant qu’elle est la « clef de voûte de l’engagement du Canada envers le bilinguisme et le biculturalisme » (Mahe c. Alberta, 1990 CanLII 133 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 342, p. 350). Plus récemment, dans Association des parents de l’école Rosedesvents c. ColombieBritannique (Éducation), 2015 CSC 21, [2015] 2 R.C.S. 139 (« Rose-des-vents »), la juge Karakatsanis rappelle que le biculturalisme constitue un élément fondateur du Canada et que l’engagement du Canada envers le bilinguisme le distingue des autres pays (par. 25, citant Assn. des Parents Francophones (Colombie-Britannique) c. British Columbia (1996), 1996 CanLII 1455 (BC SC), 27 B.C.L.R. (3d) 83 (C.S.), par. 24).

[13] L’importance de l’art. 23 ne s’explique toutefois pas uniquement par son rôle dans la formation de l’identité du Canada en tant que pays. Son importance s’explique également par le rôle qu’il joue sur l’identité des Canadiens et des Canadiennes en tant qu’individus et en tant que collectivité linguistique. L’article 23 vise à préserver la culture et la langue, deux éléments qui sont au cœur des notions d’identité et de bien-être d’une personne et d’une communauté (W. Kymlicka, Multicultural Citizenship : A Liberal Theory of Minority Rights (1995), p. 89).

[15] J’ajoute que, dans l’analyse requise pour l’application de l’art. 23, les tribunaux doivent garder à l’esprit le triple objet de cet article, c’est-à-dire son caractère à la fois préventif, réparateur et unificateur. En effet, cette disposition a non seulement pour objet de prévenir l’érosion des communautés linguistiques officielles, mais aussi de remédier aux injustices passées et de favoriser leur épanouissement (Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général),2005 CSC 14, [2005] 1 R.C.S. 201, par. 3; Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, 2000 CSC 1, [2000] 1 R.C.S. 3, par. 27). Le juge en chef Dickson a expliqué cet objet réparateur en reprenant les propos du juge Kerans, qui avait affirmé que [traduction] « l’existence même de l’article laisse supposer l’insuffisance du système actuel » (Mahe, p. 363). Vu cette « insuffisance du système actuel », l’art. 23 vise donc à modifier le statu quo. Finalement, il a en outre un objet unificateur dans la mesure où il favorise la liberté de circulation et d’établissement en permettant aux citoyens de se déplacer partout au pays, sans crainte de devoir abandonner leur langue et leur culture (Solski, par. 30; Débats de la Chambre des communes, 32e lég., 1re sess., vol. 3, 6 octobre 1980, p. 3286).

[16] Pour réaliser pleinement son objectif réparateur, l’art. 23 doit cependant être mis en œuvre avec vigilance. Comme l’a souligné notre Cour, le risque d’assimilation et d’érosion culturelle croît à mesure que passent les années scolaires sans que rien ne soit fait à cet égard. Il en résulte que l’efficacité concrète de l’art. 23 est particulièrement vulnérable à l’inaction des gouvernements (Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3, par. 29; Rose-des-vents, par. 28). Cette particularité confère un rôle crucial aux tribunaux, à qui les constituants ont confié la responsabilité de veiller à la mise en œuvre et à la protection des droits garantis par la Charte.

        (Le Tribunal souligne)

[41]           Un des buts de l’adoption de l’article 23 était de mettre les minorités à l’abri des décisions de la majorité, prises sans égard aux droits de la minorité. Il n’y a qu’à penser à l’adoption du Règlement 17 interdisant l’enseignement du français en Ontario, que la Constitution de 1867 ne protégeait pas[21]. La Cour d’appel d’Ontario rappelait, peu de temps après l’adoption de l’article 23[22] :

What that history reveals, as outlined in the introduction to this opinion, is that rights or privileges to determine language use in educational facilities, which the French-speaking minority had at the time of entering into the federation, were later denied. Although in our own province this denial was subsequently withdrawn and, indeed, in recent years measures have been taken to overcome this past deprivation, many problems remain.

[42]           Le constituant de 1982 considérait que l’on ne pouvait s’en remettre au bon vouloir des majorités linguistiques pour protéger les droits des minorités :

  • « Cet ensemble de dispositions, le législateur constituant ne l’a pas édicté dans l’abstrait. Quand il l’a adopté, il connaissait et il avait évidemment à l’esprit le régime juridique réservé aux minorités linguistiques anglophone et francophone relativement à la langue de l’enseignement par les diverses provinces au Canada. Il avait également à l’esprit l’histoire de ces régimes juridiques, tant l’histoire relativement ancienne comme celle du Règlement 17 qui a restreint pour un temps l’enseignement en français dans les écoles séparées de l’Ontario—Ottawa Separate Schools Trustees c. Mackell, 1916 CanLII 418 (UK JCPC), [1917] A.C. 62—que l’histoire relativement récente comme celle de la Loi 101 et des régimes qui l’ont précédée au Québec. À tort ou à raison, ce n’est pas aux tribunaux qu’il appartient d’en décider, le constituant a manifestement jugé déficients certains des régimes en vigueur au moment où il légiférait, et peut-être même chacun d’entre eux, et il a voulu remédier à ce qu’il considérait comme leurs défauts par des mesures réparatrices uniformes, celles de l’art. 23 de la Charte, auxquelles il conférait en même temps le caractère d’une garantie constitutionnelle »[23].
  • « En outre, comme l'indique le contexte historique dans lequel l'art. 23 a été adopté, les minorités linguistiques ne peuvent pas être toujours certaines que la majorité tiendra compte de toutes leurs préoccupations linguistiques et culturelles. Cette carence n'est pas nécessairement intentionnelle : on ne peut attendre de la majorité qu'elle comprenne et évalue les diverses façons dont les méthodes d'instruction peuvent influer sur la langue et la culture de la minorité »[24].
  • 57 Une autre considération importante est que l’art. 23 était destiné en partie à protéger la minorité contre l’effet des mesures adoptées pour répondre aux besoins de la majorité. Il est donc évident que les parents de la minorité linguistique et leurs représentants sont les mieux placés pour identifier les besoins locaux lorsqu’il s’agit de définir les régions pertinentes. Cette décision fera intervenir des facteurs historiques, sociaux et géographiques complexes[25].
  • [149] Effectivement, l’art. 23 protège les minorités linguistiques officielles contre les effets des décisions de la majorité en matière d’éducation en leur permettant de jouir d’une certaine autonomie sur leur système d’éducation. L’historique des relations entre la majorité et la minorité en matière d’éducation démontre que les intérêts de la minorité ne sont pas bien servis lorsque celle-ci n’exerce pas un certain degré de contrôle sur la gestion de ses écoles et de leur financement. En écartant l’art. 23 du champ d’application de la clause de dérogation, les rédacteurs de la Charte ont voulu éviter que la majorité puisse se soustraire à ses obligations constitutionnelles et que renaisse ainsi l’époque où la minorité ne pouvait s’épanouir dans sa langue et sa culture[26].

(Le Tribunal souligne)

[43]           L’article 23 de la Charte doit recevoir une interprétation large et libérale, propre à assurer son but.

[44]           Que son adoption soit le résultat d’un compromis politique ne saurait, malgré certains prononcés peu après son adoption, restreindre son interprétation. La Cour suprême l’a rappelé à plusieurs occasions :

  • 24 Même si les droits linguistiques constitutionnels découlent d’un compromis politique, ceci n’est pas une caractéristique qui s’applique uniquement à ces droits. A. Riddell, dans « À la recherche du temps perdu : la Cour suprême et l’interprétation des droits linguistiques constitutionnels dans les années 80 » (1988), 29 C. de D. 829, à la p. 846, souligne que l’adoption des art. 7 et 15 de la Charte résulte aussi d’un compromis politique et soutient, à la p. 848, que l’histoire constitutionnelle du Canada ne fournit aucune raison de penser qu’un tel compromis politique exige une interprétation restrictive des garanties constitutionnelles. Je conviens que l’existence d’un compromis politique n’a aucune incidence sur l’étendue des droits linguistiques [] l’exercice de droits linguistiques ne doit pas être considéré comme exceptionnel, ni comme une sorte de réponse à une demande d’accommodement.

25 Les droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada; [] Dans la mesure où l’arrêt Société des Acadiens du NouveauBrunswick, précité, aux pp. 579 et 580, préconise une interprétation restrictive des droits linguistiques, il doit être écarté. La crainte qu’une interprétation libérale des droits linguistiques fera que les provinces seront moins disposées à prendre part à l’expansion géographique de ces droits est incompatible avec la nécessité d’interpréter les droits linguistiques comme un outil essentiel au maintien et à la protection des collectivités de langue officielle là où ils s’appliquent. Il est également utile de réaffirmer ici que les droits linguistiques sont un type particulier de droits, qui se distinguent des principes de justice fondamentale. Ils ont un objectif différent et une origine différente[27].

  • 27 […] La Cour a mentionné clairement que le fait que les droits linguistiques découlent d’un compromis politique n’a aucune incidence sur leur nature ou leur importance; l’art. 23 doit donc recevoir la même interprétation large et libérale que les autres droits garantis par la Charte (R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768, par. 25; ArsenaultCameron, précité, par. 27)[28].
  • 20 Bien que cette inégalité consacrée puisse résulter de négociations et d’un compromis politique, il ne s’ensuit pas que les droits garantis par l’art. 23 doivent recevoir une interprétation restrictive[29].
  • [18] Enfin, je rappelle que l’origine de l’art. 23 en tant que résultat d’un compromis politique ne saurait justifier, pour cette seule raison, une interprétation restrictive des droits prévus par cette disposition. Si notre Cour a déjà effectué une distinction entre les droits linguistiques issus d’un compromis politique et les autres droits garantis par la Charte, cette époque est révolue.

[19] Restreindre la portée des droits linguistiques pour la simple raison qu’ils découlent d’un compromis politique constituerait un dangereux retour en arrière. Plusieurs droits accordés aux minorités au Canada ont été chèrement acquis au fil des ans et il revient aux tribunaux de leur donner plein effet, de façon claire et transparente[30].

(Le Tribunal souligne)

[45]           Le juge en chef Dickson indique la marche à suivre dans l’interprétation de l’article 23. Il la caractérise comme « variable ». Mais la variable est constituée par le « nombre » d’élèves jouissant du droit à l’éducation dans la langue de la minorité [31]:

« La façon dont il convient d'interpréter l'art. 23, selon moi, est de le considérer comme attributif d'un droit général à l'instruction dans la langue de la minorité. []

On peut exprimer autrement cette interprétation de l'art. 23 en disant qu'il doit être considéré comme établissant une exigence "variable", le niveau supérieur étant prévu à l'al. (3)b) et le niveau inférieur, correspondant au mot "instruction", étant prévu à l'al. (3)a). L'idée de critère variable signifie simplement que l'art. 23 garantit le type et le niveau de droits et de services qui sont appropriés pour assurer l'instruction dans la langue de la minorité au nombre d'élèves en question.

On peut opposer la méthode du critère variable au point de vue selon lequel l'art. 23 comporte seulement deux droits l'un relatif à l'instruction et l'autre relatif aux établissements assurant chacun le niveau de services qui convient à l'un de deux seuils numériques.  Selon cette interprétation de l'art. 23, que l'on pourrait appeler la méthode des "droits distincts", l'existence d'un nombre donné d'élèves visés par l'art. 23 ouvrirait le droit à un niveau particulier d'instruction, tandis qu'un nombre donné plus élevé exigerait en outre un certain niveau d'établissements d'enseignement de la minorité linguistique.  Si le nombre d'élèves se situait entre ces deux seuils, c'est le seuil inférieur qui déterminerait le niveau d'instruction requis.

La méthode du critère variable est préférable à celle des droits distincts, non seulement parce qu'elle concorde avec le texte de l'art. 23, mais aussi parce qu'elle est compatible avec l'objet de l'art. 23. […] Si, par exemple, les appelants réussissaient à convaincre notre Cour que l'art. 23 exige l'établissement d'un conseil scolaire distinct, par opposition à une forme de représentation au sein d'un conseil déjà existant, d'autres groupes de parents visés par l'art. 23 risqueraient alors, si les nombres en cause étaient inférieurs, de n'avoir droit à aucun degré de gestion et de contrôle, même si leur nombre était susceptible de justifier l'octroi d'un certain degré de gestion et de contrôle.

[…] À mon avis, il est plus logique, et compatible aussi avec l'objet de l'art. 23, d'interpréter celuici comme exigeant le degré de protection du droit à l'enseignement dans la langue de la minorité que justifie le nombre d'élèves dans un cas donné. L'article 23 prescrit simplement que les gouvernements doivent faire ce qui est pratiquement faisable dans les circonstances pour maintenir et promouvoir l'instruction dans la langue de la minorité. »

[46]           En l’espèce, la variable est au niveau le plus élevé possible. Le nombre d’élèves anglophones ayant le droit d’être instruits en anglais justifie l’existence non seulement des établissements mais également des neuf commissions scolaires.

[47]           Il faut donc étudier les articles de la Loi qui sont attaqués dans leur perspective globale et dans leur contexte pour déterminer si, lus ensemble, ils portent atteinte aux droits garantis par l’article 23. Celui-ci doit être interprété de façon large et libérale lui permettant d’atteindre son objet, soit la protection et l’épanouissement de la minorité anglophone du Québec.

[48]           Cette interprétation est conditionnée, comme ce jugement le développe, par son caractère collectif, son contexte historique et son contexte géographique.

[49]           Au risque de se répéter, il n’est pas question ici de la protection du français, qui est assurée par d’autres moyens, dont l’obligation pour ceux qui ne bénéficient pas des protections de l’article 23, d’envoyer leurs enfants à l’école en français.

b)     Qui sont les ayants-droits de l’article 23 ?

[50]           Tel que nous venons de le voir, les Canadiens qui ont reçu une instruction primaire en anglais n’importe où au Canada ou qui ont un enfant inscrit dans une école élémentaire ou secondaire anglophone n’importe où au Canada ont le droit de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, en anglais, au Québec.

[51]           Il ressort du texte de l’article 23 que ce ne sont pas uniquement les parents ayant des enfants inscrits à l’école anglaise qui jouissent des droits, mais également ceux qui ont le droit d’y inscrire leurs enfants, ou qui y ont fait inscrire leurs enfants d’âge scolaire, ou avaient le droit de le faire.

[52]           Ainsi, tel que la preuve l’a abondamment révélé, les grands-parents, qui n’ont plus d’enfants inscrits à l’école, ont un rôle très important à jouer, et le jouent effectivement.

[53]           Comme le veut le dicton, « ça prend un village pour élever un enfant ».

[54]           Le procureur général soutient par ailleurs que la Loi respecte l’article 23 de la Charte qui confère des droits aux parents d’élèves, les « ayants-droits » (rights holders), parce qu’elle a justement pour but de remettre aux parents le contrôle du système scolaire en les plaçant au centre du processus tant électoral que décisionnel.

[55]           Monsieur Eustace, intervenant d’expérience dans le monde scolaire anglophone, se réjouit de cette approche pour des motifs qu’il a largement diffusés au fil des ans et qu’il a exposés en audition.

[56]           Ce jugement va développer qu’il s’agit là d’une vision restrictive de cet article, qui le prive de réaliser son objectif. Cette vision va plus particulièrement à l’encontre de la dimension collective du droit à l’enseignement dans la langue de la minorité, thème suivant du jugement.

c)     Le caractère collectif des droits conférés par l’article 23

[57]           Le texte de l’article 23 confère des droits aux « citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada et aux citoyens canadiens qui ont reçu au Canada une instruction primaire en anglais ». Contrairement à la position qu’il avait soutenue dans l’affaire Solski[32], le PGQ interprète cette disposition comme conférant des droits individuels aux parents ayant reçu de l’instruction en anglais au Canada et dont les enfants sont inscrits à l’école anglaise.

[58]           Le texte vise les « citoyens », donc des individus. Nos tribunaux ont cependant souligné le caractère à la fois individuel et collectif des droits conférés par l’article 23. Cette dimension devient particulièrement importante lorsqu’il est question de gestion et de contrôle des institutions scolaires de la minorité linguistique.

[59]           Comme il a été vu ci-haut, l’objectif de l’article 23 ne peut se comprendre s’il est fait abstraction de la dimension communautaire, donc collective des droits qu’il confère.

[60]           La Cour suprême s’est prononcée à plusieurs reprises sur la question à commencer avec l’arrêt Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince Édouard[33]:

27 [] Il faut clairement tenir compte de l’importance de la langue et de la culture dans le domaine de l’enseignement ainsi que de l’importance des écoles de la minorité linguistique officielle pour le développement de la communauté de langue officielle lorsque l’on examine les mesures prises par le gouvernement pour répondre à la demande de services à Summerside. Comme notre Cour l’a récemment expliqué dans l’arrêt Beaulac, au par. 25, « [l]es droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada » (souligné dans l’original). Une interprétation fondée sur l’objet des droits prévus à l’art. 23 repose sur le véritable objectif de cet article qui est de remédier à des injustices passées et d’assurer à la minorité linguistique officielle un accès égal à un enseignement de grande qualité dans sa propre langue, dans des circonstances qui favoriseront le développement de la communauté.

29 [] Insistant sur le droit individuel à l’instruction, le ministre semble ne pas avoir tenu compte de l’assimilation linguistique et culturelle de la communauté francophone à Summerside, restreignant ainsi le droit collectif des parents des enfants d’âge scolaire.

45 Lorsqu’une commission de la minorité linguistique a été établie en vue de satisfaire à l’art. 23, il revient à la commission, parce qu’elle représente la communauté de la minorité linguistique officielle, de décider ce qui est le plus approprié d’un point de vue culturel et linguistique.

(Le Tribunal souligne)

[61]           Elle réitère ses propos dans l’arrêt Doucet-Boudreau[34] :

28 Bien que les droits soient conférés aux individus (Renvoi sur les écoles, p. 865), ils ne peuvent être exercés que si « le nombre le justifie », et la nature de l’obligation des gouvernements de fournir des établissements et des programmes varie en fonction du nombre d’élèves susceptibles de se prévaloir des services (Mahe, p. 366; Renvoi sur les écoles, p. 850; ArsenaultCameron, précité, par. 38). Cette exigence donne à l’exercice de ces droits individuels une dimension collective particulière.

(Le Tribunal souligne)

[62]           Elle écrit dans l’arrêt Solski[35] :

4 Ces ensembles législatifs encadrent des situations qui mettent en jeu non seulement des droits individuels, mais aussi la vie des communautés linguistiques et la perception que cellesci ont de leur avenir.

5 L’existence de ces deux niveaux de rapports sociaux et juridiques rend délicat l’effort d’aménagement des droits linguistiques. Il s’agit en effet, d’une part, d’assurer l’épanouissement personnel des membres des minorités et de leurs familles dans chaque province ou territoire. D’autre part, sur le plan collectif, ces questions linguistiques mettent en jeu le développement et la présence des minorités anglophones au Québec et des francophones ailleurs au Canada. […]

20 L’article 23 établit un code complet des droits à l’instruction dans la langue de la minorité, code qui confère un statut spécial aux communautés linguistiques minoritaires anglophones ou francophones.

22 Pour le procureur général du Québec, l’art. 23 est une disposition régissant l’application de droits collectifs; pour l’appelante, cet article concerne des droits individuels que les personnes admissibles peuvent exercer partout au Canada.

23 Comme c’est souvent le cas, ni l’une ni l’autre des interprétations n’est totalement dénuée de fondement.

33 Une mesure législative provinciale établissant des critères applicables au cheminement scolaire de l’enfant est utile. Toutefois, ces critères doivent s’harmoniser avec l’objet de l’art. 23. Il ressort de cet objet que l’art. 23 garantit à la fois un droit social et collectif et un droit civil et individuel.

(Le Tribunal souligne)

 

[63]           À nouveau dans l’arrêt de l’école Rose-des-vents[36] :

[36] Comme l’a précisé la Cour, le libellé de l’art. 23 et son objet consistant à prévenir l’érosion de groupes minoritaires de langue officielle exigent tous deux que l’on se demande si le nombre d’élèves « partout dans la province » justifie l’application des droits garantis par l’art. 23 (Mahe, p. 386; Arsenault-Cameron, par. 56-57). Pour cette raison, il faut avoir une vision locale puisque c’est la collectivité locale qui bénéficie des avantages linguistiques et culturels d’un enseignement dans la langue de la minorité.

(Le Tribunal souligne)

[64]           La Cour l’a répété récemment dans l’arrêt du Conseil scolaire francophone de Colombie-Britannique[37] :

[13] L’importance de l’art. 23 ne s’explique toutefois pas uniquement par son rôle dans la formation de l’identité du Canada en tant que pays. Son importance s’explique également par le rôle qu’il joue sur l’identité des Canadiens et des Canadiennes en tant qu’individus et en tant que collectivité linguistique. L’article 23 vise à préserver la culture et la langue, deux éléments qui sont au cœur des notions d’identité et de bien-être d’une personne et d’une communauté.

[17] Je souligne également que, contrairement à d’autres dispositions génératrices de droits, les droits reconnus par l’art. 23 s’apprécient non seulement sur le plan individuel, mais également sur le plan collectif. En effet, l’art. 23 confère des droits individuels, mais dont la portée est collective. Comme l’a affirmé notre Cour dans l’arrêt Solski, il en résulte que les tribunaux appelés à interpréter l’art. 23 doivent considérer le contexte social, démographique et historique qui est propre à chaque groupe linguistique. Ainsi, les tribunaux ont la tâche délicate de concilier les préoccupations parfois divergentes de la minorité francophone hors Québec, pour qui l’exercice des droits linguistiques a été chèrement acquis, avec la réalité particulière de la minorité anglophone du Québec et la perception que les francophones du Québec — majoritaires dans cette province, mais dont leur langue est minoritaire à l’échelle du pays — ont de leur avenir au sein du Canada.

[158] J’ajoute que, dans l’analyse de la justification d’une violation du droit reconnu par l’art. 23 de la Charte, les tribunaux doivent garder à l’esprit que même si cette disposition a certes une dimension collective, elle a également une dimension individuelle, puisque les titulaires du droit en question sont d’abord et avant tout des individus.

(Le Tribunal souligne)

[65]           La Cour d’appel du Québec a elle aussi insisté sur l’aspect collectif des droits ainsi protégés. Dans l’arrêt H.N., le juge Pierre J. Dalphond écrivait[38] :

[189] With this context in mind, I will now analyze section 23 in depth. A full reading of the section reveals two aspects: one, individual (the rights of parents, sections 23(1) and 23(2)), and the other, collective (the right to have and manage separate institutions, section 23(3)). The collective aspect underpins section 23, whose aim is to preserve and promote the existence of minority groups in all parts of the country.

(Le Tribunal souligne)

[66]           Dans le présent dossier, dans son jugement sur le sursis, la Cour d’appel écrivait :

[19] L’article 23 impose d’ailleurs aux gouvernements l’obligation absolue de mobiliser des ressources et d’édicter des lois pour l’établissement de structures institutionnelles capitales pour la minorité linguistique de la province, ce qui donne à l’exercice des droits énoncés une dimension collective particulière: Mahe, p. 365 et 389,Doucet-Boudreau, par. 28; Conseil scolaire francophone de C.-B., par. 17.

[59] Comme le juge de première instance le note d’ailleurs, les droits conférés par l’article 23 de la Charte canadienne comportent un important aspect collectif[39].

(Le Tribunal souligne)

[67]           Les auteurs se sont également exprimés sur cet aspect des droits de l’article 23. Michel Bastarache écrivait :

« rights provided under section 23, [] are both individual and collective ».[40]

[68]           Pour les auteurs Mark Power and Pierre Foucher :

« Third, section 23 does not fit into the traditional categories developed by jurists versed in human rights for classifying fundamental rights. Its purpose makes it a social and collective right while its constitutional status, justiciability, and scope make it an individual and civil right as well. These considerations mesh and produce an original and unique constitutional guarantee, one that is, as the Supreme Court itself pointed out, genuinely Canadian ».[41]

[69]           Pour Michel Doucet, dans la cinquième édition du même recueil :

« L’article 23, comme tous les droits linguistiques, met en jeu non seulement des droits individuels, mais également des droits collectifs.

[…]

La Cour suprême du Canada décrit l’école comme « l’institution la plus importante pour la survie de la minorité linguistique officielle, qui est elle-même un véritable bénéficiaire en vertu de l’article23 ». Ce faisant, la Cour reconnaît le caractère collectif de l’article 23. En effet, si cet article reconnaît des droits individuels, dans la mesure où chaque partie répondant aux critères peut se prévaloir des droits qu’il accorde, il porte aussi une dimension collective puisqu’en fin de compte, c’est la communauté minoritaire qui est la vraie bénéficiaire des droits conférés par l’article. En conséquence, il serait dangereux de mettre uniquement l’accent sur le droit individuel, à l’instruction, au détriment des droits linguistiques et culturels de la communauté minoritaire »[42].

[70]           Le professeur José Woehrling parle de « droits présentant une dimension nettement collective »[43].

[71]           Cette composante collective est d’autant plus importante que les écoles de la minorité sont plus que de simples lieux d’apprentissage. Ils sont un des points d’ancrage principaux de la communauté. Il convient ici encore de citer la Cour suprême :

  • « Il convient de faire remarquer en outre que les écoles de la minorité servent ellesmêmes de centres communautaires qui peuvent favoriser l'épanouissement de la culture de la minorité linguistique et assurer sa préservation. Ce sont des lieux de rencontre dont les membres de la minorité ont besoin, des locaux où ils peuvent donner expression à leur culture »[44].
  • « Cette conclusion est également compatible avec la reconnaissance du fait que les écoles de la minorité jouent un rôle utile à la fois comme centres culturels et comme établissements d'enseignement. Bien que notre Cour, dans l'arrêt Mahe, n'ait pas explicitement parlé de lieux physiques distincts dans son examen des écoles comme centres culturels, il semble raisonnable de déduire qu'il faut un certain degré de démarcation dans les lieux physiques pour que ces écoles s'acquittent bien de ce rôle. À mon avis, l'ensemble des objectifs de l'art. 23 énoncés dans l'arrêt Mahe appuient cette conclusion »[45].
  • 50 Dans cet arrêt (Mahe), la Cour a insisté sur le besoin de la minorité de s’identifier avec les écoles lorsqu’elle a jugé que l’art. 23 garantit un droit de gestion aux représentants de la minorité[46].
  • [1] L’école est bien plus qu’un simple lieu de transmission de connaissances théoriques et pratiques. Elle constitue également un milieu de socialisation qui permet d’échanger et de s’épanouir dans sa langue et, à travers elle, de découvrir sa culture.
  • [74] Cette souplesse reconnaît l’importance des écoles homogènes comme îlots linguistiques en milieu minoritaire. En effet, dans un tel contexte, l’école homogène est souvent le seul endroit où l’ensemble des activités d’une personne se déroulent dans sa langue. De surcroît, cette école sert de milieu de rassemblement pour la communauté étendue. Le partage de locaux ne peut remplir pleinement ces fonctions, car il rend plus difficile l’atteinte des objectifs ciblés par l’art. 23[47].

[72]           La dimension collective des droits conférés par l’article 23 doit donc conditionner et informer l’interprétation de celui-ci.

[73]           La communauté anglophone du Québec ne se limite pas aux parents d’élèves inscrits à l’école. L’article 23 étend les bénéfices de sa protection à tous les citoyens canadiens qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en anglais au Canada, ou dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire en anglais. L’article 23 ne crée pas deux catégories d’ayants-droits, ceux qui ont des enfants à l’école et ceux qui n’en ont pas.

[74]           La désignation des représentants de la communauté va au-delà du simple groupe des parents d’enfants inscrits à l’école. La loi doit viser à favoriser la participation des membres de la communauté à la gestion scolaire, dans un but d’épanouissement de cette communauté.

[75]           Il ressort des propos du juge en chef Dickson dans Mahe[48] que « les personnes qui exerceront le pouvoir de gestion et de contrôle décrit précédemment sont des "parents visés par l'art. 23" ou des personnes désignées par ces parents comme leurs représentants. »

[76]           Il va de soi que ces représentants soient des ayants-droits, mais rien n’exige qu’ils soient des parents d’élèves inscrits à l’école. Cette notion de « représentants » apparaît également dans l’arrêt Arsenault-Cameron[49].

d)     Le contexte historique

[77]           L’analyse du respect des droits de la minorité se fait nécessairement en considérant le contexte historique des droits de celle-ci. La Cour suprême le rappelle dans plusieurs de ses jugements sur la question :

  • « Historiquement, en l'absence de mesures destinées à assurer à la minorité une représentation et des pouvoirs au sein des conseils d'écoles publiques ou communes, les conseils séparés ou confessionnels ont formé les principaux bastions de l'enseignement dans la langue de la minorité. Ces conseils indépendants constituent pour la minorité des institutions qu'elle peut considérer comme les siennes avec tout ce que cela représente en termes de possibilités de travailler dans sa propre langue, de partager une culture, des intérêts et des points de vue communs, et de jouir de la plus grande mesure possible de représentation et de contrôle. Ces éléments ont une importance considérable lorsqu'il s'agit de fixer des priorités générales et de répondre aux besoins spéciaux de la minorité en matière d'éducation. »[50]
  • 5 Ainsi, le contexte social, démographique et historique de notre pays constitue nécessairement la toile de fond de l’analyse des droits linguistiques. Celleci ne saurait s’effectuer dans l’abstrait, sans égard au contexte qui a conduit à la reconnaissance de ces droits ou aux préoccupations auxquelles leurs modalités d’application actuelles sont censées répondre.

9 Le texte actuel de l’art. 23 témoigne indubitablement des difficultés éprouvées au cours des discussions et des négociations qui ont précédé le rapatriement de la Constitution canadienne en 1982. Dans l’élaboration de ces droits constitutionnels, on ne pouvait rester sourd aux demandes des francophones hors Québec visant la reconnaissance d’une égalité réelle dans le domaine de l’éducation. Il était aussi impossible d’ignorer les inquiétudes de la minorité anglophone du Québec à la suite des conflits linguistiques survenus à partir de la « Révolution tranquille » et ayant culminé avec l’adoption de la langue française[51].

  • 4 De plus, il est essentiel de situer l’objet du droit en question dans ses contextes linguistique, philosophique et historique.

17 Comme l’a affirmé notre Cour dans l’arrêt Solski, il en résulte que les tribunaux appelés à interpréter l’art. 23 doivent considérer le contexte social, démographique et historique qui est propre à chaque groupe linguistique. Ainsi, les tribunaux ont la tâche délicate de concilier les préoccupations parfois divergentes de la minorité francophone hors Québec, pour qui l’exercice des droits linguistiques a été chèrement acquis, avec la réalité particulière de la minorité anglophone du Québec et la perception que les francophones du Québec — majoritaires dans cette province, mais dont leur langue est minoritaire à l’échelle du pays — ont de leur avenir au sein du Canada (Solski, par. 5)[52].

[78]           Les droits linguistiques sont absents de la Loi constitutionnelle de 1867[53], à l’exception des dispositions de l’article 133. Les protections sont accordées à des groupes minoritaires en fonction de leur religion, à l’article 93, en matière d’éducation :

93 Dans chaque province, la législature pourra exclusivement décréter des lois relatives à l’éducation, sujettes et conformes aux dispositions suivantes :

1. Rien dans ces lois ne devra préjudicier à aucun droit ou privilège conféré, lors de l’union, par la loi à aucune classe particulière de personnes dans la province, relativement aux écoles séparées (denominational);

2. Tous les pouvoirs, privilèges et devoirs conférés et imposés par la loi dans le Haut-Canada, lors de l’union, aux écoles séparées et aux syndics d’écoles des sujets catholiques romains de Sa Majesté, seront et sont par la présente étendus aux écoles dissidentes des sujets protestants et catholiques romains de la Reine dans la province de Québec;

3. Dans toute province où un système d’écoles séparées ou dissidentes existera par la loi, lors de l’union, ou sera subséquemment établi par la législature de la province — il pourra être interjeté appel au gouverneur-général en conseil de toute loi ou décision d’aucune autorité provinciale affectant aucun des droits ou privilèges de la minorité protestante ou catholique romaine des sujets de Sa Majesté relativement à l’éducation;

4. Dans le cas où il ne serait pas décrété telle loi provinciale que, de temps à autre, le gouverneur-général en conseil jugera nécessaire pour donner suite et exécution aux dispositions du présent article, — ou dans le cas où quelque décision du gouverneur-général en conseil, sur appel interjeté en vertu du présent article, ne serait pas mise à exécution par l’autorité provinciale compétente — alors et en tout tel cas, et en tant seulement que les circonstances de chaque cas l’exigeront, le parlement du Canada pourra décréter des lois propres à y remédier pour donner suite et exécution aux dispositions du présent article, ainsi qu’à toute décision rendue par le gouverneur-général en conseil sous l’autorité de ce même article.

[79]           Le PGQ nie le lien entre les articles 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 et 23 de la Charte. Cette négation ne tient tout simplement pas. C’est justement en grande partie parce que la protection des libertés religieuses a été incapable de se transformer, à l’extérieur du Québec, en protection de la langue de la minorité, le français, que le constituant de 1982 a enchâssé le droit à l’éducation dans la langue de la minorité. La juge Wilson l’a bien exprimé au nom de la cour dans l’arrêt P.G. (Qué.) c. Quebec Protestant School Boards[54] :

« L’article 23 de la Charte n’est pas, comme d’autres dispositions du même document constitutionnel, de ceux que l’on rencontre communément dans les chartes et déclarations de droits fondamentaux du même genre. Il n’est pas la codification de droits essentiels, préexistants et plus ou moins universels que l’on voudrait confirmer et peut-être préciser, étendre ou modifier et auxquels on veut surtout conférer une primauté et une intangibilité nouvelles en les enchâssant dans la loi suprême du pays. L’article 23 de la Charte constitue, dans sa spécificité, un ensemble unique de dispositions constitutionnelles, tout à fait particulier au Canada.

Cet ensemble de dispositions, le législateur constituant ne l’a pas édicté dans l’abstrait. Quand il l’a adopté, il connaissait et il avait évidemment à l’esprit le régime juridique réservé aux minorités linguistiques anglophone et francophone relativement à la langue de l’enseignement par les diverses provinces au Canada. Il avait également à l’esprit l’histoire de ces régimes juridiques, tant l’histoire relativement ancienne comme celle du Règlement 17 qui a restreint pour un temps l’enseignement en français dans les écoles séparées de l’Ontario Ottawa Separate Schools Trustees c. Mackell, [1917] A.C. 62 que l’histoire relativement récente comme celle de la Loi 101 et des régimes qui l’ont précédée au Québec. À tort ou à raison, ce n’est pas aux tribunaux qu’il appartient d’en décider, le constituant a manifestement jugé déficients certains des régimes en vigueur au moment où il légiférait, et peut-être même chacun d’entre eux, et il a voulu remédier à ce qu’il considérait comme leurs défauts par des mesures réparatrices uniformes, celles de l’art. 23 de la Charte, auxquelles il conférait en même temps le caractère d’une garantie constitutionnelle. Sans doute est-ce un régime général que le constituant a voulu instaurer au sujet de la langue de l’enseignement par l’art. 23 de la Charte et non pas un régime particulier pour le Québec. Mais, vu l’époque où il a légiféré, et vu surtout la rédaction de l’art. 23 de la Charte lorsqu’on la compare à celle des art. 72 et 73 de la Loi 101, il saute aux yeux que le jeu combiné de ces deux derniers articles est apparu au constituant comme un archétype des régimes à réformer ou que du moins il fallait affecter et qu’il lui a inspiré en grande partie le remède prescrit pour tout le Canada par l’art. 23 de la Charte. »

[80]           Historiquement, la minorité anglophone du Québec a été traitée différemment de la minorité francophone, en Ontario, dans l’Ouest et dans les Maritimes. Elle a bénéficié, par l’entremise d’institutions de la minorité religieuse, de protections linguistiques qui ont été niées à plusieurs communautés francophones.

[81]           Cependant, la communauté protestante ou, plus précisément, les communautés protestantes, n’ont pas exercé un contrôle homogène ni géographiquement ni chronologiquement sur leurs institutions scolaires. Les divers rapports d’experts produits de part et d’autre illustrent la variété et la complexité des modèles pratiqués depuis le début du XIXe siècle. Ces études sont passionnantes pour le féru d’histoire, mais ne permettent pas de fixer dans le temps un modèle qui devrait être suivi pour respecter les dispositions de l’article 23. Elles peuvent cependant inspirer la réflexion.

[82]           Pour simplifier, disons que la situation a évolué de la façon suivante :

[83]           La première loi adoptée par le régime britannique, en 1801, est la Loi de l’Institution royale pour l’avancement des sciences[55]. Cette Loi autorisait le gouverneur à nommer dans chaque paroisse ou comté des commissaires chargés de construire et d'organiser des écoles; à nommer lui-même les maîtres et à déterminer leur salaire; à nommer des syndics pour former la corporation de l'Institution royale chargée de régir en son nom tout ce système d'écoles. Y voyant une menace d'assimilation et de protestantisation, le clergé catholique opposa presque partout de la résistance à l'Institution royale[56].

[84]           Cette loi soumet le système d’éducation au contrôle des autorités religieuses anglicanes en instituant des écoles royales, publiques et gratuites. L’État nomme les commissaires de l’Institution royale qui, dans chaque paroisse, supervisent les écoles élémentaires, le choix des maîtres, des méthodes pédagogiques à tous les ordres d’enseignement[57].

[85]           Le professeur Lemieux y voit « un contrôle quasi complet de l’État sur le système scolaire »[58]. Il conviendra que par la suite, ce contrôle s’est estompé, sinon effacé.

[86]           Les experts MacLeod et Poutanen soulignent quant à eux que cette mainmise de l’Église anglicane rencontrait l’opposition du clergé catholique, mais également celle des autres « dénominations protestantes »[59] :

« 19 Anglicans, representing the “established” Church of England, strove to impose the same official and exclusive status on Protestants in the colony, a move that was naturally opposed by Presbyterians, Methodists, and other Non-conformists. Because these groups were drawn together in common cause, and given their traditional support for public education, Presbyterians and Non-conformists tended to promote a religiously neutral, or non-denominational, form of schooling, whereas Anglicans tended to be hostile to it – much as Catholics were. These tensions played out across Lower Canada through various legislative attempts to create a public education system.

26 The Royal Institution would also appoint a board of school commissioners from among the petitioners who would be responsible for making repairs and ensuring good relations between the teacher and parents.15 These commissioners were in most cases men who had indicated a willingness to serve in such a capacity, and who did so with at least the tacit approval of the community; nevertheless, the Royal Institution’s power to make the final decision rankled people used to having more direct input via community meetings. Indeed, the structure provided by the Royal Institution proved a good deal more centralized than many communities would have wished: too much authority was reserved for the Royal Institution’s board of trustees, which became the owner of school property, the employer of teachers, and the overseer of local commissioners. Some communities clashed with the Royal Institution over this level of control, and over religious disagreements; others held their noses and accepted the financial assistance they were unable, or not yet able, to provide.

27 Because a large segment of the population in the Eastern Townships was Presbyterian or Methodist, opposition mounted; the region’s growing Catholic minority was equally resentful of distant leadership. The Royal Institution’s capacity to appoint commissioners enabled its board to favour the kinds of local officials it preferred – and this furthered local resentment. By the 1820s the Royal Institution was encountering opposition from all sides in most parts of Lower Canada”.

[87]           La Loi fut donc un échec. La législature du Bas-Canada adopte alors la Loi sur les écoles de Fabriques[60] en 1824. Cette Loi permet à une fabrique, c’est-à-dire à des fidèles d’une paroisse regroupés pour administrer les biens de l’Église, de consacrer le quart des revenus de la paroisse à l’entretien et au salaire d’un maître. Il s’agit d’une décentralisation du système. La Loi eut cependant peu d’effet, à cause de l’insuffisance des revenus des fabriques[61].

[88]           En 1829, L’Assemblée législative adopte l’Acte pour encourager l’éducation élémentaire ou Loi dite des écoles de syndics ou d’Assemblée[62]. Cette Loi prévoyait qu'en chaque paroisse ou canton on pouvait élire une commission de syndics, choisis parmi les propriétaires fonciers, pour assurer « le contrôle, la direction, la régie, le maniement et l'administration exclusive des écoles ». La Loi établissait un système de subventions. La législature se réservait cependant un contrôle direct sur tout le système en obligeant ceux qui bénéficiaient de la Loi à lui soumettre un rapport annuel certifié par le député de la circonscription[63].

[89]           La Commission Parent tire trois principes de l’adoption de cette Loi : Le premier est celui de l’intervention de l’État en matière scolaire. Le deuxième est celui d'une décentralisation progressive. Le troisième principe qui guide alors l'État est celui de l'abstention de toute mesure tendant à uniformiser le système scolaire[64].

[90]           Les écoles de syndics cessent cependant d’exister à la veille de la Rébellion de 1837. Il faut attendre 1841, après l’Acte d’union et la publication du Rapport Durham, pour qu’une nouvelle loi soit adoptée, soit l’Acte pour abroger certains actes y mentionnés, et pourvoir plus amplement à l’établissement et au maintien des écoles publiques en cette province[65].

[91]           C’est en vertu de cette Loi que les « commissions scolaires » sont créées. Chaque arrondissement doit élire cinq à sept commissaires pour gérer des écoles sur son territoire. Ces commissaires ont comme responsabilités d’acheter un terrain pour les écoles, de surveiller leur construction, de les entretenir, d’embaucher ses maîtres, d’établir les savoirs à développer et de choisir les manuels.

[92]           Ces écoles sont alors considérées comme des écoles « communes », c’est-à-dire non confessionnelles et susceptibles d’accueillir tous les enfants du territoire, quelles que soient leurs croyances religieuses. La Loi prévoit cependant un droit de dissidence pour les habitants de l’arrondissement. Selon ce droit de dissidence, les membres d’une minorité religieuse insatisfaits de l’administration offerte par leur commission scolaire peuvent se soustraire de sa compétence et établir leurs propres écoles, lesquelles seront dirigées par des syndics élus par les habitants dissidents[66].

[93]           En 1845, la Loi pour l’instruction élémentaire dans le Bas-Canada (1845) [67] confie la gestion des écoles communes à une commission scolaire entièrement indépendante du conseil municipal. Cette Loi réitère aussi le droit de dissidence pour les minorités catholiques et protestantes et exige la mise sur pied de commissions scolaires confessionnelles à Québec et à Montréal, soit des commissions scolaires catholiques et protestantes. L’article XLI prévoit[68] :

« […] dans Québec et dans Montréal, la corporation nommera douze commissaires d’écoles, dont six catholiques romains et six protestants qui formeront deux corporations distinctes de commissaires, l’une pour les catholiques romains, l’autre pour les protestants, et la moitié de chacune des dites corporations sera renouvelée annuellement par ladite corporation ».

[94]           C’est donc le conseil municipal qui nomme les commissaires d’école. Cette situation durera jusqu’en 1972. Les professeurs MacLeod et Poutanen décrivent de la façon suivante les commissaires ainsi nommés :

78 In this respect, virtually anyone living within the city’s jurisdiction was technically eligible for appointment to the boards, although in practice it was the wealthier and well-respected figures that were chosen. On the Protestant side, in Montreal, the first commissioners were not only respectable, but had a clear personal interest in educational matters, something that no doubt influenced their decision to join the board (but did not determine their selection).[69]

[95]           La législation scolaire de 1856[70] permet d'établir des écoles normales et forme le Conseil de l'instruction publique. Ce fut le premier organisme de direction du système scolaire de la province. Ses fonctions consistaient à faire des règlements portant sur les écoles normales, sur la certification des maîtres par les bureaux d'examinateurs, et sur « l'organisation, la gouverne et la discipline des écoles communes »[71].

[96]           Citons la conclusion du rapport de l’expert David Gilles, sur les contextes législatifs des normes relatives au système scolaire précédant la Confédération[72] :

129 [] la succession des lois scolaires durant la première moitié du XIXe siècle n’a pas modifié les fondamentaux mis en place dès la fin du XVIIIe siècle. Un système scolaire évolutif, tour à tour sur des cadres étatiques, puis confessionnels, laissant in fine une place très importante à la logique confessionnelle.

130 Du point de vue de l’administration des systèmes scolaires, en prolongeant la logique juridique, politique et administrative découlant en définitive de la réalité culturelle et démographique du territoire, la tolérance s’impose. Dans le champ éducationnel, l’acceptation de la dissidence est rapidement un souci clairement pris en compte par les législatures successives, qui aménagent de manière assez cohérente la possibilité d’écoles et de commissions scolaires dissidentes sur une base confessionnelle.

131 Une logique scolaire de plus en plus favorable à un prisme local, reposant sur une démocratie scolaire, s’affirme à partir des législatures du Canada-Uni.

132 Néanmoins, les législatures du Canada-Uni, pas davantage que les législatures du Bas-Canada n’estimeront nécessaire de poser des critères spécifiques autres que la propriété et l’appartenance ou non au clergé pour pouvoir participer aux élections scolaires ou se porter candidat. De ce point de vue, ce sont les normes électorales générales qui ont régi cette réalité.

133 Toutefois, en creux, à travers les différentes réformes, commissions et comité, une esquisse très libérale du bon commissaire scolaire se fait timidement jour : propriétaire, bon gestionnaire, implanté localement, moralement honorable, et, dans le cadre des commissions scolaires confessionnelles, possiblement un membre du clergé, tous ces éléments s’avèrent les qualités recherchées, sans qu’elles constituent toutes nécessairement des conditions pour assurer la fonction.

[97]           Citons également les conclusions de la Commission Parent sur l’état du système scolaire à la veille de la Confédération[73] :

« Aux écoles catholiques et protestantes de droit de Montréal et de Québec vinrent s'ajouter les écoles, principalement protestantes, mises sur pied ici et là par le jeu de la dissidence, confessionnelles de droit elles aussi, mais d'une confessionnalité encore plus stricte parce qu'elles pouvaient refuser d'admettre les enfants d'une autre confession religieuse. À côté de ces écoles confessionnelles de droit, les écoles communes de droit devinrent, elles, confessionnelles de fait là où la quasi-totalité de la population était catholique ou protestante aussi bien que dans les endroits où avait surgi une école dissidente.  Ce processus fut accentué par la coïncidence entre les différences de religion et les différences de langue et par le fait qu'en dehors de Montréal et de Québec les deux principaux groupes ethniques et religieux étaient le plus souvent géographiquement séparés l'un de l'autre. Chez les catholiques le clergé et les communautés religieuses se dévouèrent pour combler les lacunes du système et pallièrent par leurs efforts le manque de ressources de leurs compatriotes et l'absence d'intérêt de la population rurale pour le développement de l'instruction. Dès que s'annonça la fin du régime de l'Union, les protestants, constatant qu'ils allaient devenir une minorité dans un Bas-Canada indépendant du Haut-Canada, cherchèrent à consacrer l'autonomie de leurs écoles et l'identité propre du système scolaire qu'ils avaient graduellement édifié. Ainsi, du côté français, le clergé catholique et nombre de laïcs préoccupés de conserver à l'Église le rôle qu'elle jouait dans l'enseignement, et du côté anglais, la population désireuse de sauvegarder l'autonomie de ses écoles, eurent partie liée pour accentuer la confessionnalisation du système et combattre tout effort de l'État pour prendre en main la direction effective de l'enseignement ».

[98]           Dès 1866, dans l’intention d’asseoir leur situation, les anglo-protestants du Québec revendiquèrent ardemment l’enchâssement dans la nouvelle constitution de leur droit à disposer d’un système scolaire autonome et dissocié de celui des franco-catholiques. Prévoyant leur intégration à un espace politique composé en majorité de citoyens de langue française et de culte catholique, ils exigèrent une réponse positive à leur requête. La question scolaire est même devenue une condition sine qua non de l’adhésion des anglo-protestants à la création de l’union canadienne.[74]

[99]           L’Article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867, tout en confiant la responsabilité exclusive de l’éducation aux provinces, comportait des protections pour les groupes confessionnels minoritaires, protestants anglophones au Québec, catholiques francophones hors-Québec. Comme on le sait, les pouvoirs d’intervention du parlement fédéral en faveur des minorités n’ont pas été exercés en faveur des francophones, spoliés de leurs droits.

[100]       L’octroi au législateur québécois, par la Loi constitutionnelle de 1867, du pouvoir exclusif de légiférer en matière d’éducation n’a pas résulté en un système unifié de gestion scolaire. Le premier ministère de l’Instruction publique n’a duré que de 1867 à 1875. Le clergé a ensuite obtenu son abolition au profit d’un « surintendant de l’éducation », qui n’était pas ministre.

[101]       Rappelons qu’il n’y a plus eu au Québec de ministère de l’Éducation avant sa création sous le gouvernement de Jean Lesage, pendant la Révolution tranquille, en 1964. C’est ce que le professeur Lemieux appelle « le grand hiver québécois ».

[102]       En 1869, l’Assemblée législative adopte la Loi pour amender les lois concernant l’Éducation en cette province[75]. Le Conseil de l’instruction publique se compose dorénavant de quatorze catholiques et sept protestants. Cette loi marque l'abandon définitif de la conception d'un conseil unifié qui avait présidé à la loi de 1856. Par la loi de 1869, le Conseil était constitué sur la base confessionnelle et le principe de sa division en deux comités était définitivement accepté[76].

[103]       Après l’abolition du ministère de l’Instruction publique, en 1875, les comités confessionnels du Conseil de l’instruction publique se séparent définitivement et vont opérer de façon indépendante. Il n’y aura aucune réunion du Conseil entre 1908 et 1960[77] !

[104]       Mentionnons que les protestants obtinrent la centralisation de leurs commissions scolaires. Une commission scolaire centrale fut établie à Montréal en 1925 et on tenta de faire de même en région rurale[78].

[105]       L’instruction ne devint obligatoire qu’en 1943, sous le régime d’Adélard Godbout ! Rappelons que l’Instruction est devenue obligatoire en Ontario en 1870 et en France en 1882.

[106]       Le professeur Lemieux conclut :

40 Au moment où est mise en place la Commission Parent, l’état du réseau scolaire québécois est alarmant. Les commissaires font face à l’absence marquée d’une autorité unifiée, à des dualités profondes (religion, langue, sexe, etc.), à une pluralité de programmes d’études, à un sous-financement structurel et à une sous-scolarisation des Canadiens français (Corbo et Couture, 2000). De ce véritable fouillis découlent d’importantes disparités et inégalités au sein de la population québécoise. Comme le rappelle le CSE (2001, p. 14), la population canadienne-française est alors grandement sous-scolarisée en comparaison de celle canadienne-anglaise.

[107]       Le ministère de l’Éducation n’est créé qu’en 1964.

[108]       En 1971, l’Assemblée nationale du Québec adopte la Loi concernant le regroupement et la gestion des commissions scolaires[79]. Elle fusionne alors les quelque 1 100 commissions scolaires locales situées à l’extérieur de l’île de Montréal en 168 commissions scolaires confessionnelles[80]. Cette Loi ne s’applique pas sur l’île de Montréal, et ce n’est que l’année suivante qu’est adoptée, en 1972, la Loi pour assurer le développement scolaire sur l’île de Montréal[81].

[109]       Cette loi regroupe alors les 36 commissions scolaires de l’île en six commissions scolaires catholiques et deux protestantes chargées d’administrer l’enseignement primaire et secondaire[82]. Elle instaure le suffrage universel pour la première fois sur l’île.

[110]       À l’arrivée du Parti québécois au pouvoir, le gouvernement conçoit de restructurer les commissions scolaires en fonction de la langue, plutôt que de la religion. Le projet de loi No. 3 est adopté à cet effet en 1984[83]. La Loi est cependant jugée inconstitutionnelle[84].

[111]       Par la suite, le nouveau ministre libéral de l’Éducation, M. Claude Ryan, fait adopter la Loi sur l'instruction publique[85] qui propose de déconfessionnaliser l’ensemble des commissions scolaires, mais de maintenir le droit à la dissidence pour les minorités de leur territoire. Avant de procéder à sa mise en œuvre, le gouvernement attend que la Cour d’appel, puis la Cour suprême, établissent la constitutionnalité de la loi. Le jugement est rendu en juin 1993 [86]: rien ne s’oppose à la mise en place des commissions scolaires linguistiques dans la mesure où le gouvernement maintient le droit à la dissidence, de même que les commissions scolaires confessionnelles de Québec et de Montréal[87].

[112]       En 1995, le gouvernement convoque la Commission des États généraux sur l’éducation. Dans son rapport final, cette commission recommande de :

  • Transformer les commissions scolaires confessionnelles en commissions scolaires linguistiques;
  • Entreprendre les démarches pour l’abrogation de l’article 93 de la Constitution canadienne, en vue de l’abolition des structures et des mécanismes actuels en matière de confessionnalité du système scolaire;
  • Inviter les groupes qui disposent actuellement de garanties en matière confessionnelle à mettre en place les mécanismes qui permettront que l’éducation chrétienne soit assumée dans des lieux plus appropriés que l’école[88].

[113]       Dans la foulée de ce rapport, l’Assemblée nationale du Québec adopte à l’unanimité le 15 avril 1997 une résolution visant à mettre fin à l’application au Québec des paragraphes 1 à 4 de l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[114]       Une telle modification constitutionnelle doit obtenir l’approbation des deux parlements[89]. Les débats dans les deux parlements sont instructifs.

[115]       Devant l’Assemblée nationale, la ministre de l’Éducation, Mme Pauline Marois, déclare[90] :

« Il y a un second objectif qui concerne, à ce moment-ci, la communauté anglophone : c'est bien sûr que celle-ci souhaite la maîtrise et le contrôle de ses écoles. Elle nous l'a dit à plusieurs reprises, c'est même inscrit dans la Charte des droits qu'elle peut avoir le droit de contrôler ses institutions. Donc, dans ce sens, nous croyons que l'implantation de commissions scolaires sur une base linguistique va faciliter la rencontre de cet objectif, va le permettre. J'ai rencontré effectivement plusieurs organismes; je reviendrai sur la consultation plus tard, M. le Président. J'ai effectivement rencontré plusieurs organismes et, entre autres, des représentants de la communauté anglophone de l'Estrie où c'était particulièrement intéressant de les entendre. Mais, pour eux, c'était un cri du coeur, un cri d'alarme qu'on nous lançait en nous disant: Écoutez, on a l'impression que notre communauté s'effrite littéralement et nous croyons que cela nous permettrait de maintenir un noyau suffisamment important pour assurer la pérennité de notre culture et de notre présence dans cette région, par exemple. Donc, deuxième objectif ».

[116]       Elle répète quelques mois plus tard[91] :

« Le deuxième fondement de cette politique, c'est de permettre à la communauté anglophone de gérer ses institutions, d'avoir la responsabilité de l'ensemble de son réseau scolaire, ce que lui reconnaît la Charte, ce que nous sommes prêts à lui reconnaître, en utilisant le moyen le plus rapide qu'est cet amendement, cette motion qu'a proposée mon collègue le ministre responsable du dossier des Affaires intergouvernementales canadiennes. Alors donc, en ce sens-là, ce sont les fondements qui nous amènent à souhaiter que nous modifiions l'article 93. »

(Le Tribunal souligne)

[117]       Le texte de la proposition de l’Assemblée nationale, qui inclut l’amendement déposé par l’opposition libérale ajoutant le deuxième considérant, se lit :

« Considérant que le gouvernement entend mettre en place dans les meilleurs délais des commissions scolaires linguistiques;

Considérant qu'en ce faisant l'Assemblée nationale du Québec réaffirme les droits consacrés de la communauté québécoise d'expression anglaise. En particulier, considérant que les Québécois dont les enfants sont admissibles selon le chapitre VIII de la Charte de la langue française ont le droit de les faire instruire dans des établissements de langue anglaise que cette communauté gère et contrôle, conformément à la loi, et qui sont financés à même les fonds publics;

Considérant qu'à cette fin une modification de la Loi constitutionnelle de 1867 est souhaitable pour que le Québec récupère sa pleine capacité d'action en matière d'éducation;

Considérant qu'une telle modification ne constitue en aucune façon une reconnaissance par l'Assemblée nationale de la Loi constitutionnelle de 1982 qui fut adoptée sans son consentement;

Considérant que les engagements pris par le gouvernement fédéral de donner suite rapidement à une telle modification de façon bilatérale avec l'accord de l'Assemblée nationale et du Parlement fédéral;

En conséquence, que l'Assemblée nationale autorise la modification de la Constitution du Canada par proclamation de Son Excellence le gouverneur général sous le grand sceau du Canada, en conformité avec le texte suivant :

Modification de la Constitution du Canada. Loi constitutionnelle de 1867.

1. La Loi constitutionnelle de 1867 est modifiée par l'insertion, après l'article 93, de ce qui suit : « 93A. Les paragraphes (1) à (4) de l'article 93 ne s'appliquent pas au Québec. » »

        (Le Tribunal souligne)

[118]       La proposition du Québec est adoptée à l’unanimité, puis soumise au Parlement. Témoignant devant le Comité mixte spécial de la Chambre des communes et du Sénat, pour modifier l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 concernant le système scolaire au Québec, Mme Marois réitère[92] :

« Le deuxième considérant de la résolution, auquel l’opposition officielle a grandement contribué, fait état du fait que l’Assemblée nationale réaffirme les droits consacrés de la communauté québécoise d’expression anglaise. Bien que l’article 93, et plusieurs groupes sont venus le dire ici, protège des droits confessionnels et non des droits linguistiques, l’Assemblée nationale était tout de même consciente de la nécessité de rassurer la minorité anglophone du Québec quant à la gestion de son réseau scolaire ».

                   (Le Tribunal souligne)

[119]       Les interventions des parlementaires fédéraux sont instructives. Mentionnons tout d’abord la relation étroite entre la communauté anglophone et le système scolaire confessionnel protestant. Le ministre des Affaires intergouvernementales, M. Stéphane Dion fait ce lien[93] :

« [traduction] S'il est vrai que l'article 93 ne protège pas les droits linguistiques, il n'en est pas moins vrai que la langue et la confessionnalité sont intimement liées sur le plan historique. Par le passé, la minorité anglophone du Québec s'est fortement appuyée sur les commissions scolaires protestantes pour assurer son épanouissement. La modification constitutionnelle proposée aujourd'hui ne va pas à l'encontre des intérêts de cette communauté, bien au contraire. En effet, l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés continuera d'offrir de fortes garanties constitutionnelles aux anglophones du Québec.

Tandis que l'article 93 garantit l'existence de structures de gestion confessionnelles à Montréal et à Québec ainsi que le droit à la dissidence dans le reste de la province, l'article 23 permet à la minorité de contrôler et de gérer les structures scolaires linguistiques.

D'autre part, la création de commissions scolaires linguistiques permettra à la communauté anglophone de consolider ses effectifs et donc de faire reposer sur des assises plus solides les droits que lui confère l'article 23 ».

[120]       Le 17 novembre, il réitère[94] :

« 1205 À cet égard, je répète que la minorité anglophone du Québec, qui a traditionnellement contrôlé et géré son propre réseau scolaire grâce aux protections accordées aux protestants en vertu de l'article 93, peut appuyer la modification de cet article en toute confiance puisque ses droits sont mieux protégés depuis l'entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982, plus particulièrement de l'article 23 de la Charte des droits et libertés ».

[121]       Devant le Sénat, le sénateur John Lynch-Staunton fait également le lien entre communauté anglophone et minorité protestante[95] :

« Les garanties énoncées à l'article 93 ne visent que les questions confessionnelles, mais le système scolaire qui en a résulté au Québec n'en est pas moins essentiellement de nature linguistique. On n'entend pas souvent les gens dire qu'ils vont à une école catholique ou protestante de nos jours. Ils vont plutôt parler d'école française ou anglaise. Il était donc inévitable que le comité soit amené à débattre des répercussions qu'aurait une modification de l'article 93 sur les droits linguistiques, en particulier les droits revendiqués par la minorité ».

[122]       Le député du Bloc québécois, M. Réal Ménard exprime son appui au projet dans ces termes, en insistant sur l’adhésion de la communauté anglophone[96] :

« Donc, on reconnaît que—et je suis heureux que le chef de l'opposition ait lu la motion de l'Assemblée nationale—la communauté anglophone ou la communauté d'expression anglaise, selon l'expression que l'on privilégie, a le droit à des structures scolaires qui lui appartiennent, à l'éducation, de la maternelle à l'université, selon un critère de qualification qu'on retrouve à l'article 73 la Charte de la langue française. Cela n'est pas remis en cause. D'ailleurs, de façon générale, je pense que je ne me trompe pas en pensant que la communauté anglophone, par la voix d'un certain nombre de ses porte-parole, a accueilli plutôt positivement le fait que, dans le fond, ce que vont lui apporter les commissions scolaires linguistiques, c'est un contrôle accru sur ses institutions. C'est ce que cela voudra dire pour la communauté anglophone ».

[123]       Il va répéter ces propos le 17 novembre 1997[97] :

« Ce n'est pas étonnant, et on peut le mettre dans la balance aujourd'hui, que la communauté anglophone, règle générale, soit extrêmement solidaire de cet amendement pour deux raisons. D'abord, parce que cela lui donne un accès accru, et en termes de gestion, cela veut dire encore plus que ce que la communauté anglophone a en ce moment. »

[124]       M. Dion fait écho à ses propos alors qu’il témoigne devant le Sénat[98] :

« Les constitutions existent pour protéger un certain nombre de droits, mais aussi pour permettre à une société d'évoluer. Dans le cas présent, nous avons des appuis très clairs chez les protestants, mais nous n'avons pas leur appui unanime. Si vous recherchez l'unanimité, vous ne ferez jamais aucun changement, que ce soit en termes de loi, de règlement ou de constitution. Je ne peux pas vous dire que les franco-protestants appuient l'amendement. Je sais qu'il y a un appui raisonnable au sein des protestants, des anglophones, des francophones et des catholiques. Il y a certainement des composantes de la société qui ne sont pas d'accord. Mais dans l'ensemble, il y a un fort consensus pour ce changement au Québec ».

[125]       Plusieurs sénateurs vont faire état de ce consensus qui existe quant à la nécessité et à l’opportunité du changement constitutionnel proposé[99].

[126]       La résolution adoptée par le Parlement se lit :

ATTENDU : que le gouvernement du Québec a fait connaître son intention de mettre en place des commissions scolaires linguistiques francophones et anglophones au Québec;

que l'Assemblée nationale du Québec a adopté une résolution autorisant la modification de la Constitution du Canada;

que l'Assemblée nationale du Québec a réaffirmé les droits consacrés de la communauté québécoise d'expression anglaise, notamment le droit, exercé conformément aux lois du Québec, des membres de cette communauté de faire instruire leurs enfants dans des établissements de langue anglaise que cette communauté gère et contrôle et qui sont financés à même les fonds publics;

que l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés garantit aux citoyens partout au Canada des droits à l'instruction dans la langue de la minorité et à des établissements d'enseignement que la minorité linguistique gère et contrôle et financés sur les fonds publics;

que l'article 43 de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit que la Constitution du Canada peut être modifiée par proclamation du gouverneur général sous le grand sceau du Canada, autorisée par des résolutions du Sénat, de la Chambre des communes et de l'Assemblée législative de chaque province concernée;

La Chambre des communes a résolu d'autoriser la modification de la Constitution du Canada par proclamation de son Excellence le gouverneur général sous le grand sceau du Canada, en conformité avec l'annexe ci-jointe.

ANNEXE

MODIFICATION DE LA CONSTITUTION DU CANADA.

LOI CONSTITUTIONNELLE DE 1867.

1. La Loi constitutionnelle de 1867 est modifiée par l'insertion, après l'article 93, de ce qui suit:

« 93A. Les paragraphes (1) à (4) de l'article 93 ne s'appliquent pas au Québec. »

TITRE

2. Titre de la présente modification : « Modification constitutionnelle de (année de proclamation) (Québec) »

[127]       Cette résolution a reçu l’appui de 204 députés contre 59 à la Chambre des communes et de 51 sénateurs contre 17 avec 2 abstentions, le 15 décembre 1997. Seul un député québécois a voté contre.

[128]       Le 19 juin 1997, l’Assemblée nationale adopte la Loi modifiant la Loi sur l'instruction publique, la Loi sur les élections scolaires et d'autres dispositions législatives[100] qui officialise la mise sur pied des commissions scolaires linguistiques. Elle sera en vigueur le 1er juillet 1998. 

[129]       Le 19 décembre 1997, elle adopte la Loi modifiant la Loi sur l'instruction publique et diverses dispositions législatives[101].

[130]       Cette Loi décentralise les rôles et responsabilités jusque-là dévolus aux instances intermédiaires en direction des instances locales, cherchant à répondre à une critique voulant que le système scolaire soit trop centralisé, rigide et inefficace. Elle vise l’augmentation de l’autonomie des établissements scolaires [102].

[131]       La commission scolaire conserve son pouvoir de contrôle et de surveillance, de même que ses responsabilités au regard des services éducatifs. Elle conserve ses fonctions d’organisation des services éducatifs, d’attribution des diverses ressources aux établissements, de soutien à ceux-ci, d’employeur du personnel, de propriétaire des immeubles et de nomination des gestionnaires d’établissement. Elle est confirmée comme l’intermédiaire unique entre le ministre et les établissements dans l’évaluation des programmes et du fonctionnement du système[103].

[132]       Au début de XXIe siècle, le rôle politique des commissions scolaires devient contesté notamment à cause du faible taux de participation aux élections scolaires de 2003 (8,1 % chez les francophones et 14,6 % chez les anglophones) et de 2007 (7,2 % chez les francophones et 16,7 % chez les anglophones). L’ADQ en propose l’abolition. La Coalition Avenir Québec l’inscrit dans son programme électoral et propose leur remplacement par une structure plus souple, ainsi qu’un transfert de leurs ressources vers les établissements scolaires.

[133]       La ministre de l’Éducation, Mme Michelle Courchesne convoque, en 2008, le Forum sur la démocratie scolaire et la gouvernance des commissions scolaires[104]. Elle fait adopter la Loi modifiant la Loi sur l'instruction publique et d'autres dispositions législatives[105] établissant que le conseil d’une commission scolaire, tout en étant formé d’un nombre moindre de commissaires, serait composé d’un plus grand nombre de représentants de parents et que le président de la commission scolaire serait dorénavant élu par l’ensemble des électeurs de la commission scolaire.

[134]       La participation aux élections scolaires de 2014 est de 5,34 % chez les francophones et 18,02 % chez les anglophones.

[135]       D’autres modifications mineures sont effectuées à la LIP, jusqu’à ce que le gouvernement de la CAQ fasse adopter la Loi.

[136]       Quelles conclusions tirer, pour nos fins, de ce survol historique ?

[137]       Depuis près de deux siècles, le système scolaire québécois est divisé en deux groupes : d’abord catholiques et protestants, puis francophones et anglophones. Ces deux groupes gèrent leurs institutions scolaires au niveau local. Avant la Révolution tranquille, le rôle de l’État était limité. Certes, il assumait une partie des coûts liés à l’éducation et mettait en place des programmes, mais il laissait à l’Église catholique le soin d’assurer l’éducation de ses fidèles, laissant du même coup beaucoup de latitude aux protestants. Les « protestants » étaient très majoritairement anglophones.

[138]       Les structures de gestion locales n’étaient pas uniformes. Les commissaires scolaires de Montréal et Québec, d’où provient la majorité des élèves, étaient désignés par les conseillers municipaux de ces villes. La démocratie directe n’y sera instaurée qu’en 1972. Les représentants de la minorité protestante sont nommés sans égard à leur statut de parent.

[139]       Dans les autres régions du Québec, le mode d’implication de la communauté est plus démocratique, les lois scolaires prévoyant l’élection des commissaires ou syndics. Dans ces régions, la gestion démocratique était largement inspirée par le modèle importé de Nouvelle-Angleterre, d’où provenaient bon nombre de Loyalistes. Ces communautés protestantes, le plus souvent non-anglicanes, étaient rompues à une approche très communautaire, démocratique, et très axée sur l’éducation, plutôt que sur la pratique religieuse elle-même, qui était une affaire plus personnelle, se prêtant mal à la présence de plusieurs confessions protestantes sur un même territoire.

[140]       Quel que soit le modèle, il ressort que la gestion des institutions scolaires est l’affaire de la communauté, qui désigne ses représentants parmi ses « notables » et sans égard à leur statut de parent d’élève.

[141]       Il ne fait pas de doute que les anglophones s’identifiaient majoritairement au groupe protestant, même si les Irlandais et autres catholiques anglophones avaient également leurs écoles.

[142]       L’enchâssement des droits de cette minorité protestante est un facteur important de son adhésion au pacte confédératif. Contrairement aux minorités catholiques francophones, elle ne sera pas trompée.

[143]       L’adoption de la Charte de la langue française[106] tarira la source de nouveaux élèves en obligeant les nouveaux Québécois à fréquenter l’école en français, mais ne leur fera pas perdre d’acquis au niveau de la gestion des institutions.

[144]       L’adoption de l’article 23 de la Charte rétablira une clientèle provenant du reste du Canada et enchâssera le droit au contrôle et à la gestion des institutions scolaires, comme l’avait fait l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[145]       La mise sur pied de structures linguistiques plutôt que confessionnelles va achever la modernisation du système scolaire.

[146]       Le gouvernement du Québec a rallié la majorité des anglophones et des protestants à ce projet en leur garantissant le maintien du pouvoir de gestion et de contrôle de leurs institutions scolaires. Les parlementaires ont fait état d’un large « consensus » sur la réforme.

[147]       Cet engagement de maintenir la gestion et le contrôle des institutions par la minorité doit nécessairement guider l’interprétation de l’article 23 à la situation.

[148]       Rappelons ce qu’écrivaient les juges majoritaires dans le Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.) :[107]

Il faut noter en passant, comme l'a indiqué notre Cour dans l'arrêt Ford c. Québec (Procureur général), 1988 CanLII 19 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 712, aux pp. 777 et 778, que l'accent mis sur le contexte historique de la langue et de la culture indique qu'il peut bien être nécessaire d'adopter des méthodes d'interprétation différentes dans divers ressorts qui tiennent compte de la dynamique linguistique particulière à chaque province.

       (Le Tribunal souligne)

[149]       Concurremment à l’objet de l’article 23 qui permet de « réparer » les injustices faites aux francophones hors-Québec, il doit être, au Québec, d’empêcher l’érosion des droits qu’ont acquis, au fil des siècles, les anglophones québécois à la gestion et au contrôle de leurs institutions scolaires.

[150]       Comme l’ont écrit les professeurs Guillaume Rousseau et Éric Poirier au sujet de l’article 23 et de son application au Québec[108] :

« Plutôt que d'engendrer des changements comme dans les autres provinces, (l’article 23) a pour effet au Québec de protéger des institutions déjà existantes ».

e)     Le contexte géographique 

[151]       Il faut interpréter l’article 23 non seulement dans le temps, mais également dans l’espace[109].

[152]       De la même façon que l’histoire des communautés anglophones diffère suivant qu’elles soient en milieu rural ou urbain, il apparaît que les neuf commissions scolaires vivent aujourd’hui des réalités très différentes les unes des autres.

[153]       Deux d’entre elles, en milieu urbain, comptent plus de 80 000 électeurs : La Commission scolaire English Montreal couvre un territoire correspondant à celui de la Ville de Montréal, moins les arrondissements de Verdun Ile des Sœurs, Lasalle, Lachine, et ceux de l’ouest, de même que les villes de Westmount, Ville Mont-Royal, Cote-St-Luc, Hampstead, Montréal-Ouest et Montréal-Est. Elle compte plus de 81 000 électeurs[110].

[154]       La Commission scolaire Lester B. Pearson, qui englobe le West-Island et les autres arrondissements de Montréal, de même que le territoire de la Municipalité régionale de Comté de Vaudreuil-Soulanges, compte plus de 80 000 électeurs.

[155]       Ces deux commissions scolaires représentent 57 % du total des électeurs anglophones recensés par QESBA. Leur territoire est relativement restreint.

[156]       En s’éloignant de l’île de Montréal, on retrouve deux commissions scolaires de taille moyenne, soit la Commission scolaire Wilfrid Laurier, qui compte 37 485 électeurs et la Commission scolaire Riverside, et ses 24 397 électeurs.

[157]       La Commission scolaire Wilfrid Laurier couvre le territoire de Laval, ainsi que la couronne nord de Montréal, et s’étend sur toutes les Laurentides et Lanaudière. Ceci représente 17 MRC et 135 municipalités.

[158]       La commission scolaire Riverside couvre l’essentiel de la Rive-Sud de Montréal, de St-Isidore à Sorel-Tracy et inclut St-Jean-sur-Richelieu et Saint-Hyacinthe. Elle couvre le territoire de sept MRC et 175 municipalités.

[159]       La Commission scolaire Western Quebec, avec ses 16 684 électeurs couvre l’Outaouais québécois, le Pontiac, l’Abitibi et le Témiscamingue, soit huit MRC et 147 municipalités.

[160]       La Commission scolaire Eastern Townships, avec ses 17 019 électeurs, couvre un territoire moins étendu, qui englobe néanmoins toute l’Estrie, la partie est de la Montérégie, et une partie du Centre-du-Québec. Ceci représente 14 MRC et 175 municipalités.

[161]       La Commission scolaire Central Quebec compte 11 387 électeurs. Son territoire comprend la grande région de Québec, Charlevoix, le Saguenay-Lac-Saint-Jean, Chaudière-Appalaches, la Mauricie, une partie du Centre-du-Québec, ainsi que le Grand Nord du Québec. Elle couvre 25 MRC et 220 municipalités. Sa superficie est supérieure à celle de l’Allemagne[111].

[162]       La Commission scolaire New Frontiers compte 10 154 électeurs et se situe dans le coin sud-ouest du Québec, en Montérégie. 4 000 élèves fréquentent ses établissements. Son territoire couvre quatre MRC et 21 municipalités.

[163]       Finalement, la Commission scolaire Eastern Shores, avec 4 434 électeurs, couvre les deux rives du Saint-Laurent et du Golfe, à l’extrême est du Québec, dans le Bas-St-Laurent, la Gaspésie, les Îles-de-la-Madeleine et la Côte-Nord, à l’exception du territoire du Centre de services scolaire du Littoral, qui a un statut particulier. Elle englobe 12 MRC et 120 municipalités. 1 077 élèves étaient inscrits dans ses écoles et centres de formation en 2019-2020.

[164]       L’immensité du territoire couvert par les sept commissions scolaires extérieures à l’île de Montréal saute aux yeux.

[165]       À titre de comparaison, il y a actuellement 61 centres de services scolaires francophones.

[166]       Non seulement la géographie pose-t-elle des défis particuliers, mais la population anglophone de ces régions vit-elle une situation particulière, différente de celle de la région de  Montréal.

[167]       Le rapport d’expert de Diane Gérin-Lajoie[112] étudie ce phénomène. Elle note :

11 [] the difference between the situation of Anglophone minority populations in the Montreal area and the situation of Anglophones living outside of Montreal, in the province’s regions. In fact, Quebec’s English-language official minority is composed of several communities whose everyday lived experiences differ. Those experiences have a definite impact on the vitality of the communities (Gérin-Lajoie, 2011, 2016). The research I have conducted in Quebec since 2005 indicates, without any doubt, the presence of diverse English-language communities in Quebec. Through individual, in-depth interviews with more than 100 participants, my research has found that members of Quebec’s English-language communities live very different realities. In addition, the vitality of the communities depends on the members’ access to resources (such as bookstores, community centres, theater, etc.) and services in the minority language and on the existence of established Anglophone institutions in the areas they live. For an Anglophone, to live in the region of la Mauricie, for example, is quite different from living in Montreal. It is also worth noting that even Anglophones in Montreal do not see themselves as one large homogeneous community, as often portrayed. Anglophones from the West Island, Verdun and in the East end of Montreal, for example, do not share the same social, linguistic, cultural and economic experiences (Gérin-Lajoie, 2011)

12 My findings, over the course of my three programs of qualitative research in English minority language schools (2005-2008; 2009-2012; 2013-2016), lead to the conclusion that disparities exist between Montreal and the rest of the province and those disparities have a direct impact on the use of language and the vitality of the linguistic minority group. Anglophones living in regions are isolated. Lamarre (2012) explains that, contrary to the situation in Montreal where Anglophones have better institutional support, Anglophones outside of Montreal who are dispersed on large territories face the same problems as Francophones do outside of Quebec: little access to services in English, a lack of resources, such as bookstores, community centres, theater, etc. and the absence of institutional support.

[168]       Ces problèmes de dispersion et de manque de vitalité de la communauté anglophone à l’extérieur de Montréal ne sont pas sans conséquence sur l’atteinte que porte la Loi aux droits garantis par l’article 23.

f)       La gestion et le contrôle des institutions scolaires par la minorité

[169]       À l’exception de la contestation de l’article 212 de la Loi, qui porte sur le statut d’électeur et d’ayant-droit, tous les articles contestés comme portant atteinte aux droits de l’article 23 concernent le pouvoir exclusif de gestion et de contrôle de ses institutions scolaires par la minorité.

[170]       Le passage de l’arrêt Mahe qui fonde cet argument a déjà été énoncé. Il convient de le reprendre :

« Les représentants de la minorité linguistique devraient avoir le pouvoir exclusif de prendre des décisions concernant l'instruction dans sa langue et les établissements où elle est dispensée, notamment :

les dépenses de fonds prévus pour cette instruction et ces établissements;

la nomination et la direction des personnes chargées de l'administration de cette instruction et de ces établissements;

l'établissement de programmes scolaires;

le recrutement et l'affectation du personnel, notamment des professeurs; et

e) la conclusion d'accords pour l'enseignement et les services dispensés aux élèves de la minorité linguistique. »

[171]       Peu de décisions ont analysé la législation provinciale eu égard à cette notion de gestion et de contrôle. La Cour suprême écrivait à ce sujet « qu’il n’était pas possible de donner des détails exhaustifs principalement en raison de l’échelle variable des droits et du besoin d’adapter les modalités à la situation particulière de chaque province ou territoire[113]. »

[172]       Signalons toutefois que cette notion de gestion et de contrôle avait fait l’objet d’un examen judiciaire relativement à la constitutionalité de la Loi No. 3 en 1984, eu égard à l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867. Le juge André Brossard, alors en Cour supérieure, avait jugé au sujet des droits ainsi protégés [114]:

“that the rights and privileges protected by s. 93(1) and (2) of the Constitution Act, 1867 include the right to elect their own trustees, the right to possess and manage their own denominational schools, the right of control over and the right to choose teaching staff within certain legislative limits, the right of visitation by the religious authorities of their denomination, the exclusive right to the choice of books of religion by the ecclesiastical authorities of their denomination, the unlimited power of taxation of their co-religionists and a discretionary power of borrowing within limits determined by law”.

      (Le Tribunal souligne)
 

[173]       Le juge Vickers de la Cour suprême de Colombie-Britannique s’est penché sur certaines de ces questions dans l’affaire L'association Des Parents Francophones De La Colombie- Britannique, La Federation Des Francophones De La Colombie-Britannique v. Woods, notamment sur la question du financement.[115]

[174]       Dans l’affaire Hak[116], la notion de gestion et de contrôle a été étudiée relativement à l’embauche du personnel enseignant et l’entrave à la liberté d’embauche que posaient les exigences de laïcité de la Loi sur la laïcité de l'État[117], ce qui n’éclaire pas les questions ici en litige, mais illustre la variété des situations visées par ce pouvoir exclusif.

[175]       D’autres affaires ont étudié le pouvoir des commissions scolaires minoritaires d’admettre des élèves qui ne sont pas des enfants d’ayants-droits.[118]

[176]       Dans l’arrêt Arsenault-Cameron, la Cour a décidé que l’offre de classes ou d’un établissement relevait du pouvoir exclusif de gestion de la minorité et que le pouvoir discrétionnaire du ministre se limitait à vérifier si la commission avait satisfait aux exigences provinciales[119].

[177]       La Cour suprême a par ailleurs répété qu’il existe une limite à ce contrôle exclusif, dans l’arrêt Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale)[120] :

[68] Cela dit, notre Cour a récemment confirmé que, même si « elle reconnaît l’importance des droits linguistiques, la Charte reconnaît par ailleurs l’importance du respect des pouvoirs constitutionnels des provinces » : Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2013 CSC 42 (CanLII), [2013] 2 R.C.S. 774, par. 56. Selon l’art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867, les législatures provinciales ont le pouvoir de décréter des lois relatives à l’éducation. Le fédéralisme demeure une caractéristique notable en matière de droits des minorités linguistiques. Comme l’a affirmé notre Cour dans l’arrêt Solski, qui confirmait une loi du Québec exigeant qu’un élève ait reçu la « majeure partie » de son enseignement en anglais pour pouvoir fréquenter une école de langue anglaise financée à même les fonds publics :

Étant donné que l’éducation est un chef de compétence provinciale, chacune des provinces a un intérêt légitime dans la prestation et la réglementation de services d’enseignement dans la langue de la minorité [...]

Le gouvernement provincial appelé à légiférer en matière d’éducation doit disposer de la latitude suffisante pour assurer la protection de la langue française tout en respectant les objectifs de l’art. 23. Comme l’a souligné le juge en chef Lamer dans le Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), p. 851, « il peut bien être nécessaire d’adopter des méthodes d’interprétation différentes dans divers ressorts qui tiennent compte de la dynamique linguistique particulière à chaque province ».

[178]       Dans cet arrêt, la Cour a confirmé qu’il revenait au gouvernement de décider si les parents non-ayants-droits pouvaient faire instruire les enfants dans la langue de la minorité, question réglée au Québec. Le gouvernement provincial peut d’ailleurs déléguer ce pouvoir à la commission scolaire[121].

[179]       Les dispositions dont les demandeurs demandent la nullité portent-elles atteinte au pouvoir exclusif de contrôle et de gestion ou sont-elles au contraire la manifestation du pouvoir constitutionnel de l’Assemblée nationale de légiférer en matière d’éducation ?

[180]       Rappelons avant d’entreprendre l’étude des dispositions en question que ce pouvoir discrétionnaire doit s’exercer « pour assurer la protection de la langue anglaise », pour paraphraser la Cour suprême. Comme nous le verrons plus loin en détail, ce pouvoir doit s’exercer pour répondre aux besoins et préoccupations de la minorité.

[181]       Étudions maintenant les motifs invoqués par les demandeurs pour rechercher la nullité des dispositions attaquées.

i.            Les exigences relatives à l’éligibilité

[182]       En vertu de l’article 50 de la Loi, la moitié des membres du conseil d’administration du centre de services scolaire doit non seulement être constituée de parents d’un élève fréquentant un établissement relevant du centre de services scolaire, qui ne sont pas membres du personnel du centre de services scolaire mais également qui siègent à ce titre au conseil d’établissement d’une école ou d’un centre de formation professionnelle.

[183]       Toujours en vertu du même article, les « représentants de la communauté », qui constituent du quart au tiers du conseil d’administration doivent provenir des catégories sociales suivantes :

a) au moins une personne ayant une expertise en matière de gouvernance, d’éthique, de gestion des risques ou de gestion des ressources humaines;

b) au moins une personne ayant une expertise en matière financière ou comptable ou en gestion des ressources financières ou matérielles;

c) au moins une personne issue du milieu communautaire, municipal, sportif, culturel, de la santé, des services sociaux ou des affaires;

d) au moins une personne âgée de 18 à 35 ans.

[184]       L’article 208 de la Loi, qui ajoute les articles 11.0.1 et 11.0.2 à la Loi sur les élections scolaires visant certains membres des conseils d'administration des centres de services scolaires anglophones, vient compléter les dispositions de la LIP en déterminant l’ordre dans lequel les profils des candidats doivent être remplis, si leur nombre est supérieur à 4.

[185]       Les demandeurs font valoir que ces dispositions limitent indûment le droit des ayants-droits de l’article 23 à se présenter aux élections scolaires. Selon eux, le droit de vote donne, comme aux élections provinciales et fédérales, le droit de se présenter à l’élection. Ils donnent en exemple la législation ou la réglementation en vigueur dans toutes les autres provinces et les territoires[122].

[186]       Ce droit de se présenter aux élections est, selon eux, au cœur de la participation communautaire et de la gestion des institutions scolaires.

[187]       Les demandeurs contestent l’exigence voulant que seuls les représentants des parents puissent siéger à titre de président ou vice-président d’un conseil d’administration. Non seulement faut-il être parent d’élève, mais encore faut-il siéger au conseil d’établissement Ces exigences limitent considérablement le nombre de personnes pouvant se présenter.

[188]       En totalisant le nombre de parents d’élèves dans les écoles (268) et les centres de formation (31) qui peuvent être membres des conseils d’établissement ils arrivent à un chiffre variant entre 1 134 et 4 093. Alors qu’à l’heure actuelle, 270 000 personnes environ sont inscrites sur les listes électorales, cela représente une diminution de 99 % des candidats potentiels.

[189]       L’expert Loewen explique que la Loi réduit « mécaniquement » le nombre de candidats potentiels[123]. L’expert Lemieux, retenu par le PGQ, est d’accord avec ces calculs :

148. La démonstration de l’effet mécanique est très convaincante. Les nouvelles règles entourant la mise en candidature des membres des CA des CSS réduisent sans contredit le bassin de candidats potentiels. Nous pourrions peut-être même affirmer qu’il s’agissait-là d’une intention du législateur au regard du nouveau modèle de gouvernance proposé, lequel souhaitait remplacer l’adresse civique comme premier critère de qualification par d’autres critères s’appuyant principalement sur le statut du candidat ou sur son expertise[124].

[190]       Les demandeurs soulignent également que seuls les parents d’élèves sont élus par circonscription, les autres membres étant élus pour l’ensemble du territoire de la commission ou centre de services scolaire.

[191]       Le professeur Loewen estime que ces membres, représentant la « communauté », ne représentent qu’environ 50 % des personnes actuellement éligibles au poste de conseiller[125].

[192]       Plusieurs affiants, qui siègent présentement à des conseils scolaires, témoignent de la difficulté qu’ils envisagent de siéger avec les nouvelles exigences.

[193]       Deborah Cornforth, qui a été commissaire au Central Quebec School Board pendant six ans et présidente du conseil d’établissement de son enfant explique[126] :

4 In my experience, the level of involvement of parents at the board level is quite low. It is hard to convince parents with children in school to commit to do more (on top of taking care of their children and working full time), as they already have a lot of responsibilities. Even at the governing board level, I have found that it is very difficult to find parents willing to replace me on the various committees that I am on. I feel that after almost a decade of significant involvement on the governing board, I have too many responsibilities and would like to leave room for others to participate more at the school level.

7 There are 11 wards at the CQSB. I cannot imagine that the CQSB would ever be able to find 11 parent representatives under Bill 40; we often do not even have 11 parents at the Parents Committee meetings, and the responsibilities and time commitment that come with being on the Parents Committee are significantly less than being a commissioner.

[194]       Le demandeur Adam Gordon, président du comité des parents du Sir Wilfrid Laurier School, commissaire et vice-président du conseil du Sir Wilfrid Laurier School Board explique quant à lui[127] :

9 In my experience, while there are parents with children in school, like myself, willing to take on extra responsibilities beyond the level of the school, these persons are few and far between. There have been years where several schools did not even have representatives on the SWLSB Parents’ Committee. Most parents simply tell me they do not have the time to take on extra roles. This is particularly the case the further north of Laval you go, where there is the additional challenge of the time it takes to commute to Board meetings (though the situation is currently different because of the pandemic and meetings are held virtually).

10 In October and November 2020, I actively participated in getting the word out about the school board elections and encouraging people to run. I spoke to many parents with children in school, including parents who had previously served on governing boards. I found that parents were very reluctant to participate, citing how little time they had and the low remuneration offered, and I was not successful in encouraging anyone to run. I am very concerned that, with Bill 40, many parent representative positions will simply not be filled. The level of participation in elections is already low and many positions are filled by acclamation; I am concerned that the situation will get much worse with Bill 40. There are not enough involved parents to fill the parent representative seats.

[195]       La difficulté de recruter des candidats s’accentue dans les commissions scolaires périphériques, où le nombre d’ayants-droits diminue et les distances augmentent.

[196]       Katherine MacKenzie, commissaire parent pendant six ans à la Eastern Shores School Board et présidente du Central Parents Committee pendant cinq ans témoigne :

4. In my experience, it is hard to get parents with children in school involved at all levels of the board (whether at the governing boards, at the Central Parents Committee or on Council). The ESSB schools are small and spread out, and there are not many parents; Shigawake-Port-Daniel school, for instance, has 70 students. The parents I know are usually busy with work and with the responsibility of having children in school. I myself am a stay-at-home mother and find that I have more time to invest at the board; even so, I only got involved once most of my children were older.

5 There are 16 schools and centers in ESSB, yet the most parents we ever get at a Central Parents Committee meeting (which has representatives from all governing boards) is eight or ten, and this is quite exceptional. I have held some meetings over the years where only one parent has shown up. We do not follow a rule of quorum because it would be impossible to hold meetings if we did.

6 I have seen parent commissioners quit after one year or fail to attend three consecutive meetings of Council, and then have to step down. In most of the six years I have been a parent commissioner, Council has had trouble filling the four parent commissioner positions or the parent commissioners would irregularly attend the Council and Committee meetings.

[197]       Quant à Mme Ellen Beaulieu, également commissaire à la commission Eastern Shores, qui a témoigné au procès[128] :

5 The schools on the North Shore that I cover (Fermont, Port Cartier and Baie-Comeau) are very small and the parents are working and busy. Several of them are also not very comfortable in English. As a result, there is very little parent involvement in governance issues. A few parents are involved on the Home and School Association, less on the governing boards, and almost none at the ESSB level. ESSB has in fact had a lot of difficulty having a Parents Committee these past years. There is also very limited involvement of parent commissioners on the Council. We had one very active and qualified parent commissioner last year from the North Shore, who ended up resigning because she did not have enough time to carry out her duties or to travel to the Gaspé.

[198]       Par ailleurs, l’article 196 de la Loi modifie la Loi sur les élections scolaires visant certains membres des conseils d'administration des centres de services scolaires anglophones[129] par l’ajout de son article 4.1 qui dispose maintenant que les membres qui siègent au conseil d’administration d’un centre de services scolaire anglophone à titre de parent d’un élève sont élus au suffrage universel des électeurs du territoire de la circonscription électorale concernée et que les membres qui siègent à titre de représentant de la communauté sont élus au suffrage universel des électeurs de tout le territoire du centre de services scolaire anglophone.

[199]       Cette disposition, alliée aux autres restrictions, fait en sorte que les représentants de la communauté devront faire campagne sur un territoire immense dans le cas des commissions scolaires périphériques, sans possibilité d’occuper un poste de responsabilité à titre de président ou vice-président, et sans rémunération autre qu’une allocation de présence.

[200]       Plusieurs commissaires, qui n’ont plus d’enfants à l’école, n’envisagent pas de se représenter dans ce nouveau contexte.

[201]       Mme Beaulieu témoigne[130] :

9 I would not run to be a commissioner under the Bill 40 model. My children are no longer in school and I cannot run as a parent representative. I would never run in and seek to serve the entire territory of ESSB as a community representative. First, people from the Gaspé do not know me and I don’t know why they would vote for me. Moreover, I would not have the time, energy or money to cover the entire ESSB territory and manage it effectively and I do not think a person from another region could either.

[202]       Madame Beaulieu vient de Baie-Comeau. Elle doit se rendre à New Carlisle pour les réunions qui durent deux jours. Pour elle, cela représente une absence de quatre jours, tous les mois.

[203]       Quant à Mme Humeniuk, qui a siégé pendant plus de cinq ans comme vice-présidente du Eastern Townships School Board après avoir été commissaire pendant 27 ans. Elle témoigne[131] :

11 Because I no longer have children in school, the only positions I am eligible to run for now on the Board of directors of the English-language school service centre are the community representative positions. I would never consider running across the entire territory of the ETSB for such positions. The ETSB covers 13 provincial ridings, in part or in full. It would take me hours by car to simply cover the territory. I have always run at the ward (electoral division) level where I know the people, community and schools, and my position as Commissioner has always involved regular visits of the community and the four schools associated with my ward (made up of around 600 or 700 students).

12 There are 20 elementary schools in the ETSB and three high schools (made up of around 5000 students) which are all very far apart. The level of investment of time and energy it would take to meet the communities, visit the schools and be aware of and respond to the issues in the entire territory would be prohibitive to me, especially with no remuneration. While I have never served as Commissioner because of the remuneration, it represents an acknowledgment of the work and investment that goes into these elected positions.

13 What’s more, community representatives are not eligible for vice chair-ship and I would not be interested in not exercising the leadership role I have now exercised for more than five years. I would not overcome the important challenges of running territory-wide with no prospect of a leadership role, where those leading the board would have the least experience.

[204]       Les témoignages de Mmes Olivia Landry[132] et Debbie Ford-Caron[133] sont au même effet.

[205]       Les demandeurs plaident que les restrictions imposées par la Loi vont à l’encontre de la mission des conseils scolaires anglophones, institutions démocratiques qui doivent être gouvernées par et pour la minorité. Ils rappellent qu’historiquement, les conseils scolaires de la minorité ont été utilisés pour promouvoir les valeurs de ses communautés, dont une des valeurs était la participation démocratique des citoyens membres du groupe[134]. Si cette vision historique plus ancienne n’est valable que pour les régions périphériques, elle n’est pas pour autant à négliger dans la recherche de modèles inspirants.

[206]       Les propos du conseil privé dans l’arrêt Hirsch confirment le droit de la minorité au contrôle de ses institutions entre autres par le choix de ses représentants[135] :

It is plain also that the dissentient supporters of such a school, who are bound together by a common religious faith, form a "class of persons" having special rights and privileges with respect to the school, including the right to appoint the managing trustees and through those trustees to select the teachers at the school, to control the course of study and to exclude children of another faith.

[207]       Notons que le Conseil privé affirme que ces principes s’appliquent tant pour les commissaires de Montréal et Québec que pour les districts ruraux[136].

[208]       En Cour suprême, le juge en chef Anglin avait écrit [137]:

The Trustees of the dissentient schools, when established, had the same rights, powers and duties of management and control over them as the Commissioners had in regard to common schools (s. 55 (2)): the appointment of teachers, the regulation of courses of study, the erection, maintenance and repair of school houses, the control of school property, the making of general rules for the management of the schools, the fixing of public examinations—all these matters, with their incidents—were in their hands (s. 65); and, what is perhaps most important, the moneys for the support of the schools derived from taxes, fees and Government grants were exclusively at their disposal.

From what has been said it is apparent that we should regard legislation designed to impair the right of Protestants, as a class of persons in the Province of Quebec, to the exclusive control, financial and pedagogic of their schools, as ultra vires of the provincial Legislature.

[209]       Ces passages incitent la Cour d’appel d’Ontario à écrire[138] :

Similarly, in Hirsch v. Protestant Board School Com'rs of Montreal, supra, legislation which diminished the exclusively denominational character of separate schools or their management was found invalid. In that case, the Privy Council struck down a Quebec statute which prejudicially affected the pre-Confederation right of the Protestant minority to establish its own schools under the exclusive management of Protestant trustees for the exclusive use of Protestant children. The right to establish and support denominational schools managed by their own elected trustees is fundamental to the existence of the separate school system.

[210]       La distinction que tente de faire le PGQ entre la « désignation » des représentants à laquelle le Conseil privé fait référence et « l’élection » que revendiquent les demandeurs relève du sophisme[139]. Ce qui est en cause est l’identité des représentants. L’important à retenir de ces arrêts est la possibilité pour la communauté de désigner ses membres, sans restriction autres que celles qui avaient cours à l’époque : sexe masculin; détention de biens; appartenance au clergé, dépendant des époques.

[211]       La minorité linguistique transcende le groupe plus restreint d’individus dont les enfants sont inscrits à l’école. C’est la transmission de la culture qui est en jeu. La communauté entière est interpellée par le projet scolaire, qui ne se limite pas aux bancs d’école. La communauté doit se reconnaître dans ses représentants. Elle a voix dans leur désignation. Ceux-ci sont les membres éminents de la communauté, sans égard à leur statut de parent, membre du conseil d’établissement. La communauté doit pouvoir participer à la définition des programmes et identifier les enjeux qui lui sont propres. Elle doit pouvoir s’exprimer par l’entremise des représentants qu’elle a choisis.

[212]       Le professeur Loewen a sondé les commissaires actuels. 148 des 175 interrogés se déclarent moins susceptibles de se présenter selon la nouvelle formule[140]. Le Tribunal estime que ce rapport est fiable et que la méthodologie utilisée est adéquate pour refléter la réaction des élus actuels[141].

[213]       La Loi ne permet pas à la minorité anglophone du Québec d’exercer pleinement ces droits.

[214]       La vision que propose le PGQ pour analyser les changements apportés par la Loi au régime de désignation des représentants est, pour paraphraser la Cour d’appel « formaliste et indûment réductrice »[142]. Il faut examiner les articles un par un, mais aussi en faire une lecture d’ensemble.

[215]       Si, examinées une par une, ces dispositions peuvent apparaître anodines, leur effet cumulatif est indéniable et mène à une érosion du contrôle de la minorité par ses représentants traditionnels.

[216]       Cette lecture mène inévitablement à la conclusion que la minorité se voit privée, par l’effet des dispositions, de la contribution de la majorité de ses membres à la vie démocratique de celle-ci.

[217]       La démocratie municipale et scolaire n’est pas en soi protégée par les garanties de l’article 3 de la Charte[143], parce que, selon la majorité en Cour suprême dans l’arrêt Cité de Toronto, l’article 3 n’y fait pas référence et que les principes non écrits de la Constitution ne peuvent les y ajouter. Ce n’est pas le cas de l’article 23, qui est écrit.

[218]       La Cour reprenait ce qu’elle avait décidé à la majorité dans l’arrêt Baier qui concernait une modification législative privant les employés d’une commission scolaire de se porter candidat comme conseiller. Les appelants soutenaient que la mesure brimait leur liberté d’expression ainsi que leurs droits démocratiques prévus à l’article 3 de la Charte. Le juge Rothstein écrit pour la majorité :

36 Dans la présente affaire, les appelants demandent au gouvernement de légiférer pour permettre une activité expressive. Ils revendiquent donc un droit positif. Ils cherchent à obtenir l’accès à la tribune d’origine législative que constitue la possibilité de briguer un poste de conseiller scolaire et l’exercice de cette fonction. Le fait qu’ils aient eu accès à cette tribune avant l’entrée en vigueur de la Loi modificative ne saurait transformer le droit qu’ils demandent en un droit négatif. Il n’existe pas en l’espèce de distinction significative entre la situation hypothétique où le gouvernement légiférerait pour la première fois sur l’élection de conseils scolaires en précisant que les employés d’écoles ne peuvent briguer un poste de conseiller ni exercer cette fonction, et la situation actuelle où une loi existante a été modifiée à cette fin. Conclure autrement équivaudrait à dire qu’une fois que le gouvernement a légiféré pour créer une tribune, il ne peut jamais la modifier ou la supprimer sans contrevenir à l’al. 2b) et devoir justifier de tels changements au regard de l’article premier.

37 Dans l’arrêt Dunmore, l’accès à la tribune d’origine législative en cause avait auparavant été étendu aux demandeurs, avant de leur être enlevé par une modification législative. La Cour a néanmoins conclu que le droit revendiqué était un droit positif. Il en va de même en l’espèce. Les appelants étaient auparavant inclus dans le régime législatif en cause. La Loi modificative les en a exclus. Aujourd’hui, ils demandent l’inclusion dans un régime législatif dont le champ d’application est restreint, élément qui est une caractéristique d’une demande visant un droit positif.

38 Les appelants demandent en fait à la Cour de constitutionnaliser le régime antérieur. Bien que les conseils scolaires de l’Alberta jouent un rôle important en matière de gestion scolaire en s’acquittant des fonctions obligatoires et facultatives qui leur sont attribuées en Alberta par la School Act, les conseils sont des émanations du gouvernement provincial et leur existence n’est pas protégée par la Constitution. Comme l’a indiqué notre Cour dans Ontario English Catholic Teachers’ Association c. Ontario (Procureur général), [2001] 1 R.C.S. 470, 2001 CSC 15, aux par. 5758 :

Sous réserve de l’art. 93, les conseils des écoles publiques n’ont, à titre d’institutions, aucun statut constitutionnel.

Le juge Campbell a bien énoncé le droit à cet égard dans Ontario Public School Boards’ Assn., précité, p. 361 :

[TRADUCTION] Les administrations municipales et les institutions municipales à vocation particulière comme les conseils scolaires sont des créatures du gouvernement provincial. Sous réserve des limites constitutionnelles de l’art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867, ces institutions n’ont aucun statut constitutionnel ni aucune autonomie indépendante, tandis que la province a le pouvoir juridique absolu et sans réserve de les traiter comme elle l’entend.

(Le Tribunal souligne)

[219]       Dans le contexte de la protection des droits des minorités, confessionnelles ou linguistiques, il est donc possible que la Constitution prévoie l’existence de conseils ou commissions scolaires.

[220]       L’article 23 ne prévoit pas spécifiquement les conseils ou commissions scolaires. Mais la Cour suprême a spécifié à plusieurs reprises que leur constitution s’imposait lorsque le nombre d’élèves le justifiait.

[221]       Dans Mahe, le juge en chef Dickson a jugé que « dans certaines circonstances, un conseil scolaire francophone indépendant est nécessaire pour atteindre l'objet de l'art. 23 »[144].

[222]       Ce passage a fait écrire au juge en chef Lamer dans le Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.) « que les chiffres justifient l'établissement d'un système d'enseignement exigeant la création d'un conseil scolaire.[145] »

[223]       Il a été précisé dans Arsenault-Cameron que « l’existence d’une commission de la langue de la minorité [] en fait, est requise à l’extrémité supérieure de l’échelle variable des droits »[146].

[224]       Dans Rosedesvents, elle a répété que « le niveau supérieur de l’échelle variable prévoit la création de conseils scolaires séparés pour la minorité linguistique »[147].

[225]       Dans Conseil scolaire francophone, le juge en chef Wagner a écrit que « les conseils scolaires sont en effet des vecteurs privilégiés des préoccupations des minorités linguistiques officielles »[148].

[226]       Les commissions scolaires sont donc visées par l’article 23, lorsque le niveau supérieur de l’échelle variable est atteint, ce qui est le cas au Québec.

[227]       Une lecture généreuse, large et libérale de l’article 23 garantit à la minorité linguistique de pouvoir s’exprimer par la voix de ses « représentants ». Historiquement, ces représentants étaient issus de la communauté, sans autres restrictions que celles du sexe et de la valeur des propriétés, critères discriminatoires autrefois acceptés.

[228]       Plus récemment, l’article 143 de la LIP disposait que quelques sièges de commissaires devaient être occupés par des représentants du comité des parents, mais ils n’étaient pas en majorité.

[229]       Le Tribunal convient que le législateur peut poser des exigences quant à la qualité de représentants, mais pas au point de stériliser le droit de la communauté de se faire adéquatement représenter. Il n’appartient pas au Tribunal de définir quel est le niveau acceptable de règlementation, mais de constater qu’en l’espèce, la limitation du droit à une représentation acceptable et historiquement acceptée contrevient à l’article 23. Il appartiendra au législateur d’identifier quel est ce seuil acceptable. Il apparaîtra plus loin que le meilleur moyen d’y arriver est de dialoguer avec les représentants de la minorité.

[230]       Limiter, directement ou indirectement, comme le fait la Loi le droit des représentants de se présenter aux élections scolaires restreint le droit de la minorité à la gestion et au contrôle de ses institutions scolaires.

[231]       La minorité se fait imposer la vision de la majorité quant à qui peut la représenter, alors que depuis plus de 200 ans, tous les membres de la communauté sont éligibles à s’occuper de la gestion scolaire, en tenant compte bien sûr de l’évolution historique du cens d’éligibilité. L’imposition de la vision de la majorité est un des maux que l’adoption de l’article 23 visait à corriger.

ii.            L’absence de rémunération des membres des conseils d’administration

[232]       L’article 66 de la Loi prévoit une modification à l’article 175 de la LIP stipulant que les membres du conseil d’administration du centre de services scolaire ne sont pas rémunérés. Une allocation de présence fixée par règlement pourra leur être allouée.

[233]       Un président de commission scolaire touchait de 15 000 $ à 20 000 $ par année. Un commissaire touchait environ la moitié[149].

[234]       Le Décret 1027-2020[150] concernant l'allocation de présence et le remboursement des frais des membres des conseils d'administration des centres de services scolaires[151] prévoit que les présidents toucheront 200 $ par séance du conseil, pour un maximum annuel de 4 000 $. Pour les autres membres, l’indemnité sera de 100 $ par réunion du conseil d'administration pour un maximum de 2 000 $ par année.

[235]       Pratiquement, si on se fie à l’expérience des centres de services scolaires francophones, un président toucherait environ 1 000 $ par année, et un membre ordinaire, 500 $. Ceci représenterait une diminution de l’ordre de 15 fois le revenu actuel.

[236]       Le professeur Loewen, pour donner suite aux sondages qu’il a menés auprès ayants-droits, des parents membres de conseils d’établissements, et des commissaires conclut que tous seront moins susceptibles de se présenter à une élection (respectivement, -26 %, -66 % et -77 %). Ces chiffres augmentent si les répondants gagnent un revenu inférieur à la médiane québécoise[152].

[237]       Ces données sont particulièrement éloquentes dans le contexte des commissions scolaires périphériques où les distances à couvrir par les commissaires sont énormes.

[238]       Cette mesure entrave le droit de la minorité à pouvoir élire les membres qu’elle choisit.

[239]       On peut également soutenir que cette réduction de la rémunération enfreint le droit de contrôler les « dépenses de fonds prévus pour cette instruction et ces établissements », garanti par Mahe.

iii.            L’inéligibilité aux postes de président et vice-président des conseils d’administration

[240]       L’article 50 de la Loi prévoit que le président et le vice-président du conseil d’administration sont élus parmi les membres siégeant à titre de parent d’un élève. Les demandeurs soutiennent que cette mesure va à l’encontre du droit à la gestion et du contrôle exclusif des institutions scolaires.

[241]       Joy Humeniuk, qui n’est pas parent d’un élève inscrit à l’école, ne pourrait plus occuper ce poste. Elle témoigne[153]:

9 As vice chair of ETSB, I have taken the initiative in leading many projects. For example, I helped create a student advisory committee at the Board. The other members of the committee and I visit high schools and share best practices among them. Two other Commissioners and myself partake in the five meetings per year and organize transportation to and from the high schools for the students. We hold sessions with speakers from the Board, who address issues ranging from technology resources to differences between the programs offered by the high schools, in order to help inform the students of their options and hear from them. These meetings happen during the school day, so Commissioners are dedicating a whole day to each one.

[242]       Il en va de même pour Stephen Burke, qui a servi pendant 10 ans comme président de la Central Quebec School Board et s’est impliqué en faisant valoir les représentations de sa communauté, notamment en témoignant en commission parlementaire, et en écrivant dans les médias,[154] de même que pour John Ryan, vice-président de la New Frontiers School Board pendant 10 ans, et récemment élu président[155].

[243]       Il s’agit d’une restriction au droit des membres élus d’occuper un des postes de direction du conseil ou de la commission scolaire. Cette mesure contrevient au droit exclusif de gestion et de contrôle de la minorité.

iv.            La présence de représentants non-élus du personnel scolaire

[244]       L’article 50 de la Loi prévoit en outre que le conseil comprendra quatre membres du personnel du centre de services scolaire, dont un enseignant, un membre du personnel professionnel non enseignant, un membre du personnel de soutien et un directeur d’un établissement d’enseignement, désignés par leurs pairs.

[245]       Les demandeurs soulèvent que ces membres ne sont pas, par la loi, des ayants-droits. Il s’agit de représentants non-élus, dont la présence dilue le contrôle exclusif de la minorité sur ses institutions.

[246]       Ils ont raison. Non seulement ne sont-ils pas nécessairement des ayants-droits, mais ils sont désignés par des personnes qui ne le sont pas plus.

[247]       Comme l’écrit l’auteur Mark Power[156] :

« Le droit de gestion et de contrôle garanti par l'article 23 de la Charte est exclusif en ce sens que les représentants des communautés de langue officielle en situation minoritaire sont habilités à prendre des décisions dans leurs champs de compétence sans que les représentants de la majorité puissent y substituer leurs points de vue. Une telle mainmise en matière d'éducation par les représentants de la majorité était coutumière dans le passé, notamment dans les régions du pays où les programmes ou les écoles homogènes de langue française étaient offerts ou gérés par des conseils scolaires de langue anglaise. »

[248]       Le fait que ces représentants demeurent en minorité ne justifie pas leur présence aux conseils d’administration. En cas de division des membres ayants-droits, le vote décisif leur reviendrait. Ceci irait à l’encontre des enseignements de la Cour suprême en matière de contrôle exclusif de la gestion des institutions scolaires.

v.            Le rôle de porte-parole

[249]       En vertu de la Loi, à l’article 93, qui ajoute le dernier alinéa à l’article 201 LIP, le porte-parole du centre de services scolaire devient le directeur général, un employé, plutôt que le président du conseil :

« À ce titre, il fait part publiquement de la position du centre de services scolaire sur tout sujet qui le concerne notamment lorsqu’il participe, au nom du centre de services scolaire, aux divers organismes voués au développement local et régional. »

[250]       Selon les demandeurs, cette nouvelle disposition réduit encore le rôle de gestion des administrateurs du centre de services scolaire. Il leur apparaît important que les porte-parole de la minorité, qui interagissent avec des politiciens provinciaux et locaux, soient des élus représentatifs de la communauté. Ceci inclut évidemment la possibilité d’être en désaccord avec les politiques du gouvernement.

[251]       Il est loin d’être certain, pour ne pas dire plus, que le directeur général, un fonctionnaire, ait cette liberté. Il serait par ailleurs incongru que les membres du conseil puissent émettre un point de vue au nom de la communauté et que le directeur général dise le contraire.

[252]       Michael Murray, président du conseil du Eastern townships Schoolboard témoigne sur son rôle en tant que porte-parole [157]:

1 I have held the office of Chair of Eastern Townships School Board (“ETSB”) since January 1, 2006. I have been a commissioner at the ETSB since it was formed in 1998. I was first elected commissioner for the protestant (English) District of Bedford School Board in 1986.

5 As the chair of the ETSB, I view my role as requiring me first and foremost to remain in touch with the English-language community that I serve and to hear the needs that are expressed by its various groups. It is also essential for me to be kept informed of the operations of schools within our territory and whether they are succeeding in meeting the community’s needs.

6 Without good knowledge of both the internal workings of the school board and the interests of the broader community, I would not be able to adequately represent either the board or the community in my role as spokesperson.

12 When the school board must transmit a message regarding an operational issue to the public, the director general and I often discuss the communication strategy and sometimes decide that it is preferable for him to deliver the message given that he is more involved in the day-today operations of the board.

13 However, many issues have political implications that require me, as chair, to speak on behalf of the school board.

19 I also believe that it is my duty as chair of the ETSB to speak out on behalf of the English-language community on issues of importance for our future. There is an important political component to this role. When I discuss political issues with local leaders and elected officials, I am confident in my ability to speak for the community because its members elected me and because I do my best to stay informed of the community’s perspectives and needs.

20 There are many instances in which I had to take a stand on the school board’s behalf against governmental decisions. I have no qualms about expressing the English-language community’s opposition to government decisions when necessary.

21 For example, I spoke publicly against the Liberal government’s failed attempt to abolish school boards in 2015-2016 through Bill 86. I was also vocal in expressing the ETSB’s opposition to the adoption of the current government’s Bill 40. []

22 In my spokesperson role, I also helped promote a project called Pour la réussite en Estrie (PREE) with chairs of French school boards, CEGEPS and MRCs in / the region to address the student dropout rates through various strategies. For instance, one of the initiatives of the PREE that I supported on behalf of the ETSB was to contact municipalities and employer groups to emphasize the importance of limiting total working hours and offering more flexible schedules, to accommodate students who work for them.

[253]       M. Stephen Burke, president de la Central Quebec School Board, explique[158] :

7 Because I am elected by the English-language minority, I can speak for the school board and the community it represents with legitimacy and authority, in a way that a staff (non-elected) member of the school board cannot. I can fulfill this role independently and can be critical of the government if needed, as I know that my position only depends on the support of my electors.

8 As chair, I handle relations with political leaders and government officials and give voice to the community’s concerns. At times, I must also voice the community’s opposition to measures proposed by the provincial government. Despite this, I strive to maintain a good working relationship with the government.

9 For example, I brought our community’s concerns to the attention of the government with regard to its management of the 2020 school board elections in light of the COVID-19 pandemic. I wrote a critical (though polite) first letter to the Minister of Education on September 22, 2020 asking for the elections to be postponed, as appears from my letter to Jean-François Roberge dated September 22, 2020, exhibit SBU-1.

12 Another instance where it was necessary to speak up against the government was in response to the National Assembly’s Bill 14 in 2013. I appeared before a National Assembly committee to voice our school board’s opposition to a measure which would have eliminated an exemption which allows military children to attend English schools, as appears from an excerpt of the debates at the Commission permanente de la culture et de l’éducation on March 20, 2013, exhibit SBU-5.

[254]       Le PGQ suggère que rien dans la Loi ne permet de conclure que le centre de services scolaire ou l’un de ses membres ne pourrait communiquer directement avec le ministère de l’Éducation[159].

[255]       Cette affirmation est contredite par le témoignage de M. Pascal Desjardins, président du Conseil d’administration du Centre de services scolaire Trois Lacs, à Vaudreuil-Soulanges. Il a fait part des difficultés qu’il avait de rejoindre le ministère de l’Éducation pour obtenir des réponses à ses questions. Il a longuement témoigné sur la dévalorisation qu’il ressentait, du fait du contrôle exercé sur le conseil par le directeur-général.

[256]       Bien qu’un témoignage à l’effet contraire ait été rendu par M. Charles Leblond, président du Conseil de services scolaires de Val-des-Cerfs, l’effet de ces dispositions peut s’inférer de la simple lecture de la Loi. Le Tribunal s’abstient de commenter plus avant ces témoignages, ce qui reviendrait à se prononcer sur le mérite de la réforme de la LIP, ce qui n’est pas son rôle.

[257]       Ce n’est pas la même chose que de parler en tant que porte-parole d’un groupe de pression et de parler à titre officiel, en tant que représentant dûment élu d’un corps public.

[258]       Comme le rappelait la juge Patricia Rowbotham de la Cour d’appel des Territoires du Nord-Ouest, la commission scolaire est « un organisme élu démocratiquement qui parle au nom de la communauté linguistique minoritaire[160]. » Il est incongru que ce soit un fonctionnaire qui parle en son nom.

[259]       Cette mesure porte directement atteinte au droit de gestion et de contrôle de la minorité.

vi.            La perte de contrôle sur le Comité d’engagement pour la réussite des élèves

[260]       L’article 91 de la Loi prévoit l’institution dans chaque centre de services scolaire d’un comité d’engagement pour la réussite des élèves formé d’au plus 18 membres, composé des personnes suivantes :

1° le directeur général du centre de services scolaire ou la personne qu’il désigne;

2° au moins deux membres du personnel enseignant d’une école;

3° au moins un membre du personnel enseignant d’un centre d’éducation des adultes;

4° au moins un membre du personnel enseignant d’un centre de formation professionnelle;

5° au moins un membre du personnel professionnel non enseignant;

6° au moins un membre du personnel de soutien;

7° au moins un directeur d’une école où est dispensé de l’éducation préscolaire ou de l’enseignement primaire;

8° au moins un directeur d’une école où est dispensé de l’enseignement secondaire;

9° au moins un directeur d’un centre de formation professionnelle;

10° au moins un directeur d’un centre d’éducation des adultes;

11° un membre du personnel d’encadrement responsable des services éducatifs;

12° un membre issu du milieu de la recherche en sciences de l’éducation.

Un des membres doit posséder une expérience de travail auprès d’élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage.

[261]       La direction du comité d’engagement pour la réussite des élèves est confiée au directeur général du centre de services scolaire.

[262]       L’article 209.1 de la LIP prévoit le contenu et le mode d’élaboration du plan d’engagement pour la réussite des élèves :

209.1. Pour l’exercice de ses fonctions et de ses pouvoirs, chaque centre de services scolaire approuve, sur proposition du comité d’engagement pour la réussite des élèves, un plan d’engagement vers la réussite cohérent avec les orientations stratégiques et les objectifs du plan stratégique du ministère. Le plan d’engagement vers la réussite doit également, le cas échéant, répondre aux attentes signifiées en application de l’article 459.2. En outre, sa période doit s’harmoniser avec celle du plan stratégique du ministère conformément aux modalités prescrites, le cas échéant, en application du premier alinéa de l’article 459.3.

Le plan d’engagement vers la réussite que le centre de services scolaire peut actualiser au besoin sur recommandation du comité d’engagement pour la réussite des élèves doit comporter :

1 le contexte dans lequel il évolue, notamment les besoins de ses établissements, les principaux enjeux auxquels il est confronté ainsi que les caractéristiques et les attentes du milieu qu’il dessert;

 2 les orientations et les objectifs retenus;

 3 les cibles visées au terme de la période couverte par le plan;

 4 les indicateurs, notamment nationaux, utilisés pour mesurer l’atteinte des objectifs et cibles visés;

5 une déclaration contenant ses objectifs quant au niveau des services offerts et quant à leur qualité;

 6 tout autre élément déterminé par le ministre.

Le centre de services scolaire transmet au ministre son plan d’engagement vers la réussite et le rend public à l’expiration d’un délai de 60 à 90 jours après cette transmission ou d’un autre délai si le centre de services scolaire et le ministre en conviennent. Le plan d’engagement vers la réussite prend effet le jour de sa publication. Le centre de services scolaire doit, lors de la séance qui suit la prise d’effet de son plan d’engagement vers la réussite, présenter à la population le contenu de ce plan. Un avis public indiquant la date, l’heure et le lieu de cette séance doit être donné à la population au moins 10 jours avant sa tenue.

[263]       On remarquera qu’il n’y a aucun parent d’élève siégeant au comité, malgré les velléités du gouvernement de rapprocher la gouvernance des élèves.

[264]       On remarquera également qu’aucun des membres de ce comité, pourtant crucial dans le projet d’enseignement, n’est un élu. Il n’y a aucune exigence que ses membres soient des ayants-droits de l’article 23.

[265]       Il s’agit pourtant du cœur même de l’objet des pouvoirs exclusifs de gestion et de contrôle sur l’enseignement de la minorité. Le PGQ décrit ce plan comme un « outil de gestion »[161].

[266]       Ce sont présentement les commissions scolaires qui sont responsables de l’atteinte de ces objectifs fondamentaux, et qui, par des consultations avec les enseignants, les commissaires, les parents et les étudiants peuvent apprécier « le contexte dans lequel ils évoluent, notamment les besoins de ses établissements, les principaux enjeux auxquels ils sont confrontés ainsi que les caractéristiques et les attentes du milieu qu’ils desservent. »

[267]       MM. Stephen Burke, président de la Commission scolaire Central Quebec et Michael Murray, président de la Commission scolaire Eastern Township School Board, témoignent de l’implication personnelle des commissaires dans l’élaboration des plans d’engagement vers la réussite et comment ils déterminent quels sont les objectifs. M. Burke affirme :

24. Our school board prepared and adopted its current commitment-to-success plan in 2018, as appears from a copy of the CQSB’s commitment-to-success plan (2018-2023), exhibit SBU-9[162].

25. Our commitment-to-success plan provides a portrait of our school board (mission, values, demographics, etc.). It sets the objectives and targets of the school board in conformity with the objectives determined by the Ministry of Education according to its Plan stratégique (2017-2022), exhibit SBU-10 and those determined by the school board through consultation of its various groups and committees (such as teachers, the Parents’ Committee, the Special Needs Advisory Committee and the Student Advisory Committee). The commitment-to-success plan is used by our school board to further our school board’s mission and vision for the upcoming years.

29 Commissioners (myself included) insisted on making bilingualism a primary objective for the school board when we began working on the commitment-to-success plan with the administration in February 2018. On numerous occasions, commissioners have mentioned that parents would tell them that they decided to send their children to the French sector for high school after elementary school because they are concerned that the CQSB may not provide a strong education in French and they want their children to be properly integrated into Quebec society and find jobs. For the commissioners (myself included), it is crucial to reassure parents that sending their children to our schools will not be an obstacle to their ability to work and succeed in French. Once again, this is a priority for commissioners (myself included) because it helps ensure that our community can continue to thrive on our territory.

30 Since the CQSB’s inception, the council of commissioners has always insisted on this issue being at the top of the school board’s priorities in its educational plans. Our bilingualism rates at the school board have been increasing, and there are fewer students leaving the school board after elementary school to pursue their high school studies in French.

31 Commissioners were the first to emphasize the issue of bilingualism in the early stages of the drafting of the current commitment-to-success plan. It is in part because of the work of commissioners (including myself) that the issue was retained as a priority for the school board and took on such importance in the commitment-to-success plan, as appears in the commitment-to-success plan (SBU-6, p. 31, “Objective Four: Language Proficiency” and p. 33 “Orientation 1: Cultural Identity of the School Board” (see Objective 3 in particular))[163].

[268]       Michael Murray, président du conseil du Eastern townships Schoolboard témoigne, dit, relativement au plan d’engagement envers la réussite[164] :

35 One of our school board’s main objectives, as identified by commissioners, including myself, for the past 10 years has been to address the dropout rate. This issue was raised by commissioners, including myself, who were concerned that the enrollment of each cohort consistently decreased between secondary 1 and secondary 5. It is a problem that is especially prevalent in our school board as compared to other English-language school boards. Administrators originally dismissed the concerns raised by the council (including myself); they claimed that students were leaving the area to go to Ontario or elsewhere outside of Quebec, and that they were incorrectly considered dropouts even if they continued their schooling in other jurisdictions.

36 More than a dozen years ago, at the insistence of the council of commissioners (myself included), the administration began to pay more attention to the issue and to propose ways in which the problem may be addressed. Our director general at the time became particularly concerned about the issue of dropout rates. She informed the council of commissioners (myself included) that she had directed school staff to identify each student who did not enroll for school the following year and call them asking how they were doing, why they did not enroll, whether they had decided to attend an adult course, whether they were taking a break, etc. She also informed us that, when appropriate, the staff would encourage the student to return to school.

38 In 2018, our school board adopted a commitment-to-success plan with a single objective: to improve graduation rates. The plan was submitted to the Ministry of Education.

39. However, commissioners and I were informed by our staff that the Ministry of Education had requested that our school board amend its commitment-to-success plan, as it did not sufficiently give effect to the objectives identified in the Ministry’s “Plan stratégique 2017-2022”, exhibit MM-7.

40 The school board redrafted the commitment-to-success plan by preserving the objective to improve graduation rates as its primary focus and by subordinating the Ministry’s other objectives outlined in the “Plan stratégique 2017-2022” to the board’s primary objective. The Minister approved this second version of the commitment-to-success plan.

[269]       Ce témoignage illustre la possibilité de marier les objectifs gouvernementaux, issus de la responsabilité constitutionnelle en matière d’éducation, avec la gestion locale et communautaire des institutions scolaires.

[270]       Il est inconcevable qu’un plan si fondamental que le plan envers la réussite ne relève pas des représentants élus de la minorité. La Cour d’appel de l’Île-du-Prince-Édouard écrivait relativement au fait que la minorité francophone n’avait pas voix au chapitre quant au développement et à la prestation du programme de la langue française[165] :

[115] Overall, by s. 23, the linguistic minority become entitled to a minority language education. Parliament having been so explicit in setting forth this right, it is inconceivable that it would not have meant to include the right of the linguistic minority to participate in the programme development and delivery of such a right. It would be foolhardy to assume that Parliament intended to give the French linguistic minority the right to receive their instruction in French but leave the sole control of the programme development and delivery with the English majority. If such were the case, a majority language group could soon wreak havoc upon the rights of the minority and could soon render such a right worthless. The words "minority language instruction" in s. 23(3)(a) must imply the right to participate in programme development and delivery thereof.

(Le Tribunal souligne)

[271]       Il apparaît clairement que le fait de confier le plan d’engagement envers la réussite des élèves à un comité où ne siège aucun membre élu de la minorité est une contravention directe aux dispositions de l’article 23. Que ce comité soit obligé par la LIP de consulter les représentants des parents ne répond pas à l’exigence que la gestion et le contrôle de la réussite scolaire soit du ressort des représentants de la communauté, qui peuvent, seuls et exclusivement, en décider.

vii.            La perte de contrôle sur l’utilisation des établissements

[272]       En vertu de l’article 105 de la Loi, qui modifie la LIP par l’ajout de l’article 215.2, le ministre a maintenant le pouvoir « d’exiger que des mesures favorisant le partage de ressources ou de services soient mises en œuvre entre deux centres de services scolaires » :

215.2. Les centres de services scolaires doivent favoriser le partage de ressources et de services, notamment de nature administrative, entre eux ou avec d’autres organismes publics, dont des municipalités, ou des établissements d’enseignement régis par la Loi sur l’enseignement privé (chapitre E9.1) lorsque cela permet, dans le cadre de leur mission, de répondre à des besoins d’efficacité ou de rentabilité dans la gestion des ressources humaines, financières et matérielles.

À ces fins, le ministre peut demander à un centre de services scolaire de produire une analyse visant à évaluer les possibilités de partage de ressources et de services avec un autre centre de services scolaire.

Le ministre peut, à la suite de cette analyse, faire des recommandations ou exiger que des mesures favorisant le partage de ressources ou de services soient mises en œuvre entre deux centres de services scolaires.

[273]       Pour les demandeurs, le contrôle des institutions scolaires comporte le droit à des lieux physiques distincts. La Cour suprême s’est penchée sur la question dans l’arrêt Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), et a refusé de donner une réponse définitive à la question. Le juge en chef Lamer écrit pour la Cour [166]:

« [] bien que j'estime que la prestation de ces services d'enseignement comporte un droit général à des lieux physiques distincts, il n'est pas nécessaire de préciser pour l'instant comment satisfaire à cette exigence dans une situation donnée. Ce qui est requis dépend de considérations pédagogiques et financières. De toute évidence, les répercussions financières de la création d'établissements spécifiques varieront d'une région à l'autre. Il faut donc que l'examen de ce qui constitue des établissements appropriés ne soit entrepris qu'à l'égard de secteurs géographiques précis dans la province ».

[274]       Il est toutefois plus facile de répondre à la question quand « le nombre justifie » la création d’écoles et conseils scolaires distincts, ce qui le cas au Québec. En effet, dans l’arrêt Conseil scolaire francophone de la ColombieBritannique, la Cour écrit :

[84] La troisième étape consiste à déterminer le niveau de services qui doit être offert à la minorité linguistique officielle. Si, à la deuxième étape, le tribunal conclut que le nombre d’élèves est comparable, et que la présomption n’est pas renversée, ce nombre se situe à la limite supérieure de l’échelle variable et la minorité est alors en droit de faire instruire ses enfants dans une école homogène[167].

[275]       Toujours dans cet arrêt, la Cour suprême a décrété que l’analyse des comparables devait se faire dans une perspective provinciale.

[276]       En se fondant sur ce critère, une analyse de l’ensemble des écoles francophones et anglophones révèle qu’il y a lieu d’avoir des écoles distinctes partout au Québec, puisqu’il y a des écoles de taille comparable dans les deux groupes[168].

[277]       Par ailleurs, il n’y a pas de chevauchement entre commissions scolaires anglophones qui donnerait lieu à l’application d’une telle mesure entre elles.

[278]       Dans cette mesure, l’imposition d’un partage d’école enfreindrait présentement l’article 23. Cependant, l’article en soi ne contrevient pas à l’article 23. Seule son application, fort hypothétique à l’heure actuelle, dans la mesure où les chiffres de fréquentation des écoles ne devraient pas varier considérablement dans un avenir prévisible, l’enfreindrait.

[279]       Aucune preuve n’a été faite que le ministre tentait ou tenterait d’imposer cette mesure à une école anglophone.

[280]       Les demandeurs invitent par conséquent le Tribunal à rendre un jugement déclaratoire dictant l’interprétation à donner à cet article, en s’inspirant de ce qui a été fait par la Cour d’appel de Colombie-Britannique dans l’arrêt British Columbia Civil Liberties Association v. Canada (Attorney General)[169].

[281]       Rappelons que les tribunaux ne donnent pas d’opinion : Article 10 C.p.c. Le recours en jugement déclaratoire, que ce soit en vertu des articles 453 a. C.p.c. ou 142 et 529 C.p.c., ne devrait être rendu que pour solutionner une difficulté réelle, dans un cadre factuel précis :

« Sous réserve de la possibilité que le gouvernement le fasse par renvoi, les tribunaux refuseront normalement de se saisir d'une demande équivalant pratiquement à une demande abstraite d'opinion juridique »[170].

[282]       Dailleurs, c’est la règle qu’appliquait la Cour d’appel de Colombie-Britannique dans l’arrêt en question :

[259] Superior courts have inherent jurisdiction to grant declaratory relief (Shuswap Lake Utilities Ltd. v. Mattison, 2008 BCCA 176 at para. 45). Declaratory relief is a discretionary remedy that is available without a cause of action and whether or not any consequential relief (such as damages) is sought (Ewert v. Canada, 2018 SCC 30 at para. 81; Supreme Court Civil Rules, R. 204). The test for granting declaratory relief was recently summarized in Ewert at para. 81:

(a)             The court has jurisdiction to hear the issue;

(b) The dispute is real and not theoretical;

(c) The party raising the issue has a genuine interest in its resolution; and

(d) The responding party has an interest in opposing the declaration being sought.

(Le Tribunal souligne)

[283]       La Cour indique bien qu’un tel jugement est le remède approprié « where government action is found to violate the Charter.[171] »

[284]       Aucune preuve n’a été administrée dans ce sens. Il faut se garder de prononcer des jugements qui pourraient avoir force de chose jugée en dehors d’un contexte factuel approprié.

[285]       Le Tribunal, si besoin est, exerce sa discrétion en ne se prononçant pas sur la question.

viii.            Transfert des pouvoirs des centres de services scolaires vers les conseils d’établissement par l’établissement de règles budgétaires

[286]       Les demandeurs demandent par ailleurs de déclarer invalide un article de loi adopté en 2016, soit la Loi pour modifier la Loi sur l’instruction publique[172], qui a modifié l’article 473.1 LIP relativement aux règles budgétaires. Ces règles, prévues à l’article 472 LIP, sont établies de la façon suivante, au bénéfice des centres de services scolaires :

472. Le ministre établit annuellement, après consultation des centres de services scolaires, et soumet à l’approbation du Conseil du trésor des règles budgétaires pour déterminer le montant des dépenses de fonctionnement, d’investissement et de service de la dette qui est admissible aux subventions à allouer aux centres de services scolaires et au Comité de gestion de la taxe scolaire de l’île de Montréal. Ces règles budgétaires doivent être établies de façon à prévoir, relativement à l’allocation des subventions pour les dépenses de fonctionnement des centres de services scolaires, une répartition équitable.

[287]       Or, l’article 473.1, tel qu’il existe depuis 2016, permet au ministre d’ordonner le transfert de certaines des sommes prévues pour les centres de services scolaires vers les établissements :

473.1. Les règles budgétaires peuvent, aux conditions ou selon les critères qui y sont prévus ou qui sont déterminés par le ministre, prévoir l’allocation de subventions ou autoriser le ministre à accorder des subventions aux centres de services scolaires ou au Comité de gestion de la taxe scolaire de l’île de Montréal, pour tenir compte de situations particulières ou pour réaliser certains projets ou certaines activités. En outre, elles peuvent, aux conditions ou selon les critères qui y sont prévus ou qui sont déterminés par le ministre, prescrire que certaines mesures budgétaires sont destinées à un transfert vers le budget des établissements d’enseignement.

(Le Tribunal souligne la partie ajoutée en 2016)

[288]       Les notes explicatives du projet de loi donnent le but de cet ajout :

« De plus, la loi introduit certaines mesures visant à assurer la participation des directeurs d’école, de centre de formation professionnelle et de centre d’éducation des adultes dans certaines décisions de la commission scolaire concernant la répartition de ses ressources. Elle précise également qu’une commission scolaire doit accomplir sa mission en respectant le principe de subsidiarité et dans une perspective de soutien envers les établissements d’enseignement dans l’exercice de leurs responsabilités. »

[289]       Les demandeurs soutiennent que le but de l’article 473.1 est de court-circuiter le contrôle et l’allocation des fonds par la commission scolaire en envoyant directement l’argent aux établissements.

[290]       La façon dont fonctionnent ces règles budgétaires et les directives données par le ministre sont expliquées dans a déclaration assermentée de Mme Livia Nassivera, directrice des finances pour la commission scolaire English Montreal[173] :

3. Every year, the Ministry publishes the budgetary rules which determine the amount of subsidies to be granted to school boards for the year.

4. Since 2016, the budgetary rules of the Ministry have stipulated that certain budgetary measures are intended for transfer to the budget of educational institutions, that is schools and adult education and vocational training centres (hereinafter, “protected or dedicated budgetary measures”), as appears from the budgetary rules of 2016-2017 attached as exhibit LN-1, the budgetary rules of 2017-2018, attached as exhibit LN-2, the budgetary rules of 2018-2019 attached as exhibit LN-3, the budgetary rules of 2019-2020 attached as exhibit LN-4, and the budgetary rules of 2020-2021 as amended in August 2020, attached as exhibit LN-5.

5. As explained in exhibits LN-1 to LN-5, unlike funds obtained through other budgetary measures, which leave the school board with flexibility to determine the use to which the funds will be dedicated, the funds obtained through protected or dedicated budgetary measures have restrictions on their transferability that limit the school board’s ability to determine how it will use and allocate those funds.

6. As explained in exhibits LN-1 to LN-5, there are two types of such measures: protected measures (“mesures protégées”) and dedicated measures (“mesures dédiées”).

7. As explained in exhibits LN-1 to LN-5, the funds obtained under a protected measure must be transferred to schools and adult education and vocational training centres and must be used solely for the purpose identified by the Ministry for that measure (see for instance LN-5, p. XVII). The school board may decide the proportion of the subsidy that is allocated to each school but cannot decide to use any of the funds for any other purpose.

8. For example, measure 15026 (Ajout d’enseignants spécialistes au préscolaire) in the budgetary rules of 2020-2021 is a protected measure that may only be used for the purpose of providing preschoolers with a 30-minute segment per week with a teacher specialized in physical education, health or arts, as appears from exhibit LN-5 (at p. 79).

9. The funds obtained under a dedicated measure must be transferred to schools and adult education and vocational training centres; the school board or the school can transfer the funds to another measure but only within the same grouping of budgetary measure (see for instance exhibit LN-5, at p. XVII).

12. Since 2016-2017, the number of protected and dedicated measures have significantly increased. In 2016-2017, there were 14 dedicated measures and no protected measures in the budgetary rules, as appears from exhibit LN-1, at pp. 1-2. There are 37 protected and dedicated measures in the budgetary rules for 2020-2021, as appears from exhibit LN-5, at p. 267-269. []

13. Since protected and dedicated measures have significant limitations on transferability, the money may go unspent depending on changes in schools’ needs and availability of human resources. For example, in light of the significant changes in schools’ operations in the last year due to COVID-19, an important amount on funds received through dedicated and protected measures for 2019-2020 remained unspent and cannot be used to meet the school board’s other current needs. []

[291]       M. Pierre-Luc Pouliot, directeur général du soutien aux réseaux et du financement au ministère de l'Éducation, dans sa déclaration assermentée, confirme ce déplacement du corps décisionnel :

15. L’article 473.1 LIP vise une gestion décentralisée d’une partie du financement permettant une prise de décision le plus près possible des personnes concernés (perspective de subsidiarité).

16. En effet, selon cette approche, certaines sommes concernant des services directs aux élèves doivent être spécifiquement accordées aux écoles. Cela permet de garantir que pour ces mesures, ce sont les établissements qui choisissent les moyens de mise en œuvre.

18. Ce mode de financement permet de mieux cibler les besoins particuliers des réseaux de l'éducation préscolaire et de l'enseignement primaire et secondaire, et ce, à l'avantage des élèves. Puisque chaque école au Québec accueille un effectif scolaire présentant des besoins qui lui sont propres, il est souhaitable que toutes les écoles profitent de plus de latitude dans le choix des moyens qui contribuent à la réussite éducative (pièce PGQ-45, p. 9).

[292]       Il confirme également que les commissions scolaires n’ont pas la latitude de dépenser ces subventions suivant les besoins qu’elles ont identifiés :

19. Les mesures destinées à un transfert vers le budget des établissements sont identifiées dans les règles budgétaires de fonctionnement des CSS et des CS comme étant « dédiées » ou « protégées ».

20. Les allocations des mesures dédiées sont transférables aux fins d'autres mesures à l'intérieur du regroupement de mesures dont elles font partie, à moins d'indication contraire. lI revient à l'établissement de déterminer si ces sommes sont transférées ou non.

21. Certaines mesures dédiées ne sont toutefois pas transférables. II s'agit alors de mesures « protégées ». Elles doivent être utilisées aux fins spécifiques de la mesure concernée. En spécifiant que les sommes doivent être utilisées aux fins prévues, il est visé que tous les élèves de tous les organismes scolaires publics puissent bénéficier des éléments prévus à chacune de ces mesures, peu importe la gouvernance du milieu scolaire (direction d'école, conseil d'établissement, comités et gouvernance des CSS et des CS, etc.), afin que l’importance de ces services directs aux élèves soit protégée et que la réussite éducative des élèves ne soit pas compromise. Concrètement, à limage des budgets des CS et CSS, la majorité des mesures dédiées et protégées visent des dépenses de rémunération, soit l'embauche de ressources permettant le soutien direct aux élèves.

[293]       Il résulte des contraintes budgétaires ainsi imposées que des montants substantiels ne sont pas dépensés parce qu’ils sont dédiés et ne peuvent être utilisés à d’autres fins que celles déterminées par le ministre :

7. Since protected and dedicated measures have significant limitations on transferability, the money may go unspent depending on changes in schools’ needs and availability of human resources. For example, in light of the significant changes in schools’ operations in the last year due to COVID-19, approximately $6,308,773 received through dedicated and protected measures for 2019-2020 remained unspent and could not be used to meet the school board’s other needs in 2019-2020. The budgetary rules indicate that the use of dedicated or protected measures for other purposes than those provided for may result in the funds being recuperated by the Ministry, as appears from exhibit LN-5, at page XVIII. In 2016-2017, approximately $315,034 received through dedicated measures remained unspent.[174]

[294]       Les commissions scolaires anglophones n’ont évidemment pas le pouvoir de déterminer quels montants leurs seront alloués par l’Assemblée nationale. Ils doivent recevoir au moins l’équivalent de ce qui est octroyé aux élèves du secteur francophone. De même, le ministre peut déterminer le contenu et les normes de qualité des programmes scolaires.

[295]       Cependant, les dispositions qui restreignent ainsi l’utilisation des fonds alloués aux commissions scolaires vont directement à l’encontre du « pouvoir exclusif de prendre des décisions concernant l'instruction dans sa langue et les établissements où elle est dispensée, notamment : les dépenses de fonds prévus pour cette instruction et ces établissements ».

[296]       Le déplacement des pouvoirs décisionnels des commissions scolaires vers les établissements va à l’encontre des enseignements de la Cour suprême relativement aux institutions de la minorité. En effet, la Cour a plusieurs fois énoncé que, lorsque le nombre le justifiait, le pouvoir exclusif de gestion et de contrôle par la minorité exigeait la création de conseils scolaires. Et c’est à la commission scolaire de prendre les décisions :

43 […] Lorsqu’une commission de la minorité linguistique a été établie en vue de satisfaire à l’art. 23, il revient à la commission, parce qu’elle représente la communauté de la minorité linguistique officielle, de décider ce qui est le plus approprié d’un point de vue culturel et linguistique. Le rôle principal du ministre est de mettre en place des structures institutionnelles et des politiques et règlements qui répondent à la dynamique linguistique particulière à la province[175].

[297]       Il n’est donc pas conforme à cet impératif que de priver les conseils ou commissions scolaires des pouvoirs qu’ils devraient détenir pour remplir leur rôle.

[298]       Pour reprendre les mots du juge Vickers de la Cour suprême de la Colombie-Britannique au sujet des restrictions imposées au Conseil scolaire francophone d’utiliser des fonds pour des dépenses de nature capitale [176]:

37 It seems to me that this lack of flexibility goes to the heart of management and control.  Restricting the measure of management and control of the minority fails to meet the obligation of equivalency and equality mandated by s. 23.

[299]       L’article 473.1 LIP contrevient à l’article 23.

ix.            Le pouvoir du ministre de déterminer des objectifs ou des cibles

[300]       Les demandeurs contestent le pouvoir conféré au ministre par l’article 142 de la Loi, qui ajoute l’article 459.5.4 à la LIP, de pouvoir « déterminer, pour l’ensemble des centres de services scolaires ou en fonction de la situation de l’un ou de certains d’entre eux, des objectifs ou des cibles portant sur l’administration, l’organisation ou le fonctionnement du centre de services scolaire ».

[301]       Ils soutiennent que cet article, qui s’ajoute à l’article 459.3 LIP qui prévoit déjà que le ministre peut prescrire à tout centre de services scolaire des modalités visant la coordination de l’ensemble de la démarche de planification stratégique entre les établissements d’enseignement, le centre de services scolaire et le ministère, empiète sur le pouvoir exclusif de gestion et de contrôle de la minorité.

[302]       Ils citent à cet égard la déclaration assermentée de M. Stephen Burke, président de la Commission scolaire Central Quebec[177] :

37. The council of commissioners formulates, modifies, and adapts various objectives throughout the year. It does so in response to the needs that are expressed by constituents in the various communities. I am confident that the needs of the various communities are heard because we have commissioners that represent various wards.

[…]

39 For a school board like ours that covers a very large territory, I am particularly worried that this provision will enable the Minister to force the board to progressively abandon a goal that is at the heart of our community: to provide services to all our communities, even in remote areas.

40 For example, commissioners (myself included) have made a conscious decision to continue operating the Valcartier Elementary School in Saint-Gabriel-de-Valcartier despite an enrollment of 70 students. From a practical perspective, the Ministry of Education may wish that we close this type of facility on the basis of cost alone, with no consideration for the community it serves. Our community is adamant about keeping this facility open.

41 Our schools do not just provide educational services. They are community centres where parents can and do in fact gather and where community members can and do get involved. To close a small school like the one in Saint-Gabriel-de-Valcartier would seriously threaten the future of that community.

[303]       Le Tribunal ne voit pas dans ce nouvel article l’ajout d’un pouvoir qui va nécessairement opposer les priorités du ministre à celles des centres de services scolaires anglophones. Le Tribunal ose plutôt espérer que si le ministre décide de fixer de tels objectifs, il le fera pour tenir compte des besoins de la communauté anglophone visée, tel que l’y oblige l’article 23.

[304]       Le Tribunal estime que, tel que rédigé, et en l’absence de preuve que son utilisation va à l’encontre des exigences de l’article 23, ce pouvoir participe du droit de l’Assemblée nationale de légiférer en matière d’éducation. Comme l’écrivait le juge Bastarache dans l’arrêt Arsenault-Cameron [178]:

« La province peut aussi réglementer ce domaine, comme nous l’avons déjà mentionné, en fixant des paramètres légitimes à l’exercice du droit de gestion de la commission ». 

[305]       Ces propos faisaient écho à ceux du juge en chef Dickson dans Mahe[179] :

« Finalement il est à noter que l'attribution de la gestion et du contrôle aux parents visés par l'art. 23 n'exclut pas la réglementation provinciale. La province a un intérêt dans le contenu et les normes de qualité des programmes scolaires. Pour autant qu'ils ne sont pas incompatibles avec les préoccupations linguistiques et culturelles de la minorité, ces programmes peuvent être imposés sans violation de l'art. 23. »

[306]       L’octroi de la discrétion au ministre n’est pas, comme c’était le cas dans l’affaire de La Federation Des Francophones De La Colombie-Britannique v. Woods,[180] l’attribution d’une discrétion allant visiblement à l’encontre du pouvoir exclusif de contrôle. Dans cette affaire, le juge Vickers écrivait :

32 It is the use of the word "may", the discretion by itself, and not the manner in which the discretion is exercised which makes the choice of words inappropriate. I do not assume the minister would exercise his discretion in an unconstitutional manner.  The plaintiffs do not complain that he has done so. However they should not have to wait for an inappropriate use of ministerial discretion to challenge a word that in and of itself makes the provision unconstitutional. In my view the use of the word "may" does not meet the constitutional obligation of the Province to provide funding to meet its s. 23 obligations.

[307]       Si des objectifs ou cibles incompatibles avec les besoins ou demandes de la communauté anglophone sont émis par le ministre, elles pourront faire l’objet de contestations, comme le prévoyait le juge en chef Dickson dans Mahe[181].

x.            Conclusion sur la gestion et le contrôle

[308]       Pour résumer les conclusions du Tribunal sur la désignation et les rôles des membres des commissions scolaires anglophones, il convient de citer la Cour d’appel en statuant que la perception qui se dégageait de prime abord a été confirmée par la preuve[182] :

[50] Le remplacement des commissions scolaires anglophones par des centres de services scolaires s’inscrit dans ce qui paraît, à première vue du moins, constituer (a) un transfert important du pouvoir de gestion et de contrôle du système éducatif de la minorité linguistique anglophone au profit du ministre et des employés des futurs centres de services scolaires, et (b) des restrictions importantes à la candidature d’un segment significatif des ayants droit de l’article 23 de la Charte canadienne aux conseils d’administration des nouveaux centres de services scolaires.

[309]       La somme des restrictions et des exigences formulées dans la Loi mène à la conclusion que la communauté anglophone perdra le contrôle et la gestion de ses institutions au profit, soit du ministère, soit d’un petit groupe de personnes qui aura le temps et surtout les moyens de s’occuper de gouvernance scolaire, alors que ceux qui s’y intéressent présentement seront découragés ou carrément empêchés de continuer à servir.

[310]       M. Eustace, intervenant, déplore que la gestion du réseau scolaire soit entre les mains d’une clique que le Tribunal se permet de qualifier « d’Old boys’ club ». Le Tribunal ne voit pas comment une restriction qui élimine plus de 90% des candidats potentiels aux postes de conseillers améliorera la situation.

g)     Pouvoir du ministre d’annuler des décisions des commissions scolaires

[311]       En vertu de l’article 329 de la Loi, le ministre peut, après enquête en application de l’article 478.3 de la Loi sur l’instruction publique de son propre chef ou à la suite d’une dénonciation d’un commissaire ou d’un membre du personnel d’une commission scolaire, annuler toute décision d’une commission scolaire prise entre le 1er octobre 2019 et le 5 novembre 2020 dans le cas d’une commission scolaire anglophone.

[312]       Cependant, l’annulation doit être prononcée dans les 60 jours de la décision et a effet à compter de la date à laquelle elle est prononcée.

[313]       La preuve n’a révélé aucun usage de ce pouvoir par le ministre. De toute évidence, les délais d’application de cette mesure sont dépassés. La question devient donc théorique.

[314]       En vertu de l’article 10 C.p.c., la Cour n’est pas tenue de se prononcer sur des questions théoriques[183].

[315]       Les auteurs Ferland et Emery ont écrit à ce sujet, dans le cadre de leur étude de la demande pour jugement déclaratoire[184] :

1-1157 – Le demandeur doit rechercher la « solution » d'une « difficulté réelle », non au sens d'une instance déjà introduite, selon la Cour suprême – il y aurait alors « une espèce de litispendance », – mais au sens d'une controverse entre deux parties, autre qu'un litige ou une controverse purement politique, non de simples questions hypothétiques ou des difficultés d'interprétation fictives, mais des difficultés réelles d'interprétation, et non pas une simple difficulté liée à l'exécution notamment d'un certificat d'autorisation.

1-1158 – Le demandeur doit rechercher devant le tribunal, non une simple opinion, mais un jugement susceptible de mettre fin à l'incertitude ou à la controverse entre les parties, à défaut de quoi le tribunal pourrait refuser de prononcer jugement (art. 10, al. 3).

[316]       En l’espèce, le Tribunal juge qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur la validité de l’article 329 de la Loi. Il ne sera par conséquent pas nécessaire de se prononcer sur l’article 330 de la Loi.

h)     L’absence de statut d’ayant-droit aux élections scolaires

[317]       En vertu des articles 14 et 15 de la Loi sur les élections scolaires visant certains membres des conseils d'administration des centres de services scolaires anglophones, qui a été modifiée par l’article 212 de la Loi, il n’est pas nécessaire qu’un électeur d’un centre de services scolaire anglophone soit un ayant-droit de l’article 23 :

14. L’électeur est inscrit sur la liste électorale de la circonscription où est situé son domicile.

15. L’électeur qui a un enfant visé à l’article 1 de la Loi sur l’instruction publique (chapitre I13.3) et admis aux services éducatifs dispensés par un centre de services scolaire anglophone qui a compétence sur le territoire où est situé son domicile peut voter à l’élection des membres du conseil d’administration de ce centre.

L’électeur qui n’a pas d’enfant visé à l’article 1 de la Loi sur l’instruction publique et admis aux services éducatifs dispensés par un centre de services scolaire anglophone ou francophone qui a compétence sur le territoire où est situé son domicile peut voter à l’élection des membres du conseil d’administration du centre de services scolaire anglophone, s’il en fait le choix.

Toutefois, l’électeur dont l’enfant a terminé ses études à un centre de services scolaire anglophone est réputé avoir choisi d’être inscrit sur la liste électorale de ce centre de services scolaire anglophone et d’y voter.

L’électeur peut faire le choix prévu au deuxième alinéa en dehors du processus électoral si, à la date où il est fait, il n’a pas d’enfant visé à l’article 1 de la Loi sur l’instruction publique et admis aux services éducatifs dispensés par l’un ou l’autre centre de services scolaire qui a compétence sur le territoire où est situé son domicile.

[318]       Selon les demandeurs, l’absence d’exigence quant au statut d’ayant-droit contrevient à l’article 23. N’importe quel citoyen canadien québécois peut décider de devenir électeur d’un centre de services scolaire anglophone. Il apparaît logique que la protection de la minorité et le droit de contrôle sur ses institutions scolaires exigent que seuls les membres de cette minorité aient voix au chapitre.

[319]       Sans que le Tribunal soit lié par ces dispositions, force est de constater que les législations provinciales et territoriales exigent ce statut d’ayant-droit pour voter aux élections scolaires de la minorité francophone[185]. Sans être exhaustif, citons à titre d’exemple quelques-unes de ces législations :

  • Ontario : Loi sur l'éducation:

« francophone » Enfant d’une personne qui a le droit, en vertu du paragraphe 23 (1) ou (2), sans égard au paragraphe 23 (3), de la Charte canadienne des droits et libertés, de faire instruire ses enfants, aux niveaux primaire et secondaire, en français en Ontario.

« titulaire des droits liés au français » Personne qui a le droit, en vertu du paragraphe 23 (1) ou (2), sans égard au paragraphe 23 (3), de la Charte canadienne des droits et libertés, de faire instruire ses enfants, aux niveaux primaire et secondaire, en français en Ontario. ("French-language rights holder")

  Résidents autres que les contribuables qui ont le droit de vote

50.1 (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi et toute autre loi mais sous réserve du paragraphe (2), la personne qui n’est pas contribuable d’un conseil quelconque, qui a le droit, aux termes du paragraphe 1 (10), de voter dans le territoire de compétence d’un conseil public et qui désire être électeur de ce conseil lors d’une élection a le droit :

a) d’une part, de faire inscrire son nom sur la liste préliminaire de la section de vote dans laquelle elle réside en tant qu’électeur de ce conseil;

  b) d’autre part, d’être recensée à titre d’électeur de ce conseil. 

  Titulaires des droits liés au français

50.1 (2) Seuls les titulaires des droits liés au français possèdent le droit que prévoit le paragraphe (1) à l’égard d’un conseil scolaire de district public de langue française.

  • Manitoba : Loi sur les écoles publiques :

 21.1 Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente partie.

 « ayant droit »

a) Résident du Manitoba dont la première langue qu'il a apprise et qu'il comprend encore est le français;

b) citoyen canadien qui réside au Manitoba et qui a reçu au moins quatre ans d'enseignement scolaire au niveau élémentaire dans le cadre d'un programme français au Canada;

c) citoyen canadien qui réside au Manitoba et qui est le parent d'un enfant qui reçoit de l'enseignement scolaire au niveau élémentaire ou secondaire dans le cadre d'un programme français au Canada ou qui a reçu un tel enseignement pendant au moins quatre ans. ("entitled person")

Commission scolaire de langue française

21.4(1) La commission scolaire de langue française, composée de commissaires élus en conformité avec les articles 21.35 à 21.38, est chargée d'administrer la division scolaire de langue française.

Nombre de commissaires

21.4(2) La commission scolaire de langue française compte de cinq à onze commissaires.

21.36.1(1) La commission scolaire de langue française peut, par règlement administratif :

a) modifier le territoire des circonscriptions électorales établies en application du paragraphe (1) ou dissoudre celles-ci et en créer de nouvelles;

b) sous réserve du paragraphe 21.4(2), accroître ou réduire le nombre total de commissaires qui doivent être élus ou le nombre de commissaires devant être élus dans une circonscription électorale.

21.36.1(2) Le règlement administratif pris en vertu du paragraphe (1) :

a) n'a d'effet que si le lieutenant-gouverneur en conseil l'approuve;

  • Nouvelle-Écosse: Education Act :

3 (h) “entitled parent” means a parent who is a citizen of Canada and (i) whose first language learned and still under­stood is French, (ii) who received his or her primary school instruc­tion in Canada in a French-first-language program, or (iii) of whom any child has received or is receiving primary or secondary school instruction in Canada in a French-first-language program;

(i) “entitled person” means an entitled parent or a person who, not being an entitled parent, would be an entitled parent if the person were a parent;

Election of Conseil

13 (1) The Conseil acadien shall be elected by entitled persons, at the same time as the regularly scheduled elections for school boards.

(2) An entitled person may vote in an election for the Conseil acadien or for another school board if that person is otherwise entitled to vote in an election for a school board but that person is not entitled to and shall not vote in the same election for both.

(2A) For greater certainty, an entitled person who votes in an elec­tion for either the Conseil acadien or for another school board may vote for either the Conseil acadien or for another school board in a special election that follows the election.

(3) Notwithstanding the Municipal Elections Act, (a) for greater certainty, only entitled persons may be members of the Conseil acadien; (b) only an entitled person may nominate a candidate for election as a member of the Conseil acadien and a person nominating such a candidate shall be required to sign a statement stating that per­son’s status as an entitled person, in a form prescribed pursuant to the Municipal Elections Act;

(Le Tribunal souligne)

[320]       Le dernier alinéa de l’article 15 de la Loi sur les élections scolaires visant certains membres des conseils d'administration des centres de services scolaires anglophones n’est donc pas conforme aux exigences de l’article 23. Il permet à un individu qui n’est pas titulaire des droits de cet article de participer à l’élection des représentants de la minorité.

i)       L’obligation de tenir compte des préoccupations de la minorité

[321]       Les gouvernements, comprenant les législatures, ont l’obligation de tenir compte des besoins et des préoccupations de la minorité linguistique dans l’adoption des lois et l’imposition de décisions.

[322]       Comme le résumait le juge Marc-André Blanchard dans son jugement au fond dans Hak,[186] au sujet de l’article 23 :

[971] Selon la Cour suprême, les droits prévus à l’article 23 de la Charte participent au maintien et à la valorisation de l’instruction et de la culture de la minorité tout en s’assurant que les besoins spécifiques de la communauté linguistique minoritaire constituent la première considération dans toute décision touchant des questions d’ordre linguistique ou culturel[187].

(Le Tribunal souligne)

[323]       Effectivement, la Cour suprême, à de multiples reprises, a insisté sur le fait que les décisions touchant les minorités linguistiques doivent être prises dans leur intérêt, en réponse à leurs besoins :

  • Ces éléments ont une importance considérable lorsqu'il s'agit de fixer des priorités générales et de répondre aux besoins spéciaux de la minorité en matière d'éducation.

En outre, comme l’indique le contexte historique dans lequel l’art. 23 a été adopté, les minorités linguistiques ne peuvent pas être toujours certaines que la majorité tiendra compte de toutes leurs préoccupations linguistiques et culturelles. Cette carence n’est pas nécessairement intentionnelle : on ne peut attendre de la majorité qu’elle comprenne et évalue les diverses façons dont les méthodes d’instruction peuvent influer sur la langue et la culture de la minorité[188].

  • 43 […] Le rôle principal du ministre est de mettre en place des structures institutionnelles et des politiques et règlements qui répondent à la dynamique linguistique particulière à la province (voir par exemple le Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), précité, à la p. 863).

49 Ce qui semblait logique pour la communauté linguistique minoritaire et sa commission ne l’était pas pour le ministre parce que les besoins pédagogiques n’étaient pas compris de la même manière. Le fait qu’il n’était pas nécessaire de répondre aux exigences pédagogiques de la minorité de la même manière qu’à ceux de la majorité ne semble pas avoir été un facteur dans la décision du ministre.

51 La question est aussi, les priorités de qui ?  Il est évident qu’il doit s’agir des priorités de la communauté minoritaire parce que la détermination de ces priorités est au cœur même de la gestion et du contrôle conférés par l’art. 23 aux titulaires de droits linguistiques minoritaires et à leurs représentants légitimes.  Évidemment, ces priorités doivent être déterminées et exercées en fonction du rôle du ministre.

53 La taille des écoles, les établissements, le transport et les regroupements d’élèves peuvent être réglementés, mais tous ces éléments influent sur la langue et la culture et doivent être réglementés en tenant compte de la situation particulière de la minorité et de l’objet de l’art. 23[189].

  • Toutefois, je tiens à faire ressortir que, dans la mise en œuvre d'un tel système d'instruction dans la langue de la minorité, la province doit explicitement examiner un certain nombre de questions pour satisfaire à ses obligations constitutionnelles et respecter l'objet et le caractère réparateur de l'art. 23. La mise en œuvre exige une pleine compréhension des besoins de la minorité linguistique francophone.

Il est extrêmement important que les parents de la minorité linguistique ou leurs représentants participent à la détermination des besoins en matière d'instruction et à l'établissement de structures et de services qui répondent le mieux possible à ces besoins.

Il faut éviter toutes dispositions et structures qui portent atteinte, font obstacle ou ne répondent tout simplement pas aux besoins de la minorité; il faudrait examiner et mettre en œuvre des mesures qui favorisent la création et l'utilisation d'établissements d'enseignement pour la minorité linguistique[190].

  • [23] Certes, ce contrôle exclusif n’exclut pas l’application de la réglementation provinciale visant le contenu et les normes de qualité des programmes scolaires, mais la Cour suprême précise que celle-ci ne doit pas être incompatible « avec les préoccupations linguistiques et culturelles de la minorité » : Mahe, p. 380. Elle résume bien les limites qu’impose l’article 23 au pouvoir discrétionnaire du législateur dans l’arrêt Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, 2000 CSC 1, [2000] 1 R.C.S. 3, par. 53 :

La province a un intérêt légitime dans le contenu et les normes qualitatives des programmes d’enseignement pour les communautés de langues officielles, et elle peut imposer des programmes dans la mesure où ceuxci n’affectent pas de façon négative les préoccupations linguistiques et culturelles légitimes de la minorité.  La taille des écoles, les établissements, le transport et les regroupements d’élèves peuvent être réglementés, mais tous ces éléments influent sur la langue et la culture et doivent être réglementés en tenant compte de la situation particulière de la minorité et de l’objet de l’art. 23[191].

(Le Tribunal souligne)

[324]       Il ressort de ces citations que les gouvernements sont obligés, non seulement de rechercher quels sont les besoins et préoccupations des minorités linguistiques, mais d’en tenir compte dans les mesures qu’ils adoptent et de répondre aux attentes de la minorité.

[325]       En agissant sans rechercher quels sont ces besoins, et sans en tenir compte quand on l’en informe, le gouvernement risque de voir ses mesures invalidées.

[326]       L’obligation qui est faite aux gouvernements va plus loin que l’obligation de consulter, que nous allons examiner. En effet, l’obligation de consulter n’entraîne pas de droit de veto pour la partie consultée[192]. Dans le cas des droits protégés par l’article 23, la mesure doit répondre aux besoins de la minorité. La consultation n’est pas nécessairement le moyen d’identifier ces besoins, mais il ne fait pas de doute qu’il s’agisse d’un moyen efficace de le faire.

[327]       Le dossier révèle que le législateur québécois n’a pas suffisamment tenu compte des besoins, demandes ou préoccupations de la minorité anglophone et de ses représentants. La preuve établit plutôt qu’il n’a d’aucune façon tenté d’identifier quels étaient ces besoins, qu’il n’a pas sérieusement requis l’opinion de ceux-ci, qu’il n’en a pas tenu compte quand on lui a donné et qu’il a limité considérablement les possibilités de les faire valoir.

[328]       Voyons plutôt.

[329]       Le projet initial du gouvernement, qui correspondait au programme électoral de la Coalition Avenir Québec, était d’abolir toutes commissions scolaires et leurs élections. Le « Plan de gouvernance scolaire », publié en janvier 2018[193], énonçait :

« La transformation proposée ici engendrera un important changement de mission pour les différents paliers de gouvernance du réseau et l’élimination définitive des postes de commissaires scolaires. Elle sonnera la fin des élections scolaires, coûteuses et sans réelle légitimité démocratique compte tenu de leurs taux de participation anémiques.

Précisons que cette transformation s’appliquera aux deux réseaux scolaires linguistiques présents au Québec, pour leur plus grand bénéfice. Les parents appartenant à la communauté linguistique anglophone conserveront dans ce nouveau modèle leur droit de gestion et de contrôle à l’égard des établissements d’enseignement où leurs enfants se font instruire »[194].

[330]       On note donc dans ce projet la disparition des commissions scolaires, qui doivent, selon la Cour suprême, être mises sur pied au bénéfice de la minorité linguistique, lorsque le nombre le justifie. Et la minorité doit pouvoir contrôler et gérer ces commissions scolaires. Dès le 18 janvier 2018, QESBA s’oppose au projet[195].

[331]       Une rencontre avec le ministre Roberge n’a pas lieu avant décembre 2018. Mme Hamilton précise qu’à cette occasion “there was a brief discussion on the CAQ’s electoral plan to abolish school boards, during which Minister Roberge neither confirmed nor denied whether he intended to go forward with this plan[196].

[332]       Mme Hamilton décrit les autres tentatives de QESBA pour faire valoir son point de vue au ministre et connaître les intentions de celui-ci. Retenons de sa déclaration assermentée :

[9] On January 29, 2019, Mr. Dan Lamoureux, president of the QESBA, sent a letter addressed to Mr. Roberge, Minister of Education and Higher Education, expressing the concerns of the QESBA and the English-speaking community regarding the government’s plan for school board governance reform[197]. [] The QESBA did not receive a response to this letter.

[10] On June 18, 2019, Mr. Lamoureux, Mr. Copeman, and myself attended a meeting with Minister Roberge, Julie Lussier, Chief of Staff of the Office of the Minister, Claudia Landry, Political Advisor for the Office of the Minister and Christopher Skeete, Member of the National Assembly for Sainte-Rose and Parliamentary Assistant to the Premier for Relations with English-Speaking Quebecers.

[11] The June 18, 2019, meeting lasted approximately one hour. A number of items were on the agenda, one of which was school board governance reform. Mr. Copeman expressed the QESBA’s position that the government plan for school board governance reform would violate the community’s section 23 rights. Mr. Skeete became confrontational and argued that the CAQ’s plan respected section 23 rights. Minister Roberge did not respond to the QESBA’s concerns, other than to say that he would reflect on them and that he would meet with the QESBA before a bill was tabled.

[13] On September 23, 2019, Mr. Copeman wrote to Ms. Lussier, Chief of Staff of the Office of the Minister, on behalf of the QESBA to remind the Minister’s office of his June 18, 2019 commitment to meet with the QESBA prior to tabling the bill, and to request a meeting. On September 26, 2019, Ms. Lussier responded that organizing a meeting with the Minister would be “complex” and offered to meet Mr. Copeman herself briefly but only after the tabling of the bill[198].

[333]       Le projet de loi fut déposé sans que le ministre ne rencontre à nouveau les représentants de QESBA. Le projet de loi modifiait le projet initial du gouvernement en ce que les centres de services scolaires anglophones auraient des représentants élus, selon les modalités qui sont contestées par les demandeurs. On peut remarquer de la preuve qui précède que les modalités électorales insérées au projet de loi n’ont pas été demandées par la communauté anglophone.

[334]       À l’occasion d’une rencontre avec le ministre le 18 octobre 2019, les représentants de QESBA estiment ne pas avoir eu la chance de faire valoir leurs préoccupations particulières, la rencontre comprenant les représentants de la Fédération des commissions scolaires francophones, qui avait ses propres préoccupations. Les représentants de QESBA demandèrent au ministre de tenir des États généraux sur l’éducation, ce à quoi il ne répondit pas[199].

[335]       QESBA comparut en commission parlementaire le 4 novembre 2019.

[336]       Une dernière rencontre eut lieu avant que le gouvernement n’impose le bâillon. Mme Hamilton décrit celle-ci :

[19] On December 5, 2019, Minister Roberge convened a meeting with QESBA for December 17, 2019 on Bill 40. Mr. Lamoureux, Mr. Copeman, Mr. Burke, Mr. Michael Murray, Chairman of the Eastern Townships School Board, and myself, were present on behalf of QESBA. Minister Roberge attended along with Ms. Lussier, Ms. Landry and Mr. Di Domizio. Minister Roberge opened the meeting with an aggressive tone, angrily stating Je vous ai donné tout ce que vous voulez, qu’est-ce que vous voulez de plus ! and throwing his phone down on the table. Mr. Copeman reiterated the QESBA’s position that there was a firm case that section 23 was violated by Bill 40, raising in particular the bill’s addition of non-elected staff members on the board of directors of school service centres. Minister Roberge did not respond to these concerns.

[337]       Un des acteurs impliqués dans la représentation des intérêts de la minorité anglophone est l’Alliance for the Promotion of Public English-Language Education in Quebec.[200] Son président à l’époque de l’adoption de la Loi était M. Geoffrey Kelley, ancien député de la circonscription de Jacques Cartier et ministre des Affaires autochtones entre 2014 et 2018. Sa déclaration assermentée[201] fait état des démarches entreprises par APPELE-Quebec et d’autres organismes pour faire valoir le point de vue des anglophones auprès du gouvernement et du ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur:

[9] On May 2, 2019, I wrote to Mr. Jean-François Roberge, Minister of Education and Higher Education on behalf of APPELE-Quebec, to express the English-speaking community’s concerns about the government’s plans to replace school boards with school service centres, emphasize the importance of holding consultations with the community, and request a meeting with the Minister prior to the tabling of a bill[202]. [] APPELE-Quebec received an acknowledgment of receipt in which a staff member of the Minister’s office indicated this letter would be brought to the attention of the relevant persons for follow-up[203]. (…) APPELE-Quebec received no further response.

[10] On June 11, 2019, I wrote to Minister Roberge to provide additional information on our community’s concerns and, in particular, the results of a survey of the English-speaking community of Quebec, as appears from the letter of June 11, 2019, attached as exhibit GK-4.

[11] On August 12th, 2019, a meeting took place between representatives of APPELE-Quebec, QESBA and the Minister of Education and Higher Education at the Minister’s riding office in Chambly, QC. I attended the meeting on behalf of APPELE-Quebec, and was accompanied by the Hon. Joan Fraser, Vice-Chair of APPELE-Quebec, Kevin Shaar, Vice- Chair of APPELE-Quebec, and myself, attended on behalf of APPELE-Quebec. Dan Lamoureux, president of QESBA and Russell Copeman, Director General of QESBA, attended on behalf of QESBA. Mr. Geoffrey Chambers, President of the QCGN and Ms. Sylvia Martin-Laforge, Director General of the QCGN, attended on behalf of QCGN. Minister Roberge attended with Ms. Claudia Landry, Political Advisor, and other Ministry staff.

[12] During the meeting, Minister Roberge expressed his broad vision for a reform that would eliminate the costs of school board elections and give more voice to parents. I expressed the community’s concerns regarding the proposal, and emphasized the importance of maintaining the right to management and control of all members of our community, not just parents who currently have children in school. As an example, I presented my own situation as an engaged grandparent to children in English schools. Minister Roberge did not provide a response to these concerns whether at the meeting or after, but did commit to meeting with us again before tabling a bill.

[13] On September 19, 2019, I wrote to Minister Roberge and Mr. Simon Jolin-Barrette in his capacity as Government House Leader to request that the National Assembly hold general consultations on the upcoming bill so that all stakeholders in the community could be heard[204]. [] APPELE-Quebec received an acknowledgment of receipt in which a staff member of the Minister’s office indicated this letter would be brought to the attention of the relevant persons for follow-up[205]. APPELE-Quebec received no further response.

[14] On September 19, 2020, I also wrote to Ms. Sonia LeBel, Minister of Justice and Attorney General and Minister responsible for the Canadian Francophonie, expressing our concerns about the impact of Bill 40 on the minority language education rights of official language minorities across the country, as appears from the letter of September 19, 2020[206]. APPELE-Quebec received no response.

[15] Despite Minister Roberge’s commitment to meeting with us again before tabling a bill, there were no further communications from Minister Roberge’s office prior to the bill being tabled on October 1, 2019.

[16] Despite APPELE-Quebec's earlier request on the letter of September 19, 2019 (exhibit GK-5), the National Assembly proceeded by private consultations rather than general consultations, which prevented many organizations and members of the community from participating.

[17] ln response to this, APPELE-Quebec held its own public hearings on November 19, 2019, to collect the views of members of the community. During the public hearings, APPELE-Quebec heard from 18 groups and individuals over the course of a full day and received 19 briefs.

[18] On October 4, 2019, I wrote to Minister Roberge and Mr. Jolin-Barrette to request that APPELE-Quebec be heard during particular consultations on Bill 40[207].

[19] On November 6, 2019, Ms. Fraser, Mr. Shaar and myself appeared on behalf of APPELE-Quebec before the Committee on Culture and Education in its study of Bill 40; we presented APPELE-Quebec's brief[208].

[16] On November 25, 2019, I wrote to Minister Roberge to communicate the consensus that arose from the public hearings held by APPELE-Quebec, namely that the enactment of Bill 40 should be postponed until an in­ depth study had been conducted or, in the alternative, that English­ language school boards should be entirely exempted from the bill[209]. [] APPELE-Quebec received no feedback or response to our concerns.

[20] On February 7, 2020, the government invoked closure to pass Bill 40. The amendments put forward during the legislative process were not responsive to the concerns expressed by APPELE-Quebec on behalf of the English-speaking community.

[338]       Rappelons enfin l’intervention de l’Association des comités de parents anglophones, dont le PGQ se réclamait du soutien, dont la porte-parole avait pourtant déclaré[210] :

Regarding the government’s goal of providing autonomy for schools and proximity in decision-making: we appreciate and applaud the minister in wanting to bring the parents closer to the decision-making process.

However, there are several aspects of the new model that raise concern and problem for us, and may indeed undermine the stated intention of proximity to the community.

The new model [] provides very specific criteria for the community representatives who will replace the existing elected commissioners (i.e. one each from the financial sector, sports and leisure, human resources, etc.). We see it as highly unlikely that the people with these backgrounds are likely to step forward spontaneously to run for these positions, particularly in rural areas.

[]

À propos de la volonté du gouvernement de dépolitiser l’éducation, nous croyons que ce projet de loi aura plutôt un effet négatif sur la démocratie dans le système.

[]

To conclude, we note that this bill has not emerged from any white paper or clear intention to improve education in Quebec. It offers no metrics that matter to us, such as improving the graduation rate and the quality of education. The government needs to stop focusing on structural changes that will not help our students, and instead loom at the excellent success rates of the 9 Anglophone school boards. School boards are the one element of the public system that the English-speaking minority can call its own, thus giving it a degree of democratic legitimacy that is absent for English speakers dealing with other public services.

The existing School Board system is a community-based intermediary between the school and the Education Ministry, and an important institutional support to parents; and we see the new service centres proposed to replace them as having uncertain legal status, with leadership clearly answerable to the ministry before parents, teachers or administrators. Without amendment, this bill is a disaster for our schools and the communities they support. We encourage this Assembly to look long and hard at this bill, and to be ready to amend it in the interest of the quality of education in Quebec.

[339]       Le 7 février 2020, quelques jours après avoir déposé quelques 80 amendements au projet de loi, et alors qu’il restait environ 300 articles à discuter, le gouvernement a imposé le bâillon pour faire adopter la Loi, sur division.

[340]       Le PGQ fait valoir que la Cour suprême a décidé dans l’arrêt Mikisew[211] qu’on ne pouvait assujettir le processus législatif à la consultation, en raison du principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs. La juge Karakatsanis a effectivement écrit, au nom de trois juges : 

[32] [] je conclus que le processus législatif — à savoir l’élaboration, l’adoption et la promulgation d’une loi — ne donne pas naissance à l’obligation de consulter. Les principes de la séparation des pouvoirs et de la souveraineté parlementaire exigent que les tribunaux s’abstiennent d’intervenir dans le processus législatif. La doctrine de l’obligation de consulter ne convient donc pas relativement à l’action législative.

[34] L’élaboration de projets de loi par les ministres fait partie intégrante du processus législatif, un processus qui est généralement à l’abri du contrôle judiciaire.

[341]       Le juge Brown, également au nom de trois juges, opinait dans le même sens :

[117] Je souscris à l’opinion des juges majoritaires de la Cour d’appel selon laquelle l’ensemble du processus législatif — de l’élaboration initiale des politiques à la sanction royale inclusivement — constitue un exercice du pouvoir législatif qui est à l’abri de l’ingérence des tribunaux. Comme la Cour l’a expliqué dans l’arrêt Ontario c. Criminal Lawyers’ Association of Ontario, 2013 CSC 43, [2013] 3 R.C.S. 3, par. 28, les « choix politiques » relèvent du pouvoir législatif, tandis que leur mise en œuvre et leur administration incombent au pouvoir exécutif. Cela empêche les tribunaux d’imposer une obligation de consulter dans le cadre du processus législatif.

[118] Le principe de la séparation des pouvoirs met en outre le processus d’élaboration par le Cabinet des principes directeurs en matière de législation ainsi que la préparation et le dépôt des projets de loi aux fins d’examen par le Parlement (et par les législatures) à l’abri du contrôle judiciaire.

[342]       Les juges conviennent cependant dans cette affaire que si la législation porte atteinte aux droits protégés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, les tribunaux pourront l’invalider.

[343]       Les demandeurs font valoir que dans l’arrêt British Columbia Teachers’ Federation[212], le juge d’appel Donald, dont les raisons furent adoptées par la majorité en Cour suprême, a jugé qu’une consultation préalable et de bonne foi des syndicats par le gouvernement pouvait légitimer une loi eu égard à l’entrave au droit à la libre négociation collective, dérivé du droit à la liberté d’association. Il écrit[213] :

[287] If the act of associating in order to collectively negotiate to achieve workplace goals is not substantially interfered with, the government has not breached s. 2(d). The mere act of passing the terms of employment through legislation rather than a traditional collective agreement makes no difference to whether the employees were given the opportunity to associate and effectively pursue workplace goals. If the government, prior to unilaterally changing terms of employment, gives a union the opportunity to meaningfully influence the changes made, on bargaining terms of approximate equality, it will likely lead to a finding that the union was not rendered feckless and the employees’ attempts at associating to pursue workplace goals were not pointless or futile: see SFL at para. 55. Thus, the employees’ freedom of association would likely not therefore be breached.

[288] In this context, a Charter breach cannot always be seen within the four corners of legislation, but must sometimes be found to occur prior to the passage of the legislation, when the government failed to consult a union in good faith or give it an opportunity to bargain collectively. If the breach is the lack of consultation, then surely this Court must consider such a lack of consultation when determining whether a breach occurred.

[289] It is true that any pre-legislative consultation in this context would inevitably be done by the executive, rather than the legislative, branch of government. I do not believe this creates any practical difficulty in the analysis. 

(Le Tribunal souligne)

[344]       Les demandeurs estiment que cette approche se justifie également dans le cas de l’atteinte aux droits garantis par l‘article 23, les articles 2 d) et 23 de la Charte garantissant un « processus ». Selon eux, puisque le gouvernement doit tenir compte de leurs besoins, ceci leur garantit une consultation préalable. Ils invoquent également les arrêts Ontario (Attorney General) v Fraser[214] et Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général)[215].

[345]       Le Tribunal estime que le droit à la consultation peut différer en matière de droit à la négociation collective, de droits des peuples autochtones et de droit à l’éducation dans la langue de la minorité.

[346]       Il s’agit de droits différents même s’ils ont tous trois une composante collective. Ils ne remplissent pas les mêmes objectifs. Le droit d’association est plus vaste que le droit à la négociation collective, et peut par ailleurs faire l’objet d’une dérogation aux termes de l’article 33 de la Charte, ce qui n’est pas le cas des deux autres.

[347]       Le respect des droits existants ou issus de traités des peuples autochtones met en jeu l’honneur de la Couronne et obéit à des règles sui generis.

[348]       Le droit à l’enseignement dans la langue de la minorité fait aussi l’objet d’un corpus jurisprudentiel dont on doit tirer les enseignements qui lui sont propres. Comme l’écrivait le juge en chef Dickson dans Mahe[216] :

« lart. 23 établit un code complet régissant les droits à linstruction dans la langue de la minorité. Il est assorti de réserves et dune méthode dévaluation qui lui sont propres. »

[349]       Tel que nous l’avons vu, les gouvernements ont l’obligation de tenir compte des besoins et préoccupations de la minorité. Tous en gardant le contrôle sur plusieurs aspects de l’enseignement, ils doivent tenir compte des besoins de la minorité. Ils ne pourront y déroger, même après une consultation dont ils n’aimeraient pas les conclusions.

[350]       Si la minorité linguistique n’a pas le droit de mettre un veto à la législation, elle a le droit de s’assurer que la législation respecte et tienne compte de ses besoins. La majorité ne peut y passer outre, même par une loi, à moins qu’elle puisse le justifier.

[351]       La consultation est un des moyens d’obtenir l’information sur les besoins de la minorité. C’est probablement la voie à privilégier, même si ce n’est pas la seule. La recherche scientifique et universitaire en est une autre. Les travaux des experts consultés de part et d’autre en l’instance en témoignent.

[352]       Les commissions d’enquête peuvent également être une autre source d’information. Les références des experts aux travaux des commissions Parent et Laurendeau-Dunton en attestent.

[353]       En l’instance, si le PGQ réfère aux travaux de la Commission Parent, il n’en fait pas la source de l’identification des besoins de la minorité. Le PGQ justifie sa réforme législative en expliquant pourquoi elle est globalement justifiée et en fait la genèse historique. Ceci justifie l’adoption de la Loi à l’égard des établissements francophones, question sur laquelle le Tribunal ne peut et ne doit pas se prononcer. Cela n’explique pas en quoi la Loi répond aux besoins de la minorité.

[354]       Une autre façon de recueillir l’information est la mise sur pied d’un « task force », ou « groupe de travail » comme ce fut fait en Colombie-Britannique après que l’arrêt Mahe ait été rendu[217].

[355]       À titre d’autre exemple, le PGQ fait référence à des études commandées antérieurement à l’amendement à l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 aux professeurs Kenniff, Proulx et Woehrling[218].

[356]       En Nouvelle-Écosse, la tâche d’augmenter le nombre de conseillers scolaires pour le Conseil scolaire acadien provincial en fonction d’un changement des besoins revient à la Commission des services publics et de révision[219]. Elle fixe également les limites des circonscriptions électorales en prévision des élections scolaires.

[357]       Ces autres outils ne semblant pas avoir été utilisés, il ne reste que la consultation qui aurait été menée par le gouvernement avant l’adoption de la Loi.

[358]       En effet le Tribunal n’a aucune preuve scientifique sociologique qui justifie les mesures adoptées à l’égard de la minorité anglophone. Il n’y a pas non plus de rapport de commission d’enquête du genre de la Commission de consultation sur les pratiques daccommodement reliées aux différences culturelles (Commission Bouchard-Taylor) qui aurait livré ses constatations sur l’état de la gestion du réseau scolaire anglophone et formulé des recommandations.

[359]       Le PGQ plaide qu’advenant qu’une obligation de consulter existe, celle-ci a été respectée. Invoquant les rencontres ci-haut invoquées, il ajoute que des consultations particulières ont eu lieu à l’Assemblée nationale dans le cadre de la Commission parlementaire de la culture et de l’éducation[220].

[360]       Lors de cette consultation qui a duré sept (7) jours, la Commission parlementaire de la culture et de l’éducation a notamment entendu les commentaires concernant le PL 40 de la QESBA, qui a déposé un mémoire écrit à la Commission.

[361]       La Commission a également entendu l’Association des comités de parents anglophones, l’Association of administrators of English Schools of Québec et APPELE-Quebec qui ont déposé un mémoire.

[362]       De plus, toute personne pouvait transmettre ses commentaires par écrit, sous la forme d’un mémoire pour les fins de la consultation, et ce, même si elle n’était pas invitée à participer aux auditions publiques.

[363]       Plusieurs organismes qui représentent les intérêts de la communauté anglophone du Québec ont déposé un mémoire dont :

  • L’Association des Townshippers;
  • La Commission de l’éducation en langue anglaise;
  • Greater Montreal Forum;
  • Quebec Community Groups Network.

[364]       Le PGQ n’indique cependant pas quels sont les besoins que ces intervenants ont identifiés et qui auraient été intégrés dans les dispositions de la Loi. Le PGQ n’indique pas non plus le poids relatif de ces intervenants : leur temps de parole total sur les sept (7) jours d’audition en commission parlementaire fut de 2 heures 15 minutes. Le nombre total d’intervenants s’élevait à 47.

[365]       Le PGQ n’énumère pas non plus tous les groupes qui ont demandé à être entendus et qui ne l’ont pas été :

  • Black Community Resource Center, le Quebec Board of Black Educators et le Black Community Forum[221];
  • Beverly Prudhomme demandant des consultations publiques[222];
  • Canadian Parents for French[223];
  • English Community Organization of Lanaudière;[224]
  • Quebec Federation of Home and School Associations Inc.;[225]
  • Quebec Community Groups Network[226];
  • Riverside School Board[227];
  • Western Quebec School Board[228];
  • Sir Wilfrid Laurier School Board[229].

[366]       Le PGQ plaide également qu’un projet de loi similaire avait été présenté à l’Assemblée nationale le 4 décembre 2015[230]. Lors des consultations particulières sur ce projet de loi, la Commission de la culture et de l’éducation a entendu notamment l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec, la Commission scolaire English Montréal, la Commission scolaire Lester B. Pearson, l’Association des comités de parents anglophones, Quebec Community Groups Network, l’Association régionale des West Quebecers, la Coalition pour l’avenir du réseau anglophone et l’Association of administrators of English Schools of Québec.

[367]       Le Tribunal a beaucoup de difficulté à voir comment des représentations sur un projet de loi différent de celui qui est à l’étude pourraient constituer une consultation « utile ».

[368]       Il ne suffit pas que les représentants de la communauté anglophone aient été entendus par politesse. Une consultation véritable comporte des exigences.

[369]       La notion de consultation a été plus particulièrement étudiée dans le contexte du respect des droits des peuples autochtones. Dans l’arrêt Haïda Nation, la Cour suprême identifie les composantes d’une consultation « significative ou utile » (meaningful), en s’inspirant des pratiques en vigueur en Nouvelle-Zélande[231] :

[…] de véritables consultations s’entendent d’un processus qui consiste […]

  • à recueillir des renseignements pour mettre à l’épreuve les énoncés de politique;
  • à proposer des énoncés qui ne sont pas encore arrêtés définitivement;
  • à chercher à obtenir l’opinion des Mäoris sur ces énoncés;
  • à informer les Mäoris de tous les renseignements pertinents sur lesquels reposent ces énoncés;
  • à écouter avec un esprit ouvert ce que les Mäoris ont à dire sans avoir à en faire la promotion;
  • à être prêt à modifier l’énoncé original;
  • à fournir une rétroaction tant au cours de la consultation qu’après la prise de décision.

[370]       Cette notion de consultation existait déjà dans le domaine scolaire. Le juge André Biron écrivait relativement à des consultations prescrites par la Loi sur l’instruction publique préalablement à une fermeture d’école[232] :

76 La Cour en retient comme règle quil ne suffit pas quil y ait consultation, mais encore faut-il que les organismes consultés aient de linformation suffisante sur lobjet de la consultation pour pouvoir donner un avis éclairé, et aient une opportunité raisonnable de faire connaître leur point de vue, de souligner les problèmes et difficultés, sil y a lieu. Ceci implique quil faille que le temps accordé pour faire connaître son avis soit suffisant, compte tenu des éléments à considérer.

77 La deuxième règle que la Cour entend appliquer est la suivante : la Commission scolaire devait prendre lavis des comités et conseils, mais nétait pas obligée de suivre cet avis. Si le législateur avait voulu quil en soit autrement, il naurait pas employé le terme « consulter» sans le compléter par un alinéa du genre du suivant : nulle école ne pourra être fermée sans le consentement de son Comité décole et de son Conseil dorientation.

(Le Tribunal souligne)

[371]       Le Tribunal conclut de la preuve que le gouvernement n’a pas respecté les règles d’une consultation « utile » (meaningful) :

  • Il n’a pas étudié de façon spécifique les besoins de la minorité anglophone.
  • Il n’a pas fait d’efforts pour recueillir les préoccupations de la communauté anglophone.
  • Il n’a pas donné d’information cruciale en temps utile pour permettre à ses représentants de bien connaître les intentions du gouvernement et d’y réagir.
  • Il n’a pas recueilli l’information lui permettant de comprendre les besoins de la minorité.
  • S’il a reçu les mémoires de différents groupes de la communauté anglophone, il n’a visiblement pas considéré leurs demandes et n’en a pas discuté avec eux.
  • Il n’a pas pris le temps de les rencontrer suffisamment longtemps, et seuls.
  • Il n’a fourni aucune rétroaction une fois son projet adopté.

[372]       Le Tribunal conclut que le gouvernement n’avait pas « l’esprit ouvert » dans ses interactions avec la communauté anglophone et ne montrait aucune ouverture à modifier son projet original si ce n’est, au départ, de rajouter à son projet initial le maintien des élections scolaires, mais en le calquant sur les dispositions propres aux centres de services scolaires de la majorité francophone.

[373]       La seule modification résultant des représentations de la communauté anglophone est l’augmentation du nombre de « représentants de la collectivité ». Initialement au nombre de quatre, le nombre de membres de la collectivité a été augmenté pour tenir compte des préoccupations énoncées en commission parlementaire. Leur « cens d’éligibilité » n’a pas été modifié, ni l’obligation de se présenter à la grandeur du centre de services scolaire.

[374]       Si on étudie la demande exacte formulée par APPELE-Québec, on se rend d’ailleurs compte que la modification n’y répond pas adéquatement :

« APPELE-Québec recommande:

Qu'il y ait parité entre les représentants des parents et ceux de la collectivité au conseil d'administration et que les deux groupes soient élus au sein de la subdivision. Le jour de l'élection, les électeurs se verraient remettre deux bulletins: un pour l'élection d'un représentant de la collectivité et l'autre pour l'élection d'un parent.

Il faudrait que les parents représentants soient ou aient été membres d'un conseil d'établissement. Le président et le vice-président devraient être élus par le Conseil parmi les représentants des parents et de la collectivité.

Il faudrait retirer les quatre critères qui s'appliquent aux représentant de la collectivité; ces derniers devraient simplement être des titulaires de droit en vertu de la Charte de la langue française qui résident dans le territoire desservi par le centre de services.

Les représentants du personnel ne devraient pas être membres du conseil.

Les membres du conseil devraient obtenir une faible indemnité comme les commissaires en reçoivent actuellement. [233]»

[375]       Le Tribunal estime que ce n’est pas là « tenir compte des besoins de la minorité ». C’est nettement insuffisant et de peu de conséquences.

[376]       Comme l’écrivait le juge Blanchard dans Hak :

[993] Dans la mesure où une ou plusieurs commissions scolaires anglophones décident que leurs institutions d’enseignement désirent engager et promouvoir des personnes portant des signes religieux parce qu’elles considèrent que cela participe à promouvoir et à refléter la diversité culturelle de la population qu’elles desservent, l’article 23 de la Charte empêche le législateur d’obvier directement ou indirectement à un tel objectif.

[377]       Il n’appartient pas au Tribunal de juger du bien ou mal fondé de la réforme législative du gouvernement québécois. Son rôle est de s’assurer qu’elle continue de protéger le droit à la gestion et au contrôle des institutions de la minorité par ses représentants, ce qu’elle ne fait pas.

j)       Conclusion sur l’atteinte

[378]       Le Tribunal conclut que les articles 50, 52[234], 66, 91, 93, 196, 208, 212 et 216 de la Loi et 473.1 LIP portent atteinte aux droits des ayants-droits québécois de l’article 23 de la Charte d’exercer un pouvoir exclusif de gestion et contrôle de leurs institutions scolaires.

[379]       Ces articles ne répondent pas aux besoins spécifiques de la minorité anglophone du Québec.

B.    Justification de l’atteinte aux droits

[380]       Il s’agit donc maintenant de déterminer si larticle 1 de la Charte permet de sauvegarder ces dispositions législatives d’une déclaration les rendant inopérantes en vertu de l’article 52 de la L.C. 1982 au bénéfice de toute commission scolaire jouissant de la protection de l’article 23 de la Charte.

[381]       Aux termes de l’article 1 de la Charte, pour justifier une mesure qui porte atteinte à un droit garanti par la Charte, la Cour suprême a établi la grille d’analyse dans l’arrêt Oakes :[235]

  • l’objectif visé par la mesure doit « se rapporter à des préoccupations urgentes et réelles »;
  • la mesure doit avoir un lien rationnel avec l’objectif visé;
  • le moyen choisi doit porter atteinte le moins possible au droit ou à la liberté en question;
  • il doit y avoir proportionnalité entre les effets de la mesure restreignant le droit ou la liberté et l’objectif.

[382]       Cette grille s’applique à l’analyse d’une atteinte aux droits linguistiques.

[383]       Mais, le juge en chef Wagner nous met en garde dans l’arrêt Conseil scolaire francophone :

[148] Deuxièmement, l’art. 23 n’est pas visé par la clause de dérogation prévue à l’art. 33 de la Charte. Cette décision témoigne de l’importance accordée à ce droit par les rédacteurs de la Charte et de leur intention d’encadrer de façon stricte les dérogations à celui-ci. Dans l’arrêt Frank c. Canada (Procureur général), 2019 CSC 1, [2019] 1 R.C.S. 3, qui portait sur le droit de vote des Canadiens et des Canadiennes résidant à l’étranger, j’ai réitéré les propos formulés par la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), 2002 CSC 68, [2002] 3 R.C.S. 519, selon lesquels en excluant le droit de vote du champ d’application de la clause de dérogation, les constituants ont souligné l’importance privilégiée de ce droit. J’ai ajouté qu’en raison de cette exclusion, toute dérogation à ce droit doit être examinée en fonction d’une norme sévère en matière de justification (Frank, par. 25; Sauvé, par. 11 et 14). Ces propos s’appliquent également dans le contexte de l’art. 23.

[151] Pour les raisons qui précèdent, je suis d’avis que l’art. 23 fait partie des dispositions de la Charte dont la violation est particulièrement difficile à justifier. Je conclus que toute dérogation à l’art. 23 doit donc être analysée et justifiée en vertu d’une norme des plus sévère.

(Le Tribunal souligne)

[384]       Le PGQ invite le Tribunal à ne pas tenir compte de cet arrêt dans la mesure où la minorité anglophone du Québec ne risque pas l’assimilation, contrairement à la minorité francophone de Colombie-Britannique[236].

[385]       Répondons que les protections de l’article 23 ne dépendent pas d’un risque d’assimilation. Que les francophones hors-Québec aient été historiquement mal traités, ce qui est indéniable, ne justifie pas de rogner sur les droits garantis de la minorité anglophone, toute privilégiée qu’elle soit.

[386]       Par ailleurs, la minorité anglophone québécoise n’est pas homogène, comme l’a démontré le rapport Gérin-Lajoie. En dehors du Grand Montréal, elle subit un sort qui peut ressembler à celui de plusieurs minorités francophones au pays.

[387]       Que la protection du français demeure une préoccupation légitime et pressante au Québec n’entre pas en ligne de compte dans le présent dossier.

[388]       Deux particularités de l’article 23 ressortent. Comme l’écrit le juge en chef Wagner pour la majorité dans Conseil scolaire francophone de Colombie-Britannique[237], « l’article 23 comporte une limite interne, la justification par le nombre, qui exige l’existence d’un nombre suffisant d’enfants, c’est-à-dire d’élèves, pour justifier l’exercice du droit qu’il accorde. »

[389]       Cette limite n’est pas en cause. Ni ne l’est l’allocation financière des ressources, si ce n’est à l’égard de l’article 473.1 LIP et de l’allocation aux élus. Et comme le fait remarquer la Cour suprême, « dans de tels cas, l’analyse fondée sur l’article premier fait alors double emploi à certains égards avec l’analyse de la justification par le nombre. »

[390]       Par ailleurs, la mesure étudiée doit répondre aux besoins et préoccupations de la minorité. Il s’agit là d’un exercice de justification. Comme nous l’avons vu, cette justification peut s’effectuer par une consultation préalable. Comme l’écrivait la Cour suprême dans un contexte de droit à la négociation collective, à l’étape de la justification[238] :

« Le législateur n’est pas tenu de consulter les parties visées avant d’adopter une mesure législative. Par contre, il peut être utile de se demander, dans le cadre de l’analyse de la justification fondée sur l’article premier, si le gouvernement a envisagé d’autres solutions ou consulté les parties visées, en choisissant d’adopter la méthode qu’il privilégiait. Par le passé, la Cour a déjà examiné ce genre de facteurs prélégislatifs dans le contexte de l’étude de l’atteinte minimale. Ce type de preuve permet tout simplement d’étudier quelles options à l’intérieur d’une gamme de choix possibles ont été prises en considération. »

[391]       Il n’est pas suffisant de justifier la mesure par un objectif législatif par ailleurs légitime à l’égard de la majorité. Il faut la justifier à l’égard de la minorité.

[392]       Le PGQ identifie l’objectif urgent et réel par rapport aux besoins de la population québécoise en général :

« Plus particulièrement, le PL 40 a pour objet principal de revoir la gouvernance scolaire afin de rapprocher la prise de décision des élèves.

L’une des plus grandes préoccupations derrière ce projet de loi découle des constats de différents rapports selon lesquels l’implication des parents dans la gestion des commissions scolaires est insuffisante ainsi que des revendications de groupe de parents réclamant un rôle accru dans la gestion des commissions scolaires. Le lien entre cet objectif et les dispositions visant à donner un rôle accru aux parents dans l’administration des CSS est évident. »[239]

[393]       Ces objectifs sont légitimes, mais très généraux et peuvent s’appliquer à n’importe quel objectif en matière d’éducation. Pour citer le juge en chef dans la cause du Conseil scolaire francophone :

153 [] Si le simple fait d’accoler les mots « juste et rationnelle » au mot « affectation » permettait de faire de l’affectation de fonds publics un objectif urgent et réel, il serait alors loisible à tout gouvernement de déroger aux droits fondamentaux avec une aisance déconcertante. Je ne peux accepter un tel résultat. L’affectation juste et rationnelle de fonds publics limités constitue le travail quotidien d’un gouvernement. La mission de l’État consiste à gérer des ressources budgétaires limitées pour répondre à des besoins qui eux sont tout sauf limités. Nous ne sommes pas en présence ici d’un objectif urgent et réel qui permet de justifier une violation des droits et libertés. Assimiler ce rôle à un tel objectif entraînerait la société sur une pente glissante et risquerait d’atténuer la portée de la Charte. J’ajouterais que, d’un point de vue pratique, la justesse d’un tel objectif serait presque impossible à vérifier.

[394]       À aucun moment n’est-il question des besoins de la communauté anglophone. Les mesures adoptées ne répondent à aucune demande de celle-ci, par la voix de ses représentants, si on fait exception de prises de position individuelles, comme celle de M. Eustace, qui, nous devons le constater, ne reflètent pas le consensus qui se dégage des autres interventions. 

[395]       Par ailleurs, le PGQ ne justifie pas en quoi il était urgent de priver le président d’un centre de services scolaires de son rôle de porte-parole, de priver les membres qui ne sont pas titulaires de postes de parents de la possibilité d’être président ou vice-président du centre de services scolaire.

[396]       La démonstration de l’urgence de priver les représentants de leur allocation n’a pas été faite. On ne sait pas plus pourquoi les membres de la communauté ne peuvent se présenter dans des districts électoraux, mais doivent se faire élire dans l’ensemble du territoire, qui est immense pour au moins sept des commissions scolaires.

[397]       Si l’on se fie à ce qui se fait dans d’autres juridictions démocratiques, à savoir les autres provinces canadiennes, on remarque qu’en Nouvelle-Écosse, un tribunal administratif établit les limites électorales et le nombre de représentants. Au Manitoba, c’est la commission scolaire qui établit ces exigences, avec l’approbation du gouvernement. Dans toutes les autres provinces et les territoires, les exigences d’éligibilité sont conformes aux exigences de l’article 23.

[398]       Le retrait du rôle du conseil d’administration du centre de services scolaire dans l’élaboration du plan pour la réussite n’a pas été justifié.

[399]       Le PGQ n’a pas justifié l’interdiction pour les centres de services scolaires d’utiliser les fonds dédiés à d’autres fins que celles imposées par le ministre.

[400]       Le Tribunal estime que la preuve d’un objectif urgent et réel d’amoindrir le caractère représentatif des élus de la minorité anglophone n’a pas été faite.

[401]       Dans l’arrêt Solski, la Cour rappelle que le contexte historique est pertinent « dans l’examen des approches adoptées par les provinces pour appliquer ces droits et dans les cas où une justification au sens de l’article premier de la Charte canadienne est nécessaire »[240].

[402]       Le survol historique fait plus haut indique que le législateur québécois n’a pas tenu compte des coutumes et pratiques de la communauté anglophone en instaurant les nouveaux critères de sélection des membres du conseil d’administration.

[403]       L’implication nécessaire du gouvernement québécois en matière d’éducation, qui a si cruellement manqué durant plus d’une centaine d’années, au détriment de la majorité francophone, ne justifie pas non plus une diminution du degré de contrôle et de gestion de ses institutions par la minorité.

[404]       Le PGQ n’a pas démontré quels objectifs pédagogiques nationaux n’étaient pas atteints par le système en place ou allaient mieux l’être avec le nouveau régime.

[405]       La démonstration de l’implication grandissante du ministère de l’Éducation et de la rationalisation des structures de gestion locale, qui constituent une large part de la preuve présentée par le PGQ ne justifient pas que le législateur empêche la grande majorité des ayants-droits de se présenter aux élections scolaires à certains postes, ou en soient découragés, de ne pas pouvoir occuper les postes de président ou vice-président ou d’être le porte-parole de la commission scolaire.

[406]       Ils ne justifient pas que ces élus soient exclus du processus de conception du plan d’engagement pour la réussite des élèves.

[407]       Ils ne justifient pas que le ministre s’immisce dans la gestion des fonds alloués aux commissions scolaires au point où certains montants qui leurs ont été transférés ne puissent être utilisés.

[408]       Le législateur avait par ailleurs à l’esprit la faible participation aux élections scolaires. Il ressort cependant que la participation des électeurs anglophones était de deux à trois fois plus élevée que celles des francophones. Le Tribunal ne voit pas comment la restriction aux candidatures va permettre d’atteindre un plus grand nombre d’électeurs et susciter un plus grand intérêt pour ces élections.

[409]       Dans Conseil scolaire francophone, la majorité a jugé qu’il n’était pas nécessaire d’aller plus loin dans la justification si cette première étape n’était pas franchie.

[410]       Le Tribunal estime tout de même que les autres critères de l’arrêt Oakes ne sont pas remplis.

[411]       Le PGQ soutient que pour prouver l’existence d’un lien rationnel, il suffit d'établir qu’il est raisonnable de supposer que la restriction peut contribuer à la réalisation de l’objectif, et non qu’elle y contribuera effectivement et que ce critère n’est pas particulièrement exigeant. À cet égard, la Cour suprême juge, dans le cas spécifique de l’article 23 :

[146] Deuxièmement, une fois l’importance de l’objectif établie, la partie qui entend justifier la mesure attentatoire doit démontrer que les moyens choisis pour réaliser l’objectif sont raisonnables. Cette deuxième étape implique l’application d’un critère de proportionnalité. Ce critère comporte trois éléments : (1) la mesure doit avoir un lien rationnel avec l’objectif visé; (2) le moyen choisi doit porter atteinte le moins possible au droit ou à la liberté en question; (3) il doit y avoir proportionnalité entre les effets de la mesure restreignant le droit ou la liberté et l’objectif désigné comme important.

[147] À mon avis, trois facteurs militent en faveur de l’application d’une norme particulièrement sévère en matière de justification d’une violation du droit à l’instruction dans la langue de la minorité. Premièrement, en adoptant l’art. 23, les rédacteurs de la Charte ont imposé des obligations positives aux gouvernements provinciaux et territoriaux. En vertu de l’art. 23, les gouvernements doivent financer l’instruction dans la langue de la minorité sur le Trésor public lorsque le nombre d’enfants le justifie. Ils doivent satisfaire à ces obligations en temps utile pour prévenir les risques d’assimilation et de perte des droits (Doucet-Boudreau, par. 29; Rose-des-vents, par. 28). L’adoption d’une approche souple relativement à la justification d’une violation de l’art. 23 risque de mettre en péril l’objectif réparateur de cet article, dont l’importance a été expliquée précédemment.

(Le Tribunal souligne)

[412]       Le PGQ[241] plaide que le lien entre l’objectif et les dispositions visant à donner un rôle accru aux parents dans l’administration des CSS est évident et qu’il l’est tout autant en ce qui concerne les dispositions qui confèrent un rôle aux membres du personnel sur le conseil d’administration du Centre de services scolaire ou sur le comité d’engagement vers la réussite, parce qu’il est difficile d’imaginer des personnes plus proches des élèves.

[413]       Autant dire que le gouvernement québécois est justifié de ne pas respecter l’interprétation de l’article 23 dictée par la Cour suprême parce qu’il ne pense pas comme elle.

[414]       L’approche préconisée par le PGQ est trop souple et générale et ne satisfait pas aux exigences de la justification. Les atteintes n’ont pas été justifiées individuellement avec une analyse en profondeur.

[415]       Le PGQ avance, quant à l’atteinte minimale, qu’il n’est pas nécessaire de démontrer que le législateur a choisi le moyen le moins restrictif pour réaliser son objectif. Il suffirait que le moyen ait été choisi parmi une gamme de solutions raisonnables permettant d’atteindre efficacement les objectifs[242]. Cette gamme n’a pas été établie.

[416]       Le PGQ plaide que l’atteinte est minimale dans la mesure où les commissaires ou conseillers ne sont pas désignés par la majorité francophone. Le fait d’avoir conservé certains aspects du contrôle et de la gestion, tout en lui retirant son caractère « exclusif » à plusieurs égards ne constitue pas une atteinte minimale justifiant la mesure.

[417]       L’objectif de rapprocher la gestion scolaire des parents est un objectif légitime. Le Tribunal conclut cependant que d’éliminer plus de 90% des candidats potentiels au poste de commissaires ou conseiller ne constitue pas une atteinte « minimale » au droit de se porter candidat.

[418]       La proportionnalité des mesures par rapport aux objectifs visés n’a pas été établie. Il n’est pas proportionnel de décourager la grande majorité des ayants-droits de se porter candidat aux élections scolaires dans le but de rapprocher la direction des élèves.

[419]       Le Tribunal conclut que latteinte aux droits de la minorité anglophone et des ayants-droits de l’article 23 n’est pas justifiée.

C.    Réparations

[420]       Il va sans dire que les articles de la Loi et de la LIP qui portent atteinte aux droits protégés par l’article 23 de la Charte ne seront déclarés inopérants qu’à l’égard des commissions scolaires ou centres de services scolaires anglophones. Strictement rien ne justifie une entrave à leur application aux centres de services scolaires francophones. Les parties s’entendent d’ailleurs sur cette question.

[421]       Dans l’arrêt Mahe, après avoir jugé que l’Alberta n’avait pas respecté les dispositions de l’article 23, la Cour suprême n’a pas imposé de mesures particulières pour remédier à ce défaut. Elle a préféré laisser à la législature albertaine le soin de remplir ses obligations constitutionnelles envers sa minorité francophone[243] :

« Pour ces motifs, je crois préférable que notre Cour se limite, dans le cadre de ce pourvoi, à faire une déclaration à l'égard des droits concrets qui sont dus, en vertu de l'art. 23, aux parents appartenant à la minorité linguistique à Edmonton. Une telle déclaration garantira que les droits des appelants se concrétiseront, tout en laissant au gouvernement la souplesse nécessaire pour élaborer une solution appropriée aux circonstances. Comme l'a observé le procureur général de l'Ontario, le gouvernement devrait disposer du pouvoir discrétionnaire le plus vaste possible dans le choix des moyens institutionnels dont il usera pour remplir ses obligations en vertu de l'art. 23. Les tribunaux devraient se garder d'intervenir et d'imposer des normes qui seraient aux mieux dignes de Procuste, sauf dans les cas où le pouvoir discrétionnaire n'est pas exercé du tout, ou l'est de façon à nier un droit constitutionnel. Dès lors que la Cour s'est prononcée sur ce qui est requis à Edmonton, le gouvernement peut et doit prendre les mesures nécessaires pour assurer aux appelants et aux autres parents dans leur situation ce qui leur est dû en vertu de l'art. 23. L'article 23 de la Charte impose aux législatures provinciales l'obligation positive d'édicter des dispositions législatives précises pour fournir une instruction dans la langue de la minorité et des établissements d'enseignement de la minorité linguistique lorsque le nombre le justifie. Jusqu'à maintenant, la législature de l'Alberta a négligé de remplir cette obligation. Elle ne doit plus tarder à mettre en place un système approprié d'enseignement dans la langue de la minorité ».

[422]       La Cour d’appel des Territoires du Nord-Ouest écrivait quant à elle [244]:

[91]           Les tribunaux de première instance doivent élaborer des réparations qui respectent le rôle du législateur en empiétant sur ce rôle seulement dans les limites de ce qui est nécessaire : Mahe c. Alberta, (…) Il est question dans la jurisprudence d’un dialogue entre les tribunaux et le législateur : Vriend, aux paragraphes 138 et 139. Les tribunaux devraient généralement laisser au législateur la possibilité de mettre en place des mesures correctives avant de lui indiquer comment le faire. Cependant, y a-t-il des cas où les tribunaux devraient aller plus loin et, si oui, est-ce le cas en l’espèce?

[423]       Le Tribunal n’est pas en mesure de prescrire les mesures qui satisferaient aux exigences de la Charte. Comme le soutient le PGQ, l’article 23 ne donne pas droit à des structures scolaires particulières. Il donne le droit à des structures qui respectent le droit à la gestion et au contrôle exclusif de celles-ci. Il appartient à l’Assemblée nationale, dans sa discrétion, de les identifier. Le gouvernement a « l’obligation positive de changer ou de créer d’« importantes structures institutionnelles».[245] »

[424]       Comme l’écrit la Cour d’appel dans le présent dossier [246]:

[19]        L’article 23 impose d’ailleurs aux gouvernements l’obligation absolue de mobiliser des ressources et d’édicter des lois pour l’établissement de structures institutionnelles capitales pour la minorité linguistique de la province, ce qui donne à l’exercice des droits énoncés une dimension collective particulière. 

[425]       Le juge Vickers de la Cour suprême de la Colombie-Britannique en arrivait à une conclusion semblable et conservait compétence à l’égard du dossier pour régler les problèmes qui pouvaient se poser durant le processus de révision de la législation [247]:

53        I believe the court must fashion a remedy that leaves the Legislative Assembly with the freedom it must have to create a comprehensive legislative scheme to meet the obligations imposed upon it by s. 23.  Accordingly, the declarations I make are intended to leave that freedom. (…)

54        While I express confidence that matters will be resolved at an early date, I will retain jurisdiction in this matter should difficulties arise in that regard.

[426]       Bien évidemment, tel qu’il ressort de l’exposé précédent, le moyen le plus sûr de bien identifier ces structures est de consulter les représentants de la minorité, ce qui comprend au premier chef ses commissions scolaires[248].

[427]       Le PGQ demande que le Tribunal suspende une éventuelle déclaration d’inopérabilité de l’article 15 de la Loi sur les élections scolaires pour une période de 18 mois suivant la date du jugement. Les demandeurs ne s’objectent pas à cette demande, qui sera accordée.

[428]       Par ailleurs, lorsque le sursis d’application des articles de la Loi a été prononcé, le sursis visait l’ensemble de la Loi, celle-ci ayant été jugée, à ce moment-là, inextricablement liée à ces dispositions. La Cour d’appel avait maintenu ce sursis.

[429]       Les demandeurs demandent le maintien de ce sursis jusqu’à ce que l’Assemblée nationale adopte une loi corrigeant les atteintes aux droits garantis par l’article 23 de la Charte.

[430]       Le PGQ s’y oppose en invoquant l’arrêt Ontario (Procureur général) c. G :[249]

[111]                     Par contre, il se dégage également du par. 52(1) que le public a droit au bénéfice des lois adoptées par le législateur dans la mesure où ces lois ne sont pas incompatibles avec la Constitution. En accordant des réparations adaptées pour corriger un vice constitutionnel en particulier, le tribunal peut préserver les droits constitutionnels de toutes les personnes touchées ainsi que les aspects constitutionnels de la loi en question. D’ailleurs, bon nombre des réparations adaptées qu’a accordées notre Cour tiennent compte de ces deux principes. Les dispositions relatives à des infractions criminelles qui ont été examinées dans les arrêts Carter, Sharpe, Smith et Appulonappa, par exemple, ont été déclarées inopérantes uniquement dans la mesure où elles violaient des droits, préservant ainsi leurs effets conformes sur le plan constitutionnel.

[112]                     Dans l’arrêt Schachter, notre Cour a expliqué que lors du choix du type de déclaration, qui constitue la deuxième étape, des réparations autres que des déclarations d’invalidité intégrales devraient être accordées lorsque la nature de la violation et l’intention du législateur le justifient. Il est rare que des régimes législatifs exhaustifs ou des lois soient annulés dans leur totalité — à ma connaissance, notre Cour n’a procédé ainsi qu’à huit reprises. Pour garantir au public le bénéfice des lois qui sont adoptées, l’interprétation atténuée, l’interprétation large et la dissociation, qui sont des réparations adaptées à l’étendue de la violation, devraient être utilisées dans la mesure du possible afin de préserver les aspects constitutionnels des lois (Schachter, p. 700; Vriend, par. 149150). (…)

[156]                     Un autre aspect de la primauté du droit exprimé au par. 52(1), qui dispose que la Constitution rend inopérantes les « dispositions incompatibles de toute autre règle de droit », est qu’il doit y avoir un ordre de droit positif qui régit la société et la protège. Il est dans l’intérêt du public de conserver des lois qui ont été dûment adoptées par les législatures démocratiquement élues du pays, pourvu que ces lois ne soient pas inconstitutionnelles. C’est pourquoi les tribunaux adaptent les réparations pour préserver, dans la mesure du possible, les aspects constitutionnels d’une loi inconstitutionnelle et pourquoi ils suspendent temporairement l’effet d’une déclaration lorsqu’une ordonnance avec effet immédiat risque de miner l’intérêt du public en le privant de lois qui ont été adoptées pour son bénéfice. Cependant, des préoccupations liées à l’instabilité juridique peuvent militer contre la suspension.

[157]                     Enfin, le respect du rôle du législateur conjugué à la compréhension des fonctions des tribunaux est le fil conducteur de la pratique de notre Cour en ce qui concerne les réparations qu’il convient d’accorder en présence de lois inconstitutionnelles. Lorsque les tribunaux déterminent le type et la portée des réparations, ils conservent le plus de dispositions possible de la loi en cause afin de respecter les choix de politique du législateur, respectant ainsi son intention évidente. Toutefois, les tribunaux ne se dérobent pas à leur obligation de protéger les droits au moyen de réparations fondées sur le par. 52(1), et ils n’hésitent pas à déterminer l’étendue complète des incompatibilités avec la Constitution et à déclarer inopérantes des dispositions législatives lorsque cela est nécessaire. Les tribunaux peuvent également suspendre l’effet d’une déclaration lorsque le rôle démocratique du législateur en matière d’élaboration de politiques serait ébranlé à un point tel par une déclaration avec effet immédiat que cela l’emporte sur d’importants principes qui font contrepoids. Dans un tel cas, si une exemption mine ce rôle, cela militera contre l’octroi d’une réparation individuelle.

[431]       Le Tribunal estime que ces principes s’appliquent à notre dossier. Ne devraient être suspendues que les dispositions des lois qui sont inextricablement liées aux dispositions déclarées inopérantes. Un jugement au fond se prête mieux à cet exercice qu’un jugement interlocutoire portant sur le sursis.

[432]       D’autre part, une suspension initiale de six mois apparaît appropriée, pour permettre l’instauration d’un « dialogue » visant la correction des atteintes. Ce sursis pourra être étendu et révisé.

[433]       Cela dit, le PGQ énumère cependant un certain nombre de dispositions législatives qu’il considère inextricablement liées, quant aux demanderesses, aux dispositions jugées inopérantes. Le Tribunal est d’accord.

[434]       Quant à celles qui font l’objet d’un désaccord entre les parties, le Tribunal estime qu’elles sont suffisamment liées aux dispositions inopérantes pour justifier un sursis de six mois quant à leur application aux commissions scolaires anglophones, à l’exception des articles 250, 252, 256, 258 (1), 259 (2) de la Loi pour lesquels il apparaît théorique de prononcer un sursis, et l’article 322, qui est devenu sans objet.

[435]       Quant à l’article 335 de la Loi qui régit son entrée en vigueur, il ne sera déclaré sursis qu’à l’égard des dispositions inopérantes ou qui font l’objet d’un sursis.

[436]       Par ailleurs, le sursis complet d’application de la Loi prononcé le 20 août 2020 devrait rester en vigueur pendant le délai d’appel du présent jugement.

CONCLUSIONS

[437]       Le Tribunal remercie les parties et les avocats pour leur présentation soignée et professionnelle. La qualité du travail et des rapports d’experts a rendu la tâche du Tribunal à la fois plus facile et plus compliquée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[438]       ACCUEILLE en partie la demande en contrôle judiciaire des demandeurs;

[439]       DÉCLARE QUE les articles 50, 52, en ce qui a trait à l’ajout de l’article 155 à la LIP, 66, 91, 93, 196, 208, 212 et 216 de la Loi modifiant principalement la Loi sur l’instruction publique relativement à l’organisation et à la gouvernance scolaires et 155 et 473.1 de la Loi sur l’instruction publique portent atteinte aux droits garantis à l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés;

[440]       DÉCLARE que ces atteintes ne peuvent se justifier aux termes de l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés;

[441]       DÉCLARE QUE ces articles sont inopérants à l’égard des commissions scolaires anglophones du Québec;

[442]       REJETTE la demande relative aux articles 105, 142, 329 et 330 de la Loi modifiant principalement la Loi sur l’instruction publique relativement à l’organisation et à la gouvernance scolaires;

[443]       SUSPEND la déclaration du caractère inopérant de l’article 15 de la Loi sur les élections scolaires visant certains membres des conseils d’administration des centres de services scolaires anglophones durant une période de dix-huit mois à compter du présent jugement;

[444]       PROLONGE le sursis d’application de la Loi et autres dispositions législatives décrété le 10 août 2020 jusqu’à l’expiration des délais d’appel du présent jugement;

[445]       SUSPEND, pour une période de six mois à compter du présent jugement l’application, à l’égard des commissions scolaires ou centres de services scolaires anglophones les dispositions législatives énumérées à l’Annexe du présent jugement;

[446]       CONSERVE compétence à l’égard du présent dossier pour régler les questions qui peuvent se poser à cet égard;

[447]       LE TOUT, avec les frais de justice, incluant les frais d’experts, au bénéfice des demandeurs.

 

 

 

 

 

 

__________________________________SYLVAIN LUSSIER, j.c.s.

 

Me Giacomo Zucchi

Me Perri Ravon

Me Mark Power

Me Audrey Mayrand

Juristes Power

Avocats des demandeurs

 

Me Samuel Chayer

Me Manuel Klein

Me Alexandra Hodder

Pour le procureur général du Québec

 

Me Lucie Roy

Pour la Commission scolaire English Montreal

 

Me Jacques S. Darche

BLG, S.E.N.C.R.L.

Avocats de New Frontiers School Board et Shannon Keyes

 

Me Myriam Donato

Avocate de Western Quebec School Board, Riverside School Board, Eastern Townships School Board, Sir Wilfrid Laurier School Board et Eastern Shores School Board

 

Me Pierre Duquette

NORTON ROSE FULBRIGHT CANADA, S.E.N.C.R.L.

Avocats de Central Quebec School Board

 

 

Monsieur Chris Eustace

Non représenté

 

 

 

 


ANNEXE

 

(Dispositions de la Loi faisant l’objet d’un sursis)

 

1)     3

2)     11 (3)

3)     51 (En autant qu’il abroge les articles 145 à 148 de la LIP)

4)     53

5)     54

6)     55

7)     56

8)    57

9)    65(1)

10)     67(1)

11)     67(2)(a)

12)     67(2)(c)

13)     69 (1)

14)     70

17)

71

18)

73(2)

19)

76

20)

80(1)(c)

21)

88(2)

22)

92

23)

93(1)

24)

94

25)

98

26)

101(2)

27)

115 (2)

28)

129

29)

137

30)

139 (en autant qu’il entrave les dispositions de l’article 457.8 LIP)

31)

140(1)

32)

191

33)

193

34)

194

35)

195

36)

197

37)

198

38)

199

39)

200

40)

201

41)

203

42)

204

43)

205

44)

207(2)

45)

217

46)

218

47)

222

48)

223

49)

224

50)

225

51)

226

52)

227

53)

228

54)

229(1)(b)

55)

229(2)

56)

230

57)

231

58)

232(1)

59)

233(1)

60)

234(1)(b)

61)

235

62)

236(1)

63)

242(1)

64)

242(4)

65)

242(5)

66)

243(1)

67)

244(1)

68)

249

70)

251(1)(b)(ii)

72)

254(1)

73)

254(3)

74)

255

78)

260

79)

261

80)

262(2)

81)

263

84)

328(3)

85)

328(4)

87)

335 (dans la mesure où cet article prévoit l’entrée en vigueur de dispositions jugées inopérantes ou faisant l’objet d’un sursis)

 


[1]  LQ., 2020, c. 1 (PL 40), la « Loi ».

[2]  RLRQ, c. I-13.3, la « LIP ».

[3]    L’appellation commission scolaire ou centre de services scolaire n’a pas de portée quant aux droits dont il sera ici question. L’utilisation des termes est interchangeable.

[4]  RLRQ c E-2.3.

[5]  Modification du 30 novembre 2020. Les demandeurs ont abandonné leur contestation des articles 117 et 118 de la Loi le 14 avril 2021.

[6]  2020 QCCS 2444.

[7]  2020 QCCA 1171.

[8]  “QESBA”.

[9]  Arrêté en conseil No 1014-97 du 13 août 1997 adopté en vertu de l’article 111 de la Loi sur l’instruction publique.

[10]  RLRQ c C-11.

[11]  Pièce PGQ-1, communiqué de presse intitulé « Dépôt du projet de loi n 40- Le nouveau gouvernement du Québec confirme la fin des commissions scolaires telles qu’on les connaît ».

[12]  Loi constitutionnelle de 1982, article 59.

[13]  Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince Édouard, 2000 CSC 1, paragr. 42; voir aussi Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), 1993 CanLII 119 (CSC), [1993] 1 RCS 839, page 858: « en haut de l'échelle, le nombre d'enfants nécessiterait l'établissement d'un conseil scolaire pour la minorité linguistique ».

[14]  2020 CSC 13.

[15]  Reference re Education Act of Ontario and Minority Language Education Rights, 1984 CanLii 1832 (ONCA);Mahe v. Alberta, 1987 ABCA 158, au paragr. 96; Commission des Ecoles Fransaskoises Inc. et al. v. Saskatchewan, 1988 CanLII 5128 (SK KB), paragr. 53.

[16]  Mahe c. Alberta, 1990 CanLII 133 (CSC), [1990] 1 RCS 342, p. 377.

[17]  « PGQ ».

[18]  Mahe c. Alberta, 1990 CanLII 133 (CSC), [1990] 1 RCS 342, page 362.

[19]  2020 CSC 13.

[20]  Au paragr. 3.

[21]  Ottawa Separate Schools Trustees c. Mackell, 1916 CanLII 418 (UK JCPC), [1917] A.C. 62.

[22]  Reference re Education Act of Ontario and Minority Language Education Rights, 1984 CanLII 1832 (ON CA), page 35.

[23]  P.G. (Qué.) c. Quebec Protestant School Boards, 1984 CanLII 32 (CSC), [1984] 2 RCS 66, page 79.

[24]  Mahe c. Alberta, 1990 CanLII 133 (CSC), [1990] 1 RCS 342, page 372.

[25]  Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, 2000 CSC 1, [2000] 1 R.C.S. 3.

[26]  Conseil scolaire francophone de la ColombieBritannique c. ColombieBritannique, 2020 CSC 13. 

[27]  R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 RCS 768, juge Bastarache, pour la majorité.

[28]  Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3.

[29]  Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 14.

[30]  Conseil scolaire francophone de la ColombieBritannique c. ColombieBritannique, 2020 CSC 13.

[31]  Mahe c. Alberta, 1990 CanLII 133 (CSC), [1990] 1 RCS 342, pages 356 et 357.

[32]  Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 14, au paragr. 22.

[33]  2000 CSC 1.

[34]  Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3.

[35]  Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 14.

[36]  Association des parents de l’école Rosedesvents c. ColombieBritannique (Éducation), 2015 CSC 21, [2015] 2 RCS 139.

[37]  Conseil scolaire francophone de la ColombieBritannique c. ColombieBritannique, 2020 CSC 13.

[38]  H. N. c. Québec (Ministre de l’Éducation), 2007 QCCA 1111; voir aussi A.B. c. Territoires du Nord-Ouest (Ministre de l’Éducation, de la Culture et de la Formation), 2021 TNOCA 8, paragr. 140, en appel à la Cour suprême du Canada, dossier 39915, en délibéré depuis le 9 février 2023.

[39]  Procureur général du Québec c. Quebec English School Board Association, 2020 QCCA 1171.

[40]  Michel Bastarache, « Education Rights of Provincial Official Minorities (Sec. 23)”, in Gérald-A. Beaudoin and Ed Ratushny, The Canadian Charter of Rights and Freedoms, 2nd Edition, Carswell, 1989, p. 696.

[41]  “Language Rights and Education”, in Gérald-A. Beaudoin et Erroll Mendes, Canadian Charter of Rights and Freedoms, 4th Edition, Lexis Nexis, Butterworths, 2005, p. 1105.

[42]  « L’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés », in Erroll Mendes et Stéphane Beaulac, Charte canadienne des droits et libertés, 5e édition, 2013, Lexis Nexis, p. 1079.

[43]  « « Liberté » linguistique, « droits » linguistiques et « accommodements » linguistiques : réflexions à partir de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada », in Patrick Taillon, Eugénie Brouillet et Amélie Binette : Un regard québécois sur le droit constitutionnel; Mélanges en l’honneur d’Henri Brun et Guy Tremblay, Éditions Yvon Blais, 2016, p. 443.

[44]  Mahe, page 363.

[45]  Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), 1993 CanLII 119 (CSC), [1993] 1 RCS 839, page 855; L'association Des Parents Francophones De La Colombie- Britannique, La Federation Des Francophones De La Colombie-Britannique v. Woods, 1996 CanLII 1455 (BC SC), page 23.

[46]  Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 14.

[47]  Conseil scolaire francophone de la ColombieBritannique c. ColombieBritannique, 2020 CSC 13.

[48]  Page 379.

[49]  Aux paragr. 44 et 58.

[50]  Idem, page 373.

[51]  Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 14.

[52]  Conseil scolaire francophone de la ColombieBritannique c. ColombieBritannique, 2020 CSC 13. 

[53]  30 & 31 Victoria, c 3.

[54]  1984 CanLII 32 (CSC), [1984] 2 RCS 66, p. 79-80.

[55]  Acte pour l’établissement d’écoles gratuites et l’avancement des sciences dans cette province ou loi dite de l’Institution royale, 41 George III, c. 16-17.

[56]  Rapport de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la Province de Québec (Commission Parent), première partie, 1963, p. 23; Olivier Lemieux, Rapport d’expertise, 17 mars 2021, paragr. 10.  

[57]  David Gilles, Rapport sur les contextes législatifs des normes relatives au système scolaire confessionnel précédant la Confédération, pièce P-44, paragr. 4. Rapport Lemieux, paragr. 17, 18 et 21.

[58]  Paragr. 18.

[59]  Roderick MacLeod et Mary Anne Poutanen, Expert report on the exercise of confessional school rights at the time of Confederation, pièce P-43, paragr. 19, 26 et 27.

[60]  Acte pour faciliter l’établissement et la dotation d’écoles élémentaires dans cette province ou loi dite des écoles de fabrique, 4 Georges IV, c. 30-31.

[61]  Rapport de la Commission Parent, page 24; Rapport Gilles, paragr.  22; Rapport Lemieux, paragr. 5 et 12.

[62]  Acte pour encourager l’éducation élémentaire, 9 Georges IV, c. 46.

[63]  Rapport Parent, page 24; Rapport Lemieux, paragr. 14; Rapport Gilles, paragr. 23.

[64]  Rapport Parent, page 25.

[65]  4-5 Victoria, c. 18, (1841).

[66]  Rapport Lemieux, paragr. 20.

[67]  Loi pour l’instruction élémentaire dans le Bas-Canada (1845), 8 Vic. c. 41.

[68]  Rapport Lemieux, paragr. 21.

[69]  Rapport MacLeod and Poutanen, paragr. 78.

[70]  Acte pour amender les lois des écoles communes, et avancer l’éducation élémentaire dans le Bas-Canada, 19-20 Vict., c. 14, (1856).

[71]  Rapport Parent, page 27; Rapport Gilles, paragr. 98.

[72]  Rapport Gilles, pièce P-44.

[73]  Pages 30 et 31.

[74]  Rapport Gilles, paragr. 105.

[75]  S.Q. 1869, ch. 16.

[76]  Rapport Parent, page 33.

[77]  Ibid, page 34.

[78]  Ibid, page 38.

[79]  L.Q. 1971, ch. 67, « Loi 27 ».

[80]  Rapport Lemieux, paragr. 53.

[81]  L.Q. 1972, c. 60.

[82]  Ibid, paragr. 55.

[83]  Loi sur l'enseignement primaire et secondaire, L.Q. 1984, ch. 9.

[84]  Québec Assn. of Protestant School Boards v. Québec (Procureur général), EYB 1985-145765 (C.S.); Rapport Lemieux, paragr. 69.

[85]  L.Q. 1988, ch. 84, « Loi 107 ».

[86]  Renvoi relatif à la Loi sur l'instruction publique (Qué.), 1993 CanLII 100 (CSC), [1993] 2 RCS 511.

[87]  Rapport Lemieux, paragr. 70.

[88]  Ibid, paragr. 73.

[89]  Article 43 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[90]  Le vendredi 24 mai 1996 - Vol. 35 No 6.

[91]  Le mercredi 26 mars 1997- Vol. 35 No 83, 16h20.

[92]  Comité mixte spécial pour modifier l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 concernant le système scolaire au Québec 30 octobre 1997, à 15 h 45, 1820.

[93]  Hansard, 1er octobre 1997, 16 :25.

[94]  Hansard, 17 novembre 1997, 1205.

[95]  Hansard, Sénat, 9 décembre 1997.

[96]  Hansard, 1er octobre 1997, 16 :25.

[97]  Hansard, 17 novembre 1997, 1250.

[98]  Hansard, Sénat, 11 décembre 1997; étude en comité plénier.

[99]  Sénateurs Lise Bacon et Michael Kirby (4 décembre 1997); Fernand Robichaud (9 décembre 1997).

[100]  LQ 1997, c 47.

[101]  LQ 1997, c 96, « Loi 180 ».

[102]  Rapport Lemieux, paragr. 77.

[103]  Idem, paragr. 78.

[104]  Idem, paragr. 85.

[105]  LQ 2008, c 29.

[106]  RLRQ c C-11.

[107]  1993 CanLII 119 (CSC), [1993] 1 RCS 839, page 851.

[108]  Guillaume Rousseau et Éric Poirier, Le droit linguistique au Québec, Lexis Nexis, 2017, page 244.

[109]  A.B. c. Territoires du Nord-Ouest (Ministre de l’Éducation, de la Culture et de la Formation), 2021 TNOCA 8; en appel à la Cour suprême du Canada, dossier 39915, en délibéré depuis le 9 février 2023.

[110]  Site de qesba.qc.ca

[111]  Rapport du professeur Loewen, pièce P-45, paragr. 25.

[112]  Vitality of Quebec’s English-Language Communities, pièce P-78, page 4.

[113]  Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, 2000 CSC 1 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 3, paragr. 6.

[114]  Québec Assn of Protestant School Boards v. Québec (Procureur général), EYB 1985-145765, (J.E. 85-693) (Texte intégral - Version anglaise), paragr. 236 et 237.

[115]  1996 CanLII 1455 (BCSC).

[116]  Hak c. Procureur général du Québec, 2021 QCCS 1466, en appel.

[117]  RLRQ c L-0.3.

[118]  Territoires du Nord-Ouest (Procureur général) c Commission Scolaire Francophone, Territoires du Nord-Ouest, 2015 CanLII 168 (NWT CA), 2015 CATN-O 1, par. 21 à 23, [2015] 5 WWR 60, autorisation de pourvoi refusée.

[119]  Au paragr. 55.

[120]  2015 CSC 25, [2015] 2 RCS 282.

[121]  Commission scolaire francophone du Yukon, paragr. 69 et 71.

[122]  Colombie-Britannique : Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique Regulation, BC Reg 2013/99, s 6; Francophone Education Authorities Regulation, BC Reg 212/99, ss 2-4; School Act, RSBC 1996, c 412, ss 1(1), definition of “eligible person”, “immigrant parent”, 166.13, 166.14. Alberta : Education Act, SA 2012, c E-0.3, ss 1(1)(i), 87(1)(b), 135(2)). Saskatchewan : The Education Act, 1995, SSK, c E-0.2, ss 2 “minority language adult” & “voter”, 64(2), 65. Manitoba : Loi sur les écoles publiques, CPLM c P250, art. 21.1, 21.37, 21.38; Règlement sur la gestion des écoles françaises, Règl. du Man 202/93, art. 11. Ontario : Loi sur l'éducation, LRO 1990, c E.2, art. 1 : “Titulaire des droits liés au français”, et art. 50.1(2), 54(2), 219(1) & (4). Nouveau-Brunswick : Loi sur l'éducation, LN-B 1997, c E-1.12, art. 36.31, 36.4, 36.41, 36.5. Nouvelle-Écosse : Education (CSAP) Act, RSNS 1995-96, c 1, ss 3(h)-(i), 13, 46-47. Île-du-Prince-Édouard : Education Act, RSPEI 1988, c E-.02, s1(1)(i) définition de “eligible parent”, Education Act Election Regulations, PEI Reg EC2016-525, s 4, Education Act Education Authority Regulations, PEI Reg EC2016-524, s 2. Terre-Neuve-et-Labrador : Schools Act, 1997, SNL, c S-12.2, s 95; School Board Election Regulations, 1998, NLR 146/97, s 6. Yukon : Loi sur l'éducation, LRY 2002, c 61, art. 82(4), 86, 151. Territoires du Nord-Ouest : Loi sur l'éducation, LTN-O 1995, c 28, art. 85; Loi sur les élections des administrations locales, LRTN-O 1988, c L-10, art. 18, 19; Règlement sur l'instruction en français langue première, Règl. des TN-O 166-96, art. 12(2). Nunavut : Loi sur l'éducation, LNun 2008, c 15, art. 156(1), 166(4); Loi sur les élections aux conseils municipaux et aux administrations scolaires de district, LNun 2017, c 21, art. 8(3).

[123]  Rapport du Professeur Peter Loewen, Ph. D., pièce P-45, paragr. 12-15.

[124]  Rapport d’expert d’Olivier Lemieux, paragr. 148.

[125]  Rapport du Professeur Peter Loewen, pièce P-45, paragr. 16-17.

[126]  Pièce P-70.

[127]  Pièce P-46.

[128]  Pièce P-56.

[129]  RLRQ c E-2.3.

[130]  Pièce P-56.

[131]  Pièce P-47.

[132]  Pièce P-57.

[133]  Pièce P-61.

[134]  Rapport d’expert de Roderick Macleod et Mary Anne Poutanen, pièce P-43, paragr. 7-8, 60-63 et 74.

[135]  Hirsch et al. v. Protestant Board School Com'rs of Montreal et al., 1928 CanLII 500 (UK JCPC), page 1047.

[136]  Page 1051.

[137]  Reference in re Educational System in Island of Montreal / Hirsch v. Protestant Board of School Commrs., 1926 CanLII 67 (SCC), [1926] SCR 246, page 257.

[138]  Reference re Education Act of Ontario and Minority Language Education Rights, 1984 CanLII 1832 (ON CA), page 42.

[139]  Paragr. 210 de son plan d’argumentation.

[140]  Rapport Loewen, page 87.

[141]  Peter Loewen, Reply to Olivier Lemieux’s Report, pièce P-76.

[142]  PGQ c Quebec English School Boards Association, paragr. 53.

[143]  Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général), 2021 CSC 34, Baier v. Alberta, 2007 SCC 31.

[144]  Page 374.

[145]  Page 859.

[146]  Paragr. 42.

[147]  Paragr. 29.

[148]  Au paragr. 86.

[149]  Déclarations assermentées de MM. G. Dugré, pièce P-67 et M. A. Cooke, pièce P-68.

[150]  (2020) 152 G.O.Q. II, 4515.

[151]  Pièce P-75.

[152]  Rapport Loewen, pièce P-45, paragr. 27-28.

[153]  Pièce P-47.

[154]  Déclaration assermentés, pièce P-53.

[155]  Pièce P-54.

[156]  Power, M. C. Les droits linguistiques en matière d'éducation : La teneur de l'article 23 de la Charte et ses restrictions – Les droits reconnus Les droits linguistiques au Canada, sous la direction de M. Bastarache et M. Doucet, Observatoire international des droits linguistiques, Faculté de droit, Université de Moncton, 3e édition, 2013 EYB2013DLC83.

[157]  Pièce P-55.

[158]  Pièce P-53.

[159]  Paragr. 434 de son plan d’argumentation.

[160]  A.B. c. Territoires du Nord-Ouest (Ministre de l’Éducation, de la Culture et de la Formation), 2021 TNOCA 8, paragr. 141, en appel à la Cour suprême du Canada, dossier 39915, en délibéré depuis le 9 février 2023; Arsenault-Cameron, précité, paragr. 43.

[161]  Plan d’argumentation, paragr. 438.

[162]  Voir particulièrement, Pièce SBU-9, page 33.

[163]  Pièce P-53.

[164]  Pièce P-55.

[165]  Reference re Judicature Act, 1988 CanLII 1363 (PE SCAD).

[166]  1993 CanLII 119 (CSC), [1993] 1 RCS 839, page 856.

[167]  Voir aussi Territoires du Nord-Ouest (Procureur général) c. Association des parents ayants droit de Yellowknife, 2015 CanLII 170 (NWT CA), paragr. 123. (Permission d’appeler à la Cour suprême refusée, 2015 CanLII 69437 (CSC).

[168]  Déclaration assermentée de Shadie Bourget, pièce P-51.

[169]  2019 BCCA 228, paragr. 261 à 265.

[170]  Rivard, M. Article 10 Le grand collectif Code de procédure civile : Commentaires et annotations, Volume 1 (Articles 1 à 390), 7e édition, L. Chamberland (dir.), 2022 2022 EYB2022GCO17.

[171]  Paragr. 265.

[172]  L.Q. 2016, ch. 26 (P.L. 105).

[173]  Pièce P-65.

[174]  Déclaration assermentée de Mme Nassivera du 12 février 2021.

[175]  Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, 2001 CSC 1, [2000] 1 R.C.S. 3, paragr. 43.

[176]  L'association Des Parents Francophones De La Colombie- Britannique, La Fédération Des Francophones De La Colombie-Britannique v. Woods, 1996 CanLII 1455 (BC SC).

[177]  Pièce P-53.

[178]  Au paragr. 58.

[179]  Page 380.

[180]  1966 CanLII 1455 (BCSC).

[181]  Pages 376 et 378.

[182]  Procureur général du Québec c. Quebec English School Board Association, 2020 QCCA 1171.

[183]  Dostie c. Procureur général du Canada, 2022 QCCA 1652, demande pour permission d’en appeler à la Cour suprême rejetée, Gaétan Dostie, et al. c. Procureur général du Canada, 2023 CanLII 67200 (CSC).

[184]  Ferland, D. et Emery, B. La demande en justice introductive d'instance (art. 141-144) Précis de procédure civile du Québec, Volume 1 (Art. 1-301, 321-344 C.p.c.), D. Ferland et B. Emery, 6e édition, 2020 2020 EYB2020PPC34.

[185]  Colombie-Britannique : Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique Regulation, BC Reg 2013/99, s 6; Francophone Education Authorities Regulation, BC Reg 212/99, ss 2-4; School Act, RSBC 1996, c 412, ss 1(1), definition of “eligible person”, “immigrant parent”, 166.13, 166.14. Alberta : Education Act, SA 2012, c E-0.3, ss 1(1)(i), 87(1)(b), 135(2)). Saskatchewan : The Education Act, 1995, SSK, c E-0.2, ss 2 “minority language adult” & “voter”, 64(2), 65. Manitoba : Loi sur les écoles publiques, CPLM c P250, art.  21.1, 21.37, 21.38; Règlement sur la gestion des écoles françaises, Règl du Man 202/93, art. 11. Ontario : Loi sur l'éducation, LRO 1990, c E.2, art. 1 : “Titulaire des droits liés au français”, et art. 50.1(2), 54(2), 219(1) & (4). Nouveau-Brunswick : Loi sur l'éducation, LN-B 1997, c E-1.12, art. 36.31, 36.4, 36.41, 36.5. Nouvelle-Écosse : Education (CSAP) Act, RSNS 1995-96, c 1, ss 3(h)-(i), 13, 46-47. Ile-du-Prince-Édouard : Education Act, RSPEI 1988, c E-.02, s1(1)(i) définition de “eligible parent”, Education Act Election Regulations, PEI Reg EC2016-525, s 4, Education Act Education Authority Regulations, PEI Reg EC2016-524, s 2. Terre-Neuve et Labrador : Schools Act, 1997, SNL, c S-12.2, s 95; School Board Election Regulations, 1998, NLR 146/97, s 6. Yukon: Loi sur l'éducation, LRY 2002, c 61, art. 82(4), 86, 151. Territoires du Nord-Ouest : Loi sur l'éducation, LTN-O 1995, c 28, art. 85; Loi sur les élections des administrations locales, LRTN-O 1988, c L-10, art. 18, 19; Règlement sur l'instruction en français langue première, Règl des TN-O 166-96, art.  12(2). Nunavut : Loi sur l'éducation, LNun 2008, c 15, art. 156(1), 166(4); Loi sur les élections aux conseils municipaux et aux administrations scolaires de district, LNun 2017, c 21, art. 8(3).

[186]  Hak c. Procureur général du Québec, 2021 QCCS 1466.

[187]  Mahe c. Alberta, 1990 CanLII 133 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 342, p. 372.

[188]  Idem.

[189]  Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, 2000 CSC 1, [2000] 1 R.C.S. 3.

[190]  Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), [1993] 1 R.C.S. 839, p. 862 et 863.

[191]  Procureur général du Québec c. Quebec English School Board Association, 2020 QCCA 1171.

[192]  Nation Haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73 (CanLII), [2004] 3 RCS 511, paragr. 48; Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69 (CanLII), [2005] 3 RCS 388, paragr. 66; Chippewas of the Thames First Nation c. Pipelines Enbridge inc., 2017 CSC 41 (CanLII), [2017] 1 RCS 1099, paragr. 59; Ktunaxa Nation c. ColombieBritannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2017 CSC 54 (CanLII), [2017] 2 RCS 386, paragr. 83.

[193]  Pièce KH-1.

[194]  Page 5.

[195]  Déclaration assermentée de Kimberley Hamilton, directrice par intérim de QESBA, du 22 janvier 2021 et pièce KH-2.

[196]  Paragr. 8 de sa déclaration assermentée.

[197]  Letter of January 29, 2019, Exhibit KH-3.

[198]  Courriel, pièce KH-5.

[199]  Déclaration assermentée de Kimberley Hamilton, paragr. 17.

[200]  « APPELE-Quebec ».

[201]  Pièce P-64.

[202]  Letter of May 2, 2019, Exhibit GK-2.

[203]  Email of May 2, 2019, Exhibit GK-3.

[204]  Letter of September 19, 2019, Exhibit GK-5.

[205]  Email of September 23, 2019, Exhibit GK-5.1.

[206]  Exhibit GK-6.

[207]  Letter of October 4, 2019, Exhibit GK-7.

[208]  Exhibit S82-6/GK-8.

[209]  Letter of November 25, 2019, Exhibit GK-9.

[210]  Transcription de la présentation de madame Rhonda Boucher au nom de l’Association des comités de parents anglophones, ainsi que le mémoire de celle-ci, pièce PGQ-6.

[211]  Mikisew Cree First Nation c. Canada (Gouverneur général en conseil), 2018 CSC 40, [2018] 2 RCS 765.

[212]  British Columbia Teachers' Federation c. Colombie-Britannique, 2016 CSC 49, [2016] 2 RCS 407.

[213]  British Columbia Teachers’ Federation v. British Columbia, 2015 BCCA 184.

[214]  2011 CSC 20.

[215]  2015 CSC 1, [2015] 1 RCS 3.

[216]  Page 369.

[217]  L'association Des Parents Francophones De La Colombie- Britannique, La Federation Des Francophones De La Colombie-Britannique v. Woods, 1996 CanLII 1455 (BC SC), paragr. 5.

[218]  Pièces PGQ-34 et PGQ-18.

[219]  À titre d’exemple, Conseil Scolaire Acadien Provincial (Re), 2016 NSUARB 115 et Conseil Scolaire Acadien Provincial (Re), 2008 NSUARB 78.

[220]  Pièce PGQ-25 : Rapport de la Commission de la culture et de l’éducation, consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi N. 40.

[221]  Pièce P-21.

[222]  24 septembre 2019, pièce P-24.

[223]  Pièce P-23.

[224]  Pièce P-24.

[225]  Pièce P-25.

[226]  Pièce P-26.

[227]  Pièce P-28.

[228]  Pièce P-29.

[229]  Pièce P-33.

[230]  Projet de loi n° 86, Loi modifiant l’organisation et la gouvernance des commissions scolaires en vue de rapprocher l’école des lieux de décision et d’assurer la présence des parents au sein de l’instance décisionnelle de la commission scolaire.

[231]  Nation Haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73 (CanLII), [2004] 3 RCS 511, paragr. 46. Voir Corporation Makivik c. Québec (Procureure générale), 2014 QCCA 1455, paragr. 74.

[232]  Provencher c. Commission scolaire Des Chênes, EYB 1994-75672, [1994] R.J.Q. 2231 (C.S.).

[233]  Pièce GK-8, page 6.

[234]  En ce qu’il ajoute l’article 155 à la LIP.

[235]  R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 RCS 103.

[236]  Plan d ’argumentation, paragr. 570.

[237]  Paragr. 150.

[238]  Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27, paragr. 157.

[239]  Plan d’argumentation du PGQ, paragr. 563 et 565.

[240]  Au paragr. 21.

[241]  Plan d’argumentation, paragr. 565 et 566.

[242]  Plan d’argumentation, paragr. 560.

[243]    Mahe, page 393; voir aussi Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), 1993 CanLII 119 (CSC), [1993] 1 RCS 839, page 864.

[244]   Procureur général des Territoires du Nord-Ouest c. Fédération Franco-Ténoise, 2008 NWTCA 5.

[245]  Arsenault-Cameron, précité, paragr. 52.

[246]  2020 QCCA 1171.

[247]  L'association Des Parents Francophones De La Colombie- Britannique, La Fédération Des Francophones De La Colombie-Britannique v. Woods, 1996 CanLII 1455 (BC SC).

[248]  Arsenault-Cameron, précité, paragr. 43.

[249]  2020 CSC 38.

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