Décision

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Deslongchamps (Succession de) et Société Asbestos ltée

2007 QCCLP 1055

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Lévis

16 février 2007

 

Région :

Chaudière-Appalaches

 

Dossier :

287860-03B-0604

 

Dossier CSST :

127715605

 

Commissaire :

Claude Lavigne, avocat

 

Membres :

Guy Perreault, associations d’employeurs

 

Yves Poulin, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Succession Gérard Deslongchamps

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Société Asbestos ltée

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 27 avril 2006, monsieur Pierre Létourneau, pour la succession de monsieur Gérard Deslongchamps (le travailleur), dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste la décision rendue le 19 avril 2006 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme sa décision rendue le 7 décembre 2005 et déclare que le travailleur n’était pas atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire au moment de son décès. Elle déclare également que la succession du travailleur n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) (la loi).

[3]                Audience tenue le 30 janvier 2007 en présence de madame Doris Faucher, conjointe survivante du travailleur et de son représentant, monsieur Mario Précourt. En début d’audience, le représentant demande et obtient du tribunal la permission de ne limiter le débat qu’à l’aspect légal de cette décision compte tenu de l’intervention de la CSST auprès du Comité spécial des présidents afin qu’un avis complémentaire soit obtenu.

[4]                Il est également convenu que si le tribunal reconnaissait la légitimité de la démarche de la CSST auprès du Comité spécial des présidents et du processus légal qui en a suivi, il serait à nouveau convoqué pour disposer du bien-fondé de cette décision.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION SUR CE QUE NOUS POUVONS APPELER DE MOYEN PRÉALABLE

[5]                Le représentant de la succession du travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer illégale la démarche entreprise par la CSST auprès du Comité spécial des présidents, le 31 octobre 2005, illégale au même titre que le processus décisionnel qui en a suivi, le 7 décembre 2005.

 

LES FAITS

[6]                Le travailleur a œuvré dans les mines d’amiante pour le compte de la Société Asbestos ltée de 1952 à 1986 où il a exercé différentes fonctions telles que entretien de la machinerie, opérateur de chariot élévateur, pileur et chargeur de sacs d’amiante.

[7]                Le 2 juillet 2004, il décède. Au bulletin de décès, on indique comme cause une néoplasie pulmonaire.

[8]                Une autopsie limitée aux poumons du travailleur est pratiquée le lendemain par le docteur Luc Vaillancourt, pathologiste. Dans son rapport imprimé le 8 septembre 2004, ce médecin retient les diagnostics suivants :

Diagnostics anatomiques

 

1    Métastases pleurales et pulmonaires bilatérales d’un carcinome transitionnel de grade II/III.

 

2.   Bronchopneumonie en phase exsudative bilatérale.

3.   Changements emphysémateux sous-pleureux avec légère fibrose interstitielle et accumulation de pigments d’anthracose.

 

4.   Œdème intra-alvéolaire, poumon gauche.

 

 

[9]                Le 20 février 2005, la conjointe du travailleur s’adresse à la CSST pour faire reconnaître une maladie professionnelle chez son époux ainsi qu’une relation avec le décès qui en a suivi.

[10]           Le 15 avril 2005, la CSST s’adresse au service des archives du Centre hospitalier de la région de l’Amiante pour obtenir copie de tout le dossier médical du travailleur.

[11]           Le 3 mai 2005, la CSST reçoit les documents demandés du Centre hospitalier de la région de l’Amiante. On y apprend que le travailleur est suivi depuis 2000 pour une néoplasie de la vessie.

[12]           On y a apprend également qu’une biopsie au niveau des poumons du travailleur faite le ou vers le 11 septembre 2003 a permis de mettre en évidence la présence d’un aspect nécrotique, de cellules néoplasiques malignes correspondant à un carcinome non à petites cellules.

[13]           Le 16 septembre 2005, le Comité des maladies professionnelles pulmonaires, composé des pneumologues Raymond Bégin, André Cantin et Pierre Larrivée, étudie le dossier du travailleur pour en venir à reconnaître le cancer pulmonaire comme étant une maladie professionnelle. Le comité reconnaît également que le travailleur est décédé des suites et complications de cette néoplasie pulmonaire professionnelle.

[14]           Le 6 octobre 2005, le Comité spécial des présidents, composé des pneumologues Marc Desmeules, Jean-Luc Malo et Gaston Ostiguy, entérine les conclusions et recommandations émises par le Comité des maladies professionnelles pulmonaires. Ainsi, il reconnaît que le travailleur est décédé des suites et complications d’une maladie professionnelle pulmonaire sous forme d’un néoplasie pulmonaire.

[15]           Le 31 octobre 2005, le médecin régional de la CSST écrit au docteur Daniel Boucher de la Direction des services médicaux afin qu’il intervienne auprès du Comité spécial des présidents pour que ce comité tienne compte des antécédents personnels du travailleur.

[16]           À sa réunion du 2 novembre 2005, ledit Comité spécial des présidents composé, cette fois des pneumologues Marc Desmeules, André Cartier et Gaston Ostiguy, réétudie le dossier du travailleur. Il y a lieu de reproduire ici dans son intégralité le rapport de ce comité qui en a suivi le lendemain.

REF :   Monsieur Gérard Deslongchamps

            Dossier CSST : 127715605

            Région : Chaudière-Appalaches

            MPP-506230

 

À leur réunion du 2 novembre 2005, les membres soussignés du Comité Spécial des présidents ont étudié le dossier de ce réclamant.

 

Ils ont pris connaissance des conclusions de l’expertise antérieure du 2 octobre 2005 et, dans cette expertise, le comité n’avait pas en main le compte rendu d’autopsie de ce réclamant, compte rendu qui conclut à la présence de métastases pleuropulmonaires d’un carcicome transitionnel de la vessie antérieurement connu en 2000 et non pas un cancer pulmonaire primitif comme le bulletin de décès faisait mention chez ce réclamant.

 

Compte tenu de ces informations, le comité considère donc que le réclamant est décédé des suites et complications d’une néoplasie de la vessie connue depuis au moins l’an 2000 et que cette néoplasie n’est pas une maladie pulmonaire professionnelle.

 

Le réclamant n’est donc pas décédé des suites et complications d’une maladie pulmonaire professionnelle.

 

 

[17]           Le 7 décembre 2005, la CSST écrit à la succession du travailleur pour l’informer qu’au moment de son décès, ce dernier n’était pas atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire, décision que madame Faucher porte en révision le 21 décembre 2005.

[18]           Le 19 avril 2006, la CSST, à la suite d’une révision administrative et après avoir déclaré recevable la réclamation de la succession, confirme sa décision rendue le 7 décembre 2005, d’où la contestation déposée à la Commission des lésions professionnelles le 27 avril 2006 au nom de la succession du travailleur.

[19]           Le représentant de la succession demande et obtient en début d’audience la permission de limiter le présent débat qu’à l’aspect légal de cette décision compte tenu de l’intervention de la CSST auprès du Comité spécial des présidents afin d’obtenir un avis complémentaire.

[20]           Il est également convenu que si le tribunal en venait à reconnaître le caractère légal de cette décision compte tenu des circonstances, il reconvoquera à nouveau les parties pour disposer du bien-fondé de cette décision.

 

L’AVIS DES MEMBRES

[21]           Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis de reconnaître légitime la démarche de la CSST auprès du Comité spécial des présidents et déclarent légale la décision qui en découle.

[22]           Selon eux, lorsque le Comité spécial des présidents se prononce la première fois, il n’a pas en sa possession l’ensemble du dossier du travailleur incluant ses antécédents personnels.

[23]           Dès lors, la CSST était justifiée d’intervenir auprès dudit comité afin de le sensibiliser sur l’ensemble du dossier du travailleur incluant cette même condition personnelle.

 

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[24]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la décision rendue par la CSST le 7 décembre 2005 respecte la loi en pareille circonstance.

[25]           La loi prévoit, aux articles 226 à 233, les dispositions particulières pour les maladies professionnelles pulmonaires.

[26]           Ainsi, aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi sur le droit des travailleurs qui allèguent être atteints d’une maladie professionnelle, la CSST est liée par le diagnostic et autres constatations établies par le Comité spécial des présidents (article 233 de la loi).

[27]           Dans le dossier sous étude, le représentant de la succession du travailleur soumet que la CSST ne pouvait intervenir auprès du Comité spécial des présidents sans pour autant outrepasser cet article 233 de la loi.

[28]           Dans la cause Leroux c. C.A.L.P.[1], il a été décidé que la CSST ne pouvait obtenir, à l’insu du travailleur, un rapport complémentaire du Comité spécial des présidents modifiant la norme d’exposition sécuritaire à l’amiante qui figure dans son premier rapport. Il s’agit d’une violation de l’équité procédurale à l’égard du travailleur.

[29]           Or, dans la cause qui nous occupe, l’intervention de la CSST auprès du Comité spécial des présidents ne vise pas nécessairement à faire modifier son avis premier mais simplement s’assurer que celui-ci a été pris en toute connaissance de cause.

[30]           La Commission des lésions professionnelles et antérieurement la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) ont, à maintes reprises, reconnu le droit pour la CSST d’intervenir auprès du médecin ayant charge du travailleur même si dans la loi, il existe une procédure spécifique lui permettant de contester les sujets d’ordre médical prévu à l’article 212 de la loi.

[31]           Cette intervention de la CSST n’a pas été reconnue sans bornes. En effet, elle doit s’inscrire dans une démarche afin d’obtenir des précisions et des informations du médecin traitant ou simplement lui rappeler l’application du Règlement sur les dommages corporels.

[32]           Il est bien évident que si l’intervention de la CSST auprès du médecin prend sa source dans une divergence d’opinion ou s’apparente à une pression pour lui faire changer d’avis sur une question d’ordre médical, la Commission des lésions professionnelles interviendra pour sanctionner cette façon de faire.

[33]           La Commission des lésions professionnelles ne voit pas d’ingérence de la part de la CSST lorsqu’elle intervient auprès du Comité spécial des président. Ceci est d’autant plus vrai que la CSST ne dispose pas d’un mécanisme lui permettant de remettre en question l’avis émis par le Comité spécial des présidents et doit donc s’assurer que cet avis est pris en toute connaissance de cause.

[34]           Elle rappelle au Comité spécial des présidents qu’il ne semble pas avoir tenu compte des antécédents personnels du travailleur lors de l’analyse du dossier du travailleur.

[35]           Dans la mesure où il est permis de croire que le Comité spécial des présidents n’avait pas en sa possession le dossier médical complet du travailleur incluant ses antécédents personnels, du moins c’est l’interprétation qu’il appert du libellé même de ce nouvel avis émis le 3 novembre 2005 lorsque le comité en question rapporte qu’il n’avait pas en sa possession le compte rendu d’autopsie, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la CSST se devait, dans un souci de transparence, de justice et d’équité, d’intervenir auprès du Comité spécial des présidents afin qu’il émette une opinion complète à partir du dossier intégral du travailleur.

[36]           En agissant de la sorte, la CSST ne fait que se conformer au mandat qui lui a été confié par le législateur dans le cadre d’une saine administration de la présente loi suivant l’article 351.

[37]           La Commission des lésions professionnelles reconnaît donc comme étant valable la démarche entreprise par la CSST auprès du Comité spécial des présidents afin que ce dernier puisse émettre un avis complet à partir du dossier intégral du travailleur.

[38]           La Commission des lésions professionnelles s’est par ailleurs interrogée sur le fait que la composition du premier Comité spécial des présidents soit différent du deuxième.

[39]           En effet, lors de leur avis émis le 6 octobre 2005, le Comité spécial des présidents est composé des pneumologues Marc Desmeules, Jean-Luc Malo et Gaston Ostiguy alors que pour l’avis complémentaire obtenu le 3 novembre 2005, ledit comité est composé des pneumologues Marc Desmeules, André Cartier et Gaston Ostiguy.

[40]           Appelé à disposer d’une pareille substitution de pneumologues dans le cadre du Comité spécial des présidents, la Commission des lésions professionnelles, dans la cause Bélanger et Corporation minière Inmet (troilus)[2], la Commission des lésions professionnelles a annulé le processus d’évaluation puisque le comité qui a examiné le travailleur n’était pas constitué des mêmes personnes que celui qui a rendu l’avis complémentaire. À cette occasion, la Commission des lésions professionnelles souligne qu’il est indispensable que le comité qui évalue le travailleur soit le même du début à la fin du processus puisque le nouveau membre agissant lors de l’avis complémentaire n’a pas examiné le travailleur comme le législateur le demande et n’a pas participé aux premières démarches d’évaluation. Il ne s’agit pas d’une simple question de procédure mais d’une question de fond puisque le législateur a voulu que le comité qui rencontre le travailleur soit constitué des mêmes personnes jusqu’à la fin de son intervention.

[41]           Cependant, le présent tribunal fait une nette distinction entre cette affaire et celle qui nous occupe puisque dans le premier cas, les comités ont eu l’occasion d’examiner le travailleur alors que dans le cas qui nous intéresse, il n’y a pas d’examen du travailleur, ce dernier étant décédé.

[42]           L’avis complémentaire ainsi obtenu du Comité spécial des présidents au mois de novembre 2005 n’entache donc pas le processus d’une irrégularité devant mener à son annulation.

[43]           Ceci est d’autant plus vrai que c’est seulement lors de son étude du 2 novembre 2005 que le Comité spécial des présidents a, pour la première fois, un dossier complet du travailleur incluant le compte rendu de l’autopsie et vraisemblablement cette condition personnelle vécue sous forme de cancer de la vessie.

[44]           C’est dans ce contexte que la Commission des lésions professionnelles reconnaît comme étant régulière la démarche entreprise par la CSST auprès du Comité spécial des présidents afin que celui-ci puisse se prononcer à partir du dossier complet du travailleur incluant sa condition personnelle.

[45]           Le processus décisionnel qui en a suivi est donc tout à fait légitime dans les circonstances.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE le moyen préalable soulevé par le représentant de la succession de monsieur Gérard Deslongchamps (le travailleur);

DÉCLARE que la décision rendue le 7 décembre 2005 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) est en conformité avec l’article 233 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) (la loi);

RECONVOQUERA les parties sous peu afin de disposer du bien-fondé de la décision rendue le 19 avril 2006 par la CSST, à la suite d’une révision administrative, décision qui confirme cette décision rendue le 7 décembre 2005 où il est déclaré que le travailleur n’était pas atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire au moment de son décès.

 

 

 

 

Claude Lavigne

 

Commissaire

 

 

 

M. Mario Précourt

C.S.N.

Représentant de la partie requérante

 

 



[1]           [1999] C.L.P., 449 (C.A.)

[2]           [2004] C.L.P., 1332.

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